Je plisse les yeux quand elle parle de nouveau surnom. De quoi elle parle ? Puis son coup d’oeil à mon entrejambe et là je crois comprendre. J’ouvre de grands yeux, surpris, mais très amusé. Je ne pouvais pas m’attendre à autre chose venant d’Ariane en même temps. J’ai comme l’impression que mon corps lui manque après toutes ces années. C’est pour ça que je lui offre des occasions de me mater de temps à autre. Je ne suis pas du tout pudique et pendant ce road trip, elle a de quoi se rincer l’oeil. Surtout que je suis beaucoup mieux physiquement qu’à l’époque. Elle doit avoir envie de goûter ça mais… Nope. Not happening. Je n’ai pas envie qu’elle tombe amoureuse de moi. Hahahaa ok à qui je mens ? C’était plutôt moi qui était en train de tomber amoureux d’elle quand on était plus jeune. Il m’en faut pas beaucoup de mon côté. Suffit qu’on me prête de l’attention, qu’on me donne son consentement et je prends ça pour une relation. Je suis un coeur d’artichaut. Jusqu’à ce que je rencontre Wendy et que tous mes sentiments soient dix fois plus fort. J’ai compris à ce moment là que jusqu’à maintenant tout ce qu’il se passait dans mon être ce n’était que de l’affection. Pas de l’amour. Je suis un gars qui a besoin de beaucoup d’affection.
Ariane est déjà en train de regarder ce qu’il est possible de faire au salon de tatouage et je me dis qu’elle va peut être se laisser tenter. Ce qui serait assez fou. Mais pas totalement surprenant. Les yeux toujours rivés sur la route, la rousse me demande si j’ai une idée en tête ou non.
« Non je vais pas faire un gros truc. Ça recouvra jamais tout ça. »
Mais je ne veux pas les cacher maintenant de toute façon. J’ai appris à les aimer. Je ne veux pas prendre le risque de me retrouver avec un truc nouveau que j’aimerai pas non plus. Je crois que j’ai juste besoin de temps à chaque fois pour me faire à la nouveauté. C’est pas rien ce changement sur mon corps.
« Mais non j’ai pas d’idée précise en tête. Je veux juste un truc en rapport avec la musique. »
Quelle surprise. Et autant dire que de ce côte là y’a énormément de trucs exploitable avec moi. Ça peut être Deaf Havana, Trophy Eyes, Avril Lavigne… J’en passe et des meilleurs. Je suis en train de cogiter à ce que je peux faire quand Ariane m’interpelle. Je lève un sourcil et je regarde dans sa direction, puis dans celle qu’elle indique. Y’a un gars au bord de la route qui fait du stop. Elle veut qu’on le prenne. Ouais ok si elle veut. Ce genre de folies ne me fait pas peur. Je n’ai eu que des bonnes expériences en stop. Je souris quand elle parle de backstory. Je comprends mieux ses motivations. Je dis rien parce que si au passage ça arrange un gars qui poireaute pour aller à sa destination, c’est un truc bien. J’éclate de rire quand elle demande de faire l’accent.
« Je crois pas que j’arriverai à rester sérieux. »
Mais je vais essayer. Le pauvre gars. Dans quoi il est pas tombé. Je me mets doucement sur le bas côté. Je lâche un nouveau rire quand elle dit qu’elle va rire à toutes mes blagues.
« Et est-ce que tu suces aussi ? »
Et là j’ouvre de grands yeux en la regardant, je suis amusé, j’attends la réaction d’Ariane parce que c’est pas mon genre de dire ce genre de truc. Ça m’arrive, mais c’est rare.
Alors que le gars s’approche de la voiture, je suis en train de m’occuper du lecteur CD. Je mets Rituals, je dernier album de Deaf Havana parce que le monde entier doit l’écouter. En tant que fanboy, c’est mon devoir de répandre leur musique au plus grand nombre d’oreilles. Sauf que quand j’entends Ariane jurer, je regarde de quoi il s’agit et.
