Les clefs de sa voiture venaient à nouveau de tomber sur le goudron de Brisbane. La jolie métisse était nerveuse, son cœur battait dans sa poitrine, elle ne se sentait pas au mieux. En réalité, elle était excitée comme une puce, une angoisse se mêlait à son excitation, lui faisant perdre ses moyens. Il y avait quelques jours de cela, la jeune femme avait fait une rencontre saisissante et aujourd'hui, ils se revoyaient. Tess avait été ravies de recevoir le message de Lemmy, et aussi lorsque l'idée d'une nouvelle rencontre s'était dessinée entre eux. Mais même si elle avait été impatiente jusqu'à aujourd'hui, maintenant qu'elle y était, elle était morte de trouille. La jeune femme se baissa pour récupérer ses clefs tombées sur le sol. Sa longue robe bleue nuit se courba sous ses gestes, alors que son sac ne tarda pas à récupérer les clefs de la jeune femme. Cette dernière se redressa, longeant sa voiture, pour observer le marché de là où elle se trouvait, au bord d'une avenue non loin. A quelques rues de là, se trouvait le Collective Marks, un marché installé pour quelques semaines au cœur de Brisbane. Les douces odeurs vinrent chatouiller les narines de la jeune femme, tandis que les voix des gens résonnaient en écho au soleil qui pointait le bout de son nez. La jeune femme portait tout de même sa veste en jeans, parce qu'il ne faisait pas si chaud que ça. D'un regard assez vague, la jeune femme avait cherché Lemmy du regard, espérant tomber sur lui du premier coup. Elle se décida à sortir son portable pour lui envoyer un message lui indiquant son arrivée et pour connaître l'endroit où il se trouvait. Elle attendit quelques secondes, balayant l'espace du regard encore une fois, avant que la sonnerie de son portable ne vienne lui signaler la réponse de son bel inconnu. Elle sourit. Rangeant son portable dans son sac, elle se décida à traverser la route pour rejoindre la place où s'était construit le marché. Il y avait beaucoup de monde, ce qui étonnait la jeune femme. Evitant de frapper les gens, la jeune femme se mit en marche, levant le nez pour espérer croiser ce regard bleu. Un frisson lui parcouru le corps. Elle revoyait son regard, l'intensité de son regard, ses deux pupilles azures et puis ce frisson. Elle ferma les yeux, ayant la sensation de revivre ce baiser, d'abord doux, puis plus animal qu'ils avaient vécu entre son salon et sa cuisine. Son ventre renfermait une colonie de papillons depuis cette nuit-là. Comme une chair de poule permanente, comme un éclair de plaisir qui la surprenait parfois. Et il y avait ces détails gravés en elle, elle se souvenait de tout, dans les moindres détails. Tess ne s'était jamais rendue compte qu'elle avait une telle mémoire, mais à force de se souvenir des pires détails, elle avait entraînée sa mémoire à se souvenir de tout, donc aussi des meilleurs. Elle sourit, alors que sa main était accrochée à son sac qui pendait contre sa hanche. Son cœur battait fort, elle se sentait stressée à l'idée de le retrouver. Elle ne savait pas ce qui allait se passer, mais elle savait qu'elle avait envie de le revoir, qu'elle était contente d'être arrivée à ce moment-là. Elle sourit en revivant les brefs souvenirs de cette nuit, avant qu'elle ne finisse par s'arrêter à un stand de fleurs. Les odeurs émanent de cet endroit étaient magiques. Elle s'arrêta devant des pivoines magnifiques et passa sa main à la surface des fleurs bien ouvertes. Le rose dont les fleurs étaient pourvu semblait si doux, si avenant, si magique. Tess ne pu s'empêcher de se baisser légèrement pour venir humer leur odeur, fermant les yeux un instant. Ces fleurs étaient décidément magnifiques. Tess sourit en se redressant, laissant sa main caresser de nouveau délicatement les fleurs. Elle savait que ces pivoines allaient ressortir dans un futur dessin, pourquoi pas le roman de Greta ? Il y avait des chances pour que cette nouvelle inspiration s'en ressente sur son travail. Déjà la gueule du personnage principal avait comme des faux airs de... Lemmy. Mais Tess s'inspirait de ce qu'elle connaissait, de ce qu'elle avait vécu et depuis son baiser avec ce presque inconnu.. c'était ce qui l'inspirait. La jeune femme soupira, discuta brièvement avec le vendeur de fleurs avant que son regard ne soit attiré par quelque chose, à plusieurs mètres. Comment avait-elle pu le voir ? L'avait-elle senti ? Est-ce que leurs deux corps s'appelaient entre eux ? Est-ce qu'ils étaient reliés par un cordon rouge, magique ? Sans doute, en tous cas, tout portait à y croire. Tess sourit, salua le vendeur et contourna le stand pour avancer doucement vers Lemmy, qui se trouvait là. Elle sourit plus largement, au fur et à mesure que la distance s'amoindrissait. Arrivée à sa hauteur, elle ne voulu pas le brusquer. Se sentant mal à l'aise, timide et peu sûre d'elle, elle lança « salut bel étranger » en rigolant, tandis que sa main tenant son sac sur son épaule, s'ouvrit dans un geste accueillant. Autant y aller en douceur et continuer sur cet humour qui leur avait fait autant de bien la première fois qu'ils s'étaient vu, non ?
Depuis cette soirée, je me sens étrange. J’ai plus l’impression d’être moi-même. C’est comme si je m’étais trahi, comme si je ne m’étais pas tenu aux règles que je me suis imposé et que je suis depuis que j’ai su me relever. Une part de moi me déteste et ces derniers jours j’ai tenté de me racheter comme je le pouvais en sombrant à nouveau dans l’abysse du vice. J’ai été rassuré de voir que ce n’était que le temps d’une soirée et que je me suis juste laissé emporter. J’en avais besoin pour me revigorer, pour repartir du bon pied. Au fond, ce n’était pas qu’une soirée banale et pourtant je me tanne à me voiler la face, refusant d’admettre la vérité. Oui, ça m’a fait du bien, point. Oui, j’avais pas les idées claires, je me suis emporté et ça arrive. Je suis pas du genre à m’ouvrir ainsi, à me dévoiler et c’est ça qui est différent. Je me souviens de tout, de toutes les putains de vérités que j’ai pu lui balancer avec facilité, sans me cacher. Il y avait de la retenue mais, j’en ai parlé. J’ai osé ouvrir ma putain de grande gueule. Tu fous quoi, Bélial ? C’est pas parce qu’elle a subi la même chose que toi que, genre, tu dois te permettre d’aller raconter ce genre de choses qui plus est, une inconnue. On merde tous quelque part et là j’avoue que j’ai grave plongé dans le tas. J’tire sur ma clope, sans aucune finesse, prenant toute la place sur l’canap’, une jambe reposant sur la tête de ce dernier, un bras ballant. « Hé, Bébé, j’me casse. Je rentre pas ce soir, si jamais ça t’intéresse. » Non, ça m’intéresse pas donc oui, je m’en fou. « M’appelle pas comme ça, là. » Elle le sait, cette peste. J’tourne la tête vers ma sœur et son sourire narquois me donne envie de lui en coller une. J’aime pas avoir un surnom, ça m’donne de l’urticaire. C’est Bélial ou Lemmy et rien d’autre. « T’es chiant en ce moment, t’as tes règles ? » Elle ria, j’entends la porte s’ouvrir. Bientôt l’moment de répit. « Reste sage ! » La porte claque, j’entends le bruit étouffé de ses talons claquer, le bruit s’éloignant jusqu’à s’évaporer. Elle a beau me gaver souvent, je crois que je ne réussirais jamais à m’en passer, de ce petit bout de femme. J’me ferais royalement chier. On manifeste notre amour à notre façon, en s’envoyant des insultes à la gueule ou le premier objet qui nous tombe sous la main quand on se prend la tête mais on fait attention l’un à l’autre, moi de loin, elle de plus près. Elle ne m’a jamais jugé, elle a juste un humour spécial, elle se moque mais ne le pense pas. L’humour décalé, ça doit être de famille, ça. Je check mon cell phone, échangeant quelques SMS avec Tess me sentant bizarre, comme angoissé. Angoissé à l’idée de la revoir, sobre, de voir comment ça se passe. Je suis conscient que je risque de la décevoir parce que je suis pas du tout la même personne, même si je joue la comédie à la perfection, l’étrangeté qui régnait ne pourra pas être mise de côté. J’écrase ma clope dans le cendar, poussant un profond soupire partagé avec l’envie forte de la revoir et l’envie de rester cloîtrer chez moi. Peut-être dois-je me faire à l’idée que dans la vie, il existe des exceptions. Tess doit en faire partie, et seul le malin sait que je n’ai jamais été comme ça avec quelqu’un d’autre. Même avec ma propre sœur je suis pas aussi … gentil.
Je quitte mon appartement, armé d’un sac contenant les fringues qu’elle m’a gentiment prêté, profitant pour m’griller une autre clope tout en me dirigeant vers le marché de Brisbane, présent pour quelques semaines dans la ville. Ca fait cinq ans à tout péter que je vis ici et me rendre à ce genre de festivité n’a jamais été ma tasse de thé. Il y a du monde, trop de monde. Parfois, c’est presque étouffant. J’ai préféré m’y rendre à pattes, en voiture ça risque d’être galère. J’préfère être un galérien à pieds plutôt qu’un galérien qui sait pas où foutre sa caisse ayant la soudaine envie de pouvoir la rétrécir et la foutre dans sa poche. J’arrive sur les lieux du rendez-vous, déjà un peu dépité. Je pars pas négatif, ça peut être sympa. J’ai dit, ça peut. J’entre dans le marché, guettant quelques stands sans vraiment trop m’y intéresser plus que ça, c’est juste par curiosité. Je m’y engouffre un peu plus, tentant de me frayer un passage quand je tombe sur un attroupement d’individus pour pouvoir respirer un peu. Ah. La prochaine fois, je lui proposerais un autre endroit. Si j’avais su, dans ma tête, c’était pas un tel scénario. Mon téléphone vibre à nouveau et Tess me signale son arrivée. Je sais pas trop où j’ai réussi à me paumer mais je pense que si je lui indique la présence d’un stand de fleur et d’une bande de gens qui se marchent dessus, ça devrait le faire. C’est vaste mais je suis à l’aise, là où j’ai réussi à me planter. Je sais pas réellement comment je vais réagir face à elle, pour la première fois j’suis incertain de mon comportement envers une personne. Cette soirée, elle représentait bien plus pour elle et certainement aussi pour moi. Une part de lumière que j’pensais morte et enterrée, j’vivais avec cette certitude, la conscience tranquille et là, tout s’est bousculé, c’est l’bordel dans ma tête. Puis il y a eu cette tension, charnelle. C’était intense, ce baiser n’était pas un échange comme un autre. Signification de renouveau, comme si en liant nos âmes on revenait à la vie, comme si le déclic était là. Surmonter un traumatisme, cette vie dans laquelle on s’est retrouvé bloquée parce qu’on pensait que c’était le seul moyen de panser nos blessures qui resteront, au final, toujours ouverte à force de gratter leur surface en se triturant l’esprit, en se privant de certaines choses. Les cicatrices physiques ont soignés depuis longtemps mais elles resteront à vie, celles de nos blessures intérieures aussi. On s’en remettra, c’est ce qu’ils disent tous. Hors c’est plus dure de se soigner psychologiquement, de guérir une âme et un cœur malade ou même de les retrouver, les ayant délaissé au bord d’une longue autoroute dans l’espoir que jamais plus ils ne reviennent. Jusqu’ici, tout allait bien pour moi. Jusqu’ici, j’me démerdais avec ces absences. J’ai peur qu’ils me reviennent, j’ai peur d’être à nouveau vulnérable. Pour la première fois depuis longtemps, oui, j’ai peur. De ces sentiments inconnus sur lesquels, j’arrive pas à mettre le doigt dessus. Mon regard balaye les personnes présentes. Je sais qu’elle est là. Mes yeux se posent avec automatisme sur elle. Comme si quelque chose en moi savait. Elle s’avance vers moi, la distance qui nous séparait disparaissant petit à petit. Je me raidis, inconsciemment et je lui lance un sourire, mal à l’aise, artificiel mais aux allures franches. J’arque un sourcil au son du « bel » croyant au départ qu’elle fasse un jeu de mots sur mon prénom mais j’réfléchis bien vite. Non. Elle ne le connait pas, comme peu de personnes le connaissent. Connaître mon prénom, c’est s’engager à me prendre moi en entier et tous les cadavres que j’me traine, les cadavres de ces innocents, et l’mien. Elle garde son trait d’humour qui me plaisait tant, ce côté où elle se prend pas la tête, où elle ne prend rien au sérieux et surtout, n’a jamais jugé. « Salut, Médusa. » Je tente le ton de l’humour mais ça sonne moins bien que si j’avais deux grammes dans l’sang. Tentative ratée. « Ca va ? Tu t’es remise de cette soirée ? » Je parle pas de cette fin de soirée finie sur une intensité extraordinaire mais plutôt dans l’état dans lequel elle s’est retrouvée le lendemain. « … et de ta presque mort, dans un ascenseur ? J’espère que t’étais en charmante compagnie. » Dans ma tête, j’ai l’air d’être un putain de gros coincé. J’ai peur de me replonger dans cette ambiance agréable, de revivre quelque chose d’agréable. Putain qu’c’est con. Tout le monde en rêverait mais moi, ça m’fout les miquettes. Je devrais juste accepter, cesser de me poser des questions et m’dire que, l’exception. Tant qu’elle ne tente pas de s’immiscer bien trop loin dans ma vie, tant qu’elle ne souhaite pas en apprendre plus autant profiter de l’instant avec elle, cette femme, qui n’était de base, qu’un contrat.
