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 Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments

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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyVen 16 Nov 2018 - 11:24

C’était un face-à-face terrible, plein d’appréhension et de regards assassins, dans le silence pesant d’un appartement des quartiers hipsters. D’un côté, Adam Suski, traducteur le jour, espion la nuit, champion d’arts martiaux et amateur d’ornithologie. De l’autre, une carte de fidélité pour une chaîne de coffee shops assez populaire à Brisbane.La tension était palpable.

Adam était en plein dilemme moral.

Il avait trouvé la fameuse carte entre la plinthe du mur et un meuble, dans l’appartement de Koji, son petit ami. Elle avait dû tomber d’un portefeuille. Certainement pas celui de Koji, qui ne fréquentait pas les chaînes, parce qu’elles ne cadraient pas assez avec le genre cool et décalé qu’il souhaitait se donner. Elle appartenait à quelqu’un d’autre. Et s’il en jugeait par le nombre de préservatifs qui avait diminué dans la boite du chevet, à quelqu’un qui n’était pas venu pour prendre le café.

C’était la malédiction ignorait de ceux qui fréquentaient un agent des renseignements : rien ne leur échappait. D’ordinaire, Adam essayait de mettre son professionnalisme en veilleuse quand il passait la porte de chez Koji. De ne pas tout voir, de ne pas tout interpréter. La vie ne devait pas être une enquête permanente. Mais depuis quelques semaines, assailli de doute, il ne pouvait pas s’empêcher de fureter. Et maintenant, il avait la preuve, entre les préservatifs absents et la carte matérialisée, que ses craintes étaient fondées.

Il était…

… fâché ?
… résigné ?
… triste ?

Difficile à dire.


La vérité, au fond, c’était que, comme Koji probablement, il attendait avec une certaine impatience l’ultime dispute qui ferait enfin éclater leur couple malade, et les libérerait, l’un comme l’autre. Une dispute qu’aucun des deux n’avait manifestement le courage de provoquer.

Mais la carte l’intriguait.
Il voulait savoir qui Koji lui préférait.
Même s’il savait que ce n’était pas une préférence. Que les choses ne se raisonnaient pas en ces termes-là. Que la vie était plus compliquée que ça.

Sans doute, ce serait peu éthique d’utiliser les ressources qu’il avait à sa disposition pour enquêter. La vaste machine de surveille que constituaient les services secrets australiens n’avait pas pour vocation de l’aider à trancher ses problèmes de coeur. Evidemment.

— Allô ? Mandy ? Ouais, c’est moi. Y a moyen que tu me relèves deux trois empreintes sur un bout de carton, aujourd’hui ?

Evidemment.

*

Les passeports biométriques : une bénédiction pour les espions. Quelques attentats avaient suffi à convaincre tous les gouvernements censément démocratiques à construire des bases de données plus ou moins officielles. Les douanes des aéroports collectaient. Les consulats collectaient. Les préfectures, les cours de justice, les agents de police, les employeurs, les assurances de santé : les ordinateurs étaient pleins à craquer.

Alors, depuis plusieurs minutes, Adam observait la photo de Leonardo Grimes. L’amant de Koji n’était pas un terroriste international qui torturait des bébés animaux pour se détendre en regardant les Kardashians. Déception. Adam n’avait pas l’avantage de la supériorité morale facile. Est-ce que Leonardo était plus beau que lui ? Koji le complimentait toujours sur son physique — il ne le complimentait même que sur ça, mais, si ça se trouvait, il avait fini par se lasser quand même, pour quelqu’un de plus… de moins…

Ou alors il était plus sympathique ? Gentil ? Drôle ? Intéressant ?

Adam prit une profonde inspiration.
Il y avait bien un moyen de savoir.
Un moyen probablement tout à fait stupide.

*

— J’peux m’asseoir là… ?

D’un geste de la main qui ne tenait pas le gobelet de thé, Adam désigna le coffee shop bondé, le plus près du lieu de résidence déclaré de Leonardo, où il avait été raisonnablement sûr de le trouver.

— Y a plus beaucoup de places libres.

Sourire.
Adam avait des sourires pour toutes les circonstances.
Des calmes, des rassurants, des séducteurs, des touchants. On apprenait ça au moins autant qu’à tirer sur les gens, dans les services secrets.

Il s’assit en face de Leonardo.

— J’m’appelle Adam. Adam Suski.

Est-ce que ce nom éveillerait quelque chose chez Leonardo ? Est-ce qu’il savait qui était la victime de sa nuit avec Koji ?
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyVen 16 Nov 2018 - 17:44

Depuis son arrivée à Brisbane, Leonardo avait eu le temps d’explorer la ville en long, en large et à travers – de telle sorte qu’il en connaissait les moindres recoins, contrairement à New York où il se contentait du simple trajet de chez lui à son lycée. À chaque nouvelle découverte il était tombé un peu plus amoureux de sa ville d’adoption, le convainquant de rester jusqu’au jour où il avait décidé qu’il ne comptait pas quitter Brisbane de sitôt. Et s’il avait un faible pour les plages qui donnaient sur le Pacifique – encore plus quand il y avait moins de monde et qu’il avait l’impression d’avoir la côté entière pour lui – il se tournait bien souvent vers les cafés de la ville. C’était ce qui s’était passé ce jour-là : il avait pris son ordinateur et son chargeur avant de partir en direction d’un café qui ne se trouvait qu’à quelques minutes de chez lui. Il n’y avait rien de bien spécial, et c’était un coffee shop comme tant d’autres de la même enseigne, mais ils faisaient du bon thé, des bonnes pâtisseries, et ils proposaient du wifi gratuit. Qu’est-ce que le Britannique pouvait bien demander de plus ? Arrivé sur place il s’était rendu compte avoir oublié sa carte de fidélité, mais ça ne le fit pas titiller tant que ça – il avait l’habitude de poser ses affaires un peu partout et ensuite les oublier, et elle devait être sur une étagère de son studio, comme toujours. Une fois sa commande récupérée, donc, il s’installa sur l’une des tables encore vides, profitant de la place pour s’étaler un peu tant qu’il le pouvait. Et une fois son ordi allumé, il plongea dedans : il se mit à bosser des exercices pour ses patients, il passait de recherche en recherche, commandait des nouveaux livres pour sa bibliothèque… Hormis ses quelques gorgées sporadiques, on aurait aisément pensé qu’il avait été avalé par son écran, ce qui n’aurait pas été très loin du compte, s’il devait être honnête.

Et puis, une voix inconnue vint l’interrompre de bout en blanc. Bien évidemment, il ne pouvait pas vraiment envoyer le monsieur chier – non pas qu’il en ait eu envie de toute façon, ce n’était pas vraiment de sa faute s’il n’y avait plus que quelques places éparpillées dans le café bondé. « Bien sûr, y’a pas de soucis. » Il rapprocha un petit peu ses affaires, lui faisant donc suffisamment de place pour s’installer confortablement. Le sourire du joli brun était certes charmant, mais il espérait tout de même qu’il n’ait pas eu pour projet d’interrompre sa séance d’ordinateur. Le fait qu’il se soit présenté lui avait semblé étrange – à quel moment on donnait son noms à des parfaits inconnus ? Personne ne se présentait en s’asseyant à côté de lui dans le bus, et ça lui allait très bien comme ça. « Moi c’est Leonardo. Mais Leo, ça suffit largement. » Les conditions d’une telle rencontre lui semblaient bien étranges, et même s’il n’avait pas envie de se ridiculiser il devait avouer que la tête du brun ne lui disait absolument rien, même pas de très, très loin. Il n’y avait donc rien qui pouvait expliquer qu’il se soit installé à sa table pour lui taper la discute. Du moins, pas à sa connaissance. « J’espère ne pas paraître malpoli, mais… » Il s’arrêta un instant, essayant de trouver la meilleure façon de tourner la chose. Il n’y avait pas tellement de manières de poser cette question, à vrai dire. « Est-ce qu’on est censés se connaître… ? » Leonardo espérait que la réponse soit négative. Il resterait avec un inconnu un peu trop cordial, mais au moins il aurait évité de vexer un très vieil ami, un ex coup d’un soir… dans tous les cas, ça ne pouvait pas être pire que ça. Si ?
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyVen 16 Nov 2018 - 19:11

Quatorze femmes, douze hommes. Quatre fenêtres, deux caméras de sécurité. Adam comptait, jaugeait, soupesait, dans un coin de sa tête, tous les détails du café. C’était sa manière à lui de se calmer. De maîtriser la situation. La plupart du temps, l’agent aurait pu passer pour un roc. Même quand on lui tirait dessus, il ne cillait pas. Après tout, ne lui avait-on pas appris à déjouer les détecteurs de mensonge ? À dominer son rythme cardiaque ? Mais tout ça, c’était des techniques. Des techniques pour se calmer.

Garder le contrôle.