« Oh fuck ! »
Y’a clairement pas d’autres mots pour ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Jet. Le Jet. Il est là. En train d’entrer dans le véhicule. Dans notre van. Je sens que Ariane est en train de se décomposer alors il faut que je prenne les choses en main. Je me retourne pour pouvoir le regarder en face. Aucune idée s’il se souvient de ma tronche. J’avais pas les cheveux longs à l’époque.
« Non. Nope. Tu peux redescendre. On va pas dans la bonne direction. »
Absolument aucune idée mais faut juste qu’il se barre.
« Désolé on s’est trompé. Non en fait on voulait juste s’arrêter pisser un coup. Enfin, prend l’excuse que tu veux mais descends. »
WOW. Je crois que ma haine envers ce type ne peut pas mieux se ressentir que là. J’ai haussé le ton et je suis carrément ferme, sans passer par quatre chemins en fin de compte. Il n’y a pas de discussion ou négociation possible.
Les manigances qui me ravivent, et même si j’ai clairement cuvé plus vite ma cuite de la veille que lui, n’en reste pas moins que je gigote à nouveau dans mon siège, trépigne au fil des mètres qui nous rapprochent du type attendant patiemment sur la chaussée. « Oh come on! Ce sera mon cadeau de Noël à l’avance. » la supplication qui sert à rien, autant parce que je sais pertinemment que Kane va céder à mon caprice même s’il éclate de rire deux secondes après avoir lancé le personnage, mais surtout parce qu’il est très au courant que côté cadeaux de Noël, je suis pas chiante, et qu’une bouteille de scotch suffirait amplement (additionnée d’un ou deux clichés croqués en coulisses de ses collègues de travail à poil en ascendance de muscles). Éclatant de rire alors que Kane se la joue gros lourd macho comme personne, c’est additionné d’un jeu de sourcil aussi charmeur qu'exagéré que je penche mon visage vers le sien, profite d’une demie-seconde d’inattention de sa part pour mouiller sa joue au complet d’une grosse dose de salive, ma langue qui s’étale dans un bruit dégueulasse et bien juteux. « Yep, je lèche comme personne. » la confirmation, le battement de paupières, le gloussement supplémentaire, et tout va bien dans le meilleur des mondes lorsqu’on ralentit à la hauteur du hitchhiker. « Mama’s so proud. » allongeant mes jambes sur le tableau de bord, je regarde à peine, me concentre sur mon rôle le plus sérieusement du monde, jusqu’à ce que, jusqu’à ce que. Jet que je reconnaîtrais parmi une million, un milliard de personnes. Jet que je déteste d’une haine virulente, mon souffle saccadé et le soupir qui suit confirmant la chose alors que Kane capte également, une fois la tête de merde de mon ex-copain et premier amour bien visible dans le rétroviseur.
« Hen? » Williamson n’hésite pas une seconde, laisse pas la chance à Jet de comprendre quoique ce soit, la porte déjà fermée qu’il l’invite de tous les temps et de toutes les façons à sortir de là et vite. « Will? Parker? » puis, il capte le con, s’étire le cou en nous détaillant l’un l’autre, usant de nos vieux surnoms comme si on s’était tous vus la veille, comme si les dix dernières années et des poussières étaient passées en un claquement de doigt, et la cargaison de merde qu’il m’avait fait bouffer pendant toute notre relation houleuse, envolée. « C’est bon, t’as épuisé ton stock de questions à juste un mot. » et je m’étonne de garder une voix relativement posée, quand à l’intérieur, c’est l’éruption sismique qui se prépare, le volcan qui bouille, me faisant particulièrement chier de voir que même après tout ce temps, j’étais pas du tout en paix avec ce merdeux. « Bah voyons, j’peux pas sortir, ça commence à se couvrir. » dehors, le ciel est effectivement de plus en plus gris, les nuages s’assombrissent, ça augure mal pour sa mise en plis toujours aussi parfaitement désorganisée, ses fringues d’hipster en puissance. « Pas notre problème. » je l’entends qui résiste, le p’tit rire parfait du je m’en foutisme, alors que je me cale un peu plus dans mon siège, évite son regard qui pointe vers moi, qui tente de faire la part des choses. « Me forcez pas à vous supplier. » comme s’il avait calculé que Kane était aussi dans l’équation, Jet s’appuie sur le tonnerre qui résonne dehors et la foutue pluie si conne qui décide de confirmer qu’on se trouve bien au Royaume-Uni alors qu’elle commence en hypocrite à s’abattre bruyamment sur le van, cognant contre les fenêtres et le toit de tôle. « Et puis faut que vous arrêtiez pour mettre de l’essence de toute façon. » devant notre silence et sa curiosité mal placée vers le tableau de bord je ravale, inspire profondément, fait signe à Kane de reprendre la route, prends sur moi parce qu’honnêtement, lui laisser sous-entendre qu’il me fait encore le moindre plis me semble beaucoup trop beau pour son égo pour en faire autrement. « Dans 2.5 miles, tu dégages de là. » soit la distance entre ici et le prochain poste à gaz, la conclusion, la musique que je monte d’un cran, et mes lèvres que je pince maintenant que le moteur se remet en marche et qu’on reprend la route.