La voix de Lemmy se fait entendre pour le plus plaisir de Tess. Sa voix, sa façon de parler, son regard, sa présence... quelque chose lui avait manqué, si ce n'était tout ça. Tess se sentait contente d'être là, encore un peu stressée, mais elle était contente d'être avec lui. Sa présence semblait agir sur elle, même invisible à ses yeux, elle avait su qu'il était tout prêt. Une sensation, un picotement, un léger volt dans le corps. Comme si leurs deux corps se parlaient entre eux, à défaut qu'eux-même ne se comprennent. Elle sourit quand il l'appelle Médusa, alors qu'il lui demandait déjà comment elle allait depuis l'autre soir. Remise comment ? Lemmy était bien trop galant avec elle pour parler de leur « baiser », il devait sûrement parler de l'état dans lequel elle s'était retrouvée, surtout lorsqu'elle vomissait sur le bord de la route. Tess rigola, quelques secondes, repensant à cet état dans lequel ils avaient été. « Ça va, j'ai un peu eu du mal le lendemain, mais comme prévu, Uber a su me secourir » rigola t-elle encore à sa propre plaisanterie, probablement sous le coup du stress, puis elle enchaîna « et toi, ça a été la route au moins je ne t'ai même pas demandé » s'intéressa t-elle alors. Elle revoyait dans son esprit, le moment où Lemmy était partit, avec sa voix, cette façon de lui dire à bientôt. Elle ne voulait pas oublier tout ça, jamais. Elle souriait sans s'interrompre, cela se voyait qu'elle était contente d'être ici, avec lui. Finalement, Lemmy se montra curieux sur le dernier sms envoyé par la jolie métisse. Elle lui avait brièvement raconté son récent accident. Elle haussa les sourcils, comme un signe de « je suis blasée » et souriante, lança « c'est une histoire qui se raconte devant un stand de nourriture ! » elle indiqua de son index, un chemin à suivre, entre les différents stands qui s'ouvraient devant eux et le reste de la foule. S'engageant dans l'allée, la jeune femme gardait ses bras le long de son corps, ses mains tombant le long de sa robe. Les gens étaient nombreux, marchant à contre-sens de leur allée, ou bien s'arrêtant à tous les coins de stands, les forçant à marcher lentement. « Tu n'en as pas entendu parler ? C'était aux bureaux administratifs de la ville » s'interrogea t-elle. Cet événement avait été relayé dans la presse locale, c'était assez surprenant pour une ville comme Brisbane où il ne se passait jamais trop ce genre de choses. Par le mouvement de foule, Tess fut alors rapprochée contre Lemmy, se forçant à rester quelques secondes ainsi, contre lui, de dos. Elle sentit une vague chaude envahir à nouveau son corps. Faisant mine de replacer une tresse derrière son oreille, baissant légèrement la tête, la trentenaire s'engouffra quand elle pu enfin avancer à travers la foule. Retrouvant Lemmy, elle lui sourit. Elle était contente de le voir, mais elle ne savait pas comment s'y prendre. C'était comme si leur baiser n'avait jamais eu lieu... et quelque part, ça ne lui déplaisait pas. Parce que ce moment était encore plus magique. Comme s'il n'appartenait qu'à eux, que personne d'autre n'avait à le savoir, où y assister. Comme s'ils étaient au dessus de tout ça. Ouais, non, là, elle s'enflamme la petite. Tess toussa légèrement, encore sûrement des restes de cette soirée à fumer comme un pompier.. Passant devant un stand assez grand de fromage issus de l'agriculture biologique, la jeune femme y fut attiré comme un moustique vers la lumière. Observant tous les fromages avec une envie irresistible de croquer dedans, elle ne tarda pas à se faire proposer par le vendeur, d'en goûter certain à travers une assiette de présentation. Souriante, elle se tourna vers Lemmy et lui fit un signe du regard malicieux, témoignant de sa joie à cet instant. Se servant un bout, elle en proposa à Lemmy, avant de mettre le morceau dans sa bouche, fermant les yeux sous ce plaisir gustatif. Terminant sa bouche, elle ajouta enfin « en fait, je devais rendre un projet pour l'Opéra et quand l'ascenseur est monté, une voiture est entré dans le bâtiment. Y'a eu un effondrement et l'ascenseur a été bloqué plusieurs heures » précisa t-elle en goûtant un nouveau morceau de fromage. Attendant d'avoir terminé sa bouche, elle précisa « j'étais avec un mec, mais... on va dire qu'il était pas bien, mais il était cool, heureusement que je suis pas tombée sur Donald Trump pour mon presque dernier quart d'heure » rigola t-elle -jaune. Mais c'était vrai, elle avait vraiment cru y rester. Et c'était assez étrange de se dire qu'on va mourir à côté d'un inconnu. En vrai, elle espérait que ça ne soit jamais le cas. Que la vie l'abandonne auprès de quelqu'un qu'elle ne connaît pas, ça doit être assez atroce. La jeune femme observait Lemmy autant que l'étalage de fromage devant elle. La lumière était douce, chaude et belle. Lemmy était en contre-jour, ce qui donnait une impression d'aura derrière lui. Il était beau, putain. Il lui faisait toujours de l'effet, c'était indiscutable. Mais sans l'alcool et sans la défonce, elle parvenait quand même mieux à se gérer. Même si ses yeux glissaient parfois sur la bouche du bel inconnu, la jeune femme revenait vite à elle. « Alors tu les trouves comment ? Ils sont bons hein ? » demanda t-elle à propos du fromage.
Pas étonnant. Après, j’aurais payé pour voir sa tête, rien que pour me moquer. Vu la tronche que je tirais et la charmante humeur dans laquelle j’étais, pas sûr que j’aurais eu le cœur à rire. J’ai eu l’cœur à gerber, ouais. J’suis sorti malgré tout, le soir. Je suis sorti parce que j’étais perdu, parce que j’en avais besoin. Je devais me jeter dans cet océan d’alcool et m’y noyer. Je devais oublier cette réalité, me remettre de ces enchaînements de conneries. Je devais oublier un instant qui je suis, totalement. Une remise à zéro, voir si mon cas était réellement perdu. Non. Je n’ai agi que comme ça avec Tess. « Vu que je suis toujours vivant, il semblerait que oui, d’ailleurs, j’ai ramené les affaires que tu m’as filé, encore merci. » J’avoue, j’ai du mal à me souvenir comment je suis revenu chez moi, c’est archi flou. J’ai visiblement pas fini dans le fossé ou ni en cellule de dégrisement ou même, en taule tout court avec la chance que j’ai. J’ai du mal à m’ouvrir, Tess en sait beaucoup trop sur moi et ça me dérange. Elle n’y est pour rien, j’en suis le seul responsable. Je veille déjà assez sur elle, de près comme de loin mais de loin, parce que j’veux pas éveiller les soupçons et que ce gars me retombe sur le coin de la gueule. Je veille assez donc, pour savoir si elle se l’ouvre à ce propos ou non. Elle n’est pas une idiote, je le souhaite. Si je n’en parle à personne, c’est qu’il y a une raison. Elle indiqua le chemin, pas très enjoué de devoir me frayer un chemin entre chaque personne présente. La limite d’approche là, je peux me la mettre où je pense. J’ai déjà envie d’en tarter certains parce qu’ils bousculent, parce que leur tête me revient pas. « Non, j’ai un peu hiberné ces derniers jours. » Mensonge. Je suis surtout bien trop occupé à récolter des informations sur ceux dont la tête est mise à prix. Je me suis plongé dans mon travail, quitte à oublier ce qui m’entourait sans prendre de temps de pause, enchaînant les clopes, les verres de bourbon. Puis, j’ai volé. Une vie, d’un petit camé. Un trophée de plus. Ce vol était bien plus intense que les autres, comme une satisfaction de se retrouver, un soulagement. En tirant, la question que je me suis posé était : qui suis-je vraiment ? Suis-je ce gars que j’étais autrefois, se faisant noyer avec peine par celui qu’il est désormais aujourd’hui ? Non. Ce soir là, j’ai su. Je suis toujours le même, ce criminel vivant pour dérober des vies, innocentes ou non. Ce gars qui en a strictement rien à branler de ce que l’on puisse penser de lui, heureux de vivre parmi les raclures. Et j’ai su. Le mal ne peut vivre sans le bien, et vice versas. Le mal a besoin de cohabiter avec la lumière afin de mieux régner. L’un ne va jamais sans l’autre. Personne ne m’empêchera jamais d’être celui que je souhaite être. Je ne serais que cette ombre se glissant de temps à autre dans les bras de cette lumière aveuglante pour se rassurer, pour se sentir bien. On m’a foutu Tess sur mon chemin, pour apporter un équilibre. Je sais qu’en continuant à m’enfoncer aveuglément, je cours à ma perte. Est-ce un signe, une opportunité que je dois saisir sans rechigner. Une chose est sur c’est que j’arrive à être cet autre, avec elle, sans difficulté. En dehors de ça, je reste le même. A cause de la foule, Tess est proche de moi, son dos contre mon torse. Un contact qui ne m’énerve pas. Je bronche pas pour autant, pinçant simplement mes lèvres entre elles. Dieu merci, ce moment ne dura que quelques secondes. Je la suis tant bien que mal. Quand on a une petite taille, c’est bien plus facile d’esquiver mais quand on fait parti de la taille moyenne, c’est plus compliqué. J’arrive à m’en sortir, arrivant à sa hauteur. Il y a des chances que je perde patience et que je finisse par me foutre en rogne et ça, je le contrôlerais pas. Si je m’évanouis pas avant. Un stand retient son attention et rien qu’à voir comment elle s’y dirige, j’parierais qu’elle éprouve une profonde attirance pour les fromages. Une fille pas comme les autres et ça, je l’ai su dès les premières minutes après le départ des pompiers et de la flicaille. Elle me sourit et rien qu’à voir cette joie sur son visage me donne envie de rire. Il suffit de peu pour rendre heureuse une femme, vous m’direz. A Tess, il suffit de lui proposer du fromage. Oy. Elle m’en propose un bout et même si ça me tente pas trop, j’accepte. Je glisse le morceau dans ma bouche, réfléchissant. C’est pas mauvais mais ça s’arrête là. Tess est pas du même avis. « Je suis pas fan, mais ça se mange. » Je suis pas un gars difficile, même si j’aime pas, comme l’autruche, s’il n’y a que ça à manger, je l’avalerais … en noyant la viande sous une tonne de mayonnaise. J’aime à peu près tout, sans jamais prendre plaisir à me rassasier. La seule chose que je pourrais manger toute ma vie et qui m’décroche à chaque fois un orgasme culinaire, c’est les crêpes au chocolat. Meilleur dessert du monde. « Ahh, si, ma sœur m’en a parlé mais vite fait. T’as encore eu de la chance ! Mais du coup, c’était un accident ou c’était volontaire ? » A croire que la mort lui court après entre moi, le feu dans sa cuisine et cet accident. Si c’est comme dans destination final, elle aura beau tenter d’y échapper, elle finira quand même par y rester. Cette pensée me refroidit. J’éprouve le sentiment de ne pas vouloir qu’elle crève alors que… que je sais même pas. Je me sens déjà assez coupable d’avoir été à deux doigts de lui coller la peur de sa vie, que son violeur m’ait appelé pour la traquer, me renseigner sur elle et lui envoyer des avertissements m’donnant même le feu vert pour la blesser, si je le désirais, tant que ce n’est pas mortellement. Si Tess n’avait pas été une victime du même traumatisme que moi … je ne l’aurais pas épargné, je ne me voile pas la face. Ce que l’on a en commun l’a sauvé et cette soirée, une motivation de plus pour ne pas en avoir après elle. « Tu aurais même pas pu rentrer dans l’ascenseur avec lui, tellement il prend de la place. » C’était pas gentil mais moi, ça me fait bien rire. Avec son égo démesuré et sa modestie imposante. Je goûte un autre fromage, pour pas mourir con. Celui-là, il est bien plus appétissant, bien plus agréable et pas trop fort. Les fromages qui t’arrachent la gueule, eux ils me donnent la gerbe et rien qu’à l’odeur, d’ailleurs. « Pas tous mais celui là, hmm, il est bon ! Les fromages c’est pas trop mon kiff, j’ai toujours trouvé ça inhumain. » Dans l’abus, tout de suite. Mon regard se dérobe sur Tess, l’analysant. Même sobre je la trouve toujours aussi attirante, même bien plus qu’avec les idées floues. La gêne n’a plus l’air d’être présente, c’est carrément différent en comparaison avec nos premiers échanges alors qu’on était encore clean. Elle me semble bien plus ouverte, plus confiante et moins fermé à ce qui l’entoure. J’ignore ce qui s’est passé dans sa tête et au fond, même si j’ai du mal à l’admettre, ça me fait plaisir. S’empêcher de vivre, librement, ne sert à rien. Mon regard dévie par-dessus son épaule, à un stand voisin où ornent un étalage de fruits et là, ça me donne carrément plus envie. « Ooh, on peut aller par là-bas ? » Depuis quand je demande une permission ? Je réagis vivement suite au questionnement, m’y dirigeant rapidement. C’est bien plus colorés et bien plus attrayants, bien plus reposants pour mes narines, aussi. On me propose de goûter, même si je connais certains produits, vu qu’ils ne viennent pas d’agriculteurs qui fournissent les supermarchés, ça ne peut qu’être meilleur. Je me saisis d’un bout de mangue, un fruit que je pourrais m’enfiler entièrement, d’une traite, et j’en prends un deuxième pour le donner à Tess. L’égoïste Bélial, il est passé où ? Je dois m’y faire, à cette situation mais vu à quel point je suis sûr de moi, ça ne me déplait pas. Tant qu’elle ne cherche pas à creuser et qu'elle se contente de ce que je lui donne.
