Je sors de la salle de pause, trois cafés en mains pour aller les amener à Hannah et Alana avec qui je suis en équipe aujourd'hui. C'est notre petite habitude à nous, se ramener des cafés quand l'une d'entre nous a besoin d'un petit break. Je les laisse attraper leurs boissons et souris largement lorsque la plus âgée de nous trois me frotte les cheveux comme si j'étais une gamine de douze ans. " Arrête donc ça " Que je lui souffle en riant doucement, passant une main dans mes cheveux pour me recoiffer. L'insouciance. Tout est si simple, si beau. Ma vie roule comme sur des roulettes, je suis heureuse, mon petit-ami est parfait et, pour couronner le tout, ma garde est bientôt finie ! Il est 6h45 et après une longue nuit, je vais rentrer chez Kane pour me glisser sous les draps, dans ses bras. Je souris bêtement et Hannah souffle sur mon visage pour me ramener sur terre. " Ça va, ça vaaaa ! Laisses moi rêver ! " Que je lance à ma meilleure amie avant de tourner les talons et me diriger vers le bureau des infirmières. Je veux bien être sûre que mon changement de jour off a bien été pris en compte, histoire de pouvoir passer une petite journée de plus avec Kane lundi. J'ai terriblement envie d'aller au musée avec lui, de sortir un peu de l'appartement et de profiter de sa présence, tout simplement. Ce n'est pas facile de trouver des moments pour nous. Et puis, j'ai acheté de la nouvelle lingerie, alors autant lui montrer la chose non ? Le téléphone sonne et ma collègue décroche rapidement. Son regard se pose sur moi et je lui souris légèrement. J'ai les yeux plongés sur le bureau et je sens qu'elle va me faire une réflexion. Après tout, je fouille un peu dans ses affaires là. Sauf qu'elle ne dit rien, ne me lance pas une salve de balles imaginaires pour me faire déguerpir de là. " Qu'est-ce qu'il y a ? Le poste dont on m'a parlé est déjà pris ? " Parce que dans moins de deux mois, je ne serai plus stagiaire mais belle et bien infirmière. Et il va falloir que je prie pour qu'une place se libère ici si je ne veux pas changer d'hôpital. Je la regarde et quand elle raccroche, je commence à m'inquiéter. Je fronce les sourcils et me redresse. " Wendy… C'est ta mère " Le cas de ma mère a du se dégrader encore un peu plus. Je jète un coup d'oeil sur l'horloge. Je finis bientôt, je vais monter. " Elle… Elle a eu des soucis pour respirer et à cause de son ordre de ne pas réanimer… " Je la regarde et c'est comme si mon monde venait de se mettre sur pause. Mon sourire a disparu, le soleil qui brillait en moi vient de s'éteindre. " Non… Non, c'est pas possible " Que je souffle, sentant mes jambes flageoler. Alana est à côté de moi et me rattrape de justesse. Les larmes coulent le long de mes joues et mes collègues et amies se regroupent autour de moi. Je ne les vois pas, je ne les entends pas. Elles ne sont que des formes sous mes yeux pleins de larmes. " C'est pas possible ! " Que je crie en me redressant, les poussant toutes pour me frayer un chemin et monter au service où était ma mère depuis de longs mois. Et quand j'arrive face à sa chambre, je vois les infirmières du service en sortir avec le petit-déjeuner qu'elle n'a pas du toucher. " Laissez ça en place ! Elle va revenir ! Elle va revenir ! " Que je lance en entrant dans la chambre. Elle est encore là. Sous son drap. Il n'y a plus une machine qui bipe autour d'elle et je m'effondre sur ce corps sans vie. Sur ce corps qui m'a donné la vie. On me laisse là quelques minutes et rapidement, il faut faire sortir le corps. " Qui veux-tu qu'on appelle Wendy ? " Que me demande une infirmière du service. " Mon père " Parce que je refuse de le contacter, de lui parler, de lui dire. " Je… Je… " Aucun mot ne sort de ma bouche et alors que le brancard passe devant moi, je fuis. Je quitte l'étage avec hâte et rapidité extrême. Usain Bolt aurait du soucis à se faire. Et une fois dehors, sur le parking des ambulances, je me planque dans un coin, en boule, les bras bien serrés autour de mes jambes, le visage enfouit, incapable de bouger ou de faire quoi que ce soit. Qu'on me laisse là. Qu'on me laisse mourir. De toute façon, j'ai perdu une partie de mon coeur aujourd'hui.

@Kane Williamson

On revient d’intervention avec toute l’équipe, on s’occupe de restocker les camions et se relaxer ensuite, jusqu’à la prochaine. Je vais faire un tour dans la cuisine parce que je commence à avoir un creux. J’ouvre le frigo, rien qui me tente. J’ouvre le placard, tous mes biscuits favoris sont déjà plus là. Il faut vraiment faire un tour au supermarché parce que y’a plus grand chose en choix.

« Bon qui est partant pour aller faire des courses ? »

On a un petit choix de supermarché ouvert 24 heures, donc même s’il est encore tôt, c’est faisable. Y’a quelques collègues qui me font la remarque que y’a encore des trucs à manger mais… c’est pas ce que j’aime. Je commence à faire chauffer de l’eau pour boire un thé et Lene se ramène avec une boîte de muffin au chocolat. Un large sourire se forme sur mes lèvres.

« Tu l’avais caché ? »

Elle me met un gâteau dans les mains et je ne cherche pas plus loin parce que l’important, c’est que j’ai de quoi grignoter qui me fait envie là tout de suite.

« Kane ton téléphone va exploser. »

Wren qui me fait cette remarque. Je lève un sourcil alors que je fais couler l’eau bouillante dans un mug. Avec mon petit déjeuner, j’arrive à table. Mon téléphone m’est tendu et je vois le nom de Hannah sur l’écran. J’ai vu un appel manqué de sa part en revenant d’intervention mais je n’ai pas cherché plus loin. J’aurai pris le temps de voir ça dès que j’aurai été posé. Donc genre, maintenant. C’est pour ça que je prends l’appel, avec une petite appréhension.

