Alors, il était à Brisbane. Pas que j’en ai douté, pas que je me sois fait chier à l’attendre non plus, impatiente, un coup d’oeil volé une fois ou deux vers la marina alors que ma bagnole prend quotidiennement la sortie vers le chemin de GQ que je connais tellement par coeur qu’il coule de source, matin après matin. Il était à Brisbane et il était arrivé comme un charme, comme une plaie, comme une décharge, comme une étincelle qu’on sait jamais vraiment si on veut garder éteinte ou si une fois allumée, on la regarde brûler. On l’admire, on attend. Levi qui réussissait avec brio autant à m’énerver qu’à me fasciner, petit personnage haut en couleur et en caractère, créature bien étrange qui se fout des convictions, du reste. C’était pas pour rien qu’il avait reçu de ma part une quantité respectable, décente, presque polie de vannes acides comparativement à n’importe quel autre dude qui rôdait autour de ma vie. Les gens différents, décalés, c'est mon guilty pleasure. Fallait dire qu’il remontait aussi, dans le temps. Que le rodatrip avec Kane où il s’était incrusté avait bien placé les marques, que de le revoir un mois plus tôt à Londres avait fini par relancer le truc. Et encore aujourd’hui, je savais pas du tout comment nous qualifier - alors je ne nous qualifiais pas. C’était beaucoup plus fun de ne jamais savoir si j’allais être une horreur avec lui, ou si j’allais me comporter de façon quasi contrôlée, sous le regard accusateur de Kane qui prend tout le mal, toutes les douleurs et tout le chaos du monde sur ses épaules en temps plus que normal. Ceci étant dit, Kane était pas là aujourd’hui. Kane rôdait je sais plus trop où, j’avais pas non plus son agenda à la clé, et il avait mentionné que l’anglais serait pas trop loin de lui, qu’ils avaient du temps à rattraper, les yeux brillants, la bouche en coeur. Parfait.
Mon sac s’était rempli sous le regard inquisiteur de Vittorio, lui qui m’entendait chantonner une mélodie beaucoup trop innocente pour que je suis up to something good. Je la vois déjà, la pression qui quitte ses épaules, quand je finis par me tirer de l’appartement et lui confirmer en silence que ma bonne humeur douteuse et mon regard de mauvais coups ne lui seront étonnamment pas dédiés - du moins, pas pour le moment. Le chemin se fait relativement bien, j’y vais au feeling, je suis les indications, trouve le parking, enfile mes solaires sur mon nez, trottine jusqu’aux quais. Ce qu’il y avait de bien avec Levi, c’est aussi qu’il était diablement prévisible pour certaines choses. À savoir que d’un seul coup d’oeil, je reconnais son bateau, je reconnais sa carcasse de bois ayant vu plus encore que mes yeux de globetrotter aguerrie qui fait bien pitié en comparaison. Il a pas changé la coque depuis la dernière fois, il a pas réparé la fente, là, celle qui montre jusqu'au grain du bois. Y’a toujours le même drapeau blanchi par le soleil qui flotte à l’avant, des restes de bouteilles de bière, un échantillonnage de ses éternels chapeaux, des feuilles par dizaine, et encore tant de traîneries sur le pont que j’évite relativement bien, grimpant sur le bateau la seconde suivante. Un coup de crème protectrice à la noix de coco pour rendre ma mère et son dermato particulièrement fiers, et c’est séance bronzette qui s’anime, l’impression étanche de faire partie de ces femmes siliconées aux vieux types friqués alignés à leurs côtés comme des accessoires, une épopée façon Dynasty qui me suffit bien, yeux clos, et le bruit des vagues qui fait presque comme si j’avais le droit d’être là. Mais soyons honnête, m’incruster avec impolitesse a toujours été mon plus grand talent, ma meilleure distraction.
« Tu bloques le soleil. » une sieste, un reste de sandwich déniché dans la cale et un coup d’oeil mal placé sur le dernier truc en liste qu’il semble avoir écrit, et voilà que derrière mes paupières fermées, je décèle une ombre, une silhouette qui cache la lumière, qui assombrit mes intentions éhontées de petites vacances aussi impromptues que méritées. « Kane a dit que vous seriez ensemble toute la journée. » sachant très bien que le creep qui vient de se pointer est Levi sans même que je daigne ouvrir ne serait-ce qu’un seul oeil, je poursuis mon discours, la voix rieuse, le sourire en coin. Au moins ces quelques heures de tranquillité forcée auront suffit à recharger mes batteries et à préparer une seconde envolée lyrique avec un ou deux éclats de rire à la clé. « Il t’a lâché pour aller bécoter Wendy? » ma moue faussement dépitée suit le mouvement, maintenant que je me redresse un brin, prend appui sur le siège derrière moi, glisse mes lunettes sur ma tête et les quelques mèches à peine humides d’eau salée qui encadrent le reste. « Avec moi, il se gêne même plus. T’as perdu ta place de préféré, Levincé. » qu’elle roucoule, la vipère. Parce que le brun sait autant que moi que Kane cédera jamais à quiconque et encore moins à moi sa place de choix, de roi, et que c’est bien ce qui me fait râler sur une base hebdomadaire. Ouais ouais, Levi est si cool, ouais ouais Levi est si libre, blablabla. « Il navigue ton truc, ou il tombe trop en ruines pour? » et parce que le capitaine est à bord, l’option logique sera de l’occuper à faire autre chose qu’à rester planté là.
I walk the world by myself, I got this soul that I can’t sell.
Tu reprends peu à peu tes repères dans le terrain de jeu que compose Brisbane. Cette ville ne t'est pas inconnue vu les nombreux mois que tu y as passé. Néanmoins, l'appréhender comme lieu où tu pourrais rester sur du long-terme t'est totalement étranger. Tu ne préfères pas y songer, cette idée même semble glisser sournoisement contre ta peau pour se réfugier autour de ton cou et t'étrangler sans merci.
Plutôt, tu tâches de passer du temps avec ton meilleur ami Kane, tes cousins Matt, Ginny et Jillian ainsi que Noah, la dernière addition McGrath. Tu t'es amusé à établir une liste mentale de tous ceux dont tu serais curieux de connaître l'existence actuelle et pour lesquels tu pourrais profiter de ta présence en Australie pour découvrir s'ils ont échoué lamentablement leur vie ou pas. Tu en as connus, des gamins imbuvables et arrogants. Tu as tenu la main de quelques fillettes rêvant comme des princesses. Il y avait aussi ce garçon manqué, Tara, qui t'intriguait. Peut-être pourrais-tu t'amuser à éplucher les annuaires pour compléter leur histoire dans ta mémoire, t'inventer des passages entre les faits connus et ceux cachés voire inavouables.
Lorsque Kane t'annonce appelé par d'autres obligations, tu reprends doucement la route vers le port en direction de ton domicile singulier. Si tu avais opté pour te poser en ville, probablement qu'un membre de ta famille t'aurait hébergé. Cependant, pour l'instant, ton bateau remporte le titre du choix le plus judicieux. Premièrement, tu aurais le sentiment d'étouffer encore plus en t'installant ailleurs. Deuxièmement, tu dormais bien mieux sur la mer qu'en situation urbaine.
Troisièmement, ça te permettait d'avoir de la visite surprise ? Tu reconnais bien la silhouette installée sur ton pont, tel un chat d’égout prenant ses aises sur le premier couvercle de poubelle confortable. « Tu bloques le soleil. » Opportuniste, l'une de ses qualités. Têtu, tu ne bouges pas, néanmoins. Plutôt, un sourire amusé naît sur tes lippes et tu laisses glisser ton regard sur les traits d'Ariane. « Kane a dit que vous seriez ensemble toute la journée. » « Oh, tu te renseignes sur moi ? » Sa moue faussement dépitée apparaît, tu te rapproches dangereusement de la chroniqueuse alors qu'elle évoque Wendy. Ah, Wendy, tu as encore dans ton esprit des scènes dont elle est l'un des protagonistes principaux, néanmoins, tu ne sais plus si tu as assisté à ces moments où tu te les es juste très bien imaginés quand Kane te les as relatés. L'un des torts d'avoir une grande imagination : la différence entre source primaire ou secondaire des événements est souvent brouillée. « I don't kiss and tell » Et tu t'installes à même le siège occupé par Ariane, quitte à ce que vous soyez serrés, quitte à ce que tu l'écrases, quitte à ce que tu t'imprègnes de sa crème solaire à la noix de coco, quitte à ce qu'elle t'éjecte brutalement. « Avec moi, il se gêne même plus. T’as perdu ta place de préféré, Levincé. » « Nah, j'y suis. » Tu provoques, profites allègrement de ce moment où ton affection irrite forcément la rousse impulsive. « Il navigue ton truc, ou il tombe trop en ruines pour? » Tu te redresses brusquement et bondis sur le pont. « J'ai cru que t'allais jamais demander ! » Tu t'agites sur le bateau, relèves tes amarres, étends ta voile, prends les commandes. Tes mouvement sont si précipités et efficaces qu'on te prendrait presque pour un pirate en fuite. La Parker, quant à elle, ne te questionne pas sur votre destination : une décision judicieuse de sa part puisque tu n'aurais aucune réponse à lui fournir.
Le moyen de transport quitte le port et s'éloigne de la terre ferme. Tu le diriges au gré du vent et des règles de navigation, de manière à se situer aussi loin de la civilisation que possible. On dirait presque que c'est ta drogue, de ne plus voir la ville et n'être entouré que de bleu. D'ailleurs, tu as le sentiment d'inspirer beaucoup mieux. L'air marin te quitte rarement mais ici il te semble plus pur. Un goéland s'invite grossièrement sur la rambarde de ton bateau et tu ne le chasses même pas, en grand homme que tu constitues. « Ha ! Mon paradis ! » Tu inspires à plein poumon, tends les bras tel un volatile et te retournes vers Ariane. L'inclus-tu dans ta définition d'idéal ? Oserais-tu cet affront ? Il y a autant de narquois que de charme dans ton regard. « J'ai droit à un commentaire pour ma victoire, Masquerouge ? Mon challenge est relevé. » Je faisais référence à cette place réservée à la va-vite dans le port de la ville australienne lors de notre dernier échange. A ce plan fou initiant ma sédentarité. « T'as relevé quoi comme défi toi dernièrement ? Ton courrier du cœur est toujours foudroyant ? » Tu sifflotes quelques notes dramatiques pour souligner l'horreur plausible.
