Mauvaise prof, mauvais élève. On n’y arrivera jamais dans ce cas et ce n’est pas plus mal. Ca m’évitera de me ridiculiser, d’avoir l’air d’un sombre abruti parce qu’à quarante piges, il sait pas nager. Honte ultime. En même temps, je ne me suis jamais permis du repos, depuis que ma mère n’est plus de ce monde, j’ai cessé de découvrir les plaisirs de la vie. Les simples plaisirs que je me suis octroyé sont le sexe, l’alcool et la drogue. Des plaisirs purs qui au final n’égalent même pas le reste. La débauche, y’a que ça d’vrai. J’me sens bien plus à l’aise dans c’monde de gros dégueulasse, à m’gerber dessus parce que j’ai abusé sur la boisson, à baiser avec n’importe qui et à planer confondant illusion et réalité. J’suis pas fait pour vivre dans le monde du commun des mortels, j’suis pas fait pour vivre normalement. J’ai l’mal dans la peau, ce mal qui m’fait vibrer et jouir à la moindre montée d’adrénaline, me donnant l’impression chaque jour que tellement c’est puissant, mon cœur finira par lâcher. J’crèverais heureux, à ma façon. « Si t’étais réellement grise, je m’inquiéterais à ta place. » Dis-je sur le ton de la plaisanterie. Tess me fit peur, qu’elle s’estime heureuse que dans l’affreux état dans lequel je me trouve, j’ai pas ces vieux réflexes à la con. J’crois qu’elle ne s’en serait jamais remise, d’une gifle magistrale sortie de nulle part. J’fais une moue, faisant semblant de bouder mais ça ne dure pas longtemps, voilà que je rigole aussi rien qu’en repensant à Tess s’ramassant comme une merde. « C’était tordant, ça ! » Et de ça, je m’en souviendrais. C’est mal de se moquer des autres mais moi, y’a que ça qui me fait vraiment rire, surtout sobre. J’suis le genre de mec qui rit du malheur des autres, de leur honte et qui s’amuse à leur rappeler de temps en temps. L’humour malsain, putain, y’a que ça de vrai. Je m’éloigne de Tess ayant regagné le ponton comme je le pouvais, me hissant sur ce dernier, regagnant l’endroit où j’ai lâchement abandonné mes affaires. J’ai pas vraiment le temps d’attendre de sécher, ça prendrait des heures. J’enfile mon t-shirt, s’imprégnant de l’eau présente sur mon corps. J’entends Tess se plaindre et rigoler. J’tourne la tête vers elle, et elle semble galérer à sortir de là. « Nan, tu te démerdes. » Dis-je taquin, m’avançant jusqu’au ponton. « Direct t’abuses, t’as même pas une ride et un pète de graisse. » C’était gratuit et véridique, de rien. Je m’accroupis ensuite, venant tendre ma main en sa direction appréhendant un peu sa réaction face à mon invitation. Elle m’a peut-être demandé de l’aide mais, n’a-t-elle sûrement pas pensé à ce contact physique oblige. Ou alors, elle arrive à un stade où elle n’y pense même plus. Depuis le début de la soirée, j’ai bien vite remarqué la distance qu’elle a imposée entre elle et moi se faire plus courte. « Tu m’tires pas dans l’eau, hein. J’suis pas sûr de réussir à remonter, là. » J’espère pas lui donner des idées mais, je préfère m’assurer que ça ne lui a pas traversé l’esprit. J’ai jamais confiance, jamais aveuglement, c’est même rare. « Sinon j’te promets j’vais te hanter jusqu’à la fin de ta vie. » Une menace en l’air. J’me saisis de sa main et je prends appui sur mes jambes, me remettant debout en même temps que je la tire hors de l’eau, avec force et rapidité, vers moi. Je la retiens histoire qu’elle ne vienne pas m’percuter face à cet élan de force ou qu’elle se ramasse suite à une perte d’équilibre. Une proximité trop weird qui me déplait pas à moi. J’aime justement trop ça, les contacts physiques comme ceux là et même bien plus poussé. A mon grand damn. J’reste pas longtemps proche d’elle, n’voulant pas foutre un malaise général face à cette distance désormais quasi inexistante et sa presque nudité totale. Même si j’ai pas louché, j’suis conscient de la situation, et j’reste un mec, putain. « J’sais pas où tu les caches tes cent mille kilos parce que, franchement, j’ai rien senti. » Un poids plume, la gonzesse. J’retourne m’saper, c’est désagréable de sentir mes fringues s’mouiller mais ça me gêne pas plus que ça, actuellement. J’me rallume une clope, restant dos à elle le temps qu’elle se rhabille elle aussi. « J’te laisse ouvrir la marche, j’ai un bon sens de l’orientation en général mais là, j’me souviens déjà plus. » Et si demain j’ai envie de retourner ici, même si je me souviens plus du chemin, j’aurais au moins l’intelligence d’utiliser le GPS. « Tu veux une clope ? »
Lemmy fait demi-tour pour venir aider la jolie métisse encore coincée sous l'eau. Il lance une blague qui la fait rire doucement, alors qu'elle l'attendait pour remonter sur la terre ferme. Fléchissant ses jambes, il fini par lui tendre la main e évoquant le fait qu'elle puisse l'attirer dans l'eau « en vrai je n'y avais même pas pensé » rigola t-elle. Non, surtout s'il n'était pas à l'aise dans l'eau, elle n'irait pas tirer sur un animal blessé, ce n'était pas du tout son genre, bien au contraire et ce, même défoncée comme elle était. Elle ne réfléchie pas une seconde et attrape cette main comme si jamais elle n'avait eu peur de toucher un inconnu, qui plus est, un homme. Son autre coude est cassé afin que son avant-bras cache sa petite poitrine dénudée. Lemmy a une telle force, en quelques seconde à peine, il l'extirpe de l'eau. La facilité avec laquelle il fait ça est déconcertante. La jeune femme se retrouve face à lui, presque collée, presque nue, et encore sous l'émerveillement de cette remontée. Elle a trouvée ça sexy. Ils se fixent quelques secondes dans l'intimité de leurs yeux, la main de Tess a quittée sa poitrine pour venir contre le tee-shirt de Lemmy. Il a l'air aussi dur que Wolverine, sa peau est tendue, son pectoraux semble ferme. Néanmoins, la main de Tess ose à peine le toucher, il n'aime pas ça, il le lui a dit. Elle sent la main de Lemmy, ou plutôt l'un de ses bras, la retenir droite, contre lui, le temps de quelques secondes. Sentir leurs deux peaux se toucher ainsi la fait frissonner. Ils semblaient se sourire avant qu'elle ne réponde doucement « ça m'déplairait pas » en réponse à cette idée d'être hantée par lui pour le reste de sa vie. Il fait une blague sur la vanne qu'elle avait faite tout à l'heure, elle sourit et il la laisse là. Tess semble perdre l'équilibre quand il la laisse, pour rejoindre ses affaires. Elle l'observe marcher, ne voyant déjà plus sa Vierge au visage inexistant, noir, qui se trouve sur sa cuisse. Elle baisse alors les yeux, se rendant compte de l'état dans lequel elle était. A moitié à poil, sur le ponton, encore trempée par sa baignade nocturne. Néanmoins, elle avait les idées un peu plus claires, comme si cette baignade l'avait fait un peu dessoûlée. En tous cas, c'était ce qu'elle voulait croire, parce que clairement, elle était toujours aussi saoule. Elle regarda derrière elle, observant une dernière fois l'eau du lac qui s'étendait à elle, dessinant les derniers ronds de sa présence dans l'eau, avant de suivre les pas humides laissés sur le bois par Lemmy. Après avoir regagné l'herbe, elle fini par trouver sa robe. Grelottant un peu de froid, elle enfila sa robe, sa veste e jeans qu'elle trouvait incroyablement confortable et chaude, puis ses sandales « oh putain ça fait du bien » mima t-elle en sentiment de bien-être dans ses fringues. Lemmy était de dos, en train de s'allumer une cigarette, vu la lumière vive qui éclairait son visage. Tess sourit et s'approcha de lui pour venir taper son épaule contre la sienne. Enfin, du haut de un mètres cinquante, elle n'était pas vraiment sûre d'atteindre son épaule, mais c'était l'idée « j'suis trop petite pour te checker l'épaule, j'y crois pas » plaisanta t-elle. « T'inquiète, j'ai emmené les miennes, merci » lança t-elle en parlant de ses clopes. La métisse prit son sac et fouilla dedans à la recherche de son paquet, alors qu'ils s'étaient déjà mis en route pour retrouver le chemin de terre par lequel ils étaient arrivés un peu plus tôt. Tess passa en premier, continuant de fumer sa clope. Elle entendait Lemmy derrière elle, mais ne le voyait pas, si bien qu'elle pu dire sans vraiment avoir de gêne « pendant quelques heures j'ai vraiment eu l'impression qu'on était sur pause » rigola t-elle en recrachant sa fumée au dessus de sa tête. « Mais non, la vie réelle intervient toujours quand on s'y attend plus » précisa t-elle presque en soupirant. Et ça avait été le cas pour Tess, tout au cours de sa vie. Lorsqu'elle avait vécu pendant huit ans à Londres, menant une vie réellement parfaite, elle ne se serait jamais attendu à ce qu'on l'appelle pour lui dire que sa mère était morte. La vie réelle intervient toujours pour nous réveiller d'un beau rêve, ou nous sauver d'un cauchemar. Quoi que pour la seconde image, elle attendait encore d'être réveillée. Tess n'avait pas très envie de se retrouver seule chez elle, pour cette nuit. Non pas qu'elle aurait aimé que Lemmy dorme avec elle, non. Elle aurait aimé avoir une présence, quelqu'un qui veille sur elle, au cas-où. Quelqu'un qui entre dans sa salle de bain en criant au feu. Elle sourit à ce souvenir pas si vieux que ça. Elle ne pu s'empêcher de rire légèrement et d'ajouter « j'suis en train de repenser à ce moment où j't'ai vu débarquer dans ma salle de bain, j'ai cru que j'allais crever » rigola t-elle plus fort. Jetant leurs clopes, les deux nouveaux amis quittèrent enfin le chemin de terre pour le goudron. D'ici quelques minutes, ils seraient de nouveau chez Tess, mais il était préférable que Lemmy parte dans l'autre direction, afin de choper l'un des bus pour rentrer chez lui, à Brisbane. Tess s'arrêta sur le goudron, au lieu de continuer sa marche et lança « si... si tu veux rentrer à Brisbane, c'est de ce côté là du coup » mima t-elle en désignant l'exact opposé de la direction qu'ils avaient emprunté tout à l'heure pour venir. « Après, on peut toujours rentrer boire un dernier café, mais ça va te rajouter de la route... » lança t-elle avant de tout de suite proposer « mais je peux t'accompagner à l'arrêt de bus si tu veux ? » Elle ne voulait pas le quitter maintenant, comme ça, sans peut-être le revoir de sa vie. Elle n'avait pas envie de rentrer seule, pas envie de lui dire au revoir, ou plutôt adieux. Tess, elle n'aimait pas les adieux, mais encore moins les au revoir. Elle avait tellement passé une magnifique soirée, ses yeux étaient encore remplis d'étoiles. Elle ne s'était pas imaginé que le moment de la séparation, du retour à la vie réelle, allait être si compliqué, ni aussi rapide.