« Je t'en prie » répondit-elle en souriant toujours, lorsqu'il la remercia pour les vêtements qu'elle lui avait passé. La jeune femme sourit lorsqu'ils se mirent à traverser la foule, tel Moïse ouvrant la mer et qu'il lui précisa son goût pour l'hibernation. Les quelques secondes passées contre le torse de Lemmy furent vraiment très courtes, mais tellement appréciées. Tess ferma les yeux, pensant mieux profiter de ce moment. Elle aurait eu envie de laisser sa tête retomber en arrière, contre le torse du jeune homme. Elle aurait voulu sentir sa main frôler la sienne. Elle aurait eu envie de sentir ses mains, comme l'autre soir, quand il avait émit une douce pulsion contre ses hanches. Ils se décollent, ils s'éloignent, pas beaucoup, juste ce qui était nécessaire. Tess ouvrit les yeux, reprit son souffle. L'étalage de fromage se dessinait devant elle, elle ne pu s'empêcher d'y accourir, emportant Lemmy presque sous le bras. Il n'avait pas l'air de trop aimer le fromage, mais il eu au moins la délicatesse de les goûter sans broncher. La jeune femme l'observait toujours, dans ce contre-jour, et se disait à quel point il était beau. Finalement, elle ne tarda pas à revenir à la réalité : l'accident dans l'ascenseur. « Je ne sais pas... une enquête est ouverte je crois, mais je t'avoue que je ne voulais qu'une seule chose : sortir de là » sourit-elle. Un instant, elle semblait de nouveau immergée dans cette ambiance poussiéreuse de chaos, les cris, la peur, l'agitement. Tess fronça les sourcils et se fut une blague de Lemmy qui la tira de ses pensées, la faisant sourire. « C'est clair, même juste avec sa perruque j'aurai pas pu rentrer ! » rigola t-elle à nouveau. Lorsque le second morceau de fromage vint fondre sur la langue de la demoiselle, elle fini par demander à son acolyte comment est-ce qu'il le trouvait. Lemmy lui avoua ne pas être un grand fan de fromage, trouvant ça « inhumain » à ce mot, Tess pouffa de rire et lança « ah ouais, inhumain, carrément ? » elle marqua une pause et demanda « j'veux bien savoir en quoi un fromage est inhumain » curieuse. Finalement, Lemmy fut attiré sur un autre stand, plus coloré, plus vivant semble t-il. C'était festif, beaucoup plus que pour les fromages en tous cas. Tess le suivit et lorsqu'elle vit tous les fruits face à elle, elle manqua de peu d'en avoir le tournis. Il y en avait tellement. Elle sourit, doucement, en se rappelant le seul souvenir qu'elle avait de son père. C'était lui qui lui avait apprit à reconnaître les différents fruits. Sa main passa sur une orange, qu'elle saisit dans la paume de sa main, l'observant en détail, submergée par ses souvenirs. Un doux sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'elle reposa l'orange, se disant qu'elle allait passer pour une fétichiste. « Monsieur est un amateur de fruit donc ? » demanda t-elle à l'intention de Lemmy. Elle attendit de croiser son regard et lui sourit. Il était vraiment beau. Pas plus, pas moins que la dernière fois. Et il la faisait toujours autant rire. Et elle se sentait toujours aussi... normale avec lui. Il n'y avait plus de passé dérangeant. Il n'y avait qu'elle et lui, lui et elle. Il n'y avait pas cette foule, Tess ne voyait pas les visages, n'entendait pas les voix, ne remarquait pas les corps. C'était un amas, un brouhaha, une présence lointaine. Il y avait la lumière, les yeux de Lemmy, sa voix. Elle était à la fois fascinée, obnubilée, hypnotisée. Il n'y avait rien d'autre qui semblait avoir autant d'importance en cet instant. Et c'était dingue de se dire ça. Tess avait fini par se dire que c'était l'alcool, l'endorphine du feu dans sa cuisine, ou la fumette qui l'avait faite délirer, mais elle se rendait compte que cette espèce de magie, de petit quelque chose qui était là, avec eux, était toujours là. Et quelque part, ça la rassurait. Elle baissa les yeux, laissant Lemmy sur le stand pour avancer à l'autre extrémité, observant les couleurs et les formes de tous ces fruits. Le vendeur lui proposa d'en goûter un, Tess accepta et sourit en saisissant le morceau. Lorsqu'elle le plaça dans sa bouche, son regard se porta sur Lemmy, qui se trouvait en face d'elle, à l'autre bout du stand. Elle ferma sa bouche, sourit comme elle pu et le regarda doucement. Il était beau, elle ne savait pas comment elle allait faire pour se retenir, pour ne pas lui sauter dessus comme elle avait pu le faire chez elle. Mon dieu... mais elle lui avait sauté dessus. Une furie, une folle, une nympho, non ? Tess baissa les yeux, croquant le fruit dans sa bouche et savourant son parfum et son goût. « Il est délicieux » précisa t-elle au vendeur. Elle sourit à nouveau avant de continuer sa marche autour de l'étalage pour revenir auprès de Lemmy « alors, tu trouves ton bonheur ? » demanda t-elle à ce spécialiste des fruits. Elle était amusée, bien sûre, mais elle adorait le voir faire, tout et n'importe quoi, juste l'observer, ça lui suffisait. La tension qu'elle avait pu ressentir l'autre soir à son égard revint en elle comme un boomerang. Il fallait qu'elle se contrôle, mais étrangement, c'était bien plus compliqué que l'autre soir. Il n'y avait plus l'excuse de l'alcool.
Je comprends pas réellement la panique de Tess dans le sens où j’ai accepté de mourir un jour et ce dans n’importe quelle condition. Vivre dans le monde dans lequel je vis, baigner dans le sang et la violence c’est s’attendre à mourir du jour au lendemain. Peut-être que ce soir ou demain je ne ferais plus parti de ce monde parce que mon passé m’a rattrapé, parce qu’on a réussi à me trouver. J’ai pas peur de me retrouver coincé pendant des heures dans un ascenseur en se demandant s’il va pas finir par lâcher et que j’vais me retrouver écrasé, que j’vais finir en bouilli. Accepter de mourir, un jour, proche ou non c’est enfin accepté de vivre sans penser au lendemain, à la prendre comme elle vient. Tess ne connait pas mon monde, cet accident est beaucoup autant qu’il n’est rien. C’est devenu une habitude qu’il se passe des horreurs comme ça, des horreurs bien plus silencieuses dont on ne parle pas pour ne pas créer de mouvements de panique, pour que tout le monde puisse vivre encore sans avoir peur de se faire descendre dans un coin de rue, sans aucune raison valable. Comment réagirait-elle, si elle savait qui est l’homme qui se tient devant elle ? Celui pour qui le meurtre est devenu un acte quasi quotidien ? Celui à qui ça ne fait plus rien d’ôter une vie ? Comment elle le prendrait si un jour elle découvre qu’elle n’était de base qu’un contrat ? Que j’étais ce gars qui courrait après sa vie parce que son violeur l’a engagé ? Elle me jugera, comme tous les autres. Elle verra que j’avais raison en lui disant que j’étais pas un type si bien que ça. Tant pis. Je commence à m’y faire, à ses semblants d’amitiés ratées, à ses relations qui partent en fumée. Je sais ce que je fais, c’est mal…et alors ? « C’est inhumain parce que certains sont immangeables avec leur odeur nauséabonde. Une invention de Satan. » J’vous rassure, même si je suis pourri de l’intérieur, j’ai pas la même odeur. On m’a déjà dit que je dégage un parfum enivrant, envoûtant, tellement qu’une fois qu’il s’imprègne dans vos narines, il ne vous lâche plus. L’odeur du mal. Celui qui vous hante et que vous n’oublierez jamais, qui vous retourne le cerveau. Je m’oriente vers un autre stand bien plus à mon goût, pas parce que c’est coloré –ça m’donne la nausée- mais parce que, l’odeur est bien plus agréable et les fruits, j’adore ça, pas plus que l’alcool, faut le dire. Je lui tends le bout de mangue que j’ai exprès choisi pour elle une fois qu’elle se trouve à ma hauteur, finissant ma bouche. « Je suis fan. Les smoothies, les salades de fruits, les tartes, les cocktails, les jus ou même les manger comme ça, hmmm. » Le mec qui fait attention à sa ligne, qui a un mode de vie sain. Que dalle. C’est l’anarchie même dans mon régime alimentaire, rien qu’en sautant des repas. J’ai même du mal à prendre du gras et c’est tant mieux, je me suis assez cassé le cul pour avoir une silhouette plus ou moins parfaite. « J’aime juste pas l’ananas. Le fruit en soit je le trouve mignon mais autrement, l’odeur et le goût ça me donne direct la gerbe. » Je raconte ma vie point com. Au pire, ça intéresse qui ? Je détourne mon regard, me rendant compte que j’ai une fois de plus trop ouvert ma gueule. Je goûte un autre morceau, du pamplemousse cette fois-ci. Pas mauvais. Tess s’éloigne et je l’observe du coin de l’œil. Je sens son regard sur moi et ça me met mal à l’aise. Un regard observateur, curieux. Un regard qui cherche sûrement à en savoir plus, à continuer de creuser, aller là où personne n’a réussi à aller. J’aime pas qu’on s’intéresse à moi, autre que pour le sexe. Ca me fait peur, autant que ça me plaît. Je me ferme comme je peux afin qu’elle ne voit pas plus loin, qu’elle ne se retrouve pas face à cette ombre qui la chassera. Je reporte mon attention sur elle, échangeant avec le vendeur. Cette robe sublime ses fines courbes et cette couleur ne fait que les mettre en avant. Qu’importe la façon dont elle se fringue, tout semble lui aller. Elle a beaucoup de charme, beaucoup de qualités qu’elle ne semble malheureusement plus mettre en avant. Ce n’est qu’une question de temps, ça reviendra. Elle revient à ma hauteur et je hausse les épaules. « Je trouve toujours mon bonheur dans ce genre de stand. » Mais je ne prendrais rien parce que je suis un peu radin et que j’ai pas plus envie que ça. J’aime bien goûter et manger, tant que c’est gratuit. « Tu voulais voir autre chose, ici ? Sinon viens, on se met un peu de côté. » Que j’me détende un peu en fumant une clope, je risque de marave quelqu’un à ce stade. Je me saisis de son poignet sans geste brusque, ni agressif avant de l’entraîner un peu en retrait, là où au moins j’ai pas l’impression d’étouffer. Je la lâche rapidement et l’observe rien qu’une toute petite seconde. « Désolé … j’avais oublié. » Qu’elle a du mal d’avoir un contact physique avec un homme et je souhaite juste qu’elle n’ait pas pris ça pour une agression. Y’a plus l’alcool qui nous pousse à aller au-delà de nos peurs, qui nous aide à les surmonter. Je me prends une clope et l’allume rapidement, tirant longuement dessus. Ca fait du bien, j’ai l’impression de revivre. C’est triste. D’ailleurs je suis étonné qu’elle ait l’air de se sentir à l’aise parmi tout ce monde où se mêlent hommes, femmes et enfants. Moi ça me rend nerveux et agressif. Je tire lentement sur ma clope, recrachant la fumée sur le côté, pour enfumer personne même si l’envie d’faire chier le monde me démange. « Je pensais pas qu’il y avait autant de monde, ça me rend fou. En plus ils te collent là et y’en a qui sentent aussi mauvais que le stand à fromage. » On juge pas, on a dit. C’est plus fort que moi, là. « Hé regarde ce stand, je suis sûr qu’il y a une robe qui t’irait bien. » Dis-je en pointant le stand en question. On s’trouve juste à côté. J’ai envie de lui dire que de toute façon, n’importe qu’elle robe lui irait mais je préfère garder ça pour moi. Sobre j’ai plus de retenu et ça sort avec plus de difficultés. Je fais attention à ce que je dis, ce à quoi je pense et à ce que je fais. L’attirance est toujours présente, ce n’était pas un effet de ce mélange explosif.