Le bruit sourd d’un pied mis sur le pont aurait dû me faire sourciller, si je n’étais pas amplement en possession de mes moyens, et toute aussi à l’aise de squatter sans la moindre invitation papier. Connaissant le moineau, je ne doutais pas qu’il soit plus qu’heureux d’avoir la compagnie de quiconque à toute heure, lui qui roucoulait du moment où on lui parlait, lui qui allait vers des inconnus comme on va vers des potes de longue date. Sa sociabilité lui jouait des tours devant mon incapacité à céder le fait que j’étais impolie, à mon aise sous ses commentaires qui vannent, qui me font hausser le sourcils, rire presque. « Te flattes pas trop non plus. Il dit pas une phrase sans te mentionner. » parce que c’était commun que le Williamson ait toujours son nom sur les lèvres du moment où il parlait de tout et de n’importe quoi, encore plus maintenant que le dit meilleur ami avait posé ses pénates en sol australien. Le miracle de Noël avant l’heure, et qui ne venait avec aucune mention de remerciement pour celle qui avait été à même de le forcer à réserver sa place au port, à le pousser à bout juste assez, suffisamment pour qu’il me dise de la boucler, son numéro de quai de stationnement en main. M’enfin, j’en tiens pas rigueur. C’est pas ça qui va assombrir ma journée, encore moins quand Levi me tend le tout sur un plateau, et qu’il essaie de dévier avec charme et contenance mes questions au sujet de notre pote commun et sa nouvelle concubine à la vie sexuelle bipolaire. « À la place, t’en fais des chansons. » i don’t kiss and tell, i kiss, and i sing about it, a lot. Mon roulement d’yeux est aussi exagéré que le soupir qui le suit, et le coup d’oeil confirmant que j'ai bien sûr entendu parler de la chanson qu’il a rédigée pour Kane, l’autre le rose aux joues pendant des siècles et des siècles. La vérité, c’était qu’ils étaient particulièrement mignons tous les deux. Et qu’avec le bon ratio d’alcool, la quantité suffisante de substances illicites, j’arriverais probablement à leur provoquer un rapprochement en y mettant les efforts nécessaires. Voyons ça comme une énième bonne action de ma part. Mes manigances silencieuses sont troublées le temps que l’anglais arrive à ma hauteur, se colle, se pousse, me pousse, et rafle ce qui me reste de bulle sous un coup d’oeil noir, et un râle entendu. Une inspiration de sa tignasse emmêlée et je confirme qu’il a au moins eu la brillance d’esprit de se laver depuis notre dernière altercation. Le reste est secondaire lorsque j’ai l’idée du siècle, le propulsant loin de mon espace vital. Éclatant de rire à le voir se donner comme si sa vie en dépendait, c’est avec une lenteur assumée que je me cale à nouveau dans mon siège, mate le tout sans la moindre délicatesse, scrute la silhouette et les efforts, le sifflement narquois qui suit. « Va, vole, et t’attends pas à ce que j’aide. »
Des yeux, je suis le mouvement du bateau qui quitte la berge, entends à travers les vagues qui se cassent sur la coque, qui font bouger le pont, qui glissent le long du trajet. La marina diminue doucement d’ampleur derrière nous, l’air qui devient plus frais, plus froid, et le bruit spécifique du bateau qui se met plus qu’en marche suffisent à ce que je comprenne qu’il a pas non plus envie de juste faire un tour du propriétaire, qu’il a des idées de grandeur. Tant mieux, Brisbane m’ennuyait aujourd’hui. « Manque quelques denrées importantes pour que ce soit un vrai paradis, quand même. » que je rétorque, quand Levi se la joue lover boy avec ses coups d’oeil lascifs. Sautant de ma place, mes pieds nus s’avancent à tâtons sur le sol craquelé, retrouvent le chemin de mon sac, d'où j'extirpe de quoi alléger encore plus les esprits. Et parce que je suis pas une sans coeur non plus - et que j’ai oublié mes allumettes à l’appartement, fait chier - je finis par me faufiler à côté du McGrath, paupières battantes, regard suppliant, et joint à partager entre les lèvres. « Il est où ton briquet? » mes mains impatientes se fichent qu’il n’ait pas encore répondu lorsqu’elles passent des poches de sa chemise à carreaux à celles de son jeans, jusqu’à ce que mon envahissement de son propre cocon se solde par une découverte fortuite. Le bruit de la pierre qui craque, l’étincelle qui allume la clope verte, et la première bouffée que je prends avant de lui tendre mon dû. Lui, il en est à parler du pari, il en est à se rappeler du défi de nous suivre s’il était pas si trouillard que ça, s’il avait des fourmis dans les jambes. S’il allait rester ou pas, c’était son problème, mais fallait quand même lui donner que lorsqu’il disait quelque chose, il respectait sa parole. « J’ai vu ça. J’en suis presque épatée. » j’avais pas douté une seule seconde qu’il soit assez barjo pour se laisser influencer par mon insistance. N’en restait que voilà, on avait maintenant un anglais de plus sur l’île. « Pourquoi? Tu veux en faire les frais? » un anglais, et son intérêt décuplé pour les conseils et autres marches à suivre que je pouvais bien écrire pour GQ. J’hausse le sourcil d’abord, curieuse de voir quelle bimbo ou quel douchebag il avait déjà chopés avec à peine une semaine derrière la cravate ici et ses potentielles questions les concernant. Le rire lâché est entre l’hilarité générale et la profonde lassitude. Marrant que mon boulot me fasse toujours autant rigoler, que le podcast soit encore si libérateur à enregistrer, même presque 6 ans après mon embauche. Et décourageant aussi, de voir qu’à chaque semaine, les mêmes conflits, les mêmes histoires, et toujours les mêmes problèmes de couple remontaient comme des disques égratignés, répétitifs. D’où le fait qu’écrire mon bouquin avait pris la place d’équilibre entre tout ça, de canalisation. D’ailleurs. « Y’avaient des pages d’un truc que t’as écrit qui traînaient, je me suis pas gênée. » et je pointe du menton les vestiges d’où ma curiosité s’est laissée guider quelques heures plus tôt, sachant plus trop s’il sera ravi de l’intérêt, ou dégoûté que j’ai à ce point violé son intimité. Je le serais, moi. « Le mien avance aussi, hen. » comme une gamine qui hausse les épaules, redresse la tête, vante ses mérites au concours de spelling bee alors que tout le monde s’en balance.
Prenant appui sur la rambarde et laissant le grand gaillard se prouver derrière la barre, y’a un moment où je me prends presque au jeu de tenter de deviner où il prévoit aller. Puis, je préfère laisser aller l’effet de surprise, détournant les prunelles des flots pour le poser à nouveau sur Levi. « Pour quelqu’un d’officiellement sédentaire maintenant, quitter la baie semble te faire plus plaisir que t’y stationner. » elle est piquante ma voix, elle est curieuse, elle commence déjà à bâtir le pool mental du nombre de jours que ça lui prendra avant de vouloir se barrer, de rester fidèle à sa nature de grand voyageur sans port, sans attaches. « Me fais pas l’affront de partir si tôt, y’a des p’tits coeurs qui se sont attachés à ta proximité, là. » et bien sûr que je parle de Kane et de sa capacité à être inconsolable la journée où le brun mettra les voiles vers un autre monde, vers d’autres cieux. Qui d’autre, sinon?
I walk the world by myself, I got this soul that I can’t sell.
Un sourire amusé étire tes lippes alors qu'amère, Ariane t'indique que Kane t'évoque régulièrement dans ses propos. Même si la rousse garde ses paupières résolument abattues, tu grimaces, observant sur un ton aussi provocateur que plaisantin : « Serait-ce un monstre de jalousie qui occupe ma chaise longue ? Attention ! Je vais l'assommer avec mon dictionnaire ! » Tu écarquilles les yeux, t'imaginant une telle créature se dorer la pilule sous le soleil australien puis recevoir ton Oxford de poche entre les antennes. Ton rire s'évade lorsqu'elle te signale - avec raison - que les confidences que tu tais figurent insatiablement dans tes compositions. La jeune femme n'a pas tort, néanmoins, l'on parle ici de ton meilleur ami et de son histoire d'amour. Il n'est nullement de ton ressort d'en inspirer des mélodies et chansons, bien que tu n'hésiterais pas une seule seconde à épauler le Williamson s'il désirait créer une seconde oeuvre en l'honneur de la fille faisant battre son cœur. Un autre élément que tu ne révélais pas à Ariane, conservant précieusement la vie privée de ton proche ami, comme tu savais la réciproque pertinemment véridique.
Insensible aux piques ardentes de ton interlocutrice, tu t'installes sans gêne sur le siège qu'elle occupe. Seulement, une poignée de termes précautionneusement sélectionnés de sa part et adressés à ton égard te fait bondir de ce même emplacement, te propulsant vers les tâches permettant à ton cher bateau de prendre le large, comme si ta vie en dépendait, comme si tu attendais cette formulation abracadabrante depuis d'interminables heures. Tu pouffes lorsqu'Ariane justifie son inertie et orientes ton moyen de locomotion aussi loin de la civilisation que possible. Alors que l'océan et l'horizon vous étreignent de plus en plus, tu inspires profondément cet air marin te faisant vibrer, te faisant vivre, et qualifies les circonstances de paradisiaques.
« Manque quelques denrées importantes pour que ce soit un vrai paradis, quand même. » Tu hausses un sourcil, ouvert à toute proposition d'amélioration. Munie d'un joint et d'un air théâtralement suppliant, les mains de la Parker vagabonde contre ton corps, ses doigts s'enfonçant sans cérémonie dans chacune de tes poches, jusqu'à ce qu'elle en extirpe ton valeureux briquet. Tu aurais pu le lui livrer directement, mais en aucun cas n'aurais-tu voulu stopper ses agissements frisant probablement l'indécence pour des personnalités telles que ta cousine Ginny. Plutôt, tu abordes ton challenge relevé brillamment selon toi après une longue inspiration artificielle. « J’ai vu ça. J’en suis presque épatée. » « Presque, » tu répètes, les lèvres pincées vers un méfait à prévoir, tes doigts rendant son bien à ton acolyte de l'après-midi. Tu expires cette fumée blanche agréable et tes neurones sautent vers un autre sujet, le temps que tes méninges mijotent de quoi surprendre ta compagnie océane. Mains sur la barre, tu ne retiens pas le rire qui te chatouille la gorge quand elle s'interroge sur ta nécessité de ses services sentimentaux, rire qui se mêle ensuite délicieusement au sien.
