Blake avait les jambes dans le vide et l’esprit dans les nuages. Il était sur un des buildings les plus hauts du quartier, bien loin de celui qu’il habitait à présent. Ses pas l’avaient conduit aujourd’hui dans ce quartier sordide où il avait l’habitude de traîner la plupart du temps quand il était encore jeune. En réalité, il ne se trouvait pas loin de là où il avait grandi et il se demandait toujours pourquoi il n’avait pas encore quitté cette ville maudite pleine de mauvais souvenirs. Il secoua la tête. Il était calé sur un immeuble, la hauteur ne l’effrayait pas, rien ne lui faisait vraiment peur. Il avait pris l’habitude de prendre des risques et se suspendre au-dessus du vide faisait partie de ce qu’il faisait de mieux. Il s’amusait à se filmer la plupart du temps, ou il s’arrangeait pour qu’on le filme et depuis quelques semaines, il arrivait même à se faire de la thune en postant ses vidéos sur youtube. Il n’en revenait pas que la technologie l’aide à se faire de l’argent. Il avait emménagé depuis à peine quelques jours dans une maison avec un latino et deux jeunes femmes et il avait l’impression de mener une vie rangée. C’était peut-être pour ça qu’il était là aujourd’hui, pour se rappeler d’où il venait et ce qui lui était arrivé. Il adorait cette sensation d’être en danger, il aimait ça depuis qu’il était gosse. Il finit par se lever et par attraper le sac à dos qu’il avait posé près de lui et il grimpa le long de l’escalier de secours avant de redescendre vers la terre ferme avec une pointe de déception. Mais il devait travailler ce soir et il n’était pas question pour lui d’être en retard. Il allait donc devoir repasser chez lui pour se changer et se préparer mais il avait encore du temps à tuer et il allait en profiter. Il aimait sa vie, il avait appris à l’apprécier et il ne la voyait pas autrement à présent. Il vivait au jour le jour, il gagnait suffisamment d’argent pour subvenir à ses besoins. En posant ses deux pieds au sol, il observa un peu autour de lui avant mieux caler son sac sur son épaule et il sortit de ce quartier qu’il avait laissé derrière lui des années auparavant. Il marchait au gré de ses envies tout en gardant en tête sa destination finale. Il ne tarda pas à allumer une cigarette et quand il vit un café, il s’apprêta à changer de trottoir quand il stoppa net en reconnaissant une silhouette familière. Il ne pouvait pas passer à côté en faisant simplement semblant de ne pas le voir. Le mec de l’autre côté de la rue, Blake ne l’avait pas vu depuis des années. Et la dernière fois qu’il l’avait vu, il lui conseillait de courir aussi vite qu’il le pouvait pour échapper aux flics. Mais il n’avait pas réussi et il avait atterri en taule. C’était la loi de leur jungle, c’était ce qui arrivait souvent, parfois constamment. Mais pas pour Blake. Non, lui il était bien trop rapide. Et il avait abandonné Joseph à son sort, il en avait parfaitement conscience. Pourtant, un sourire en coin se dessina sur ses lèvres en même temps qu’une idée à la con germait dans son esprit. Alors que Joseph attendait sagement que le feu passe au rouge et interrompe la circulation sur la longue avenue qui les séparait, Blake lui fit un signe de la main avant de pouvoir s’engager pour le rejoindre en courant, slalomant entre les voitures sans prêter attention aux coups de klaxons qui manifestaient du mécontentement des automobilistes. Mais Blake s’en fichait pas mal. Alors qu’il s’approchait de celui qui l’avait aidé un jour, il fit passer son sac à dos devant lui et jeta un œil derrière lui. Il lui lança alors à la dernière seconde pour qu’il le rattrape. « J’ai les flics au cul, cours ! » Et il s’élança sur ses longues jambes finement musclées sans chercher à savoir si le jeune homme le suivait. Il connaissait les antécédents du jeune homme et c’était un jeu cruel auquel il venait de jouer alors très vite, il tourna à l’angle d’une ruelle et s’arrêta pour reprendre son souffle sans réellement en avoir besoin pour voir si le brun l’avait suivi ou non. Il aurait donné cher pour voir la tête de Joseph au moment où il l’avait informé de sa fausse situation et il en riait rien que de l’imaginer. D’ailleurs, il avait un sourire parfaitement idiot sur le visage, le sourire du mec qui sait parfaitement quel genre de connerie il vient de faire.
En réapparaissant à l’angle de la rue qu’il avait quitté, Blake ne put s’empêcher de ricaner en voyant la situation improbable dans laquelle Joseph venait de se mettre. Il comprenait un peu mieux pourquoi le jeune homme ne l’avait pas rejoint. Encore une fois, il ne l’aurait jamais rattrapé et les flics se seraient contentés de Joseph et l’auraient laissé tranquille. Décidément, l’ancien dealer n’avait pas appris ses leçons et n’avait pas aiguisé ses réflexes. Il aurait en revanche donné très cher pour voir la scène et il regrettait presque de s’être enfui si vite mais il avait voulu rendre la scène parfaitement crédible. Mais il n’eut pas le temps de réellement rire que le jeune homme se rallongeait au sol en hurlant comme un possédé. « - MA JAMBE ! ELLE EST CASSÉE ! DOUX JÉSUS ! » Parce que là, Blake était censé compatir et se confondre en excuses jusqu’à ce que le plus âgé des deux lui pardonne ? Le tatoué leva les yeux au ciel devant la scène et se rapprocha davantage tandis que les passants semblaient aussi désemparés les uns que les autres. Il avisa l’un d’eux qui hésitait visiblement à appeler les secours. Il arriva enfin à la hauteur de son ancien acolyte d’un jour et il rattrapa son sac au passage pour le caler confortablement sur son dos. Il était chanceux si la chute de Joseph n’avait rien cassé à l’intérieur. Il finit par se sentir un minimum concerné et il s’accroupit près de son ancien coéquipier tout en s’adressant à la foule. « Je suis médecin et c’est un ami ! » Il n’était pas crédible pour un sous avec sa gueule de mannequin sorti d’un magasine et ses joues imberbes d’adolescent. Même sa tenue ne collait pas au personnage, son débardeur blanc, son short, ses baskets et ses lunettes sur le nez lui donnaient plus l’allure d’un touriste américain que d’un pur Australien. A la hauteur de Joseph, Blake l’observa faire sa petite comédie avant d’ajouter à son attention, sans pour autant avoir l’air franchement discret. « Tu sais que si une ambulance rapplique, les flics aussi et je suis sûr qu’ils vont adorer mettre la main sur un ex taulard ! » C’était bien connu que ceux qui avaient fait de la prison étaient dans l’œil des flics, qu’ils se feraient un plaisir de creuser et de trouver un moyen pour que Joseph soit rendu coupable de cet incident qui aurait pu blesser gravement d’autres personnes. A la mention du passé de délinquant du jeune homme à l’agonie au sol, plusieurs passants eurent la bonne idée de passer leur chemin et de laisser faire ceux qui s’en occupaient. Blake croisa le regard du type qui hésitait toujours à appeler les secours et il soupira. « Tu es aussi mauvais comédien que sprinteur, c’est affligeant ! Tu avais gagné ta place dans le gang au loto du coin ? » Il finit par convaincre les passants qu’après tout, ce n’était pas leurs affaires tout ça et qu’ils feraient bien de laisser quelqu’un comme Blake gérer le problème. Médecin ou pas. Ami ou pas d’ailleurs. Même le cycliste ne sembla pas vouloir demander son reste et il l’observa un instant tandis qu’il relevait son vélo et qu’il s’en allait en pédalant. Visiblement, la seule personne blessée dans ce petit jeu, c’était Joseph. S’il était vraiment blessé d’ailleurs. Il tendit la main pour venir frapper sa jambe blessée sans le moindre remord ni la moindre empathie et il se releva d’un mouvement souple pour tendre la main au jeune homme resté à terre pour l’aider à se redresser. « Niveau réflexes, tu pourrais rivaliser avec ma bonne vieille grand-mère, je suis étonné sur tu aies survécu à tant d’années de prison ! » Il était railleur et déconneur, tout à fait comme à son habitude et parfaitement à son aise. Il ne savait même pas que Joseph était sorti en réalité, il ne l’avait jamais revu et n’avait jamais cherché à lui rendre visite. Pourquoi l’aurait-il fait d’ailleurs ? Ils se connaissaient à peine. A l’époque, Blake était un opportuniste qui ne revendiquait pas son appartenance au gang mais qui leur ramenait assez de thunes pour qu’ils ne l’exigent pas. Il avait fréquenté le QG, il avait côtoyé les autres membres mais il ne connaissait pas grand monde, sauf son acolyte. Le simple fait de se rappeler son visage lui valut une décharge et il détourna un instant les yeux avant de replacer son sac sur son épaule.
