Il y a beaucoup de choses que l'on choisit dans la vie, mais s'il y a un sujet sur lequel on ne nous demande jamais notre avis, c'est sur notre famille. On peut choisir les études que l'on veut faire, la personne avec qui on veut vivre, les amis qui nous entoure, mais on ne choisit pas ses parents, et ce, peu importe que l'on vienne d'une famille aisée ou pauvre. La sanction est la même pour tout le monde. Alors parfois on tombe sur des personnes bien et puis d'autres fois, sur des moins bien, qui n'ont pas forcément mesuré la conséquence de leurs actes lorsqu'ils ont pris la décision d'avoir un enfant. Aiden semblait être tombé sur la dernière option, quant à lui-même, Douglas n'était pas vraiment en mesure de qualifier sa situation. Il avait eu un père, s'était déjà mieux que la plupart des enfants qui ont grandi sans repère. Mais en y repensant, peut-être aurait-il fallu qu'il grandisse en foyer, il aurait sans doute eu plus de facilités à pardonner à des inconnus de lui inflige une telle souffrance que de pardonner à son propre père. Pourtant, l'anglais n'était pas rancunier, il pardonnait toujours, même s'il gardait toujours une trace au fond de lui de ce qui s'était passé.

Quand Aiden lui avoua qu'il se fichait bien de savoir qui était son père, il ne pouvait pas pleinement le croire. Même si au fond, il avait dépassé l'âge où on a besoin d'un modèle masculin, ce manque doit se ressentir dans sa façon d'agir, de se comporter. Et peut-être même que ça remet en question ses choix d'avenir, de fonder une famille à son tour. Ça impactait beaucoup de choses ce genre d'absence dans la vie d'un enfant, et puis, il avait besoin de savoir au fond de lui d'où il venait, ses racines, c'était indéniable, même s'il disait n'y prêter aucune attention à cet instant précis, ça devait tout de même être quelque part au fond de son esprit.

" - Je suis conscient de la chance d'avoir eu un père, n'en doute pas. Je sais d'où je viens, je connais mes origines, et bien que tu dises te foutre de cet homme et de ce qu'il est devenu, tu ne peux pas renier le fait que tu es de son sang. Tu as aussi besoin de savoir d'où tu viens, quelles sont tes origines, tout le monde en a besoin pour avancer sur des bases solides. Ne serait-ce que lorsque tes enfants te demanderont qui etait leur grand-père. Tu as le droit de savoir et c'est tout à fait légitime."

Douglas se mordit soudain l'intérieur de la joue. Peut-être qu'il avait fait une gaffe, peut-être qu'Aiden avait déjà des enfants, peut-être même qu'il était déjà marié. Et dans le noir, impossible de s'assurer s'il portait ou non une alliance. Pourquoi s'était tombé sur lui ? Pourquoi le faire souffrir encore plus qu'il ne souffrait déjà ? À croire que la vie ne le laisserait jamais tranquille et qu'il aura toujours ces tourments qui tourneront autour de lui, guettant le meilleur moment pour lui tomber dessus.

Lorsque Douglas s'était ouvert concernant la durée des sévices qu'il avait subi, tout comme le fait qu'il était possible qu'il ne reconnaisse pas son père après toutes ces années. Au fond il s'était mal exprimé, il parlait d'un point de vue physique, on sait tous que la prison change un homme. Peut-être qu'il avait changé de visage, qu'il avait des tatouages ou quoique ce soit d'autre qui serait différent de l'époque où il partageait encore sa maison. Mais il est évident qu'il ne peut l'oublier. Tout comme il ne pourra jamais oublier sa voix, toutes ces paroles qui parfois, la nuit, lui revienne en mémoire et se mettent à cogner contre les parois de son cerveau, le laissant alors en proie au désespoir et à la peur.

Le pompier lui proposa son aide, enfin, il la lui imposait au final, mais c'était tout aussi bien. Cependant, le jeune anglais n'était pas habitué à ce que ça se déroule ainsi. Généralement, il était le petit garçon, au fond de la pièce, qui, de par son silence devient très facilement invisible aux yeux des autres. Pourtant là, alors même qu'ils ne se connaissaient pas, il voulait lui venir en aide. Avait-il autant pitié de lui que ça pour proposer une telle chose ? Douglas se posait la question. Pourtant, il ne pouvait cesser de se répéter ses propos, il avait dit qu'il ne le connaissait pas encore, est-ce que ça voulait dire qu'il envisageait que tout cela change ? Il faut vraiment qu'il arrête de penser que le monde était tout beau, tout rose. Sa naïveté finira par avoir raison de lui si ce n'était pas déjà le cas.

" - Tu ne peux pas m'en vouloir de ne pas te croire sur paroles, personne n'a jamais été là pour moi quand j'en avais besoin. Quand mon père me frappait pendant quatre ans, personne n'est jamais intervenu, personne n'a jamais cherché à m'aider alors oui, j'ai des doutes concernant la véracité des propos tu m'excuseras.."