Cette proximité, ça me met mal à l’aise autant que ça m’donne le tournis. C’est spécial, c’est intense aussi, c’est particuliers mais j’apprécie. Il n’y a rien de malsain, c’est quelque chose que je ne saurais expliquer, il faut le vivre pour le savoir. Ca ne me déplait pas, et j’sens bien qu’il y a ce quelque chose qu’elle n’ose pas faire, un contact tout à fait anodin. Elle le sait, je le lui avais dit et j’prie au fond de moi pour qu’elle ne le fasse pas, pas parce que ça va me déplaire mais parce que je me connais sur le bout des doigts, parce que mon corps va m’envoyer des décharges électriques, réagir. De l’autre sens, j’ai envie qu’elle le fasse, qu’elle prenne confiance et qu’elle voit que malgré ça, il n’y aura rien d’autre qu’un contact, normal. J’réagirais pas violemment comme je le ferais avec n’importe qui, parce que je sais. Je sais ce qu’elle ressent, le cauchemar dans lequel elle semble vivre depuis des années. Je ne suis que trop bien placé pour savoir qu’il ne faut pas brusquer, juste laisser faire, reprendre confiance en soit et en l’Homme. Moi j’ai repris confiance en moi à l’arrache, psychologiquement j’me suis fais violence pour ne démontrer aucune peur. J’ai repris confiance en moi alors que je continuais à subir ces atrocités. J’ai tant creusé pour que ça arrive, j’ai tant pris sur ma personne pour ne pas flancher. C’était dur, c’était déchirant, j’pensais mourir chaque fois que la peur me martelait le cœur jusqu’à m’en couper le souffle. J’aurais juré aussi sentir mon cœur faire des looping ou même s’arrêter quelques secondes. J’ai puisé ma force dans ce qui me détruisait, renonçant à tant de choses, renonçant à vivre. Je ne suis que le résultat de la cruauté, du manque d’humanité. L’chef d’œuvre abominable d’une bande de raté, la création d’un homme que j’ai tant aimé et admiré mais qui n’a jamais su éprouver la même chose à mon égard. Un héritier bon à jeter aux chiens, incapable de rien. S’il savait, à quel point il s’est trompé. C’est en m’rendant comme ça que désormais, ses jours sont comptés, peut-être autant que les miens. Tess me rappelle bien trop de souvenirs douloureux qui font que j’ai été ce Bélial aimant cette vie, aimant n’importe qui du plus profond de son être. Elle me rappelle à quel point j’suis humain et pas si mort que ça. Cette soirée, sa compagnie, cette ambiance apaisante et sereine, j’ai oublié de vivre. J’me suis réfugié dans la fatalité, dans quelque chose que j’ai presque toujours connu et j’me suis toujours refusé le vrai bonheur parce qu’au fond, ça rend vulnérable n’importe qui. J’veux plus l’être. Un fin sourire se dessine sur mon visage. Etre hanté par une âme si impure, c’est prendre le risque d’être maudit toute sa vie. De vivre dans la tourmente, d’être poussé à faire des choses dont on ne serait pas capable en temps normal. On finit par s’habituer, après, à sa présence. On change. Sa remarque m’donne des frissons. C’était bien plus profond qu’une simple phrase sortie comme ça, juste pour déconner. Ca m’perturbe. J’finis de m’habiller, après l’avoir abandonné. C’est l’bordel là haut, j’sais même plus quoi penser. L’anarchie totale. Ca me déboussole, ça me donne légèrement mal au crâne. J’allume la clope, tirant longuement dessus comme si j’prenais une grosse bouffée d’oxygène. Ca détend, ça fait du bien. Tess m’donne une tape en dessous de mon épaule et j’me tourne vers elle, lâchant un rire moqueur mais bon enfant. « C’est quand ton anniversaire ? Je t’offrirais un escabeau. » Ou une échelle, à voir. On se met en route, Tess passa devant tandis qu’moi derrière je suis, faisant ma vie, mangeant presque ma clope en tirant dessus comme un bourrin. « Je trouve aussi, ça m’a fait du bien. Ca fait longtemps que ça m’était pas arrivé, j’avais oublié ce que c’était. » Ca sort d’ma bouche avec tellement d’aisance que c’est flippant. Je ne suis on ne peut plus d’accord sur sa remarque sur la vie réelle. On va s’prendre la réalité en pleine figure, ça va nous faire tout drôle, ça va être relou et j’sens déjà que les jours à venir, tout va se bousculer dans ma tête, allant enfouir l’meilleur de moi-même dans un trou, l’enterrer vivant espérant que cette fois, il ne s’enfuira plus. Au fond, j’aurais aimé que cette soirée ne se finisse jamais, qu’elle dure éternellement, qu’il n’y ait juste qu’elle, moi et la sérénité. Je l’admettrais jamais, j’préfère me voiler la face et vivre dans la merde dans laquelle j’me trouve. J’me mets à rire quand elle fait allusion à notre rencontre particulière. Au final, heureusement que j’suis allé fouiller, heureusement que ce tordu m’a envoyé chez elle. Si je n’avais pas été là, elle ne serait plus de ce monde. « Moi j’savais pas trop où me foutre. J’étais partagé entre la panique et la gêne. J’voulais pas débarquer comme ça, j’t’assure. » Puis moi, même si on venait me prévenir d’un danger, la personne aurait fini dans mon bain à s’noyer. J’ai des réactions trop violente dans ces cas là, j’contrôle pas, c’est comme ça. On quitte le chemin de terre, on revient à la réalité et ça fait drôle. Elle m’indique la direction pour rentrer à Brisbane, et j’hoche la tête en guise de réponse. J’hésite à rentrer en bus, ça m’fait chier de demander à Osborne fille de me reconduire ici demain afin de reprendre ma caisse. J’sais pas si je me sens de conduire et au pire, c’est pas la première fois que j’roule sous l’emprise de l’alcool. Elle me propose de rentrer chez elle, histoire de boire une dernière boisson. Une phrase dites entre une indication et une proposition. Une envie de continuer à faire durer encore un peu ce moment, une envie partagée. Ca ne me semble pas raisonnable pour autant mais, qui a dit que je l’étais ? « J’accepte l’invitation, même si c’est peut-être pas raisonnable. Comme ça, je te raccompagne, t’arrives chez toi sans te faire agresser et ça m’laissera le temps de décuver un peu. J’vais prendre ma caisse, ça devrait aller. » Il vaudrait mieux. Si j’me fais arrêter bêtement, juste pour conduite en état d’ivresse et que ça s’transforme en état d’arrestation pour homicide volontaire et tout l’bince, je l’aurais dans le cul. De plus, j’ai l’habitude des au revoir, des adieux. J’ai l’habitude de disparaitre sans laisser aucune trace, de disparaitre comme si je n’avais jamais existé, comme si je n’étais que le fruit de l’imagination. Ce soir, j’avais pas envie de n’être qu’une illusion, que l’on remette en doute mon existence, que je disparaisse telle une apparition fantomatique n’étant qu’ici pour délivrer un message. J’me dirige à la direction opposé à celle qu’elle m’a indiquée pour rentrer vers Brisbane. « Hé, celui qui arrive en premier à la maison ben, il a gagnééé ! » Idée à la con qui m’passe par la tête, bonjour. Je me mets à courir en riant, joignant le geste à la parole sans être sûr que ce soit la bonne direction. J’me base sur ce dont je me souviens, ça tangue un peu mais c’est déjà moins pire qu’avant.
Lemmy ne pouvait pas le savoir, il ne pouvait vraiment pas le savoir, mais il venait de faire une bourde. Tess serra les dents et sourit comme elle pu lorsqu'il évoqua son anniversaire. C'était dit comme ça, sans réfléchir, sans penser à mal. Comme le nombre de fois où on lui parlait de ses parents sans savoir qu'ils étaient morts tous les deux. C'était le genre de truc qu'elle avait apprit à gérer au fil des années, au fil des mois, mais ça ne voulait pas dire que ce n'était pas plus facile avec le temps. Juste moins douloureux, légèrement. En fait, ce qui était le plus chiant, c'était que ça agissait comme une piqûre de rappel, renvoyant des images précises, des flashs, des odeurs, des souvenirs, des sensations, des émotions fortes en quelques secondes, comme ça, comme si un mot pouvait agir sur autant de connexions liées à la mémoire. Saloperie de concept cette mémoire, ça ne servait à rien. « Je ne fête plus mon anniversaire » sourit-elle alors, pour le mettre au courant. Et c'était le cas, Tess ne fêtait ni son anniversaire au mois de mars, parce que c'était le jour de son seizième anniversaire que son violeur avait abusé d'elle, dans la chambre qu'elle occupait encore, quinze ans plus tard ; et elle ne fêtait plus Noël depuis la mort de sa mère, il y a plus d'un an. Quelle idée de fêter une fête de famille, sans famille ? Surtout que sa mère était morte à cette période, ça n'avait plus aucun sens à ses yeux. Lorsqu'elle embraya sur le sujet du moment de leur rencontre, elle ne pu que rire face à la réponse que Lemmy lui souffla de derrière, envoyant l'odeur de son tabac jusqu'aux narines de Tess. « Encore heureux, parce que si c'était scénarisé... ça aurait fait très... porno des années 90, enfin j'imagine » de quoi est-ce qu'elle parlait ? Tess n'avait jamais vu de porno, tout ce qui touchait au sexe de près, ou de loin, lui filait des boutons. Elle en avait peur, elle fuyait le sujet dès que ça s'en approchait de trop près. Mais elle savait que les années 80 et 90 n'avaient pas donné naissance à ce qu'il y avait de meilleur dans certains domaines, qu'il s'agisse parfois de musique, de film, de publicité ou de mode. Mais tout est subjectif, n'est-ce pas ? Sortant du chemin de terre, les sandales de la jeune femme foulèrent enfin le bitume, la faisant soupirer d'aise. C'était une étape de franchie, pour un endroit abandonné qui lui manquait déjà. Elle se sentait un peu stressée à l'idée que la soirée ne s'achève, parce qu'elle n'avait pas envie d'aller se coucher, bien que la fatigue se fasse ressentir. Elle ne voulait pas que ce moment se termine, elle ne voulait pas que ce nuage passe pour laisser place à la pluie. Depuis le départ de Nick en prison, la jeune trentenaire ne sortait plus de chez elle, elle ne voyait plus vraiment ses amis. C'était la première fois qu'elle s'autorisait à faire quelque chose, enfin même pas s'autorisait... c'était juste, ainsi que ça devait être. Ou plutôt, ça ne pouvait pas être autrement. C'était comme si c'était écrit, comme si c'était normal, logique, aussi simple que ça. Il n'y avait pas de question à se poser. Mais elle avait le sentiment que cette nuit serait une parenthèse unique. Qu'elle ne le reverrait plus, comme s'il était un mirage que la nuit aurait dessiné juste pour elle. Un mirage créé par son esprit, devenait-elle folle ? Non, elle avait senti son corps, il était bien réel, pas vrai ? Lemmy accepta l'idée du café, ce qui fit sourire Tess jusqu'aux oreilles, avant qu'elle ne baisse un peu les yeux histoire de cacher son plaisir face à cette réponse. « Mon café te fera du bien, ça va te requinquer » lança t-elle. L'idée qu'il reparte en voiture jusqu'à Brisbane ne rassurait pas Tess, mais il était assez grand pour faire ce qu'il voulait, elle n'était pas sa mère, sa femme, sa sœur. Elle n'avait rien à lui dire, à part ceci « si tu veux te reposer un peu avant de décoller tu peux, ça ne me dérangera pas » précisa t-elle. Elle avait le canapé au salon, ou bien la chambre d'amis, autrement dit, la chambre de Nick, qui fut la chambre de sa mère autrefois. Tess n'était pas le genre de personne qui respectait les règles. Après avoir bu, fumé, elle prenait sa caisse elle aussi et elle n'avait jamais eu d'accident. Elle fumait même parfois au volant, alors que c'était toujours illégal. Elle se fichait des conséquences, elle avait déjà bien trop à faire avec les siennes, de conséquences. La jeune femme eu juste le temps de dire « à quoi ça sert d'être raisonnable ? C'est moins drôle, non ? » avant que Lemmy ne se prenne au jeu de s'enfuir en courant dans la direction de la maison de Tess. La jeune femme se mit à rire et à gueuler à travers la nuit « anh t'as triché ! » rigolant et se mettant à le suivre comme elle le pouvait. Ses poumons de fumeuse s'enflammèrent, sa gorge se serra, ses genoux grincèrent, son ventre émit un point de côté, puis un deuxième. Elle s'arrêta, se penchant en avant, une main appuyant sur son point de côté. Oh putain, elle allait vomir, c'était obligé. Entre l'alcool, la baignade et puis la course là... quelle idiote, ça n'était pas compatible tout ça, bien sûr que son ventre allait tout mélanger et qu'elle allait avoir envie de vomir. « Oh merde » souffla t-elle en sentant que ouais, elle allait vomir. Bon et bien voilà, ce sont des choses qui arrivent. Elle aurait préférée s'en passer ce soir, c'était quelque chose qui lui foutait la honte. C'était quelque chose qui fichait la honte à tout le monde en fait, personne n'était fier de vomir ses tripes après une soirée alcoolisée. La jeune femme fit quelques pas vers le bas côté de la route. Ses pieds dans les herbes hautes, son corps penché en avant, elle attrapa ses tresses noires dans ses mains et laissa son corps évacuer ce qu'il jugeait nécessaire à son bien-être. C'était une réaction corporelle de survie, c'était humain, c'était l'anatomie qui était plutôt bien faite quand on y pense. Juste que c'était la honte. Après avoir vomi, la jeune femme passa sa paume sur ses lèvres sèches et se redressa. Clairement, ça lui avait fait du bien. Elle quitta le bas côté pour rejoindre la route bitumée et croiser le regard de Lemmy. Elle sourit et lança « en fait si, j'crois qu'être raisonnable c'est bien pour éviter de se prendre la honte à vomir comme une ado de quatorze ans devant sa première bière ». Autant essayer d'en rire. Parce que c'était pas jojo quand même. La honte, et merde. Elle venait de tuer le mythe et de rendre ce moment bien réel pour le coup. « Franchement, tu serai sympa, tu porterai l'animal blessé que je suis jusqu'à chez elle... » lança t-elle en essayant de réduire la distance entre elle et lui. Bien évidemment, elle parlait de lui grimper sur le dos. Mais en disant cette phrase, elle se souvint qu'il n'aimait pas les contacts avec les gens. Elle sourit et lança « n'empêche que j'crois que tu as gagné, j'déclare forfait » leva t-elle la main en l'air, comme un geste d'abandon qu'elle assumait totalement.