Ne pas fondre en larmes devant Leonardo, ou l’accuser de lui avoir volé son homme, ou le remercier de l’avoir débarrassé de son homme, ou… Qu’est-ce qu’il avait cru, d’ailleurs, qu’il se passerait ? Assis devant l’orthophoniste, avec son ordinateur, son café, sa tête d’innocent, Adam se sentait soudain très bête. Il n’avait pas réfléchi jusque là. Il s’était fait des idées de scénario, la grande confrontation, l’heure de vérité, mais au pied du mur, il se rendait compte désormais que ça n’avait pas beaucoup de sens.

— Oui. Non. Enfin… Je vais y aller. C’était une mauvaise idée.

Cela dit, il ne bougea pas.

Un regard adressé à son thé, comme si ça pouvait lui apporter la révélation sentimentalo-éthique qu’il attendait. Sans succès. Adam prit une profonde inspiration. Leonardo était moins effrayant qu’un général de Mongolie qui projetait de détourner des ogives nucléaires d’un ancien site soviétique, pas vrai ? L’Australien releva les yeux et déclara, d’un ton aussi détaché que possible :

— On a une connaissance commune. Koji. Koji Watanabe.

Mais Koji utilisait-il seulement son vrai nom quand il draguait de jolis — très jolis, souffla une voix au fond de la conscience d’Adam, alors qu’il essayait pourtant de ne pas se comparer à Leonardo, bien conscient que ça ne mènerait à rien de bon — garçons sur Grindr ou dans les bars ?

— Un musicien, japonais, pas très grand, plutôt très mignon, avec un tatouage à l’intérieur du poignet. Plutôt beau parleur.

Ce qui l’avait séduit, lui, quelques mois plus tôt, c’était le côté animal en détresse de Koji, ses yeux de Bambi effarouché. Il s’était rendu compte bien plus tard que ce n’était qu’un rôle de composition mais, à l’époque, la manière dont le Japonais se réfugiait dans ses bras musclés comme dans un havre de paix avait flatté son ego masculin et son sentiment de virilité. Et puis Koji était cultivé, et intelligent, et…

— D’ailleurs, j’ai retrouvé ça, c’est à toi. Je crois.

Adam sortit la fameuse carte de fidélité de sa poche pour la glisser sur la table en direction de Leonardo. Si son interlocuteur ignorait tout de la situation de Koji, alors, certainement, il n’était pas coupable. Mais fallait-il pour autant partir sans rien révéler ? Et si Koji s’amusait à le revoir ? Entretenir les espoirs de Leonardo ? Les tromper tous les deux en même temps ? Adam n’avait-il pas un devoir de vérité ?

— C’est, hm… Délicat.

Et en fils de diplomate, la délicatesse, il aurait dû maîtriser sur le bout des doigts, n’est-ce pas ? À voix basse, Adam expliqua :

— Cette semaine, je suppose que tu as passé la nuit avec Koji, dans son appartement, près du théâtre, là. C’est là que j’ai retrouvé la carte de fidélité. Et Koji, il se trouve que c’est mon…

Mec ? Petit ami ? Partenaire ? Homme ?

— … compagnon… Depuis un moment. Enfin non, quelques mois, mais pour moi, c’est déjà beaucoup et…

Ne raconte pas ta vie, Adam.

Il jouait nerveusement avec la ficelle de sachet de thé, finalement incapable de croiser le regard de Leonardo. Ah, il n’en menait pas large, le James Bond des koalas !

— Et c’est pas… On n’est pas dans une relation ouverte, enfin je crois pas, je sais que ça se pratique beaucoup, maintenant, et tout ça, mais c’était pas vraiment le principe…

Lui qui s’était fait des films où, dignement, comme un héros de cinéma, il aurait jeté sa carte de fidélité à Leonardo avant de s’en aller comme un prince était en train de se perdre dans un discours confus.

— J’suis désolé, finit-il par conclure, j’étais venu pour te reprocher des trucs, mais là, je me sens juste un peu con.
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyVen 16 Nov 2018 - 23:08

La situation laissait Leonardo quelque peu perplexe. Rien de tout cela ne semblait avoir du sens, et il se demandait quelles circonstances avaient amené le brun inconnu à s’asseoir en face de lui, comme s’il s’attendait à ce qu’il engage une conversation. Qu’est-ce qu’il pouvait bien attendre du Grimes? C’est pas comme si Leonardo avait été une célébrité, ou s’il avait été à New York, où le réseau de connaissances de son cher géniteur s’étendait étonnamment loin dans certains milieux. Tout ça pour dire : il ne comprenait pas grand-chose, et le fait qu’il annonce qu’il s’apprêtait à partir pour au final ne rien faire n’arrangeait en rien la situation. Ce que l’attitude du Suski ne semblait pas tellement en logique avec la situation, passant des sourires charmeurs aux grandes inspirations tendues. Ses mains étaient toujours prêtes à reprendre leur activité sur son joli petit clavier, tout simplement parce qu’il avait été pris de court et qu’il n’avait pas eu le temps de faire quoi que ce soit d’autre dans les brefs instants écoulés entre-temps. Quand il mentionna le nom de Koji, le Britannique n’eut pas de mal à remettre un visage par-dessus : il l’avait effectivement rencontré quelques jours plus tôt, finissant la soirée chez lui avant de repartir le lendemain. La description collait aussi, au passage, donc il ne devait pas vraiment se tromper de personne. Mais un tel questionnement était encore plus inquiétant : à quel moment un parfait inconnu venait vous parler dans des détails aussi précis de votre dernier plan cul ? Absolument aucun. Et il aurait hésité à prendre ses affaires et partir en vitesse, jusqu’au moment où Adam lui tendit sa carte de fidelité. Effectivement elle était bien à lui, il ne pouvait pas tellement le nier. Mais rien de tout cela ne semblait avoir de sens à ses yeux. « Je… je comprends pas trop. » Le fait que le Suski baisse la voix ne le rassurait pas tellement, mais ce qu’il dit juste après lui fit perdre toutes ses couleurs – avant de le faire violemment rougir d’embarras, à tel point qu’il sentait son visage brûler. « Oh. » Ayant été dans une place similaire, il ne pouvait s’empêcher de ressentir de la peine pour l’Adam – même si, inconsciemment, c’était bien lui qui l’avait causée. Il ferma doucement son ordi, jugeant que son Spotify et ses quinze onglets d’ouverts n’importaient plus autant qu’auparavant. Pendant ce temps-là, il finissait de raconter son histoire d’un air abattu, fixant son thé pendant que le Grimes avait son regard scotché sur lui. Il ne pouvait pas tellement essayer de se dérober à tout cela, de toute façon. Un petit blanc s’écoula, avant que Leonardo ne se dépêche de reprendre rapidement la parole, essayant de se secouer un petit peu en même temps. « T’as pas à t’excuser ou te sentir con, t’inquiète pas. C’pas comme si tétais venu me cracher à la gueule, tu vois. » Avec un maigre sourire sur son visage, il essayait de lui remonter doucement le moral, mais il reprit à nouveau la parole assez vite, jugeant que ce n’était peut-être pas le moment. À son tour, il se mit à jouer avec la ficelle de son thé, histoire d’occuper ses mains comme il le pouvait, sa carte de fidélité - ironique, n'est-ce pas? - toujours posée devant lui. « J’aimerais bien pouvoir en dire autrement, mais… effectivement, je crois que ton Koji est bien le même avec qui j’ai… t’sais. » Ses joues encore rougies, il se sentait quelque peu gêné de rentrer dans les détails. De un, parce qu’ils étaient en public. De deux, parce que c’était quand-même le copain de celui avec qui il avait couché quelques jours auparavant. Il n’allait tout de même pas enfoncer le couteau dans la plaie encore fraîche, n’est-ce pas ? « Je suis vraiment désolé que t’aies eu à l’apprendre comme ça, et pour ce que ça fait… je ne savais rien de tout ça. Ça ne se serait pas passé, sinon. » Ça n’aurait sûrement pas sauvé leur couple, mais au moins il n’aurait pas eu à remonter jusqu’à Leonardo pour venir lui en parler. Le fait qu’il l’ait retrouvé à partir d’un pauvre bout en papier anonyme était quelque peu étrange, mais il ne revint pas dessus à ce moment-là. « Je… je ne sais vraiment pas quoi dire, à part que je suis désolé. » Ce n’était peut-être pas la personne la mieux placée pour lui apporter son soutien – après tout, qui s’était incrusté dans ses draps pendant son absence ? Voilà. Mais malgré ce léger détail, Leonardo ne pouvait s’empêcher de comprendre la peine de l’Adam, et regretter qu’il se trouve dans une telle situation – ne serait-ce que parce que personne n’aurait trouvé cela agréable. « Tout ça pour dire… je peux faire quelque chose pour aider ? » S’il n’était pas le meilleur quand il s’agissait de parler et rassurer les gens, il écoutait étonnamment bien – et il fallait avouer qu’une partie des sentiments d’Adam se lisait assez facilement, faisant sentir Leonardo encore plus coupable.
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptySam 17 Nov 2018 - 7:39

Désolé. Il était désolé. Et c’était… ?

