Encore heureux, les turbulences n’avaient pas entrecoupé notre discussion des bruits disgracieux et tout sauf nécessaires, quelques relents et autres maux de coeur de nos voisins. Oui, l’avion bougeait un peu plus, un coup d’oeil distrait par l’hublot confirmant qu’on se trouvait maintenant bel et bien au-dessus de l’océan, et tout ce que ça implique pour les batophobes de ce monde. Le vent craque sur les ailes, les hôtesses marchent dans l’allée, mais y’a pas grand chose d’autre qui capte suffisamment mon attention pour que je n’écoute pas ce que Sage a à me dire, ce qu’elle affirme l’air décidé et le sourire aux lèvres. « Of course. Sinon ça sera pas fun. » rester dans la dentelle n’était pas ma marque de commerce, écrire pour écrire ne le deviendrait certainement pas non plus. J’avais envie de provoquer depuis que je savais marcher, j’avais appris à parler pour insulter le plus méritant et c’était pas dit que mon premier roman - et peut-être même unique, qui sait - ne se retrouverait pas coloré et infusé de tout ce que ma verve acide et mes jugements rapides à la clé avaient de bon à offrir à la littérature moderne. « Et ça sera pas fun non plus de vous le dire aussi vite dans le processus. »  que je précise, voyant bien que mes réponses ne lui suffisent pas, tout autant que le coup d’oeil brillant qu’elle me lance me confirme qu’au moins, son intérêt est assez titillé pour qu’elle ne roule pas des prunelles en pensant à un nouvel appel - et à annuler un contrat qui n'en est même pas encore un.

Avec un peu de chance, à son retour en ville elle synthonisera le podcast où je prête ma voix, lira mes rubriques, verra un peu à qui elle a affaire. Cette personne qu'elle décrit déjà si bien que j'en suis presque émue. « Présomptueux, condescendant, prétentieux, et tout autre synonyme. » j’énumère, me calant dans mon assise au même moment où on annonce que les agents passeront entre les sièges prendre les commandes de ceux et celles qui veulent se gaver de sandwichs hors de prix et de croustilles à étaler en plusieurs paiements. J’en profite pour dégainer à nouveau le menu alcoolisé. Sans attendre vraiment une réponse de sa part, ou en me répondant moi-même par la plus grande des flemmes, je poursuis en vrillant mon regard dans sa direction plus honnête encore maintenant que je ne l'ai été depuis tout le début de notre conversation. « La différence c’est que vous et moi, on le sait d’emblée, contrairement à tous les auteurs qui se noient dans leur vantardise au quotidien. » combien d’écrivains se la jouaient pédants au possible, introvertis et égocentriques à outrance, avides de popularité et de sensationnalisme au quotidien, à même de prendre leurs lecteurs pour des cons de première, des aveugles qui n'y verraient pas dans leur petit manège? Je savais que ce que j’avais en tête allait piquer, j’étais consciente que ce que j’allais raconter et les tournures que j’y donnerais habilement feraient jaser. Tant mieux. Tout marketing est bon à prendre. « Pour sûr. »  et si j’ai réussi à la convaincre de voir le potentiel d'un truc qui n’est encore qu’embryonnaire, c’est tout sourire que je tapote la poche de mon jeans où se trouve maintenant bien précieusement sa carte d’affaires. Je la recontacterai. « Vous avez bien vendu votre salade. » presqu’autant que moi, je vous aie vendue la mienne, que je me retiens de compléter.  

Elle était franche. Elles étaient deux. Cette collaboration ferait du bien à Sage. Cela changerait de ces petits gosses à papa qui espéraient pouvoir se la couler douce en écrivant un navet et en vivant des bénéfices. Le rêve de tout bambin qui pensait que la paresse pouvait être productive. Ici au moins, Ariane était une challengeuse et ça c'était plaisant. «Non, évidemment! Laissez-moi quelques surprises!  » fit Sage comme si cela coulait de sources. En vérité, elle détestait ça. Son boulot c'était de tout anticiper afin de ne pas se retrouver avec un procès sur le dos. Et les peurs des écrivains... c'était dangereux. « Enfin... pas une trop grosse de surprise. Je préfère ne pas vous voir attraper la craintivite à la mi-chemin. » Cela s'entendait mais elle venait de dire que les surprises étaient attendues alors autant ne pas laisser un malentendu s'installer.

Un rire sincère s'échappa du gosier de Sage. Tous les adjectifs qui venaient d'être donnés avaient le mérite d'être clairs et totalement conscients de leur ambition. Au moins, Ariane ne se faisait pas d'illusion. Elle plairait aux lecteurs, c'était à n'en pas douter. « Tant que vous assumez, le reste m'importe peu au final.  » Elle refusa l'hôtesse qui tentait de lui refiler de la marchandise à trois fois le prix normal et s'enfonça dans son fauteuil. Elle allait être totalement déboussolée par le jet lag si elle ne se reposait pas. « Bon vous avez ma carte de visite... Je vais pieuter un moment même si cela pourrait paraître malpoli. » Elle lui adressa un sourire avant de conclure « Si vous avez des questions supplémentaires, vous m'appellerez au pays. Ici, ne me réveillez que si l'avion commence à couler et que l'eau est en train de me lécher les pieds. » Elle marmonna un 'ravie d'avoir fait votre connaissance' tout en rajustant son cache oeil. Quand l'appareil atterrit, Sage se réveilla spontanément sans que personne ne le lui dise. Elle avait appris à gérer tout cela pendant qu'elle était en Irak. Les trajets étaient souvent les seuls moments où elle pouvait se reposer. Ils étaient inconfortables et il fallait savoir se réveiller frais si l'on tenait à la vie. Elle se réveilla donc sans souci, jeta un regard sur la rouquine qui n'avait pas bougé et lui tendit la main au moment où elle se leva de son siège. « A très bientôt j'espère. » Son sourire chaleureux ne laissait place à aucun doute, elle était sincère.