« Artistiques ? J'avoue que l'art c'est subjectif, mais quand-même...» Un nouveau rire m'échappa. Sa voiture était vraiment d'un goût des plus douteux, et je suis sûr que dans le fond même elle n'aurait pas dit le contraire. D'ailleurs je me décidai à la taquiner davantage. « Tiens, d'ailleurs, au final qu'est-ce qui différencie une oeuvre spéciale d'une oeuvre moche ? Qui a parole d'évangile pour décider de ça?» Non, parce que, à en voir certains tableaux... C'était à se demander si le gars qui avait décidé de vendre ça avait les yeux en face des trous. Et surtout, vu que l'art c'était sensé être subjectif, qui pouvait choisir entre le moche et le beau là où moi et finalement le commun des mortels ne voyaient qu'une forme sans réelle réalité ? Oui, bon, j'avais toujours le chic pour poser des questions à la con, c'est vrai. Mais en même temps, je voulais tout comprendre, même ce qui me paraissait inconcevable. Comme pourquoi une tâche de peinture se vendait plus cher que mes talents de chirurgien et surtout mes douze années d'études ? Quand on y regardait de plus près, je n'étais pas si bien payé que ça, si on comptait les heures, la difficulté physique, ou encore le niveau d'études. Et le fait que je devrais perpétuellement me former pour apprendre les nouvelles procédures, surtout avec le cerveau. Elle souligna ensuite le fait qu'elle n'avait pas de diplôme, dans le fond ce n'était pas une chose que je jugeais, puisqu'elle avait réussi à tirer profit de son talent, du moins elle essayait. Elle était débrouillarde et travailleuse, c'était les deux seules qualités qui comptaient vraiment pour moi, dans un contexte standard. Parce qu'une multitude d'autres paramètres pouvaient rentrer en compte évidemment. « Tu n'as jamais voulu reprendre des études?» Risquais-je, je ne voulais ni la blesser ni la froisser, néanmoins, j'étais du genre pro-études, alors si je pouvais aider ou motiver des gens à en faire, ce serait toujours un plaisir pour moi. Mais dans le fond, je pensais que Tess était faite pour dessiner, et c'était très bien pour ça. Aussi j'ajoutais sur un ton des plus doux, du moins aussi doux que je le pouvais. « Et puis, ceux qui ont besoin d'un diplôme pour dessiner comme tu le fais, c'est qu'ils manquent de talent. Tu vois, j'aurais dû dire "ce n'est pas donné à tout le monde sauf toi et moi".» Bon c'était maladroit, mais c'était ma façon de la valoriser et je supposais qu'elle le comprendrais comme tel. Après tout je n'étais pas doué pour ce genre de choses. Un nouveau rire m'échappa lorsqu'elle me parla de jouer au Pictionnary. « Toi, sans doute, mais on ne peut pas avoir du talent pour tout. Mais regarde, on est tous les deux des artistes, toi tu dessines sur des feuilles et moi je sculpte des cerveaux...» Bon ok, dis comme ça c'était affreusement glauque, en vrai. Mais c'était tout moi, les deux pieds dans le plat et en avant ! La partie commença donc et Tess se mit rapidement à râler, et à essayer de me déconcentrer pour gagner des places et me rattraper. Faut avouer que c'était plutôt à mourir de rire comme situation, parce que mon métier m'avait trop bien appris à rester concentré en toutes circonstances. « Tu te fatigues pour rien, je te rappelle que je suis chirurgien, j'ai passé 6 ans à apprendre à garder les doigts parfaitement immobiles quoi qu'il se passe!» Je ris à nouveau. C'était quand-même marrant de la voir essayer. Puis on sonna à la porte et je mis donc le jeu sur pause pendant qu'elle allait récupérer la commande. Une fois revenu avec les couverts elle me demanda une assiette et je retournai donc à la cuisine pour lui en chercher une. Ensuite nous commençâmes à manger pendant qu'elle s'extasiait, ce qui me faisait sourire de temps à autres. Néanmoins, mes quelques problèmes pour me nourrir depuis toujours, du moins depuis aussi loin que je m'en souvienne firent rapidement leur apparition et donc après peut-être deux ou trois fourchettes je reposais cette dernière, n'ayant plus faim. Je me saisis ensuite de ma bière et en bus quelques gorgées avant de la reposer sur la table. « Non, parce qu'après tu auras droit à des cours d'anatomie.» Dis-je sur le ton de l'humour, mais je me rendis bien rapidement compte que cette phrase pouvait être prise à double sens, aussi je rougis assez subitement. « Enfin... Avec mes livres de chirurgie, hein?»