« Hannah ? »

J’oublie mon thé. J’oublie mon muffin. Je suis en route pour l’hôpital après avoir dit à Lene que j’avais une urgence. J’aime pas partir du boulot comme ça sans préavis mais… Là on parle de la mort de la mère de Wendy ! On est tellement sur un nuage elle et moi depuis quelques semaines que j’en ai presque oublié que sa mère était gravement malade depuis longtemps. Que oui, c’était une éventualité qu’elle nous quitte et voilà que c’est fait. Je l’ai rencontré trois fois au cours de ces derniers mois et c’est pas franchement beaucoup.

Tout de mon uniforme vêtu, j’arrive à l’hôpital me dirigeant vers la salle des infirmières en vitesse. Je suis rapidement escorté jusqu’à Wendy qui est apparemment toujours planté dans le parking depuis quelques heures maintenant. Assise par terre, mon coeur se serre fort de la voir comme ça. Une collègue est à ses côté, un bras dans son dos. Elle se détache en me voyant. Je me mets à leur hauteur et prend doucement Wendy dans mes bras.

Y’a rien à dire dans ces moments. Juste être présent. Malgré mon estomac qui grogne plus ou moins fort, je ne bouge pas. Je reste là tout le temps qu’elle a besoin, caressant son dos, son bras, ses cheveux. Je ne sais pas combien de temps passe mais je me permets de prendre la parole.

« Tu veux qu’on aille la voir ? »

Parce que mon petit doigt m’a dit qu’elle ne l’avait pas encore fait depuis l’annonce. Bon ok c’est Hannah.

Ça devait être une journée fun, une journée simple. Quitter le boulot pas trop tard, rentrer prendre une bonne douche, se reposer avant d'aller manger entre filles. Mais non. Rien ne se passe jamais comme c'est prévu, sinon ça serait trop beau et trop facile, bien entendu. Les mots sonnent comme un couperet. J'ai l'impression d'être attachée à une putain de guillotine, visage en direction de la lame. Je la vois tomber une fois mais ma tête ne tombe pas. Deux fois et même cinéma. On est entrain d'essayer de me détruire, de m'anéantir mais je n'y crois pas. C'est impossible. Je ne peux pas y croire. Elle est si forte. Elle se battait depuis si longtemps et… Je cours d'un bout à l'hôpital, incapable de réfléchir, de me calmer. Elle est encore là, dans sa chambre, prête à être déplacée et je suis incapable de faire quoi que ce soit. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'une fois que je verrais son visage, tout sera réel. Je peux encore faire comme si rien de tout ça n'était arrivé. Et c'est ce que je fais. Dans mon coin du parking, le soleil me tapant sur la nuque depuis de longues minutes, si ce n'est pas plus parce que j'ai perdu toute notion du temps et de l'espace. Un bras se pose sur mes épaules, une voix tente de me rassurer mais je me demande bien de qui il peut s'agir. Hannah, Alana, Noam ou même Isaac ? Je n'en ai aucune idée. C'est peut-être même Andrew qui a été mis au courant que sa patiente vient de décéder. Mais je ne bouge pas, je ne parle pas. De toute façon, je n'ai rien à dire et les larmes ne coulent plus sur mes joues. Mon corps n'est pas secoué de sanglots, je suis vide, presque morte à l'intérieur. Ils se relayent. Je reconnais différent parfum et ne bouge pas. Je serre fort les yeux. Je vais me réveiller de ce cauchemar parce que c'est ce que c'est : un cauchemar. J'ai vu des tas de gens faire face au deuil. Je bosse aux urgences après tout et ça fait sept longues années que je travaille dans le domaine médical. Alors la mort, je la croise à tous les coins de l'hôpital mais là, ça me touche et rien n'est facile. Tous les mots que j'ai pu dire à ces patients meurtris me semblent si faux, si creux. Et puis, c'est l'ultime changement. Les bras chauds de ma collègue se détachent de moi et je le reconnais. Je ne sais pas pourquoi ni comment. C'est comme si mon corps était fait pour se lover contre le sien. Ses cheveux sur ma joue alors que tous ses prédécesseurs avaient les cheveux attachés bien haut pour être sûre de n'en avoir aucun dans le visage. Je bouge légèrement, glissant mon visage dans son cou, à la recherche de cette odeur familière qui me fait me sentir en sécurité. Il n'a pas mis de parfum ce matin mais son shampoing sent toujours aussi bon. Et c'est une fois que sa voix arrive jusqu'à mes oreilles que je craque. Les larmes coulent sur mes joues et si j'étais restée dans une position plutôt foetale jusque là, mes bras s'enroulent autour de son cou et je suis prise de sanglots. Entre deux torrents de larmes, je tente de parler. " Oui " Parce que je lui dois ça, à ma mère. Et à moi aussi. Il y a tellement de choses que je ne lui ai pas dis. Depuis l'arrivée de mon père, les discussions se faisaient plus simples, moins intimes, surtout quand il était là, à prendre sa main dans la sienne. Il m'a volé ma jeunesse, ma petite famille parfaite et il a réussi à me voler mes derniers moments avec ma mère. Je le déteste. Mais elle l'aimait tant. Elle était enfin en paix, complètement heureuse. Je me redresse légèrement, les yeux gonflés et rouges, des sillons de mascara sur les joues, je n'en ai aucun doute. " Je savais que ça pouvait arriver mais maintenant ? " Je mords l'intérieur de mes joues pour ne pas éclater en sanglot, mon regard plongé dans le sien. Ça aurait du arriver il y a de nombreux mois mais elle s'est battue parce que je l'ai supplié plus d'une fois. Parce que je ne pouvais pas vivre seule, sans elle. Il y a Kane maintenant et elle sait que je ne serai pas seule. Elle s'est battue si longtemps. Une bataille si intense que la maladie a fini par gagner et ce par forfait. Rien de bien glorieux là dedans. Je suis incapable de bouger pour le moment. Dans quelques secondes, une fois que j'aurais fini de ramasser mon coeur. Enfin, ce qu'il en reste.