La sortie n’est qu’à une poignée de minutes lorsque la voix de Jet brise le parfait silence dans lequel je me complaisais, le regard suivant les gouttes d’eau qui tapissaient les fenêtres de la voiture. « Je t’ai jamais dit que j’étais désolé. Pour vrai.» il marque une pause, j’attends, jette même un coup d’oeil intrigué à Kane en gage d’attente, le suspens qui plane. « Tu penses que ça, ça compte comme des excuses? » apparemment oui, la simple mention est valable dans son monde à lui. « Parker... » « Hum? » et je la vois venir la tempête, bien plus à l’intérieur du véhicule que dehors, malgré la pluie qui ne fait qu’augmenter en vigueur. « T’as pas changé. » énième soupir, je compte les secondes avant que Jet dégage de là, qu’il devienne le problème de la station service du coin, lui et le déchet que je me refuse de constater en le laissant gagner, en tournant la tête vers lui. « J’allais te dire la même chose, et c’est pas un compliment. » un nouveau coup d’oeil à Kane, juste pour qu’il voit à quel point je prends sur moi, juste pour qu’une fois tout ceci fini, il remarque à quel point tout ça est derrière moi. À qui je mens. Il ne suffit que d’une fraction de secondes pour que Jet bousille tout, encore, lorsqu’il se met à gratter sa guitare, les quelques notes d’intro de la chanson qu’il m’avait soit disant écrite à l’époque, et qui faisait toujours office d’introduction à son plaidoyer quand il revenait vers moi la tête baissée la queue entre les jambes d’être allé voir ailleurs. Un peu à chaque semaine, du coup. « Ok, arrête là. » que je statue, à Kane, sachant qu’il se fera pas prier pour en effet retourner à nouveau sur l’accotement. Le panneau affichant la station service n’est même pas à un kilomètre de nous, mais déjà, j’en peux plus. « Débarque. » et ça, ça va à Jet, que je crache, et que je retrouve l’instant d'après dehors, me foutant bien qu’il pleuve à verse. « C’est là où tu me cries dessus? » qu’il demande l’idiot, qu’il cherche. « Non, c’est là où Kane doit intervenir pour pas que je te casse le cou. »
Will. Ca fait tellement longtemps que personne ne m’a appelé comme ça. Ariane reprend le dessus, elle parle. Lui parle. Je commence le compte à rebours quand elle va rajouter les coups à l’équation. Est-ce que je commence un Facebook live pour l’occasion ? Le con de Jet parle de la météo. Le gars est hallucinant. Ca se voit sur ma tronche que je suis sidéré. Je suis prêt à foncer dans le tas mais Ariane tient bien la conversation. Jet n’a aucune fierté. Il pense même à nous supplier. Le gars. Oh le pauvre gars. Il se rend pas compte. Moi je crois juste que c’est les dieux des éléments qui sont en train de rager autant que nous que nos chemins aient croisé celui de Jet. Jette toi oui. La météo ira mieux quand il sera loin. Il restera avec ses nuages et nous avec notre beau soleil parce qu’on brille de milles feux avec Ariane. Un blond, une rousse, c’est pas moi qui l’ait décidé. It is just the way it is.