Blake ne manqua pas le sourire de Joseph et la façon qu’il avait de regarder autour de lui comme s’il cherchait à attirer l’attention. Lui et Blake ne s’étaient énormément fréquentés mais Joseph avait une personnalité qui lui avait toujours parlé , il était visiblement joueur, taquin et il était entré dans le jeu de Blake avec une facilité déconcertante. Une réaction à laquelle Blake n’était pas habitué . De la part de n’importe qui d’autre, Blake se serait attendu à être poursuivi et même à recevoir un coup ou deux. Il aurait même été assez fou pour aimer ça en réalité. Et il était presque assez dérangé pour être déçu que ce ne soit pas le cas. Mais la réaction de Joseph le surprenait et le prenait au dépourvu. Il avisa son sourire une nouvelle fois et sa remarque lui fit lever les yeux au ciel. Il se demandait réellement comment quelqu’un comme Joseph avait pu intégrer un gang mais il n’était pas réellement un exemple de maturité, il suffisait pour ça de voir la réaction qu’il avait eu en croisant son ancien partenaire dans le crime. Il avait agi comme un gamin et c’était bien la seule chose qu’il savait faire, se comporter comme un crétin pour agacer les autres mais le rire de Joseph lui prouvait qu’avec lui, ça allait être plus compliqué que prévu. Il l’observa quelques minutes après qu’il ce soit relevé avec son aide. Voilà bien longtemps que ses blagues et ses remarques sarcastiques n’avaient pas fait rire quelqu’un et qu’il ne recevait pas un coup de poing comme seule réponse. Il n’était pas habitué à entendre quelqu’un rire avec autant de sincérité. Blake sentit sa lèvre se soulever à la remarque du plus âgé. Il sourit en observant sa barbe qui lui donnait un air plus dur que lorsqu’il l’avait connu, plus sévère. Mais ses paroles et son attitude ne collaient pas avec cette apparence. Il avait vieilli. La où tout le monde, Joshua le premier, s’étonnait de l’aspect toujours jeune et lisse de Blake malgré ses trente ans, on pouvait aisément deviner l’âge de Joseph et la dureté des dernières années derrière se yeux rieurs. Mais ça c’était peut être simplement parce que Blake savait ce que c’était de cacher la souffrance derrière un masque de sarcasme et d’humour. Et parce qu’il savait que Joseph n’avait pas été envoyé chez les fraudeurs à l’assurance mais bien chez des criminels. Mais Blake n’était pas du genre à s’inquiéter pour quelqu’un d’autre que pour lui-même finalement et il préférait ne pas changer sa manière d’être. « Avec ta gueule tu n’as pas dû être beaucoup emmerdé de toute façon. » Joseph n’était pas le premier à commenter sa gueule et ce que certains aimeraient y faire, Joshua adorait le lui rappeler. Comme s’il était inscrit sur ses traits qu’il suçait des queues mieux que personne. Mais il n’eut même pas le temps de s’interroger davantage sur la vie merdique de la prison de Brisbane. Il intercepta le regard de Joseph sur son cou puis sur ses jambes et il arqua un sourcil une seconde avant que l’ex dealer ne passe ses doigts sous le col de son t-shirt pour observer son torse. Blake resta interloqué bien trop longtemps pour envisager de se dégager de cette intrusion dan sa vie privée. Il se ressaisit aux mots de Joseph et leva enfin la main gauche pour venir retirer celle du plus âgé une seconde trop tard puisqu’il le relâcha. Le tatoué avait l’habitude de ce genre de réaction et ce n’était pas sans raison qu’il se baladait toujours aussi peu vêtu. Il était un spot publicitaire ambulant pour Joshua, il était payé un belle fortune pour ça. Il devait donc laisser les autres admirer les œuvres sur sa peau en permanence. Il eut un sourire en coin, joueur et amusé. « t’imagine pas comme tu es proche de la vérité. Y en a même qui payent pour que j’enlève tout. » Il plaisantait mais il n’était pas très loin de la vérité. Il lui était déjà arrivé de faire tomber le haut pour contenter des touristes. Et comme il avait toujours la carte de Joshua avec lui, cela lui permettait de la glisser discrètement. Blake avait ajouté pas mal de tatouages à sa collection depuis ces trois dernières années. Il avait entamé un long travail sur sa jambe droite et il ne cessait d’en ajouter. Il était complètement accro à l’aiguille et à la sensation qu’elle lui procurait sur la peau. Il serait bien attristé le jour où il n’aurait plus de place pour en ajouter. Il observa un instant Joseph pour essayer de voir si la prison lui avait laissé ce genre de marque et il sourit. « Si on t’as tatoué une bite à ton insu, je connais une super adresse pour la faire recouvrir ! » Blake était toujours cash et particulièrement vulgaire depuis toujours, il ne faisait jamais attention de ne pas choquer et s’il savait quelque chose sur Joseph, c’était que ça ne risquait pas d’être le cas. Blake se rendit compte seulement à cet instant qu’ils n’avaient pas bougés et qu’ils étaient toujours plantés sur le trottoir. Il fit glisser le sac devant lui et l’ouvrit pour en vérifier le contenu et surtout que sa caméra n’avait pas subi trop de dommages. Il finit par relever les yeux vers Joseph. Il était surpris que son ancien collègue ne lui tienne pas une rancœur plus prononcée. Après tout la dernière fois qu’ils s’étaient vus, Blake galopait loin et en solitaire sans se retourner pour voir si Joseph le suivait. Il ajusta à nouveau son sac sur son épaule. « Bon, c’était presque sympa de revoir ta face, j’imagine qu’on va être amenés à se recroiser si tu crèches dans le coin. J’aurais put être la chance de pouvoir filmer ta gamelle la prochaine fois. » Il s’avança pour envoyez son poing dans l’épaule de Joseph, à la fois amical mais sans vraiment retenir sa force en se marrant.
