Le pub qu’on avait choisi pour se poser ce soir grouillait de monde. Ça faisait nettement du bien de voir des visages, même inconnus ; et surprenez-vous pas, ce genre de commentaires vous l’entendrez que rarement - que dis-je, jamais - sortir de ma bouche de misanthrope. Néanmoins, à force de cumuler les kilomètres, les toilettes de station service et les panneaux de circulation, un peu de vie sociale donnait l’impression qu’on était presque des locaux, l’accent coupé au couteau, la mauvaise dentition et les vêtements trop cintrés pour être confos en moins. « Respire dude, le festival commence que dans une semaine. » face à moi, c’est Kane, l’irréductible, l’irrécupérable. Kane avec des yeux brillants chaque fois qu’une nouvelle chanson poppe sur la radio, devant qui je roule des yeux (sourire amusé subtil, tout de même) parce qu’il devrait pas tant s’émerveiller lui qui est à la base de ce même mixtape et qui en connaît donc déjà logiquement tous les secrets.
Mais il vit un rêve le gamin, il est en plein dans son élément, il en parle tellement de ce festival et de Leeds et du United Kingdom et de ce voyage-souvenir-c'est-comme-avant-Ariane-mais-en-mieux-et-en-trop-court que voilà, on peut pas vraiment lui en vouloir. Je peux pas vraiment lui en vouloir. Même s’il me baratine avec ça tout le long du roadtrip - même s'il me donne assez de contenu pour que la seule envie de me pointer au moindre show listé sur le lineup me fasse chier plus qu’autre chose et que je préfère rester hors des plaines en extérieur juste pour le faire ronchonner. « Ok, ok. » mais c’est de Williamson dont on parle. Le blondinet aux pommettes rosies par sa passion pour la musique. Le bambin d’à peine mon âge qui multiplie les orgasmes auditifs dès que l’un de ses quarante mille milliards de bands favoris entame un des solos qu’il connaît lui-même par coeur - et qu’il siffle simultanément. Been there, done that. Je savais dans quoi je m'embarquais quand j'ai réservé le siège à côté de lui dans l'avion, quand j'ai associé mon nom à la location de notre véhicule de fortune, quand j'ai booké un mois de vacances pour être ici aujourd'hui. « T’as 5 minutes pour hyperventiler comme il faut. »
Ce même Kane contre qui je suis jamais vraiment fâchée, ni même en rogne, ni même exaspérée. Don’t get me wrong, J’ADORE le mettre à mal en feignant d’être blasée par son enthousiasme et sa naïveté de Bambi, mais entre vous et moi, il m’attendrit plus qu’il ne le réalise, et je lui cède comme une maman cède à fiston devant l’étalage de bonbons - ou le rayon des alcools forts, tout dépendant le style de mère auquel vous avez droit. « Et après tu vas me chercher une autre pinte. » le truc, c’est juste qu’il ne le réalise pas trop vite, et qu'il continue de se plier au moindre de mes caprices. Pourtant, avant que le pompier ne s’emporte sur les headliners comme autorisé plus haut, je ressens le besoin de lever ma paume en l’air, d’attirer son attention sur le plan de match du soir. Parce que nos habitudes de voyageurs de grand chemin nous ont rattrapées plutôt vite, et que si jadis les commodités du climat sympa et bien chaud de l’Australie ne nous avaient jamais tenu rigueur, là, on peut pas tant se la jouer bohème, ou du moins, on a un ou deux checkups à faire avant de reprendre la route ou de décider de stagner comme piliers de bar ce soir, et les suivants. « Tu préfères qu’on dorme dans le parking cette nuit, ou on s’autorise une douche à l’auberge d’en face? » en soit, cumuler quelques heures de sommeil dans le van me rappellera toujours de bons souvenirs, et même s’il est loin de la confortable et tellement hipster caravan qu’on avait y'a des années pour longer la côte australienne, notre véhicule pour les semaines à venir est totalement potable pour y vivre. Haussant tout de même le bras à l’intention de Kane pour qu’il renifle mon aisselle avec toute la grâce que je lui connais, j’attends le verdict. « Pour le moment, j’pense qu’on pue pas tant que ça. Du moins toi, ça a déjà été pire. » joignant les mots au geste, je me penche à la hauteur de sa nuque pour l'humer bruyamment, assez pour qu’il semble inconfortable. Ou a-t-il seulement déjà été confortable avec moi dans les parages?
Peut être qu’un jour je ferai un voyage avec superbe hôtel ou villa pour se reposer comme il se doit dans un beau cadre, mais tout porte à croire qu’être sur les routes c’est ce qui m’attire le plus. Je me sens partie intégrante des lieux qu’on visite, comme des locaux. Avec les galères qui vont avec, c’est ça le plus mémorable quand même. Faut l’avouer. Avec Ariane, tout est tellement plaisant, cette fille me fait délirer en tout moment. Toujours le bon mot, mais surtout la bonne pique, faut appeler un chat un chat. Je suis immunisé par ses remarques, je ne les prends plus au pied de la lettre. Elle me fait surtout rire. Il fut un temps c’était autre chose, mais on se connait depuis tellement d’années, je suis à l’aise à ses côtés, en toutes circonstances. Elle m’amuse énormément et sa capacité à toujours avoir la bonne remarque en bouche me fascine. Elle fait partie de ces femmes avec qui je ne réalise toujours pas avoir eu la chance de passer un moment charnel. Elle m’impressionne de par sa personnalité et je me sens souvent assez petit à côté d’elle. Un peu comme Lene. Mais je dois bien me rendre à l’évidence, j’ai un certain charme qui a réussi à les rendre faible à un moment de leur vie (même deux pour la Adams et non, je n’espère pas secrètement que l’adage « jamais deux sans trois » soit une réalité implacable). Je suis sûr qu’en fait j’étais simplement au bon endroit au bon moment. Ce n’est pas mon talent de séducteur qui a joué dans l’affaire.
En attendant, on est dans un pub super cool, à Derby. On se rapproche de Leeds de jours en jours. Et quand bien même on a encore Nottingham, Sheffield et Manchester à faire avant d’arriver à destination, je suis comme un petit fou. En plus Ariane me remémore que Leeds c’est bientôt, je crois que je vais mourir parce que mon coeur bat trop vite. J’essaie d’ignorer que c’est du You Me At Six qui passe en fond sonore. Je me suis déjà trop excité sur les chansons qui passent à la radio depuis qu’on a posé un pied sur le sol anglais.
« Non mais tu te rends pas compte. On est à Derby ! La ville du Download !! »
J’ai l’impression de faire un pèlerinage depuis qu’on est arrivé. A chaque fois j’associe l’endroit avec un groupe ou un festival que je chéris. Elle doit trop en avoir marre de moi. Elle m’accorde cinq minutes pour faire le fanboy, mais je crois qu’elle est trop optimiste. Je suis du genre à pas arriver à dormir quand je suis excité comme ça. Trop d’émotions. Je sors mon téléphone pour prendre une photo d’un cadre au mur pas loin où le nom de la ville est écrit. J’ai déjà pris une photo avant d’entrer dans le pub, une autre, discrètement sur la route quand la ville de Derby était annoncé. Ariane me voit faire mon petit manège avec mes photos (oui je suis en train de faire une selfie maintenant, prenant soin que le mot « Derby » soit bien visible avec mon plus beau et grand sourire plaqué sur mes lèvres), elle me demande d’aller lui prendre une pinte quand j’aurai terminé ma séance.
Je tente de redescendre sur Terre afin d’écouter ce qu’elle a à me dire, mais je suis toujours en ébullition. Dormir à l’auberge ou dans le van ? Je fais tellement un avec Derby que je m’imagine passer la nuit à arpenter les rues pour m’imprégner encore plus de cette ville. J’arriverai pas à dormir de toute façons. Elle mentionne l’hygiène et c’est vrai, que c’est un bon point. Je respire son odeur corporelle et ça va, j’hausse une épaule. Elle se met à m’humer à son tour et j’aurai dû le voir venir.
« Ils ont fait des progrès en matière de déodorant depuis 8 ans. »
Mon téléphone encore dans ma main, je cadre Ariane pour avoir un souvenir d’elle aussi dans ce lieu que j’aime déjà plus que mon propre frère. Je m’arrête avant qu’elle me mette un coup, j’ai pris assez de photos comme ça pour cette première demi heure.
« Une pinte on a dit ! C’est parti ! »
Et je file au bar sans qu’elle puisse ajouter quelque chose. Le barman remarque mon accent et je commence à lui parler de mon road trip en UK, de mon amour pour le Download Festival. Il me dit qu’il y va tous les ans et je le regarde avec des yeux en coeur. Je reste bien dix minutes de plus à discuter avec le mec une fois que mes bières sont servies et payées.
« Ils sont long à servir… »
Parce que ça fait bien un quart d’heure ou vingt minutes que je l’ai abandonné pour le bar. Je reprends bien vite la parole pour ne pas qu’elle puisse faire une remarque, parce que JE SAIS qu’elle n’a rien loupé de mon échange.
« Bon et donc j’ai réfléchit… »
Parce qu’au milieu du récit de John, ses anecdotes et combien c’est une bonne idée d’investir dans une batterie solaire pour les festivals, il y a eu des trucs intéressants. Utiles. J’avale une gorgée de ma bière avant de continuer.
« On peut aller prendre une douche chez John avant d’aller visiter Derby by night, jusqu’à l’aube. »
C’est une petite ville et je pense qu’en trois heures ça sera bouclé, mais avec Ariane et notre folie combinée, je pense qu’on peut aller jusqu’à cinq heures de fun.
« Ca nous fera gagner quelques heures sur notre planning et on pourra passer plus de temps à Sheffield. »
Oui ce n’est pas complètement innocent cette proposition. Je vais carrément plaider ma cause pour qu’elle accepte cette proposition.
« Je conduirai comme ça tu peux dormir dans la voi-. »
I WAS A LIAR. I’LL NEVER BE HOLY IN YOUR EYES BUT YOU’LL NEVER BE EITHER ! Holy de Deaf Havana commence dans les hauts parleurs et je ne peux pas retenir un cri.
« OH MON DIEU !!!! »
Je ne l’avais encore jamais entendu ailleurs que sur mon Spotify. Je pensais qu’il n’y avait que Sinner, le premier single, qui passait à la radio. Je suis pétrifié par la surprise et le bonheur intense qui me parcours. J’en arrive même pas à sortir les paroles tellement je suis sur le cul. Ariane a bouffé pas mal de Deaf Havana sur les routes avec moi depuis le début du trip. Pas de ma faute si c’est mon groupe favoris et que l’album vient tout juste de sortir.