Je vois le coup d’oeil d’Ariane qui est en train de capituler face au connard.
« Non. »
Elle me considère pas. Elle parle de le lâcher à 2.5 miles.
« Non. »
Je suis pas d’accord, je le dis, mais je vais aussi faire ce qu’elle a décidé. Parce qu’au fond, c’est le seul moyen pour que Jet dégage le plus vite. Ce gars est une sangsue. Une plaie. Un fléau. Ariane lève le son alors que je prends la route et je change de chanson pour mettre « Hell ». « I never said I treat you right » Yeah. Right. Ecoute ça Jet. Ecoute bien. Par contre je doute que le « I’m sorry I’ve put you through it » soit correct dans sa situation. On peut toujours rêver cependant. Sauf que oh bordel… Il s’excuse. Il s’excuse. Je suis en train de freak out intérieurement parce que je sais que y’a que moi dans cette voiture qui écoute les paroles de la chanson qui passe. Le coup d’oeil que je donne à Ariane est très éloquent. Il se passe quelque chose clairement. Je lui expliquerai après. Mais ouais, la soundtrack de ma vie est on point. Comme très souvent. Je me contente de conduire parce que si on se crash là maintenant on aura rien gagner. Laissez moi aller à Leeds festival et peut être je pourrais mourir après ça et encore, je suis pas sûr. Pas déjà. La chanson se termine déjà et je skip pour que ce soit « Evil » qui commence. Je sais qu’il va rien écouter mais j’ai espoir que le message subliminale passe. En tout cas moi je me sens mieux que la chanson de fond soit autant de circonstance. « Pure Evil is running through my veins » « I hurt you in a way I can never forgive myself » We’ve been known Jet. We’ve been known. Je crois que Jet se rend compte du pouvoir libérateur de la chanson que j’ai mis, parce qu’il essaie de nous contrer en jouant sa propre musique. Non. Tu n’auras pas le monopole de la musique dans cette voiture. Non. Juste non. Heureusement Ariane me dit de m’arrêter et comme y’a personne derrière je freine et me met bien au bord de la route en un temps record. Je suis trop content qu’elle soit en train de le dégager. Sa petite mélodie à la guitare c’est ce qui m’a triggered le plus de mon côté. On ne blasphème pas Deaf Havana comme ça. Encore moins l’album Rituals qui est à prendre à un niveau spirituel encore plus haut.
Le connard résiste. Oh boy don’t. Ariane veut le défoncer. Elle a la folie de penser que je l’empêcherai. Mais oui. Elle a raison. Je veux pas qu’elle finisse en taule pour homicide. Je mets le frein à main, je sors de la voiture. J’ouvre la portière arrière et je tire Jet hors du véhicule. Sans ménagement. Rien à faire d’être mouillé par la pluie. Je suis en automatique. Il faut juste éradiquer l'ennemi numéro un. Je suis conditionné. Ma vision périphérique n'est plus, il y a juste ce connard pile en face de moi. Je bouillonne.
« Allé tu te casses. »
Je prends ses affaires que je balance d'un geste vif hors de l’habitacle également. Je suis pas là pour rigoler. Je suis prêt à lui en mettre une dans la gueule même si je ne suis pas du tout pour la violence. Je ne cherche pas à ce qu’il ait le temps de répliquer quoi que ce soit que je suis déjà de retour dans la voiture à passer la première et filer droit devant. Evil se termine et ça passe à « Heaven » . Beaucoup mieux. J’essaie de calmer les battements de mon coeur en me focalisant sur la musique. Je regarde droit devant alors que je conduis. Faut juste qu’on s’éloigne de Jet le plus possible. J’en oublie la station service mais on devrait avoir assez d’essence pour attendre la prochaine. J’espère.
C’est quelques chansons plus tard, quand « Saint » commence que je tourne les yeux vers Ariane.
« On est sur la réserve. »
Depuis un moment déjà. Le panneau de la prochaine station service vient de passer. 5 miles. C’est compromis. Merci Jet.