Chose que j’ignorais, chose que désormais je sais. Je pense avoir la réponse au pourquoi elle ne fête plus son anniversaire mais je ne poserais pas la question. Je le saurais peut-être un jour, ça sortira de sa bouche. Dans ces cas là, mieux vaut laisser la question en suspens, s’apporter soi-même les réponses ou bien alors faire comme si de rien n’était, l’envoyer aux oubliettes. J’lui rends un sourire, cachant ma gêne. Quoi lui dire ? Etre à nouveau désolé, pour quelque chose que j’ignorais ? Rendre à nouveau la situation encore bien plus zarbi ? Vu comment c’est Bagdad dans ma tête, vu comment j’suis partagé entre l’idée d’me laisser à nouveau tomber dans le gouffre infernal d’ma vie ou de continuer à m’accrocher comme j’le fais là, en présentant un homme nouveau, un homme normal, j’vais pas ajouter ça en plus. « Ca aurait pu être un scénario d’film porno d’aujourd’hui, y’en a qui restent mauvais. » J’sors ça comme si j’parlais de la pluie et du beau temps, avec une indifférence et un m’en foutisme terrible. C’est quelque chose de commun chez moi, pas du tout tabou. Ca n’a pas toujours été ainsi. De plus, les pornos c’est pas mon kiff, ça fait plaisir de temps en temps mais ça s’arrête là. La comédie comme ça, le faut, un échange bien trop parfait, sans le côté dégueu où tu sues comme un bœuf, que t’as le maquillage qui dégouline, les cheveux en bataille et les petits accidents où tu te cognes la tête contre celle du lit parce que dans la précipitation tu calcules mal ton coup ou alors que tu te bouffes une brûlure au cul à cause du frottement de ta peau contre le tapis sur le sol. J’dis pas que ça arrive souvent mais quand t’es torché ou quand t’es dans l’feu de l’action, tu réfléchis pas. Tout ça pour dire qu’il y a une grande différence et que comme tout l’monde, j’préfère une partie de jambes en l’air réelle qu’à m’ennuyer comme un pauvre con devant une télévision. Un tue l’amour, les gars. Je résiste pas réellement longtemps à l’invitation de Tess. Etre raisonnable, j’sais pas ce que c’est. J’vais toujours dans l’abus. Là, j’ai quand même hésité. L’envie de continuer à faire durer cette soirée était plus forte que tout. Je n’ai pas envie de quitter ce rêve éveillé. Je n’ai pas envie de retourner chez moi, dans ma triste réalité, à me morfondre, à picoler, à fumer cigarettes sur cigarettes, à faire ces cauchemars, à entendre l’démon me susurrer des idées morbides, à me pousser à nouveau dans les travers de la société. Il sait me persuader, il sait comment me parler. Chaque jour je me laisse bercer par sa voix mélodieusement tentatrice. « Il va m’empêcher de dormir, ça veut dire ? » Déjà que j’suis déjà un excité de la vie, j’ai peur du résultat. J’aime dormir mais il me faut pas beaucoup d’heures pour être en forme. Durant mon enfer, on m’a habitué à dormir peu, voir pas du tout. Mon corps s’est habitué à ce rythme. J’suis un homme qui vit la nuit, un homme de l’ombre. Un homme qui se dissimule dans la pénombre, qu’on ne voit jamais venir. « Ca ira, mais c’est gentil de proposer. » Puis si je me repose un peu, pour moi, j’vais finir par dormir comme un loir et me réveiller quatre heures après. Si elle s’inquiète, j’trouve ça mignon. J’ai déjà roulé dans un état comme celui là et j’pense pas être mort. J’lui lance un défi, à la con, carrément puéril et même moi j’arrive pas à me rendre compte à quel point là, tout de suite, j’suis stupide. C’est ça, la joie ? Etre complètement con et gamin ? Non, merci, gardez la. Je l’entends courir derrière moi mais les bruits de pas cessèrent de raisonner. Je m’arrête lorsqu’elle lâche une plainte et j’me retourne. Elle s’éloigne et vu l’bruit, elle gerbe. « Woohooooo ! » J’rigole, comme un débile heureux. C’est mieux dehors que dedans, et vu l’nombre de cuite que je me suis ramassé, l’nombre de fois où j’ai gerbé, dans les buissons, dans les chiottes, sur mes fringues, sur les pompes d’inconnus, j’peux que comprendre l’soulagement et qu’à un moment, fallait qu’ça sorte. « Y’en a une qui a trop buuuu. » Dis-je presque en chantonnant. J’me moque, gentiment, rien de méchant. Mieux vaut en rire qu’en pleurer. J’aurais moins fait l’malin si elle était dans son pieu, s’étant étouffé avec. « C’est pas la honte. Ca m’arrive à moi aussi et j’ai quarante deux ans. » Je dois être trop vieux pour ces conneries, peut-être mais dans ma tête j’ai pas cet âge là. Puis, j’comprends pas pourquoi elle a honte, ça arrive à tout le monde, même au meilleur. C’est humain. Notre corps rejette ce qu’il ne peut pas encaisser. Contrairement à elle, j’lève les deux mains en l’air, l’air victorieux. « Woopwoop. J’ai gagné ! » Moment d’victoire, même si elle a déclaré forfait. J’abaisse bien vite mes bras, me dirigeant jusqu’à elle. « T’as de la chance que j’suis dans un bon jour et que j’suis un mec sympa. » C’est rare. Trop rare. J’suis pas le genre de mec à exécuter des ordres à la con. Si quelqu’un d’autre me l’aurait demandé, même bourré, je l’aurais envoyé se faire royalement foutre, avec un doigt en guise de réponse. « Fais-moi confiance. » J’ai pas réellement envie qu’elle grimpe sur mon dos, qu’elle se secoue à nouveau l’estomac et qu’elle me gerbe dans l’cou. J’crois que j’finirais par vomir, moi aussi. J’viens glisser un bras derrière son dos et l’autre sous ses genoux, la soulevant sans difficulté. Tellement légère, cette fille. Un coup d’vent, j’aurais peur qu’elle s’envole. J’abuse, oui mais tout ça pour dire qu’elle est loin d’être lourde. Je marche jusqu’à chez elle, vérifiant d’temps en temps si elle a pas de nouveau envie de tout ressortir, mais ça semble aller, mieux. On arrive rapidement devant chez elle et sur le pas de la porte, je la laisse regagner le sol. « Ta porte est vraiment moche maintenant. Tout le monde va pouvoir rentrer comme il veut. » Il fera un vacarme d’enfer mais, quand même. J’l’ouvre, y allant un peu brutalement et je me décale pour la laisser entrer, en tant que faux galant. J’entre à mon tour, refermant la porte derrière moi avant de me diriger vers le canapé que j’occupais avant notre petite balade au clair de lune. « Tu remets pas le feu à ta cuisine, hein ? Vu comment j’suis fais, pas sûr que j’arriverais à te sauver cette fois. » Vu l’taux d’alcool dans notre sang, on flambera bien vite.
Lemmy se moqua magistralement de sa gueule. Il y avait de quoi, elle ne lui en voudrait même pas à dire vrai. Il essaya de la rassurer en lui disant que ça lui arrivait encore à son âge et lorsqu'il indiqua qu'il avait quarante deux ans, elle n'y cru pas. Il n'avait pas quarante deux ans, ce n'était pas possible. A moins que les quarantenaires soient terriblement sexy. Non mais regardez-le, il criait les bras en l'air parce qu'il avait gagné une course, après s'être fichu d'elle comme un adolescent. Il n'avait pas quarante deux ans, non, elle ne voulait pas y croire. Rigolant en le voyant se foutre d'elle, Tess s'approcha de lui, autant qu'il s'approchait d'elle. Il avoua être dans un bon jour et en plus de ça, d'être un mec sympa. Tess sourit de toutes ses dents, elle le savait déjà. Que c'était un bon jour, et aussi qu'il était plutôt cool. Mais alors qu'elle s'attendait à lui grimper sur le dos, il resta face à elle. Là, ça changeait la donne. Elle ne se serait pas attendue à ça. Lemmy s'était approché et se trouvait à présent face à elle, à moins d'une longueur de bras. Autrement dit, ils étaient l'un et l'autre dans la zone intime de l'autre. Tess l'observait, baissant un peu les yeux sous la gêne. Il lui dit de lui faire confiance. Ce n'était ni une question, ni un conseil. Presque un ordre, et pourtant, malgré l'injonction, elle ne se braqua pas. Elle ne pouvait pas se braquer contre lui, pas pour le moment du moins. Elle avait envie de lui faire confiance, c'était peut-être pour ça qu'elle le laissa faire. Son cœur s'emballa en quelques secondes, relevant un nuage de chaleur en elle. Son ventre frissonnait déjà, alors qu'il n'avait pas encore posé son bras dans son dos. Tess était vraiment plus petite que lui, et beaucoup plus fine aussi. En quelques instant, le second bras de Lemmy avait glissé sur le tissu long de sa robe, lui coupant les genoux. Son corps était collé au sien, et elle sentait ses mains sur elle. Il y avait ses vêtements, il n'y avait rien de grave, mais pourtant, c'était étrange. Etrange parce que c'était la première fois qu'un homme la tenait ainsi. Son bassin était collé contre le ventre de Lemmy et elle pouvait sentir son ventre se gonfler à ses inspirations. Ses bras la portaient et ne semblaient pas trembler face à son poids, au poids de son corps lourd de fatigue. De par cette position, Tess avait machinalement posé un de ses bras sur les épaules de Lemmy, comme pour avoir un peu de contrôle, ne pas dépendre que de lui, pouvoir s'accrocher par elle-même, juste pour se rassurer. Sa main tomba sur l'arrondis de son épaule, tandis que leurs visages se retrouvaient proches. Le plus proche qu'elle n'ait jamais vécu avec un homme, du moins de son plein gré. Lemmy se met en route, et un silence se forge doucement entre eux. Comme si les mots allaient gâcher cet instant, comme s'il se suffisait à lui-même, qu'il n'avait besoin de rien d'autre pour être parfait. Pas besoin de parler, de communiquer verbalement. Lemmy ne supportait pas qu'on le touche, elle avait peur des hommes et pourtant, elle se retrouvait dans ses bras. Alors oui, cet instant se suffisait à lui-même. Sans que rien ne soit gênant, Lemmy semblait marcher sans difficulté, approchant de la maison Turner. Tess levait parfois les yeux vers lui, croisant son regard et souriait, avant de baisser les yeux sur autre chose. Ils étaient encore humides de leur baignade, leurs vêtements étaient froids, la nuit les enveloppait doucement, il n'y avait rien à changer dans ce tableau. Tess n'aurait rien voulu changer, pas le moindre détail. Parce que ce moment était tel qu'il était : réel. Il faisait partie de la vraie vie et pour une fois, celle-ci ne faisait pas sa pute à la torturer. Ce n'était pas l'un de ces moments de douleur, de culpabilité, de peur, non. Lemmy approcha de la maison, passant sur le chemin de l'allée près de la voiture de Tess, et arrivés devant la porte amochée par les équipes de secours, il fléchit légèrement afin que le corps de Tess se retrouve debout, sans qu'elle n'eut aucun effort à faire. La main de Tess glissa le long de l'épaule de Lemmy, glissant machinalement, lentement, gracieusement sur son bras, avant qu'elle ne retire finalement sa main. Tout était très doux et donc aussi, très agréable. Il n'y avait rien de violent, de brutal, contre sa volonté. Non, c'était le contraire de ce qu'elle avait vécu il y a quinze ans : la dernière fois qu'elle fut proche d'un homme physiquement. La jeune femme sourit, replaçant ses tresses derrière ses oreilles, Lemmy prit alors la parole, avant d'ouvrir avec force la porte de la jeune femme. Ce qu'il disait était vrai, tout le monde pourrait rentrer ici. Elle devait faire réparer sa porte le plus vite possible, parce que sans ça, elle ne trouverait pas le sommeil, elle le savait. « T'as raison... à qui je peux demander pour réparer ça ? Un menuisier ou un serrurier ? » à moins qu'il ne faille racheter une toute nouvelle porte ? Ca embêtait Tess l'idée de perdre sa porte. C'était celle de sa mère, c'était sa maison à elle. Pendant longtemps après le décès de cette dernière, elle n'avait voulu toucher à rien dans la maison. Finalement, elle avait profité de Nick pour faire quelques travaux à l'intérieur, mais à chaque fois, ça lui faisait un pincement au cœur et la porte d'entrée... c'était un détail important dans une maison. Elle grimaça alors qu'elle entrait chez elle, suivit de son hôte. Et là, c'était comme s'ils se connaissaient déjà très bien. Il fit comme chez lui, et pour la première fois pour Tess, elle appréciait ça. Ca lui donnait un sentiment de bien être, de quelque chose de rassurant. Il se sentait à l'aise, il allait se poser dans le salon, il n'était pas coincé. Putain mais quelle chance avait-elle de tomber sur un mec comme lui pour la sortir de ce merdier, ce soir ? Elle aurait pu tomber sur un mec marié, ou bien un fou, un violeur, un pro-trump, ou bien un activiste extrême ? Non. Elle était tombée sur lui, et elle se trouvait chanceuse, elle était très bien tombée. Allumant la lumière de la cuisine, la jeune femme se dirigea vers sa cafetière. Il n'y avait pas ces machines à expressos dégueulasses que tout le monde avait, non elle, elle était à l'ancienne. Remplissant le réservoir d'eau, plaçant un filtre à café et ajoutant à la cuillère le café dedans, elle demanda de là où elle était « tu l'aimes comment ton café ? Sinon j'ai du thé ou d'autres trucs hein » fort ? Avec du lait ? Du sucre ? Thé vert? Cappuccino? Chocolat chaud? Attendant sa réponse, la jeune femme alluma sa machine, puis sortit des tasses de ses placards en lui lançant « merci au fait, pour m'avoir ramené jusqu'ici, c'était très agréable » sourit-elle. Disant ça, elle alla vers l'évier pour se rincer la bouche, boire un peu d'eau et aussi se laver les mains. Finalement, attendant que le café se fasse, elle apporta les tasses dans le salon, souriant à la vision de Lemmy sur son canapé, comme tout à l'heure. « Tu veux quelque chose pour te sécher ? J'peux mettre ce qui est mouillé au sèche linge aussi » proposa t-elle. C'était la moindre des choses, non ?