Un peu frustrant, peut-être.

Quelque part, Adam aurait aimé que Leonardo soit un parfait salaud, un briseur de couples invétéré, sans conscience et scrupule, à qui il aurait pu en vouloir en toute liberté, et avec lequel, même, peut-être, il aurait pu se battre. L’espion se rendait petit à petit compte que la première étape de tout son petit processus n’aurait peut-être pas dû être de confronter l’amant de son compagnon, mais plutôt de se retrouver en tête-à-tête avec un saxe de frappe dans la salle d’entraînement de son unité.

Mais un Leonardo, ça ne se frappait pas.
Leonardo était beau.
Il était gentil, apparemment.
Plein de vertu morale.

Sans doute plus vertueux que lui-même.
Ou plus gentil.
Il avait l’air plus fragile, aussi.
Est-ce que c’était ça que cherchait Koji ? La fragilité ? Ou la gentillesse. Ou…

Adam but une gorgée de thé encore brûlant.
Pas une riche idée.
Il réprima une quinte de toux.

— M’aider… Je ne sais pas…

Qu’est-ce qu’il allait faire, maintenant ? Se servir du type avec qui on le trompait comme d’un psychanalyste ?

— J’ai des tas de questions clichées, je me sens un peu comme si j’étais un personnage de série télévisée, tu vois ? D’une sit-com pour ado. Il y a quelque chose d’humiliant, d’encore plus humiliant, je veux dire, à vivre une situation aussi tristement banale. Si ça fait sens.

La blessure à l’orgueil, c’était à la fois d’être trompé et d’y accorder autant d’importance. Adam avait une vie exceptionnelle et il en avait bien conscience, mais il se retrouvait dans ce cas précis brusquement ravalé au commun des mortels, sa petite enquête pleine de jalousie mise à part.

— Je me demande combien il y en a eu à part toi. Peut-être des dizaines.

Pour la première fois, il osa vraiment relever les yeux vers Leonardo et, avec toute la politesse que son milieu social avait gravé en lui et que des années dans les services secrets n’avaient pas suffi à éradiquer entièrement, il s’empressa de préciser :

— Non que je ne croie pas que tu sois exceptionnel. Tu es clairement… Très séduisant, et très aimable, et Koji avait d’excellentes raisons de te choisir toi en particulier.

Rassurer l’amant de son petit ami sur son caractère exceptionnel, c’était quelque chose qu’il n’aurait pas cru faire dans sa vie.

— … et du coup, évidemment, je me demande en quoi tu es mieux que moi. Plus sympathique, déjà, c’est sûr, mais tu sais ? En quoi j’étais pas suffisant. Enfin je sais en quoi. Mais…

Soupir.
Il s’emmêlait à nouveau les pinceaux.
Deuxième gorgée de thé, pour pouvoir reprendre d’un ton un peu plus calme.

— Koji et moi, ça ne marche pas très bien, pour être honnête. Le premier mois, c’était parfait, et tout le reste, c’est compliqué. On n’a pas les mêmes habitudes, pas les mêmes passions, nos tempéraments ne se complètent pas très bien et ainsi de suite. Je crois que ça fait quelques semaines qu’on se dit tous les deux que ce n’est qu’une question de temps. La seule chose qui avait l’air de vraiment le satisfaire chez moi, c’était, hm…

Les joues d’Adam rosissent.

— … dans, euh… La chambre, quoi…

Et la cuisine.
Et la salle de bain.
Et le hall d’entrée.
Et…

— Et là maintenant, je me dis que même ça, ce n’était pas suffisant. Alors je me sens tout à fait incompétent, sur tous les plans. Je lui en veux, et en même temps je me sens coupable, je me dis qu’il faut changer, sinon je vais rester tout seul toute ma vie, mais je ne sais pas trop si je peux changer.

C’était la première fois qu’il articulait clairement une angoisse qui dépassait de loin le cas Koji, le Japonais n’ayant fait que cristallier les inquiétudes qui avaient assailli Adam le jour de ses trente ans. L’Australien eut un sourire un peu amer.

— Désolé, d’habitude, je suis plutôt du style brun ténébreux et laconique, pas drama queen logorrhéique.

Et, c’était bien connu, tous les bruns ténébreux et laconiques utilisaient couramment des mots comme « logorrhéique ».
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptySam 17 Nov 2018 - 11:19

La situation était quelque peu gênante, mais on ne pouvait pas vraiment en vouloir à Adam d’être parti à la recherche de réponses. Après tout, tout le monde en avait besoin à un moment ou un autre, peu importe ce qu’on pouvait dire ou penser. Sirotant doucement son thé maintenant tiédi, il écoutait doucement les mots de l’Australien, qui semblait s’être ouvert comme une vanne déversant toute son eau sur lui. Il ne revint pas sur les compliments dissimulés, n’y répondant que d’un haussement des épaules : ça n’allait les mener nulle part de se disputer sur ses prétendues qualités, et se disputer avec le copain du garçon qui l’avait trompé avec lui-même à ce sujet n’aurait fait que renforcer la gêne d’une rencontre qui n’avait déjà rien de bien agréable en termes de sujet. L’écoutant parler tout en buvant son thé qu’il gardait de ses deux mains, Leonardo ne pouvait s’empêcher de ressentir de la peine pour Adam, qui ne faisait que s’intensifier au fur et à mesure qu’il continuait dans son récit. Incapable de trop souvent se jeter des fleurs, le Grimes reconnaissait tout de même aisément qu’il arrivait à écouter assez bien les autres si besoin était, en grande partie parce que son empathie lui empêchait de passer à côté des moindres ressentis qu’on pouvait transmettre. Et dans le cas d’Adam, il avait plus ou moins été dans ses chaussures à plusieurs reprises. Peut-être pas forcément les mêmes ; avant que John et lui ne se séparent il y a beaucoup trop d’années, il avait connu cette même période de remise en question, où rien ne semblait suffire à panser une relation qui saignait peu à peu. Et les mois suivant leur rupture, il avait été coupable de regarder attentivement le moindre garçon avec qui il semblait l’avoir remplacer, essayant de comprendre ce qui avait signé leur arrêt de mort – sans aller à leur rencontre, il s’était contenté de plonger dans les tréfonds des réseaux sociaux, jusqu’à s’endormir devant son écran. D’une certaine manière, c’était précisément ce qu’Adam était venu faire : comprendre ce qui avait poussé Koji vers Leonardo, pour comprendre ce qu’il avait à faire pour arranger une telle situation. Mais au vu de comment il en parlait, il était déjà au courant du fait que leur relation ne marchait plus des masses, et qu’il s’agissait plus d’une question de quand que de si. Son visage était resté impassable – même à la mention du sexe, qui l’aurait habituellement gêné en sachant qu’il venait à peine de rencontrer l’Adam en question – pour que l’Australien puisse parler sans trop sentir de jugement ou de retenue venant du Grimes. Si c’était pas à son habitude d’aller consoler des inconnus au sujet de leurs relations ratées , il se voyait mal le fixer d’un air globuleux en lui conseillant de partir – encore plus après son histoire ; il n’aurait rien expliqué s’il n’avait pas eu besoin d’en parler. Sa dernière phrase le fit doucement pousser de rire : dans un autre contexte, peut-être qu’il se serait retrouvé à sa place. « En règle générale c’est plutôt moi la drama queen, donc je peux pas vraiment t’en vouloir. » Il prit une énième gorgée de son thé, dont il ne restait plus grand-chose à son goût. Il prit une inspiration, essyant de trouver la meilleure façon de conseiller le Suski. « Plus sérieusement… je pense que tu te focalises sur le mauvais point. » Il reprit assez rapidement la parole, n’ayant pas envie qu’il ait l’impression de recevoir un sermon – même si techniquement parlant, ç’en était pas bien loin. « Je dis pas ça comme un reproche, moi aussi j’ai stalké les nouveaux copains de mes exs pour comprendre ce que moi j’avais en moins. Mais… » Il tournoyait sa tasse dans ses mains, ne sachant pas tellement quoi faire de ses mains pendant qu’il prenait la parole. « Y’a des fois où ça marche juste pas entre deux personnes. Avec Koji, j’ai l’impression qu’il n’y a pas grand-chose qui te pousse à rester, comme ça. » Du moins, c’est ce qu’il avait tiré de son récit. Il voyait deux personnes ensemble, peut-être plus par default que par véritable envie. Ça aussi, il l’avait connu : le moment où tout semble figé, et qu’un choix cornélien se profile devant soi. La plupart du temps, il avait choisi de rester pour ne pas être seul, mais ça n’avait jamais sauvé ses relations, très loin de là. « Et en fin des comptes… t’es pas censé changer qui tu es pour être avec quelqu’un. Ça sonne vraiment cliché, je sais, mais s’il ne veut pas de toi comme ça, ça ne sert à rien de se forcer pour rester avec. Vous finirez par vous en vouloir l’un l’autre, et au final t’auras fait tout ça pour absolument… rien du tout. » Et ça aussi, il l’avait très bien connu. Il ponctua sa phrase d’un haussement d’épaules, censé montrer que parfois on ne pouvait pas trop changer les choses. « Désolé d’être aussi négatif. J’aimerais bien que les choses soient bien plus faciles pour tout le monde, mais je crains que ce ne soit impossible. » Il prit une petite pause, avant de reprendre la parole après une brève hésitation, espérant ne pas froisser Adam. « Et si ça peut te "rassurer"… je n’ai pas l’impression que Koji ait eu besoin de moi. Ni de quelqu’un de particulièrement beau, riche ou charmant. Je pense qu’il avait juste besoin de sortir du couple, ce qui fait sens si ça ne marche plus entre vous. » Il ne pouvait le blâmer d’essayer de pas en arriver à la rupture : il semblait avoir plus ou moins son âgé à lui, et Leonardo savait à quel point ça pouvait être stressant d’être seul et célibataire alors que presque tous ses amis de la fac étaient fiancés ou parents. « Tout ça pour dire… le problème ne vient pas de toi, mais plutôt de vous. » Ce n’était peut-être pas le meilleurs de constants, et il en était bien conscient. Mais se voiler la face faisait rarement du bien.
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptySam 17 Nov 2018 - 15:38