Alors Jet est toujours en vie. Ça m’étonne en un sens, parce qu’avec sa tête à claques et sa facilité désarmante à se foutre toujours tout le monde à dos, y’avait moyen qu’il ait quitté la surface de la Terre depuis tout ce temps. J’ai espéré, faut croire que j’ai pas été assez sage depuis nos 40 000+ ruptures pour que ça ait une incidence sur mes prières. « Tu me manques, tu sais. Ça, ça me manquait. » oh God. Je soupire, pas peu soulagée que Kane y mette la main à la pâte en le kickant out du van. En soit, j’avais envie de même pas ralentir, de juste le tirer par la fenêtre, de le voir s’arracher la peau sur le bitume vu l’élan, mais faudrait pas brûler de la précieuse essence pour satisfaire mes pulsions de violence. Assistant au spectacle non sans craquer mes jointures, je pouffe de rire, mauvaise, Williamson dans l’angle qui ne bouge absolument pas lorsque je lui demande de me retenir. Du moins, il surveille. Et je l’aime lui, de comprendre qu’il a besoin d’intervenir que si je me la joue Ted Bundy sur celui qui, y’a une époque, était toute ma vie. Les choses changent, hen. Brutalement. « Do I look like I care. » apparemment, assez pour lui accorder la moindre bribe de ton attention Ariane. Sérieux, fais juste lui cracher au visage et repars. Ça sert à rien de rester là à le détailler et à imaginer les cris de souffrance qu’il pousserait si tu lui cassais chaque os du corps. Garde ça pour tes nuits d’insomnies, pour chasser tes futurs cauchemars avec de quoi te calmer direct.
« J’ai envie de te donner mon numéro. » le mec qui ne sait pas lire la pièce, en un seul et unique exemplaire. J’arque le sourcil avec un dédain pas le moins du monde camouflé, assistant à ma plus grande surprise à ce qu’il pousse sa connerie à sortir un crayon de sa poche, esquisse un pas vers moi, vers ma bulle, hors de son périmètre de sécurité, pensant m’inscrire les digits sur la peau. « J’ai envie que tu crèves dans ta merde après des mois d’atroces souffrances à te faire démembrer au couteau à beurre. » que je rétorque sur le même ton que lui, le repoussant de mes deux paumes violemment appuyées sur son torse. « Mais c’est pas pour ça que ça risque d’arriver. La vie est injuste. » la dernière chose qu’il verra, c’est le nuage de poussière des pneus crissant vers leur retour sur l’autoroute. La pluie tombe, sa silhouette disparaît dans le rétroviseur, je souffle enfin. Mais y’a la panne qui finalement nous immobilise, trop perdus dans notre recherche d'une station-service, la réserve qui finalement était bien plus vide que ce que le compteur mentionnait. Une anecdote de route en plus, pas la première fois que ça nous arrive et pourtant, une fois un garage du coin contacté et l’attente qui s’aligne pour s’étirer sur la prochaine heure, je tourne la tête vers mon meilleur ami. Le regard brillant d’espoir, la voix qui chante. « Tu penses que j’ai le temps d’aller le défoncer avant que la remorqueuse arrive? » j’avais appris à détester vivre avec des regrets.
22 août 2018. On a fini par arriver à Leeds contre toute attente. Des arrêts dans plein de villages sur le chemin, des potes de partout. L’Instagram de Kane déborde de selfies avec ses nouveaux BFFs qui changent selon sa localisation, le coeur d’artichaut qu’il est qui me donne presque envie d’accepter leurs demandes d’ajouts sur les réseaux sociaux à mon tour. Mais à la place, je me complais dans les notifications sans réponses, jouant juste assez de mon charme pour qu’on me pait des verres gratuits parce que je suis pote avec le blond et que donc, j’ai un free pass. Ce voyage est d’une perfection.