Le sérieux s'installe pernicieusement lorsqu'Ariane t'apprend s'être distraite à quelques lectures durant ton absence. « Et t'as même pas ravagé mon bateau pour lire la suite ? J'suis déçu. » Tu quittes ta barre, satisfait de l'emplacement où vous vous situiez. En effet, si le cœur t'en disait, tu pouvais très bien désormais assassiner Ariane et passer son corps par dessus bord sans ouïr la moindre remontrance... En d'autres termes : vous étiez tranquilles, aucune âme ne risquait de vous déranger. « Le mien avance aussi, hen. » Tu te rapproches de Miss Scarlett, les bras croisés. « Avancer c'est bien. Terminer, c'est mieux. C'est pour quand ? » Tu ne voilais pas ton impatience de dévorer les mystérieuses pages du chef d'oeuvre tiré de la cervelle de la parisienne. D'un geste vif, tu saisis de nouveau le joint pour tirer dessus. « Pour quelqu’un d’officiellement sédentaire maintenant, quitter la baie semble te faire plus plaisir que t’y stationner. » « Pertinente observation, doctor love. » Tu t'allonges sur le bois de ton bateau, t'amuses à affubler de formes inusitées les nuages voletant au-dessus des Hommes. « Me fais pas l’affront de partir si tôt, y’a des p’tits cœurs qui se sont attachés à ta proximité, là. » Un sourire en coin, tu bloques le soleil sous ton chapeau. « A ma proximité ou à moi ? » Tu plantes ton regard dans celui de ton interlocutrice, prévenant : « On me retient pas comme ça, l'allumette. J'ai qu'une seule parole mais j'ai aussi ma liberté en plus grande richesse. Les gens qui m'aiment le savent. » Tu tapotes la place à tes côtés. « Tu viens ou tu attends une invitation sur papier glacé ? » Tu ne lui laisses cependant pas le temps de te rejoindre que tu te redresses déjà et t'enfonces dans ta cabine pour revenir sur le pont accompagné d'Harriet, ton harmonica, et Gulliver, ta guitare. Tu souffles quelques notes contre ce premier et te hisses sur la rambarde de ton bateau. « T'as déjà entendu Bob Dylan jouer de l'harmonica ? » La mélodie de Mr. Tambourine Man se faufile d'Harriet. « La première fois que je l'ai entendu, j'me suis dit que ce dude c'était le genre de mate qui avait besoin de personne pour faire sa musique. Pas un pro à l'harmonica au départ ? Ça l'empêcherait pas de faire de la magie ni de prendre son pied. »
Et parce qu’avec lui, c’est toujours très important d’avoir le dernier mot, j’insiste comme une gamine pourrie, comme un enfant gâté, comme l’immature que je suis, orgueil en prime. « Presque. » et me voilà ravie qu’il se colle le joint entre les lèvres et que la conversation soit close dans l’envol. Bien fait, un clin d’oeil plus tard, on peut poursuivre en discutant des choses sérieuses. À son sens, ça vaut la peine de parler de mon boulot, ce que je balaie d’une main distraite la seconde suivante. J’ai fait assez d’heures supplémentaires au retour de Londres, j’ai suffisamment sué sang et eau sur les chroniques que je tente de faire approuver à Jamie sans tomber dans le trop sensationnaliste à saveur Buzzfeed pour plaire aux gens du marketing. Si on pouvait laisser ça à d’autres, des gens sur qui je me ferai un plaisir de déverser ma rage post-boulot, ça ira beaucoup mieux. J’ai pas nécessairement envie d’épargner le traitement punching-bag à Levi, me méprenez pas, seulement, y’a tellement d’autres trucs mieux sur lesquels je peux le piquer, que ce genre de sujet boboche peut bien filer entre les pattes d’un autre pauvre visage familier. Mine de rien, comparer mon livre en cours d’écriture au sien me donne toujours une impression d’être quasi à un pas supplémentaire devant l’anglais, et c’est vers là où je mets le pied, trop confortable apparemment. Y’a de la place pour ma curiosité, et j’imagine en situation inverse à quel point il n’aurait même plus de langue pour parler ou même de doigts pour écrire si je l’avais attrapé à se foutre le nez dans mes affaires au même titre que je l’assumais haut et fort pour les siennes. « C’est tellement le bordel ici que t’aurais même pas remarqué. » en réalité, après à peine la 2e page, j’avais été tellement blasée du fait qu’il écrive particulièrement (trop) bien que le tout s’était retrouvé sagement planqué à quelque part dans le bateau, cadeau d’une recherche anxieuse qu’il aura à faire plus tard, et d’une maigre avance me concernant pour poursuivre le prochain chapitre, rageuse. « On t’a jamais dit que ça porte malheur de brusquer l’élan créatif? » ma date de tombée me paraît déjà beaucoup trop proche pour le dire à voix haute. Mention spéciale à Sage qui a bien pu me laisser 3 messages de suite dans les 48 dernières heures - et à qui je devrai bien rendre des comptes un jour. Pas aujourd’hui.
À le voir s’amuser, et sautiller, et sourire, et être beaucoup trop dans son élément, la première alternative possible pour l’embêter reste de souligner qu’il aime assurément plus se tirer de la terre ferme que d’y laisser le pied. J’anticipe qu’il fera comme toujours, qu’il restera fidèle à sa nature, et qu’un matin, ce sera see ya suckers qu’on entendra résonner de la marina jusqu’au coeur brisé de Kane. Habituée au personnage, et l’appréciant particulièrement pour sa capacité à se foutre des autres quand son coeur lui dicte de s’envoler ailleurs, n’en reste que je pense aux intérêts communs du blondinet de service. Moment parfait pour que Levi se lance dans l’une de ses fameuses tirades après avoir tenté de se gratter un compliment sur sa personne. « Here we go. Allez, vas-y, je me demandais à quel moment tu ressortirais le monologue de l’insaisissable, du lonesome cowboy, du coup de vent si poétiquement présenté. » gros soupir, roulement d’yeux exagéré, et j’ai à peine le temps de me lever pour le rejoindre qu’il est déjà parti. Une longue inspiration plus tard, et si je me fie au vacarme qu’il occasionne, et à l’absence de quiconque pouvant venir à ma rescousse si danger il y a, un grand sourire niais trône bien vite sur mon visage. Et là, les scénarios catastrophes remontent, avec eux l’air paniqué que Nadia ferait si elle se logeait dans ma tête en ce moment. D’une voix faussement curieuse et pas aussi effrayée qu'insinue la blague, j’hurle même un « En vrai c’est juste parce que t’es un tueur en série et que tu peux jamais rester longtemps au même endroit. À l’aide! Au secours! » d’un doigt agile et d’un sarcasme évident, je pianote même le SOS en morse sur la coque du bateau, hilare de ma connerie, et de l’herbe particulièrement douce que Joey m’a filée. Ce gamin était vraiment pas mon pote pour rien.
« Oh allez, je sais que j'ai raison. » que Levi ignore presque, dans sa bulle, lorsqu’il refait surface sur le pont à mes côtés. « Sérieux?! » et le voilà qui est parti dans un autre de ses trips, harmonica dans une main, guitare dans l’autre. Entre lui et Kane, je pouvais pas dire que j’étais pas bien placée pour pouvoir avoir accès à mon propre Spotify maison, et nombreuses étaient les soirées où ils avaient juste obéi à mes demandes de chansons toutes plus ridicules les unes que les autres. Mais mon histoire de serial killer prenait presque tout son sens à voir l’étrangeté de Levi en action, encore une fois. Presque déçue, je ravale pourtant mon mal. Cédant une place sur la rambarde, je lui offre même la dernière bouffée de la clope de joie avant de décider qu’il est trop long à réagir, et de la garder pour moi-même. « Faut que je dise, ça manquait à l’environnement australien quelqu’un d’aussi décalé que toi. On commençait à s’emmerder grave ici. » il parle de Bob Dylan pendant une seconde, il laisse son harmonica le décrire pendant de longues minutes ensuite. Sachant très bien que ce que je viens de lui dire risque de déclencher un coup d’oeil avisé ou, au pire du pire, un grand sourire satisfait, c’est avec empressement que je précise. « Si tu le prends comme un compliment, j’te jette à l’eau. Et je laisse avec plaisir les requins te lécher les joues avant de te dévorer avec. » battements de cils de rigueur, moue innocente au possible, et je lui offre tout le temps qu'il faut pour s’acclimater à sa mélodie. Parce qu’avec Levi, j’avais compris qu’il fallait pas brusquer - plus on voulait presser la conversation, plus il s’emmurait dans sa bulle. Particulière créature, j’vous disais. « Je saisis pourquoi t’es venu, ça, c’est pas très compliqué. » ayant attendu le premier silence mélodique de sa part, je relance, jambes ballantes et regard vers où la côte se trouvait à mon souvenir. Le sous-entendu que j'avais pas lâché l'affaire avant qu'il quitte l'Angleterre bien clarifié. « Mais je suis quand même curieuse de savoir pourquoi tu resterais. » c’était ça le mystère. Une poignée de jours et hop, on n’en parle plus. Pourtant, j’avais entendu entre les branches du Williamson que Levi avait avancé un peu plus que d’habitude son intention de mettre un pied à terre. M’enfin, pas de mes affaires, et ma curiosité préfère se rétracter, l’oeil amusé. « Oh et puis tu sais quoi? Dis rien. Tu vas trouver le moyen de tourner ça en grande réflexion philosophique à deux balles, comme d'habitude. » et j’le préfère un brin plus tangible que ça. Faisant volte-face, j’attends même pas l’autorisation avant de tendre la main, et de tenter de lui piquer l’harmonica in extremis. « Tu m’apprends? »
I walk the world by myself, I got this soul that I can’t sell.