Elle fond en larmes après ma proposition. Je pense que peu importe ce que j’aurai fait, ça serait arrivé. Il n’y a rien que je puisse faire pour soulager sa peine. Je ne peux même pas dire que je sais ce qu’elle est en train de traverser parce que j’ai toujours mes deux parents de mon côté. Je côtoie la mort tous les jours depuis dix ans mais ça n’a rien à voir quand on est pas du côté du personnel médical.

Je la serre contre moi, essayant de lui donner mon énergie d’une façon ou d’une autre. Je la serre assez fort. Je n’attends pas de réponse de sa part mais il m’en vient une quand même. Elle veut aller voir sa mère. Je ne montre aucun signe de mouvement. Je ferai tout au rythme de Wendy qui est complètement bouleversée. Je la regarde quand elle se redresse enfin, détachant ma prise d’elle. Dieu que je n’aime pas la voir comme ça. Je vais déposer un baiser sur sa joue humide afin de tenter de lui donner un peu plus de réconfort mais j’ai l’impression de servir à rien du tout.

Je ne sais pas quoi répondre à sa question rhétorique. Il n’y a rien à dire de constructif là dessus. On ne peut rien contre le destin. J’aime bien croire que les choses arrivent pour une raison mais je sais que dans certains cas il vaut mieux la fermer à ce sujet. Trop douloureux. On se rend compte plus tard des leçons qu’on en a tiré. De la façon dont un évènement nous a fait grandir.

Je la prends de nouveau tout contre moi parce qu’elle n’a pas l’air de vouloir bouger et mon ventre continue de grogner.

A peine on passe le seuil de mon appartement quelques heures plus tard que je vais la reprendre contre moi. Je ne sais pas quoi faire de plus qu’être là pour elle et j’ai l’impression que mes bras lui font du bien. Je ne suis bien évidemment pas retourné au boulot. J’ai pris le temps de manger un paquet de chips du distributeur à l’hôpital pendant que Wendy était avec sa mère. Je l’ai laissé seule un moment parce que… je me suis carrément senti de trop. J’ai pu avoir mon capitaine au téléphone aussi qui m’a dit que je pouvais rester chez moi le lendemain au vu de la situation.

Je berce doucement Wendy alors que je suis légèrement dans mes pensées. Je suis pas dérangé par le silence mais je prends quand même la parole après un instant.

« Si j’avais une baignoire je t’aurai proposé un moment de détente avec moi dans un bon bain. »

Puis je me rends compte que c’était peut être maladroit de proposer ça. J’ai pas du tout envie de sexe ou quoi vu la situation. J’espère qu’elle ne l’a pas pris comme ça. Je ne fait pas de remarque supplémentaire sur ma phrase parce que je risque juste de m’enfoncer. Peut être qu’elle va le prendre aussi bien que c’était sensé être pris.

Alors apparemment c’était pas la meilleure chose à dire parce qu’elle me fait une remarque là dessus MAIS, elle sourit. Alors ça me fait sourire et je suis le plus heureux de la Terre de la voir comme ça après toutes ces larmes qu’elle a versé. Je réponds à son baiser, mes bras se serrant toujours un peu plus autour d’elle. L’avoir contre moi c’est une des choses que je préfère au monde et je pourrais littéralement passer ma vie collée à elle. Nu de préférence, mais avec des fringues ça passe aussi. Oui. C’est pas que du sexe entre nous. C’est beaucoup plus profond que ça.

Elle parle de bouffe et je suis trop touché qu’elle se soit rendu compte de ma situation. Elle doit avoir plein de choses en tête mais elle a quand même vu que j’avais besoin de me nourrir. Et je sais pas comment elle a fait mais elle a su que j’ai mangé des chips !

« Le programme a l’air parfait. »

Je prends son téléphone alors qu’elle se blottit de nouveau tout contre moi. Je serre mon bras autour d’elle alors que j’ouvre « UberEats ». Je m’arrête dans mon élan quand elle pense à voix haute. Je fronce le nez de savoir que son père ne s’est pas encore manifesté dans l’histoire. Je vais pour lui proposer un truc mais elle me demande à propos de mon boulot.

« Non c’est bon. Et demain non plus. »

Je dépose un baiser sur son front. Je marque une pause. Je ne sais pas trop si c’est une bonne idée ou quoi mais…

« Tu veux qu’on aille voir ton père ? »

Je me dis que malgré les tensions qui existent entre eux, il doit être mal en point lui aussi. Je ne sais pas s’il est seul et c’est peut être pas la meilleure chose qu’il soit en une situation pareille. Je pense qu’il est bon de laisser les querelles de côté, enfin, ça dépend vraiment de l’historique mais ce serait moi je ferai une trêve.

« Pas forcément aujourd’hui. Mais demain. Je peux lui téléphoner sinon… »

Pour avoir des nouvelles. C’est important je pense dans une épreuve pareille. Je ne sais pas s’il a de la famille autre que Wendy dans les environs.