Il est parti Dieu sait où quand je finis par trouver l’espace réservé au camping sur place, déballe nos affaires pour me mettre à l’oeuvre et nous installer avant la tombée de la nuit. On est arrivés un jour d’avance, voulant faire les choses bien, et pas se retrouver à élire logis temporaire entre les flaques de pisse et de gerbe de nos compatriotes amateurs de bonne musique - et d'abus en plein air. Quand Kane revient à ma hauteur, j’ai derrière moi la structure solidement plantée, les sacs de couchage déroulés à l'intérieur, et une bière entre les mains qu’on m’a gentiment donnée malgré mes vannes sarcastiques à la volée. « La tente est toute montée. Et on a même des voisines. Let me introduce you to Fidji et Dentelle. » ceci explique cela. Les deux ladies avec moi dans leur trip hippie à souhait, renommées probablement (j'espère, sinon oh god les parents derrière ça sont des maniaques), elles sont tellement candides et occupées à planer sur leur drogue florale du moment qu’elles ont pas capté à quel point je les roast depuis qu’elles sont venues monter leur propre tente à côté de la nôtre. « Je me souvenais plus à quel point les gens festival ready sont mon peuple préféré à troller. » j’attends qu’elles soient occupées à jouer les Instababes en se prenant en photo avec leur look qui pue le fake, fini ma bière avant de laisser mon regard dériver au-delà de l’épaule de Kane. « On va faire un tour? » question d’investir un peu les lieux, et de repérer les scènes pour demain, de préciser le planning - qu’il a probablement déjà terminé, révisé, et répété des dizaines de fois dans sa tête depuis la publication du tout premier flyer. Oh, Kane.
Je suis sidéré par ce connard qui essaie genre vraiment de reconquérir Ariane après tout ce temps. Après toutes les merdes qu’il lui a fait subir. J’ai jamais aimé le gars. Depuis le premier jour. Et mon aversion pour lui est toujours à son comble. Il l’a vraiment traité comme de la merde et elle était trop in love or so she thought pour se sortir de là. Heureusement elle le remballe alors qu’il surenchéri. Je suis halluciné.
« Je suis sûr qu’on peut trouver le temps pour ça. »
22 août 2018 Leeds. Nous y voilà enfin. Je suis excité comme une puce. Intenable. Parce qu’en plus y’a le nouvel album de Amity Affliction qui va drop à minuit le lendemain. J’ai tenté de soutirer des infos à Ahren et la vérité c’est qu’il m’a envoyé deux chansons en secret. Je l’ai pas dit à Ariane mais quand elle va m’entendre chanter les paroles sur le bout des doigts (oui je les ai déjà écouter 100 fois depuis) elle va capter que y’a comme un truc qui cloche. Un tout petit truc.
Ariane a préparé la tente et tout ce qu’il faut. On aurait pu dormir dans le van direct mais ouais je comprends qu’elle veuille le full experience. C’est fun. Et elle me présente à des meufs qui ont des noms à coucher dehors. J’essaie de pas trop me marrer parce que ça se fait pas. Mais je me demande d’où elles viennent ces Fidji et Dentelle. Elles sont super chou en vrai - après deux minutes de conversation - et j’ai envie de leur faire des hugs à tous les instants. Ariane qui se moque d’elles la seconde où elles ont filé de leurs côté. Je roule les yeux.
« T’es pas croyable. »
Pourquoi je suis surpris en fait ? Et on file faire un tour alors que j’ai hoché la tête super rapidement à plusieurs reprises. Je veux voir la main stage même si on peut pas aller trop prés encore. C’est pas ouvert de ce côté là. Mais y’a pas mal d’attractions déjà dispo, des trucs à sensations, de la bouffe en veux tu en voilà, de la bière n’en parlons pas, d’ailleurs on en prend deux direct bien sûr. Mon nom n’est pas Kane si je me balade dans un festival sans une bière à la main, même la veille du fest en lui même.
« Y’a des rumeurs comme quoi Bring me the horizon vont faire un secret set. »
On s’est posé dans l’herbe en face de la main stage qui est à une centaine de mètre de nous. Oui j’ai pris une selfie avec ça en fond et oui je l’ai mis sur facebook. Oui aussi j’ai le nez dans sur mon fil twitter et je vois l’actu de mes groupes favoris et j’ai bien sûr vu pour BMTH.