J’savais très bien qu’en lui ordonnant presque de me faire confiance, c’était un pari risqué. Il n’y a que comme ça que je peux lui apporter des preuves bien que depuis le début, je n’ai rien tenté. Pas parce que j’veux me la jouer le mec ultra parfait et poli, non. Je ne connais que trop bien cette situation où le moindre contact devient une épreuve sur humaine, une agression bien trop sauvage même si ce n’est qu’un geste doux. On retombe bien vite dans ces souvenirs douloureux, ceux que l’on aimerait oublier mais qui nous ont marqués à jamais. Ceux qui nous donneront toujours l’impression d’être sale, d’avoir perdu une partie de soi. J’ai beau être un sale crevard, un putain d’enfoiré, faire ce genre de choses, reproduire mon traumatisme, ça ne me vient même pas à l’esprit. C’est même quelque chose qui me répugne et qui me pousse à agir, à défendre la victime. J’suis pas ce genre de gars, de base, mais le viol c’est un acte que j’peux désormais me permettre de punir, d’faire la justice à ma façon. Absolument pas légale, absolument pas dans les mœurs de la société mais vu comment cette société se porte, ils ne seront jamais puni comme ils devraient l’être. Avec ce genre d’mecs, on peut se permettre d’être cruel sans limites, de les torturer jusqu’à ce qu’ils en deviennent fous. J’guette Tess, de temps à autre, voir si elle a pas de nouveau une soudaine envie de rendre, ou l’envie de fondre en larmes parce que psychologiquement, c’est déjà de trop. Les mots ne sont pas nécessaires, ce moment, ce silence, ils en disent déjà bien long. Ils parlent à notre place. Une fois devant la maison, je la laisse regagner le sol, me surprenant à frissonner lorsque sa main se glisse le long de mon bras, lentement, comme si elle redécouvrait la sensation de toucher un homme, comme si pendant un instant elle s’était égarée dans ses pensées. J’suis sensible au toucher. Ces années d’esclavages ont permis à tous mes sens de s’éveiller au moindre contact, qu’il soit violent, sauvage, doux, agréable. J’déteste qu’on pose ses mains sur moi sans que j’fasse un pas vers la personne parce que les gens ne font pas attention à la façon dont ils agissent. Ils sont bien trop brusques, bien trop spontanés même si c’est innocent. J’ai des réflexes bien trop vifs. « J’sais pas trop. Je suis doué dans certains domaines, mais pas ceux là. Je pense que, oui. » Puis généralement, c’est moi qui casse les portes, qui les trafiquent. Dans ce domaine là, j’fais parti des meilleurs. J’ai débuté jeune, dans cette carrière de voleur et encore aujourd’hui, j’utilise mes qualités, comme au tout début de la soirée. J’file me poser dans son canapé, à la place que j’occupais avant, préférant m’foutre quelque part et attendre sagement. « Totalement noir, sans lait, ni sucre, ni rien. » J’suis pas un difficile, j’coûte pas cher non plus. Un faible sourire apparait sur mes lèvres, disparaissant aussi vite qu’il est arrivé. Agréable. Ai-je réussi à la mettre rien qu’un chouilla en confiance ? Lui montrer que n’importe quel geste envers elle provenant d’un individu de sexe masculin n’est pas forcément de mauvais augure ? « C’est parce que tu m’as fait confiance. » Sinon, ça aurait été désagréable au point où l’envie de se terrer dans un trou de souris l’aurait obsédé. J’sais même pas pourquoi j’dis ça en pensant directement à son malaise qui lui bouffe la vie. Peut-être qu’elle m’disait ça sans arrières pensées, par gentillesse. J’ai l’esprit embrouillé, j’prie pour que ma langue ne flanche pas et que mes pensées n’interprètent pas tout de travers. J’contrôle pas, je contrôle rien. C’est soudain, ça sort sans passer par la case réflexion. J’me frotte les yeux sous la fatigue qui commence à s’installer, ayant encore l’impression d’être dans l’flou total, pas sûr de me souvenir des moindres détails de cette soirée. Des blackout, j’en ai eu et concernant certains, j’suis quasiment persuadé que j’suis ravi que personne n’ait pu me raconter mes comportements. Qu’ces souvenirs volés par l’alcool restent dans ces soirées de débauches, puant l’vice à des kilomètres, ça vaut mieux comme ça. Je reporte mon attention sur Médusa qui vient de débarquer dans le salon en apportant les tasses, me faisant une proposition que j’peux pas refuser. « Si c’est si gentiment proposé, je veux bien. J’vais choper la mort, sinon. » Je tombe pas facilement malade et il fait pas si frais que ça mais vu la chance que j’ai, vu comment mon organisme s’trouve avec des défenses immunitaires à chier en ce moment, bien trop noyés par l’alcool, j’risquerais encore de choper un petit truc. J’peux pas me permettre d’être malade, de rester chez moi. Mon taf, c’est un peu mon passe temps, une partie de ma vie. C’est même pas un travail, pour moi. C’est un loisir dans lequel je suis très pointilleux, perfectionniste et attentif. C’est pas donné à tout le monde mais vu les gènes que j’ai, ça doit être inné. Je me redresse, retirant ma veste qui n’est que légèrement humide. « Ca, ça devrait aller. Tu veux que j’aille me cacher pour me déshabiller ? » Dis-je plus pour la taquiner qu’autre chose. Au pire, j’suis plus un homme pudique, à ce jour. J’assume mes cicatrices, ces marques de mon passé certaines mêlés à mes tatouages. J’ai encore du mal quelques jours, mais c’est vivable et ça ne m’empêche pas de m’exposer à la lumière. Y’a pas encore si longtemps qu’ça, quand j’me retrouvais dans le lit de quelqu’un, allumer la lumière, c’était interdit. Désormais, je m’en fou. Je me suis accepté … pas totalement mais, en grande partie. « Enfin, j’me déshabille pas totalement non plus hein. Je montre pas mon tatouage Hello Kitty sur ma fesse à n’importe qui. » J’essaye d’sauver la situation comme je peux, la rendre moins étrange et gênante. Je veux en rire, que la gêne disparaisse et qu’elle s’en foute autant que moi. J’lui ferais rien, sans son consentement. Les victimes de viols, faut les laisser venir, qu’elles se mettent en confiance et si on peut jeter deux-trois blagues vaseuses dans l’tas, ça passe mieux, aussi. Je me trimballerais de toute évidence jamais avec ce genre de tatouages, sauf si je suis bourré, que j’me retrouve dans une situation de défis à la con. J’pleurerais comme une fillette le lendemain à voir un chat à nœud rose tatoué à vie sur ma peau. Faut j’arrête de boire, avant que j’en vienne à ce genre de situations, c’est urgent.
La voix de Lemmy se fit entendre, fusant à travers le salon jusqu'à la cuisine. Il aimait son café noir, comme elle. Elle sourit, il n'y avait rien de meilleur, que l'essentiel. La jeune femme versa du café dans les deux tasses, laissant un fin filet de fumée s'évaporer de la porcelaine. La voix de son hôte se fit entendre à nouveau, elle lui avait fait confiance. Ce n'était encore, ni une question, ni une invitation, mais un constat. Tess releva un peu son nez de son plateau, son regard se posa sur le bois blanc des meubles de sa cuisine, laissant son esprit voguer sur chacune de ses rayures. Elle venait de faire confiance à cet homme, assis dans son salon. Un inconnu qui était entré illégalement chez elle pour lui sauver la vie, avec lequel elle venait de passer la moitié de la nuit. Elle sourit. C'était peut-être tellement... habituel pour certain, et tellement surréaliste pour elle. Jamais Leena n'allait la croire, venant d'elle, la terrifiée des hommes... ce n'était pas possible. Tess avait passée plus de la moitié de sa vie a avoir peur des hommes, elle pensait que ça ne changerait jamais, qu'elle passerait sa vie seule à défaut de se sentir bien en leur compagnie. Mais ce soir, Lemmy venait de lui montrer que si tous les hommes ne sont pas des monstres, lui n'en était vraiment pas un. Elle avait rencontré un mec vraiment gentil, doux, patient, à l'écoute, drôle et mystérieux ce soir. Un homme qui avait su la toucher autrement, et lui apporter beaucoup. Tess sourit à nouveau, posant ses mains sur le plateau pour le saisir, oui, il avait raison. Ce soir, Tess avait fait confiance à un homme et elle n'avait pas été blessée. Non, au contraire, elle avait passée l'une des plus belles soirées depuis... trop longtemps déjà. Elle leva le plateau pour avancer jusqu'au salon. Lemmy était assis sur le canapé, lorsqu'elle lui proposa quelque chose pour qu'il se sèche, ou qu'elle prenne ses affaires pour les mettre au sèche linge. Il accepte l'offre et Tess lança « j'ai encore quelques trucs de mon ancien coloc, je vais te chercher ça » lança t-elle. La jeune femme posa le plateau sur la table basse et prit la direction des chambres, en prenant l'escalier. La voix de Lemmy se fit entendre, elle rigola doucement « tu fais ce que tu veux hein, si tu veux courir tout nu dans le salon, tu peux, je descendrai après quoi ». Tess gueulait depuis l'étage, alors qu'elle venait d'entrer dans la chambre de sa mère, où les affaires de Nick étaient encore disposées là. Elle s'approcha de l'armoire et sortit un pantalon de jogging en coton noir et un tee-shirt tout simple, blanc. Elle sortit de la chambre de son ancien colocataire, sans s'éterniser pour une fois, et retrouva Lemmy au salon. Elle sourit, en voyant qu'il avait retiré ses vêtements, bien entendu. C'est à ce moment là qu'il avoua avoir un tatouage d'Hello Kitty sur la fesse, Tess ne pu s'empêcher de rire en lui tendant les fringues propres « allez, enfile ça au lieu de dire de la merde » rigola t-elle. Là-dessus, elle prit les vêtements humides de Lemmy et demanda « tu n'as rien dans tes poches ? » précisa t-elle avant d'avancer vers sa cuisine pour mettre les vêtements de son hôte dedans. La jeune femme se dit qu'elle pourrait y mettre sa robe aussi, alors au lieu de se mettre à poil comme Lemmy et de courir pour aller trouver des fringues, la jeune femme grimpa à sa chambre pour enfiler un tee-shirt de NBA de son équipe favorite, puis un short noir assez court. Là dessus, elle retourna à la cuisine, balançant sa robe dans la machine et la lança à son tour « okay, d'ici trente minutes ça devrait être bien sec et chaud » lança t-elle avant de revenir vers le salon. Lemmy était changé, et la tenue lui allait franchement bien. Elle le trouvait encore plus sexy. Il avait un petit côté sauvage qui la fascinait, littéralement. La jeune femme reprit sa place sur le pouffe, se lançant tomber en soupirant comme une merde. Elle souriait doucement, alors que son bras s'avança vers l'une des tasses pour la saisir et la garder près d'elle. « Tu ne m'avais pas parlé d'échanger nos numéros de portable au fait ? » demanda t-elle, presque sûre d'elle, en soufflant la fumée de sa tasse. Vomir lui avait vraiment fait du bien, elle se sentait mieux, aussi étrange que cela puisse t-être. Son regard traversa la fumée pour observer son hôte à travers celle-ci. Il était vraiment... attirant. La jeune femme baissa les yeux et lança « t'as faim ? » parce que oui, après avoir autant fumé, il serait normal d'avoir ce que l'on appelle, une foncedalle. Ce truc qui te prend aux tripes et qui te force à dévaliser tous les placards de la cuisine au nom de la faim. E temps normal, la jeune trentenaire n'aurait jamais demandé le numéro à un garçon, elle n'aurait jamais laissé qui que ce soit la prendre dans ses bras, ou même, lui demander de le faire. Elle ne se serait jamais mise nue devant un homme, ni parler, ni toucher d'aussi près. Lemmy avait accompli des miracles avec elle, et il ne le savait même pas. Qu'avait-il de plus que tous les autres ? Tess se mit à l'observer, doucement, pour laisser son œil caresser doucement le moindre des traits de son visage. Et puis ses yeux, elle n'en revenait pas. Ils semblaient encore plus clairs là, avec cette lumière. La jeune femme était troublée, pour la première fois de sa vie.