Le café était bondé, les conversations bouillonnaient tout autour d’eux, on entendait les bips réguliers de la machine de paiement et, pourtant, Adam avait l’impression qu’une sorte de silence s’était installé tout autour d’eux. Ce que lui racontait Leonardo, il ne le savait que trop bien, mais c’était une chose de se le dire à soi-même, c’en était une autre d’entendre quelqu’un analyser posément la situation.

Koji et lui.
C’était fini.

Pendant un moment, il ne dit rien, les yeux perdus dans le vide, et puis il finit par reconnaître :

— C’est sûr.

Voilà.
La décision était prise.

Il essayait de ne pas anticiper tous les scénarios possibles. Quand il allait revoir Koji, et lui dire qu’entre eux, la relation n’était plus possible, qu’il avait appris son, peut-être ses escapades, et qu’il méritait mieux. Ou même qu’ils méritaient mieux, l’un comme l’autre.

— Je crois qu’au fond, je suis…

Il haussa les épaules.

— … soulagé. Si ça fait sens.

Quelqu’un élevait la voix au comptoir, un client mécontent, et Adam jeta machinalement un coup d’oeil dans le miroir qui occupait le mur derrière Leonardo, pour observer les gestes de l’homme, à qui on n’avait pas servi le bon café. Déformation professionnelle. La moindre once de danger réveillait en lui le besoin d’analyser la situation. Mais l’homme repartit finalement, après avoir sermonné la serveuse.

Abruti.

Le regard d’Adam revint sur Leonardo.

— Je veux dire, tu sais, la menace de la catastrophe, pendant longtemps, c’est au bout du compte plus éprouvant que la catastrophe elle-même. Et t’as totalement raison, évidemment, une relation qui se traîne, c’est mauvais pour tout le monde.

C’était une sagesse d’une profonde banalité, bien entendu, mais Adam n’avait pas la prétention d’être quelqu’un de particulièrement complexe, son travail mis à part, et il était tout à fait prêt à croire que les généralités psychologiques puissent s’appliquer à son cas.

— Mais, hm…

Son thé était presque vide. Où allait-il trouver du courage, désormais ?

— Au risque de paraître un peu pitoyable, à trente ans, je me dis que ça risque de devenir compliqué de trouver quelqu’un qui reste. Surtout un mec. Les mentalités ont changé et tout, mais c’est quand même pas comme si on pouvait faire comme les hétéros et juste espérer rencontrer quelqu’un au boulot, par les amis d’un ami ou je ne sais pas. Et vu mon côté pingouin maladroit quand je sors, c’est pas en boîte de nuit ou un club que je vais emballer.

Vu son physique, cela dit, il était peu probable qu’Adam ait sitôt du mal à trouver un partenaire pour la nuit s’il allait dans un club gay, aussi maladroit qu’il prétende être. Et il était aussi peu probable que qui que ce fût trouve le grand amour entre une chanson de Lady Gaga et une partie de jambes en l’air dans les toilettes.

— J’vais te dire, poursuivit-il en forçant un sourire, tout ça, c’est la faute de ma sœur, j’crois qu’elle va bientôt se fiancer, à ce qu’elle m’a laissé entendre, et ça me complexe à mort depuis. Déjà que quand j’ai fait mon coming out, mes parents me voyaient à mener une vie de prostitué drag queen avant de mourir du SIDA à 24 ans, le célibat perpétuel, ça va pas arranger ma réputation familiale.

Il eut un rire bref et un peu amer, mais c’était sans doute mieux que rien. Petit à petit, la réalité de ce qui s’était passé entre Leonardo et lui, et de la décision inévitable qui était le fruit de cette conversation, s’installait dans son coeur, et s’il ne s’en sentait ni plus joyeux, ni plus léger, du moins il commençait à y trouver une forme de sérénité. Après tout, si les services secrets l’avaient recruté, c’était aussi pour sa capacité à encaisser ce que la vie pouvait avoir de plus horrible.

— Mais je suis désolé… Je m’apitoie sur mon sort et c’est vachement égoïste. Peut-être que toi, tu… Je sais pas, tu pensais qu’il y avait moyen de quelque chose, avec Koji ? C’était juste comme ça ou tu avais prévu de le revoir, peut-être d’aller plus loin ? T’es pas obligé de répondre, bien sûr, mais c’est peut-être aussi difficile pour toi, je me rends compte…
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyDim 18 Nov 2018 - 9:14

Dans la plupart de ses relations, Leonardo avait toujours vécu le moment, celui où il se rendait enfin compte que ça ne servait plus à rien de se battre pour quelque chose qui ne leur faisait que du mal. En règle générale, ça n’arrivait jamais au début des soucis, mais à la fin d’un long périple pendant lequel ils s’entre-épuisaient, sans vraiment réussir à en parler la main sur le cœur. Souvent, ce n’était la faute à personne mais aussi la faute à tout le monde en même temps, et ce fardeau était bien trop lourd à porter par le suite, de telle sorte qu’il restait rarement en contact avec ces exs. D’une certaine manière, Adam se trouvait dans la même situation – et Leonardo ne pouvait s’empêcher d’être désolé pour le pauvre Suski, et pour les conditions dans lesquelles ils devaient avoir cette conversation. Il se contenta de hocher la tête pendant qu’il expliquait ce que la fin de leur relation lui faisait ressentir. Et si Leonardo avait posé des mots dessus, il n’avait rien eu à faire en fin des comptes ; en venant lui parler, Adam savait déjà que Koji et lui n’étaient pas bien destinés à faire long feu. Du moins, c’était l’impression que le Grimes avait eu. Peut-être que s’il n’avait jamais couché avec le musicien, rien de tout cela ne se serait passé – mais leur relation aurait tout de même très difficilement survécu. Malgré la gravité de la chose, il ne put s’empêcher de sourire doucement quand il évoqua la peur de finir seul ; étant lui aussi gay, (presque) trentenaire et célibataire, c’était évidemment des questions qu’il s’était lui aussi posé, à la différence près que ses parents n’avaient pas joué de tous les clichés possibles à son coming out – tout simplement parce qu’il ne leur en avait jamais parlé, choix qu’il n’avait pas regretté. Mais quand Adam commença à suggérer qu’il devait souffrir lui aussi de cet étrange triangle dont Koji était le centre, le Grimes s’empressa de prendre parole pour qu’il arrête de telles absurdités. « Oh non non non. Clairement, c’est pas pour Koji que j’ai de la peine, ou pour le brillant futur qui se profilait pour nous deux. » Il haussa doucement les épaules, montrant que le Japonais n’était pas en haut de sa liste de priorités du moment, très loin de là. « Je pense pas qu’il ait cherché autre chose que du sexe avec moi, mais j’ai pas ressenti le besoin ou l’envie d’aller plus loin avec lui. » Et au vu de sa relation avec Adam, ça n’aurait rien donné de bien génial. « Et t'as le droit de "t'apitoyer" sur ton sort. On a tous besoin de faire notre deuil à la fin d'un couple, et c'est impossible d'avancer sans être passé par là. » Ça aussi, il ne connaissait que trop bien. Et en fin des comptes ils semblaient avoir un peu trop de points en commun en matière de relations, à tel point que Leonardo avait l’impression de parler à un soi-même qui sortait d’une relation. « Pour ce que ça vaut, je comprends très bien la peur de finir seul. J’ai plus ou moins le même âge, pas de copain… » Il sourit doucement, se rappelant que les Grimes n’étaient pas les meilleurs quand on parlait famille, peu importante sur quel point. « Sauf que dans ma fratrie y’en a pas un pour rattraper l’autre, donc on est tous dans le même bateau t’sais. » Ce n’était peut-être pas un constat positif pour eux, mais ça réduisait pas mal la pression autour de la question du célibat – et il savait qu’il pouvait leur en parlait si besoin était sans devoir supporter des remarques malvenues. « Et pour le coup, j’essaye encore de m’y faire moi aussi, donc je peux pas donner tellement de conseils. Mais c’est des choses qui viennent avec le temps, et… » Il haussa comme à son habitude ses épaules, cette fois-ci en essayant d’être aussi nonchalant que ses propos le faisaient sembler. « J’sais pas. J’me dis que si on partait du présupposé que ça va sûrement jamais arriver, ça va absolument rien aider. Donc… il faut donner du temps au temps, aussi con ça puisse paraître. » Se rendant compte qu’il tripotait toujours sa pauvre tasse vide, il la reposa à côté de lui, sur son plateau. « M’enfin. Faut faire ce que je dis, et pas ce que je fais. » Il sourit doucement en disant cela, tout simplement parce qu’il n’avait pas tellement de leçons à donner sur ça, malgré la grande sagesse qu’il voulait inspirer. Du moins, pas encore.
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyDim 18 Nov 2018 - 10:06