Douglas se demandait pourquoi il avait dit une telle chose, Aiden lui avait déjà prouvé qu'il pouvait le protéger, pourtant rien ne l'y obligeait.

" - Ouais une erreur.. J'ai toujours été qu'une erreur de toute façon.. murmura-t-il plus pour lui-même que pour son interlocuteur.

Son père lui avait bien fait comprendre qu'il n'était qu'une erreur, c'est toujours comme ça qu'il l'avait considéré. C'est sans doute pour ça qu'il l'avait traité comme ça, parce que Douglas n'était qu'une erreur de la nature. Un gamin qui n'aurait jamais dû voir le jour en somme. Alors qu'Aiden le considère comme une erreur lui faisait mal, mais c'est toujours ainsi qu'on avait vu le petit garçon faible et naïf, pourquoi ça changerait maintenant ?

Malgré ce qu'il avait subit durant son enfance, Douglas ne s'était pas vraiment endurci. Il avait grandi, il avait pris en maturité, mais il avait toujours tendance à voir le meilleur en chacun, même quand il n'y avait rien à voir. Il aurait pu devenir un jeune homme turbulent qui faisait payer ce que son père lui a fait à de parfaits inconnus, mais à quoi bon ? Ils n'y sont pour rien et ce n'est qu'à lui-même qu'il peut s'en prendre. Il n'a jamais réagit. Alors oui bien sûr qu'il a tenté de se défendre, de parer contre les coups de son géniteur, mais il n'était pas assez costaud pour l'empêcher de s'en prendre à lui de manière physique. Alors il avait abandonné et l'avait laissé faire sans broncher.

" - Je.. Je ne sais pas.. J'y ai longtemps songé, mais non, je ne pense pas pouvoir lui pardonner.."

Il s'était posé la question des dizaines et des dizaines de fois. Peut-être que son père avait changé. Peut-être que la prison l'avait changé et qu'il s'était remis en question sur ce qu'il avait fait. Cependant, il n'arrivait pas à s'imaginer lui pardonner, pas après le mal qui lui avait fait subir, et qui lui faisait encore subir maintenant même s'il n'en avait pas idée.

Douglas restait un peu sur les fesses en entendant les propos de son interlocuteur. Il était père et il avait eu une femme. Ça faisait beaucoup à encaisser d'un coup. Mais pourquoi cela dérangeait tant l'anglais ? Lui qui était encore si jeune, à l'approche de la trentaine certes, mais il avait pourtant l'impression de ne pas avoir vécu un quart de sa vie contrairement au pompier, et le réaliser à cet instant précis lui faisait quelque chose. Il ne saurait dire quoi exactement, mais ça lui faisait quelque chose. Pourtant Douglas ne put s'empêcher de sentir son coeur se serrer en apprenant que le fils du jeune homme refusait de le voir. Un divorce c'était toujours une période difficile, et ça n'épargnait malheureusement pas les enfants. Aiden semblait en avoir fait les frais.

Même si Aiden ne pouvait probablement pas véritablement s'en rendre compte, à ses propos, le jeune étudiant haussa les épaules. Il avait sans doute raison, les gens étaient égoïstes, et personne ne s'était réellement soucié de son bien-être, même après avoir vu un gamin avec des marques sur le corps. S'ils avaient fini par agir, c'est parce qu'il s'était livré et qu'il avait dénoncé son bourreau, sinon rien de tout cela n'aurait pu être mis en place.

Saisissant la carte que lui tendait Aiden, Douglas ne put s'empêcher d'être surpris par ce geste. Pourquoi faisait-il tout cela ? Pourquoi lui ? La seule façon de le savoir, c'était de lui poser directement la question.

" - Pourquoi tu fais tout ça pour moi ? Est-ce que je fais autant pitié que ça pour que tu te sentes obligé de t'occuper d'un cas perdu comme moi ?"

Rien ne l'y obligeait et il avait certainement mieux à faire que de se coltiner le boulet qu'il était. Alors que le sujet du baiser revient sur le tapis, le jeune homme ne put que se sentir encore plus mal à l'aise qu'il ne l'était déjà. Son camarade prenait ça par dessus la jambe, mais comme il l'avait si bien dit c'était une erreur. Une erreur que Douglas ne voyait pas du même oeil, mais à quoi bon le lui dire ? Hormis pour essuyer des moqueries très certainement. Soudain sur la défensive, Anderson se sentit piqué au vif, et l'attitude du pompier ne faisait rien pour le rendre plus serein.

" - Même si c'était le cas, ça ne changerait rien de toute façon."

Est-ce que s'il lui avouait la vérité ça changerait quelque chose ? Douglas en doutait fort, alors plutôt que de continuer à s'enfoncer, il préférait mentir, même si ça devait le blesser encore plus que ce baiser qui n'était autre qu'une "erreur".