Lorsqu'Ariane t'avoue avoir parcouru des pages noircies composant l'une de tes œuvres, tu te désoles faussement de son manque d'intérêt pour en découvrir la suite. Aussi juste que spontanée, elle te remémore le désordre qui règne en maître à ton domicile, voilant instantanément tout passage de qui que ce soit. « Donc tu l'as pas fait. » Tu n'as pas le temps de charrier davantage ou même d'avoir tes sentiments heurtés. Plutôt, tu enchaînes sur la créativité de la Parker, déclarant qu'il est bien d'avancer mais mieux de terminer. « On t’a jamais dit que ça porte malheur de brusquer l’élan créatif? » Tu pouffes bruyamment, réduisant à néant toute possibilité de prise au sérieux de cette pseudo croyance. « On t'a jamais dit que t'es pas du tout douée pour te trouver des excuses ? »
Tu t'installes sur le pont de ton bateau, sa coque plongeant dans une zone que tu apprécies. La civilisation est loin, le bleu vous envahit. Tu te sens comme happé de cet halo de mer et de ciel, percé toutefois de deux boules de feu : le soleil et Ariane. Tu lui remémores ta plus grande richesse : ta qualité d'être frisant l'insaisissable auquel tu tiens précieusement. Tu chérissais certes bon nombre de personnes, aucune d'entre elle ne pouvait te retenir, te forcer à poser l'ancre si tu ne le désirais pas. Aujourd'hui, tu avais trente-deux ans et aucune situation aux yeux de la population développée. Ce que cette dernière n'élucidait pas, cependant, c'est que tu étais heureux ainsi et ce bonheur, tu en étais imprégné, dépendant. Te priver de voyages et te positionner dans un cadre serait te couper l'oxygène : tu mourrais assurément. Tu ris franchement alors que ton acolyte de l'après-midi hurle au secours. D'un ton machiavélique, tu rétorques : « Te fatigue pas, personne ne peut t'entendre ici. Tu m'as cru pour un psychopathe amateur ? » Et tu te lèves, t'orientes vers ta cabine. A mi-chemin, tu émets un geste vif vers la chroniqueuse et proclame un « Argh ! » à quelques millimètres de son oreille, solidifiant la couleur de tes menaces façon barbe bleue.
Tu réapparais muni de deux de tes instruments de musique et t'installes sur la rambarde, bientôt rejoint par la célibataire endurcie. Tu feins totalement le succulent joint qu'elle te tend saupoudré de compliments au conditionnel assassin. « Tu m'étonnes ! Heureux soient ces jours pendant lesquels je viens bénévolement rescaper ton quotidien de cette odieuse monotonie ! » Passionné, tu évoques Bob Dylan avant d'extirper quelques notes de Mr Tambourine Man de ton harmonica. La mélodie s'achemine entre vous deux et la jeune femme reprend : « Je saisis pourquoi t’es venu, ça, c’est pas très compliqué. Mais je suis quand même curieuse de savoir pourquoi tu resterais. » Tu inspires profondément, sentant l'agacement titiller dangereusement l'ire en toi. Si l'interrogation d'Ariane n'a rien de blessant ni récalcitrant, tu as pourtant le sentiment que l'on te demande de te justifier ou de te projeter lorsque tu n'en as aucunement envie et te sens en total droit de ne pas le faire. Heureusement, la rousse fait marche arrière et te dérobe ton harmonica, désireuse de leçons. Ta colère disparaît pour laisser place à un sourire amusé répliquant à un regard malicieux. « Okay. Mais si t'es aussi mauvaise à l'harmonica qu'au chant, je te mets au triangle. » Tu passes une jambe de l'autre côté de la rambarde, de manière à être installé en biais et disposer d'une vue magistrale sur le profil de ta compagnie. « Pour commencer, c'est ni une gaufrette, ni un appareil photo. Tu le tiens comme ça. » Tu prends l'instrument et la main gauche d'Ariane. Tu positionnes sa main de manière à former un C et glisse l'harmonica au milieu, recourbant pouce et doigts sur l'instrument pour clore l'étreinte. « Quatre étapes à suivre, » tu annonces, un large sourire en coin ne valant rien de bon. « Étape numéro 1 : humidifier ses lèvres. Allez. Use de ta langue autrement. Harriet aime son partenaire chaud et humide. » Tu fais un geste de la main pour l'encourager à rendre ses lèvres accueillantes. « Étape numéro 2 : place Harriet profondément dans ta bouche. » Et là, tu sais pertinemment qu'Ariane va se questionner sur la probabilité que tu te payes littéralement sa tête. Tu lèves trois doigts successifs, poursuivant sur un ton impérial : « Étape numéro 3 : Penche Harriet légèrement. Tu lèves ses fesses de manière à ce que sa bouche touche ta lèvre inférieure. Faut que ses trous prennent contact avec la peau de ta lèvre. » Tu appuies doucement sur l'instrument pour illustrer ton indication. « Étape numéro 4 : vérifie tes lèvres. Ou du moins, ce que tu prétends être des lèvres. Faut pas te crisper. » Un rictus provocateur, tu conclus : « Et maintenant, fais ta magie. Apprivoise-la, t'as de quoi obtenir un beau son. » Tu entends déjà quelques notes et commentes : « Savoures, t'as des milliers de possibilités ! Comme pour ton bouquin que tu finis pas ! »
Mon scénario de tueur en série rendu presque comique via l’herbe si savamment fumée trouve preneur quand le musicien s’élance de la cabine à mon oreille, et mon sursaut qui lui colle un coude dans les côtes plus vite que son souffle puisse le rattraper. Ses restes de barbe piquent ma peau, ses mèches chatouillent ma joue, et c’est bien ce qui encourage mes paumes à poursuivre le travail, le poussant dans ses retranchements non sans éclater de rire de voir à quel point il peut être con parfois. Y’a une pensée qui vole vers ma meilleure amie, curieuse de savoir ça ressemblerait à quoi, si ce monde-là rencontrait Levi. Si la brunette allait flipper devant le genre d'énergumène avec qui je m’étais retrouvée à l’autre bout de l’Australie à dormir dans un camper car, à troquer des vêtements relativement propres pour de l’essence, à l'assortir à sa guitare pour récolter un peu de fric, suffisamment entre une chanson et une autre jouée dans les rues pour payer de quoi manger. Elle en dormirait pas Nadia, si elle savait ce qui se passait vraiment quand je filais, quand je partais en voyage avec la seule envie de me changer les idées, badly. Encore heureux qu’entre Kane et Hugo, j’ai toujours eu quelqu’un pour intervenir si je me mettais vraiment en danger - ou pour garder les flics d’intervenir. L’instant émotion passé, la nostalgie en travers de la gorge avec l’air blasé en prime, Levi renchérit faussement affligé qu’il se chargera de me distraire convenablement le temps qu’il reste. « Et j’ai de grandes attentes. Me déçois pas. » son capital de sensationnalisme allait devoir être surpassé, dépassé. Les souvenirs bien marrants de Londres et des années d’avant effacés du revers pour faire place à pire, à mieux. Je visais grand, je voyais large, et je lui offrais là un grand terrain de jeu où mon amusement serait juge de scène. Qu’il se ramollisse pas, qu’il ne devienne pas sage, posé, tranquille. Parce que tout ce qui sauvait Levi, c’était ça, sa folie. Autrement, il n’était qu’un hippie de plus, qu’un apprenti Kerouac les cheveux au vent et le patchouli qui grille le nez.
À l'instant où je met en doute ses raisons de rester, c'est la panique par-dessus bord. Oh, que j'ai compris. Entendu, enregistré, prémédité, et rien qu'à voir la veine qui se gonfle le long de sa nuque, sa mâchoire qui se serre, sa respiration qui est profonde, trop, je sais direct que j’ai appuyé exactement là où il faut, là où je dois. Levi est énervé, Levi bouille, et Levi finit par ravaler malgré le fait que j’ai totalement remarqué à quel point il a mordu. Et à quel point ce sera maintenant facile de retourner exactement à l’interdit, au sujet chaud, au tabou, et à sa pseudo-phobie de perdre sa liberté. En soit c’était cool, qu’il s’attache les pieds nulle part, qu’il soit toujours à une nouvelle aventure près. J’imagine que c’est ma jalousie de plus pouvoir faire comme lui, me tirer d’ici un sac à dos sur l’épaule en oubliant tout le monde et toutes responsabilités avec qui parle. De trop assumer mon quotidien routinier pour flotter dans les limbes, pour voir du globe, malgré le fait que ça me démangeait. Et à ça, s’ajoute l’amusement que je ressens lorsque l'anglais est piqué, lorsque monsieur je suis confortable partout, véritable roi de l’adaptabilité est chambardant, volcan à l’aube de l’éruption. Il est fascinant pendant une seconde, j’observe, j’espère, j’attends avec anticipation, et déjà le moment est passé, la boule est disparue, le feu est éteint. Bouhou. « C’est qu’il me donne envie de le réveiller avec ma version acapella de I’m with you la prochaine fois qu’il s'endort. » rétorquant avec la même voix condescendante qu’il a utilisée à mes oreilles - mes tympans sont d’excellents filtres pour rendre qui que ce soit encore plus insupportable lorsque je suis énervée. La menace enfantine qui a de quoi en terroriser plus d’un lorsqu’on connaissait la crécelle que j’avais à la place des cordes vocales. Mais ça voyez, je le prends comme une arme destructrice de plus. Un atout cruel dans mon sac pour punir quiconque le mérite, ou pas. Se la jouant directif au possible, Levi est dans son trip de prof autoritaire lorsqu’il me prend la main la place comme décrite, explique le mouvement presque blasé, tout autant amusé. Mon sourcil s’arque, et je roucoule, si facilement piquante. « T’as pas menti sur le coup de poignet. » s’il se vantait avoir de la technique au babyfoot la dernière fois où on s’était croisés, la poigne qu’il resserre sur ma propre paume aurait de quoi faire rougir même le plus hétéro des pompiers. See what I did there. À l’étape un déjà, j’en peux plus de soupirer et de rouler des yeux, de l’entendre s'époumoner avec sa voix caverneuse d’acteur de soutien dans un mauvais porno. « Elles sont longues les nuits seules sur le bateau, hum? » et je bats des cils, ratoureuse, toujours prête à aider mon prochain d’une proposition venue du fin fond du coeur pour la peine. Sue me. « Faut me dire si t’as besoin que je t’envoie de la chair fraîche. J’ai des contacts. » entre Londres et Brisbane, il avait dû se tourner les pouces et s’agiter dans son jeans un nombre incalculable de fois sans terre viable au loin, sans possibilité de coït satisfaisant. Jamais si bien servi que par soi-même, mais c’était pas une raison pour le laisser se morfondre à retourner à l'adolescence, à revivre sa puberté avec l'avènement d’internet. Pourtant, le brun ignore mes remarques, poursuit son explication, enseigne comme il peut malgré mes commentaires et autres rires moqueurs. « Levi. » pourtant, entre les étapes, je ressens encore le besoin de préciser, doigt libre en l’air, mine sérieuse, alarmiste. « Je sais pas si ton foreplay me donne envie de rire ou de pleurer. » et je pouffe, avant de faire comme si j’étais attentive, comme si j’écoutais vraiment, comme si j’enregistrais sérieusement comment placer ma main, comment placer ma bouche, où presser, où souffler, où lécher, apparemment. Comme si, j'ai dit. C'est pas du tout de la concentration qu'on peut lire sur mon visage, ni même mon foutu perfectionnisme qui prend le relai. J'apprends ironiquement, okay? « Oui, oui, je l’entre bien profondément, c’est bon. Pousse pas trop fort non plus, tu vas nous brusquer toutes les deux. » dégageant son geste du menton, j’entame le test ultime, provoquant d'une expiration une note et une autre sous l’oeil de mon prof de fortune du jour.