Faire le deuil d’une relation. L’expérience du deuil, chez Adam, c’était de regarder des camarades mourir au combat, quelque part dans un pays où ils n’auraient jamais dû se trouver, pour remplir une mission qui n’existait pas vraiment, et de s’arranger pour faire disparaître les cadavres, quand c’était possible, en sachant que leur famille, s’ils en avaient encore une, recevraient une lettre laconique, sur une mort mystérieuse. C’était de rentrer au pays et de reprendre le travail aussitôt, parce que le sacrifice était la première chose qu’on exigeait d’eux, au moment de s’engager.

On enterrait ça, on tournait la page, on passait à autre chose. Ce serait peut-être pareil pour Koji. Il irait chez lui, récupérerait ses affaires, parlerait au Japonais, et ce serait fini. Le lendemain, il passerait à autre chose. Professionnellement. C’était peut-être ça le problème. À force de mentir à Koji, sur sa vie, sur son identité, sur ses voyages, Koji était devenu une part de sa vie professionnelle, une variable à gérer dans le monde compliqué de ses faux-semblants.

Adam se contenta de hocher la tête. Une serveuse vint récupérer sa tasse vide et il la remercia d’un sourire poli, avant qu’elle ne disparaisse pour débarrasser d’autres tables.

— C’est pas con, finit-il par dire, quand Leonardo prodigua ses bons conseils. C’est pas parce que c’est relativement, euh… évident… que c’est con. Les gens ont toujours l’impression que leur cas est exceptionnel et exige des solutions inédites, mais en vrai, moi, j’suis tout à fait partant pour croire que je rentre dans la généralité.

Quelque part, c’était même paradoxalement réconfortant. Il y avait tant d’aspects de vie qui sortaient du commun et qu’il devait gérer sans pouvoir se reposer sur aucun exemple ni aucun conseil que la perspective de se retrouver dans une situation certes douloureuse mais finalement assez commune avait quelque chose de rassurant. Il était déprimé, un peu, c’était certain, mais il savait aussi que le monde était plein de personnes, de livres et de sites internet qui pouvaient lui apprendre comment construire des relations un peu plus solides.

— Après, t’sais ce que c’est. On fait des études, et après les études, on doit s’investir dans son boulot, parce qu’on commence et qu’on veut faire ça bien, et on arrive à trente ans sans vraiment avoir appris comment nouer des relations ou vivre sereinement avec un mec, parce qu’on a simplement pas eu le temps d’avoir de l’expérience. C’est spécial, parce qu’on se sent à la fois déjà un peu vieux mais aussi super inexpérimenté.

Sur le terrain, Adam était un agent talentueux, très talentueux même, et formidablement bien entraîné, qui savait ce qu’il faisait et maîtrisait les situations, mais dans sa vie personnelle, il se sentait encore souvent comme un adolescent qui composait avec des réalités fuyantes.

— Note que c’est paradoxal, parce que Koji a vingt-quatre ans, et j’me suis souvent dit que notre différence d’âge était un grand facteur de malentendus.

Avec son côté cow boy protecteur, Adam attirait souvent les garçons plus jeunes que lui. C’était un peu cliché, sans doute, et il s’en rendait bien compte. Le viril taciturne et l’exubérant un peu efféminé. Le top et le bottom. Incarner un stéréotype n’avait rien de bien valorisant. Peut-être qu’il devrait essayer autre chose ? Chercher un quadragénaire barbu qui le traiterait en sugar daddy ? Rien que l’idée lui donnait des sueurs froides.

Silence.

— J’t’offre une pâtisserie pour me faire pardonner d’avoir débarqué avec mes drames et ma crise existentielle pendant que tu faisais semblant de travailler en surfant sur Facebook.

L’humour, et singulièrement l’autodérision, était un instrument qu’Adam avait toujours trouvé précieux. Dédramatiser la vie, ça la rendait un peu plus facile à gérer. Il pivota sur sa chaise pour jeter un œil à la vitrine des desserts.

— Ouais, tout ça, s’tu veux mon avis, ça manque de makowiec et de mazurek.

A vos souhaits.

Il se releva un instant pour passer commande, avant de revenir déposer une assiette en face de Leonardo. Désormais que le tumulte de ses sentiments était retombé, il se sentait coupable d’avoir imposé à quelqu’un qui, finalement, n’avait rien fait de mal, l’embarras d’être confronté à une conversation des plus délicates. Le gâteau, c’était le moins qu’il pût faire.

— J’vis pas très loin, au 46, plus haut, vers la grande épicerie, tu sais, mais j’étais jamais venu ici.

Pas assez branché pour Koji et beaucoup trop fréquenté pour lui.

— Tu fais quoi comme travail, du coup ? Vu ta patience angélique avec moi, j’imagine un truc genre prof ? Ou dresseur de fauves. C’est plus ou moins la même chose.
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyDim 18 Nov 2018 - 16:13