Je me sens bien dans ses bras, en sécurité et ça fait du bien. Mon monde vient de s'effondrer, mes fondations viennent d'être secouées comme jamais mais il est là. Il est un peu comme le papier bulle qui protège un objet fragile dans un voyage. Et je n'aurais pas pu demander mieux comme soutien, comme pilier pour cette épreuve. Il a du quitter son boulot en précipitation et c'est pour ça que je lui demande rapidement s'il doit y retourner. Non. Il a du parler avec son supérieur parce qu'il n'a pas besoin d'y aller demain aussi. Ça m'enlève un poids des épaules, je dois bien l'avouer. Il va y avoir tellement de choses à faire et j'ai déjà peur de la charge émotionnelle que tout cela va me causer. Appeler la famille aussi parce que je n'ai prévenu personne. Mais qu'est-ce que je peux bien leur dire ? "Salut les gars, ma mère est morte. Ciao" ? L'enterrement à organiser, ses affaires à trier, ses différents comptes à clôturer. Je fais une liste mentale de tout ce que je vais devoir entreprendre rapidement. Je me sens si seule face à tout cela. Bien sûr, Kane est à mes côtés mais où est mon père ? Aux abonnés absents, comme à sa grande habitude. J'ai vécu onze ans sans lui et il semblerait que je passe encore de nombreuses années sans un père. Je n'en ai jamais eu besoin, ça ne devrait pas changer. Sauf que… J'avais une mère qui avait tous les rôles et là, je suis seule. Plus de famille. Il y a Greta, bien entendu, mais ce n'est pas ma mère. C'est douloureux. " Non " Que je lâche sèchement quand il me demande si je veux qu'on aille voir mon père. Même pas en rêve. Je ne veux pas le voir. Où est-il ? Je suis sa fille. C'est à lui de prendre soin de moi et pas l'inverse. C'est ce que je me dis pour tenter de justifier ma colère envers lui, même après tout ce temps et surtout, dans ces conditions. " Je veux pas le voir. Il va pouvoir retourner en Allemagne l'esprit tranquille maintenant " Que je lance en soupirant fortement, me détachant de Kane et filant dans la chambre pour me mettre à l'aise : enlever mon soutien gorge quoi. " Je sais que je suis égoïste mais j'arrive tellement pas à avoir envie de le voir. Il va faire quoi ? Pleurer ? Me prendre dans ses bras ? Cool. C'était quand j'avais seize ans que j'avais besoin de mon père. C'était quand mon coeur a été brisé la première fois que j'avais besoin de lui. Quand j'ai pas réussi mes examens pour continuer mes études en médecine " Il s'en est passé des choses où j'aurais eu besoin de lui et où ma mère a rempli les deux rôles à la perfection. Ma mère. Putain ! Je soupire à nouveau et m'assoit sur le lit en enfouissant mon visage dans mes mains. " J'ai promis à ma mère de faire un effort avec lui " Je lui ai promis cela il y a quelques jours. Mais je ne sais pas si j'y arriverais. Il le faut. Je ne veux pas trahir la parole de ma mère. C'est impensable pour moi. Et c'est pour elle que je relève la tête et tente de me raviser, d'adoucir mes propos. " Demain… Mais pas chez ma mère. Ni ici. Un endroit neutre. Avec du monde, histoire que je ne lui saute pas à la gorge s'il pleure trop " Que je lance en attrapant mon pyjama de sous mon oreiller.

Elle ne veut pas voir son père. Je dois avouer que ça me fait chier pour elle cette situation. Je vais pas insister parce que c’est pas mes affaires. Elle sait mieux ce qu’elle veut, ce dont elle a besoin que moi. Ou pas ? Peut être qu’elle est trop secouée pour vraiment bien réfléchir ? Je ne sais pas mais si là elle veut pas le voir, je ne vais pas la forcer. Leur relation n’a jamais été au top et apparemment ça ne va pas changer de si tôt. Parfois ce genre de drame ça rapproche. En tout cas je note que son père risque de partir et donc Wendy aura de nouveau un toit pour elle. Ou pas ? C’était chez sa mère en fait, donc je sais pas trop comment ça se passe maintenant qu’elle n’est plus de ce monde. Elle se détache de moi et je la regarde filer du côté du lit. J’en profite pour me défaire les bottes pour être un peu plus à l’aise alors qu’elle reprend la parole. Elle a l’air de nouveau en train de penser à haute voix. Elle se justifie sur certains trucs et je ne sais pas vraiment quoi répondre à ça. Une fois en chaussette je la vois la tête dans ses mains. Je vais la rejoindre en m’asseyant à côté d’elle sur le lit. Mon bras se glissant dans son dos, le lui frottant doucement pour la réconforter. Elle finit par décider d’aller voir son père demain.

« On peut aller manger un bout dans un petit resto. Ou… Au McDo. »

Si jamais elle n’a pas envie d’en faire trop. Ou d’en faire carrément pas du tout. Sûrement une nouvelle boutade de ma part. Je les enchaîne sans vraiment réaliser. La situation est assez stressante pour dire la vérité. Je fais de mon mieux. J’ai jamais rencontré son père en plus. Peut être que ce sera autour d’un big mac. Parlant de bouffe je reprends de commander les pizza comme elle l’avait proposé, allant récupérer le téléphone sur la table. Je prends une Hawaïenne pour elle et une Royal pour moi. Y’en aura sûrement trop à manger mais c’est très bien, comme ça il en restera pour ce soir. Je retourne vers Wendy.

« Les pizza arrivent dans une heure. J’ai pris des mozzarella sticks aussi. »

Et je défais ma chemise de mon pantalon avant de commencer à la déboutonner. Je vais vers mon armoire pour choisir un tshirt et j’en prends un de Leeds Festival. Genre un de mes tshirts préférés du moment vu tous les souvenirs qu’il contient. Je l’enfile et je vire mon pantalon à présent.