Lorsque Paul lui posa une question sur ce qu'était l'art. Tess ne pu s'empêcher de rire et de lancer « mec... tu n'aurai jamais du me poser cette question » avant de tchiper et de rire. Elle fini alors par demander tout simplement « qu'est-ce qui est beau et qu'est-ce qui est moche, déjà ? » parce que pour traiter du beau, on peut éventuellement parler de Kant, d'Hegel et des grands théoriciens esthétiques qui se sont penchés sur cette réflexion. Finalement, qu'est-ce que le beau ? Qu'est-ce qui mérite d'être beau ? Mais ça soulève aussi une autre question « tu sais, y'a plein de philosophes qui se sont posés la question, Kant, Hegel ou même Benjamin, mais y'a qu'une seule et vraie question qui doit être posé, qu'es-ce que le beau ? Et surtout, qu'est-ce qui mérite d'être beau ? » elle tourna sa tête vers son ami, demanda à ce qu'il mette pause un instant et se tourna vers lui. Avec des gestes, elle s'expliqua. « C'est ça, l'Art. » avant de rire. « Depuis l'Histoire des images, on a cherché à représenter des choses qui se devaient d'être représentées, de la Mythologie, de l'Histoire, des personnages importants, des thèmes religieux et pendant des siècles, on a dit que c'était ça qui était beau, et qui devait être représentés » elle marqua une pause et assez vite expliqua « parce que les gens ne savaient pas lire et que c'était une forme d'éducation simpliste et surtout de propagande ». Elle bu un peu de sa bière et lança « et puis à l'époque moderne, les artistes se sont juste dit « wallou, j'en ai marre de peindre des thèmes que l'on connaît tous et sur des formats que l'on m'impose tout ça pour être exposé et avoir du biff » parce que c'était clairement ça à l'époque. L'Histoire, la Religion, ça se peint en grand et c'est le seul endroit où le Nu est accepté ». Elle sourit et lança alors une explication plus contemporaine : « je fais court, parce que c'est compliqué mais au XIXème siècle, les artistes se sont demandés ce qu'était l'Art ? Est-ce que c'était toujours l'art figuré, donc ce qui représentait le monde comme un paysage, un portait naturaliste en somme ; ou bien si c'était autre chose ? Picasso, quand il peint ses Demoiselles d'Avignon, c'est à dire un bordel français, et bien il ne les peint pas à la Ingres, mais dans une vision... ultra moderne, il prend les traits des masques africains pour les visages, il inclus donc une ethnicité et des couleurs à sa scène et puis surtout, il peint le Nu dans ce qu'il est de contraire à la religion : le péché de la prostitution et puis surtout » elle marqua une pause, avala sa salive et lança « il peint la quatrième dimension, c'est-à-dire que le spectateur face à cette toile immense et immersive, il voit à la fois le devant, le derrière, les côtés et c'est ça le Cubisme » elle claqua dans ses mains et rigola « tu vas dire que je m'emballe, mais y'a trop à dire face à ce genre de réflexion que tu m'fais » elle sourit et reprit « Marcel Duchamp, quand il envoie un urinoir issu de l'industrie et qu'il signe « R. Mutt » à l'Exposition des Artistes Indépendants de New-York, c'est justement pour jouer avec leur slogan qui disait « on accepte tout, car tout est art » et ils l'ont refusé justement cette oeuvre » . Elle rigola, évinçant le fait que Mutt soit une insulte en allemand et que Duchamp faisait partie de ce jury et qu'il avait envoyé cette œuvre anonymement pour tester l'ouverture d'esprit de ce « jury ». « Comment tu peux qualifier une œuvre qui joue sur la sensibilité de chacun ? » elle posait cette question dans