Cette histoire d’ancien coloc m’intrigue, quand même. Laisser ses affaires comme ça, même en se barrant, c’est bizarre. Peut-être qu’il s’est tiré du jour au lendemain sans rien emporter avec lui, voulant juste disparaitre de la circulation. Ils ont peut être eu un désaccord, ou alors l’type avait trop d’emmerde. Je sais pas trop mais ça éveille ma curiosité et vu la fouine que j’suis, si j’obtiens un nom, j’saurais m’informer. Chaque chose en son temps, la patience n’est pas l’une de mes principales qualités mais, elle en fait parti. J’ai été élevé ainsi et j’ai bien vu qu’en se précipitant on n’obtient rien de bon. L’impatience est vouée à l’échec. Quand nous sommes patients, on parvient toujours à nos fins, à obtenir ce qu’on attend, même si on frôle le désespoir. Je la suis du regard silencieusement avant de rire légèrement lorsqu’elle parle plus fort, me lançant des vannes. J’suis pas comme ça, j’ai peut-être aucune pudeur mais j’arrive à m’dire que les autres c’est pas le cas. Quand on y repense, j’en ai un peut rien à foutre, généralement. Tout m’parait normal, même cette vie complètement absurde et décalée. J’en ai rien à foutre d’avoir une sale gueule, d’être bon ou mauvais, d’me balader à poils devant des inconnus, de décevoir, de blesser, de tuer, d’être sacrément vulgaire, d’être un mec violent et instable. On me déteste plus que l’on ne m’aime et ça me va très bien comme ça. On m’accepte comme j’suis ou non. Moi je m’aime, qu’à moitié, et c’est déjà bien suffisant. J’en ai rien à péter de ce que pense les gens parce que moi, j’suis heureux en m’noyant dans mon mal être. Tess, c’est bien la seule à ne pas m’cracher sa haine en pleine figure, à ne pas me juger… parce qu’elle ne sait pas qui j’suis vraiment, parce que l’homme qui se tient en face d’elle n’est qu’une partie qui a sombré depuis bien longtemps, qui tente de survivre avec difficulté. Elle l’a aidé à s’échapper, sans le vouloir. Elle a envoyé l’démon se planquer dans un coin n’attendant que patiemment de reprendre le contrôle. C’est l’bronx. Lutter contre ses vices et ses vertus, c’est la pire bataille au monde. J’vais réellement finir par perdre la tête, par sombrer dans la folie pure. Je retire mes vêtements ne gardant que mon boxer, attendant le retour de Tess qui me rejoint bien vite, me tendant les vêtements de son ancien coloc’. « Oh, j’étais pas assez convaincant ? » Dis-je faussement déçu d’entendre qu’elle n’ait pas cru à l’existence de ce tatouage immonde. J’enfile le bas de jogging et le t-shirt sans me faire prier, lui donnant mes vêtements humides. « Tout est dans ma veste. » Elle vaque à ses occupations, j’repose mon arrière train sur le canap’, me sentant déjà bien plus à l’aise dans des vêtements secs. Puis le blanc, ça doit pas m’aller si mal que ça au final. C’est pas une couleur que je porte généralement, j’suis un gars bien trop triste à voir physiquement. « Ca va, je peux tenir plus de trente minutes, j’suis pas une tapette. » Même si la fatigue pointe le bout de son nez, j’ai bien lutté pendant des années contre chaque fois qu’on m’enfermait et que j’devais guetter que personne ne profite de ce moment d’absence pour me faire du mal. Certes au bout d’un temps, elle te rattrape et t’as pas le choix que de te soumettre au manque de sommeil, parce que t’as l’corps qui lâche, qui te dit merde, qui n’en peut plus. Psychologiquement, c’est dur aussi, tu deviens taré. J’observe la jeune femme, silencieusement, détaillant son nouvel accoutrement, tentant de rester discret. J’suis quasiment sûr que si elle se sapait avec un sac poubelle, j’arriverais encore à la trouver attirante. Même sans avoir deux grammes d’alcool dans chaque œil. Dire qu’elle ne me donne pas envie serait mentir. J’me voile pas la face, Tess est une femme charmante aux courbes parfaites, envieuses. C’est pas parce que j’me comporte comme le plus chaste des hommes que dans ma tête ça s’passe pareil. Je ne suis pas un enfant d’cœur, je ne suis pas un gars chaste. J’réponds toujours aux appels de la luxure parce que ce plaisir là, il ne se refuse pas, plus au stade auquel je suis arrivé. Un jour, ce péché a été mon pire cauchemar, aujourd’hui, j’le vis chaque jour comme un rêve. « Si ! » Je me sens presque coupable de revenir à la réalité, d’avoir eu des arrières pensées peu catholiques à son égard. Si elle savait, j’pense qu’elle m’aurait foutu à la porte. Je reste un mec mais c’est pas pour autant que j’vais aller me jeter sur elle. J’suis pas un putain d’animal, le self control, moi je le connais, dans certaines situations. « C’est 07 14 345 620, you can call me. » J’prends le temps de le lui dire, lâchant une petite phrase pour la forme. Je me saisis de la tasse, ayant déjà bien envie de me l’enfiler aussi vite que ces verres de whisky que j’ai cessé de compter. Le café, c’est l’une de mes drogues. J’ai besoin de mon café le matin pour être en forme, de bonne humeur –faut l’dire vite- histoire de bien commencer la journée. Café/clope, le rituel parfait, l’moment le plus jouissif de la journée. « Pas vraiment mais toi si t’as la dalle, te gêne pas, fais comme chez toi. » La bouffe et moi, c’est pas vraiment une grande histoire d’amour. J’fais pas parti de la catégorie de personnes à avaler tout ce qui traine sous leur nez. Je mange jamais entre les repas et ça m’arrive même parfois de les sauter, d’oublier de me nourrir. Par contre quand il s’agit de boire, c’est pas la même. Ca, j’oublie jamais et j’suis même le premier à dévaler la pente du vice en m’jetant sur une bouteille qui traine par là. J’me laisse pas mourir de faim non plus, j’ai juste trop de choses à penser, une mauvaise habitude depuis que ma mère est morte. J’relève l’regard vers Tess, la détaillant sans trop de discrétion. Rien qu’à croiser son regard, chaque fois, j’croirais que j’suis au bord du malaise cardiaque. C’est malsain, sûrement. C’est même différent, y’a un truc qui change. J’saurais pas expliquer, faut le vivre. J’reporte la tasse à mes lèvres, ne trempant que légèrement les lèvres dans le liquide pour prendre la température et ne boire qu’une petite gorgée. J’sens son regard sur moi, souvent. J’sais qu’elle m’observe, peut-être par méfiance ou parce que quelque chose l’intrigue. J’ai peur d’me trahir, qu’un regard soit mal interprété, qu’la folie s’lise au fond d’mes prunelles, que mon comportement change. Oy. « Faut quand même que j’te le dise mais, en vrai, même habillée comme ça, je te trouve jolie. » Chassez l’naturel, qu’ils disaient. Détourner l’attention, installer cette nouvelle gêne pour éviter qu’elle ne finisse par tomber sur ce mal qui règne rien qu’en posant l’regard sur moi. C’était pas désagréable, c’est flatteur venant d’une femme qui repousse tout homme qui oserait s’approcher d’elle. Il y a même bien trop de choses inexplicables. Si elle commence à me faire confiance, j’en suis désolé d’avance pour elle. J’suis bien l’dernier mec en qui il faut faire confiance. « C’est un compliment, c’est pas des avances. » Enfin, je crois pas. Vu comment c’est flou, moi-même j’en sais rien. « En tout cas, il est bon ton café. C’est une autre raison pour que je revienne chez toi. » Et on re-détend l’atmosphère, comme un connard.