« Toujours aussi sympa à ce que je vois ! Tu dois en avoir beaucoup des potes. » Blake haussa les épaules d’un air désinvolte en ricanant légèrement. Il n’était pas du genre sympa en effet et il ne faisait jamais l’effort de l’être quand il n’était pas payé pour. Il savait se montrer galant, attentionné et sérieux dans son travail. Il lui arrivait même de glisser un compliment au creux de l’oreille d’une femme quand il l’accompagnait parce qu’il savait qu’au plus elle oublierait qu’il était payé pour ça, au plus elle lui glisserait de pourboires dans la poche. Et c’était tout ce dont elles avaient besoin. Croire qu’elles tenaient réellement un mec comme Blake en laisse, qu’elles pouvaient en faire ce qu’elles voulaient, qu’elles étaient réellement désirées par lui. Et à chaque fois qu’il avait touché son argent, il redevenait le connard imbuvable qu’il était au quotidien. Et cela n’empêchait aucune d’elle de revenir se payer ses services. Il savait qu’il était doué pour ce qu’il faisait et il n’avait jamais gagné autant d’argent qu’en ce moment. Il vivait déjà très bien des revenus que Joshua lui filait. Il n’avait à se plaindre de rien, il roulait dans l’or mais il n’en faisait pas trop. Il se contentait du minimum pour mettre son corps en valeur mais il n’était pas le genre à se payer une voiture de course ou à tout flamber dans un casino. Il avait une sacrée réserve planquée sous son lit. Mais ça, personne ne le savait. Blake observa un instant Joseph avant de lui répondre. « J’ai pas assez confiance en l’être humain pour me faire des potes ! Mais les chats m’adorent ! » Et il accompagna sa remarque d’un sourire à demi-teinte. Il plaisantait et en même temps il était sérieux. Il ne s’attachait pas. Il préférait ne pas faire confiance en quelqu’un d’autre, il détestait simplement le pouvoir que ça pouvait avoir sur lui. Il n’avait pas envie de souffrir, de se prendre des claques. La seule personne à qui il accordait sa confiance, c’était Joshua. Et il savait que ce n’était pas saint. Il n’avait pourtant pas l’intention de cesser de le voir une seule seconde. Il continuerait à retourner à son salon inlassablement et à le laisser le traiter de la manière dont il le voulait. Alors non, il n’avait pas d’amis, pas de potes mais il vivait très bien sans. Il n’avait besoin de personne et personne n’avait besoin de lui. Il était de toute manière bien trop instable pour oser proposer ce genre d’attachement à qui que ce soit. Pourtant, il ne pouvait pas nier que revoir Joseph et retrouver sa répartie lui faisait quelque chose qu’il ne saurait pas expliquer. Il avait l’impression de le connaître alors que finalement il ne l’avait que très peu côtoyé. Il ne savait rien de lui, de son passé, de sa vie et il en avait même fini par oublier son existence en trois ans et pourtant, il était toujours sur ce trottoir à échanger de fausses politesses. Et pour permettre à Joseph de le mater ouvertement, lui mais aussi l’art qu’il avait pris l’habitude de trimbaler. Joshua aimait à dire qu’il était une toile à lui tout seul et quand il était à la plage, les regards se fixaient sur lui sans la moindre gêne. Mais il aimait ça, il n’avait pas l’intention de le nier. Au regard curieux de Joseph, Blake sourit. « Ah ouais ? T’as des tatouages sur la queue aussi ? » La question semblait réellement l’intéresser et le sourire du tatouer se fit malicieux et à la fois mystérieux. « J’ai bien mieux que ça sur la queue ! » C’était le dernier piercing qu’il s’était fait et s’il faisait le malin aujourd’hui, il n’avait clairement pas eu cette attitude au moment où Joshua lui avait percé le gland avec son aiguille. Mais Joseph était libre d’interpréter cette réponse, pas sur qu’il pense immédiatement à un piercing. Il se permit de reluquer son ancien coéquipier d’un regard pour voir s’il présentait de l’encre mais sa peau visible restait vierge de toute inscription. Un sacré contraste avec l’ex taulard. Blake fit franchement à sa réponse, cela ne l’étonnait guère de la part de quelqu’un comme Joseph finalement. Il secoua la tête mais jugea bien vite l’endroit inapproprié pour des retrouvailles et de toute manière, il ne voyait pas bien de quoi ils pourraient parler pendant des heures. Le tatoué fit donc mine de prendre congé mais c’était sans compter sur Joseph qui entama une toute autre discussion. Une chose à laquelle Blake ne s’attendait pas. Il l’observa un instant, prenant note de son ton intéressé, comme si savoir où il habitait avait de l’importance pour lui, comme une vieille connaissance ce serait interrogé pour savoir ce qu’il faisait de sa vie à présent. Blake était assez surpris par ce comportement. Il avait toujours du mal que quelqu’un lui témoigne de l’intérêt, lui pose des questions. Il n’y était pas habitué alors venant d’une personne qu’il ne connaissait pas si bien que ça et qu’il n’avait pas vu depuis des années, il trouvait cela étrange. Mais il se prit au jeu de répondre presque tout de suite en désignant une direction à l’ouest d’un geste évasif de la main. « Dans le quartier de Toowong, j’ai trouvé une maison à louer ! » Il ne précisa pas, cependant, qu’il s’agissait d’une collocation. Il ne jugeait pas l’information particulièrement utile de toute manière et puis ce n’était pas comme s’il allait inviter Joseph à crécher chez lui, il devait avoir un endroit où dormir. Il prit soin de ne pas lui demander et il allait enfin tourner les talons et le saluer quand il lui fit une proposition étrange en lui rappelant un événement qu’il n’avait pas l’habitude d’évoquer. Et comme souvent, il ne retint par la réaction de son corps. Le souvenir des années qu’il avait passé entre le gang et sa vie dans la rue lui fit l’effet d’une gifle. Son corps se tendit et son regard se durcit. Lui rappeler ce Noël, c’était lui rappeler Isaak, ce mec qui était mort devant ses yeux, la seule autre personne qu’il aurait défendu en dépit de sa propre vie. Il aurait aimé prendre cette balle à sa place mais pour une fois, il n’avait pas été assez rapide pour empêcher le pire de se produire. « J’ai laissé cette vie derrière moi. Tu ne me dois rien. » Il se rendit compte de son ton froid et fermé et il secoua légèrement la tête. « De toute façon, ton cadeau m’a été très utile, je l’ai porté pendant des années ! » C’était faux mais il avait l’air sérieux jusqu’à ce qu’il ricane à nouveau pour alléger l’atmosphère. Il avisa le café que lui avait désigné Joseph et il se passa une main dans les cheveux en consultant sa montre. « Je t’ai laissé te faire choper par les flics, je peux bien te payer un dessert ! » Il leva les yeux au ciel. Même s’il n’avait jamais regretté sa décision et qu’il était bien content de ne pas avoir fait de taule, peut être qu’il se sentait redevable finalement. Il fit un léger signe de la tête pour se mettre en mouvement et traverser la route dans l’autre sens en prenant soin au feu cette fois. « Ça m’étonne que tu sois sorti si vite, t’as un frangin qui s’est tatoué le plan de la maison sur le cul pour t’en sortir ? » Impossible de montrer un réel intérêt pour Joseph, il fallait que ses questions soient détournées bien sûr. Bon si vraiment l’ex dealer s’était échappé il ne serait pas resté à Brisbane mais il ne peut s’empêcher de ricaner malgré tout.