En fin des comptes, on ne pouvait pas vraiment dire qu’Adam avait mal encaissé la nouvelle. Il aurait pu réagir de mille et une manières en rencontrant enfin l’homme avec qui il avait été trompé. Il aurait pu l’accuser de tous les maux de leur relation, lui crier dessus, et le gifler avant qu’il n’ait eu le temps d’ouvrir sa bouche pour ensuite partir en vitesse, devant un café entier bouche bée. Il aurait pu se confier sur ses insécurités en pleurant désespéré, donnant donc à Leonardo le devoir moral de le consoler comme il le pouvait – malgré le rôle assez délicat qu’il jouait dans une telle situation. Mais le Suski n’avait rien fait de tout cela : il était resté d’un stoïcisme sans pareilles, que le Grimes n’aurait absolument pas réussi à maintenir tout du long à sa place. D’une certaine manière, c’était comme s’il avait juste eu besoin qu’on mette des mots sur une fin qu’il avait déjà envisagé depuis un très bon moment. Les conseils de Leonardo en soi n’avaient pas servi à grand-chose, mais il avait visiblement eu besoin d’avoir cette conversation pour au moins imaginer la fin de son couple. Après tout, s’il avait eu le temps et la patience de remonter jusqu’au Britannique, n’avait-il pas eu une seule occasion d’en parler avec le Koji en question, plutôt que de venir le chercher dans son café de Redcliffe? Dans tous les cas, il était trop tard pour faire marcher arrière – et si Leonardo s’en voulait un peu de juger d’un couple dont il avait jusque-là ignoré l’existence au point de suggérer fortement l’option de la rupture, il devait avouer que les mots de l’Australien avaient suffi à motiver son opinion, aussi radicale soit-elle. De toute façon, Adam ne l’avait pas corrigé à ce moment-là de leur échange. « Disons qu’on a rarement tendance à voir plus loin que le bout de notre nez, alors qu’en fin des comptes… j’sais pas. On en fait tout un plat de choses qu’on peut aisément arrêter quand on veut, sans qu’il n’y ait de mort d’homme. » Effectivement, ça restait toujours très douloureux – mais il était toujours là, malgré tout ce qu’il avait pu pensé en rompant et dans les mots suivant ce genre de décisions. Mais c’était le genre de choses qu’on ne comprenait que lorsque c’était les autres qui passaient par là, tout simplement parce que c’est bien trop dur de s’en extraite lorsque l’on est concernés. « Pour le coup, je n’te comprends que trop bien. J’ai fini mes études y’a moins de deux ans, et depuis je bosse. Du coup, ça n’a jamais été ma priorité parce que j’étais bien trop jeune, et maintenant je crains de devenir trop vieux. » Il haussa ses épaules, conscient du fait qu’il ne pouvait pas faire grand-chose pour arrêter le temps qui passait. « M’enfin, ceci étant dit c’pas vraiment comme si on pouvait prévoir une relation comme on prévoit ses études. Non pas que ce serait bien intéressant, si c’était le cas. » En revanche, ça ne rendait pas la chose moins emmerdante et compliquée à gérer. « Si je dois être honnête, j’ai absolument pas fait attention à ça. Et il peut y’avoir des gens très murs dans la vingtaine mais effectivement, si vous n’avez jamais vraiment été sur la même page en la matière… » Au vu de la large palette de garçons qui étaient passés dans ses draps et dans ses bras, il ne pouvait pas tellement donner de leçons en matière de copains idéaux. Il savait juste que tout le monde ne marchait pas avec tout le monde, et qu’il avait toujours dû faire au cas par cas. Il ne put pas s’empêcher de rire doucement lorsqu’Adam lui proposa de lui offrir sa pâtisserie pour se faire pardonner – même s’il n’avait pas grand-chose à se reprocher, contrairement à Leonardo. « Je n’ai rien à répondre, tout simplement parce que c’est affreusement vrai. » Il ne fallait pas être devin pour savoir qu’on travaillait rarement dans d’excellentes conditions dans un café bondé. « Effectivement, j’imagine que ça doit pas courir les routes de Brisbane. Pour moi ce sera… le pain au chocolat vegan, tiens. » Eh oui – puisqu’il devait plus ou moins faire attention à tout ce qu’il mangeait, les endroits où il allait le plus souvent avaient toujours des options végétaliennes, histoire qu’il n’ait pas à repartir bredouille. « Oh, j’habite pas trop loin non plus ! Je suis au 99, mais je vois bien où elle est. Du coup, on est… presque presque-voisins. » Qui l’aurait cru qu’il suffisait de descendre sa rue pour rencontrer celui avec qui on se faisait tromper ? Et pourtant Brisbane n’était pas ce qu’on pouvait considérer comme une petite ville de campagne. Il ne put s’empêcher de sourire à l’hypothèse d’Adam quant à son travail. « Presque, j’ai failli le devenir. Mais non, je suis orthophoniste, ce qui fait que j’ai pas à affronter une horde d’élèves alors que j’ai pas l’autorité qui vient avec. » En fin des comptes, il savait qu’il s’était tourné vers la bonne branche, et il ne regrettait pas de ne pas être devenu enseignant. Il prit une nouvelle gorgé de son nouveau thé, avant de le dévisager d’un air mi-interrogateur, mi-moqueur. « Et toi ? Je dois avouer que j’ai pas trop d’hypothèses, mais si je devais parier, j’aurais dit acteur. Ou quelque chose d’artistique dans le genre. » Pourquoi ? Aucune idée. Mais il n’aurait pas mis sa main sur le feu.
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyLun 19 Nov 2018 - 11:36

— Orthophoniste, répéta Adam d’un ton pensif, en essayant de s’imaginer ce que ça représentait, concrètement, mais pour lui, ça faisait partie de ces métiers dont on entendait parler, sans jamais savoir précisément ce dont il retournait. J’ai des anciens collègues de fac qui ont fait ça aussi, je crois.

Ceux qui, à vrai dire, un peu découragés par les difficultés du mandarin, s’étaient reconvertis en sciences du langage avant de s’y choisir un métier. C’était la grande caractéristique des licences de sinologie que d’écrémer leurs étudiants à toute allure dès les premiers mois de la formation, quand la radicale différence du système grammatical et scriptural faisait prendre conscience aux impétrants de l’ampleur du défi qui les attendait.

— Mais j’suis d’accord que prof, c’est un métier assez terrifiant, en fait.

Et il était parfaitement honnête. Pour lui, les mitraillettes ennemies et la perspective d’être capturé étaient moins intimidantes que l’idée d’aller, jour après jour, devant une classe pleine de gens contrariés et agités des hormones. Mais il fallait bien avouer que les récits de sa mère, qui avait enseigné deux années dans le secondaire avant de se tailler la part du lion à l’université, n’arrangeaient pas l’idée qu’il se faisait de la profession.

— J’étais un gamin très turbulent, poursuivit-il, même s’il était difficile d’imaginer ce type qui confrontait l’amant de son compagnon avec un étrange mélange de calme et de politesse en terreur des cours de récréation, et rétrospectivement, je me dis que ça a dû être une horreur pour les profs.

Et encore, il était doué en cours, et ses résultats scolaires compensaient son insolence et sa propension à chercher les ennuis. Les arts martiaux avaient aussi beaucoup fait pour le canaliser. Mais, au fond, il avait toujours eu un tempérament mal adapté à l’institution scolaire, avec la combinaison fatale d’un QI trop élevé pour ne pas s’ennuyer constamment et d’un goût trop prononcé pour l’adrénaline pour ne pas provoquer des bagarres. C’était les deux qualités fondamentales d’un agent secret, mais pas vraiment de l’étudiant modèle.

L’hypothèse de Leonardo à son sujet le fit sourire une nouvelle fois.

— Acteur, moi ? Tellement pas, s’amusa-t-il avec un aplomb parfait.

Tellement vrai.

— J’suis traducteur. Et pas tellement littéraire. J’aimerais bien, mais le secteur est complètement bouché et j’ai pas les bons contacts. Et bon, aussi, ça paie pas des masses, généralement, et j’ai pas envie de vivre au crochet de mes parents pendant des années en attendant de me faire un nom.

Ce qui impliquait qu’il aurait pu, s’il l’avait voulu, et que par conséquent sa famille devait être relativement aisée.

— Je fais de la traduction juridique, pour les affaires, et industrielle. C’est pas inintéressant, parce que c’est souvent très technique et compliqué, y a un défi linguistique constant, tu vois ? C’est mieux que traduire les pubs pour les chaussures ou les sites de vente en ligne. De toute façon, ça, c’est presque tout récupéré par les algorithmes de trad automatique.

Adam était capable de parler pendant des heures des subtilités d’un métier qu’il n’avait jamais exercé de sa vie : c’était sa couverture depuis des années et, parfois, il arrivait presque à oublier que cette vie-là n’était pas la sienne et que la seule chose qui était vrai, dans ces histoires, c’était les langues qu’il parlait.

— Je traduis le polonais et le mandarin. Polonais, parce que c’est mes origines, j’suis arrivé ici quand j’étais petit, mais jusqu’à mes six ans, j’étais à Varsovie. Je peux te dire que niveau climat de novembre, j’ai gagné au change. Et mandarin, parce que c’était mes études. J’hésite à me lancer dans le cantonais mais c’est pas non plus un marché délirant.

Sa passion pour les langues, elle, au moins, était véritable. Son métier lui imposait d’en apprendre constamment de nouvelles, au cas où, pour être toujours plus utile, pour pouvoir mieux se fondre encore dans le paysage, et c’était une vraie source de stimulation intellectuelle. Parfois, il s’imaginait, après encore dix ans de bons et loyaux services, avec un poste d’instructeur en langues asiatiques au QG de l’ASIS.

— En parlant de langues, d’orthophonie et d’ailleurs, je me trompe ou t’es pas non plus d’ici ? Les accents anglophones, c’est moins ma spécialité les slaves ou les asiatiques, mais quand même…
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyLun 19 Nov 2018 - 21:17