« Je vais faire un malaise si ils jouent je te jure je sais pas si mon coeur va tenir le coup. »
Parce que y’a Deaf Havana et Trophy Eyes qui jouent déjà. Genre, comment un autre de mes groupes préféré peut être ajouté d’un coup alors que j’ai déjà mal place et que je suis déjà au fest ? Genre comment ? Pourquoi l’univers est si gentil avec moi ?
« Et puis le nouvel album de Amity demain soir oh god… I am not fine. »
Beaucoup trop d’émotions. Va y avoir des larmes. C’est sûr.
Il arrive juste au bon moment pour les entendre jacasser sur les meilleures marques de henné pour se donner un air oriental qui se matchera à la perfection à la razzia de shopping qu’elles ont faite chez Urban Outfitters en se jurant que tout avait l’air vintage à souhait, que ça aurait sûrement le potentiel de venir d’un vieux thrift shop de Camden à ce niveau. Pathétiques. « I aim to please. » je bats des paupières, finalise les dernières installations, l’invite à aller se promener et devant son entrain, on bouge. Il est là l’avantage d’être arrivés d’avance, et ça on l’avait bien compris la dernière fois où on avait fait un festival ensemble. Y’avait rien de pire que de se pointer quelques heures avant l’ouverture des portes, quand la majorité des gens à l’intérieur avaient pu dormir confortablement - relativement - avant de se faufiler dans les files ni vu ni connu, frais - relativement - comme des roses. Il initie le mouvement à se poser un peu en retrait d’une des scènes, qui me semble être la principale à première vue. Une gorgée de bière plus tard et je l’entends s’emballer sur les rumeurs, le sourire en coin qui n’en finit plus de grandir sur mes lèvres. « Rumeurs, genre tu as saigné toutes les plateformes possibles et inimaginables pour confirmer chaque creepy detail, c’est ça? » ma voix s’amuse, mon ton se moque, et j’ai même pas besoin d’attendre qu’il me confirme que je l’imagine déjà avoir fait encore pire, conserver chaque indice dans un dossier secret, compiler les indices comme de précieux Graal. Mon regard est pas attendri, non, c’est un rayon de soleil dans le coin qui donne cette impression. « Je me chargerai de te ramener à la vie à grand coup de claques au visage s’il le faut. I volunteer as a tribute. » son malaise n’est qu’une excuse supplémentaire pour passer mes pulsions de rage quotidiennes sur quelqu’un. « Ou façon Pulp Fiction. C’est plus dramatique. » ouais, vends-moi du rêve Kane.
Jusqu’à ce que ça ne soit plus le cas. Y’a comme un gros, un pesant, un lourd silence qui plane quand il parle d’Amity. Avec le drop in drop out de Jet dans nos (ma) vies y’a quelques jours, et la mention du band que j’ai suivi comme roadie pendant tout un an à peine j’avais 17 ans, même band dans lequel Ahren, un de mes plus vieux potes, est membre fondateur, même band où y’a Joel, oh Joel, ça fait beaucoup côté nostalgie. « De qui? » ma voix est trop légère pour que la blague sonne pas faux, mon amnésie forcée qu’il capte avant même que je lui fasse l’affront de continuer sur ma lancée. « J’rigole. Good for them. » Kane sait que j’ai passé une grande partie de la dernière année à vivre ma vie sans (le moins possible) accorder de pensées vers eux rien que pour bien faire le ménage, bien tout chasser, bien repartir à neuf, que je le trouve particulièrement cowboy de se risquer à en parler aussi ouvertement. Sans être un sujet tabou, c’était pas le genre de mention que je droppais dans mes conversations régulières. « T’as prévu une écoute complète? » à qui je mens? En même temps, poser la question, c’est m’assurer de me préparer mentalement, de me dégager de toute surprise, de faire le deuil de suite et comme ça, savoir à quoi m’attendre une fois qu’il lancera l’album 14 fois de suite et encore, 14 autres. J'inspire, je souffle un peu, cherche de quoi changer la conversation vite et bien avant qu'on parle d'autre chose que de leur musique. Oh oui, je sais, voilà. « On devrait inviter Levi à venir nous rejoindre pour le festival. C'est son genre de truc, d'arriver sur un coup de tête anyways. » ouais, elle sort l'artillerie lourde Ariane.