Dernière édition par Kane Williamson le Mer 19 Déc 2018 - 15:52, édité 2 fois
Et il lance le moulin à paroles comme s’il n’y avait pas de lendemain. Kane dans toute sa splendeur qui s’emporte et s’enflamme, un peu comme à chaque fois que sa chanson passe à la radio, qu’un refrain qu’il connaît le surprend au détour d’un changement de chaîne, qu’il se retrouve dans 87,35768% des paroles de tous les tubes de ses groupes préférés, all day everyday. « C’est ce qu’on m’a dit, ouais. » en soit, je comprends un peu d’où il vient. Le pauvre, il marinait ce roadtrip depuis plus longtemps que ses pulsions sexuées pour Wendy, c’était pas rien. Il en rêvait, il en parlait, il en bavait, et chaque occasion était bonne pour dire qu’il partirait un jour, qu’il ferait les routes et les campagnes, les festivals et les villes. Comme à l’habitude, comme entre nous deux, y'avait tout de même fallu que je sois le capital action de la chose, le poussant à bout autour d’une bière dans un pub relativement similaire y’a quelques mois. On part ou tu continues de t’émoustiller sur les headliners pour les trois prochaines décennies en regrettant toutes ces années plus tard d’être vieux et croûlant et sourd et de pas pouvoir y aller, quand avant t’étais canon, libre, et relativement motivé? - voyez le sarcasme. J’avais booké les billets dans son hésitation, trouvé quatre véhicules possibles dans ses premiers doutes, déniché un top 10 d’endroits où camper sur la côte pendant qu’il se demandait s’il laissait assez de pourboire à la serveuse, ou si son karma y survivrait pas. Le 5 minutes écoulées, je lève mon bras et le sien, m’assure d'inspirer ce qui s’y cache, confirme que pour deux loques depuis quelques jours, les toilettes des stations-services sur les kilomètres parcourus ont fait le boulot. « Ou on vieillit et notre odorat en prend une claque. Une option ou l’autre, j’aime à croire qu’on sent l’aventure et les décisions irréfléchies. » jouant des sourcils, je m’installe plus confortablement dans la banquette alors que le blond part en quête de houblon, et d’un sursis de ma part. Il est docile le chaton, je ne l’aime que plus pour ça. « Pique une brochette de fruits aussi. Et des noix! » parce que s’il a décidé de se plier à mes demandes, faut au moins tester jusqu’où il est prêt à aller.
Perdant mon regard sur les différents clients du bar, sur les télés suspendues, sur le potentiel de l’endroit, je remarque pas à quel point fanboy numéro un s’extasie avec le barman, encore moins lorsqu’il revient tout guilleret à la table, pose mon verre devant moi, et lance un “j’ai réfléchi” qui sonne presqu’aussi dramatiquement à mes oreilles que quand je le dis à un type qui s’accroche trop. « Here we go... » le plan de Kane n’est toutefois pas mauvais du tout et plus il m’en parle, plus j’hoche de la tête, nous voit bien en mode visiteurs de la nuit. De toute façon, à ce rythme-là on va devoir revoir les priorités et s’assurer de vraiment passer du temps qu’aux endroits qui le font sourire vraiment bêtement, et pas qu’un peu. Pour ma part, je suis pas difficile - étonnamment - et encore moins chiante pour les arrêts, le parcours du touriste. Je me greffe, je fais mon affaire, je suis, prend une ou deux photos pour le potentiel inquiet de Nadia, et passe au suivant. C’est vraiment Kane qui a le contrôle de où et quand il veut se poser, et j’agis à titre de rabat-joie de service lorsqu’il se transforme en licorne gambadant loin de son planning de base. « John, hen. » rien à redire sur l’horaire qu’il propose, j’acquiesce, maintenant levant mes pupilles intriguées vers son nouveau pote, celui à la douche apparemment. J’allais demander quelques détails de plus pour la science, avant que l’infirmier m’éclate les tympans sur un couplet que je ne connais que trop bien et limite, que j’aurais pu crier tout autant que lui, ironiquement parlant on s’entend. Et non, ce n’est pas ma tête qui dodeline au rythme de la mélodie, vous faites erreur. « Danse, chante pour moi. Allez, petit pantin! » à la place, je m’esclaffe, pousse la blague, l’invite à se lever, à donner un vrai spectacle et pas juste une entrée du bout de sa chaise. « C’est son groupe préféré? » qu’une voix masculine finit par lancer à mon intention, John qui se faufile dans notre booth, qui lorgne sur Kane, puis sur moi. « T’as pas idée. » et j’accorde toute mon attention à mon ami qui vit sa quatorzième transe du jour, rien de moins. « Moi c'est John. » le voilà qui tend sa main dans ma direction, espère que parce qu’il troque sa barre de savon contre notre propreté je lui fasse un traitement de faveur, espère que je le détaille plutôt que j’accorde mon intérêt unique et dédié à Williamson la groupie. « Je sais. » un sourire net et il part servir d’autres bières, un dernier coup d’oeil par-dessus son épaule et il flotte, ambiant, loin de notre table. « Ton John, il va coller à Derby ou il reste derrière? Parce que même si t’es pire qu’une adolescente en chaleur, j’préfère quand on est en duo que quand on a une third wheel. »
L’aventure et les décisions irréfléchies, elle a dit les mots justes. Ca nous caractérise parfaitement. Je trouve que c’est beaucoup plus fun comme ça. En même temps j’ai jamais vraiment goûté à autre chose niveau escapades. On est parti en vacances quand j’étais petit avec ma famille et ça c’est encore autre chose. J’avais pas vraiment mon mot à dire, je suivais. Même si c’était toujours des bons moments. Je préfère quand c’est pas juste des vacances pour aller s’allonger sur le sable blanc d’une plage pendant dix jours. Faut que ça bouge.
J’entends les ajouts de Ariane sur sa commande au bar et je lui jette un dernier coup d’oeil avec un regard amusé. Il n’empêche qu’au cours de ma conversation avec John j’ai mentionné des cacahuètes mais il n’en avait pas à me passer. Dommage. J’aime bien faire plaisir à Ariane, même quand elle fait exprès d’en faire trop. Je suis trop généreux et j’aime cette fille, ça me fait plaisir de lui faire plaisir.
Coupé en plein milieu de ma phrase par la magnifique voix de James Veck-Gilodi, Ariane m’encourage à danser, à chanter, mais je suis figé. Une main posée sur ma poitrine, c’est comme si j’allais finir par m’effondrer suite à ce moment fort en émotions. Je n’ai pas la force de danser mais je chantonne les paroles sans vraiment y croire. La chanson random de l’album qui passe dans un pub. Le truc qu’on verra jamais en Australie. Je suis dans ma bulle et je remarque à peine le passage de John à notre table car mes yeux sont fermés régulièrement afin de m’imprégner le plus possible de la chanson que je connais par coeur.
Quand elle se termine, je redescends de mon nuage. Ou pas, parce que Dumb de Lower Than Atlantis retentit ensuite. On a vraiment trop bien choisi le bar. Mais si je suis de nouveau moi même, autant que je puisse l’être. Je bois une longue gorgée de ma bière alors que la rousse me demande à propos de John.
« Je pensais juste utiliser sa douche, pourquoi ? Il t’a dit un truc ? Parce que juste nous deux ça me va très bien aussi. »
Je me lève de mon siège pour m’approcher de la miss et lui faire un gros bisou sur la joue. Un élan, oui, on peut appeler ça comme ça. Je suis juste trop heureux et je sais que c’est grâce à elle que tout ça est en train de se passer. Je ne lui laisse pas le temps de répondre et reprend, en émettant mes hypothèses sur la question.
« S’il se fait trop collant on lui fera gentiment comprendre qu’on est pas intéressé… Mais en fait c’est sûrement toi qui lui a tapé dans l’oeil. C’est sûr. A moins que… »
Je me tourne vers le bar et je remarque qu’il est en train de regarder vers nous à ce moment là. Oups. Il m’a cramé tout de suite. Je lui fais un grand sourire et un signe de la main pour pas passer pour un creep.
« Ou peut être que c’est moi qui lui plaît. »
Je ne suis pas doué en terme de gaydar, c’est pas du tout mon créneau. J’ouvre de grands yeux, l’air effrayé.
« Ou pire. Il fantasme sur nous deux. Il va nous enfermer dans son château et nous utiliser en esclave sexuel pour le restant de nos jours. »
Je me mets à rire après ces hypothèses et je secoue la tête en regardant la belle.
« Si jamais tu le sens pas on peut aller à une auberge. Y’a pas de soucis pour moi. »
Je veux pas qu’elle soit pas bien. Je sais que Ariane a de la ressource, enfin, plutôt, elle laisse penser que c’est une dure à cuire. J’aime bien croire qu’au fond elle est beaucoup plus fragile qu’elle ne le laisse paraître, alors je prends les devants, au cas où.
« On a pas de cacahuètes mais y’a une assiette de frites qui a été préparé en trop alors… Cadeau. »
Ca, c’est John qui vient d’apparaître à notre table dans mon dos, une assiette de frites à présent sur notre table. Je me demande combien il a entendu de notre conversation. Je le sens mal. Je regarde Ariane alors que mes joues deviennent écarlates d’un coup. Holy shit.
Kane qui babille comme un gamin, Kane et ses yeux brillants, Kane et ses joues rosies, Kane dans son élément. « Nous deux dans sa douche, ou toi et lui sous le pommeau? Soit clair, use your words. » pendant qu’il s'extasie sur le sujet John et les avances que j’ai dépeintes, je m’amuse comme une fillette sage 364 jours par année le matin de Noël, alors qu’elle s’autorise de secouer tous les cadeaux, de déchirer le coin des emballages. Imaginer le barman dans les bras de Kane, ou alors l’inverse, lequel serait top, lequel bottom?, me file l’un de ces grands sourires, de ceux qui augurent mal, de ceux qu’il connaît par coeur parce qu’ils viennent tout juste avant une bêtise signée Parker. Mais je le laisse paniquer tout seul, je le laisse faire, gobe une gorgée de bière, lorgne vers J. qui sert tout bonnement ses pintes, s’occupe comme il peut. « Pire? On vit dans une ère où c’est cool de dire qu’on est gay, ou encore mieux, qu’on est socialement bi sur Pinterest. » elle est naïve Ariane, elle force la note, elle roucoule avec sarcasme, et elle pique juste assez de ses grands yeux bien ouverts et sa mine de sainte. Puis, je m’emmerde à observer l’autre travailler, alors que Kane lui s’éclate, et qu’entre un baiser sur ma joue et un bras autour de mes épaules je me demande l’espace d’une fraction de seconde s’il marque son territoire pour que John sache qu’il a pas affaire ici. Cutie, pas nécessaire, mais cutie. « Nah, chez lui la douche est gratuite. On sera pas cons non plus. » j’hausse de l’épaule, pas totalement convaincue que ce soit judicieux de commencer déjà à dépenser du fric quand on a des offres à la clé. D’emblée, je serai toujours celle qui grattera tant qu’elle a pas à sortir sa carte bleue ou ses billets, et donc, l’équation est rapide dans ma tête. Et si son nouveau pote tente de se faire la main sur ma fesse, il se fera les dents sur mon poing.
Coup de théâtre - ou occasion parfaite pour voir Kane s’étouffer dans son oxygène - et voilà John qui vient nous acheter avec des frites, et qui a sûrement entendu une bonne partie du plaidoyer à lui voir la tronche. « Sois honnête. » pas le temps de jouer la carte de la subtilité, et puis de toute façon, on m’a toujours dit qu’être franche était toujours la meilleure façon de se comporter dans la vie. « Hum? » oh qu’il rend pas la tâche facile en faisant l’ingénu, en flirtant avec l’innocence pure et dure - et lame. « Tu le veux lui, tu me veux moi, ou tu nous veux tous les deux? » j’attends même pas que Kane se volatilise, implose de l’intérieur, se cache dans mes jupes ou toutes ces réponses. Allez Kanichou, fais-moi un beau spectacle de honte level 1000. « Y’a un 4e choix? » intérêt piqué, sourcil arqué, et j'ancre mon menton dans ma paume de ma main avant de le détailler d’un coup d’oeil. « J’suis prête à lâcher les accusations si tu m’amènes du ketchup. » comme c’est facile, ce soir. Entre Williamson qui va me chercher ma bière, et John qui se croit maître du jeu en me ramenant des sachets tomatés, j’ai bien l’impression que ce voyage sera tout à mon honneur.