Les larmes ont beau s'être arrêtées de couler le long de mes joues, j'ai l'impression que la vie a quitté mon corps. Je me sens mal et horriblement seule alors que Kane est là. Et pas seulement physiquement. Non, il est là de la meilleure façon qui soit. Il me laisse diriger, gérer et ne m'impose rien, ne me sert pas des phrases plus bidons les unes que les autres. Et il ne fait pas 'comme si' de rien n'était. Il va de l'avant, penses à demain et aux autres. Et c'est ça que j'aime chez lui, même s'il parle de mon père à ce moment précis. Je n'ai pas envie de le voir mais je le dois, pour ma mère. On ne fait pas que ce que l'on veut dans la vie et cet adage ne s'est jamais révélé aussi vrai qu'aujourd'hui. Il revient vers moi et me prouve qu'il est vraiment là. Je ne suis pas seule. Il ne m'abandonne pas parce que je me suis écartée de lui pour x ou y raisons. Et c'est surement pour cela que ma mère a arrêté de se battre aussi. Tout coïncide, que je le veuille ou non. Elle a décidé d'arrêter les soins après le retour de Kane d'Angleterre. Comme si elle s'était assurée qu'il ne me laisserait pas seule. Et puis, le retour de mon père. Deux hommes à mes côtés. Je devrais être heureuse, lucky me. Sa main dans son dos, ce contact si simple qui me fait tant de bien. " Une brasserie du côté de Toowong ça pourrait être cool… " Que je souffle doucement en le regardant droit dans les yeux. " Y a que toi pour proposer de rencontrer le père de ta copine chez McDo " Je souris doucement et prends sa main dans la mienne. Je l'aime terriblement cette petite tête. J'espère que le jour où je rencontrerais ses parents, ça ne sera pas chez McDonalds, Quick ou autre fast-food. Pendant qu'il commande nos pizzas, je prends mon pyjama sous mon bras et l'embrasse quand il me dit que tout arrive dans une heure. Et qu'il a même pris des mozza sticks. Je n'ai pas très faim, pas du tout même, mais je suis sûre que l'odeur de la nourriture va me faire changer d'avis. " Je vais vite à la douche… " Que je souffle alors qu'il commence à se déshabiller pour se changer. Je suis restée un petit temps dehors, dans un coin du parking des ambulances. Alors j'ai l'impression que mes cheveux puent la pollution et mon cou me gratte comme pas possible. Je sens le coup de soleil bien comme il faut. Je file vers la salle de bain, me déshabille et me glisse sous l'eau. Je ferme les yeux et l'émotion me frappe un plein fouet. Les larmes se remettent à couler le long de mes joues et j'ai du mal à respirer. Je me sens mal, terriblement mal. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Et je ne peux pas lui en vouloir. Elle s'est si longtemps battue. Et je lui ai dis plus d'une fois : je suis bien entourée. Elle souffrait. Je tente de me ressaisir mais je n'y arrive pas. C'est plus fort que moi. Je me mets assise dans la cabine de douche et pleure comme jamais. Je sanglote et ne parviens pas à me calmer. J'ai envie d'hurler, de tout casser autour de moi, de frapper dans les murs. Ma mère est le premier membre de ma famille que je perds, n'ayant jamais connue mes grands-parents. Je reste de longues minutes comme ça, assise en boule dans le bac de douche à me remémorer mes meilleurs moments avec ma mère. Notre virée aux chutes du Niagara où un oiseau a déféqué sur mes cheveux juste au moment de la photo. Je me souviens si bien de ce cliché. Wendy, 18 ans, la main dans les cheveux, le visage déformé par le dégoût. J'éclate de rire et repense à ces moments en Californie où je demandais à ma mère de me prendre en photo de dos, juste en bas de maillot de bain pour l'envoyer à Kane. Elle m'a toujours suivi, toujours épaulée, toujours suivie dans mes nombreux délires et je ne pourrais jamais la remercier à hauteur de tout ce qu'elle a fait pour moi. Si je suis celle que je suis aujourd'hui, c'est grâce à elle. Alors je me relève. Je me douche rapidement et essuie mes larmes, ce qui ne sert pas à grand chose. J'ai surement les yeux encore plus rouges, un peu enflés mais ce n'est pas bien grave. " Kane ? " Je m'enroule dans une serviette avant d'ouvrir la porte pour qu'il me rejoigne là. Ce qui est bien avec cet appartement c'est qu'on ne met pas deux minutes à le traverser. Même à l'autre bout, il est toujours proche de moi. " Tu te souviens cette photo que je t'avais envoyé sur la plage, de dos ? " Filant vers la mer, comme le soir de notre rencontre. Bien entendu, le soir de notre rencontre tout était différent parce qu'il m'avait rejoins dans l'eau et on avait passé un petit moment à s'embrasser. " C'est ma mère qui l'a prise " J'ai surement du lui dire que c'était une copine qui l'a prise, à l'époque. Sauf que non. Je partageais tout avec ma mère, ma meilleure amie. " Ce soir là, elle m'a dit que si elle acceptait d'être photographe des pseudos sextos de sa fille, c'était juste parce qu'elle savait que tu n'étais pas n'importe qui pour moi " Je me confie un petit peu à lui. Il sait que depuis ce festival à Perth je l'ai dans la tête mais ma mère n'a rien vu, elle n'a eu que mon récit. Et pourtant, elle savait. " Elle t'appréciait énormément même avant de te rencontrer " Que je souffle avant d'attraper la crème équivalente australienne de la Biafine et de lui tendre, montrant mon cou rougit par le temps passé dehors, recroquevillé sur moi même. Je voulais vraiment qu'il sache tout ça. Il y aurait surement des tas d'anecdotes qui me reviendront en tête plus tard.

Confirmation de ma connerie, mais de nouveau, ça l’a fait sourire, donc je ne regrette rien. J’en profite quand même pour faire une petite moue, histoire d’avoir l’air adorable et de gagner un baiser supplémentaire. Elle file à la douche et je trouve un peu déprimant qu’elle prenne son pyjama alors qu’il est encore tôt dans la journée. Ca sent la déprime et elle a tous les droits de l’être, mais voilà, savoir qu’elle va pas bien, le voir, ça va pas être évident. Je me change, me mettant à l’aise et je me cale sur le canapé, mon téléphone à la main afin de voir Twitter et ce que mes artistes préférés ont postés dernièrement.

Je ne sais pas combien de temps est passé quand Wendy m’appelle, mais je me lève tout de suite pour aller à sa rencontre.

« Ouais ? »

Ses yeux sont bien rouge et je sens qu’elle a ouvert les vannes de nouveau dans la douche. Meh. J’aime vraiment pas la voir comme ça. Ca me fend le coeur. Quelques semaines sont passés depuis qu’on joue avec la boite en carton de Levi et Ariane, mais je ne me lasse toujours pas de voir Wendy à moitié nue. J’essaie d’en faire un peu abstraction là mais non, je la remarque très bien. Elle me parle de la photo qu’elle m’a envoyé il y a dix ans de ça. Bien sûr que je m’en souviens. Je l’ai toujours dans un de mes albums. J’hoche la tête. J’apprends que la photographe n’était autre que sa mère. Je souris quand elle parle de sextos. Je vais doucement prendre Wendy dans mes bras alors qu’elle ajoute que sa mère m’appréciait depuis très longtemps. J’embrasse son front, la berçant un peu alors qu’elle est toujours que vêtue d’une serviette. Je reste un moment comme ça avant de me détacher et d’ouvrir le tiroir qui est sous mon lit pour en sortir un album photo. Celui du road trip. Je l’avais fait sur internet sur ces sites où tu positionnes tes photos et tu reçois un beau livre sur papier glacé ensuite. Je n’ai pas été jusqu’à intégrer sa photo dans l’album, mais je l’ai imprimé à part pour la glisser dans la couverture. Si on ne sait pas quelle est là, personne n’irait chercher dans le rabat. Je la sors pour la lui montrer et je prends enfin la parole.