Douglas s'était souvent posé la question. Pouvait-il pardonner à son père après lui avoir fait enduré un tel calvaire ? Il était tellement gentil que oui, il était capable de le faire, mais le ferait-il pour autant ? Il s'était déjà imaginé des dizaines de scénarios si son père revenait dans sa vie, le retrouvant même à l'autre bout de la planète. Mais, bizarrement, il se demandait s'il serait capable de les suivre lorsqu'il l'aura en face de lui. La vérité c'est qu'il espérait ne jamais avoir à en faire l'expérience. Il était déjà assez malmené comme ça par son passé qui était bien trop présent dans son quotidien, pour s'imaginer devoir faire face à une part de ce dernier qu'il préférait ne plus jamais avoir à affronter, mais Douglas savait que c'était impossible. Même s'il réussissait à tourner la page, cet événement l'avait marqué de manière indélébile.

Douglas avait toujours été un enfant calme, sans problème. Mais il manquait déjà cruellement de confiance en soi, même lorsqu'il n'était qu'un gamin. Les remarques de ses camarades de classe ainsi que celles de son père ne l'avait pas aidé à prendre confiance et à affronter les choses telles qu'elles étaient. Alors le jeune anglais avait pris la décision de fuir quand les choses devenaient trop compliquées. C'est aussi pour cette raison qu'il avait quitté l'Angleterre pour venir ici. Parce qu'il s'était dit que plus il serait loin de son père, plus il aurait de chance de recommencer tout à zéro, mais maintenant qu'il était sorti de prison, il savait son paternel prêt à tout pour retrouver sa trace, soit pour essayer de se faire pardonner soit pour lui faire payer son geste de l'avoir mis en prison, et c'est cette seconde option qui l'inquiétait réellement.

Le jeune étudiant sentit son coeur se serrer en entendant l'histoire du pompier. Son divorce était probablement un choix qu'il avait pris d'un commun accord avec sa femme, mais ce qui le peinait le plus c'était la réaction de son fils. Certes il en voulait à son père, c'était légitime, mais il devait aussi se mettre à sa place. Fallait-il faire semblant d'être heureux juste pour tenter de faire bonne figure aux yeux des autres ? Ou bien assumer pleinement le fait qu'on soit triste et de prendre les décisions pour remédier à tout cela. Il aimerait vraiment pouvoir faire quelque chose afin de permettre à Aiden de retrouver son fils, et à son fils de retrouver son père.

Aiden avait peut-être raison, à cause de son père, il n'avait même plus d'estime pour sa personne, et il se considérait comme un boulet pour toutes les personnes qui pouvaient l'entourer. Et si toutes les autres personnes ne l'avaient jamais rassuré à ce propos, le pompier le fit. Il lui assura qu'il ne le voyait pas de la même façon. Mais Douglas avait la sensation qu'il ne disait cela que pour lui faire plaisir, il n'était pas habitué à entendre ce type de parole.

" - Je ne sais pas quoi te dire si ce n'est que personne n'a jamais tenu ce genre de discours.."

Il se devait de lui avouer la vérité, pour qu'il comprenne un peu le personnage qu'il était au fond, même s'il semblait l'avoir bien mieux cerné que lui l'avait fait. C'était déstabilisant d'être mis à nu comme cela. Puis alors que le silence regagna la pièce, le jeune homme se rapprocha de lui, glissant sa main sur son visage avant même que Douglas n'est pu comprendre réellement ce qui se passait, il se retrouvait avec les lèvres de son interlocuteur posées sur les siennes. Et immédiatement, l'anglais se délectait de cette sensation. Il appréciait la sensation d'avoir cette chair contre la sienne, Doug ferma les yeux et se laissa porter par Aiden qui donnait une nuance un peu plus sauvage que la précédente, mais ça plaisait tout autant voire plus au jeune Anderson. Puis, rapidement - bien trop rapidement - le beau pompier rompit le baiser en ajoutant que ce baiser n'était pas une erreur.

" - Je.." fit-il en passant sa langue sur ses lèvres tout en rougissant comme jamais.

Douglas n'avait pas de mots pour décrire ce qui se passait en lui-même. Il y avait tellement de choses qu'il n'arrivait pas clairement à mettre de mots sur ce qu'il pouvait ressentir, mais s'il y a une chose dont il était certain, c'est qu'il voulait sentir à nouveau les lèvres de l'homme sur les siennes. Si Aiden disait cela, alors ça signifiait qu'il en avait aussi, ou alors il était vicieux au point de mettre les nerfs de l'anglais à vif et le faire souffrir encore un peu plus, mais l'étudiant avait compris que ce n'était pas sa personnalité. Il avait presque envie de lui demander de recommencer une troisième fois, mais il était bien trop timide pour prononcer ces mots, et puis, ils ne pouvaient pas oublier qu'ils étaient enfermés dans une pièce qui ressemblait à un placard, mais qui leur avait très certainement sauvé la vie si les hommes armés ne les découvraient pas avant de repartir. Depuis combien de temps était-il ici ? Il avait la sensation qu'il avait passé l'après-midi ici, et en même temps, qu'il s'était écoulé deux minutes depuis qu'Aiden l'avait enfermé dans cette pièce.