J’ai découvert l’existence d’un jukebox des temps modernes dans l’angle juste à côté des toilettes quand je débarque à la course à notre banquette, attrape le poignet de Kane en panique, l’attire vers la machine en brandissant des tas de pièces de mes poches jusqu’au distributeur. Il a le choix de tout ce qui touche de près ou de loin à Avril Lavigne, No Doubt et les White Stripes, je veille au grain. Entre tout le début des années 2000 qui résonne à travers nos oreilles, y’a maintenant John qui réapparaît pour une troisième fois, trousseau qu’il fait tinter sous notre nez. « Mes clés. » « Alors, tu viens, ou pas? » appuyée sagement sur le mur face aux garçons, j’ai laissé le temps au houblon de faire son effet, et je me découvre une patience encore insoupçonnée. Ou alors une curiosité maladive de voir comment il compte s’y prendre s’il veut mettre le blond dans son lit. « Parce que sinon on risque de fouiller dans tes affaires. Et par on, j’veux dire moi. »
Ariane a l’air bien convaincu de cette douche entre John et moi. Est-ce qu’elle est en train de fantasmer ouvertement sous mes yeux ? On dirait bien. Ca ne m’étonne pas du tout que ce genre de délire l’intéresse, mais très peu pour moi. Ca n’empêche que ça me fait un peu rosir cette histoire. John est plutôt mignon mais je n’ai pas du tout de vibes de ce genre en ce qui le concerne. Je ne suis pas fermé à l’éventualité d’une expérience avec un homme un jour, mais faudrait qu’il m’attire un minimum quand même. J’en oublie Wendy dans tout ça. Wendy avec qui je suis officiellement en couple depuis peu. Est-ce qu’elle m’en aurait voulu de m’être laissé aller avec un mec juste pour essayer ? Je lui poserai la question un jour si ça me revient.
J’ouvre de grands yeux quand mon acolyte est outré par mon choix de mot.
« Oui ! Pire ! Je te parle de finir esclave sexuel ! Je sais que c’est pas une tare d’être bisexuel, tu m’as pris pour qui ? »
Et là, je me dis qu’elle ne faisait certainement que me taquiner et j’ai plongé tête baissée. Ca ne me changera pas de mes habitudes. Je suis trop crédule pour mon propre bien. J’essaie de m’améliorer sur ce point mais je tombe toujours dans le panneau régulièrement. Ma solution pour pas me faire avoir, c’est rester silencieux, mais avec Ariane c’est impossible, j’aime trop la conversation avec elle.
Elle est opérationnelle pour la douche chez John, pointant du doigt qu’elle sera effectivement gratuite. Très important la notion d’argent. Je ne suis pas encore riche, alors il n’y a pas de petites économies, surtout que je suis déjà en train de me prévoir un retour en UK une année future.
John. John est là, derrière moi. John est là derrière moi alors que je l’ai qualifié de bourreau sexuel. Oh god. Je suis déjà écarlate alors que je n’ai aucune idée de ce qu’il a entendu. J’essaie de la jouer chill mais c’était sans compter une Ariane qui met les pieds dans le plat sans perdre une seule seconde. On peut dire que j’ai le visage en feu.
« Ariane !! »
Je suis outré. Choqué. Mal à l’aise. Mais pourquoi je suis étonné ? Franchement c’est d’Ariane qu’on parle là. Ok, je suis aussi légèrement amusé. Mais le ratio d’amusement par rapport à celui de l’embarras est beaucoup trop faible. Pauvre John qui est juste gentil avec nous, avec sa douche gratuite, ses frites gratuites, c’est un vrai, on le valide le John. Heureusement ce dernier a l’air de s’amuser de la situation. On valide doublement. Ariane ne va pas trop loin, dieu merci, me voilà rassuré, elle ne veut que du ketchup. Je prends bien soin de ne pas formuler un seul mot dans tout cet échange, je ne veux pas me faire remarquer et me prendre des réflexions plus ou moins douteuses de la part de Ariane. Je suis sûr que quoi que je dise, elle trouverait une façon de le détourner pour me faire rougir encore plus. C’est son but dans la vie je crois, me mettre mal à l’aise. J’aimais bien dire que j’étais passé au dessus parce qu’on se connait bien depuis le temps mais c’était sans compter les situations comme celle là. Mon nez dans mon verre, je pique une frite et encore, j’ai hésité avant de faire ce mouvement parce que ça me fait sortir de mon espace de confinement.
Un peu plus tard, Ariane m’entraine vers un coin que je n’avais pas encore scruté du pub. Y’a un Jukebox ! Mes yeux s’éclairent d’un coup. C’est comme si c’était Noël. Surtout qu’il doit y avoir du super bon choix, j’en suis sûr. Je suis déjà en train de commenter 90% des titres par des « oh » des « aaaaah » surtout un grand « OH MON DIEU » et oui mon choix va s’arrêter sur « It’s my life » de Bon Jovi. Je pique une pièce à la miss pour lancer la chanson que je connais plus que par coeur. J’en loupe une nouvelle fois l’arrivé de John. Non mais sérieux, comment il fait pour apparaître d’un coup comme ça à chaque fois ? Il vient nous filer ses clés. Ah oui, carrément. On valide John. Il a confiance en nous. Quand Ariane fait sa remarque sur la fouille de ses affaires, je vais piquer les clés à la rousse et je lui coupe la parole, me mettant devant elle.
« Elle plaisante. »
Je crois que ça ne sert à rien que je fasse cette remarque parce que John a l’air de l’avoir bien cerné la petite déjà.
« Je ferai en sorte qu’elle n’utilise que ses yeux. »
Parce que oui, après réflexion, y’a des chances qu’elle fouille véritablement. Après nous avoir donné quelques indications sur son appart', son heure de fin de service, je le remercie chaleureusement parce qu'il n'est pas obligé de nous aider comme ça. Il file de son côté avec un sourire aux lèvres. Je me dis qu’il est sûrement très diverti par le duo qu'on forme Ariane et moi. Ca ne m’empêche pas de me tourner vers la miss, lui faisant des gros yeux.
« Si tu lui piques quoi que ce soit je t’en voudrais à mort ! »
Parce que je sais qu’elle en serait capable. Mais je vais veiller au grain. Faut être gentil avec John qui nous a donné si gentiment les clés de chez lui. Je l'ai remercié au moins trois fois au milieu de son speech. Je continuerai encore s'il était toujours avec nous.
« Redonne moi une pièce ! »
Je lance « Lady Marmalade » même si j’avais très envie de remettre Bon Jovi parce que je n’ai pas honoré la chanson comme il se doit avec mon chant et ma choré. En tout cas je vais rajouter ces deux chansons dans ma playlist « UK Trip Memories ». Je me tourne vers Ariane, parce que je suis sûr qu’elle aime cette chanson. Je l'ai choisi pour elle. Voulez vous coucher avec moi, ce soir ?
« Et non. Ce n’est pas une proposition. »
Je préfère le préciser. On va sûrement filer chez John à la fin de cette chanson.
Plus mon pote de voyage est mal à l’aise, plus j’en ajoute, c’est bien connu. À force, c’est presque décevant que Kane ne se souvienne pas d’à quel point son inconfort me motive à en remettre une couche et une autre, la pinte de bière enserrée contre mes paumes et le sourire mauvais aux lèvres. Il insiste sur mon prénom, il supplie, il dévisage, il se braque, il tente de s’interposer. Et de mon côté, c’est encore plus hilare que je pousse, cambre, roucoule, insiste. John qui finit par capter que ça ne sera pas en jouant les gros lourds de drague qu’il finira par obtenir quelque chose de ma part - et même, qu’il joue peu importe les cartes qu’il veut, si j’ai décidé qu’il ne me chopperait pas ce soir, ça resterait ainsi. Who run the world, qu’elles disent. « Ah ouais, elle plaisante, elle? » plutôt satisfaite qu’il se tâte au jeu de la réplique acerbe et de la vanne de service, j’approuve d’un hochement de tête positif et d’un sourire plutôt entendu lorsque l’anglais y va d’une question rhétorique, faisant écho à ce que Williamson tentait de dédramatiser, d’adoucir, comme un papa voulant calmer les crises de sa gamine en lieu public. Le jukebox continue de jouer en fond sonore quand le pompier renchérit en promettant que je me tienne convenablement, ce qui m’arrache un soupir partagé d’un grand rire bien machiavélique, présage que peu importe ce qu’il dira, j’en ferai à ma tête comme toujours. Pas besoin de se plaindre non plus, si je trouve de quoi de bien fun, je vais partager avec Kane sans soucis. C’est part of the deal. Que les yeux, donc? « Essaie pas. Tu pourrais jamais résister à cet air-là. » et j’accompagne le tout de ma moue la plus adorable, celle calquée au millimètre près sur l’expression que fait Nadia en permanence, elle et sa mimique angélique, elle et ses yeux de biches, ses lèvres rosées, son air d’ingénue. En confiance, c’est à peine si je souligne le direct de sa demande de monnaie, lui filant quelques pièces dans la paume après avoir suivi l’échange de clés et le retour derrière le bar d’un John un peu moins lame déjà. « Gold Digger et prude. J’ai vraiment déniché le jackpot. » j’exagère, je l’ai mauvaise, mais au final, y’a un ou deux gestes de danse que je lui dédie, et avec l’air qu’il vient de mettre et les paroles qu’il hurle à tue-tête avant de constater qu’à me les crier à la tête je risque d’insister avec moquerie sur leur sens, l’autre rattrape le coup. Et j’éclate de rire, lui prenant la main, l'entraînement sans gêne, timing parfait. « On monte. » fût un temps, c’était tout ce que ça avait pris pour que Kane me suive dans le van. Fût un temps, c’était un “On se tire.” qui avait guidé l’échange charnel qui avait suivi. Mais pas ce soir ; juste, me la jouer lascive à fond me fait tellement rigoler et anticiper sa gêne à nouveau est presque comme un cadeau du ciel. Dernier coup d’oeil à John, baiser soufflé, et on file chez lui.