le vide, mais elle était tellement choquée de l'avis de Paul sur ce sujet, lui qui justement, ne voit pas le monde du même regard... il avait une vision si fermée et étriquée, Tess était quelque peu déçue qu'il ait si peu de considération pour un univers pourtant si riche, si intéressant. « Les gens voient toujours une œuvre plastique dans les limites de sa réalité physique » elle parlait plus calmement « mais putain, ils ne comprennent rien, une œuvre est un concept. Un concept avec un discours, une pensée, un contexte qui font toute la différence et qui justement, donne le sens ou le corps à une oeuvre » elle bu de sa bière et reprit « quand Manzoni fait caca dans une boite et qu'il vend ça des milliers de millions, c'est pour quoi ? » elle attendit une réponse et lança « pour dénoncer le marché de l'art, le fait que des gens soient prêts à payer autant pour finalement... juste un objet qu'un artiste a annoncé comme oeuvre » parce que l'art contemporain, c'était ça, et notamment grâce à Duchamp et ses Ready-Made. « Quand Malevitch peint « Carré blanc sur fond blanc », faut s'intéresser au contexte, à la date où ça a été fait, faut faire abstraction de notre monde à nous un peu... » elle soupira et lança « et cette œuvre est sans nul doute l'une des œuvres les plus ouf du monde, parce que le mec à juste résumé toute l'histoire de l'art, toute l'histoire de la peinture en une seule toile... » elle rigola et lança « franchement, j'm'attendais à une autre réaction de ta part à ce sujet-là, toi qui voit toujours au delà des apparences, au delà du corps... » elle termina finalement sa bière. Finalement, quand il lui demanda si elle souhaitait reprendre des études, elle lança « non plus maintenant » et c'était vrai. Désormais, non, elle n'en avait ni l'envie, ni le courage, ni la détermination. Peut-être plus tard, qui sait ? Mais dans tous les cas, ça ne serait certainement pas dans le domaine du petit blond, bien loin de là même. « Tu sais études ou non, rien ne m'a jamais empêché d'apprendre » et c'était le cas et surtout la preuve avec cette longue tirade. Avant son viol, Tess avait été une élève brillante. Le repas arriva assez vite et alors qu'ils étaient en train de manger toujours assis sur le canapé, Tess plaisanta sur le fait qu'elle n'était pas partie, Paul enchaîna sur un potentiel cours d'anatomie mais très vite, elle tchipa et lança « heu... non, pas ça » avant de rire et de continuer à dîner tranquillement. La jeune femme adorait son plat indien, elle se tourna vers Paul et demanda comment était le sien. Finalement, les deux amis dinèrent avant de continuer à jouer à leur partie de jeu-vidéo commencée un peu plus tôt. Là-dessus, ils passèrent la soirée à jouer à des jeux de société, en rigolant et à discuter encore de tout et de rien, à débattre pendant des heures avant que finalement, Tess ne décide de partir. Ce soir, elle ne dormait pas dans son appartement, elle devait faire la route jusqu'à Samsonvale, et c'était une bonne heure de route qui l'attendait. Elle embrassa chaleureusement son ami avant de quitter Brisbane en direction de sa maison. Elle était contente de sa soirée avec Paul, elle avait le sentiment de l'avoir aidé à traverser sa crise d'angoisse et c'était une bonne chose. Bientôt, elle n'habiterait plus si loin de chez lui et ils pourraient se voir souvent et ça, c'était vraiment une chouette idée.
HRP : Je me suis dit qu'on pouvait finir ce rp, j'espère que ça ne te dérangera pas? Tu peux toujours répondre si tu en as envie bien sûr :D