Blake ne manqua pas la réaction de Joseph lorsqu’il affirma ne pas aimer l’être humain. Non, il n’avait pas dit ça. Il avait affirmé ne pas lui faire confiance. Oui, c’était finalement la même chose. Et Joseph sembla penser que c’était un sacrilège, comme s’il fallait impérativement aimer son prochain pour être heureux. Ou bien sa remarque sur les chats l’avait surpris. Blake n’était pas plus attaché aux animaux en réalité. Il avait simplement l’impression que les animaux étaient moins susceptibles de trahir leurs prochains puisqu’ils ne s’accordaient aucune confiance. Ainsi, ils ne pouvaient éprouver aucun sentiment de trahison. Blake ne se souvenait pas assez de Joseph pour affirmer qu’il était un grand sociable. Il ne semblait pas avoir changé, toujours aussi farceur, toujours aussi bout en train. La prison ne semblait pas avoir eu d’impact sur son humour. Ou alors il se cachait aussi bien que Blake. La question de sa sociabilité n’amena pas un débat constructif sur la nature humaine et le désir des autres, ce qui l'arrangeait parfaitement. Parler de sa vie ne le mettait jamais à l’aise et depuis l’instant où il avait fait sa petite blague, il savait qu’il ne resterait pas aux côtés de Joseph. C’était du moins ce qu’il pensait. Le regard de l’ex dealer se porta davantage sur ses tatouages et Blake intercepta son regard en direction de son coude. Il y jeta un œil mais Joseph ne fit aucun commentaire. Blake observa le dessin tatoué sur sa peau une seconde avant de relever les yeux. Il ne décidait de rien en ce qui concernait ses tatouages. Il n’avait jamais eu son mot à dire depuis l’instant précis où Joshua avait posé son aiguille sur sa peau la première fois. Chaque centimètre de son épiderme appartenait à son tatoueur, il lui avait donné carte blanche et c’était bien pour cette raison qu’il était aussi bien payé. Le dessinateur était anglais, ce qui expliquait beaucoup de ses dessins, d’autres avaient simplement une dimension artistique, d’autres avaient une signification pour Joshua. Il devait côtoyer le seul tatoueur au monde qui préférait peindre ses motifs sur quelqu’un d’autre que lui-même. Blake était donc la frise de souvenirs, d’événements marquants, d’hommages pour Joshua. C’était peut être pour cette raison que leur lien était si particulier. À chaque fois que Joshua lui peignait dessus, il lui racontait son histoire, cette part de lui qu’il inscrivait sur un autre. Son tatoueur ne voulait pas le voir partir et il faisait en sorte que Blake reste à ses côtés. Il avançait ses œuvres lentement, il prenait son temps pour le peindre et s’il n’en n’avait pas l’air, il restait des zones vierges chez Blake. Le jeune tatoué, encore une fois, ne sut pas dire ce qui avait interpellé Joseph. Le symbole que pouvait représenter l’étoile de David ? Il ne connaissait rien des convictions religieuses de celui qui lui faisait face. Il ne savait donc pas s’il s’agissait d’une formé d’aversion ou d’approbation. Mais puisque l’ex taulard décida finalement de rester silencieux, il n’avait pas l’intention de chercher à le savoir. Un sourire en coin vint pourtant s’accrocher à ses lèvres en entendant la remarque de Joseph. Il ne savait pas réellement ce qui les avait poussé à parler de sa queue. Il ne put s’empêcher d’enfoncer le clou, parce qu’il adorait ça. « Dommage, pour toi ça aurait été gratuit ! » Il ricana comme un crétin. Il savait que Joseph ne lui demanderait pas. S’il souvenait de Blake, il savait qu’il ne fallait surtout pas lui lancer ce genre de défi parce qu’il était bien capable de lui sortir sa queue pour lui montrer. Tout comme il était capable de tout, du pire en général. Il ne reculait devant aucun défi, surtout pas si cela pouvait gêner un peu l’opinion public et encore moins s’il pouvait gagner une course poursuite en prime. Mais ce n’était apparemment pas la direction que leur conversation allait prendre. Tandis que Joseph lui en demandait davantage sur son lieu d’habitation, Blake resta une seconde interdit, pas certain de savoir pourquoi Joseph lui en demandait davantage. Et la réponse à cette question pouvait sembler parfaitement contradictoire avec ce qu’il avait affirmé plus tôt sur le peu d’interaction qu’il cherchait à avoir avec d’autres êtres humains. Il haussa les épaules avec désinvolture. La question était posée sans intérêt et il répondit sur le même ton. « J’ai pris une coloc’, la maison est grande et les coloc pas chiants ! » Ce n’était pas vraiment son style de s’étaler ou de développer sur sa vie et il préféra donc faire court. Il n’aimait pas raconter sa vie et il n’aimait pas écouter celle des autres alors il se surprit lui-même à interroger Joseph sur sa sortie de prison. Il n’était pas sur que la réponse l’intéresse vraiment et pourtant, il se mit à rire malgré lui à la réponse de son ancien collaborateur. « Je cherche pas des renseignements, je cours bien trop vite, je finirais jamais en taule ! » Bon et puis il s’était rangé entre temps et il n’avait plus grand-chose à se reprocher maintenant mais ça n’empêchait qu’il était sur de lui. « Et comment un mec comme toi connaît la bible par cœur ? J’aurais loupé les cours de religion en n’habitant pas au QG ? ». Il en doutait carrément mais il n’était pas sérieux. C’était encore une fois une façon de chercher une information sans en avoir l’air. Et toujours sans savoir ce qui poussait sa curiosité. Il entra le premier le premier dans le café et laissa Joseph choisir sa sucrerie, non sans noter l’éclair d’intérêt dans ses yeux et l’envie que cela semblait provoquer chez lui. Il nota ça dans un coin de sa tête. Blake commanda simplement un café et suivit Joseph jusqu’à une table. Il posa son sac à côté de lui sur la banquette et ne manqua pas le regard du plus âgé autour d’eux avant qu’il ne pose une question qui lui valut un regard noir. Mais Joseph n’était pas du genre à se laisser intimider apparemment puisqu’il enchaîna rapidement. Blake garda le silence tandis que la serveuse déposait leur café sur la table et capta immédiatement le regard de la demoiselle mais il s’en détourna rapidement avec mépris. Il porta son attention à sa tasse jusqu’à ce qu’elle sen aille et posa son regard sur Joseph. « Ça voulait dire que je avais pas l’intention d’en parler et que le sujet était pas ouvert à la discussion. Je n’étais pas un de leur membre et je ne leur devais rien. Si tu comptais sur moi pour te réintégrer ou pour te refiler un contact, tu t’es trompé d’adresse. Je n’ai plus de contact la bas. » Isaac mort, il n’avait plus aucune attache la bas et la décision de partir avait été facile à prendre. Il n’était pas question pour Blake se refoutre un pied là bas et il était étonné de cet intérêt. Il se trompait sûrement et il aurait pu conseiller à Joseph de se tenir loin des manthas si seulement son avenir et ce qu’il faisait de sa vie l’intéressait. Il se fichait bien que l’ancien dealer renoue avec ses vieux démons et risque une peine deux fois plus élevée pour avoir récidiver. Il n’était pas concerné par ce que Joseph faisait de sa vie après tout. Blake attrapa sa tasse et la porta à ses lèvres pour en voire une gorgée. Il avait une nuit de travail qui l’attendait, boire un café n’était donc pas une si mauvaise idée que ça.