« Sérieux Kane. Ce type c’est ton âme soeur. » lorgant sur la collection de CDs et autres albums qu’il a étalés sur son mur pendant que Kane est sous la douche, j’attends le garçon l’index pointé sur tous les titres que j’ai reconnu de ses nombreuses playlists, et la collection complète de Deaf Havana qui trône fièrement sous ses yeux ne fait qu’encourager l’impression que j’ai qu’il est à quelques secondes près de pousser un long cri strident d’admiration. « Je te laisse prier devant son temple, pendant que je profite des installations. » racoleuse, je me faufile à mon tour vers la salle de bain, relativement sage si ce n’est la bière que je pique dans le frigo de notre hôte pour la soirée. Ce qu’il y avait de bien de vivre au même rythme de propreté que Kane, c’était de ne pas sentir vraiment si j’avais besoin d’un lavage en profondeur ou si un simple coup d’eau tiède ferait le travail, parce que s'il pue, je pue aussi, et qu'on s'équilibre. Mais comme j’ignore à quand remontera la prochaine séance nettoyage, j’y vais de la totale, des cheveux aux orteils, et chaque bouteille, chaque barre de savon, chaque item y passe. C’est la voix de John que je reconnais lorsque je finis par débouler dans le salon et voir les deux mecs en pleine discussion animée. « Vous prévoyez toujours aller en ville cette nuit? » les plans sont relativement libres de mon côté, je laisse les rennes à Kane pour la soirée, que dis-je, pour le voyage. Il a toute ma confiance, il a toute ma collaboration, et je sais déjà que le reste sera tout aussi cool que ce qu’on a déjà vécu. Déjà parce que j’ai tant besoin de vacances que je ne me transformerai pas en control freak Ari - ou du moins, pas jusqu’au dernier moment. Puis, y’a aussi que ce voyage, c’est le sien de base, que je m’y suis greffée pour la postérité, mais qu’il y tient tellement que voilà, même mon caractère de merde et tous ses dérivés ne sont pas près de l’entacher.
Derby, illuminée, donc. John a fini par nous suivre, avec quelques habitués du bar. J’ai cédé à leur venue parce que Kane et lui avaient l’air d’avoir pas mal de points communs, et que d’être en présence d'habitués et de locaux rend toujours plus facile d’avoir des verres (et des frites) gratuits en soirée. Call me clever. « De jour, ça doit être étouffant. » que je commente tout de même, les mains dans les poches, marchant au rythme des pas de Kane qui est resté derrière avec moi. Tous les bâtiments, tous les commerces, les rues serrées, le pavé craquelé, et les tas de pièges à touristes fermés à cette heure qui doivent faire la malle à fric le matin venu. « Mais de nuit, c’est sympa. En vrai. » « Oh guys, Ariane qui dit un truc positif. » John qui rétorque par-dessus son épaule, avant de prendre le tournant vers un endroit qu’il devait absolument nous montrer apparemment. « Fais gaffe. Le prochain truc positif ça sera peut-être une pinte de cidre qui éclatera derrière ta tête. » toute fière de mon retour du revers, attendant avec impatience que Kane s'insurge de mon impolitesse le sourire aux lèvres.
Je suis presque outré quand John entre dans le jeu d’Ariane en se fichant gentiment de moi. Je fais pas le poids face à eux. J’aurai bien besoin d’un Levi a mes côtés pour renverser la vapeur. De toute façon tout est toujours mieux quand Levi est dans le coin. Je serai certainement moins écarlate, juste de par sa présence. Il m’apaise.
Je plisse les yeux quand Ariane fait sa moue toute chou. C’est pas souvent que j’ai la chance de la voir comme ça. C’est presque si je la reconnaissais pas. C’est tellement out of character. Mais ça reste très adorable et je fonds malgré moi. Mais j’essaie de ne pas le montrer, gardant mon regard réprobateur (spoiler alert : ça marche pas).
J’ai comme l’impression que ma remarque sur la chanson est entré dans l’oreille d’une sourde. Non, on ne va pas coucher ensemble ce soir. Je suis un homme exclusif. Mais ça n’empêche pas Ariane me tire par la main pour filer chez John à l’étage suite aux paroles plus que claires de la chanson. Je préfère ne pas faire de remarque à propos du timing parce que ça risque juste de me mettre dans l’embarras malgré moi. Oui. Malgré moi. Mes joues roses viennent d’elles même, sans mon consentement. Même quand je certifie que non, je ne suis pas gêné, mon corps hurle l’inverse. Pourtant je suis loin d’être prude juste… Je suis pudique je crois. Ca doit être ça.
Une fois dans l’appartement, Ariane a trouvé la première la collection de CD alors que moi je suis allé faire un tour aux toilettes, parce que toutes ces bières, faut bien les évacuer. J’en ai profité pour prendre ma douche parce que c’est quand même notre but premier de cette manoeuvre. Mon âme soeur ?
« Une autre de mes âmes soeurs tu veux dire. »
Parce que s’il n’y en a qu’une sur cette planète, c’est incontestablement Levi. Elle le sait très bien. Je vais la rejoindre, me séchant les cheveux et je me sens tout excité de voir tous les disques. Y’en a des tas. J’ouvre de grands yeux quand je vois les albums de Deaf Havana et je prends dans mes mains l’album version reworked de Fools and Worthless Liars.
« Punaise ! Je l’ai pas en version physique celui là et maintenant il est introuvable. »
Je l’avais acheté sur iTunes en version digital à l’époque et je m’en veux de ne pas l’avoir pris en CD normal. J’ouvre l’album pour voir comment est le disque à l’intérieur et le booklet. Je suis jaloux comme un poux. Je ne remarque même pas qu’Ariane s’est éclipsée à la salle de bain. Je replace l’album à l’endroit où il était, j’ai bien vu qu’il les a mis par ordre chronologique et je salue cette organisation. La tête penchée, en train de lire les autres albums en sa possession, John me fait un commentaire là dessus, m’indiquant sa présence dans l’appartement. Et c’est bien sûr le début d’une conversation qui n’a pas été assez longue à mon goût. Il a beaucoup de mes albums préférés et on se met même à chantonner certains refrains ensemble. Jusqu’à ce que Ariane revienne parmi nous. A ce moment là, je peux dire que John est devenu un de mes meilleurs amis. Je ne vais pas le dire à la rousse ou elle risque d’être jalouse. On s’est échangé nos usernames sur les réseaux sociaux. Il est officiellement une de mes connections. Dans mon réseau. Je serai lié à John à vie. Et ça me rend joie, parce que je compte revenir pour cette fois profiter du Download Festival.
J’hoche la tête quand John demande à propos de la nuit qui arrive.
« Yep, c’est le plan. »
Parce que je n’oublie pas que ça sous entend plus de temps à passer à Sheffield. J’ai juste terriblement envie de me faire tatouer au « Temple of fun ». Pour bien marquer le coup de mon passage dans cette ville là.
Une fois en ville, on est bien accompagné. Je jette continuellement des coups d’oeil vers Ariane pour voir si elle est contente ou pas de la tournure de la soirée. Je fais attention à rester à ses côtés. Je sais qu’elle n’aurait pas de soucis à remballer les mecs qui la saoulent, mais quand même, j’ai envie qu’elle se rende compte que je suis là pour elle. C’est notre trip à tous les deux avant tout. John ouvre la marche et nous commente les environs et je dois avouer que c’est beaucoup plus cool avec un local. Ca nous fait découvrir la ville encore plus en profondeur. Je me sens privilégié ce soir.
J’éclate de rire quand John se moque de Ariane. Pour une fois que ce n’est pas moi qui prend. John est beaucoup trop cool. J’ouvre de grands yeux quand Ariane parle de lui fracasser la tête avec une pinte.
« Quelle délicatesse ! »
Mais John se marre alors il ne l’a sûrement pas mal pris. Il s’est beaucoup mieux habitué à Ariane en quelques heures que moi en 15 ans. On arrive dans une rue où il y a une enseigne encore éclairée.
« On dit que c’est le quartier gay mais c’est surtout une boîte de lesbienne. C’est le seul truc encore ouvert si ça vous dit d’aller boire un verre. »
Le mot « lesbienne » me fait ouvrir de grands yeux. Je le réentends sortir de la bouche de Wendy. On fait un arrêt face à la devanture et John nous questionne du regard pour savoir si on entre à l’intérieur. J’hoche la tête.
« Je dis pas non à une bière. »
Quand est ce que je dis non à une bière exactement ? Off duty, bien évidemment. On met donc les pieds dans cet antre de lesbienne et mes yeux vont de tous les côtés. J’essaie de ne pas trop visualiser les derniers clips vidéos que j’ai regardé sur internet dans la catégorie « Lesbian ». Un guilty pleasure déjà à la base, mais encore plus depuis que Wendy m’a avoué s’identifier à cette orientation.
Installé à une table, je me retrouve seul avec Ariane alors que John joue de ses relations avec ses potes pour nous avoir des verres gratuits.
« Tu crois que c’est l’univers qui essaie de m’envoyer un message qu’on se retrouve dans ce club fréquenté par des lesbiennes ? »
Puis je réalise que je n’ai pas parlé de cette conversation avec Ariane. J’ai envoyé une lettre à Levi à ce propos, n’ayant pas voulu lui dire ça par SMS. Je suis encore tout perturbé par ces révélations de ma blonde et j’ai besoin de temps, d’encaisser tout ça. Ca n’a pas trop marcher. J’en ai parlé avec mon frère et j’ai eu l’impression que ça m’a aidé, mais je cogite toujours beaucoup sur le sujet.
Et donc je regarde Ariane, dead serious. Je lui parle de Wendy. De son historique avec les mecs qui a toujours été catastrophique. Qu’elle s’est toujours cru lesbienne jusqu’à ce que j’entre dans sa vie. John est revenu avec nos verres entre temps mais il a bien remarqué qu’on était en pleine conversation sérieuse alors il discute avec son pote et je lui en remercie de cette discrétion.
« Du coup on prend le temps tu vois… Parce que, je veux pas être un autre coup catastrophique pour elle. Enfin… »
Je baisse le volume de mes paroles et donc je m’approche un peu plus d’Ariane pour qu’elle m’entende.
« … Elle m’a dit qu’elle était toujours vierge. »
Et c’est le retour des joues roses. Un rose pâle, mais un rose quand même.
Dernière édition par Kane Williamson le Sam 20 Oct 2018 - 13:53, édité 1 fois
D’un geste de la main, je salue l’autre qui a tourné la tête vers nous à l’instant où ma menace s'est envolée de mes lèvres à ses oreilles. La pinte me ferait mal au coeur d’être ainsi gaspillée, mais pour défendre mon honneur, je peux vivre avec. « C’est bien parce que je t’aime que j’y vais si doucement que ça avec lui. » et je papillonne du regard, Kane qui se retrouve avec pléthores de passe-droits de ma part si j’en fais l’état. À croire qu’à force de m’avoir supportée aussi longtemps, les privilèges viennent avec le lot. Chanceux, va. La nuit fraîche me force à resserrer ma veste de cuir, tourner mon foulard une seconde fois autour de ma nuque, mais pour le coup d’oeil VIP sur la ville, ça vaut plus que la peine. Et j’ai pas besoin de rien d'autre, un joint que j’allume, que je tends au plus offrant, la fumée qui allège les coeurs et nos pas qui font échos les uns aux autres dans le silence des rues complètement vides. John nous fait tourner quelques fois sur différentes annexes, les dédales se transforment en ruelles, les bâtiments se définissent un peu plus, et au final on aboutit devant un bar qu’il décrit par sa clientèle ce qui, pas de surprise ici, me dérange pas du tout. Ça faisait longtemps que je m’étais pas faite draguer par une fille fallait dire, aussi. « Calme, Kane. Je t’ai déjà dit qu’un threesome c’était pas si effrayant que ça. » pourtant, à jouer la babysitter avec le pompier, je risque de même pas sentir le moindre regard me mater à ce rythme. « Et à des jumelles bicurieuses. » entre bière et bisexuelle, y’a qu’un pas. « Quoi?! » mais ça le fait pas rire du tout, à peine il tilte. Fronçant des sourcils quand il s’épanche sur le fait qu’il voit que “lesbienne” en toute lettres, néons et lumières flashy en prime, je suis pas du tout sa drift, j’ignore absolument où il veut en venir et je suis à un doigt de m’assurer qu’il est pas en train de devenir un douche bag de service qui limite l’orientation sexuelle au duo de genres reconnus qui a mal à ses convictions ces jours-ci. « L’univers pourrait t’envoyer les numéros du loto à la place. Quel connard. » blaguant tout de même, je remarque de suite que le blond veut me prendre à part, qu’il a un truc sur le coeur, qu’il a besoin de parler et que pour une fois, mon oreille attentive est pas prise pour moins que rien. Déformation professionnelle, dès qu’il articule le nerf du problème, j’en suis déjà à établir son plan de match en 10 étapes faciles.