Leonardo avait pendant longtemps envisagé devenir professeur. Il aimait l’idée de pouvoir transmettre du savoir au sujet de quelque chose qui le passionnait à d’autres personnes tout aussi curieux que lui, et il espérait être le genre d’enseignant qui encourageait et motivait ses élèves au lieu de les rabaisser. Malheureusement, il s’était aussi rapidement rendu compte qu’il n’avait pas vraiment l’autorité qu’il fallait pour ce genre de tâches, et il se voyait difficilement gagner suffisamment de confiance et aisance pour une telle fonction. Mais en fin des comptes, il s’était rendu compte qu’il préférait l’orthophonie à tout ce que l’enseignement aurait pu lui apporter. Comme tout métier, il y avait tout aussi bien des côtés positifs que négatifs, mais il ne rentrait jamais chez lui avec la conviction qu’il s’était trompé de voie, en rêvant de tout quitter pour partir aussi loin qu’il le pouvait. Quoi qu’il en était, Leonardo fut tout de même légèrement étonné d’apprendre que l’Adam n’était absolument pas acteur, mais bien… traducteur. Il l’écoutait attentivement parler des détails de son métier, qui ne semblaient pas si passionnantes qu’il semblait le montrer – mais il fallait de tout pour faire un monde, et si le Grimes avait hésité à poursuivre une telle voie, il avait rapidement été découragé par la difficulté et la charge de travail qui devaient venir avec, chose que le Suski semblait confirmer. Il grignotait doucement son pain au chocolat, jusqu’au moment où il lui posa la question de ses origines à lui, bien moins chaotiques que les siennes. « Je viens d’Angleterre de base, mais on a déménagé à New York quand j’étais encore gosse, et ça fait maintenant… onze ans si je me trompe pas que je suis ici. Du coup, mon accent c’est un peu du n’importe quoi pour le coup. » Si son accent avait beaucoup emprunté à la façon de parler des Australiens depuis son arrivé, il gardait tout de même beaucoup de traces de son périple, de telle sorte que même si l’on savait pas forcément d’où et pourquoi, on arrivait à comprendre qu’il n’était pas natif de Brisbane. « Mais ma mère est italienne, du coup j’ai appris l’italien avec elle, et tous les ans on allait voir sa famille pour l’été – même si c’est plus trop d’actualité maintenant. » Ce qui était dommage, la seule personne de sa famille qu’il appréciait vraiment de sa fratrie étant sa grand-mère – qui se trouvait à plus d’une journée entière de vol de Brisbane. « Et si je dois avouer que ça m’aurait bien tenté de visiter la Pologne, la langue semblait quasiment impossible – et maintenant qu’on est à Brisbane, faut vraiment avoir envie d’y aller pour faire le trajet. » En plus de la durée, faire un tel voyait demandait un prix tellement élevé qu’on pouvait difficilement le faire histoire de. « Mais je dois avouer que la neige, ça me manque un peu. Malgré les nombreux avantages de la vie à Brisbane, on peut pas trop dire que ce soit leur point fort. » À New York, ils avaient bien évidemment connu de fortes chutes de neige, qui paralysaient à chaque fois au moins une petite partie de la ville. Mais sachant qu’à Brisbane le mois le plus froid restait quand-même bien au-dessus du zéro, on ne pouvait pas s’attendre à grand-chose venant de leur part. Leonardo se débarrassa des quelques miettes qu’il avait sur les mains avec sa serviette, avant de fixer Adam d’un air curieusement interrogateur. « Question totalement à côté de la plaque, mais… T’es plutôt chiens ou chats ? » Eh oui, il avait des priorités très importantes dans sa vie. « Comme je sers de famille d’office pour des chats de temps en temps, ça fait toujours du bien d’avoir des gens intéressés autour de soi. Donc si un jour tu veux sauver un chat et lui donner une famille pour toujours… » Il haussa ses épaules d’un air faussement nonchalant et désintéressé. On pouvait lui reprocher beaucoup de choses, mais on ne pouvait pas lui dire qu’il ne se donnait pas corps et âme pour ses petits protégés, aussi volatils soient-ils dans sa vie.
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyLun 19 Nov 2018 - 21:38

— T’es un sacré voyageur, en fait.

Et pour Adam, c’était une grande vertu. Il avait toujours été convaincu par l’adage que les voyages formaient la jeunesse, pour peu qu’on ne les aborde pas comme du simple tourisme. Grandir au confluent de différentes cultures, entre la Pologne, l’Ukraine et l’Australie, et étudier plus tard la Chine, lui avait appris qu’il y avait toujours sur un même événement des perspectives très différentes, que tout ce qui relevait de l’évidence pouvait être étranger aux autres et qu’avec toute la mondialisation normalisée qui rendait les pays interchangeables, chacun conservait une expérience radicalement différente de la réalité.

C’était, selon lui, un excellent moyen de se débarrasser de ses certitudes et de la prétention d’avoir la réponse à toutes les questions sociales et politiques. Il avait la conviction qu’il se battait, pour le compte de l’Australie, pour des valeurs essentielles, mais ça ne l’empêchait pas de conserver chevillée au corps l’idée que chacun devrait pouvoir examiner sa propre culture et sa propre société avec un peu de recul critique.

— Ah, le polonais…

Adam esquissa un sourire amusé.

— C’est particulier. À toi, ça te paraîtrait sans doute très exotique, comme c’est une langue slave, assez différent de ce que tu as l’air de connaître. Les déclinaisons pour tout, tout le temps, y compris les noms propres, les diminutifs, y compris pour les noms communs, les formes verbales perfectives et imperfectives. C’est très spécial, il faut bien l’avouer. ‘Fin, ça ressemble au tchèque, au slovaque et à d’autres langues de la région, mais…

Il haussa les épaules, parvenant à s’interrompre lui-même dans son enthousiasme grammatical. Pour lui, les langues étaient des univers en elles-mêmes et il passait littéralement des heures à méditer ce qu’elles avaient de commun ou au contraire de particulier. C’était une contemplation intellectuelle qui avait de quoi donner le vertige : qu’au fil de l’histoire, les humains avaient trouvé des systèmes si radicalement différents pour exprimer leurs pensées et leurs intentions.

— Bref. La Pologne, c’est très joli, il faut pas que la langue te décourage, dans les grandes villes, y a pas mal de choses en anglais. Les Beskids, au sud, c’est magnifique, la région des lacs est splendide. Après, bon, c’est sûr qu’il y a un poids historique qu’on ne peut pas ignorer. Quand on est à Varsovie, quand on pense que tout a détruit, quand on pense à tout ce qui s’est passé, ça inspire quand même une certaine gravité.

Et comme tous les Polonais, même s’il avait quitté son pays très jeune, Adam avait parfaitement conscience de la violence de l’histoire et de la fragilité d’un Etat. La Pologne avait été anéanti, puis libérée en pleine guerre mondiale, puis conquise par les Nazis, puis libérée, puis soumise à l’autorité soviétique, puis libérée, puis soumise au capitalisme sauvage, et désormais, elle était aux mains d’un gouvernement d’extrême-droite. À chaque fois qu’il y songeait, Adam sentait redoubler sa conviction qu’il fallait se battre pour préserver la démocratie et ses principes fondateurs.

— Mais c’est beaucoup moins… Je sais pas… Souvent, les gens de l’ouest restent figés sur l’image de la Pologne soviétique, ils imaginent que c’est tout gris et retardé, mais en fait, à Varsovie, c’est vraiment très différent. Enfin, bon, je vais pas te vanter ça jusqu’à ce que tu achètes un billet. Juste que si t’as l’occasion, un jour, ça vaut le détour.

Un détour un peu long et coûteux, certes, depuis Brisbane. En tout cas, parler de son pays avait réconforté Adam, toujours sensible à un patriotisme raisonnable, dépouillé de ce qu’il pouvait avoir de nationalisme obtus. Ses sourires étaient revenus, alors que la conversation se déployait librement, en sautant du coq à l’âne, comme il arrivait souvent.

— J’aime bien les chats. Question de tempérament. Mais je suis très, très souvent en voyage. Je fais de l’interprétariat aussi.

L’interprétariat, c’était l’excuse ultime pour justifier auprès de son entourage — pour ce qui lui en restait — ses départs précipités et ses absences innombrables. Il pouvait toujours prétexter tel ou tel contrat pour telle ou telle grosse société, à Beijing, pour faire sa valise et partir sur le terrain sans avoir à donner plus de justification.

— Je suis pas sûr de pouvoir m’occuper correctement d’un animal dans ces conditions. Les chats c’est indépendant, mais pas au point de rester souvent tout seuls, j’imagine. Mais je savais pas qu’il y avait des familles d’accueil. Je croyais que tous les animaux à la dérive finissaient dans les refuges, dans le meilleur des cas.

C’était touchant d’imaginer Leonardo s’occuper de ces animaux. Adam considérait que la douceur que l’on manifestait pour les bêtes était une bonne indication de la douceur d’un caractère, et il trouvait que les débats de plus en plus nombreux qui émergeaient autour des droits des animaux étaient un signe encourageant du progrès moral de la société.