C’était presque fun, c’était presque cool. Jusqu’à ce que l’autre enfoiré me remette en travers de la gorge mon échec cuisant et actuel de respecter les délais, d’avancer le moindre texte de mon livre. « Connard. » froide et sèche, agressive et si facilement heurtée. Sujet facile, point faible, et je plisse les yeux, fronce les sourcils, avant de le dévisager sans la moindre intention de regarder ailleurs. « Ça t’amuse en plus. » aucun doute là-dessus, il se complaisait dans sa contre-attaque comme un gamin à la veille de Noël. « J’parie que je le finis et que je le publie avant le tien. » l'orgueil qui parle avant le bon sens, l’ego qui s’étale à la place de l’encre sur toutes les pages blanches qui m’empêchaient de dormir. « Si je gagne, Adrienne est à moi. » insistant sur le prénom erroné juste pour l’énerver, et j’additionne le tout d’une armée de fausses notes censées casser ses oreilles volontairement, pour le lol. Parce que c’est toujours mieux de changer de sujet, d’éviter de me remettre les pieds là où je ne me sens pas en plein contrôle, à défaut que ce soit lui qui tienne les rennes, je préfère lui rendre la monnaie de sa pièce de la façon la plus immature qui soit. « De toute façon, on va se le dire. J’ai beaucoup plus de doigté que toi, ça se voit tout de suite. » langoureuse, j’arque la nuque, joue de l’index et des lèvres le long de l’harmonica, mimant les étapes à l'instar de ce qu'il m'a montré. Oh, l’amateur. Elle est conne Ariane, lorsqu’elle joue à ce jeu-là, elle est caliente Ariane, quand elle finit à son oreille, l’affirmation murmurée. « Et si t’en doutes... » mon souffle qui fait exprès, qui est chaud, qui agace, qui flirte avec ses nerfs. « … t’as qu’à demander à Kane. » et mon éclat de rire qui casse le moment, alors que je me détache la seconde suivante.
I walk the world by myself, I got this soul that I can’t sell.
La satisfaction de l'avoir fait tressaillir vaut bien tous les coups de coude dont elle peut t'affubler. Ce sourire narquois et triomphal persiste sur tes lèvres, s’étend lorsqu'Ariane dévoile la monotonie qu'elle subit en ton absence. Ce point t'étonne nullement et tu comptes bien ajouter quelques piments dans l'existence de la rousse. Tu imagines celle-ci telle une cuisine des grands restaurants : plusieurs casseroles et marmites mijotant dangereusement, bouillant énergiquement, dans lesquelles tu ajouteras irrésistiblement des aliments invocateurs de singulières surprises. De plus, ce qui était génial avec ces dernières, c'était qu'elles pouvaient être aussi bien bonnes que mauvaises, sans que la sémantique de ce mot en pâtisse. Lorsque la Parker soupçonne une éventuelle déception de ta part, tu ris naturellement. « J'espère bien que tu aies de grandes attentes. Je fais pas dans le pâle, contrairement à ton teint. D'ailleurs, à ce sujet, ça t'arrivait de sortir ces derniers mois ou tu passes ta vie devant ton émission de cuisine avec des aubergines ? » Tu fronces les sourcils, inquisiteur. « Si c'est le cas, je serais profondément déçu que tu ne m'aies rien apporter à manger. C'est la base des règles de bienséance quand on s'invite chez quelqu'un. Pas un minable astérisque renvoyant à une clause de contrat sociétal, sauvageonne. » Un rictus apparaît, arrogance suprême. « Ou alors t'as toujours menti sur tes talents culinaires et t'assumes pas. Comme ton bouquin duquel je vois pas la couleur. Ariane la mythomane. » Tu chantonnes ces derniers mots, accompagnés de quelques notes de musique fanfaronnes.
Ton harmonica contre tes lippes, tu changes le répertoire vers quelques notes de Mr Tambourine Man. Les meilleurs blagues sont les plus courtes, paraît-il. Ta compagnie sollicite ensuite tes services et avant de livrer tes secrets, tu menaces. « C’est qu’il me donne envie de le réveiller avec ma version acapella de I’m with you la prochaine fois qu’il s'endort. » « Tu serais cap' de rester si tard ?! » Tu oses, défiant. Elle commente par la suite ton coup de poignet, ce à quoi tu répliques par un clin d’œil mitigé entre le charme et l'entendement. Tu passes une langue sur tes lèvres distraitement lorsqu'elle évoque tes nuits en solitaire sur ce bateau, le fait que tu puisses très bien t'adonner à des plaisirs personnels, ce que tu aurais su maîtriser manifestement vu ta poigne. Tu ris lorsqu'elle te propose un buffet frais et rétorques : « Pourtant ce ne sont pas tes contacts qui se posent la question, mais toi. » Nouveau haussement de sourcils, tu te retiens de tapoter son nez et reprends le cours avec dynamisme et passion.
La fusion se fait, l'amour s’esquisse entre la musique et la parisienne. Tu flingues ensuite Cupidon en rappelant l'ouvrage mystère, interminable, condamné peut-être même. « Connard. » Ses traits hurlent à l'ire mais ne parviennent à décrocher ce sourire que tu ornes tel un galon. « Ça t’amuse en plus. » Perspicace. « J’parie que je le finis et que je le publie avant le tien. » « Oh, » commences-tu, intéressé, alors qu'elle reprend, munie d'une notion de pari. « Adrienne » atterrit sur la touche. « J'ai bien vu que ça avait cliqué entre vous deux. Je suis un vrai entremetteur. Gare à tes fesses de Dr Love. » Elle t'amuse en sortant son jeu de provocation, de séduction. Ton cœur bat un peu plus vite, cependant, tu ne peux le nier. Elle décrit son doigté, invite à questionner ton meilleur ami sur la question. Tu plisses les yeux doucement, attendri : « Je crois que j'en sais plus sur toi sur la question, Antje Crapnik. » Puisque Kane te dit tout, dans les moindres détails, et vice versa. Il t'a confié des éléments et des sensations qu'il n'aurait, selon toi, jamais osé décrire à Ariane, sachant pertinemment qu'elle en aurait ri à gorge déployée. « Et si je gagne ? Qu'est-ce que tu pourrais vraiment avoir que j'aurais envie ? » Tu réfléchis, tes pupilles rivées sur celle qui, en dépit de ce que tu pouvais clamer, figurait honorablement l'origine d'une décision drastique dans ta vie.
Qu’il remette ma parole en doute aurait presque pu me blesser si sa perception de moi ne me passait par six pieds par-dessus la tête. Avec Levi, je ne me faisais pas chier à être plus polie ou plus sympathique, j’attendais pas son approbation comme je me fichais bien qu’il soit à l’aise en ma présence, qu’il respire bien, qu’il soit heureux. Vous allez me dire que c’était pas différent des autres gens qui ponctuaient ma vie à l’exception de Nadia? Vous auriez pas tort. « Si je sais que ton réveil sera pénible, try me. » papillonnant des cils, je suis absolument convaincue que si la motivation est telle qu’il râlera à peine l’oeil ouvert, ça vaut plus que tout d’embêter à un niveau nocturne la bête qui ne me fait absolument pas peur avec ses menaces d’horaires taciturnes. Pas le moins du monde impressionnée, n’en reste qu’il pointe encore une fois mes questionnements en me les renvoyant du revers, en paraphrasant le sous-entendu que c’est moi qui demande, que c’est moi qui est curieuse, que c’est moi et personne d’autre qui creuse trop loin et trop profondément. Et ça, ça me dérange. Qu’il se fasse pas de fausses idées non plus le Levi, qu’il ne se sente pas supérieur à qui que ce soit, qu’il ne se la joue pas fin finaud avec sa répartie de bouffeur de livres, j’avais déjà donné pire en moins de temps, je visais la bonne action là, le karma respectable. « Contacts ou pas, t’as toujours personne avec qui faire des double dates avec Kane et Wendy. » sujet clos, parce que du moment où Williamson est mentionné, Levi finit la bouche en coeur à se perdre dans ses fantasmes pas si platoniques que ça et à lui composer des ballades. Voilà qui est bon, j’ai vendu du rêve, passons à la leçon de musique et plus vite il se concentrera sur autre chose que sur ses regards entendus dans ma direction, mieux je me porterai.