Lemmy était drôle, en tous cas, il faisait rire la jolie métisse. Elle aimait sa répartie, son humour, ses phrases lancées impulsivement mais de façon très drôles à chaque fois. Alors qu'elle venait de lui passer les fringues de Nick, restées dans la chambre de sa défunte mère, la jeune femme s'était servie une tasse fumante de son café. Elle le goûta, alors qu'elle demanda ouvertement à Lemmy son numéro de téléphone. Quelle confiance en elle, quel tact, quelle absence de peur. C'en était vraiment étrange, mais aussi tellement naturel. Etait-ce la force des choses ? Après quinze années au bagne, son corps réclamait-il enfin la liberté dont on le privait ? Sans doute, oui. Avant qu'il ne balance les numéros qui composaient son numéro de téléphone, Tess essaya de chercher le sien. Un coup d'oeil sur la table basse, un coup d'oeil sur les meubles posés autour d'eux. Non. Il n'était pas là. La jeune femme lança alors « attends j'trouve pas mon portable » rigola t-elle en se levant à nouveau de son pouf pour se mettre à la recherche de son outil téléphonique. Elle et son portable. Mon dieu. Déjà, cela ne faisait véritablement que depuis son retour de Londres qu'elle l'utilisait comme il fallait. Avant, elle en avait un qui ne lui servait à rien. Ne parlant à personne, hormis à ses meilleurs amis qui étaient originaires de Samsonvale... il n'y avait rien de plus à faire. Les réseaux sociaux n'existaient pas à son époque, elle avait grandie sans et heureusement. Elle commença alors à pester contre son portable qui parvenait décidément bien à se cacher. « Je le retrouve pas... » lança t-elle en rigolant. « J'm'en sers tellement jamais d'ce truc » précisa t-elle alors qu'elle était partie chercher son portable dans la cuisine, avant de s'attarder sur sa veste en jeans de tout à l'heure. « Hallelujah ! » cria t-elle en levant le bras en l'air, dont sa main tenait l'appareil. La jeune femme retourna au salon et au lieu de s'installer sur le pouf, alla s'asseoir en tailleur sur le canapé, près de Lemmy. Tenant son portable, elle lui lança « alors dis-moi, c'était quoi ? » souffla t-elle en retrouvant un peu son souffle. Elle nota alors chacun des numéros énumérés par Lemmy, avant d'entrer son nom et de lui envoyer un message pour qu'il ait aussi son numéro. Tess sourit et lança un regard envers Lemmy quand se fut fait « et voilà » rigola t-elle doucement. La jeune femme laissa son portable sur la table basse et du s'étendre de tout son long, une main posée sur le petit meuble, pour attraper sa tasse de café sans se lever. Grimaçant, la jeune trentenaire parvint à choper sa tasse, dont elle bu à nouveau le noir contenu. C'est à ce moment qu'elle sentie les effets de la drogue, les fameux effets de la foncedalle. La jeune femme proposa à Lemmy de manger un petit quelque chose, qu'il refusa poliment. Elle avait faim, vraiment. Mais Tess ne savait pas cuisiner, c'est pour quoi elle passait son temps à manger chez les autres, ou à se faire livrer de la bouffe (ou manger des trucs immondes, mais déjà prêts). La jolie métisse n'avait plus vraiment de reste de ses dernières livraisons alimentaires, si bien qu'elle cherchait dans son esprit quelque chose qui pourrait peut-être être abrité par ses placards. « Merci, j'attendais ta permission j'crois » rigola t-elle à sa réponse. La jeune femme se leva pour aller à la cuisine, ouvrant les placards et puis le frigo et soupirant alors. Il n'y avait rien de rien. Elle soupira, presque déçue, vraiment et retourna au salon « j'ai rien à manger, tant pis » avant d'aller se poser sur son pouff de tout à l'heure, après avoir été récupérer sa tasse fumante cette fois-ci. « J'me f'rai une commande Uber demain matin » haussa t-elle les épaules. Oui, la flemme d'aller faire des courses en lendemain de cuite, ou d'aller jusqu'à Brisbane pour manger un truc. « Franchement, ça ne sauve pas la vie, Uber ? En vrai, c'est fini les lendemains de cuite où tu dois aller acheter des trucs, où tu es dégueulasse, tu as les yeux qui se font la gueule, tu n'as plus de voix » rigola t-elle en s'imaginant toutes ces fois où elle avait vécu ce moment. La jeune femme installée en tailleur sur son pouffe avec sa tasse posée sur la table, bien devant elle, laissant son maillot des « Houston Rockets » rouge, bien en évidence. Tess était une fan de NBA, elle passait des nuits à regarder les matchs sur le câble, surtout en période de compétition. Elle avait beaucoup de maillots, de différentes équipes, mais les Rockets était son équipe favorite. Le regard de la jeune femme avait commencé à se perdre sur, d'abord, les avant-bras de Lemmy. Tess était très observatrice, et aussi minutieuse. Parce qu'elle dessinait, elle aimait observer les détails, les petits trucs qui faisaient la différence chez l'un, ou chez l'autre. Et encore plus avec Lemmy, elle voulait essayer de découvrir ce qu'il avait de différent avec tous les autres hommes ? Pourquoi est-ce qu'il l'attirait comme ça ? Pourquoi est-ce qu'elle se sentait à l'aise avec lui ? En confiance ? Pour quelles raisons ? Alors elle parcourait son corps du regard, à la recherche d'indices, sans obtenir vraiment de réponse. Son œil tomba sur des cicatrices, perdues sur ses bras. Tess les regarda sans broncher, poursuivant sa quête. Là, la voix de Lemmy se fit entendre. Il la complimenta, encore une fois. Tess sentit la gêne s'emparer de son corps tout entier. Sa tête se baissa, elle sourit, et ses joues s'enflammèrent nettement. Elle sentait son cœur s'emballer. Un compliment. Elle n'écoutait jamais ceux qu'on avait pu lui faire au cours de sa vie, par sa mère, ses amis ou les autres. Mais là, celui de Lemmy était différent. Il résonnait sous une autre mélodie, avait un autre impact. Tess releva doucement les yeux vers Lemmy pour lui sourire et lui lança « merci » dans un souffle presque inaudible. C'était gênant de dire merci pour ça, non ? Il ne pu s'empêcher d'ajouter très vite que c'était un compliment et non une avance. Tess rigola, il ne cessait de préciser par une phrase de ce genre, dès qu'il parlait de drague, ou bien qu'il vannait à propos de ce sujet. Tess l'avait remarqué et même si en début de soirée c'était nécessaire, elle aurait aimé qu'il en soit autrement maintenant, si bien que sans même trop s'en rendre compte, ni réagir, elle pensa à voix haute et lança un léger « dommage » avant de rougir encore plus, baisser les yeux sur sa tasse fumante, et de la boire pour cacher ainsi son visage et justifier le fait de ne plus parler. Hein ? Mais Tess, comment tu as pu dire ça ?? Tu es en train de lui dire ouvertement que tu aurai aimé qu'il te fasse des avances ?! Qui est cette femme, qu'a t-on fait de Tess Turner ? Non, ce n'est pas elle, ce n'est pas possible. Lemmy parle de son café, et elle... elle est perdue. Perdue dans des pensées, dans des envies. Elle a chaud. Chaud parce qu'elle n'ose pas relever les yeux vers lui, parce qu'elle sent son cœur prêt à exploser. Putain, c'est ça avoir envie de quelqu'un ?
Catastrophe. Je me mets à rire la voyant galérer à chercher son cell phone. Je ne peux me séparer des miens parce que, j’en ai besoin. J’fais même parti de cette petite poignée de « vieux » à savoir utiliser la technologie les doigts dans l’nez. Je m’adapte à la génération. Je m’adapte à toutes sortes de situations. Elle le retrouve, là où elle l’avait abandonné. J’pensais que les jeunes avaient tous leur téléphone greffé à la main. Au final, je sais même pas quel âge elle a, j’risquerais d’être surpris. Je lui répète mon numéro, de mon portable privé. J’le sens vibrer lorsqu’elle m’envoya un message afin que j’aie désormais le sien. « Maintenant on a plus aucun prétexte pour ne pas se voir ! » Encore un truc que j’vais regretter d’avoir osé dire. C’est tellement spontané, ça sort tellement tout seul que j’en suis persuadé. J’ai même envie de la revoir même si au fond ça m’fait grave chier d’être comme ça, aussi ouvert, aussi souriant à ne penser à rien d’autre qu’à cette soirée, à elle et moi, à ces moments qui feront parti des meilleurs souvenirs. J’remarque assez tardivement sa présence à mes côtés, sur le canapé. Cette proximité n’est pas nouvelle mais la lumière sublime son visage. Sa beauté est encore bien plus foudroyante, cette femme est aussi belle de près que de loin. Ca d’vrait être interdit, ça. Je prends tellement sur moi, pour ne pas défaillir, pour ne pas succomber à mes vives pulsions, à cette attirance physique aigüe, à l’envie de ne glisser ne serait-ce que le bout de mes doigts le long de son bras, à chercher le moindre contact. Faites-moi redescendre. Elle quitte le canapé, s’échappant dans la cuisine. J’souffle discrètement, ayant l’impression de commencer à manquer d’air, l’cœur au bord des lèvres. Elle revient, n’ayant pas trouvé le saint graal dans son frigo, l’air dépitée. Heureusement pour moi, elle regagne son pouffe qu’elle occupait. Heureusement pour moi, et pour elle. « J’ai jamais utilisé. J’préfère sortir avec ma gueule en biais, c’est cool de s’aérer le cerveau quand t’es pas frais. Enfin, c’est mon avis personnel. » Et au pire j’ai une oursonne de compagnie qui peut bien faire les courses de temps en temps. Heureusement pour ce genre de choses, on arrive à être coordonné. Une tâche en moins où l’on s’arrache pas la gueule. « T’as vraiment plus rien du tout ? J’suis sûr t’abuses. » C’est une fille. C’est comme quand elle ouvre son armoire, qu’elle se retrouve face à une pile monstre de vêtements et qu’elle vous sort « j’ai plus rien à me foutre ». Même effet sur le frigo. Tant qu’elle dit pas ça à son mec en le déshabillant. L’ambiance change. J’sens son regard qui me scrute, qui cherche des informations silencieusement. Elle doit chercher des significations à ces quelques tatouages apparents, à ces cicatrices ancrées à vie sur mon corps. Personne ne sait rien, c’est sûrement un des nombreux secrets que j’emporterais avec moi, dans ma tombe. J’ai pas envie qu’elle sache, qu’elle tire des conclusions, qu’elle arrive à foutre le doigt sur la vérité. Même l’esprit ailleurs, j’reste trop malin pour laisser qui que ce soit m’analyser ouvertement. La gêne ne tarde pas à revenir prendre place, se sentant désormais comme chez elle. J’souris discrètement, victorieux. C’était pas très cool d’ma part mais quand il s’agit d’protéger mon histoire, j’deviens une véritable garce. Encore, j’ai été mignon, j’aurais pu être trash. J’m’en veux un peu, j’admets. « Dommage … ? » Oy. Le piégeur piégé. Rien qu’à son comportement, je vois où elle veut en venir. Je bois quelques gorgées de mon café, un peu plus franchement avant de déposer la tasse sur la table basse face à moi. Je suis un peu désorienté. Depuis le début j’prends des pincettes, j’essaye d’être normal, de ne pas faire d’allusions, de me rattraper à chaque fois que je fais un pas vers elle parce que j’ai pas envie de la brusquer, parce que je comprends et là, elle regrette presque que ce compliment ne soit rien de plus ? « J’ai pas envie de te mettre plus mal à l’aise que tu ne l’es. » Puis, j’ai commencé à prendre l’habitude à me justifier pour ne pas l’effrayer, pour qu’elle se sente en confiance et qu’elle voit que j’suis pas là juste parce que j’veux qu’elle me remercie en s’foutant à genoux pour me l’astiquer. J’suis comme ça, dans mon monde. J’suis l’obscénité. Mais là, j’en suis loin. J’découvre autre chose, une autre façon d’vivre, de passer une soirée, une autre façon de m’amuser bien moins illégale, bien moins hardcore. « Et j’veux pas te faire peur. » Je cherche à me justifier, ça doit ressembler à rien. J’assume comme je peux mais, la seule chose que j’peux pas assumer et lui dire de vive voix, là tout de suite c’est qu’si elle me demandait l’autorisation à m’grimper dessus, j’accepterais les yeux fermés. « J’vais être honnête, tu m’laisses pas indifférent. » J’ai pensé à voix haute, hein ? C’est joliment dit, c’était pas cru, c’était pas trop sexuel, c’était charmant. J’guette l’heure, sachant plus trop où me foutre. On dirait deux adolescents. J’suis mal à l’aise parce que je connais la vérité et que je sais pas sur quel pied danser et elle, parce que sa phobie.
Plus aucun prétexte pour se voir, elle ne peut que sourire à ces quelques mots. Une simple phrase, qui signe l'arrivée de tellement de probabilités. La jeune femme est contente, parce que son corps est rempli d'envie de le revoir -si ce n'était que ça. Elle sourit, parce qu'elle ne sait pas faire autre chose en cet instant. Elle rigole encore une fois lorsque Lemmy lui avoue préférer sortir la « gueule en biais », la jeune femme lui répond « j'ai trop de respect pour les gens pour leur imposer ma gueule en biais personnellement » plaisanta t-elle. Lorsque la trentenaire était partie checker son frigo, et qu'elle était revenue les mains vides, Lemmy avait douté de sa parole. Tess pouffa légèrement avant de dire « ah non, vraiment, j'dois avoir un fond de beurre et une bouteille de lait périmée » siffla t-elle C'était le cas, parce que Tess ne savait pas faire à manger. Quand elle achetait des trucs, soit ça finissait périmé et donc, à la poubelle, soit elle les mangeait quand même et était malade, ou bien alors elle cuisinait et ça foirait lamentablement. Elle était même parvenue une fois à faire cramer des pâtes... en les oubliant sur le feu, l'eau s'était évaporée, et ses pâtes avaient collées au fond de sa casserole, la rendant inutilisable. Tess avait aussi fait brûler tellement de plats dans son four, elle avait fait explosé son micro-ondes une fois aussi. E repensant à ce souvenir, elle ne pu s'empêcher de rire alors très vite, elle expliqua « tu n'imagines pas à quel point j'suis nulle en cuisine... j'ai fait explosé le micro-onde une fois... » lança t-elle alors en cherchant le regard de Lemmy pour lui sourire. « J'voulais faire ramollir mon pain dur, sauf que j'ai oublié de mettre de l'eau... ça a enfumé la maison d'une fumée jaune... ignoble » rigola t-elle alors. Lemmy ne devait pas être difficile à convaincre, rien que sa présence ici ce soir, et leur rencontre étaient significatives d'un laisser-aller notoire de la part de la métisse. Elle était maladroite, étourdie et nulle en cuisine. Elle mangeait presque exclusivement du pain grillé avec du beurre.