Le verre sous mes yeux, je finalise de capter tout ce qu’il a bien pu me raconter sur sa copine lesbienne et ses envies de flirter avec les zizis pour les beaux yeux de Kane. Et tout ce qui ressort, c’est sa crainte à lui, son potentiel de pas être à la hauteur, et la foutue pression conne qu’elle lui a filé sans demander son reste, ses épaules qui s’affaissent de devoir défendre la gent masculine au grand complet sous ses draps s’il veut pas me revenir le coeur en miettes de pas avoir provoqué au moins un semblant d’orgasme à la blondinette en manque de courgettes. « Oh honey, tes performances ont rien de catastrophique. Tu peux me l’envoyer si tu veux que je parle en bien de ce qui se trame dans ton jeans. » et je bats des cils avec amusement, optant d’abord pour la dédramatisation avant de poursuivre avec le vrai conseil. Lui laissant boire une longue gorgée de sa bière, j’ai même la parfaite introduction qui n’attend que d’être expliquée, et je calcule mentalement combien de temps ça lui prendra avant que le rouge ne couvre toutes ses joues. « Y’a un truc avec l’hymen, ça m’a toujours fait chier que les gens gobent le sensationnalisme qu’on nous vend au cinéma. » oh allez Kane, crache un peu ta bière sur la table, fais-moi rigoler, étouffe-toi innocemment rien que pour le spectacle. « C’est qu’une parois. Pas un mur impénétrable. Du coup, elle est pas vierge du moment où y’a eu quelque chose qui est entré là, autant un doigt qu’un éléphant. » grand bien m’en fasse, je ne lui fais pas de dessin, ni même attrape l’une des serviettes en papier que John vient déposer dans l’angle pour faire office de sous-verre. L’idée est là, mais le coeur de Kane n’y aurait pas survécu.
« Ça te met vraiment mal, hen? » n’en reste que c’est du sérieux Ariane, et qu’il t’a pas dit ça pour que tu joues à la connasse comme à ton habitude. J’inspire longuement, me rapproche un brin de lui, pas nécessairement envie d’en plus étaler son histoire à tous ceux qui passent à côté de nous. « Faut que t’arrêtes de stresser avec ça Kane, sérieux. » c’est l’évidence et ça me fait chier de lui dire ça ainsi, parce qu’entre le dire et le faire, y’a tout un monde. Mais tough love, always. « Parce qu’à la connaître un peu, elle doit être aussi mortifiée que toi à l’autre bout à attendre que tu reviennes pour get things done. » et je suis presqu'assurée qu’elle panique autant si ce n’est plus que lui à l’idée de pas être à sa hauteur, de pas savoir quoi faire et comment le faire. À noter de lui envoyer mes quelques rubriques 101 pour l’aider à développer les bonnes techniques de base. « Je comprends le côté “j’me suis touché pendant des années en pensant à elle et maintenant c’est ma copine” mais est venu le temps de te relaxer, et d’arrêter de te mettre la pression. » un peu d’empathie made in Parker devrait suffire pour le moment, avant que je chasse le tout d’une gorgée de bière. « Vous avez une bonne chimie, elle rigole à tes blagues de merde, elle te trouve cute quand tu rougis, t’as un pass direct. Vois-le comme un truc fun, pas comme la consécration. » et ça devrait pas être plus compliqué que ça, non? C’est à partir du moment où on s’attend à quelque chose, où on met l’autre sur un piédestal, où on en sort à l’aduler, à l’adorer de la plus malsaine des façons que la suite dégringole, et qu’on gâche tout. J’en était la preuve vivante pour avoir tant voulu, tant espéré, tant essayé avec Tad. Et au final, on n’avait jamais si bien été que depuis qu’on ne se prenait plus au sérieux. « Après si tu veux que je sois dans la même pièce que vous pour te ramener à l’ordre si tu paniques, faut me dire hen. » et hop, on désamorce à nouveau. Puis qu’il fasse pas genre ça le gêne, parce que je l’attends du revers à être persuadée que si j’avais été Levi, il aurait dit oui dans la seconde.
Je sais qu’elle se fou gentiment de moi mais ça me fera toujours plaisir de m’entendre dire qu’on m’aime. Surtout de la bouche d’Ariane. Je sais qu’elle m’adore mais elle est plutôt du genre à me mettre mal à l’aise qu’à me foutre les larmes aux yeux d’émotions. Ca fait donc du bien, parce qu’elle est sobre, c’est pas juste un élan. C’est comme ça que je le prends. Je lui réponds par un joli sourire. Elle se fume un joint mais je ne tire pas dessus, j’ai envie d’avoir les idées claires pour me souvenir de tout ce séjour, de cette visite.
Je peux pas me retenir de rouler des yeux avec sa mention du threesome. J’ai jamais fait ça, elle le sait et elle en joue. J’ai jamais dit que ça m’intéressait non plus. Bon. Ok. Peut être. Sûrement même. Avec deux filles bien sûr parce que sinon… Moyen. C’est pas mon délire. Elle continue de plaisanter mais moi je suis assez sérieux et je me lance dans un petit récit. Elle m’écoute, je savais qu’elle serait aussi attentionnée. C’est un peu son domaine de prédilection et je me demande pourquoi j’ai pas été lui en parler plus tôt. Mais voilà les choses sont arrivées naturellement et ceci est le bon moment pour m’ouvrir sur le sujet.
Ariane me rassure sur mes performances sexuelles et je lui fais un sourire reconnaissant. C’est vrai qu’elle est très bien placée pour donner son opinion là dessus et ça fait du bien à mon égo, même si elle dit ça avec humour. Elle parle d’hymen, je l’écoute avec attention alors qu’elle me prouve par A + B que Wendy n’est pas vraiment vierge. Je suis en train de visualiser une n-ième fois ce qu’elle a bien pu faire avec ses copines et… well… j’en reviens à la section lesbiennes amateurs que je chéris particulièrement.
Je sais pas quelle tête je tire mais Ariane se rapproche et tente de me rassurer un peu plus par rapport à tout ça. Je pense aussi que Wendy doit être mortifié comme elle dit, mais j’ose pas en parler avec elle… Je crois que je l’idéalise trop et quand bien même j’essaie d’être sans filtre avec elle et être le plus honnête, j’ai du mal à être complètement à l’aise vu la situation. Je fais une petite moue quand elle dit qu’elle rigole à mes blagues de merde. Elles sont pas si nulles si elle rit ! Mais ouais, elle a raison, faut que j’arrête de me monter la tête juste pour ça, même si c’est important, le sexe. Peut être que ça ne l’est pas autant pour Wendy. Un peu comme Levi. Peut être que c’est Levi et Wendy qui sont fait pour être ensemble dans l’histoire. Non. Jamais. Pas ça. Je serai mort sur place de voir ça sous mes yeux.
La rousse se propose t’être sur place le jour J hahaha quelle blague. J’ai déjà fait ça une fois avec une autre personne dans la même pièce et ça me hante toujours.
« C’est gentil, mais non. »
Je suis encore en train de cogiter sur le sujet parce que oui, ça fait quelques mois déjà que j’y pense donc j’ai pas mal de réflexions à ce propos.
« Faut juste que j’arrête d’y penser et voir comment ça se passe quand on est tous les deux. Mais j’ai vraiment trop l’impression d’être revenu à mes 17 ans avec Diana c’est… trop bizarre. Parce que j’ai l’impression que je suis aussi nul qu’à l’époque et tout ce qui va avec… Comme si c’était ma première fois à moi aussi alors que non. »
Je fais une petite moue parce que je sais que c’est pas très cohérent tout ça mais c’est comme ça que je me ressens et je n’ai pas de raison à mentir à Ariane.
« J’en ai parlé à Levi. Je lui ai envoyé une lettre… »
Je soupire. Je bois une longue gorgée de ma bière. Mon meilleur ami me manque par dessus le marché. Faut que je me remémore que je suis à Derby en train de vivre le trip de ma vie parce que sinon c’est le petit moment down qui est en train de pointer le bout de son nez. On peut pas être au top tout le temps non plus, mais ouais, j’ai l’habitude de switch off mes émotions avec mon boulot. C’est pas évident mais avec les années on y arrive de mieux en mieux. Pas toujours. Je ne maîtrise pas encore cet art, je suis trop sensible, mais je suis pas trop mal quand même. Je m’impressionne parfois.
C’est tout naturellement que je regarde l’heure pour voir si c’est un moment décent de téléphoner à mon meilleur ami. Ca me ferait du bien de discuter avec lui là maintenant. Etre en road trip avec Ariane, ça remonte beaucoup de souvenirs où il était là aussi. Je viens de me décider à l’instant là tout de suite, mon prochain projet, maintenant que j’ai réalisé celui du road trip en UK, se sera de voguer avec Levi pendant un mois ou plus, si je peux prendre autant de jours de congés. Je verrai mais oui, je le ferai. J’ai vraiment très envie de lui en parler là tout de suite, je suis carrément perdu dans mes pensées.
« Désolé d’avoir plombé l’ambiance avec mon histoire. »
Je crois que c’est surtout moi tout seul que j’ai plombé là.
« Je voulais pas vraiment en parler mais… La boîte gay tout ça… »
J’hausse une épaule comme pour lui faire comprendre que c’était la suite logique dans ma petite tête d’hétéro. Je lui indique John du menton, changeant tout à coup de sujet.
« Il te plaît non ? »
Je veux savoir si elle compte s’amuser un peu plus avec lui ou non. Peut être bien que j’ai envie qu’elle aille avec lui pour que je puisse prendre le temps d’appeler Levi ou commencer une conversation par SMS. Le tout sans sans pour autant faire l’anti social sur mon téléphone alors qu’elle est à côté.