Moins enragée, moins acide, concentrée ascendant sourire malin sur les lèvres, je me plie à l'enseignement non sans jouer du coude entre les vannes salées et les accusations même pas voilées. Levi avait le don de me piquer autant qu’il me faisait rire, ça, je pouvais pas le nier. Et même si je détestais l’admettre et qu’il ne le saurait jamais, y’avait quelque chose de sympa dans nos joutes sans fin tangible, sans rien à la clé. Bavasser juste pour, se tirer les nattes juste parce que. Quoi que je toucherais pas aux siennes, doit y avoir des poux là-dedans à force. Harmonica au bout des doigts, le côté ludique de l’après-midi vient de prendre une tangente glaciale quand l’anglais remet le sujet de mon bouquin sur le tapis, et pas de la plus sécuritaire des façons. Me braquer dans mes retranchements est la meilleure façon de me motiver à faire quelque chose, à prouver à quel point l’autre a faux sur toute la ligne. S’il savait à quel point il vient de me donner la décharge électrique nécessaire pour boucler un chapitre à la seconde où je passe le pas de ma porte - mais encore une fois, il se flatterait trop l’ego pour que je lui confie, avec un haut-le-coeur. « T’es tellement beau quand t’es comme ça. » que je siffle plutôt, langoureuse, posant ma paume sur sa joue, un geste lent, sorti de nulle part et mon expression qui ne présage rien, mais alors là rien de bon. Tout le monde savait qu’une Ariane qui faisait dans les compliments était une bien cruelle créature, et qu’à l'instant où un mot gentil frôlait ses lèvres, fallait de suite trouver un endroit sécuritaire où se planquer. « À croire stupidement que tu pourrais gagner contre moi à mon propre jeu. » ah, voilà un trait un peu plus commun, une arrogance certaine qui ramène le jeu à ce qu’il est vraiment. La seconde suivante, je saute de la rambarde, vient me planter devant lui, mains sur les hanches et prête à prendre le pari.
« Mais je suis juste, je play by the rules. » tendant le bras en guise de poignée de main officielle vers lui, l’esquisse d’un drapeau blanc dont il devrait tant se méfier, pauvre chaton insouciant. « Si tu gagnes, t’auras droit à une carte d’immunité. » j’attends pas vraiment qu’il me demande l’explication, avant de préciser la voix qui chante, et toujours foncièrement patiente qu’il scelle l’entente d’un mouvement de poignet qu’il maîtrisait à merveille selon les quand-dira-t-on. « À utiliser n’importe quand contre moi, pour avoir un passe-droit. » ça mes jolis, c’était du sérieux. C’était le golden ticket, c’était LA carte qui pouvait tout changer, c’était le freepass que je donnais sans plus compter à Kane, mais que Levi n’avait jamais vraiment vu de son vivant de ma part à la sienne. « T’as besoin d’un exemple pour comprendre, hen, Kerouac? » il n’a pas encore acquiescé, ce qui me convient parfaitement. La démonstration n’en sera que plus loquace, mieux détaillée, et si facilement compréhensible. « Genre là, maintenant, ça t’aurait été utile. » la dernière chose qu’il verra, sera mon énorme sourire, mes prunelles qui brillent au soleil, mes paumes qui s'appuient férocement sur son torse, qui le poussent avec puissance par-dessus bord. Mes éclats de rire se mélangent au bruit de sa silhouette plongeant tête première dans les flots.
I walk the world by myself, I got this soul that I can’t sell.
Provoquer Ariane constitue l'un de tes passe-temps favoris, succédant les moments partagés avec Kane à explorer vos talents musicaux. La tornade rousse enchérit perpétuellement, manifestement adoratrice de la détention du dernier mot. Tu finis toujours pas lui laisser, ayant le sentiment d'avoir pompé toute l'animation nécessaire à ton plaisir de la moquerie. De plus, parfois, il faut savoir cesser d'agiter le foyer, au risque de se brûler avec son propre tisonnier.
Un fin sourire narquois étire tes lèvres alors qu'elle se proclame capable de passer une nuit en ta compagnie sur ton bateau, sous l'unique condition de la certitude de te rendre le réveil pénible. « Tu perdrais donc ton temps, » tu déclares, catégorique, persuadé que même un bruit de casserole ne suffirait pas à gâcher le spectacle d'un nouveau soleil levant. Puis, la parisienne de naissance s'évade sur ce qui te semble tes plaisirs personnels et ton célibat. Généreuse, elle propose ses contacts, néanmoins, ce ne sont pas ces inconnus qui te paraissent intéressé(e)s mais bien ton interlocutrice, ce que tu ne prives pas de lui faire remarquer. En guise de réponse, elle conjecture des doubles dates avec Kane et Wendy, ce qui te fait hausser un sourcil, incrédule qu'elle puisse songer que ce soit ton genre. Cependant, tu conserves tout commentaire, te propulsant dans la volupté de lui donner une véritable leçon.
Tisonnier dégainé, le cours de musique à peine achevé, tu agites de nouveau les braises supposant donner naissance au livre de la Parker. Ça t'agace que ce foyer ne crépite pas ardemment, que ses flammes ne lèchent pas le ciel de la créativité, de l'inspiration. Et tu sais pertinemment que la love doctor abhorre ta manie de pointer sans arrêt ses probabilités d'échec, son inertie non tolérée. Un énième pari voit le jour mais tu es un homme difficile, tu fais la fine bouche, ton intérêt est ardu à saisir et conserver. La parade commence, l'Ariane entame sa danse nuptiale. Paume sur ta joue, mains sur ton corps, la langue qui rebondit des compliments à l'arrogance. Elle tourne autour du pot - « Mais je suis juste, je play by the rules. » -, danseuse séductrice autour de son pole - « Si tu gagnes, t’auras droit à une carte d’immunité. »-, de plus en plus vite - « À utiliser n’importe quand contre moi, pour avoir un passe-droit. » -, le mouvement de nutation prenant dangereusement de l'ampleur - « T’as besoin d’un exemple pour comprendre, hen, Kerouac? » -, qu'il en devient étourdissant - « Genre là, maintenant, ça t’aurait été utile. » - et tu présages la chute brutale pour ta personne.
Tu perds l'équilibre, bats des bras dans l’instinct vain de recueillir un fil invisible, te rattacher à quelconque solide te permettant de ne pas heurter la mer tête la première. Finalement, c'est en chandelle désarticulée que tu rejoins les poissons, te soustrayant l'ouïe du rire à gorge déployée de celle qui a de toute évidence remporté cette manche. Tu sombres puis nages davantage en profondeur, laissant ton chapeau remonter à la surface sans toi. Voilé par les flots, l'air emprisonné dans tes poumons, tu t'amuses à t'éloigner autant que possible de l'épicentre de ton naufrage. Tu contournes le bateau, vise l'opposé de la position d'Ariane jusqu'à ce qu'un nouveau souffle te devienne vital.
Tu remontes, inspires, rejettes d'un geste de la main tes cheveux bruns. Tu te questionnes sur les pensées d'Ariane : cherche-t-elle ton âme ou un moyen de mettre littéralement les voiles ? Tu pourrais remonter à bord et, avec beaucoup de chance, l'attirer dans l'océan, mais le temps de gravir l'échelle, l'alerte rousse t'aura sans nul doute repéré. Tant pis, tu prends le risque. Les pieds lourds de porter toujours tes baskets, tu évolues sur ton territoire. L'oreille tendue, tu cherches l'Ariane sauvage, te questionnant si elle est aussi puérile que toi et est capable de se cacher pour t'imposer une frayeur. Tu pars à sa recherche, et une fois sa silhouette étincelante de pâleur découverte, tu t'élances vers cette nouvelle proie. « Bwaaah ! » Ton corps se colle au sien, l'imbibant d'eau salée l'espace de quelques secondes - le délai limite pour ne pas que tes bijoux de famille soient anéantis -. Tu reprends une distance de sécurité, loin de son périmètre vital détrempé et entreprends d'enlever ta chemise : il fallait bien que tu la fasses sécher, maintenant, et le soleil était radieux. De plus, tu comptais aussi sauter à nouveau à l'eau afin de récupérer ton apprécié chapeau. Tu ôtes tes chaussures dans une danse habile, ton regard vert, défiant, rivé sur ta compagnie de bord. Tu étends ta chemise et rétorque : « Tu croyais que j'allais rester avec des habits mouillés sur le dos ? » Au tour de ton pantalon de descendre.
J’ignorais ce qui rendait Levi si insupportable à mes yeux. Et la seconde suivante, je comprenais, d’à peine un regard, d’à peine un soupir. Le parfait mélange entre l’air désabusé et la remarque cinglante, la touche exacte qu’il fallait entre l’abus et le déraisonnable. Ce type était suicidaire à poursuivre sa rhétorique, à voir les drapeaux rouges bien hauts bien levés que j'agitais à son intention. Il était stupide à un niveau d’appuyer sur tous les boutons, d’enclencher tous les engrenages, de s’assurer de mettre de l’huile sur tous les feux en marche et même les volcans presqu'éteints. Malgré cela, j’assistais à son spectacle la mine blasée, pas tellement épatée qu’en à peine 5 minutes top chrono il ait réussi à me faire regretter d’avoir pris l’après-midi de congé, d'avoir espéré de maigres vacances loin de mon ordinateur, loin du boulot, loin de la vie normale, ennuyante à ses yeux de grand rêveur sans autre ambition que de se prendre pour un éléphant dans une boutique de porcelaine à deux doigts de tout éclater d’un éternuement et à peine. « T’aurais pas pu y rester, non?! » entre la poignée de minutes de répit que j’ai eu à le foutre à l’eau, et le temps qu’il a pris pour remonter à bord, le sournois personnage à contourner, à faire le moins de bruit possible, à surgir en gueulant et en s’assurant de me peloter au passage, on y reviendra. Il a au moins l’intelligence d’esprit de faire un pas vers l’arrière quand mon regard noir vise sa masculinité avec l’impulsion d’y ajouter un genou bien direct bien pointu au tableau, faut lui donner. À force de me voir le malmener, il connaît à la seconde près la formule magique de mon détonateur interne.
Pas le moins du monde impressionnée par le McGrath qui se la joue nudiste, je retrouve mon semblant de place au soleil, vêtements trempés et frisson qui vient avec. « Oh bébé, y’a rien là que j’ai jamais vu. » qu’il s’exhibe m’épate pas en soit, qu’il se retrouve les fesses et autre attirail à l’air ne me fait ni chaud ni froid. Bien sûr, on remercie mes solaires qui cachent le regard furtif que je lui lance, me maudissant à l’avance en sachant très bien qu’il le sentira comme un laser braqué sur sa personne. Si je le reluque, même si la marchandise m’est familière, y’a rien qui vaut un checkup de routine s’assurer qu’il n’y a aucune tâche de naissance suspecte, aucune bosse que ses nombreuses aventures calientes dans les différents ports auraient pu occasionner. Quoi? Je m’inquiète de la santé de mon prochain, et si son galbe de postérieur se met en travers de mes prunelles perdues vers l’horizon, c’est sa faute, certainement pas la mienne. « Et sinon t’as du savon? T’sais, pour au moins tirer profit de ta chute et épargner mes narines. » allongée sur ce qui me servait de chaise longue un peu plus tôt, je laisse au brun le sous-entendu constant et puéril qu’il pue, qu’il a de la difficulté avec son hygiène, et autre tabou d’hippie bien de l'époque. Ce serait con que son bain express ne l’ait pas le moindrement lavé, le moindrement préparé à rencontrer le monde extérieur et à lui offrir la meilleure version de lui-même, Maya Angelou style.