« - Le jour où j’me suis fait choper, tes cheveux étaient coiffés vers la gauche et t’avais une coupure au-dessus du sourcil. Tu portais un débardeur gris, des shorts en jean délavés, des chaussettes Adidas noires et blanches ainsi que des souliers Nike gris aux lacets rouges. Mais, pour les souliers, je n’ai aucun mérite car c’est eux que tu portes en ce moment. » A mesure que Joseph évoquait ces souvenirs, le visage de Blake devenait incroyablement incrédule. Il finit pourtant par hausser un sourcil avec ironie, comme si tout ça l’amusait finalement. Il ne savait pas vraiment ce qu’il pouvait déduire de ce que Joseph venait de lui dire. « - Alors on peut tirer deux conclusions. Premièrement, j’n’oublie rien et, deuxièmement, tu prends très soin de tes godasses. À moins que t’aies racheté les mêmes. » Il ne réagit même pas à la tape amicale de cet ancien dealer. Il secoua légèrement la tête en jetant un œil à ses pompes. Il ne risquait pas de s’en séparer, ses chaussures lui portaient bonheur depuis des années. Il n’avait pas l’intention de les jeter. Il arrivait à grimper avec facilité avec, et il courait à une vitesse impressionnante quand elles étaient chaussées à ses pieds. Il finit par hausser les épaules en riant. « On peut aussi arriver à la conclusion que t’étais raide dingue de moi ! » Il était impressionné par la mémoire de Joseph, il ne pouvait pas le nier. Mais à vrai dire, il aurait pu lui dire n’importe quoi, cette journée-là, il ne s’en rappelait pas plus que ça. Il n’aurait pas su dire si la moindre affirmation du jeune homme était vraie ou non puisqu’il ne se souvenait pas de ce genre de détails. Il avait toujours ses cheveux coiffés vers la gauche et il aurait pu porter des chaussettes noires ou vertes, il ne s’en souvenait pas. Pourtant, quelque chose lui disait que Joseph ne mentait pas et qu’il se souvenait réellement des détails de cette journée. Ce qu’il semblait expliquer par une mémoire incroyable et visiblement photographique. Il manqua d’ouvrir la bouche pour répondre, poser une question mais il se rétracta finalement. Il se fichait bien de savoir comme Joseph avait pu se retrouver à lire la Bible et à l’apprendre par cœur. Même s’il n’avait besoin de la parcourir qu’une seule fois pour l’imprimer dans sa mémoire, elle était bien passée dans ses mains à un moment ou à un autre. Il avait failli, étrangement, le lui demander. Lui poser une question simple qui aurait manifesté un intérêt bien trop important pour quelqu’un dont il se fichait finalement. Alors comment ils en étaient arrivés à parler de Blake, d’où il habitait. Il avait l’impression que Joseph n’était pas plus intéressé que ça par ses réponses et pourtant, il les lui posait. Exactement comme lui finalement. Et il n’expliquait pas non plus comment il en était venu à s’asseoir à une table dans un café avec un mec qu’il avait à peine cotoyé. Il aurait dû partir quand il en avait eu l’idée, il n’aurait pas dû accepter cette proposition étrange et se laisser entraîner dans une conversation. Et il le regretta bien vite quand le sujet dévia vers le gang, vers un passé qu’il voulait oublier et laisser derrière lui. Ce que ne semblait pas comprendre Joseph. Il pensait pourtant avoir été clair la première fois mais il se senti obligé de renouveler son vœu de ne pas en discuter pour se faire entendre. Peine perdue, Joseph était visiblement aussi têtu que lui. Et tandis qu’il essayait de mettre les choses au clair, il ne rata pas la réaction de Joseph devant son dessert et son entrain pour le manger. Pourtant, il n’y fit pas attention plus que nécessaire et se concentra sur son café. « - J’veux pas retourner dans le gang, Blake. Je sais où les manthas habitent. Si mes intentions avaient été de les retrouver, j’serais allé frapper à leur porte direction. J’serais pas passé par toi. » C’est vrai qu’il n’était absolument pas le mieux placer pour ça de toute manière. Même à l’époque où il faisait du trafic pour eux, il n’était pas un élément clé. Il était là pour Isaac, pour s’assurer qu’il ne faisait pas de bêtise, qu’on le traitait bien. Il passait au QG pour être sûr qu’il était en sécurité et il s’arrangeait pour être là lors de ses grosses transactions pour assurer ses arrières. Il n’avait aucun autre intérêt. Il était bien payé mais ce n’était pas ce qui l’avait motivé à accepter de travailler aux eux de temps en temps. Il avait eu d’autres connaissances mais son centre à l’époque, c’était Isaak. Blake observa par la grande vitre l’extérieur du café, les passants pressés sur le trottoir en hochant vaguement la tête pour seule réponse. Jusqu’à ce que Joseph reprenne la parole. « - J’voulais seulement savoir si mes potes allaient bien. » Il n’avait donc réellement pas repris contact avec les Manthas. Blake détourna son attention des habitants de Brisbane pour croiser le regard de son ancien collègue. Il se pinça les lèvres. « - Chris, Peter, Isaak, Mitchell. Mes potes, quoi. » Blake tendit ses muscles et sa main se resserra autour de la tasse qu’il tenait entre ses doigts. Il fit de son mieux pour ne rien laisser paraître, sans le moindre succès. Son regard prit à nouveau la direction de l’extérieur et il tenta sans succès de hausser les épaules pour laisser paraître une désinvolture qu’il ne ressentait pas. « Chris est parti, il a décroché il y a un an, il a rejoint sa famille en Europe, ou quelque chose comme ça. Peter et Mitchell sont toujours là-bas aux dernières nouvelles. Je n’ai plus de nouvelles depuis que je suis parti. » Il n’en savait guère plus et il ne pourrait pas aider Joseph à en découvrir davantage mais puisqu’il détenait quelques informations, il pouvait bien les partager sans trop savoir pourquoi il s’en donnait la peine. Il laissa ses doigts pianoter contre le verre de sa tasse une longue minute, silencieux et immobile. Il ne l’avait jamais dit, il ne l’avait jamais admis. Il était presque dans le déni depuis les évènements de l’année passée. Il n’avait pas mis de mots sur ce qui était arrivé et il hésitait, il ne savait pas ce qu’il devait dire. Il finit par observer son café, la fumée brûlante qui s’en échappait, ses tatouages à ses phalanges qui tapotaient en rythme contre la tasse. « Isaak a été tué, règlement de compte, il a pris une balle en pleine rue. » Il l’avait dit dans un souffle incertain et mal contrôlé. Personne n’avait jamais ignoré l’amitié qui liait les deux compères à l’époque et il ne pouvait pas faire semblant d’être indifférent face à cette information. Il avait bien trop eu envie de se faire du mal par la suite. C’était la seule et unique fois où il avait demandé à Joshua de dessinait quelque chose pour lui. Et la fleur qui ornait son cou était pour lui, même si Joshua y avait ajouté sa patte. Il savait ce qu’elle représentait, pour qui elle était. Blake porta sa main à la jonction de son épaule et de sa nuque pour gratter le dessin d’un geste involontaire. Il ne savait pas comment Joseph allait accueillir cette nouvelle. Isaak était un gars bien, qui n’avait pas mérité ce qui lui était arrivé et tout le monde l’adorait au QG. Et beaucoup avaient blâmé Blake de ne pas l’avoir protégé. Et Blake avait fini par s’enfuir loin des regards et de la tension qu’il avait ramené.