« Celle que je t’ai envoyé… C’est Ariane qui l’a prise. »

Je me souviens encore très clairement de ce moment là. Je me demande si Wendy l’a toujours de son côté aussi. Je me prends un petit peu la tête tout seul parce que je me dis qu’elle a juste voulu me parler de sa mère et moi je lui parle d’Ariane. Je veux pas steal le show, juste partager mon anecdote sur la photo jumelle à la sienne. Je m’assois sur le lit et je feuillette l’album du coup. Tous ces souvenirs de ce voyage qui a été un grand virage dans ma vie. Trop d’émotions. Beaucoup de photos d’Ariane et moi vu qu’on a passé l’intégralité du voyage ensemble. Pas mal de photos de Levi aussi parce qu’il en a fait un beau morceau avec nous aussi. Plein d’autres personnes qu’on a rencontré sur la route. Plein de paysages. Des plages. Des concerts. Wendy. Pas de la meilleure des qualité parce que c’était pris avec mon téléphone, mais il n’y a pas besoin de beaucoup de pixels pour voir sa beauté.

« Ca te dit qu’on aille chez toi et qu’on regarde les albums de ta mère ? »

J’ai l’impression d’avoir l’idée de l’année. Ca éviterait qu’elle reste en pyjama dans le lit, même si ça ne l’empêchera pas de verser des larmes et d’être déprimé. Se plonger dans les souvenirs, me raconter des anecdotes et des bons moments sur elle, sa mère, sa vie avec elle, ça peut en sortir du bon. Oui je meurs d’envie de voir bébé Wendy en photo aussi, je ne le cache pas.

« Ou bien on fait juste un saut, on prend les albums et on revient ici ? »

Je viens de réaliser que y’aura peut être son père du coup et vu qu’elle veut pas le voir…

J'essaye d'être forte mais c'est plus facile à dire qu'à faire, bien entendu. Le départ de ma mère est le premier décès que j'ai à gérer seule et ce n'est pas facile. Je crois même qu'il s'agit du premier décès que j'ai à affronter tout court. C'est même sur. Les anglais - tout comme les australiens - sont éternels et ce n'est pas une blague. Il faut dire que mes parents sont les personnes les plus âgées que je connais. Enfin, je file à la douche, pyjama sous le bras parce que les choses sont claires pour moi : je vais rester dans le lit toute la journée, dormir, pleurer et me demander pourquoi le bon Dieu me fait ça à moi. J'ai beau me dire que tout ça, c'est pour le mieux, qu'elle est mieux là où elle est, je n'arrive pas à me calmer. On avait encore tant de choses à vivre ensemble toutes les deux. J'aurais voulu qu'elle soit là le jour où je me marie, si ça arrive parce que je ne suis pas forcément pour, où j'aurais un enfant, si tenté que j'arrive jusque là dans une relation avec Kane. Je ne me projette pas de la sorte avec qui que ce soit mais si ça doit arriver, ça sera lui et aucun homme, ça j'en suis convaincue. Je ne sais pas trop quel est le comportement adéquat dans ce genre de situation mais tout ce que fait Kane, l'espace qu'il me laisse en étant là est la solution qui me convient. Et quand je sors de la douche, sourire aux lèvres, un souvenir en tête que je me dois de lui partager, je n'attends pas. Il est rapidement là et me prend rapidement dans ses bras. Il n'a qu'à ouvrir l'espace de ses bras pour tout reconstruire. Et c'est un peu ça, vraiment. J'ai le visage sur son torse, sur le pectoral gauche. Le rythme de son coeur me calme doucement. Un baiser sur le front et je le suis du regard alors que j'enfile une culotte et mon t-shirt de pyjama. Le bas, ça sera pour plus tard. Je m'assois par terre, à côté du tiroir ouvert et attrape la photo qu'il me tend. Je rougis doucement. Il l'a toujours gardé. Sa confidence sur la photographe de son cliché ne m'étonne pas. " J'en étais sure " Que je souffle doucement. " J'ai toujours la tienne aussi, sur mon téléphone de l'époque " Que je lui annonce avec un sourire en coin. Je ne l'ai jamais imprimé et ce pour plusieurs raisons. La plus simple était que je n'acceptais pas vraiment tout ça, tout ce que je ressentais pour lui. Je ne comprenais pas cette attirance que j'avais - et ai toujours - pour lui. Wendy, la lesbienne out, qui crush sévère sur un garçon ? La bonne blague. L'imprimer, c'était y être trop attachée, y donner une certaine signification, un sens que je n'étais pas prête à accepter. Et puis, je ne voulais pas que mes futures petites amies tombent dessus. Sonya aurait pété un câble. Elle n'avait déjà pas eu besoin de ça pour me rendre folle alors là … Je regarde les pages qui se suivent, les clichés de ses souvenirs et souris doucement. " T'en as pas fait un de l'Angleterre ? " Que je demande rapidement. On a beaucoup parlé de ce voyage, pendant ce voyage, il m'a envoyé quelques clichés mais quand je vois le rendu de cet album, je me dis qu'il y a vraiment mis du coeur, de la joie. C'est personnel, bien entendu, mais il y a passé du temps, a vécu chaque moment une seconde fois, en quelques sortes. Je prends sa main dans la mienne et réfléchis à sa demande. " Un aller-retour rapide ? Histoire que notre livreur de pizza n'attende pas devant la porte ? On peut peut-être appeler et aller les chercher du coup ? " Que je demande rapidement. Je veux ces albums avec moi, je veux pouvoir m'y plonger dedans, lui montrer à quoi ressemblait ma vie en Allemagne, mes soirées filles avec Greta, mes heures de trajet aux USA. Ma mère avait pour habitude de tout imprimer. La remise des diplômes, tout ça quoi. Et puisque c'est vite décidé, j'enfile un t-shirt prônant "good music makes good life" puis un short et des baskets. Je suis prête en un quart de secondes. Pas de maquillage mais bon, je n'en mets pas souvent. Je prends sa main dans la mienne alors que l'on quitte l'appartement. " Je sais que mon séjour ici est temporaire mais ça te gène si j'en profite pour prendre deux/trois trucs pour ici ? " Que je demande rapidement. Je ne veux pas abuser mais bon… Ce que je veux prendre ne prendra pas trop de place. Mais je demande quand même. Je ne suis pas chez moi et je ne veux pas m'imposer…