D'après ce qu'il disait, Tess pouvait comprendre très clairement que Lemmy n'était pas un adorateur de fromage. La liaison avec Satan la fit même rire, plaçant le dos de sa main contre ses lèvres « ah oui carrément, Satan quoi » rigola t-elle. Mais elle pouvait comprendre, elle-même n'aimait pas spécialement les fromages trop forts, mais elle appréciait certains fromages non coulants, en apéritif, ça passait plutôt bien. Quoi qu'il ne lui fallait pas forcément attendre d'avoir un verre de main pour s'en empiffrer. Lemmy n'était pas un fan de fromage, mais devant l'étalage des fruits, il semblait s'y retrouver. La jeune femme ne pu s'empêcher de sourire lorsqu'il lui parlait de ce qu'il aimait faire avec tous ces fruits. Elle l'imaginait avec un petit tablier rose autour de la taille, en vraie Bree Van De Kamp, en train de cuisiner. Elle ne pu s'empêcher de sourire, mais quand il fit son « hum... » elle ne pu s'empêcher de fixer ses lèvres. Putain, merde. Elle toussa et déplaça son regard. Il faisait toujours aussi chaud, en compagnie de Lemmy. Ou bien alors, était-ce la foule ? Elle n'en savait rien, mais là, maintenant, elle avait chaud. Il lui donnait chaud. « Je demande à voir alors ? » demanda t-elle comme une invitation. Elle croisa son regard, sourit doucement et ne tarda pas à pouffer lorsqu'il lui parla d'ananas. Elle aimait bien manger des fruits quand elle fumait, ça annulait le sentiment de « pâteuse » dans la bouche et ça rafraîchissait direct le gosier : un effet parfait après un joint en somme. Elle prit néanmoins en note, dans un coin de sa mémoire, le fait que Lemmy n'aimait pas ce fruit, peut-être qu'un jour ça lui servirait, si elle n'oubliait pas ce détail. Tess revint près de lui, et très vite, il lui fit comprendre qu'il avait vu ce qu'il y avait à voir ici, et voulait passer à un autre stand. Elle hocha la tête après avoir mis un nouveau morceau de fruit dans sa bouche, ni vu ni connu. « Okay » lança t-elle simplement. A ce moment là, la main de Lemmy frôla la sienne, avant que ses doigts ne viennent doucement s'enrouler autour de son poignet. Cette sensation, elle avait oublié à quel point.. il lui faisait de l'effet. Son corps s'électrisa, se raidit et très vite, elle le suivit, à travers la foule, pour se rendre à un coin plus calme. La jeune femme avait envie de caresser sa main de ses doigts, mais elle lui était inaccessible. Il fini par la lâcher, se tournant vers elle pour s'excuser. Tess sourit et répondit tout de suite « t'inquiète pas, ça va ». Elle lui sourit. Il était le seul homme qui avait le droit de faire autant de choses avec elle. Il était le seul homme qui avait le droit de la toucher comme ça, qui avait embrassé ses lèvres avec un désir qui lui répondait. Lemmy était particulier à ses yeux, non pas qu'il avait tous les droits, mais presque. Elle trouvait ça galant, qu'il n'oublie pas cette gêne, qu'il ne prenne pas pour acquis quoi que ce soit, malgré leur baiser échangé. C'était classe, c'était élégant, c'était lui. Il avait du charisme, quelque chose qui imposait le respect et sans qu'elle ne le veuille, ça lui faisait de l'effet. Lemmy se sort une clope, Tess ouvrit son sac pour en faire de même, lui demandant son briquet, elle fini par l'allumer aussi. Sans même s'en rendre compte, elle avait prit appui tout près de lui, posant presque son épaule contre l'intérieur de la sienne, se collant presque à lui. Ce passage était plus calme, ils avaient un peu d'espace, mais elle s'était presque collé. Pourquoi ? Parce que ça la rassurait, tout simplement et qu'elle ne s'en rendait peut-être même pas compte. Les gens passaient, d'un sens, de l'autre, les contournant aussi. Eux, ils étaient là, en train de fumer, en silence, sans se poser aucune question. Le savoir juste là, ça lui suffisait. C'était ce dont elle avait besoin et elle se sentait bien. Néanmoins elle se souvint que lui non plus n'aimait pas les contacts physiques, alors elle se décala, laissant quelques pas entre eux et lança tout en recrachant sa fumée « moi aussi j'avais oublié » ajoutant à ça une petite grimace désolée. Lemmy reprit la parole, Tess sourit et ajouta « j'suis assez d'accord, j'espère que tu me le dirai si je puais comme un fromage ? » sourit-elle alors. Elle observa un peu la foule qui semblait à la fois pressée et détendue dans ce marché et elle ne pu s'empêcher d'ajouter « je commence tout juste mes premiers bains de foule personnellement... » elle leva les yeux vers Lemmy, qui était bien plus grand qu'elle et ajouta un sourire complice. Depuis cette fameuse nuit là, Tess avait changé. Elle n'avait pas voulue changer, elle n'essayait pas de changer, elle changeait. Naturellement, sans effort, sans prendre dix ans de réflexion. Il était juste temps, elle avait sans doute juste eu un déclic avec Lemmy. Peut-être qu'elle lui en parlerait plus tard dans leur après-midi, peut-être qu'il n'avait pas besoin de savoir ça non plus. Elle, elle savait. Il avait eu un impact sur elle, incommensurable. Il était spécial à ses yeux. Il était un peu celui qui détenait les clefs, qui semblait la comprendre, qui semblait répondre et faire, exactement selon ce qu'elle avait besoin, ou envie. La jolie métisse fumait sa clope, regardant les gens passer, observant les visages, et fronçant les sourcils lorsque des gamins criaient : insupportable ceux-là. La trentenaire écouta ensuite Lemmy et suivit du regard le stand qu'il indiquait. Elle ouvrit grand les yeux et bascula sa tête sur le côté « bien vu » sourit-elle alors. C'était exactement le genre de robe qu'elle aimait : amples, légères, longues et hippies. Elle jeta sa clope dans un cendrier à disposition et lança « j'aime pas le shopping en règle générale » précisa t-elle. Et c'était vrai, dans la vie, elle faisait tous ses achats de fringues en ligne, pour ne pas se coltiner les files d'attente, la chaleur et l'etouffement des boutiques. Mais c'était une bonne occasion ici, non ? Et puis, elle pourrait en choisir une qui plaise aussi à Lemmy. « Tu veux m'aider à choisir ? » demanda t-elle sur un ton de défi, autant qu'un ton malicieux. Elle se mit en marche en direction du stand et une fois arrivé devant, commença à regarder les robes. Okay, c'était tout ce qu'elle aimait. Elle en sélectionna une, une longue, fine, noire, à fines bretelles, élégante, sobre et en même temps hippie. « Oh, j'crois que j'ai trouvé mon bonheur » « elle vous plaît mademoiselle ? Vous pouvez l'essayer dans la cabine juste ici si vous voulez » proposa alors le vendeur, essayant d'être un peu lourd, espérant vendre sous un ton complice. Sauf que chez Tess, ça ne fonctionnait pas. Elle se tourna vers Lemmy et lui demanda « ça te dérange ou pas si je l'essaye ? Promis, ça sera la seule » arborant son plus beau et doux sourire. Attendant sa réponse, elle fila en cabine pour essayer sa tenue. Bon, elle ne portait presque jamais de soutien-gorge, de toute façon, il n'aurait rien à supporter dirons nous. La jeune femme se retrouva donc en culotte, stressée à l'idée d'être presque nue au milieu d'un marché, bien que cachée. Pourquoi elle y arrivait ? Parce qu'il était là. Et qu'elle avait confiance. S'il osait lui demander pardon après avoir touché sa peau, alors il ne laisserait personne approcher de sa cabine et ça, elle le savait très bien. La jeune femme essaya de fermer sa robe, mais la fermeture était trop longue, et elle avait des bras trop petits. Après plusieurs minutes à se battre, elle fini par souffler et tenant le haut de sa robe d'un bras, elle ouvrit le linge qui servait de porte pour appeler Lemmy « Hey, pshiiiit » rigola t-elle alors. « Tu peux m'aider ? J'y arrive pas toute seule... » demanda t-elle, invitant alors Lemmy à entrer dans sa cabine. Il referma, ils étaient seuls, dans un mètre carré à peine. Cachés de tous. Elle se tourna, levant ses tresses de ses deux mains pour dégager son dos et sa nuque, frissonnant alors, le cœur battant.
Après notre petite dégustation fruitée, je décide de me tirer de là, de sortir de la foule, de nous mettre en retrait enfin de prendre un peu l’air, de reprendre un peu d’oxygène et surtout me détendre en me grillant une clope. J’ai enroulé mes doigts autour du poignet de Tess, sans exercer une emprise importante. C’est simplement histoire de ne pas la paumer parmi tout ce monde. J’ai pas réfléchi sur l’coup, j’ai agi par automatisme. Je finis par la lâcher, me surprenant même à m’excuser chose qui n’est pas dans mes habitudes. Elle a l’air tout aussi sereine qu’avant ce geste qui aurait pu être considéré comme une agression, elle est même souriante et j’sais pas trop pourquoi mais ça me déstabilise, un changement de comportement comme celui-ci. Avoir confiance en quelqu’un prend du temps et je n’ai pas fait grand-chose pour qu’il en soit ainsi. Peut-être en ai-je fait justement assez, pour elle, pour lui permettre d’enfin s’ouvrir au monde extérieur avec bien plus de facilité. J’sais pas trop parce que moi, j’ai pas eu ce soutien là, j’ai pas eu quelqu’un derrière moi pour m’aider à aller de l’avant, à reprendre confiance en l’humanité. J’ai mis du temps à me relever, tout en continuant à subir les coups. J’y croyais pas mais j’avais la hargne, celle de quand même essayer. J’ai cependant jamais retrouvé foi en l’être humain. Il est insignifiant, aussi répugnant qu’on le dit. Je lui tends mon briquet lorsqu’elle me le demande, tirant sur ma cigarette sans finesse, bien trop accro à la nicotine, bien trop dans le besoin de me détendre. J’enchaine les clopes ces derniers jours, j’enchaine les verres de whisky et c’est depuis cette rencontre, depuis cette soirée que j’ai perdu l’moindre repère, que j’suis déboussolé parce que je me suis trop surestimé. Je vivais avec la conscience tranquille, avec la fierté de m’être débarrassé de tous ces sentiments à la con, de cette part de moi bien trop jouasse. Celle que j’me traine comme un prisonnier s’traine son boulet de forçat. Même si je suis chamboulé, au fond, j’apprécie de m’être retrouvé, d’avoir redécouvert ce que c’était de passer au dessus de tout, d’oublier qui l’on est le temps d’une nuit, de vivre dans un autre monde en compagnie d’une autre personne, d’avoir mis mes jugements de côté et d’avoir juste profité de ce moment, jusque tard, comme si c’était l’dernier. Là, c’est pas pareil. Il y a cette conscience ultime de soi. J’apprécie la compagnie d’Médusa mais j’ai les idées claires et j’ai un peu de mal à m’foutre quelque part. J’ai même bien de mal à jouer la comédie, cette même scène que je joue maintes fois depuis bien des années en me glissant dans la peau de ce Lemmy, cachant Bélial aux yeux de tous, parce que c’est un monstre. Tess fait sortir ce qu’il y a de bon en moi, elle m’fait me sentir bien et apaise tout ce remue ménage. Ca me fait peur autant que ça m’intrigue. « Oui j’te le dirais. Je suis un gars direct. » Si j’ai envie de te dire merde, j’te le dis, que ça passe ou ça casse. Par contre je suis pas honnête, parfois qu’à moitié. « Mais c’est pas le cas, tu sens vachement bon. » Bien trop même, ça devrait être interdit. Ca me donne envie d’inspirer à fond pour que son parfum s’imprègne dans mes narines et m’poursuit jusqu’à la fin de la journée. Un peu creepy, hein. « Et tu le vis comment ? C’est horrible, hein ? » J’souris nerveusement, cette fois. Horrible oui, tout le monde te marche dessus, tout le monde te bouscule, personne fait attention. Y’a des claques qui se perdent. Son sourire en dit long et ça me fout un