« Des fans, j’pense. » parlant du monde extérieur, son corps vêtu de sa tenue d’Adam finit par attirer l’attention d’un bateau voguant aux côtés du sien, ce qui en soit n’est pas si étonnant que ça vu le fait que la baie n’est pas tellement loin derrière nous. Pouffant de rire en entendant les murmures et autres remarques curieuses à son intention, je finis tout de même par dédier mon attention aux voyeurs de passage, réalisant qu’à travers les bruits y’a des voix d’enfants qui s’élèvent, de petits marmots qui se retrouvent les yeux grands ouverts et la bouche toute autant prête à y accueillir une colonie de mouches de voir le service trop pièce de l’anglais. « Levi, t’as déjà assez de traumatiser ta génération, bousille pas les prochaines. » d’un élan justifié par l’envie de sauver la pauvre mémoire des bambins pris à jouer les témoins - et surtout du fait que j'adore passer mon agressivité en une manoeuvre aussi efficace que déloyale - c’est une deuxième poussée qui envoie Levi à l’eau sous mon courroux. Qui l’envoie à l’eau, et qui me prend à mon propre jeu également, maintenant que, pitoyable, mon pied se prend dans un cordage, un millimètre trop proche du bord. Vous inquiétez pas, je dirai que c’est sa faute si je tombe par-dessus bord, et il devra vivre avec les conséquences de son pas-geste pendant les prochains siècles.
I walk the world by myself, I got this soul that I can’t sell.
« T’aurais pas pu y rester, non?! » qu'elle te lance, imbibée aux zones où tu l'as serrée contre toi, ton corps trempé de ton plongeon imposé dans la mer méditerranée. Un large sourire étire tes lippes, parce que même si Ariane clame son exaspération de ta personne, tu sais particulièrement qu'elle n'en menait ou n'en mènerait pas large en ton absence. Plutôt que de rétorquer, tu entreprends d'ôter tous les habits collant, étouffant, ton corps. Sans pudeur aucune, les morceaux de linge se suivent et finissent sur la rambarde de ton bateau, à prendre le soleil. Quant à la rousse, elle a repris sa place sur l'une des rares chaises présentes sur ton domicile et moyen de locomotion, feignant le confort bien que la chaire de poule recouvre son corps. « Oh bébé, y’a rien là que j’ai jamais vu. » « J'ai jamais rien eu à cacher non plus, » Un petit déhanché pour appuyer ces propos et tu prônes en tenue d'Adam sur ton navire. Bien entendu, la parisienne de naissance lance un nouveau commentaire sur ton hygiène que tu feins prodigieusement.
« Des fans, j’pense. » Et c'est un brouhaha de paroles choquées devant l'indécence, ricanant pudiquement et provenant du bateau s'approchant de votre duo que la chroniqueuse explicite. Tes mains se placent sur tes hanches, n'étant motivé par aucun réflexe d'aller précipitamment voiler quelconque partie de ton corps. Es-tu dans tes droits de t'"exhiber", nu, sur la mer ? Selon les dires de ton interlocutrice, tu traumatises les générations futures. Un rire fuit de tes lèvres et tes yeux se lèvent au Ciel. « Je les traumatise ou je les éduque ? Quand même, il faudrait bien qu'ils savent à quoi ressemble un homme ! Et pourquoi tu te joindrais pas à ce cours d'éducation anatomique, Ariatomique ? » En guise de réponse, doctor love apparaît tel un bélier. Deux nouveaux impacts fendent l'étendue d'eau. Quant tu remontes vers la surface, tu croises une silhouette dont les teintes de la face s'apparentent au drapeau japonais. La tête hors de l'eau, tu t'évertues à retrouver ton chapeau à la dérive : autant récolter tous avantages de cette inopinée chute. Lorsque ton regard croise celui de ta compagnie de l'après-midi, tu constates : « Mauvais karma. » Et c'est un rire à gorge déployée qui retentit sous le regard des passagers du bateau qui vous dévisagent - te dévisagent ? -, les yeux ronds comme des soucoupes. « Vous pouvez disposer, » tu leur adresses sur un ton impérial. Puis tu te retournes vers la flamme détrempée : « Tu sais à quoi tu me faisais penser en tombant à l'eau ? » Tu laisses le temps à aucune réponse ni protestation et t'époumones : « I came in like a wrecking ball! » Tu nages vers une augmentation de paramètre de sécurité. « Yeah, I just closed my eyes and swung » Tes rires entrecoupent tes paroles. « Left me crashing in a blazing fall » Quelle meilleure chanson pour agacer ton acolyte sur tous les volets imaginables ?
Et pourquoi je continuais de traîner avec lui, vous vous demandiez. Pourquoi est-ce que je continuais à chercher sa présence, à le piquer jusqu’à ce qu’il rétorque, à m’enflammer juste parce qu’il redonnait la réplique comme personne. Pourquoi est-ce que j’étais encore ici à bouillir, à rager, à râler, devant ses éclats, devant ses manoeuvres, devant ses vannes pressant exactement là où ça fait mal. Et pourquoi dans l’instant, le ficher à nouveau par-dessus bord était signe de soulagement, de salvation, l’impact de son corps contre l'eau ayant pu me procurer le plus heureux des soupirs si ma silhouette à moi n’avait pas suivi quelques minutes après. La froideur des flots contraste avec la chaleur du soleil sur ma peau plus tôt, le pincement sur mes joues confirme que j’y suis allée direct, sans équivoque, claquée par une vague et une autre. Un mouvement de jambes, une nuque qui s’allonge, ma tête qui remonte à la surface et mes mèches que je renvoie d’un geste vif border ma nuque, à bout de souffle. « Mauvais angle pour survivre. » la surprise surpasse à peine mon envie d’avoir le dernier mot, et j’accélère mes battements pour nager à sa perte, pour le rejoindre, lui foutre la tête sous l’eau, finir le travail de façon propre et efficace. C’était sans compter les voyeurs toujours fidèles au poste, et leurs yeux curieux qui n’ont pas compris sous les adieux de Levi que c’était bon, que leur manège avait fait un temps, et que le nôtre aller flotter bien loin pour la peine. « Ouais, bon, là vous avez juste l’air de le mater. Aidez votre cause un peu. » moralisatrice, j’attends tout de même qu’il y ait un minimum de mouvement de leur côté et qu’ils entament le trajet à l’inverse question de montrer qu’entre leur curiosité charnelle et leur envie de garder les yeux de leurs gamins chastes et purs jusqu’à ce qu’ils découvrent l’historique Google de papa, y’avait de la marge. « Ou alors vous voulez aussi que je complète le tableau? » mais ils bougent pas. Amusée par l’incendive que le brun avait lancée toujours fièrement exhibé sur le bateau, c’est mon sourcil haussé tout comme mon t-shirt qui clôture le chapitre. Et hop, ils sont long gone.
Le bruit de leur moteur qui pollue la pauvre mer sans défense ne me fait pas un pli, maintenant que je reprends mes premières intentions de retrouver un semblant de pointage vainqueur dans nos échanges. Mais Levi est plus vif, sa chanson qu’il me dédie d’un long cri amusé, la moquerie qui n’est que plus communicative. Et j’éclate de rire, malgré ma volonté de venger quoi que ce soit j’avais en tête au départ, n’en reste que j’en pleure presque tellement il est con, tellement il est niais, tellement il a visé juste, et tellement j’aurais fait pareil à sa place. « Mon plongeon était impeccable. De quoi tu parles? » riant toujours, je finis tout de même par nager jusqu’à son chapeau qu’il tentait d’attraper, mais que le courant a poussé un peu plus vers moi pour la peine. Hop, il passe de mes mains agiles à ma tête question de protéger ma pâleur des UVs. Thanks, mate. « J’ai fait des figures! » incapable de rester sérieuse même si je fausse d’une voix si haut perché, j’en reste à pouffer, à ridiculiser le reste, à m’imaginer sans grâce aucune. Pas la peine de jouer les offusquées, encore moins de râler. Et c’était ça, le pourquoi. Pourquoi je me faisais chier avec Levi. Malgré tous ses mauvais plis, ses comportements discutables, son hygiène à ignorer, n’en restait que quand il était dans les parages, il trouvait toujours la limite à franchir, il ne se badrait pas du reste, il s’en balançait. Aussi insupportable pouvait-il être, aussi rafraîchissant il restait. « Faudrait pas jeter l’ancre ou un truc du genre? » du menton, je pointe le bateau qui ne semble pas bouger vraiment, mais n’en reste que si ça peut lui foutre une petite angoisse au passage, je prends. Me rapprochant de la coque, y’a un bruit que je reconnais, la sonnerie de mon portable qui retentit, qui résonne à la seconde où je rejoins l’échelle pour grimper, et qui motive ma manoeuvre de rester le plus loin possible du navire, dérivant sur le dos un temps. Je repère Levi dans l’angle, mise sur le fait qu’il a dû entendre l’appareil sonner, et voir à quel point je m’en suis éloignée précipitamment. « Ça, j’parie que c’est mon éditrice. » un coup d’oeil dans sa direction, mon sourire s’affine, malin. « Vous vous entendriez à merveille tous les deux. » et je pèse mes mots emplis de condescendance, Sage étant tout un personnage, du genre que je rêverais d'admirer dans une arène avec le McGrath comme adversaire. À voir combien de temps ils survivraient l’un et l’autre à se lancer du sable aux yeux jusqu’à annoncer défaite. « À me demander des comptes. À brimer mon élan créatif. » papillonnant des paupières, je continue de flotter sans destination précise, rangeant profondément la culpabilité de ne pas honorer mes délais, et encore plus de n'avoir rien de concret à montrer - ce qui doit le ravir, le p’tit con qui trouvera bien comment se moquer à nouveau de mon incapacité à écrire, juste écrire. La distraction comme porte de sortie et du doigt, je pointe la ligne plus loin, le presque mirage, le semblant de côte, genre d'île. « C'est quoi, là? »
I walk the world by myself, I got this soul that I can’t sell.