Il était étrange pour Blake d’évoquer cette journée, il n’aurait pas pensé en discuter un jour avec Joseph avec autant de décontraction. Avec le temps, les détails s’étaient effacés de sa mémoire et il avait fini par oublier ce moment. La façon dont il avait filé et la manière dont il avait appris que son partenaire du jour s’était fait pincer. C’était le responsable de la transaction qui le lui avait dit d’un ton neutre. Tout le monde s’en fichait à vrai dire. C’était ainsi dans la vie d’un gang. Il y avait ceux qui s’échappaient et ceux qui se faisaient attraper. Et Joseph n’avait pas eu de chance. La seule peur que tout le monde avait à chaque fois, c’était qu’un mec troque sa liberté contre des informations. Mais aucun d’eux n’avait jamais parlé depuis la naissance du gang. Ils avaient bien trop peur des représailles, ils craignaient pour leur vie, pour leur famille. Il ne fallait pas rire avec la sécurité d’un gang. Si quelqu’un avait balancé la moindre information, il n’aurait pas eu l’occasion de profiter de sa liberté fraîchement acquise. Il aurait été tué dans les semaines suivantes. Personne n’était donc réellement soucieux d’une arrestation, il n’y avait que quelques-uns pour s’attrister du sort d’un camarade mais Blake n’en faisait pas partie. Il avait accepté de faire cette transaction ce jour-là pour aider Isaak qui était tombé malade et il avait eu besoin d’un coup de main. La tâche était tombée sur Joseph qui n’avait pas eu de chance. La vie était ainsi faite. Mais que l’ancien dealer ne lui en tienne aucune rancœur ne cessait de l’étonner. N’importe quel autre membre du gang n’aurait pas eu la sagesse d’admettre qu’il aurait agi exactement de la même façon. S’il y avait une seule personne pour laquelle Blake aurait pu se faire pincer, c’était Isaak. Il n’aurait couru ce risque pour personne d’autre. Et tout le monde le savait au QG. Il n’était pas un fidèle toutou, et il ne valait mieux pas qu’il se fasse attraper d’ailleurs, il n’aurait pas eu beaucoup de scrupule à balancer autant d’informations à sa disposition pour obtenir une réduction de peine. Blake n’était fidèle qu’à lui-même. Il avait pourtant l’impression de remonter quelques années en arrière et se retrouver à nouveau dans cet entrepôt mais il n’y avait rien à faire, il n’avait pas une aussi bonne visualisation de la chose que Joseph qui avait tout retenu. Une donnée qui ne manqua pas d’amuser Blake, mais il était loin de se douter de la réponse qu’il reçut finalement. « - Ouais, c’est ça. J’suis certain que j’pas le seul hétéro que t’as réussi à faire bander. » Blake planta ses yeux écarquillés dans ceux de Joseph et il ne put rater sa réaction. Non seulement le jeune homme ne plaisantait pas mais en plus, il n’avait pas fait attention à ce qu’il venait de dire et il n’avait pris conscience que trop tard de son choix de mots. Il avait délivré une information qui laissa Blake perplexe quelques secondes avant qu’il ne se reprenne. Bien sûr, personne chez les Manthas ne connaissait la vérité sur sa vie sexuelle et il fallait que les choses restent ainsi. Personne n’ignorait que l’homosexualité n’était pas la chose la mieux vue au sein des gangs. Il était d’autant plus surpris que Joseph lui lâche une information aussi personnelle en sachant qu’il avait côtoyé ce gang aux idées étriquées. « - J’étais nerveux, et quand j’suis nerveux, j’analyse toute la situation pour savoir quoi faire si quelque chose tourne mal. Alors, pendant que je cherchais les sorties de secours, j’ai croisé ton regard. Et tout s’est imprimé dans ma tête. » Blake n’écoutait déjà plus depuis quelques instants et il se fichait bien de savoir pourquoi Joseph avait tout imprimé de cette journée. Surtout s’il prenait en considération le fait que cette information annulait la précédente. Tout cela n’expliquait finalement pas pourquoi l’ancien détenu connaissait aussi bien la Bible, ce qui était le sujet principal. Mais Blake n’avait plus l’intention d’en apprendre davantage sur celui qui lui faisait face, il n’avait pas à poser plus de questions. Il finit par hausser les épaules et par poser sa main sur l’épaule de Joseph en riant. « T’es loin d’être le seul, mais t’es le premier à le prendre aussi bien ! C’était pas ce fameux jour j’espère ? » Blake préférait se moquer plutôt que de prendre la chose trop au sérieux. Il sentait que Joseph avait cherché à détourner son attention mais il n’était pas question d’oublier et il était curieux de savoir quand cela s’était produit. Mais le plus âgé avait soulevé un point que Blake avait confirmé : il n’était pas le seul à lui avouer ce genre de choses mais d’habitude, l’hétéro en question ne prenait pas la chose en riant ou à la légère. Il savait qu’il était beau, on le lui avait assez dit et répété, il ne faisait pas son travail pour rien, il plaisait et ce même aux plus récalcitrants hétérosexuels. Comme Joshua. Joshua qui aimait les femmes jusqu’à ce qu’il croise la route de Blake. Joshua qui le punissait à chaque fois d’éveiller en lui un désir qu’il pensait contre nature. Et le tatoué le laissait faire, sans s’expliquer pourquoi.
En tout cas, ce n’était pas la nouvelle information de Joseph qui empêcha Blake de lui offrir à boire et à manger sans savoir que c’était tout ce qu’on avait attendu de lui. Il était à présent assis tout en échangeant des souvenirs avec un vieux, très vieux camarade. Joseph dégustait sa pâtisserie tandis que Blake tentait de se souvenir de ses amis et de ce qu’ils étaient devenus. Il ne manqua pas le sourire du plus âgé à la mention de Chris et sa famille et il hocha légèrement la tête à la précision que le brun apporta. Il lui semblait bien qu’en effet, il avait entendu parler d’une famille écossaise. Mais comme tout ce qui ne le concernait pas, l’information n’était pas restée ancrée en lui. Il l’avait oublié à l’instant où il l’avait su. C’était sa façon de trier les informations et de ne laisser à l’intérieur de sa mémoire que les choses essentielles. Et le souvenir d’Isaak, de son sourire, de son visage confiant tourné vers son ami était profondément gravé en lui. Il revoyait chaque instant de ces longues secondes interminables. Il ressentait encore la pression de ses jambes qui lui semblaient peser des tonnes tandis qu’il courrait. C’était la première dois de sa vie qu’il s’était senti aussi lourd, aussi gauche, aussi incompétent. Lui qui galopait aussi vite que le vent et qui défiait les lois de la physique en haut des buildings n’avait pas été assez rapide pour épargner à son ami une mort certaine. Passez assez rapide pour lui éviter une balle. Il avait appris, de la pire manière, qu’il pouvait mourir lui aussi à tout instant, qu’il était loin d’être invincible et qu’il avait des failles. Le regard de Joseph lui était insupportable et il s’en détourna. Il regardait les passants dans la rue sans les voir, sans imprimer leurs visages. Il laissait leurs images défiler devant ses yeux sans chercher à en voir davantage. Il serrait sa tasse entre ses doigts. « - J’suis désolé, mec. J’sais que tu l’aimais bien. Moi aussi mais, c’pas comparable à votre amitié. » Il aurait apprécié un peu plus de silence, que le jeune homme la ferme finalement. Qu’il l’aimait bien ? Blake n’aimait pas « bien » Isaak. Il était son frère, son ami. Ils avaient affronté beaucoup d’épreuves ensemble. Le tatoué secoua les épaules, agacé de parler de ces choses avec un mec qu’il ne connaissait pas vraiment. « Certains se font arrêtés, d’autres meurent, ce sont des choses qui arrivent. » Il était bien loin de ressentir la désinvolture qu’il cherchait à montrer et il savait qu’il n’y parvenait pas. Et cela l’agaçait. Il détestait cette position, celle de celui qui éprouve, qui se fait consoler, pour qui on ressent de la pitié. « Garde ta pitié. » Il avait un ton froid et neutre. Il délaissa sa tasse, le poil hérissé, comme un chat prêt à bondir. « - T’as pas l’air paumé, depuis. Qu’est-ce que tu fais pour gagner d’la thune ? Ta caméra, elle valait pas de la merde. » Blake redressa le regard vers Joseph après avoir observé sa tasse délaissée. Il n’avait pas l’intention de finir son café maintenant que la contrariété lui bloquait la gorge. Mais penser à autre chose qu’à Isaak lui permit de calmer légèrement ses nerfs et il haussa les épaules. « Un mec paye pour dessiner ce qu’il veut sur moi, les femmes payent pour m’exhiber à leurs petites soirées, les abrutis font des paris pour voir jusqu’où je peux grimper et jusqu’à quelle distance je peux sauter. J’ai un planning chargé et les poches pleines de thunes. » Il venait de résumer sa vie en quelques mots à peine et un sourire en coin se dessina sur ses lèvres. Il était déjà le modèle d’un tatoueur quand il faisait du deal chez les Manthas mais il n’était l’escort de ses dames que depuis deux ans. Et les concours de rues s’étaient intensifiés, les vidéos sur le net n’étaient que du bonus. Il ne comptait que sur une seule chose pour gagner de l’argent : son corps. Il en avait fait sa marque, son fond de commerce et il n’avait aucune honte à le dire. Il plissa légèrement les yeux, le fait que Joseph ait remarqué que sa caméra avait de la valeur commençait à lui titiller le cerveau. « J’imagine que personne ne se bat pour engager un ex-taulard, t’as quelque chose ? » Il était intéressé de savoir de quoi Joseph vivait à présent qu’il était sorti.