peu mal à l’aise. Je fais jamais le bien autour de moi, c’est bien rare que j’aide quelqu’un ou si j’le fais, en général, la personne concernée ne le sait pas. Pour moi, c’est pas normal, c’est pas dans mes habitudes. Trop de changement, j’ai du mal à m’y faire, à réaliser, à mettre les choses à plat. « Je suis ravi d’apprendre ça ! » Rare sont les femmes qui n’aiment pas faire du shopping. Quand je vois ma sœur qui s’achète des montagnes de fringues et qui arrive encore à me dire qu’elle n’a jamais rien à se mettre, ça m’dépite. Puis, elle m’a déjà trainé dans des magasins et croyez-le ou non, c’est l’enfer. « Euh. Je te promets rien, hein. » J’suis pas fortiche à ce genre de défi. Je pense pas avoir des goûts de merde mais j’ai du mal à choisir pour les autres, à trouver une couleur vive belle. J’finis ma cigarette, l’écrasant dans le cendrier avant de suivre la jeune femme jusqu’au stand, regrettant presque déjà d’avoir ouvert ma gueule. J’ai l’impression d’faire la potiche à attendre qu’elle trouve son bonheur. Elle en prit une et le vendeur lourdingue lui proposa d’aller l’essayer. « Non, vas-y. » Sachant qu’une femme prend plus de vingt minutes à essayer rien qu’un article à chaque fois en pesant le pour et le contre, je suis déjà content qu’elle me dise que ce sera la seule. Je la suis des yeux, patientant sagement près de la cabine préférant quand même surveiller les alentours. Elle commence a à peine reprendre confiance, j’vais pas laisser quelqu’un gâcher ça. Je comprends même pas ce qui me pousse à faire ça, autre que ce que l’on a en commun. Quelqu’un m’interpelle, j’tourne la tête un peu méfiant et Tess apparut, visiblement dans l’embarras. Ce n’est que Tess, les traits de mon visage s’adoucirent un peu et je m’approche d’elle. « C’est bien parce que c’est toi. » Et ça, c’est vrai. J’entre dans la cabine, rabattant le linge derrière moi. Lorsque je me tourne vers Tess, j’remarque qu’on est vraiment tout seul, cachés de tous, n’entendant que les voix portantes des passants, des vendeurs. Y’a cette proximité entre nous, pas gênante mais elle provoque une tension électrique. J’sens mes pulsions animales me ronger l’cerveau, mon rythme cardiaque tambourinant dans mes tempes. J’glisse l’une de mes mains à la fermeture et l’autre tenant le tissu afin de mieux pouvoir la fermer, sans difficultés. Je la ferme, lentement, me faisant violence pour ne pas sombrer dans mes pensées obscènes, sentant déjà mon corps se réveiller et cette douce chaleur m’envelopper. Une fois fermée, je me force à retirer mes mains et à ne pas les laisser vagabonder où bon leur semble, partir à la découverte de ce corps qui m’est encore inconnu. « Tourne toi. » C’était pas un ordre, plutôt une proposition. Lorsqu’elle me fit face, j’affiche un petit sourire, légèrement en coin. « J’aime beaucoup mais si tu arrives pas à la fermer toute seule … » Pas pratique et puis, je suis pas sûr que n’importe qui veuille se déplacer pour fermer une robe. « Tu penses que tu arriveras à l’ouvrir comme une grande ? » Dis-je pour la taquiner. Mon regard se glisse le long de ses courbes, ne finissant pas son chemin, décidant de sortir de là avant que l’animal ne se jette sur elle, comme un mal propre. « Je t’attends dehors. »
Lemmy dit qu'elle sent bon, la jeune femme eu le rouge lui grimper aux joues. Se sentant gênée et en même temps, ravie, la jeune femme baisse les yeux et sourit, faisant mine de rien (ou presque). Lorsqu'il s'interrogeasur sa sensation de ce bain de foule, elle lâche un léger rire avant de lui répondre « c'est pas ce que je préfère... mais ça passe » rigole t-elle. Au moins, ça lui permet de se rapprocher de lui sans chercher une excuse, pas vrai? Une fois dans la cabine, Tess attend l'arrivée de Lemmy. Elle sent sa présence derrière elle et lorsqu'elle lève un petit peu les yeux, elle peut voir son reflet dans le miroir posé à même le sol. Il observe la fermeture, alors qu'elle sent qu'il tire légèrement sur le tissu noir de sa robe. Alors que la fermeture se referme, lentement, la jeune femme sent un frisson lui parcourir toute la colonne. Elle sent la fin de son souffle contre la peau nue de sa nuque, provoquant chez elle des papillons dans le ventre. Son cœur bat fort dans sa poitrine, comme un rythme musical sourd et intense. Elle semble aussi avoir nettement plus chaud, comme une vague invisible qui viendrait se saisir de son corps pour l'enflammer quelques secondes, sans jamais y dessiner aucune flamme. Tess fixe le reflet de Lemmy, les lignes de son visage, de son regard penché sur la fermeture, de sa tempe qui vibre contre son visage. Il lui dit de se tourner, elle s'exécute sans demander son reste. Elle lève les yeux vers lui, et se fond dans son regard. Plongeant dans cet océan azur qui semble n'exister que dans ses yeux, la jeune femme eu l'impression de nager dans un océan inviolé par l'homme. Un endroit qui n'existerait qu'à peine, qui ne serait peut-être qu'une idée, après la deuxième étoile sur la gauche. De la poudre magique, et la voilà qui s'envolerait, perdant foi en la gravité de ce monde qui ne l'atteindrait plus. Son corps léger, souple, aussi fin qu'une plume, voguerait alors toute voile dehors vers ce paradis perdu. Cette île perdue au milieu d'un océan de pureté. Pas un rocher, pas une tâche, tout ne serait que calme plat. Sans un souffle de vent, elle volerait toujours, avant de plonger dans cette eau si fraîche, si limpide, si claire. Ses pupilles semblent briller dans la nuit, tel un phare qui guiderait les âmes aussi perdues que celle de Tess. Accostant dans cette baie, y trouvant le silence, le refuge, la paix qu'elle avait toujours cherché. Comme si ce bleu azur était la seule et unique réponse à toutes les questions qu'elle s'était toujours posé. Des plus pragmatiques, au plus métaphysiques. Dieu ? Le paradis ? La vie après la mort ? La pleine concience ? Il n'existait plus rien de tout cela, tout trouvait une réponse dans ces deux pupilles si profondes et pourtant si... indescriptible. Comme si ce monde était trop loin, inaccessible, introuvable. Tess l'observait à travers un trou de serrure, mais ne semblait pas pouvoir l'atteindre. La frustration d'être devant la plus belle chose du monde, sans pouvoir y accéder. La jeune femme perdit son souffle, arrêtant de respirer, continuant sa descente au plus profond des yeux de Lemmy, restant cependant toujours à leurs surfaces. Elle ne pouvait pas y accéder, mais son imagination la faisait nager dans cette eau si chaude, si tropicale. Il était tellement exotique, lui, cet inconnu sortit de nul part qui lui avait sauvé la vie, et qui, sans même combattre, avait mis à mort toutes les terreurs de la jeune femme. Sans sortir son épée, comme s'il n'avait pas eu à faire d'efforts, comme si tout était si normal, si logique, si naturel. Il avait terrassé les plus odieux démons de la jeune femme, prenant une place qu'elle ne pensait pas possible d'obtenir. Il était là, seigneur sur ses terres, réclamant tous les droits qu'elle pouvait lui offrir et Tess n'avait pas d'autre option que de les lui accorder. C'était comme si elle lui était dévouée, sans jamais le connaître. Comme si son existence avait enfin un sens auprès de quelqu'un. Son cœur battant était la seule chose qui la maintenait dans le monde réel. Son corps était libre, détâché de son âme. Cette dernière se perdait complètement dans les yeux de Lemmy, faisant oublier à son propre corps de respirer. Elle cligna des yeux, respirant une grande bouffée, retrouvant ses pieds posés sur le sol de cette cabine de fortune. Ce sentiment de chaleur la rappela à l'ordre, elle avait envie de le toucher, d'être contre lui, d'embrasser de nouveau ses lèvres, mais n'en fit rien. Elle n'oserait sûrement plus l'embrasser comme elle l'avait fait grâce à l'alcool. Il parlait, mais elle était ailleurs, elle répondit à seulement quelques phrases, évinçant les autres sans y faire attention. Rigolant nerveusement, rapidement, presque de façon étouffée, elle fini par répondre par une voix grave et presque soufflée elle aussi « si je n'y arrive pas, je pourrai toujours t'appeler ? » demanda t-elle presque sur un ton de défi. Pourquoi faisait-elle ça ? Elle n'en savait rien, elle n'avait jamais pensé, ni dit ce genre de choses, mais avec lui... c'était comme si elle ne pouvait pas faire autrement. Elle se redécouvrait quand elle était avec lui, c'était comme si elle était, en se présence, celle qu'elle aurait du être sans son viol. Comme s'il éveillait en elle ce désir, cette passion, ce plaisir qu'elle avait de vivre, de se laisser porter. Comme si Lemmy, son corps, ses yeux, sa prestance, sa voix, son rire, son charisme, ne lui laissaient pas le choix. Elle ne pouvait agir autrement, il lui faisait perdre la tête, il lui coupait le souffle, il lui tranchait les jambes. Il préféra quitter la cabine, refermant le linge derrière lui. Elle se pencha en avant, comme si son corps lui était rendu de nouveau, retrouvant son souffle et galérant à trouver une respiration normale. Elle s'appuya contre le mur précaire de la cabine, essayant de se calmer. Lemmy avait un attrait sur elle, sur son corps, physiquement, corporellement, chimiquement il se passait quelque chose qui la perturbait totalement. Elle avait cruellement envie de lui, ça lui torturait le corps tout entier. Se mordant la lèvre, la jeune femme sentit que son corps le réclamait. Il n'y avait pourtant qu'un linge entre eux, mais c'était déjà trop. Elle avait chaud, elle sentait l'excitation gravir son corps en partant de son entre-jambe. Elle ferma les yeux, souffla et passa une main sur son visage. Essayant de se calmer, elle passa la robe autour de son corps pour la retirer. Sa poitrine s'était dressée entre temps. Elle avait envie de l'appeler à nouveau, mais se détesta de penser à ça. Fronçant les sourcils, elle enfila sa robe bleue en vitesse et après avoir soufflé encore une fois, ouvrit le linge, la robe noire sous le bras. « Je vais la prendre s'il vous plait » lança t-elle au vendeur. Elle posa la robe sur l'établis et fouilla dans son sac pour en sortit un billet de dix dollars. Elle remercia le vendeur et chercha Lemmy du regard. Où était-il ? Il était partit ? Tess fronça les sourcils pour faire quelques pas et regarder autour d'elle. Elle observait le coin où ils avaient fumés un peu avant, se tourna pour observer les autres stands. Son cœur se mit à battre. Il était partit ? La jeune femme sentit l'angoisse la surprendre. La foule l'oppressait à présent. Comme si Lemmy annihilait ses angoisses et que maintenant qu'il n'était plus là, tout lui revenait en pleine gueule. Tess commençait à ne plus du tout de sentir aussi à l'aise, où était-il ? L'avait-elle fait fuir ? Est-ce qu'elle lui avait fait peur avec cette attitude dans la cabine ? Peut-être que son violeur avait raison, elle était une aguicheuse. C'était ce qu'elle venait de faire avec Lemmy, pour la toute première fois de sa vie. Elle se pinça les lèvres, fermant les yeux une seconde. Elle revoyait son violeur lui dire ça, alors qu'elle n'avait que seize ans. Elle se comportait mal avec Lemmy, elle oubliait tout, elle prenait tous les risques... mais c'était... parce que c'était lui ? Alors s'il était partit, c'était parce que c'était différent pour lui, non ? Elle n'agissait pas sur lui, comme il agissait sur elle et elle était une idiote d'avoir cru ça possible. Non, elle s'était trompé, elle était juste devenue folle. Il fallait qu'elle se calme.