Finalement, le moment gênant arrivant, ce fameux moment où elle répondit à voix haute au lieu de tenir enfermé dans son esprit un simple mot. Un seul et unique mot. Pourtant, son corps tremble, sa tête se baisse, son regard fuit, et elle se cache derrière sa tasse de café. Il aurait pu être gentil, et ne pas relever. Il ne le fait pas. Elle sent le rouge lui grimper aux joues, comme Mike Horn gravit les plus hautes montagnes du monde. Merde. Il fait chaud, elle sent que son cœur bat fort dans sa poitrine, que ses mains s'accrochent à sa tasse pourtant chaude. Elle se sent mal à l'aise, par sa propre faute. Elle est intimidée, mal à l'aise, soudainement timide. Comme si elle venait de prendre un risque, elle avait peur tout en étant... excitée ? Cette situation avait quelque chose d'excitant, parce qu'ils jouaient à une sorte de jeu, à quelque chose... rien n'était vraiment clair, alors peut-être que c'était parce qu'elle était défoncée et qu'elle ne se rendait plus compte de rien ou qu'elle s'imaginait des trucs ? Néanmoins, elle avait l'impression qu'il y avait désormais... de l'ambiguité. Etait-ce vraiment le cas ? Est-ce qu'elle s'imaginait tout ça ? Elle ne le savait pas. Tess n'avait jamais été comme ça avec qui que ce soit, et encore moins avec un homme. Elle n'avait jamais été aussi loin avec un homme. Elle ne savait pas comment faire, ce que les signes pouvaient vouloir dire, ni ce qu'il fallait qu'elle fasse. Lemmy reprit la parole, il ne voulait pas qu'elle soit mal à l'aise, ça se voyait donc ? Merde. Elle releva les yeux, le regard brillant, et puis sourit timidement en posant sa tasse sur sa cuisse. Il ne voulait pas non plus lui faire peur, ce à quoi, elle répondit tout bas, presque dans un souffle « j'ai pas peur de toi » et c'était le cas, elle avait peur de tout le reste, sauf de lui. Elle avait peur d'elle, parce qu'elle ne se reconnaissait pas en présence de Lemmy. Elle avait peur de ce qui pouvait arriver, parce qu'elle sentait qu'elle était attirée par Lemmy. Elle avait peur des conséquences, elle avait peur de franchir un cap derrière elle se cachait depuis quinze ans, elle avait peur de ne serait-ce que penser à franchir ce cap. Et puis elle se faisait des films, jamais un mec comme Lemmy n'aurait envie de... son corps s'électrisa. Il venait de reprendre la parole. A ces quelques mots écoutés, le corps de Turner reçu une décharge. C'était comme un coup d'éclair, juste là pour lui rappeler que son corps fonctionnait bien, qu'elle était bel et bien vivante. Son cœur loupa les premiers battements, accélérant alors pour rattraper son retard dans sa course. Elle avait encore plus chaud, tout d'un coup, comme si une vague de chaleur s'était créée en quelques secondes dans son bas ventre pour venir lui souffler un vent chaud dans la gueule. Ses mains étaient figées sur sa tasse, elle oubliait les fourmis qu'elle commençait à avoir dans les jambes, elle était là sans être là. C'était la toute première fois de sa vie qu'un homme lui disait ça, et qu'elle en avait quelque chose à foutre. Elle n'avait pas peur de ce qu'il venait de dire, elle avait peur de tout le reste. De ce qu'elle allait répondre, de ce qu'il allait pouvoir se passer, de l'idée même qu'il puisse se passer quelque chose. Elle avait passé quinze années à se dire que jamais rien ne serait possible et imaginable à ce sujet. Ce soir, tout était remis en question, en jeu. Ses certitudes étaient envoyées au diable par ce bel inconnu aux yeux si bleus, si puissants, si... elle vrillait. Elle était tiraillée par la peur avec laquelle elle avait vécu pendant quinze ans et qui l'avait protégée ; et cette envie, cette pulsion qui la ravageait de l'intérieur, qui lui donnait envie de lui sauter dessus, d'attraper ses lèvres pour l'embrasser comme dans le peu de films qu'elle avait pu voir dévoilant ce genre de scène. Mais oui, elle l'avait sa réponse, même si elle en crevait d'envie, elle ne savait pas comment faire. A ce sujet, Tess n'avait pas plus d'expérience qu'une gamine de quinze ans. Même son filleul Tarek avait plus d'expérience qu'elle. Elle sourit, retenant un rire gêné et baissa les yeux vers sa tasse presque vide. Fixant le liquide noir, elle lança alors, après avoir prit une respiration pour se détendre un peu « toi aussi » avant de relever les yeux vers lui, se mordant la lèvre d'en avoir trop dit. C'était la toute première fois de sa vie qu'elle était attirée par un homme et c'était aussi étrange qu'excitant à vivre. « Mais tu crains rien, je ne saurai jamais comment faire quoi que ce soit » rigola t-elle en essayant de détendre l'atmosphère. Elle parvenait même à faire de l'humour... c'était incroyable ce qu'il se passait. Elle ne parlait pas forcément de passer aux choses "sérieuses" mais aussi simplement lui montrer qu'il lui plaisait, qu'elle le trouvait incroyablement sexy, ou même si elle avait voulu l'embrasser, elle n'aurait jamais su comment faire, comment agir, quoi dire. Tess était attiré par un inconnu avec lequel elle avait passé la meilleure soirée de sa vie, en étant normale. Elle le draguait, parlait de son désir sas gêne alors qu'elle avait passé quinze ans à renier tous ces sentiments. Il avait quelque chose, en plus de tous les autres hommes. Il avait quelque chose qu'ils n'avaient pas, et qu'ils n'auraient jamais. La trentenaire était partagée entre la peur qui lui ravageait le ventre, et l'excitation qui se battait pour ce même bout de corps. Son ventre était tiraillé entre trop de sentiments forts, et bizarrement... ça lui plaisait. C'était nouveau, et jamais elle n'aurait cru tout ça possible. Pourtant, ça lui rappelait ce que Leena avait pu lui dire à propos de Rhett. Est-ce qu'elle vivait la même chose avec Lemmy ? Elle croisa son regard bleu, son cœur sembla frissonner à l'intérieur d'elle, tandis que des frissons apparurent sur ses bras. C'était physique, électrique, mystérieux, ça semblait les dépasser (en tous cas elle) et être impossible à expliquer.
C’est là qu’on se différencie. Moi j’ai pas d’respect pour les gens parce que la plupart n’en ont pas pour moi. Pourtant j’sais être un petit mec respectueux, poli tout ça tout ça mais c’est pas dans mes mœurs. Avec Tess, j’sais faire preuve de respect vis-à-vis de son vécu, de sa phobie. J’ai respecté la distance qu’elle a imposé tout en la laissant venir à moi, ayant tenté quelques approches parfois maladroites mais j’ai tâté afin de voir jusqu’où elle mettait des limites. Y’a que comme ça qu’on sait. J’grimace quand elle m’dit ce qu’il reste au fond de son frigo. Je sais pas trop comment interpréter ça et j’ai même pas envie de le faire. Incapable de déduire quoique ce soit. Elle m’explique d’elle-même et j’lâche un petit rictus. « Le micro-onde, la bouilloire, tu vas finir par y rester un jour, à faire des expériences. Ne touche plus à ta cuisine. » Elle est douée pour certaines choses probablement mais pas pour ça. Ca arrive, c’est cliché de dire que les femmes ne sont douées que pour la cuisine et faire le ménage. J’suis un mec, je suis ultra maniaque et j’sais me démerder en cuisine. « Tu m’apprendras à nager, je t’apprendrais à cuisiner. Enfin, je fais pas des trucs oufs je te le dis tout de suite. » Et passer quatre heures dans une cuisine ça m’gave vite, déjà moins de trente minutes ça me prend l’chou. Je suis pas patient pour ça parce que je vois pas l’intérêt de se casser le cul pendant des heures pour avaler un plat en moins de dix minutes.
La tension monte. C’est pas une tension pesante c’est à la fois excitant et bizarre. Extérieurement, je fais preuve d’impassibilité, j’ai l’air tout autant serein qu’au début. Intérieurement, c’est l’chaos total. J’sens mon rythme cardiaque me claquer contre les tempes, mon ventre se tordre, mes membres s’engourdir. J’parierais même qu’mes pupilles sont bien plus dilatées et c’est ni la drogue, ni l’alcool qui en sont responsables, cette fois. J’sais me contrôler mais je peux pas empêcher mon corps de réagir. C’est parti de rien. Que j’le veuille ou non, j’ai beau enterrer le démon, l’foutre à la trappe pendant un temps, quand ça pue la luxure, il se démerde pour attirer n’importe qui entre ses griffes. Ca a toujours été comme ça, depuis qu’il est là. Il dégage cette aura charnelle. J’en ai envie, comme tout être humain mais j’ai pas envie de lui infliger ça même si son corps doit lui dire le contraire. On est dans un état lamentable, on est pas vraiment maître de nous-mêmes. En temps normal, ça m’aurait pas freiné mais dans ce contexte là, c’est différent. J’baisse un instant mes yeux, ne souriant que faiblement. Elle n’a pas peur de moi. C’est bien la première fois que j’entends ses mots, prononcés sans colère, sans auto-persuasion. C’était doux, c’était franc, comme si elle cherchait à me prouver quelque chose de positif, comme si elle voulait me rassurer. Un silence s’installa à nouveau, comme après chaque situation où l’un fait un pas vers l’autre, dépassant la limite qu’elle s’était imposée. Lorsque sa voix se fit à nouveau entendre, j’relève les yeux à mon tour. Ca explique certaines choses, certains agissements qui me désorientaient. « Pourquoi devrais-je craindre quoi que ce soit ? » Dis-je en fronçant les sourcils. C’est plutôt elle qui devrait avoir peur, peur de se retrouver face à quelqu’un avec de l’expérience, pour qui ce domaine n’a plus aucun secret. Le seul. De la drague jusqu’au coup final. Sans sentiments, juste par plaisir. L’amour, ça, c’est quelque chose que j’connais pas, que j’ai connu un jour mais qu’on m’a enlevé. J’sais pas m’y prendre là dedans, j’sais pas comment faire et je suis incapable d’éprouver ça parce que ça fait parti de ce qu’on m’a volé. J’ai simplement qu’une vague idée de ce que c’est à force d’entendre les gens en parler, de les voir s’aimer à m’en faire vomir dans la rue, à mater des films où y’a forcément une romance à la con. J’ai envie d’lui dire que je tenterais rien, de la rassurer mais je peux rien promettre parce que j’en suis pas sûr. Je soutiens son regard, me mordant la lèvre inférieure. C’est l’moment où j’devrais me tirer avant de faire une connerie. Tant pis pour mes fringues, elle me les rendra un autre jour où je serais sobre, où j’serais pas entrain de flamber. Partir avant de regretter, avant d’faire n’importe quoi, avant de transformer cette soirée parfaite en cauchemar, avant que j’redevienne moi-même, avant de décevoir, parce que c’est ce que je sais faire de mieux. Faut cesser d’se battre contre sa personne, contre ses voix intérieures à un moment. « Tu sauras le faire, un jour, si tu acceptes d’apprendre. » Si elle accepte d’affronter ses peurs, de tourner la page, de reprendre à zéro, de s’autoriser à connaitre ce plaisir de la vie. Je ne peux le faire à sa place. Moi, je l’ai déjà fait depuis bien longtemps. « Et parfois, suffit juste de se laisser guider, ça vient tout seul. » Tentateur, vous aviez dit ? Oui. C’est probablement le pire de mes défauts, celui qui revient à la charge, celui qui vient s’glisser contre vous, à vous retourner le cerveau, à vous susurrer des petits mots agréablement vils. Inconsciemment, sans l’vouloir, j’répands ce doux venin aveuglant. Tess ne sera jamais une victime de cette aura démoniaque comme les autres, elle est exceptionnelle et nous le savons déjà, eux & moi. « Je …devrais y aller. »