Et je lui tire la langue, et je bouh la scène, et je roule des yeux quand il me refuse le droit à l’observation. C’était ça, que je recevais comme traitement, quand je lui proposais mon aide de façon on ne peut plus objective? « Party pooper. » bien sûr, l’idée de disposer des caméras partout dans la chambre pour tirer profit du truc et payer un mois de loyer bien caliente reste en suspens, déception sur déception. Ma bière sera un bon prix de consolation, au fil des explications de Kane qui docilement assimile ce que j’ai bien pu lui dire. Malgré les années qu’on cumulait à se connaître, malgré toutes les conneries que je pouvais lui dire au quotidien, malgré toutes les insanités qui frôlaient mes lèvres autant dédiées à lui qu’à quiconque d’autre, il restait toujours le moindrement attentif à ce que je pouvais amener à la conversation. On me payait pour partager mes conseils, mais rares étaient les auditeurs qui prenaient autant à la lettre ce que je disais, qui étaient aussi respectueux dans le processus que Kane. Il doit ressentir que c’est pas la même chose avec lui, que je fais pas juste parler pour piquer, conseiller pour râler. Que j’ai le moindrement intérêt à ce qu’il aille mieux. C’est qu’on s’attendrit tous les deux, avec l’âge. Ou alors juste lui. Ouais, probablement juste lui. L’instant d’après, la théorie est confirmée que je suis pas du tout tendre, lorsque j’entends le nom qu’il faut pas prononcer pour que je garde un minimum de calme. « On va mettre une chose au clair, c’était Diana la nulle à l’époque. » et je pèse sur le mot, y mettant toute la hargne possible, sachant que si j’use du lexique et de toute la panoplie de synonymes que j’ai pour traiter Diana de connasse hypocrite, de pouffiasse sans cervelle dans toutes les langues, Kane sera pas particulièrement confortable. Elle lui a brisé le coeur, elle l’a laissé en morceaux le gamin, et j’ai pas particulièrement apprécié devoir ramasser les pièces une à une d’un de mes amis les plus proches pendant que l’autre idiote se baladait la bouche en coeur les yeux brillants l’impression d’avoir rompu d’un commun accord et de leur avoir respectueusement épargné une épine du pied. Il inspire, je fais pareil, il réfléchit et je laisse faire, je laisse la graine se planter, l’idée se creuser une place. « Ceci étant dit, c’est normal. Attends-toi au pire pour ta première fois avec elle - comme ça, probablement que peu importe le scénario qui arrivera, ça sera jamais aussi grave que ce que t’avais en tête. » parce que je sais qu’il va anticiper, qu’il risque de se bousiller l’expérience, de se triturer l’esprit entre le choix de la playlist à avoir, des boxers à mettre, du ratio de lumière versus noirceur qui éclairera la chambre. Qu’il pense à une situation catastrophe improbable, et la pression devrait se disparaître aussi vite que les soutifs de Wendy. « Et t’as rien du Kane d’il y a 10 ans, sauf peut-être la barbe fuyante et la voix qui mue un peu trop quand y’a ta chanson à la radio. » battant des paupières avec amusement, c’est une autre gorgée de bière qui conclut le tout, du moins, à mes yeux. On va pas réinventer la roue, on va pas y passer la nuit, et plus on en parle, plus il se fait du mal anyways.
« Ah bah oui, bien sûr. Il a dit quoi l’autre hippie? » je me demande même si j’ai pu en douter une seule seconde, qu’il ait tout raconté à Levi d’abord. Qu’il se réfère à son opinion de Dieu parmi les hommes, qu’il soit disciple et apôtre, qu’il se plie aux diktats de son modèle, son mentor. Tout de même flattée qu’il m’en parle à moi aussi, comme si l’avis du brun n’avait pas suffit. Une petite tape sur mon épaule plus tard sera de rigueur. Leur relation me filerait toujours un trait de jalousie mal placée mais tout de même suffisante pour m’assurer d’embêter Levi bien comme il faut à l’instant où il se poste entre nous deux ; c’était viscéral, on pouvait rien y faire. « T’as rien plombé du tout, dans l’angle je pouvais voir par-dessus ton épaule deux nanas qui se bouffaient le visage c’était d’un chic. » et d’un signe du menton, je chasse toutes ses craintes en l’invitant à regarder le spectacle en sons et en salive qui a toujours lieu, représentation en quatre actes avec nos sièges aux premiers rangs. « Et puis j'ai déjà entendu pire venant de ta part. » une lampée plus tard et c’est mon air bien malin qui accompagne mes dires. « Tu te souviens les fruits de mer que t’avais gerbés toute une nuit? » côté vocalise et autres bruits gutturaux, il avait tapé dans le mile. Et jamais une discussion du genre me blaserait. Appelez ça de la déformation professionnelle additionnée à une amitié vieille d’une décennie et des poussières.
Kane change abruptement de sujet lorsque John repasse dans notre champ de vision et je ne lui en tiens pas rigueur, laissant mes prunelles suivre les siennes pour détailler la silhouette du barman qui a commencé à se trémousser sur la piste de danse à son tour. « Pas autant que toi. » charmeuse, bien trop, je laisse le flirt à d’autres avant de caler ma tête au creux de ma paume pour observer le rouquin aligner les moves comme si Just Dance était son entraînement quotidien. « Mais si tu veux que je joue du pied pour que tu puisses lui voler deux ou trois CDs pendant t’as qu’à demander. » s’il fallait charmer pour distraire, si j’avais à me sacrifier et coucher avec lui pour rendre Kane un brin heureux, soit, voilà qui ferait office de bonne action du jour. « J’reviens. » y’avait ce truc entre Kane et moi qu’on avait développé à force de cohabiter dans de petits espaces, de se piler dessus pendant nos aventures, nos escapades. On le sentait de suite, quand l’autre avait besoin de solitude. Ou plutôt, je sentais quand c’était son cas, et il anticipait que c’était toujours ou presque le mien. Me dégageant de la table pour filer doucement vers la piste de danse, je brouille les indices et feinte de rejoindre les danseurs, en textant rapidement le numéro qui a pris de l’âge depuis la toute première fois où il s’est retrouvé là. À peine le temps d'arriver à la hauteur de John et des autres qui se groovent suffisamment pour en avoir les nuques suintantes que mon portable vibre dans la poche arrière de mon jeans, la sonnerie qui est presque masquée par la musique. En retrait le long du bar, je perds pas de temps, expéditive bien comme il faut. « Hey Leviscère. T’as un pote ici en crise, fais donc ton devoir de BFF dans les délais pour une fois, et trouve un truc bien à lui dire pour lui remonter le moral. » et j’attends à peine ses justifications et autres histoires rocambolesques, tentant même de l’acheter pour prouver ma bonne foi. « Si ça valorise de près ou de loin de ses performances au pieu, j’te dois un shot la prochaine fois où tu seras sur le même continent. » j'espère vivement que j’aurai pas à me claquer son sourire à deux balles plus vite que prévu, l’imaginant à l’autre bout du monde et bien satisfaite qu’il y soit. Mais j’ai aussi dénoté dans le regard de Kane la nostalgie du mec qui s'ennuie, qui cherche ses repères, qui a l’alcool triste. Qu’il soit utile pour une fois le Levi, plutôt que d'avoir le beau rôle de celui aux cartes postales et aux expéditions rocambolesques, pendant que les autres sont là en tout temps, coûte que coûte, beaux jours comme mauvais. Qu'il arrête de laisser un souvenir ambiant et trop éphémère dans le coeur du Williamson.
Refaisant le plein de bière, je retourne aux côtés du pompier les manigances déjà oubliées, et la prochaine activité de tatouée partout sur le visage. « KANE! » et c’est nécessaire de crier. Parce que Rihanna se déchaîne à plein volume dans la stéréo, mais aussi parce que ce que j’ai à dire est de la plus haute importance. « Y’a un karaoke. » étape un, calculer la grosseur que ses yeux prendront, entre l’annonce et la réalisation. Je guess un bon 3 centimètres. « Et John a dit que tu pouvais choisir la première chanson. » c’est là où je dis adieu à mes tympans.
Entendre Ariane descendre Diana me fait sourire un petit peu. Elle a pris très à cœur son rôle d’amie quand ma relation s’est terminée. Elle était là pour moi, pour me changer les idées et c’est comme ça qu’on a décidé de partir en road trip. Un léger coup de tête mais pas tant que ça parce que j’économisais depuis quelques années déjà. Je ne savais pas pour quoi faire exactement mais ce road trip est tombé à point nommé. C’était exactement ce qu’il me fallait et je ne regrette pas un seul instant parce que clairement ce fut un virage dans ma vie. Y’a un avant road trip et un après. Ça coïncide avec mon ‘après Diana’ mais si je peux éviter de la mentionner dans les étapes de ma vie, je me porte mieux. Je m’en suis remis depuis le temps, mais ça reste une sale période pour moi. On peut dire que je suis tombé en dépression. J’étais méconnaissable. Adieu le sourire du quotidien et mes yeux rieurs. C’était la fin du monde. Quand j’y repense maintenant alors que ce que je ressens pour Wendy est dix fois plus fort, je me dis que le pire reste à venir. Sauf si je finis par me stabiliser avec elle et qu’on fonde une belle famille. Ce serait le rêve. Je ne veux pas souffrir d’une séparation avec elle. On commence tout juste. Non. J’arrête de penser à ça. Ça sert à rien. On est loin de la séparation. Y’a pas de raisons. Y’a des difficultés mais c’est pas insurmontable.
Penser au pire pour notre première fois à Wendy et moi, oui, c’est le seul scénario que j’ai imaginé jusqu’à maintenant. Comme s’il n’y avait pas d’alternative. Je reste silencieux écoutant les sages paroles d’Ariane. Mine de rien ça m’aide. Ça me rassure. Elle dit que j’ai changé en 10 ans, j’espère bien même si en vérité je ne m’en rends pas vraiment compte. La seule différence c’est que j’ai un appart à moi tout seul et que je suis pompier. Je suis pas encore dans le vrai monde de l’adulting. Mon père me tanne pour que j’achète un appartement mais... je sais pas, ça me semble être trop d’agent et je préfère mettre mes économies pour un voyage comme celui que je fais là. Pompier c’est un job très valorisant mais on devient pas riche. Alors je fais avec ce que j’ai. Et je le vis bien. Je suis heureux comme ça. Je me suis toujours contenté de peu et je crois que c’est ça la clé du bonheur.
Ariane se moque un peu de moi, comme d’habitude, mais jamais je ne m’excuserai d’être trop expressif quand la musique me porte. Levi me comprend à ce niveau là lui. Je fais une petite moue quand elle me demande ce qu’il a dit à propos de tout ça.
« J’ai pas encore eu de réponse... »
La dure vie d’une amitié à distance. Je sais que Levi a une vie bien remplie et je ne lui en veux pas. Sauf de m’avoir quitté depuis son dernier passage à Brisbane mais bon what else is new ? La vérité c’est que je sais qu’il adore les lettres et c’est pour ça que je l’ai contacté de cette façon la pour cette question sensible. Je sais qu’il va mettre tout son cœur dans la rédaction de sa réponse et je veux ça. Je veux le top du Levi à ce propos. Déjà que les questions de cœur c’est certainement pas ce qu’il préfère, autant qu’il passe un bon moment au passage. Alors je prends mon mal en patience. J’aurai une réponse. Une belle réponse. Dans un avenir plus ou moins proche.
J’essaie de me faire discret en me tournant pour voir les deux filles qui s’embrassent. Oui. Ça m’intéresse. Beaucoup. Lesbians amateurs foreplay live footage. En plus y’en a une qui est blonde alors je ne mets pas longtemps à imaginer Wendy à la place. Hot. Je suis un peu bloqué sur ce spectacle alors que la rousse me fait redescendre sur terre en me parlant d’une nuit que je préfère oublier. Je grimace pour toute réponses. Je prends quand même note que la miss Parker n’apprécie pas ce genre de récit. Ok. Pas de problème, ce sera que pour Levi.