Te voilà de nouveau dans les flots de la mer de corail, cette fois-ci en compagnie d'Ariane et sous le regard ahuri d'un public manifestement prude - ou très intéressé. Tu leur fais royalement signe de vaquer à leurs occupations mondaines, invitation qu'ils ne comprennent toutefois que lorsque la parisienne leur indique avec davantage de piment. « Ouais, bon, là vous avez juste l’air de le mater. Aidez votre cause un peu. » Un sourire satisfait étire tes lippes puisque tu tires insatiablement un compliment dans ces paroles. « J'attire tellement l’œil, nous sommes victimes de mon succès. » tu articules, l'air grave. « Ou alors vous voulez aussi que je complète le tableau? » Voilà qui t'intéresse. Toutefois, lâchement, les badauds tournent leurs talons puis leur bateau. « Pf. Juste quand ça devenait intéressant. VOUS ÊTES DÉCEVANTS, » proclames-tu sans merci.
Un rire franc file entre tes lèvres tandis que la chute de la jeune femme rejoue sur la bande de ta mémoire. Moqueur, tu en fais vivement un parallèle avec la célèbre et déterminante chanson de Miley Cyrus, t'époumonant à chanter les paroles de Wrecking Ball. C'est un rire communicatif d'Ariane qui te répond, si bien que tu ne peux plus chanter tant tu ris. Tu en as rapidement mal au ventre. « Mon plongeon était impeccable. De quoi tu parles? » Tu hausses les sourcils, entendu, en guise de réponse, le rire animant toujours tes tripes. « J’ai fait des figures! » Elle dérobe ton chapeau. « We jumped, never asking why » tu reprends, songeant aux paroles les plus adaptées à la situation. Un doigt en l'air, tu continues : « I put you high up in the sky. Et BAM » Tu frappes l'eau, éclaboussant bruyamment tes alentours. « ARIBAMBOMB » Tu ris de plus belle, continuant : « Aribathbomb ! Du roux, du blanc ! » Tu t'éloignes, instaurant un périmètre de sécurité entre ton entité et celle de la femme qui n'aurait aucun scrupule à te frapper là où ça fait mal.
« Faudrait pas jeter l’ancre ou un truc du genre? » Tu jettes un coup d’œil à ton navire, ta merveille, ton domicile. « Seulement si tu veux te la jouer safe. » Le pire étant que tu n'avais absolument rien qui te liait à ton unique possession sur toi. Tu nages vers l'échelle menant au moyen de locomotion et perçois la sonnerie d'un téléphone portable ralentir Ariane dans son élan. « Ton glas sonne ? » tu interroges, passant à côté de son corps faisant ce qui te semble être l'étoile, te hissant sur les barreaux de l'échelle, aucune pudeur te motivant à demeurer dans l'eau. Elle t'apprend que l'appel provient sans nul doute de son éditrice qui, comme toi, déplore la lenteur de l'auteure prétendue. Tu observes ton amie à la dérive, te mord la lèvre. Certes, tu la provoques, tu te moques, mais il n'en est que tu peux reconnaître un problème. « C'est quoi, là ? » « Une île nudiste. On y va ? » Rictus satisfait aux lèvres, regard malicieux rivé sur elle, tes hanches mouvent au rythme de la musique de son téléphone. Puis, alors que la musique reprend son refrain, tu te précipites vers ton bateau puis le téléphone portable, disparaissant en moins de deux du champs de vision de la Parker. Tu tapotes tous les boutons du téléphone jusqu'à ouïr une voix féminine s'évader du combiné. « Secrétariat de doctor love, bonjour » Tu chantonnes, une main frottant distraitement la cicatrice de l’appendicectomie que tu avais subis quelques mois plus tôt et pour laquelle tu avais suggéré qu'on te prélève un rein afin de la rembourser. « Nah, doctor love n'est pas disponible pour le moment. Elle est en transe d'écriture. Souhaitez-vous que je lui prenne un message ? » Tu rejettes tes mèches « Mh-mh. Mh-mh. KayBye. » Nouvel assaut contre le téléphone pour trouver le moyen de raccrocher. Plutôt, tu finis sur l'appareil photo qui te rejette ton portrait, où s'y dessine bien vite un sourire facétieux. « Ouh. Je vais montrer à Kane que je sais aussi éteindre des feux, » tu te dis à voix haute, riant brièvement, partant à la recherche d'Ariane afin de la photographier dans l'eau ou détrempée.
Ses cris se mélangent à mes rires, ou alors c’est l’inverse, j’ai pas vraiment capté, trop occupée à presser ma nage pour lui voler son chapeau, gamine fauteuse de trouble de toujours. « Ouais, tires-toi trouillard! » et si je vise son aorte des yeux comme de mes griffes acérés, il retourne dans son coin sécuritaire comme un beau lâche nourri à l’expérience d’avoir été ma victime un nombre incalculable de fois - ce qui en soit devrait pas l’étonner plus aujourd’hui que demain ou le jour d’après. Mon menton pointe son embarcation, je n’offre aucune aide ni rien de plus qu’une maigre panique qu’il assiste à son seul refuge dérivant potentiellement sous ses yeux sans pouvoir rien faire que d’admirer le spectacle. « Safe de pas devoir t’héberger le temps que ton bateau dévale les rapides et que t’en entendes plus jamais parler. » ma voix chante sur le même ton que la sienne, le scénario catastrophe qui ici serait plutôt de vivre avec Levi 24 heures sur 24 dans les parages et non le drame qu’il perde son logis. On passe volontairement sur le fait qu’après deux roadtrips en liste à cohabiter avec l’anglais dans un van de quelques mètres carrés tout au plus, je savais pertinemment que la survie n’était pas impossible. Juste chiante. Et franchement amusante à pointer du doigt pour encore une fois l’embêter de plus belle. Le diplôme que je me coltinais à perfectionner mon art justifie l’immense sourire qui trône sur mon visage de le voir tout de même nager vers le bateau, maigre doute que j’ai immiscé dans son esprit. C’est qu’elle est pas juste jolie Ariane, elle est fine renarde aussi. She’s more than smoke and mirrors.
« T’aimerais trop ça. » la sonnerie ludique de mon téléphone me propulse le plus loin possible de la coque, Levi choisit ce moment pour sprinter vers l’appareil, roucoulant une nouvelle idiotie à laquelle j’offre l’explication logique de l’éditrice en mal de chapitres. Celle-là même qui m’a fait signer un contrat que je respecte pas du tout, et qui risque d’être déchiré sous mes yeux si je continue à me la jouer aussi conne face à un rêve que je m’ignore sincèrement capable de réaliser. « L’expérience m’a appris que c’était le repère favori des vieux pervers qui matent, mais comme tu as déjà fait tes preuves chez les papas en mal de la quarantaine... » sa réponse m’arrache à peine un coup d’oeil, pas si curieuse du potentiel de voir des aubergines et autres saucisseries s’exhiber sur la plage qui reste encore un brin trop loin pour remarquer. Y'a les fesses du McGrath à mater de toute manière, ce dont je me gêne pas une seule seconde, un nouveau tatouage que je dénote par ci, la connerie qu’on s’est faite écrire à Londres par là. « LEVI! » quand je capte qu’il a décroché le portable et qu’il jacasse de son gros accent anglais bien rouillé, c’est en vitesse grand V que je le rejoins, même si évidemment, le mal est déjà fait.
Et elle est là, la dualité. J’étais intransigeante au boulot, une vraie workaholic dans les règles de l’art, à respecter ses délais à 3 jours d’avance, à mordre, à griffer, à saigner quiconque me dérangeaient pendant la moindre petite tache. Et ce projet, que je laissais en suspens, on en parle? Il raccroche quand je grimpe sur le pont, il rigole comme une vraie dinde lorsque j’arrive à sa hauteur, sourcil haussé et coup d’oeil qui capte pas du tout ce qu’il fait à tenter de se prendre en photo, le selfie de zizi qui ira s’ajouter à tous ceux dans mon dossier “banane”, melting pot de Tad, de dudes random sur Tinder, et de la grande majorité du fan mail que je reçois quotidiennement sur les plateformes où je publie mon contenu à GQ. La déception de ne pas avoir fait depuis trop longtemps une séance Note sur une échelle de merguez à courge butternut remonte, nostalgie des soirées à mettre mon téléphone au centre de la table le temps que tous donnent leur avis. Faudra que je prépare un doodle pour ça. « Si tu veux utiliser mon portable pour faire cam girl et payer ton épicerie, j’récolte 60% des recettes. » lubrique, je lui arrache l’appareil des mains, passant vite fait sur l’album question de voir s’il s’est ajouté volontairement à ma collection (lui qui y est déjà, si on recule de quelques semaines, puis de quelques années, à son insu, sinon c’est pas fun). « Elle a dit quoi? » que je distrais, presque trop désabusée pour l’être vraiment.
D’une main je tords mes mèches trempées, de l’autre j’entame le processus Levi à retirer les tissus humides le temps qu’ils sèchent. Mais, je m’immobilise dans mon mouvement, silencieuse, pensive, joueuse surtout. « Oh, non, j’ai mieux. » j’attends qu’il montre à nouveau le moindrement d’intérêt à l'instant présent et arrête de fantasmer sur ce que Kane fait en ce moment précis ou avec lequel de ses instruments de musique il rêve de dormir en cuillère pour reprendre, la moue piteuse que j’exagère en pouffant presque de rire à travers. « Un vêtement part pour chaque fois où j’ai été meilleure que toi. » il dit rien, je poursuis, jouant de son nerf de good guy, de pauvre type candide qui a à coeur ses potes, ou du moins, qui se la joue bonté sur la main quand il part pas égoïstement vers d’autres ports. « Ma confiance en moi a été heurtée avec tout ce que tu dis depuis tout à l'heure. J’ai besoin d’entendre la longue liste de mes qualités. » battant la mesure de mes paupières, je compte mentalement le nombre de vêtements que je porte, sûrement pas assez pour faire l’état de l'infinité de ma perfection, mais suffisamment pour mettre la table d'un striptease au goût d'ego mal géré. « Puis tu voudrais pas qu’on arrive là pas vêtus pour l’occasion. Rude. » et un coup d’oeil par-dessus mon épaule vers notre prochaine destination.