Pourquoi devrait-il craindre quelque chose d'elle ? Turner avait dit ça, dans un sens où il aurait peut-être eu peur qu'elle se jette sur lui. Elle, cette fille qui lui avait dit qu'elle avait peur des hommes, et qui lui montrait tout le contraire ce soir. Elle lui avait dit ne pas se laisser approcher par eux, en avoir une peur bleue et elle avait finie à moitié à poil à ses côtés, puis dans ses bras et maintenant, en train de lui dire clairement qu'il lui plaisait. Elle faisait n'importe quoi, vraiment, pourtant, elle ne pouvait pas s'en empêcher. « Je ne sais pas » murmura t-elle doucement. Le seul bruit de la machine à sécher le linge envahissait l'espace. La voix de Lemmy se fit de nouveau entendre, elle apprendrait ce que c'est, uniquement si elle avait envie d'apprendre. Elle sourit, il avait raison, mais ce n'était pas vraiment ça le problème. Elle ne tarda pas à répondre « ça ne dépend pas que de moi tu sais ». Elle ne s'était jamais trouvé jolie et avait toujours tout fait pour paraître... l'inverse d'une femme sexy, apprêtée, féminine. Pourquoi ? Parce que le jour de ses seize ans, elle s'était faite violer et que le monstre qui lui avait arraché son innocence lui avait dit que c'était de sa faute à elle. Qu'elle l'avait allumée. Vivant dès lors dans la peur d'allumer tout le monde, sans s'en rendre compte, sans le vouloir, elle avait été dans l'extrême inverse. Ne pas être attirante. Elle portait des vêtements amples, un peu hippies, et puis elle ne se maquillait presque pas, elle parlait vulgairement quand elle était en société pour faire fuir les hommes. Tout cela n'était pas anodin, c'était là pour éloigner les hommes d'elle. Faire en sorte que tous les hommes bons ou mauvais, ne l'approchent pas, qu'ils n'en aient pas envie. Ainsi, elle ne risquait rien. Vivant depuis l'âge de seize ans en se détestant, en s'en voulant et en se forçant à se grimer, la jeune femme n'avait pas confiance en elle. C'était aussi ce pourquoi les compliments de Lemmy l'avaient autant touchés. C'était la première fois qu'un homme la complimentait, et qu'il n'avait pas envie de lui tenir les mains, de poser sa main sur sa bouche pour l'empêcher de crier et de déchirer ses vêtements pour la pénétrer de force. Elle ferma les yeux, les images de cet instant revinrent subitement, alors que ce n'était clairement pas le moment. Elle fronça quelques secondes les sourcils. Lemmy reprit la parole, se laisser guider... Tess avait eu Leena qui s'était proposée pour ça, toutes ces années, pas dans le sens sexuel, mais dans l'ouverture aux autres, aux hommes. Tess avait toujours refusé, renié, vomi le sujet. Il n'était pas envisageable pour elle qu'il en soit autrement. Et puis voilà, il y avait eu ce soir. Il y avait eu cette rencontre avec lui, Lemmy et puis tout avait été mélangé, remis en désordre, éparpillé sur l'autel de ses certitudes. Elle doutait de tout, remettait tout en perspective. Tout pouvait être différent, il fallait que les choses changent et dans le fond, n'était-ce pas pour ça qu'elle avait été voir les flics, ou même Grimes ? Tess avait envie d'évoluer, elle avait juste peur, et puis elle se disait que c'était sans doute trop tard. N'avoir aucune expérience à trente ans... c'est pathologique. Ca venait vraiment tout seul ? Oui, il avait raison. Cette soirée lui donnait raison. Tout s'était passé si normalement, si intuitivement, si... parfaitement. Tess ressentait toujours ce désir surprenant pour lui, en elle. Elle était gênée, elle souriait, mais elle ne savait pas quoi lui répondre, elle n'avait pas la réponse à ses dires. Sauf qu'elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui dise qu'il veuille partir, maintenant. Elle releva les yeux vers lui, cherchant à comprendre pourquoi il voulait partir maintenant, la machine n'était pas finie, il... il n'avait pas fini sa tasse. Avait-elle fait, ou dit quelque chose qui ne passait pas ? Oui, ça devait être ça. Elle avait du dire quelque chose qui lui avait fait sonner l'alarme à l'intérieur de lui : pars, vite. Une réaction d'urgence. Un réflexe. Elle sentait un très fort sentiment de déception. Elle ne voulait pas qu'il parte, elle ne voulait pas fermer la porte derrière lui et se retrouver seule ici, ce soir. Elle ne voulait pas le voir partir, en ayant son numéro, mais en sachant qu'il ne lui écrirait pas. Que cette soirée allait rester là, en suspens, qu'elle regretterait toujours de ne rien avoir fait, comme d'habitude. Elle qui voulait changer, qui voulait grandir, qui voulait enfin tourner la page, elle ne savait pas le faire et lorsqu'elle essayait, elle foirait. Elle était en train de le faire fuir et... morte de trouille, elle ne réussit pas à le retenir. Ce n'était pas son genre, elle n'était pas comme ça. Tess lança juste un « oh ! Hum... d'accord, heu... je vais sortir tes vêtements » lança t-elle un peu surprise, sans savoir où se foutre. Elle posa sa tasse sur la table basse et se leva de son pouffe pour passer près du canapé, avant de regagner la cuisine. Elle sentait son cœur battre, elle n'entendait plus que ça, il n'existait aucun autre bruit. Son cœur battait dans son cerveau, vibrait dans son ventre, faisait frissonner son corps. Elle se sentait triste, elle ne voulait pas qu'il parte, elle se détestait de ne pas parvenir à dire quelque chose pour le retenir. La jeune femme se baissa pour ouvrir sa machine, elle sortit le linge de Lemmy, chaud. Tout était sec. Elle alla dans la petite pièce à côté pour en sortir un sac et mettre les vêtements dedans. Ca serait plus pratique pour lui pour les transporter sur le chemin du retour. La jolie métisse ferma les yeux une seconde, respira longuement et se retourna pour avancer vers le salon « tu as de la chance, ton linge est prêt » sourit-elle en se forçant du mieux qu'elle le pouvait. Il fallait qu'elle cache sa déception qu'il la quitte, sa peur d'être seule et sa culpabilité de ne rien faire à tout cela. Elle restait là, debout, sa main vint caresser son bras nu, alors qu'elle observait Lemmy. Elle ne savait pas pourquoi elle ne le retenait pas. Elle ne savait pas pourquoi, elle ne savait pas comment faire mais sa lèvre inférieure se retrouva prise entre ses dents. L'envie de lui se faisait ressentir, une boule chaude et vibrante semblait s'être installée au creux de son ventre, l'envie de lui la faisait frémir. Si bien qu'elle croisa ses jambes, légèrement, espérant que tout cela se calme, vite.
Ca dépend d’elle aussi. Rien qu’à prendre cette situation en exemple. Je sais certaines choses, un savoir qu’elle ne soupçonnera jamais. Un savoir d’une situation que je connais que trop bien. J’ai beau avoir été abusé par plusieurs hommes, avec le consentement de mon paternel, j’ai beau avoir été souillé par tous ces gars avec qui je travaillais par force, l’acte reste le même. Qu’ils aient été un ou plusieurs, le viol ça marque, ça nous transforme, en bien ou en mal. Si une personne a beau faire tous les efforts du monde, s’avère avoir la patience la plus remarquable, ça n’y changera rien parce que l’traumatisme bouffe, il veut plus te quitter et il t’empêche de vivre, contre ton gré. Même si ça fait des années, ce choc continue d’abuser de toi en te privant des plaisirs les plus minimes. C’est un abus infini, si on n’y met pas un terme, si on ne prend pas sur soi, si on ne se bat pas contre ce monstre. Ils ont laissé une par d’eux en nous, qui vivra tant qu’on ne l’empêchera pas de nous détruire, encore et encore. La volonté, ça dépend de nous. Pour les actes, faut que ça aille dans les deux sens, ça, je suis d’accord. Le consentement, tu le perçois, tu le sens. Pas besoin de demander, suffit de le voir. Après si on s’goure, on se mange une claque et puis basta, on passe à autre chose, on a merdé, tant pis. J’ai déjà marave des gars, j’ai déjà rejeté des gonzesses sans le moindre scrupule. J’repousse, violemment parce que je suis comme ça. J’ai le sang chaud, dès qu’on me touche sans que je le vois venir, l’impulsivité me ravage, la colère me bouffe les parois de mon estomac, comme un acide. J’suis un mec dangereux qui agit toujours différemment dans des situations similaires. Un gars qu’on voit pas venir et qu’on s’prend dans les dents sans capter tout de suite ce qui arrive. Je lui annonce que je vais partir. A contre cœur, pour notre bien, pour le sien. Pas que ça me plaise de quitter le navire comme ça, à l’arrache mais j’sens que le contrôle m’échappe, qu’il appartiendra bientôt à cette raclure qui ricane. Son rire résonne dans ma tête, comme un avertissement. Il n’est pas si lointain, il est proche. La joie se meurt, j’ai l’impression d’mourir à nouveau. Je lui adresse un sourire forcé, sans m’en rendre compte. Un sourire artificiel, que j’sers sur un plateau en argent à qui le veut bien. Elle quitta la pièce, je sens que je commence à être nerveux. Je sais pas si c’est les effets qui redescendent en flèche ou cette pulsion charnelle qui a réveillé la bête. Pourquoi maintenant, hein ? J’ai l’impression que quoique je fasse, je ne peux échapper ce à quoi j’aspire, qui je suis réellement. J’avais espéré que je n’étais pas si mauvais que ça mais j’me suis carrément planté, j’me suis voilé la face juste le temps d’une soirée. L’espoir tue. Cette soirée m’a chamboulé, j’ai découvert une autre facette de moi dont j’avais oublié l’existence, j’ai découvert que ça me plaisait mais qu’au fond, j’restais ce criminel morbide. Elle revient vers moi et je me contente simplement d’acquiescer d’un signe de tête. Son comportement retient mon attention. Elle sait plus où se foutre, elle sait visiblement plus quoi faire d’autre comme si … comme si quelque chose la bloquait, l’empêchait de réfléchir. Trop de choses s’émanent d’elle. C’est le foutoir, même elle, elle semble ne plus s’y retrouver. Je jurerais même entendre son âme m’crier à l’aide. J’me barre pas parce que j’ai peur mais, parce que je veux éviter la catastrophe, parce que je me connais que trop bien. Je me lève, m’approchant d’elle tout en gardant une certaine distance au vu de notre conversation. J’ai pas envie de provoquer une vive réaction, qu’elle voit une proximité comme un rapprochement trop rapide, trop agressif. Merci. J’vais aller me changer, alors. » Je crois que je ne me suis jamais déshabillé autant en une soirée, et même pas pour m’exhiber, en plus. Faisons une croix dans le calendrier, voulez-vous ? Je romps la distance que nous sépare, venant glisser l’une de mes mains sur la sienne, celle avec laquelle, elle caressait son bras. J’lui adresse un sourire, plus franc cette fois. « Fais pas cette tête, on dirait que t’as vu un monstre. » Je sais pas trop ce qui se passe dans sa caboche mais ça doit être le feu puis, c’est pas comme si elle avait pas passé la soirée avec une créature abominable. Elle le sait juste pas. J’rapproche lentement mon visage du sien, restant sur mes gardes. L’envie qu’elle me décoche une gifle ne m’emballe pas mais je suis assez courageux pour prendre le risque. Ma main remonte le long de son bras me contenant simplement de l’effleurer, n’entrant pas en contact avec sa peau. J’embrasse la commissure de ses lèvres d’un baiser léger, sans la moindre agressivité, aucune pointe de violence mais plein de sous-entendus sans pour autant répandre l’acidité de mon obscénité contre sa peau. C’est différent de ce que j’entreprends d’habitude, c’est bien trop nouveau pour moi que même ce baiser faussement chaste me surprend. Dans ce domaine, je suis pas un homme doux, habituellement. Y’a que la violence et la sauvagerie qui me font atteindre l’plancher. Je me recule, retirant ma main de la sienne avant de venir jouer avec l’une de ses tresses. « J’vais t’appeler Médusa. Elle est pas si moche qu’on le dit, tu sais et puis, c’est une femme redoutable. J’l’aime beaucoup. » J’arrête bien vite de l’embêter. Même moi je sais plus comment réagir. C’est comme si je détournais l’attention, comme si je venais de faire une connerie et que j’souhaite qu’elle passe à la trappe. J’aurais aimé recommencer plus franchement et même si, je le redis, je ne suis pas un gars raisonnable, pour le moment mieux vaut l’être et ne pas en demander plus. C’est déjà sûrement bien trop à encaisser, à digérer.