— Donc, papa à chat, amateur de pain au chocolat vegan, je sens qu’il y a comme un thème récurrent. Tu fais du militantisme anti-spéciste aussi, je veux dire, politiquement, ou c’est plutôt une affaire d’éthique personnelle ?
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyLun 26 Nov 2018 - 13:17

C’était très intéressant pour Leonardo d’échanger avec le Suski, à tel point qu’il regrettait quelque peu que leur premier contact soit articulé autour d’une tromperie involontaire – du moins, de son côté à lui. Dans un autre contexte, ils n’auraient jamais eu à passer par la gêne qui avait paralysé leurs premiers échanges, se lançant directement dans la découvert de tous ces voyages que l’autre n’avait jamais connu – mais malheureusement, ce n’était pas le genre de choses que l’on pouvait changer à posteriori. D’un autre côté, le fait qu’ils viennent à se rencontrer pour de telles raisons ne voulait pas dire qu’ils allaient être incapables de passer outre ; après tout, leur conversation autour de l’Europe et de la Pologne s’était introduite de manière assez naturelle, sans que le fantôme de Koji ne plane au-dessus de leurs têtes. « Promis, je te dirai si l’occasion se présente. » Il ne pouvait qu’espérer que l’occasion de retourner en Europe se présente, mais ça demandait du temps, des moyens, et la foi – et c’était bien rare de réunir ces trois conditions en même temps, ce qui compliquait quelque peu la tâche. Le fait qu’Adam soit interprète en plus de tout ce qu’il avait déjà présenté ne l’étonnait guère – au bout de leur brève échange, ça lui semblait parfaitement en règle avec tout ce qu’il avait déjà dit, et l’interprétariat semblait la suite logique de l’équation. « Disons que dans la famille d’accueil, on aura plus de temps à attention à consacrer au chat, que ce soit en matière de soins ou affection. Et puis, ça permet à ceux qui ont vécu des traumatismes de respirer loin d’autres animaux, et de s’acclimater à l’idée de vivre avec quelqu’un qui ne leur veut pas du mal. » Malheureusement, les passés tragiques n’étaient pas chose rare chez les animaux abandonnés, et il fallait être prêt à les accompagner jusqu’à une rémission totale ou presque ; ce n’était pas toujours possible, et Leonardo avait déjà connu de très gros échecs, où il avait été obligé de passer la main à quelqu’un d’autre. C’était la vie, et on ne pouvait pas vraiment y faire grand-chose parfois. La question du Suski au sujet de ses motivations environnementales le fit doucement sourire, en grande partie parce qu’on ne lui avait que très rarement demandé cela – mais des années de réfléxion l’avaient amené à savoir d’avance ce qu’il pouvait répondre. « Dans la pratique, c’est surtout une question d’éthique personnelle. Non pas que je pense que c’est dissociable de l’aspect politique, mais je n’ai pas forcément les épaules pour. » Il ponctua sa phrase d’un haussement des épaules, montrant que ce n’était rien de bien dramatique pour lui. Certains étaient amenés à proposer ce changement et le défendre contre vents et marées, mais ce n’était malheureusement pas lui. « J’essaye de soutenir ça autant que possible, mais je crains que l’écologie ne soit pas l’une des préoccupations majeures de la politique actuelle. » Ce qui pouvait sembler à première vue compréhensible, mais qui remettait certaines disputes en question quand on se rappelait les bilans des scientifiques au sujet de la fin que leur chère planète risquait de faire au bout de quelques pauvres années. « En soi, c’est pas mon frère qui aime faire des barbecues ou oublie d’éteindre ses lumières qui pourrit le plus la planète, et même si lui et moi on faisait tous les efforts du monde, ce ne serait jamais assez pour rattraper tout ce qui a déjà été fait par les multinationales ou les gouvernements. » Un autre haussement d’épaules, geste qui était presque machinal chez le Grimes. « Mais… j’sais pas. J’me dis que quitte à vivre dans une planète condamnée, je peux faire de mon mieux pour ne pas empirer son état. C’est peut-être futile et ça ne sauvera personne, mais ça me permet de me donner l’impression de faire quelque chose de bien, au moins. » C’était peut-être quelque peu égoïste, mais il partait du principe que tout ce qu’il faisait ne pouvait pas faire plus de mal qu’on n’en avait pas déjà fait. Et en fin des comptes, il ne demandait pas aux autres de le suivre, juste de le laisser faire sa vie à lui. « Paye ton ambiance, pour le coup. Parler de la fin de la vie humaine rend pas bien souvent une discussion joyeuse. » Pour sa plus grande chance, ce n’était pas un sujet qui revenait bien souvent dans ses conversations, encore moins avec des presque-inconnus. « Et toi ? J’imagine que la traduction et l’interprétation ne doivent pas toujours laisser du temps pour grand-chose, encore moins militer pour les animaux et la nature. » Après tout, Leonardo ignorait encore beaucoup de choses au sujet du quotidien de l’Adam, ce qui laissait sa curiosité naturelle sur sa faim.
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Message(#)Raisons & Sentiments, mais surtout sentiments EmptyLun 26 Nov 2018 - 15:32

— Moi… ?

Vaste sujet, et sujet compliqué. Depuis sa rencontre avec Andy dans un club gay, Adam réfléchissait sérieusement à présenter une version de lui-même moins éloignée de sa réalité profonde qu’il ne l’avait fait avec Koji. Avec Koji, il en avait bien conscience, il s’était muré de lui-même dans la couverture la plus lisse possible, en occultant des aspects de sa personnalité essentiels à ses missions sur le terrain mais qui, après tout, n’étaient pas nécessairement incompatibles avec une existence civile.

— Moi, je suis végétarien. Végétalien, en fait, le plus souvent. Pour des raisons assez différentes, à la base, cela dit. Pendant toute ma jeunesse, je faisais du sport de compétition. Des arts martiaux. Et nécessairement, le régime alimentaire joue beaucoup, on cherche la performance, le rendement énergétique, ce genre de choses. Je suis rapidement devenu végétarien parce que je me sentais… Plus énergique. Plus dynamique. Supprimer les produits laitiers est venu assez rapidement après. Pour les œufs, le miel, tout ça, c’est une autre histoire.

La vie de sportif de haut niveau avait appris Adam à être bien conscient de tous les choix qu’il faisait pour son propre corps, de son hygiène personnelle et à son alimentation, et les arts martiaux en particulier l’avaient invité à réfléchir à des concepts d’énergie et de puissance intérieure, dont il doutait au fond qu’ils fussent vraiment fondés scientifiquement, mais qui malgré tout avaient eu une influence considérable sur sa vie.

— Aujourd’hui, je continue à faire énormément de sport.

Et ça se voyait.

— Il y a des gens qui disent que c’est une dépendance, et je veux bien le croire. Je continue mes entraînements d’arts martiaux, la nage, l’escalade, la course à pied, le surf, le…

Il haussa les épaules à son tour.

— Plein de choses, en vérité. Pour moi, l’activité sportive, ça a un sens presque spirituel. Si j’ai fais des études de chinois, à la base, c’est parce que j’étais passionné par les arts martiaux. Précisément, pour moi, c’était plus qu’un sport, c’était aussi… Une éthique, une manière de comprendre sa propre place dans le monde. Dis comme ça, ça fait un peu vieux film de kung-fu, j’en ai bien conscience.

Rejoindre l’ASIS avait mâtiné cette noble quête intérieur de beaucoup de réalisme et de compromis moraux, mais, au fond, Adam n’était pas un homme torturé : il avait la conviction d’agir pour le bien commun et même si ses missions n’étaient pas systématiquement très reluisantes, il s’efforçait de comprendre comment elles participaient à une amélioration générale du monde.

— Et je suis d’accord que l’écologie est un enjeu essentiel. En fait, c’est une composante importante de la politique internationale, maintenant, y compris de ce qui ne se voit pas de prime abord. Je traduis beaucoup pour de grosses corporations, autour des affaires chinoises, et il y a une pression considérable de notre gouvernement pour qu’ils respectent des normes. Evidemment ce n’est pas idéal, et c’est facile d’être désabusé quand on voit ce qui se passe, et il y a des problèmes systémiques très importants, dans le système politique et capitaliste, mais tout n’est pas entièrement sombre.

Est-ce que ce genre de lumières là suffirait à éclairer le destin du monde, ça, c’était en revanche une toute autre histoire.

— Après, je vais pas te mentir, c’est pas le cas de tout le monde. Mon père…

Une étincelle de tristesse passa dans le regard d’Adam. Son père, c’était un sujet délicat. Il en avait été proche dans sa jeunesse, mais l’annonce de son homosexualité avait tout changé entre eux, et le temps ne réparait que très lentement ces blessures-là.

— Mon père est conseiller économique, à l’ambassade de Pologne, ici. Et il siège dans différents conseils d’administration d’entreprises. Et lui, clairement, l’écologie, c’est plus une contrainte réglementaire qu’une réelle motivation. Mais je crois que finalement, y a pas beaucoup d’idées que je partage avec mon père. C’est comme ça.

Il avait appris à s’y résigner.

— Parfois, je me dis que je devrais faire quelque chose, personnellement. On dit que la Pologne est la Chine de l’Europe, tu sais ? A cause de la pollution. Et le mariage gay est toujours illégal là-bas. Y a plein de sujets que je pourrais aborder, avec ma perspective venue d’ailleurs, et mon expérience personnelle. Mais je me sens pas vraiment à l’aise en politique. Encore moins pour la question gay que pour l’écologie. C’est pas que j’ai honte ni rien, mais je suis pas… je sais pas. Tu sens que tu fais partie de la communauté, toi ? Ou quelque chose comme ça ?
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