D’ailleurs ma tentative d’éloigner l’Ariane a l’air de fonctionner en fin de compte. Après s’être foutu de moi et suggérer que j’étais un voleur de disques, la voilà en train de filer. En temps normal je l’aurai repris sur cet affront. Elle sait très bien que j’achète les disques en premier lieu pour soutenir les groupes que j’aime. Ça en fait une belle collection, c’est vrai, mais jamais je chercherai à la compléter sans passer par un vendeur officiel. Je veux donner mon fric à tous ces artistes que j’admire tant. Je veux qu’ils puissent avoir les moyens de continer à faire de la musique. Continuer à me faire rêver. Mais je suis trop en bad pour dire quoi que ce soit. Cela dit, dès qu’elle a quitté la table je sors mon portable pour envoyer un SMS à Levi.
Je sais qu’il n’est pas le mec le plus connecté de la terre et c’est pour ça que j’essaie de ne pas avoir de trop grands espoirs sur une réponse rapide. Les yeux rivés sur mon écran, attendant de voir une notification de Levi, j’écoute la musique qui passe, buvant mon verre. Heureusement qu’ils ne sont pas en pleine série de slows parce que les chansons tristes c’est tout ce qui manque pour que je verse une larme.
Mon écran s’éclaire, mes yeux sont grands ouverts quand je vois qu’il ne s’agit pas seulement d’un message de Levi, mais d’un coup de fil. Je bondis sur mon téléphone pour décrocher. Mon cœur bat super vite parce que je m’attendais vraiment pas à ça.
« Levi ! »
Et rien que d’entendre sa voix, je me sens tout de suite mieux. Beaucoup mieux. Je suis dans ma bulle avec lui. On discute. Beaucoup. Je sais pas quelle heure il est pour lui là et je n’ai pas envie de mentionner le fait qu’il soit si loin. Je profite juste de tout ce temps qu’il m’accorde sans aucun préavis.
Même pas deux minutes après avoir raccroché Ariane est de retour àla table avec une nouvelle tournée de bières. Parfait parce que j’avais tout fini avec Levi. Je me sens légèrement mieux, parce que c’est toujours dur de raccrocher. Levi et moi n’avons plus à prouver à personne que nous sommes capables de passer des nuits blanches rien qu’à discuter. Nous sommes un puit sans fond. Toujours un truc à dire, à débattre, à demander. La Ariane devait m’avoir dans un coin de l’œil. Elle est prévenante. Je ne peux pas lui retirer ça.
Elle m’annonce un karaoké et c’est qu’un petit sourire qui se forme sur mes lèvres. « Ça aurait été mieux avec Levi » que je pense très fort mais que je ne dis pas. Parce que tout est toujours mieux avec lui.
« Je sais déjà ce que je veux comme chanson. »
Parce que oui je vais participer. Vous me prenez pour qui ? C’est d’un karaoké qu’on parle là ! Chanter me fera le plus grand bien.
« Faut juste que je vois ce qu’ils ont de disponible dans le répertoire d’Avril. »
Of. Fucking. Course. J’ai la tête encore remplie de Levi. Ça se ressent.
« Si ils ont pas au moins ‘Complicated’ je fais scandale ! »
Je m’emporte un peu. C’est bon signe. Le nuage sur ma tête s’est éloigné. Je bois une grosse gorgée de ma nouvelle bière avant de la prendre avec moi pour filer vers le karaoké. Y’a pas de temps à perdre. Ça fait trois semaines que j’ai pas chanté devant un public, j’ai besoin de mon fix.
Le catalogue des chansons dans les mains, je ne le parcours pas tout de suite.
« On la fait tous les deux ? »
Et là, un véritable sourire se forme sur mes lèvres. M’imaginer sur scène à prendre mon pied avec elle ce soir maintenant, c’est ce qu’il y aura de mieux. Parce que Ariane connaît bien mieux la discographie de la canadienne qu’elle ne doit le soupçonner. Avec tout ce que j’ai écouté comme Avril depuis qu’on se connaît, c’est sûr qu’elle peut venir s’époumoner avec moi sans se ridiculiser.
Je tourne vers Ariane la liste des chansons.
« Je te laisse choisir. »
Tant que c’est by Miss Napanee bien sûr. Elle le sait très bien.
Dernière édition par Kane Williamson le Mar 13 Nov 2018 - 20:28, édité 1 fois
Faut vraiment que je fasse un effort de concentration monstre pour couper les bruits ambiants le temps d’entendre la voix cassée de Levi à l’autre bout du combiné. Juste assez pour m’assurer qu’il a bien compris que je rigole pas, et que ça suffit de se la jouer cool et distant et nomade quand son meilleur pote va pas si bien que ça. Kane le dira pas textuellement, je lui arracherai pas les vers du nez parce que je sais mieux le lire que ça, et c’est avec suffisamment d’arguments tangibles que j’indique à Levi que s’il a juste une bonne chose à faire dans sa journée, que s’il est foutu de se sortir la tête du cul le temps qu’il faut, tout le monde en sortira vainqueur. Je ne manque pas la paume intrusive de John qui ramène mes hanches vers leur petit groupe sur la piste de danse, autant qu’il pourra pas nier le regard tout sauf impressionné que je lui renvoie, les bouteilles de bière comme arme de prédilection s’il me lâche pas de ses doigts collants, suintants. Mais je reste de même avec eux un temps, sachant que Kane est au téléphone sous mes ordres détournés, forçant rien, presque fière de mon méfait qui ne viendra jamais aux oreilles du blond, que je garderai dans ma malle à bonnes actions de crainte de ternir ma réputation de biatch salace pas le moindrement intéressée par ses malheurs. Le dude, il était dans ma vie depuis plus d’une décennie. Il m’avait vue à mes pires moments comme à mes meilleurs. Il m’avait ramassée à la petite cuillère après Jet, avait dû réitérer post-Tad. Je lui avais rendu la pareille quand Diana était devenue une vraie sotte, je serais là coûte que coûte ce qui arrivera ou pas avec Wendy. Mais on en parlait pas, des sujets des tabous, on ravalait, on se donnait des inputs, on s’informait, dégainait le droit de véto quand c’était nécessaire. Suffisamment satisfaite du regard brillant que mon ami renvoie à distance et du sourire qui ne quitte pas ses lèvres, j’y vois une autorisation pour retourner à ses côtés, me faufiler sur mon siège, poser la bouteille sous ses yeux et annoncer la suite de la soirée la voix qui se réchauffe déjà. « On sera deux. » le cahier entre les mains, il farfouille dans les choix en amenant directement le mauvais oeil sur nous, blasphémant sur la possibilité qu’Avril ne se retrouve pas parmi les possibilités. Mes prunelles acérées ne manquent pas une ligne, mes doigts ramènent les pages, j’en appelle au Dieu des fausses notes sur la plage à deux heures du matin, de l’unique CD qu’on avait intelligemment pensé glisser dans le coffre à gant avant 10 heures de route d’affilé, à la seule et unique partition que je maîtrisais par coeur à la guitare. Guys, si Avril est pas là, c’est le tonnerre qui vous attend. « Qu’est-ce que t’en penses? » mon sourcil s’arque, j’esquisse une petite danse de la victoire, Sk8ter Boi qui fait un excellent compris et qui crash à plein volume dans les colonnes de son entourant le bar, dolby surround and all.
Après ça, la soirée est devenue floue. J’ai des bribes qui remontent en vagues souvenirs. Des shooters servis entre la 4e et la 8e chanson. Un solo de breakdance de John qui redécouvrait certaines articulations ou absence de. Kane qui s’assure que sa tignasse est encore respectable en s’arrêtant devant toutes les vitrines des boutiques que l’on croise. Le chauffeur de taxi qui nous refuse d’augmenter le volume quand du No Doubt passe à la radio. Le goût pâteux dans ma bouche du burger de fin de soirée, que j’ai à peine touché de peur qu’il fasse redescendre mon buzz. Les déclarations sur un toit dans la ville, le Facetime à Levi que j’ai passé à l’insulter en français, où Kane lui a listé toutes ses qualités pour contrebalancer. Puis, la nuit, ou les quelques heures qu’on a réussi à gratter jusqu’à ce que ma paume vienne s'abattre furieusement sur le cadran en marche, hurlant, en bordure du lit où je me suis apparemment échouée en sous-vêtements quand mon corps suivait plus.
« Gooooood morning, sunshine. » un t-shirt piqué à John, son hoodie par-dessus, mes couettes ébouriffées et mes joues rosies apparaissent dans l’embrasure de la porte du salon, d’où je repère un Kane aussi hangover que moi qui émerge entre deux coussins du canapé. « Papillone pas des paupières, il était trop bourré pour que quoi que ce soit arrive. » j’attends à peine qu’il remarque que je porte les vêtements du barman avant de justifier l’absence de charnel. Y’a rien eu, il était encore en jeans honteux à s’excuser lorsque j’ai abandonné tout attouchement pour lui ronfler à l’oreille. « Tu partages. Et non, j’demandais pas. » exigeant une place sur le sofa, je pousse Williamson d’un côté, m’allonge de tout mon long sur l’autre, laisse les rayons du soleil réchauffer la peau de mes jambes que j’allonge comme un chat sur le dossier du siège. « J’ai des offrandes. » du menton, j’invite Kane à jeter un coup d’oeil au sac de papier qui trône fièrement sur la table de la cuisine, qu’on repère dans l’angle. Le petit-déjeuner parfait à l’anglaise, que je suis sortie acheter en catimini au dinner en face de l’appartement de John, resto que j’avais remarqué la veille et qui, avec son odeur de gras et autre friture, avait suffit à me replacer l’estomac d’un reniflement assuré. « Il avait laissé traîner des billets sur le comptoir. » entre ses fringues et son fric, je suis bien. Palliant à ce que le blond s’insurge à nouveau pour cause de trop bonnes valeurs, je rattrape le tir, candide. « Come on, je lui ai pris 2 scones. » ce qui est la moindre des choses, quand on y pense.
Sk8ter Boi. Pas ma favorite, mais ça fera l’affaire. Je la connais bien évidemment sur le bout des doigts. Ca ne nous empêche pas de faire un pur show et je me lâche complètement. Tellement soulagé d’avoir pu passer une bonne demi heure au téléphone avec Levi. Je suis reboosté à bloc. C’est le voyage de ma vie, faut que j’en profite à fond.
Bien évidemment, je reste sur la scène plus longtemps que ce qui était prévu à la base. I’m a whore for a good song. J’en trouve quelques unes que j’aime particulièrement dans leur répertoire et je remonte sur scène quatre fois. On est peut être dans un bar gay, mais les filles ont l’air d’apprécier mes performances. Je suis applaudis, sifflé. Y’en a même une qui me demande de faire tomber ma chemise et je crois que je l’ai fait. A ce stade là j’ai déjà trop bu pour me souvenir correctement de la fin de la nuit. Je me souviens bien évidemment du quart d’heure facetime avec Levi. J’ai essayé de faire taire Ariane avec son français. Elle nous faisait perdre du temps précieux pour une véritable conversation existentielle. Parce que oui, j’avais des trucs de la plus grande importance à dire à Levi. A savoir que « Hot » de Avril Lavigne était considéré comme une chanson gay. Je n’avais jamais imaginé les paroles de la sorte avant que cette fille au bar ne m’en parle. C’est vrai que la mention de « placard » rend la chose évidente à présent.