Elle a toujours ma photo elle aussi et ça me fait beaucoup trop plaisir. C’est sur un ancien téléphone, donc elle doit pas la voir souvent, mais ça me fait plaisir quand même. Elle me parle d’un album sur l’Angleterre et je fais « non » de la tête.

« C’est prévu, mais j’ai pas encore pris le temps. »

C’est long à faire ces trucs là. Parce que je veux faire ça bien, évidemment. Il va falloir que je parte à la pêche des photos que Levi et Ariane ont prises. Même John, s’il a des perles de son côté. Je vais aussi mettre dix ans à choisir quelle photo mettre sur quelle page, avec quelle légende. Sans parler du fond de la page. Trop de choix à faire. Je vais passer au moins une journée entière à faire ça.

Ce sera donc un allé retour chez elle pour récupérer les albums le temps que les pizza arrivent. Parfait. J’adore quand on met le temps à profit comme ça. Deux choses en même temps. Elle propose très justement de passer prendre notre commande du coup. J’hoche la tête.

« Ouais bonne idée. Je vais les appeler pour leur dire. »

Pendant ce temps là elle va certainement terminer de s’habiller parce que oui, la voir en culotte à côté de moi ça me perturbe légèrement. J’aime trop cette image. Le coup de fil à la pizzeria est rapidement passé et voilà la fille de mes rêves qui est prête. Je souris à son tshirt.

« J’approuve. »

En chemin, main dans la main elle me demande si elle peut apporter des affaires à elle. Elle est adorable à demander la permission comme ça. Je pensais que c’était assez claire qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait chez moi.

« T’as même pas besoin de demander. Chez moi c’est chez toi. »

Et je me penche vers elle pour lui déposer un baiser sur le bout de son nez. Toutes les chances que j’ai de poser mes lèvres sur sa peau, je les prends. Ma main serre doucement la sienne. On arrive à ma voiture et on entre à l’intérieur, direction chez elle. Je connais la route même si je n’y suis pas allé tant de fois que ça. Je mets bien évidemment la musique en route et c’est le dernier album de Trophy Eyes qui joue. Je me perds un peu dans mes pensées et je lui sors un peu de nulle part. Mais pas tant que ça, c’est la suite de ce dont on parlait juste avant. Juste que j’ai cogité depuis.

« Si tu veux t’installer définitivement chez moi… Tu peux. »

JE M’EMBALLE. Mais ouais. Je suis heureux avec elle alors pourquoi pas ? Je ne peux pas m’imaginer que ça tournerai mal tous les deux. On est beaucoup trop bien ensemble. En plus ça diviserait les frais par deux, ce qui n’est pas négligeable.

« J’ai jamais vécu avec personne… Je sais pas si toi… »

Je me retiens bien de regarder Wendy alors que je conduis toujours aussi prudemment. Je reprends la parole rapidement, sans lui laisser le temps de parler.

« C’est peut être trop tôt. C’est peut être une bêtise mais… J’ai envie de faire toutes les bêtises du monde avec toi. »

WOW OKAY. Celle là elle m’est venu sans que je m’en rende compte. Mes joues rouges aussi sont arrivées sans que je le réalise.