Cruelle tentation. Bien trop forte, bien trop perturbante. J’vois ça comme une torture, ça m’en donne des nausées. Le pire dans tout ça, c’est qu’elle ne fait rien pour m’aguicher. C’est physique, sa façon d’être. Il y a ce quelque chose qu’elle a, que les autres n’ont pas. Le manque de jugement y fait peut-être quelque chose. J’en suis pas convaincu. J’suis attiré par elle comme un aimant, par ce plaisir qui me semble bien trop interdit, par l’envie irrésistible de me perdre sur son corps qu’elle protège de tous, la peur d’être abusé une nouvelle fois la rongeant, la frappant de plein fouet au moindre effleurement commis sur sa peau métissée. L’idée de laisser vagabonder mes doigts torturés et malsains le long de ses épaules, de ses bras fins couverts de tatouages presque discret, m’hypnotise. Je n’y fis rien, j’ai pris sur moi en m’foutant des claques mentales magistrales, en luttant contre l’animal qui se débat, contre le démon ayant envie de s’éprendre des siens, les cherchant au fond de ses entrailles, elle qui les a refoulé depuis tant d’années. Elle me fit face lorsque je le lui demande, rien qu’en croisant son regard, j’ai senti cette électricité foudroyante me paralyser qu’une infime seconde. Comme si durant ce petit laps de temps, je n’avais plus conscience de rien, comme si j’avais réussi à me perdre dans ce regard bourré de sens, si profond, si lointain. J’me suis senti piégé et là, y’avait aucun moyen d’échappatoire. Comme un démon se retrouvant coincé dans le sceau de Salomon sans pouvoir prendre la fuite, sans pouvoir être libre de ses propres gestes, à attendre qu’on le libère, craignant chaque jour l’exorcisme, condamné à retourner pourrir dans les eaux de son enfer. J’ai l’impression de brûler face à cette température qui m’a semble grimper soudainement. L’vice m’appelle, il m’pousse dans les bras de la luxure mais je lutte tant bien que mal. Je ne dois pas, j’ai pas le droit. J’en ai diablement envie, ça devrait même être interdit mais on ne peut surmonter cette peur du jour au lendemain, même si on se sent en confiance. On pense qu’on peut y arriver, qu’on a réussi à passer outre mais c’est faux. Les premiers temps on se reconstruit petit à petit, on pense se sentir prêt mais une fois face à notre terrible peur, on chute à nouveau. Jamais je n’aurais été aussi patient avec quelqu’un, jamais je n’aurais réagi ainsi, homme ou femme. La glace se fond sous la chaleur de la fragilité de Tess, elle ravive cette flamme qui s’était éteinte, étouffée par le fleuve des Enfers où s’est développé un vaste royaume froid et hivernal. Il demeure mais accueil étrangement, volontiers, une autre forme de vie qui pourrait le détruire, courir à sa perte. « Peut-être. » Dis-je d’une voix joueuse, presque suave accompagnée d’un sourire en coin. Répondre au tease, être sur le point de céder. Je quitte la cabine de fortune, lui adressant un dernier sourire avant de refermer le linge derrière moi, inspirant longuement avant de m’éloigner de quelques pas seulement afin d’attendre, essayant de reprendre mes esprits, de chasser ces idées bien trop sombres. Effort surhumain. Première fois depuis longtemps que je me fous des barrières aussi hautes pour être sûr que je ne serais pas tenter de les escalader, d’échapper à ce peu de limites que je m’impose, des limites que je ne respecte jamais, que je brave sans tenir compte des autres, conscient des conséquences. Mon téléphone vibre. Le téléphone du jugement dernier, celui qui regorge de numéros interdits. Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, vérifiant que Tess ne soit pas dans les parages avant de m’éloigner, le sortant de ma poche, décrochant, attendant quelques secondes avant de me prononcer. « Ouais ? » Ce numéro, à force, je le connais par cœur. Un numéro qui restera ancré dans ma mémoire et ne finira jamais par devenir un souvenir, parce qu’il fait parti de ceux qui mériteraient d’être égorgé sur une place publique, il fait parti de ceux qui mériteraient d’avoir leur tête exposée sur un piquet en guise d’avertissement à ceux qui tenteraient de commettre le moindre abus sexuel, la moindre atteinte à l’intimité d’un homme ou d’une femme. « Je n’ai pas eu de nouvelles, que dois-je en conclure ? » Le ton qu’il emploie sonne comme une menace que je ne prends pas au sérieux. Cet homme n’est en rien une menace, il semble simplement oublier avec qui il fait affaire. « L’impatience est un vilain défaut. Le temps presse ? » Sarcastique, arrogant. Je jette quelques coups d’œil en direction du stand, sentant cette poussée d’adrénaline commencer à me bouffer les glandes rénales. « Demain, même lieu, même heure. » J’eus un léger rictus avant de détacher le téléphone de mon oreille, raccrochant. Raclure, grosse merde. Je range mon téléphone, revenant jusqu’au stand et j’aperçois Tess, au milieu de tout ce monde. Paniquée, perdue, angoissée comme si mon absence ne la rassurait pas, comme si cette soudaine confiance s’était envolée, comme si on lui avait ôtée cette boussole qui l’empêchait de se perdre. Le regard de l’abandon, de ce sentiment de culpabilité. Tout ça, putain, j’connais que trop bien. Tess reflète la personne que j’ai été, celle que j’ai décidé d’abandonner, d’achever. Cette personne, je l’ai abandonné dans caniveau, la laissant pour morte. Je m’approche d’elle avant de manifester ma présence sans agression, sans geste physique, m’approchant simplement d’elle pour finir par pénétrer son champ de vision. « Ben alors, tu en fais une de ces têtes ! T’as vu une grosse bête ? » J’ai pas envie de soulever le sujet, de détourner cette scène de façon moins dramatique. J’ai pas envie d’en parler, d’entendre ces mots d’une personne ayant été détruite par la main de l’homme. Je viens glisser ma main à son épaule, se voulant être réconfortante, compatissante… sauf que je sais pas m’y prendre, je n’arrive pas à ressentir réellement tout ça. Je n’en suis pas sûr, je le déduis simplement, parce que je ne sais pas. Je ne sais pas ce que ça fait, comment on fait. « Alors, tu l’as acheté cette robe ? » Dis-je en glissant mon regard sur la dite robe, présente entre ses bras. « Ca va pas ? »
Son regard contourne les passants, comme si elle le cherchait à travers la foule. En quête de ses deux pépites azures, la jolie métisse arbore les visages inconnus à la recherche des traits de Lemmy. Elle ne le voit pas, l'angoisse la saisit. Est-il partit ? A t-elle été trop loin ? Elle tourne de nouveau sur elle-même avant de finir par le voir arriver. Il marche vers elle, elle s'accroche à ses yeux turquoises, il n'y a qu'eux qui semblent exister. Il sourit. Il n'a pas fui, il n'est pas partit, il ne semble pas en colère, tout va bien. En le voyant, son stress, son angoisse, semblent retomber sans crier gare. En une seconde, elle avait été la victime de son propre ascenseur émotionnel. Il s'approche, il la vanne, elle soupire en rigolant, passant sa main sur son front, rigolant toujours elle répond « non-non, juste que... j'sais pas, laisse tomber » rigola t-elle en essayant d'échapper à ce qu'il vient de se passer. Elle le regarde alors qu'il observe sa robe, lui demandant si elle avait fini par craquer « ouais, je... je me suis dit que... qu'elle était cool » elle relève ses yeux encore brillants vers les siens pour essayer de dessiner un sourire rassurant sur ses lèvres. C'est bon Tess, tu peux te calmer, tout va bien, il est là. Elle rigole nerveusement encore et semble fuir un peu son regard quelques secondes, positionnant correctement sa robe sur son avant bras, cherchant quelque chose à quoi s'attacher. Il doit sentir qu'elle est sensible et perdue, puisqu'il pose sa main sur son épaule. A son contact, son cœur se brise. Elle lève les yeux vers lui, il semble s'inquiéter de son état. Oh non, alors ça se voit tant que ça ? Où alors il peut lire en elle comme dans un livre ouvert ? Qu'est-ce qui est le pire, sincèrement ? N'a t-elle donc aucun mystère pour lui ? Elle sourit, nerveuse, et semble se contenir pour ne pas analyser le fait qu'il ait sa main sur elle. Ce simple contact, elle en veut plus, encore. « Oui-oui ça va... et toi ? » demanda t-elle en retrouvant ses esprits. Où était-il passé ? Enfin, ça ne la regardait pas, elle n'avait pas besoin de savoir, peut-être avait-il croisé un ami, ou bien avait-il été pissé, en quoi ça pouvait lui faire quelque chose ? Non, elle avait paniquée. Elle qui s'était sentie prête à affronter le monde, elle se rendait compte que tout était encore bien trop fragile. A ce moment là, quelque chose vint heurter son épaule, la jeune femme se fit bousculer lourdement par un homme, âgé qu'une cinquantaine d'années et probablement un touriste vu son look. Tess grimaça et essaya de retrouver son équilibre, se tournant vers l'homme qui ne s'excusa pas. « Okay... » lança t-elle alors en le fixant, essayant de lui faire comprendre qu'il aurait pu s'excuser. L'homme poursuivit sa route et très vite, Tess lança « ça te dit qu'on... qu'on aille dans un coin plus calme finalement ? » à vrai dire, la foule comme ça, avec lui c'était bien, mais sans lui ça n'était plus la même chose. Ses angoisses se réveillaient lentement, lui faisant comprendre qu'elle avait été bien trop rapide, qu'elle avait fait sa « fière » et qu'elle devait redescendre très vite de sa confiance. La jolie métisse rangea la robe dans son sac en bandoulière et commença à marcher avec Lemmy à travers le marché. Elle se fichait des stands, des produits, des saveurs, ou même des insectes qu'il était possible de manger encore vivants. Elle fixait le corps de Lemmy, face à elle, qui lui ouvrait la voie à travers la foule. Arrivant à un endroit du marché bondé, rempli de monde, où le moindre pas semblait interminable, la jeune femme ne tarda pas à se sentir très vite étouffé. Les passants marchaient n'importe comment. Elle passa son sac devant elle, essayant de suivre Lemmy, mais très vite, des passants s'immiscèrent entre eux. Essayant de rattraper l'homme le plus sexy d'australie, la jeune trentenaire, une fois arrivée derrière lui, fit glisser ses doigts vers ceux de l'irlandais. Cherchant un moyen de ne plus le perdre, de s'accrocher à lui, comme s'il allait la sortir de là, comme s'il fallait qu'elle s'accroche à lui. Au pire, il allait rejeter ses doigts, où bien il lui dirait une fois sortie de là qu'il n'avait pas aimé ce geste, mais là, elle ne voulait pas faire autrement. Parce que perdue dans cette foule, ses peurs semblaient lui tourner autour, cherchant la moindre faille pour s'emparer de son corps. Fermant les yeux, se rapprochant de lui, elle serra ses doigts plus fort encore, presque collée contre son dos. Suivant ses pas, sa cadence, son chemin parmi ces gens qui semblaient n'être que décoratifs, la jeune femme essayait de retrouver une respiration normale, de se calmer en se disant que tout allait bien. Ne voyant plus la foule, ni le bordel que c'était face à eux, elle se concentrait sur les doigts de l'homme qu'elle serrait pour s'y accrocher et sur ce dos qu'elle semblait presque toucher de tout son corps. Le suivant alors, ils finirent par sortir de là. L'air était plus accessible, il y avait plus d'espace, pourtant, elle ne lui lâcha pas encore la main...
La baffe magistrale est là. Elle semble totalement secouée, désorientée, à la recherche d’une issue pour s’échapper de cette foule, de ces inconnus qui bousculent sans prendre la peine de s’excuser ou de faire attention à qui que ce soit. Rien que là, les gens reflètent l’humanité. Marche ou crève. T’es sur leur chemin, tant pis pour toi, si tu tombes ils ne te relèveront pas. Tess est ce petit agneau entourée par des prédateurs, aussi carnassier les uns que les autres. Ils ne remarquent même pas sa détresse, bien trop préoccupé à se pavaner, à penser à leur propre bien être, à prendre plaisir à découvrir le marché. Personne ne fait attention à elle, parce que plus personne ne fait attention à la détresse des autres, plus personne ne vient en aide aux personnes dans le besoin, ils tracent leur route, ça ne les regarde pas, c’est pas leur problème. Une fois à sa hauteur, je tente de la rassurer à ma façon, maladroitement, comme les gens le font. Je prends exemple sur eux, conscient que c’est pas la bonne méthode mais c’est comme ça qu’ils se rassurent, nan ? Elle fuit mon regard, comme quelqu’un qui a honte d’avoir chuté aussi brutalement, d’avoir cru en une réussite éblouissante mais qui s’est juste ramassé lamentablement. Prévisible. On ne réussit pas en une fois et je suis là pour veiller sur elle, pour l’aider à se relever à nouveau, qu’elle se laisse pas abattre par ce premier échec, qu’elle ne perde pas espoir. Une aide discrète, invisible. Un soutien silencieux, lointain. « Ca va. » Mensonge répéter à longueur de temps, le plus gros mensonges que les Hommes sont capables de dire. Un homme âgé la bouscule, sans prendre la peine de s’excuser. Je sens mon sang ne faire qu’un tour, la colère qui me ronge la cervelle sentant mon cœur tambouriner contre mes tempes. J’aide la jolie métisse à garder son équilibre, ravalant mes dangereuses pulsions. « Y’a de sacrés connards mal élevés dans le coin ! » Dis-je assez fort pour que ma remarque lui parvienne à ses oreilles bien que ça ne l’empêche pas de tracer sa route. J’ai du mal à redescendre, à foutre dans un placard l’meurtrier qui se cache derrière ce gars normal. « Ouais, on s’tire avant que j’égorge quelqu’un. » Le pire, c’est que j’le pense. J’irai coller une baffe de cow boy au premier qui osera me faire chier, sans le vouloir ou non. C’est comme ça. J’ouvre la marche, passant devant afin qu’on puisse mieux se faufiler, sortir de cette tourmente infernale, de cet océan de touristes, de citoyens dans lequel on est entrain de se faire emporter et de se noyer. J’ai pas le temps de vérifier si elle me suit, si je ne l’ai pas perdu tellement que c’est galère. J’ai l’impression de pas en voir le bout et ça commence à me gaver sérieusement. Je pousse sans m’excuser, jetant des regards meurtriers à ceux qui oseraient juste penser à l’ouvrir. Des doigts s’enroulent autour des miens, un geste de détresse. Je sais, que c’est elle. J’aurais pu réagir impulsivement en m’arrêtant en plein milieu de cette mission de survie, en me retournant vivement, laissant une claque se perdre sur la personne qui a osé s’accrocher à moi mais je n’ai pas eu à me retourner pour vérifier, quelque chose en moi le sait que ce n’est personne d’autre que ma mortelle Gorgones, celle qui te fige en un regard. La seule qui a un tel effet sur moi. Elle s’accroche à moi comme quelqu’un qui prêt à tomber dans le précipice, à deux doigts de la mort, se tenant désespérément à la personne qui lui vient en aide, lui suppliant de ne pas lâcher prise. Je resserre mes doigts autour des siens, assez fermement pour ne laisser aucun geste brusque séparer ce lien et pour lui montrer que quoiqu’il arrive, elle ne se perdra pas parmi ce troupeau, qu’elle ne finira pas par se faire piétiner par ces affreuses créations de Dieu. Plus on s’avance, plus la proximité s’est réduite. Elle est proche de moi, je sens sa présence inquiète dans mon dos. On voit enfin le bout du tunnel et je lâche un long soupire, relâchant la pression, cette vive colère divine prête à s’abattre sur un pauvre passant qui n’a rien demandé à personne. Sa main est toujours dans la mienne, même si on est enfin parvenu à sortir, elle s’y accroche encore, comme si elle avait peur de me perdre, peur que je m’en aille, peur que je l’abandonne dans un monde qui n’est pas encore le sien, où elle mettra du temps à en faire parti. « T’es au bord de la crise d’angoisse là, tu me fais peur. » J’ai jamais réanimer personne, mon taf c’est justement de les crever et de m’assurer qu’ils finissent par rendre l’âme, pas qu’ils la gardent. J’ai même pas d’eau, ni rien à bouffer et j’ai pas envie de me retaper des kilomètres de stand pour obtenir un truc à manger ou même ne serait-ce que de l’eau. Je suis sûr si on marche un peu, on finira par tomber sur un bordel d’épicerie. Je l’emmène avec moi, en retrait où le monde ne s’accumule pas. Je finis par cesser d’exercer mon emprise sur sa main, me défaisant de la sienne sans la brusquer. « Assied-toi un peu. » Tant pis si c’est à même le sol, c’est mieux que rien et elle pourra reprendre plus aisément ses esprits. Mouvement de panique soudain, j’ai pas compris, ça m’a perturbé. De coup de fil aussi m’fout mal à l’aise et me retourne l’estomac au point de m’en donner la gerbe. « Il s’est passé quelque chose le temps que je m’absente pour que tu sois à deux doigts de clamser ou ? » J’me sors une clope, la coince entre mes lèvres avant de l’allumer. Je tire dessus sans grande classe, le mégot coincé entre mes lèvres, je recrache la fumée tout en rangeant mon paquet de clopes, plissant légèrement les yeux en sentant la fumée à l’odeur de tabac presque me flamber les narines. J’viens la coincer entre mon index et mon majeur, mon attention toujours portée sur cette délicieuse jeune femme. Je me sens impuissant, le mieux que je puisse faire c’est faire acte de présence puisque je ne suis pas censé savoir tout ça, le pourquoi du comment. Juste qu’elle a peur des hommes, c’est tout. « Je pensais pas que t’avais peur des mecs à ce point. ‘fin, là, c’est hommes et femmes. » La fourberie en personne.