Blake n'arrivait pas à se souvenir de la dernière fois qu'il s'était retrouvé dans ce genre de situation. La dernière fois qu'il avait simplement partagé un café avec une connaissance, qu'il avait échangé sur sa vie et qu'il avait blagué avec autrui. Il n'avait pas vraiment le temps, il ne le prenait pas. Il ne s'intéressait pas aux autres personnes, il n'avait pas une heure à perdre à siroter une boisson chaude en faisant semblant de s'intéresser à quelqu'un d'autre qu'à lui-même. Joshua n'était pas du genre à lui offrir un café, pas plus que les femmes qui le payaient pour passer une nuit dans les draps d'une chambre d'hôtel de luxe. Il vivait à cent à l'heure depuis des années, il n'avait pas le temps de se poser, d'analyser ce genre de choses d'habitude. De réfléchir à la dernière fois qu'il avait passé un moment agréable avec quelqu'un. Voilà plus d'un an, depuis qu'Isaak avait été tué, qu'il n'avait pas échangé de véritables sentiments et émotions avec quelqu'un. Et c'était pourtant exactement ce qu'il était en train de faire avec Joseph. Pourquoi. Il avait beau vouloir se cacher derrière cette histoire d'arrestation et d'une quelconque dette qu'il pourrait vouloir combler avec une pâtisserie raffinée, il n'était pas plus crédible. Il ne payait pas ses dettes dans la mesure ou il faisait son possible pour ne jamais en contracter. Il détestait se sentir redevable de quoi que ce soit, il préférait que les autres éprouvent ce genre d'émotion. Alors non, il ne se sentait pas coupable des années que Joseph avait passé en prison. Il n'avait pas à lui payer un café pour lui faire oublier qu'il avait fui au lieu de l'aider. Il n'aurait jamais pu aider Joseph à s'enfuir ce jour-là, personne n'arrivait à le suivre quand il avait décidé qu'il ne voulait pas être rattrapé. Il passait immédiatement par la voie des airs, il grimpait aussi vite qu'il le pouvait et n'importe où, il n'avait rencontré personne d'assez courageux pour le suivre dans ce genre de délires. A part Isaak. Son ami était le seul à grimper à sa suite, à partager ce grain de folie qui caractérisait Blake depuis des années. Mais le tatoué avait toujours pris soin de son ancien acolyte, il avait toujours fait en sorte qu'il soit en sécurité et il était toujours là pour assurer ses arrières quand ils grimpaient tous les deux. Non, Joseph n'aurait pas pu le suivre, même si Blake avait décidé de l'aider et il n'était pas question pour lui de courir normalement en prenant le risque de se faire pincer. Il n'avait donc pas la moindre culpabilité à ressentir. Pourtant, il était là, bien assis en face de son ancien partenaire et il plaisantait même avec lui sur un sujet qui aurait dû être tabou pour deux anciens membres de gangs. " - Ouais, j’imagine qu’un mec qui tient un peu trop à son image ne va pas trop bien réagir. Si j’le prends comme ça, c’est bien parc’que j’m’en fiche complètement. J’m’inquiéterai quand j’banderai pour un enfant. " Blake fronça légèrement les sourcils, plus tout à fait sûr d'avoir envie de plaisanter à ce sujet et pas non plus sûr que le sujet soit approprié. S'il n'avait aucun filtre et s'il était la vulgarité incarnée et si rien ne pouvait réellement le choquer, Joseph avait mis le doigt sur un sujet avec lequel il préférait ne pas plaisanter. Il pinça les lèvres mais il n'eut pas le temps de réagir. " - Non, j’bande pas pour les enfants, okay ? Pas besoin d’appeler les flics. " Il avait plus ou moins compris que Joseph n'était pas sérieux mais il ne put s'empêcher de lui répondre, sur un ton neutre. " Pas besoin de flics, je préfèrerais te faire avaler tes dents une à une si t'avais ce genre de déviance! " Le sujet le ramenait à quelques années en arrière, quand les clients de sa mère demandaient à Blake de se retourner pour les regarder pendant qu'ils couchaient avec celle qui l'avait mis au monde. Et ils payaient tous plus chers pour que les yeux bleus et innocents de Blake se pose sur cette scène écœurante qui lui soulevait le cœur et lui donnait envie de vomir à chaque instant. Ils payaient tous le prix fort pour que les traits angéliques du jeune garçon qu'il était se crispent et se contractent de dégoût. Et certains auraient voulu payer davantage pour sentir la bouche rose et chaude de ce garçon de dix ans glisser autour de leur sexe. Il ne comprenait pas qu'on puisse avoir envie d'un enfant. Qu'on puisse vouloir leur faire du mal et il se révoltait de ce genre de comportement. Et il n'aurait eu aucun mal à mettre sa menace à exécution s'il sentait que Joseph pouvait réellement avoir déjà bandé pour un gosse. Mais malheureusement, ce n'était pas ceux qui en parlaient qui étaient les plus dangereux mais bien ceux qui ne disaient rien. Il en avait oublié l'information la plus importante dans cette histoire. Celle concernant l'avis de Joseph sur sa sexualité. Visiblement, bander pour un autre type ne lui faisait pas grand chose, restait à savoir s'il s'agissait d'un problème récurent chez lui. Et Blake se surprenait à être captivé par les réactions de Joseph. Il ne voyait pas beaucoup d'hétérosexuels avec son aisance à parler de ce sujet. Soit il s'était découvert une vie sexuelle débridée en prison, soit il était réellement aussi je m'en foutiste qu'il le laissait paraître. Mais il avait aussi plus ou moins admis plus tôt qu'on l'avait laissé tranquille dans les quatre murs de la prison qu'il avait fréquenté. Blake l'observa tandis que l'ex détenu lui expliquait un peu mieux ce qui l'avait amené à se sentir un jour plus serré dans son froc en sa présence et il rit volontiers à sa blague. " - À Noël. Tu portais l’affreux pull vert et blanc que j’sais pas qui t’avait offert. Lui avec un renne et un pompon rouge à la place de son nez. Jogging gris, chaussettes noires… Tu veux que j’continue ou t’as compris le principe de ma mémoire photographique ? " Blake ne put empêcher une nouvelle fois sa réaction, il fut surpris par les détails que Joseph était capable d'apporter sur un jour assez insignifiant. Cela remontait à un sacré paquets d'années la dernière fois qu'il avait fêté noël au QG des Manthas. Il ne l'avait fait qu'une fois à vrai dire et c'était tombé lors d'un hiver froid où il avait créché plusieurs semaines dans la chambre d'Isaak en attendant de trouver un endroit plus confortable où se loger. Il avait alors été contraint de participer aux festivités parce que son ami aimait ça. Et parce que l'ambiance avait été étrangement agréable, et qu'il en avait été le premier surpris. Il rit finalement, la surprise passée. " C'est le renne au nez rouge qui t'a fait de l'effet ? Tu me pardonneras si je te dis que je ne savais même pas que t'étais là! Il faut dire que j'ai fini la soirée à vomir à côté des toilettes en utilisant ce fameux pull pour essuyer! " Il avait peut-être un peu abusé de la bière et surtout des alcools proposés. N'est pas Mantha celui qui ne finit