Sur le canapé de John, je me fais réveillé par Ariane et je réalise combien on a abusé hier soir. Ma tête me lance horriblement et je décide donc de ne pas bouger du sofa. Elle parle d’un truc qui aurait pu se passer entre elle et John mais j’ai même pas remarqué quoi que ce soit. Je suis trop dans le gaz là. Elle me pousse pour s’installer à mes côté et je la laisse faire. Je suis carrément bon à rien là. Je regrette un peu cet excès parce que ça va être une journée gâché. Je me frotte les yeux et je regarde Ariane qui parle d’offrande, j’attends qu’elle s’explique un peu plus et je capte seulement quand elle le montre, le sac. Je sais pas ce que c’est mais y’a intérêt que ce soit de la bouffe, parce que mon estomac est beaucoup plus réveillé que moi et clairement, manger un bon petit déj va me faire du bien. Avec difficulté je me redresse afin de pouvoir voir le contenu du sac. Je suis soulagé de voir qu’il s’agit effectivement d’un petit déj. Pas n’importe lequel, un vrai petit déj anglais.
« T’es la meilleure. »
Au cas où elle le savait pas déjà. Même si ok, j’avoue, parfois je me plaîs à lui dire l’inverse, mais elle sait que ce n’est pas vrai. Une chose est sûre, là, ce petit déj anglais, c’était tout ce dont j’avais besoin. J’en ai mangé quelques uns déjà depuis qu’on est arrivé mais je m’en lasse clairement pas. Quand je dis que je suis fait pour vivre dans ce pays, je ne mens pas. J’aime tout.
Je chope une fourchette en plastique pour commencer à manger et Ariane explique qu’elle a volé John pour payer ce repas. Je m’arrête dans ma lancée. Outré. Elle essaie de faire passer ça avec son histoire de scones mais ça marche pas.
« Je lui laisserai des billets avant de partir. »
Parce que je suis honnête MOI. Ce mec a été beaucoup trop adorable avec nous depuis hier, il ne mérite pas ça, même s’il connait le phénomène Ariane à présent. Y’a des chances qu’il ne lui en veuille même pas. Surtout s’il crush sur elle. Mais quand même. Non. Je ne laisserai pas cette injustice.
Après avoir fini mon English Breakfast, je file à la salle de bain. Quand je ressors en serviette, cheveux mouillés, John est toujours dans sa chambre en train de dormir. Je retrouve Ariane dans le salon et me positionnant à côté de mes affaires je m’habille, faisant tomber la serviette après m’être mis dos à Ariane. J’enfile un boxer puis un vieux tshirt de Amity Affliction avant de chercher le skinny jeans que j’avais sur moi hier.
« On attend encore un heure ou deux s’il se réveil pour lui dire au revoir et on décolle. »
La douche m’a fait du bien, même si je suis pas encore au top de ma forme. Je n’ai pas envie de louper la ville de Sheffield. Je suis pas tout à fait frais, mais je suis robuste. Je saurais passer ma journée malgré mon mal être. Je vais juste y aller plus tranquille dans les jours qui arrivent pour ne pas trop maltraiter mon corps.
La musique à un niveau très faible dans le van, nous voilà de nouveau sur les routes. Je conduis comme promis. J’ai de la chance, avant de partir John m’a filé une grande bouteille d’eau à emporter mais surtout j’ai eu droit à un cachet effervescent qui est apparemment le truc idéal dans mon état. Je dois avouer que je me sens mieux qu’au levé. Je sais pas si c’est psychologique, mais ça marche, c’est le principal. Je suis pas au top de ma forme, mais au moins la journée n’est pas totalement gâchée.
« Je veux me faire tatouer au Temple of Fun. »
Bon certainement pas aujourd’hui vu l’alcool ingurgité la veille, mais le lendemain ou le jour d’après ça sera parfait. Je lui ai parlé du Temple of Fun déjà. Le véritable nom de l’endroit c’est « Church : Temple of fun ». C’est Oli Sykes qui l’a ouvert et c’est pourquoi j’ai envie d’y mettre les pieds. Si je peux me faire tatouer aussi ce serait le must. Un vrai souvenir d’Angleterre que j’aurai à jamais sur moi. Ca fait très longtemps que j’ai pas fait de nouveau tatouage. Ceux que j’ai sur moi date de mes 19 ans et comme je les ai regretté longtemps, je n’ai pas retenter l’expérience. Mais là ça me branche énormément et ça fait longtemps que j’ai pas été aussi excité pour un tatouage.
Je jette un coup d’oeil à Ariane rapidement. Je ne quitte jamais trop longtemps la route des yeux.
« Tu me suis ? »
Un léger sourire en coin se forme sur mes lèvres. Je la mets au défi. Pas sûr qu’elle se plie à ce challenge, c’est pourquoi ça m’amuse autant.
J’ai la bouche pleine de ce qui s’apparente à une mixture d’oeufs frits et d’haricots trop salés, goût relativement correct si on en juge par la texture, quand Kane s’insurge. Aucune surprise, il avait toujours été le plus preux chevalier de nous deux, et en soit quand on comparait qui que ce soit avec moi, fallait pas voler très loin pour mériter la charité. « Ta bonne conscience me fait chier, qu’on se le dise. » sachant que ses intentions honorables feront un trou dans notre budget commun, j’ai un petit pincement, mais je lâche prise, quand il se lève pour filer à la douche et me laisse bon joueur tous les cronuts à la marmelade qui finiront par disparaître et dans ma bouche et dans mon sac, les rations d’écureuil pour la route. J’pense que je me rendors une fois ou deux le temps où le blond me laisse sans surveillance ; et c’est pour le mieux, autrement, qui sait ce que j’aurais bien pu piquer dans l’appartement de notre hôte encore lui aussi dans les bras de Morphée. Le pompier qui s’assure qu’on parte pas comme des voleurs aurait pu m’arracher un énième soupir, si je n’avais pas été occupée à lorgner sur son postérieur une seconde de trop, simplement pour me rappeler les goods d’une époque lointaine - un giggle qui suit parce qu’à force, Kane et ses fesses, j’avais vu le truc plus de fois que mes doigts pouvaient compter. Ouais ouais que je pense, me levant tout de même du canapé, filant à mon tour laver sur mon corps les vestiges d’hier et ramasser le reste de mes fringues sans me gêner sur le bruit. John qui ouvre un oeil sous mon sourire suffisant est un excellent argument pour qu’il nous raccompagne à la porte. Et à son oreille sous un coup d’oeil curieux de Kane et ses joues qui rosissent en parallèle, j’avance. « La prochaine fois, t’endors pas. » il a laissé son numéro dans mon répertoire si je me trompe pas, mais on était tellement bourrés que j’ignore quel mélange de lettres et de chiffres représentent son contact.
Et on reprend la route. Le naturel revient au galop quand Kane s’installe derrière le volant, après avoir passé un temps raisonnable - il prend de la sagesse et du laisser aller avec l’âge, le petit - à choisir la prochaine chanson au menu musical. Sa confidence me sort de mes pensées, occupée à compter toutes les fois où on a statué à même notre esprit embué hier à quel point c’était le meilleur voyage ever. Je pense que le fait qu’il ait parlé à Levi dans la soirée fausse les résultats, et de suite, Kane m’empêcher de râler intérieurement avec sa suggestion de tatouage qui hausse mon sourcil. « C’est son nouveau surnom? » que je feins, moqueuse, lorgnant vers son entrejambe à la recherche d’une confirmation qui ne viendra pas, mais qui occasionnera un gloussement ou deux le temps que le refrain finisse de larmoyer à la radio. Mon portable en main, j’entame de fouiller Internet et Instagram à la recherche de référence, me faire une tête sur le portfolio, pas me retrouver avec un truc artsy à deux balles trois couleurs qui me donnerait l’impression d’être toujours dans ma phase Emily the Strange - qui, à l’époque, était particulièrement cool et décalée qu’on se le dise. C’est après moi qu’elle est devenue mainstream, merci de le noter. « Stylé. » après quelques minutes à faire défiler les photos et à voir l’étendue de l’oeuvre, y’a l’inspiration qui commence à germer, et ma tête se tourne vers Kane, ma joue prenant appui sur le siège alors que je vrille mon regard dans sa direction. « T’as déjà une idée en tête? » il n’a pas vraiment le temps de répondre que je précise, touchant du bout du doigt à travers le tissu de ses vêtements l’un des vestiges d’avant, l’un des tatouages qu’il n’aime pas trop, de ce que je me souviens où il peut bien se situer. « Ou tu veux juste un truc qui va couvrir tes cicatrices de guerre? » personnellement, il me font rigoler dans le bon sens ses mauvais tattoos. Ils ont une histoire, ils font bien en anecdotique, quand on est alcoolisés en famille, quand on cherche quoi se dire pour finir par reparler encore et toujours des mêmes souvenirs. Et puis ses erreurs de jeunesse m’ont sauvé la peau à l’époque, quand à peine quelques semaines après qu’il ait commencé à détester ses dessins j’avais presque pris la décision de me faire tatouer des paroles écrites par mon ex du temps à un endroit peu glorieux.
La conversation continue un temps, le chemin aussi, avant que mes prunelles ne soient attirées par une silhouette à plusieurs mètres encore de nous, en bord de route. « Kane, Kane, Kane! » le pouce levé de ce qui me semble être un dude me redonne un soudain regain d’énergie, déjà prête pour une autre aventure, un relent de sociabilité qu’on ne me reconnaîtrait habituellement jamais vraiment. « On le prend, allez! » mais on est en vacances, et puis ça pourrait simplement être ça, une Ariane sauvage qui let loose, qui s’amuse, qui est sympa diantre, que John a peut-être même changée pour le mieux, Kane ayant visiblement aidé. « On le prend, et on invente la pire backstory ever. » et c’est là la chute, c’est là qu’on comprend que je veux juste troller, que je ne suis née que pour ça, que c’est strictement ma philosophie de vie de faire de la merde et de me marrer à outrance par la suite. « Fais ton accent de surfeur américain. Kaney from the Valley. » la voiture commence doucement à ralentir signe que le garçon comprend l’importance du truc, ou du moins, qu’il a envie de rire un peu ce qui me rend particulièrement assez fière pour lui refiler l’un des rôles inventés avec les années qu’il maîtrise à la perfection à mes yeux. « Je serai ta bimbo anglaise, la nunuche qui rigole à tout ce que tu dis. » et ça c’est la cerise sur le gâteau, quand je lui donne une Parker stupido nigaud, celle que je joue toujours avec une voix d’un cran plus haut dans les aigus. J’en salive presque, je suis hilare, j’ai la moquerie si facile et si prévisible que lorsque le van s’immobilise sur la chaussée pour que l’auto-stoppeur embarque à l’arrière, il me faut une bonne poignée de secondes avant de capter l’immense connerie, l’impossible hasard, le coup de pied foudroyant au visage que l’univers vient de me lancer pour l’avoir roulé trop de fois auparavant. « Oh fuck. » mon visage devient livide, j’ai même pas besoin de préciser que Kane sait déjà exactement de qui il s’agit. « Il fout quoi lui, ici. » l’instant d’après, la porte coulissante s’ouvre, et Jet, le type qui m’a brisé le coeur à répétition durant toute mon adolescence s’installe confortablement dans la banquette derrière la mienne. Son parfum pique mes yeux, mon nez et mon coeur - c’est le même qu’il y a 10 ans.