Les doigts de Lemmy entourent les siens, et ce simple geste vaut mieux que tous les trésors du monde en cet instant. Elle se concentre, essayant de se calmer alors qu'elle sent la foule l'oppresser davantage. Il y a beaucoup de monde, à chaque tournant, on se frotte à elle, on la bouscule, on lui marche sur ce chemin. Les yeux fermés, se laissant guider par Lemmy, elle ne sait pas s'il s'agit d'homme ou de femme, simplement se retrouver au milieu d'une foule pareil, ça en devient écrasant. L'homme qui lui sert de guide fini par trouver un échappatoire, elle le suit sans demander son reste, priant pour qu'il la sorte de là. Ils sortent de cet enfers, leurs mains toujours liées l'une à l'autre. Elle le suit, ouvrant les yeux, constatant que cet endroit est fiable, sûr et surtout, bien plus dégagé. Tess ne le lâche pas, elle ne le veut pas. Il prend la parole, elle lui fait peur. Instinctivement, elle relâche sa main et semble confuse. « Non-non, c'est juste que... » comment expliquer ça ? Elle vérifie que son sac est toujours là, elle remet en place sa robe et ses longues tresses et puis continue « je... j'voulais pas t'inquiéter » lâcha t-elle comme une honte. Oui, elle avait honte. Tess avait toujours été complexée par ses angoisses, notamment sa phobie des hommes. Dans la vie de tous les jours, ce n'est pas simple. On ne peut pas se retrouver seule avec un homme, inconnu ou non, sans ressentir un sentiment d'angoisse, une peur qui nous fait trembler, qui nous fait transpirer, qui nous gêne. On ne rigole pas à toutes ces vannes lourdes qu'une femme peut entendre de son adolescence, à sa mort. Elle paraît pour une fille coincée, rigide, frigide même. Elle ne couche avec personne, elle ne peut pas parler de cul avec ses copines, elle ne peut pas expliquer pourquoi elle n'en parle pas non plus. Alors on la pense lesbienne, comme si c'était une tare, comme si elle n'assumait pas, alors que ce n'est pas du tout le sujet. Et puis après on dit d'elle qu'elle est bizarre, pas comme les autres, qu'elle a sûrement quelque chose qui ne va pas pour être toujours seule à trente ans, pour qu'on ne l'ait jamais vu avec personne. Et toujours ces vannes de cul auxquelles elle ne peut pas répondre, qu'elle doit faire sembler d'ignorer, auxquelles elle doit cacher son mal être le plus profond et ses souvenirs atroces qui la submergent à chaque fois que ce sujet arrive dans une conversation. Ce regard, ce sourire, cette haleine, ses mains, cette force, cette puanteur, ce poids lourd sur son corps adolescent, et cette douleur, vive, brûlante, arrachante, comme si on lui arrachait une partie de son corps, comme ça, d'un coup, sans rien. Alors oui, Tess avait honte de ses angoisses et ça la complexait depuis son adolescence. Elle avait honte de sortir dehors, surtout le soir, dans les bars, en festoch, ou en soirée avec des amis. Parce qu'il y avait toujours un mec, ou un moment gênant qui lui remettait tout ça en pleine gueule. Et même après sa magnifique soirée avec Lemmy l'autre soir, où elle avait cru tout ça derrière elle, elle se rendait compte que non. Quelques minutes seulement, sans lui, et la voilà de nouveau submergée. Comment pouvait-elle lui expliquer cela ? Ce sentiment de honte, d'être comme une enfant de quatre ans, d'avoir envie de pleurer tellement la peur se faisait ressentir ? Comment justifier d'avoir eu peur de la foule, des femmes, des enfants, des aliments présents ici ? Pourquoi cette réaction ? Il lui propose de s'asseoir, elle ne perd pas une minute et suis son conseil, c'était ce qu'elle allait faire de toute façon. S'installant sur le rebord du trottoir, son sac entre les cuisses, les genoux relevés, elle posa un coude sur l'un de ses genoux, reposant son visage dont le regard balayait la foule, en silence. Ils n'étaient pas dangereux, ils n'étaient pas lui. Pourquoi avait-elle eu si peur ? Etait-ce parce que Lemmy avait disparu comme ça, sans lui dire, et qu'elle avait eu peur de lui avoir fait peur ? De l'avoir aguichée ? Et se sentant coupable de ça, comment pourrait-elle lui en parler ? Lui en parler serait avouer avoir eu le sentiment de le séduire et de ne pas regretter tout de suite, du moins pas tant qu'il ne disparaisse. Elle ne pouvait pas faire ça... Il s'allume une clope et s'interroge alors sur sa crise de panique. Elle a honte, elle est même morte de honte. Son regard fui celui de Lemmy, elle ne peut pas relever les yeux vers lui, elle voudrait se cacher sous la terre, disparaître à son tour et ne jamais refaire surface. « Non... il ne s'est rien passé... » commença t-elle en étirant ses jambes devant elle, sur le goudron « je... » non, elle ne parvenait pas à lui expliquer. C'était trop bizarre d'expliquer ça comme ça, c'était pas comme ça que ça devait se passer. Elle se sentait nulle, elle avait cruellement honte, elle avait le sentiment d'avoir tout gâché. Cette journée n'aurait pas du se passer comme ça. Jamais. Il voulait savoir, du moins, il essayait de comprendre. Tess ne relevait pas les yeux vers lui, sentant l'odeur de sa cigarette lui chatouiller les narines. Elle fixait ses pieds qu'elle agitait nerveusement. « Je... j'suis désolée pour ça » lança t-elle alors, essayant de faire bonne figure. « Je voulais pas que ça se passe comme ça, je... » elle soupira un peu et ajouta encore « je pensais pas que je réagirai comme ça » marquant une pause, elle fit glisser ses mains sur ses cuisses, touchant le tissu de sa robe. « J'crois qu'à force de trop rester dans ma grotte... j'ai peur de toutes les ombres qui se reflètent sur mes murs » plaisanta t-elle en l'honneur de Platon. Oui, elle avait peur du monde extérieur qu'elle ne connaissait pas. Elle le fuyait, le plus possible, parce que tout était une agression pour elle. Quand elle allait dans un bar et qu'elle ne répondait pas aux avances d'un mec bourré, ou quand elle allait à une soirée et qu'elle se faisait draguer par un ami, d'un ami, d'un ami ; ou bien encore quand elle ne parlait pas de cul lors d'un apéro sur la plage, ou qu'elle n'avait rien à répondre à cette putain de question « alors les amours ? » IL N'Y A PAS D'AMOUR CONNASSE. Voilà ce qu'elle avait envie de crier, elle était incapable d'aimer qui que ce soit de cette façon et lui, là, ce Lemmy, il arrivait et il envoyait tout ça en l'air. Putain. C'était plus simple avant, quand elle s'enfermait dans sa grotte, chez elle, et qu'aucune question ne se posait. Mais maintenant il était là, et tout était en train de changer, et elle était perdue, elle ne savait pas quoi faire, ni dire, elle ne savait plus quoi faire du tout. Elle soupira et fini par se relever. Elle balança ses cheveux en arrière et lança alors, se forçant à sourire « mais ça ne va pas gâcher notre journée » elle passa sa main sur son front, il fallait qu'elle fasse bonne figure, il fallait qu'elle oublie, qu'elle continue, qu'elle persévère.