par une soirée de Noël à rendre la dinde qu'il a avalé quelques heures auparavant. Il n'était pas tout à fait vrai d'affirmer qu'il ne se souvenait pas de la présence de Joseph mais elle n'était pas imprimée avec autant de précision dans son esprit. Il se souvenait à peine de ce soir-là et s'il se rappelait vaguement que l'ancien Mantha était également présent, c'était uniquement parce qu'il venait de le lui dire. " - En tout cas, t’as pas l’air plus gêné qu’moi d’parler d’ça. Moi j’dis que ça cache quelque chose. " Blake arqua légèrement un sourcil, de manière à laisser planer le doute sur ses réelles pensées. S'il était un livre ouvert concernant ses émotions, il y avait bien une chose qu'il cachait à la perfection: ses désirs et ce qu'il éprouvait vis à vis du sexe opposé ou de ceux qui possédaient une queue. Il n'aimait personne en réalité et il lui était difficile de mettre des mots sur sa vie sexuelle. Il ne couchait avec les femmes que par intérêt financier. Quant aux hommes, c'était une histoire bien trop compliquée. Blake haussa les épaules. " Et qu'est ce que ça pourrait cacher ? Je n'ai rien à cacher, si tu veux savoir si je couche avec d'autres mecs, y a qu'à le demander. Les idées des Manthas, je me torchais déjà avec quand je dealais pour leurs beaux yeux mais ils avaient l'habitude de ne pas poser les questions qui pouvaient leur apporter une réponse gênante. Et j'ai pas l'habitude de mentir. " Il délivrait peut-être plus d'information que nécessaire mais il venait bien de le dire, il se fichait de l'opinion publique. Mais il avait compris que Joseph fonctionnait exactement de la même façon. De toute manière, Blake n'était pas du genre à se laisser casser la gueule sans rien faire. Il n'avait jamais été la victime d'attaques homophobes dans la mesure où il ne s'affichait certainement pas comme homosexuel et il ne lui posait jamais la question. Surtout qu'il était vu aux bras de superbes femmes la plupart du temps. Il observa un peu plus attentivement Joseph pendant quelques instants. Il ne savait pas comment il pourrait réagir après qu'il ait clairement dit coucher avec d'autres mecs. Se sentirait-il en danger ? Blake se demanda un instant s'il pouvait être attiré par quelqu'un comme Joseph avant d'en arriver à la conclusion que non. Ils étaient peut-être un peu trop semblables et en même temps, un peu trop différent.
Si l'ambiance était passée de joviale à glaciale en quelques instants, Blake avait enfin réussi à faire oublier à Joseph qu'il avait un quelconque intérêt pour les Manthas. Il avait conscience d'avoir jeté un froid et il ne s'était pas réellement attendu à ce que son ancien collaborateur baisse la tête vers sa tasse. Il aurait été moins surpris que le jeune homme se lève et le laisse en plan. Blake n'était pas quelqu'un d'agréable et il avait l'habitude d'agacer et de pousser les autres dans leurs retranchements. Il savait mettre les autres en colère volontairement et sa nature revenait encore plus vite quand on l'énervait. Mais Joseph ne semblait pas lui tenir rigueur de son petit éclat et il changea de sujet et ne s'attarda pas davantage, allégeant l'atmosphère en déviant sur les activités de Blake. Et encore une fois, il n'avait rien à cacher. " - Attends, quoi ? J’ai rien compris. T’es une toile, une statue décorative et un singe ? Et t’arrives à mener ces trois vies ? " Le tatoué resta interdit quelques secondes, les yeux plongés dans le regard clair de Joseph et après quelques secondes d'un léger silence, il finit par rire. Ils étaient rares ceux qui arrivaient à le surprendre. Généralement, personne ne s'amusait à le traiter de singe ou de statue décorative. Sans inspirer la peur, les personnes avec qui il avait l'occasion de discuter avaient pris l'habitude d'être réservés en sa présence. " - C’est quoi qui t’rapporte le plus de thunes ? " La question le fit vraiment réfléchir. Il secoua légèrement la tête en riant. " Je bosse quand je veux, je choisis les contrats qui me plaisent pour ces dames, si tu vois ce que je veux dire! " Il leva les yeux au ciel de manière significative, faisant appel à toute l'hétérosexualité de Joseph pour comprendre. Il n'aimait pas les femmes mais ce n'était pas une raison de se présenter au bras de n'importe qui. Il haussa ensuite les épaules. " Je laisse un mec graver absolument tout ce qu'il veut sur mon corps, ce qui lui passe par la tête et ce qui l'inspire. Et je lui fais sa pub à chaque fois que je me balade. Tu peux être sûr que c'est ce qui me rapporte le plus! " Il ne faisait pas que ça bien sûr. Il était un spot publicitaire sur pattes et il l'accompagnait sur de nombreux salons, de nombreuses manifestations. Et il était toujours peu vêtu pour que ses tatouages apparaissent le plus possible. Et Joshua ne comptait pas l'argent qu'il lui versait pour tout ça. Et pour tout le reste. " Mais grâce à cette caméra, je suis un singe sacrément célèbre sur le net! " Ajouta-t-il avec un sourire en coin plein d'ironie. Il leva la main pour passer ses doigts dans ses cheveux en écoutant la réponse de Joseph. " - Ouais, c’était pas facile trouver un truc. Mais c’bon, j’bosse à… Une p’tite épicerie, tu l’as connais probablement pas. Y’a trois clients par jour dont le patron. " Blake hocha légèrement la tête, il ne la connaissait même plus que probablement pas. Il n'eut pourtant pas le temps de lui répondre ou de faire semblant de s'intéresser davantage à sa petite vie dans sa minuscule épicerie. " - En passant, ma télévision est en panne. Ce week-end, y’a le match final de foot et j’voudrais pas manquer ça. Le réparateur il peut pas v’nir avant lundi. T’penses que j’pourrais squatter chez toi le samedi soir ? " Blake arqua légèrement un sourcil en jetant un œil à sa tasse à moitié vide qu'il avait décidé de manière lunatique de délaisser. Sa mauvaise humeur l'avait privé de la fin de son café et pas question pour lui de s'y intéresser à nouveau. Il porta sa main à son cou pour gratter sa peau en réfléchissant. " Tu crois que j'ai le temps de regarder la télévision ? " Demanda-t-il d'un ton ironique alors qu'ils venaient d'établir que son emploi du temps était déjà bien chargé. Il secoua la tête. " J'ai pas de télé et j'ai aucune idée de ce que font mes colocs le samedi soir. Je pense pas que le colombien soit du genre match de foot! " Il n'avait pas accès à la télévision du salon et il n'avait jamais cherché à partager une soirée devant l'écran en compagnie de ses nouveaux amis. Il haussa les épaules, indifférent à son refus. " Il va falloir trouver un autre mec super bandant chez qui squatter! Mais si c'est un match important, tu pourras peut-être trouver un café sympa où voir la diffusion! " Il n'était absolument pas conscient que le match était le dernier des soucis de Joseph et il n'était pas désolé de lui refuser cette soirée. Il n'était pas du genre à s'excuser pour décevoir quelqu'un.