M’inquiéter. Ca résonne dans ma tête, comme un écho. Depuis quand je m’inquiète ? Pour quelqu’un que je connais à peine ? Ou même pour une personne autre que ma sœur. J’en frissonne, pinçant mes lèvres entre elles dans la plus grande discrétion. Elle a raison, je suis entrain de m’inquiéter. J’sais pas où me foutre, comment m’y prendre, quoi lui dire parce que j’ai jamais appris ça. Je mime simplement, je reproduis l’image que l’on me renvoie et tout ça artificiellement, par pur mécanisme, sans rien derrière. J’ai pas envie de faire la même chose avec elle, j’essaye mais j’ai juste l’impression que ça foire, que c’est clairement inutile. J’aurais essayé. Je suis pas doué pour ce genre de choses, on m’a montré il y a bien longtemps comment faire mais avec le temps, j’ai oublié comme j’ai oublié d’éprouver des sentiments. J’ai l’impression de réapprendre en compagnie de Tess, de redevenir humain, de ne pas être que ce monstre se tenant sur deux jambes assoiffé de sang, errant dans les ruelles, dépourvu d’âme. Quand je l’ai quitté, après cette soirée, tout m’a semblé redevenir normal. J’ai ressenti le poids de mon monde qui me pesait, ces douces voix qui m’incitaient au péché, le démon ressortir de sa cage et continuer à traquer, à souiller ses mains du sang de ses victimes, innocentes ou non. J’étais redevenu celui qui détruit tout ce qu’il touche, qui envenime rien qu’en échangeant un simple baiser, de simples paroles bourrées de venin mortel. Celui qui vous ensorcèle rien qu’en vous attirant dans ce regard captivant, d’un bleu perçant à vous en couper le souffle et qui détourne votre attention, laissant le piège se refermer autour de votre âme. Lorsque vous vous en rendez compte, c’est déjà trop tard. Avec Tess, je n’ai pas les mêmes attentions. Je les ai eu mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. J’ai envie de m’aider, d’aller vendre ce type à la flicaille ou de le faire disparaitre moi-même. Vis-à-vis d’elle, je ne le ferais pas. Elle le voudra certainement vivant pensant que la mort ne sera qu’une délivrance pour lui. Non. Il ne sera jamais assez puni comme il le devrait, même la torture psychologique ne sera qu’une douce punition à côté de ce qu’il a laissé derrière lui. Il a détruit une vie, une femme. Peut-être plusieurs, je n’en sais pas plus et honnêtement moins j’en sais, mieux c’est. Pour lui. Elle s’assoit sur le rebord du trottoir et je me grille ma clope, tirant dessus comme si ma vie en dépendait, comme si une longue putain de taf me redonnait de l’oxygène. Celui dont j’ai été privé en me noyant dans cette cohue. La gêne refit son apparition. L’ambiance est pesante, l’atmosphère carrément tendue. J’essaye de savoir, de lui tirer les vers du nez et ça semble être bien plus compliqué que je ne l’imaginais. J’laisse tomber. Je me bats pas autant d’habitude, j’suis pas patient sur ce genre de conneries. Elle me le dira en temps voulu, ou jamais. Je n’attendrais pas éternellement pour agir, le temps m’est compté et l’envie de me faire casser la gueule ne me plait pas vraiment. L’idée de le descendre, oui, mais encore une fois, ça dépend pas de moi. J’irai l’vendre à ce Cade ou à la flicaille et ce sans attendre. Il finira par nous filer entre les doigts et on vivra avec le regret, on se sentira con. Je reste silencieux, ne cherchant plus à comprendre, envoyant ce moment perturbateur aux oubliettes. Je me poste à côté d’elle tout en restant debout et je glisse ma main de libre dans la poche de ma veste, tenant le bâton à cancer entre mes doigts de mon autre. Mon regard se perd dans cet attroupement où l’on a cru ne pas pouvoir en sortir vivant. « T’as pas à t’excuser. » C’est pas de ta faute, si on a volé ta vie. Je ne détourne pas le regard de la foule pour autant, allant me perdre dans mes pensées rien qu’un instant. C’était trop beau pour être vrai, n’est-ce pas ? Sentir que tu t’envoles enfin, que tu sortes de chez toi sans avoir la boule au ventre ? Ca fait mal, de tomber hein ? Elle ne sera jamais seule, dans cette épreuve, dans cette phase importante du changement. C’est un avantage que je n’avais pas. Avoir une sœur, c’est bien mais ce genre de choses, tu peux pas lui dire, t’ouvrir et te confier. J’en ai tant chié pour la préserver aussi longtemps que je le pouvais, en la protégeant de notre père qui n’a jamais été violent avec elle. Pensez-vous, il l’achetait à la couvrir de bijoux qu’il lui ramenait lors de nos cambriolages, et autres cadeaux en tout genre. J’ai élevé cette gosse, je m’y suis peut-être pris comme un pied mais, j’ai fait comme j’ai pu. J’voulais pas qu’elle se retrouve entre de mauvaises mains. Alors, oui, j’ai été seul. Si moi j’ai réussi, elle peut aussi. « Tu t’es ouverte à moi. » Dit de cette façon, on dirait qu’il n’y a aucun rapport. Si. J’ai été un inconnu, elle a su rapidement se mettre à l’aide et placer une infime partie de sa confiance en moi lui prouvant juste que tous les hommes ne sont pas comme elle le pense. Je ne suis qu’un petit être humain, c’était plus simple à côté de tous ces inconnus présents mais si elle fait comme cette soirée là, en prenant sur elle, en voyant le monde d’une autre façon, elle réussira à faire un pas en avant. Si elle sort, si elle s’est avancée en premier lieu sans le moindre souci, c’est qu’elle peut le faire. C’est juste après que je me sois éclipsé que tout a commencé. Wait. A-t-elle eu peur que je me sois cassé sans rien dire ? Pourquoi aurais-je fait ça ? Elle ne m’a rien fait, ni rien dit. « C’est moi qui t’ait fait peur, dans la cabine ? » Et le pire c’est que, ce n’est qu’une infime partie de ce dont je suis capable. Il n’y avait que cette petite tension sexuelle qui nous rongeait l’estomac et qui rendait l’arrivée d’air bien plus difficile. Etait-ce déjà de trop ? Un défi qu’elle s’est lancée pour se prouver quelque chose à elle-même ? Je jette le mégot sur le sol, l’écrasant à l’aide de mon pied, serrant légèrement les dents. J’suis une foutue expérience, alors ? Elle finit par se relever, affichant un sourire forcé, à la limite du faux. Elle a déjà meilleure mine mais c’est pas encore ça. « T’as envie d’aller boire un truc ? On peut se poser à une terrasse, quelque part. » On retourne plus dans l’antre du Diable sauf si elle a envie de retenter, dans ce cas, j’attendrais sagement. J’risque de cogner quelqu’un et dans ces moments là, y’a rien qui m’arrête. « Ou alors t’as assez vu de monde pour aujourd’hui et tu préfères rentrer ? » Autant lui laisser le choix, qu’elle choisisse ce qu’il y a de mieux pour elle bien que j’ai encore envie de passer encore ne serait-ce quelques minutes avec elle, m’assurer qu’elle ne se laissera pas démonter par cet échec, qu’elle se ressaisira.
Elle n'avait pas à s'excuser, en tous cas, c'était ce qu'il disait. Lorsqu'il lui dit ça, à la fois sèchement et en même temps avec cette tendresse qui définissait chacune des paroles qu'il avait envers elle ; Tess ne pu que sentir son cœur se serrer dans sa poitrine. Si, elle devait s'excuser, parce qu'elle avait des défauts, des angoisses et qu'elle ne les assumait pas. Ca lui coûtait de savoir que des gens sont embarqués dans sa galère, avec elle. Ramant à ses côtés, suant d'inquiétude pour elle, alors qu'il ne lui devait rien. Il n'avait pas à s'inquiéter pour elle, parce que pour lui, elle n'était rien, ni personne. Ce n'était pas juste. Lemmy devait sans doute avoir ses problèmes, ses angoisses, ses interrogations, pourquoi devoir supporter les siennes ? Pourquoi n'avait-elle pas la décence de le tenir à l'écart ? Quelle égoïste, quelle ingrate, sa mère aurait eu honte d'elle. Un silence s'empara d'eux, alors que le brouhaha du marché les envahissait pourtant. Observant tous les deux la foule à défaut de croiser leurs regards ensemble, Tess ne su pas quoi lui répondre. Il reprit la parole après quelques secondes d'un de leurs fameux silences non gênants. Ce qu'il dit, donna à Tess la sensation d'un courant électrique léger, juste assez pour éveiller son corps tout entier. Oui, elle s'était ouvert à lui, ce fameux soir, le soir de leur étrange rencontre. Un pur hasard avait fait qu'ils s'étaient rencontrés, comme si c'était écrit. Et puis il y avait eu ce petit quelque chose d'assez magique pour qu'elle s'ouvre à lui, cet inconnu, alors que son meilleur ami depuis l'enfance n'était au courant de rien de tout ça. Pourquoi se sentait-elle si à l'aise avec lui, à ses côtés, à l'écouter, à lui parler, à rire et danser avec lui ? Il avait quelque chose de magnétique, elle était attirée par lui de toutes les façons possibles. Elle aimait discuter avec lui et plus elle le faisait, plus elle en avait envie. Elle adorait quand il la faisait rire avec ses blagues, où quand il paraissait aussi froid que la plus brutale des tempêtes, lorsqu'il n'était pas d'accord avec ce qu'il se passait sous ses yeux (comme dans cette foule où on l'avait bousculé un peu plus tôt). Elle adorait le voir sourire, avec sa fossette sur la joue qui se creusait. Elle aimait sa façon de danser, maladroite et en même temps... avec ce charisme qui remplissait tous les trous, toutes les critiques qu'on aurait pu en faire. Elle avait aimé son corps nu, aux reflets lunaires dessinant sur sa peau claire, des dessins s'entremêlant à ses tatouages. Elle aimait l'entendre rire, légèrement, ou même chanter sur ses chansons de rap. Et puis ses yeux... Ce n'était plus en être tombée sous le charme, c'était à en devenir la victime, la proie, la petite chose fragile. Ses deux pupilles azures auraient pu lui réclamer tout et n'importe quoi, qu'elle ne saurait y résister. Elle n'était ni à la hauteur, ni de taille à les affronter. Ses yeux étaient les plus beaux yeux qui lui avait été donné de voir. Et rien que d'imaginer devoir s'en passer à partir d'aujourd'hui n'était plus envisageable. Sa force, dans ses bras, quand il l'avait tiré de l'eau, ou qu'il l'avait porté jusqu'à chez elle, sa façon d'ouvrir sa porte défoncée, ou bien même ses mains sur sa peau lorsqu'elle... lui avait littéralement sauté dessus. Ses lèvres, si douces, si parfaites et ce baiser échangé entre sa cuisine et le salon... est-ce qu'elle l'avait imaginé ? Rêvé ? Halluciné ? Etait-ce l'alcool, la drogue, l'excitation du moment ? Le regrettait-il ? Tess oubliait parfois ce qu'il s'était vraiment passé ce soir-là, parce qu'avec lui, elle se redécouvrait. Elle n'était plus la même. Avec lui, elle se sentait plus forte, plus capable d'affronter la vie et ces vices. Elle avait l'impression d'être tellement banale, normale, sans histoires et c'était un sentiment tellement apaisant pour elle. Elle se sentait « mystérieuse et fascinante » quand il était là et elle le trouvait charismatique, charmeur, mystérieux et tellement fascinant aussi... Ce mec la rendait complètement dingue. Parce qu'elle avait envie d'être avec lui à longueur de temps, qu'elle se sentait tellement bien en sa présence, et qu'elle avait envie de plus. Plus elle avait, plus elle en voulait. Qu'avait-il de plus qu'un autre ? Là, parmi cette foule, qu'avait-il de plus que tous les hommes réunis ? Elle ne pouvait pas répondre à ça... mais c'était lui. Avec lui ça marchait, ça collait, tout semblait si simple, si naturel, si normal. C'était l'alchimie entre lui et entre elle. C'était la combinaison, la formule magique, la composition du plus étrange mais parfait des élixir. C'était comme ça, parce que c'était lui. Tess sourit et répondit alors doucement « c'est vrai » avant de sourire et de lever enfin ses yeux vers lui pour essayer de croiser son regard. Mais Lemmy était en contre-jour, si bien qu'elle ne vit par ses pupilles azures. D'un côté, c'était plus simple, d'un autre, elles lui manquaient déjà. Il l'interrogea alors sur quelque chose, qui lui paraissait totalement absurde. Est-ce qu'il lui avait fait peur dans la cabine ? Hein ? Mais non, pourquoi est-ce qu'il pensait ça ? C'était l'inverse plutôt non ? Tess fronça les sourcils et posa sa main au dessus de ses yeux pour se cacher du soleil, essayant d'y voir plus clairement le visage de Lemmy. « Hein ? Non au contraire... » eh merde. Comment avouer, sans vraiment le faire, qu'on a adoré ce moment là justement ? « J'pensais que c'était plutôt moi en fait... je... » elle baissa sa main, puis son visage et continua « je ne voulais pas te mettre mal à l'aise en fait » et putain ce qu'elle ne donnerait pas pour qu'il l'embrasse, là, maintenant, tout de suite. Elle en avait envie, et ça réglerait pas mal de questions, mais peut-être qu'il n'en a pas envie, peut-être qu'il voulait la revoir aujourd'hui pour lui rendre ses affaires et lui dire « aller, salut, à jamais ! » « J'ai eu peur de... de t'aguicher en fait et que tu te sois senti mal à l'aise, enfin c'est ce que je me suis dit quand je t'ai pas vu en sortant » lança t-elle franchement. Depuis leur rencontre, ils se parlaient franchement, autant continuer, non ? Elle avait le regard bas, fixant de nouveau ses jambes, comme si l'affronter lui était devenu trop compliqué. Elle avait atrocement envie de lui, il l'électrisait, il la ravivait, il la faisait se sentir vivante, dans tout ce qu'il y a de plus gnan gnan. Elle voulait être cette héroïne qui se fait embrasser devant tout le monde, elle voulait être cette personne spéciale pour quelqu'un. Mais Lemmy était un homme plus âgé, il devait avoir des centaines (hum.) de filles à ses pieds, il ne devait avoir que l'embarra du choix, pourquoi est-ce qu'il se ferait chier avec une fille qui ne supporte pas la foule et qui semble faire un malaise dès qu'il s'éloigne ? Mais quelle conne, quelle minable, elle n'avait aucune chance. Il écrase sa clope, elle se relève, elle veut passer une bonne journée malgré ce coup de mou. Et Lemmy a toujours été honnête avec elle aussi. Il ne serait pas là s'il n'en avait pas envie. Mais pourquoi disait-il de lui qu'il était mauvais la dernière fois ? Est-ce qu'il allait lui faire du mal ? Est-ce qu'il s'amusait avec elle ? Est-ce qu'il... est-ce qu'il quoi, Tess ? Il lui demande ce qu'elle veut faire. Boire un verre, ouais, une bonne pinte de bière bien fraîche mais dans un coin vraiment reculé, sans personne autour. Mais au lieu de ça, elle a surtout envie d'autre chose. Face à lui, essayant d'être le plus digne et fière possible après un tel échec sur le marché de Brisbane, la trentenaire fini par lui dire en soupirant « si tu savais de quoi j'ai vraiment envie, là tout de suite... ». Beh oui mais il était là aussi, avec sa gueule parfaite, ses questions parfaites, son comportement parfait et puis il y avait tous ces souvenirs aussi, de lui, de leur baiser, de sa force, de son regard, de tous ces moments si parfaits de la dernière fois. Il l'attirait comme jamais personne ne lui avait fait ressentir de tels trucs, sentiments et sensations. C'était physique, son corps réagissait à la présence de celui de Lemmy, elle avait la chaire de poule, son entre-cuisse s'échauffait et puis dans sa tête, c'était le Tchernobyl du sexe. Alors qu'elle n'y connaissait rien, qu'elle en avait peur, mais elle n'en avait pas peur avec lui. Loin de là. Parce qu'encore une fois, c'était lui, c'était spécial, c'était autre chose. Et quitte à être minable, autant l'être pour de bon, non ? Alors Tess lança doucement, comme une enfant qui aurait honte « j'veux dire c'est toi aussi là... tu fais tout pour me faire perdre la tête, t'es chiant » avant de sourire légèrement en pinçant ses lèvres dans une grimace qui signifiait : je suis mal à l'aise et maladroite et je sais pas comment te dire que tu m'fous dans des états pas possibles putain.