Je souris légèrement quand il me dit que c'est prévu qu'il fasse un album pour l'Angleterre mais qu'il n'a pas pris le temps encore. Pour ce genre de choses, je ne suis pas patiente pour un sous mais ça m'intéresse beaucoup. Et j'adorerais le voir en plein processus créatif. Ce n'est pas pareil que lorsqu'il pourrait écrire une musique ou autre mais j'aime tellement son visage hyper concentré, sa main qu'il passe dans ses cheveux en se creusant la cervelle. Tout est pensé et réfléchi avec Kane, il ne prend pas ça par dessus la jambe, loin de là même. J'adore cette partie de lui, entre autre. Un cliché en menant à un autre et d'une idée à l'autre, nous voilà en direction de la voiture de Kane. Je profite de ce moment pour demander si je peux embarquer quelques unes de mes affaires aussi. Des objets auxquels je tiens. Il y en a pas des masses, mais quelques uns quand même. Je ne suis pas matérialiste mais j'aime bien avoir mes repères. Vivre chez Kane est un bonheur mais je suis chez lui. Et quand il me dit que chez lui c'est chez moi, je souris doucement. Doux baiser sur le nez et je rougis un peu. Je me sens idiote d'avoir demandé mais bon, je ne me voyais pas lui imposer mes affaires. C'est sensé être temporaire tout ça. Je suis sensée repartir chez moi à un moment. Mais je n'ai plus vraiment de chez moi. Certes, la maison est mienne maintenant mais je ne me vois pas vivre dedans. Plus maintenant du moins. J'y ai passé de bons moments, j'y ai de très bons souvenirs mais je ressens un pincement au coeur rien que d'y penser. Il y a un léger silence dans la voiture mais ce n'est pas gênant. Ça fait du bien et me permet de remettre un peu d'ordres dans mes idées. Ma tête dodeline doucement au rythme de la musique et quand il émet la possibilité d'emménager définitivement chez lui, je ne bouge plus. Oui, oui, oui ! Je n'ai jamais vécu avec personne non plus. Enfin, aucune de mes petites amies. En colocation oui, souvent mais sinon c'était avec ma mère ou rien. C'est particulier mais ça se passe si bien entre nous. On vit sous le même toit depuis quelques nombreuses semaines et tout va bien. Nos emplois du temps se croisent, ça nous permet de passer du temps ensemble mais aussi d'avoir notre liberté. Et je rougis quand il dit qu'il a envie de faire toutes les bêtises du monde avec moi. Il n'a pas idée à quel point je pense pareil que lui. " Ton frère risque de ne pas être franchement content de ne jamais revoir ses clés " Que je souffle en souriant doucement, tournant le visage vers lui. On est pas trop loin de la maison alors je me retiens pour poser ma main sur la sienne sur le levier de vitesse. Je me retiens de lui sauter au cou pour l'embrasser. " Ça fait deux mois que je squatte ton appart et que tout se passe bien… Je suis si bien avec toi... " Sachant qu'on s'entend bien alors non, ça ne sera pas une bêtise. La bêtise a été de dire que tout cela était temporaire. Qui a envie de passer deux mois avec celui qu'il aime pour reprendre une colocation et quand même passer la majeure partie de son temps chez son bien aimé ? Personne. J'aurais du chercher une colocation plus tôt, quelques jours après avoir emménagé, pas après deux mois. Maintenant j'ai mes repères et j'aime cet appartement, c'est clair et net. " Je voulais commencer à chercher une coloc' mais… j'ai très très envie de m'installer définitivement avec toi " Que je finis par annoncer alors qu'il entre dans la rue où j'habite. Enfin, habitais. Je n'ai aucune envie de le quitter, de me trouver un appartement où je n'y passerais que les nuits où il bosse. C'est ridicule. Et quand il est garé, je prends sa main dans la mienne et lui souris largement. " Qu'est-ce que j'ai fais au bon Dieu pour vivre autant d'émotions en une journée moi sérieusement ? " Que je lance avant de me pencher vers lui et de l'embrasser tendrement. Kane m'apporte tellement de paix et de bonheur, c'est complètement fou. J'ai déjà été amoureuse mais jamais à ce point, je dois bien l'avouer. Accepter d'emménager avec lui devrait me faire peur mais ce n'est pas le cas. Oh, je n'arrive pas à croire que c'est si simple, ça me semble si naturel. Si c'est ça l'amour alors l'amour est facile, c'est la chose la plus facile qui soit. Avec lui, tout semble si facile que c'en est déconcertant. "Une folie. Pas une bêtise… " Que je souffle avant de l'embrasser et de jeter un coup d'oeil sur la maison. " On va vite ? Je crois qu'il est là " Et j'ai très envie d'aller chercher nos pizzas et de retourner à notre "folie" maintenant, de passer du temps chez nous. Dieu que ça fait bizarre. Il y a des tas de choses à discuter, plus tard surement, mais l'étape une est de récupérer quelques-uns de mes objets personnels. Et les photos.

Elle pense direct à Austin et c’est vrai que c’est lui qui sera le plus embêté dans l’histoire. Elle ne le sait pas, mais j’ai filé un nouveau jeu de clé à mon frère. Je lui ai dit quels étaient ses créneaux pour pouvoir venir squatter tranquillement. Je sais pas pourquoi j’ose pas en parler à Wendy. En fait voilà que ça commence les complications de la vie à deux. C’est mon appartement avant tout et j’aime bien rendre service à mon frère. J’aurai aimé avoir cette option à son âge au lieu de trouver refuge dans l'annexe de la maison familiale d'un pote. En plus c'était super loin de la ville et l'ambiance champêtre ne m'excitait pas des masses. Mais quand on a 17 ans et qu'on veut faire l'amour avec sa copine, on prend tous les plans possible.

En vrai peut être que Wendy n’aurait rien contre cet arrangement de clés avec Austin mais... je préfère ne pas lui en parler. On verra plus tard. Je ne fais donc pas de commentaire sur Austin et les clés. Je souris à sa remarque sur sa vie chez moi, avec moi. On dirait qu’on est tout droit sorti d’un téléfilm de base de gamme avec des histoires d’amours. Vu tout ce qu’elle a dit je ne suis pas surpris quand elle confirme en tous mots qu’elle est d’accord pour s’installer avec moi. Mais cela dit, j’apprécie qu’elle le fasse de manière si claire. Pas de mauvaise communication possible. Tout est clair. Tout est dit. Enfin, sauf ce que je refuse de lui dire pour l’instant. Je tourne les yeux de la route pour lui offrir un très large sourire. Je suis heureux qu’elle soit contente de cette proposition. De cette nouvelle étape dans notre relation. Dans notre vie. C’est pas rien. Je crois que je commencerai à flipper et me dire que c’était une mauvaise idée dans les heures qui arrivent mais pour l’instant non. Je suis confiant à ce sujet.

« Alors on le fait. »

Et je vais poser ma main sur sa cuisse parce que ça fait trop longtemps que je ne l’ai pas touchée. Une fois garé elle parle de cette journée remplie d’émotions et ouais, c’est vrai que y’a du lourd pour elle. Elle m’embrasse doucement et je réponds à son baiser, appréciant chaque secondes. Quand on se détache, je vais remettre une mèche de ses cheveux derrière son oreille avant de prendre la parole.

« Ouais c’était peut être pas le meilleur timing pour faire cette proposition... Mais si en fait, ça aurait pas pu être mieux. »

Au moins qu’elle en ait un côté positif. Cette journée de novembre ne sera pas seulement synonyme de la mort de sa mère. Ça sera aussi le début de nous deux. Elle me reprend sur les termes que j’ai employé et j’aime sa rectification. Un baiser de plus et nous voilà en route pour l’intérieur de la maison. Mains dans la main.

C’est rapide. On entre, elle prend les albums, on repart. J’ai aperçu son père et je lui ai fait un signe de tête poli. J’essaie de sonder son regard quand même. Histoire de voir si le gars a besoin de soutient ou quoi dans ce moment de deuil. S’il cherche à faire la conversation, je lui répondrais avec plaisir. Histoire de lui changer les idées ou quoi.

On se retrouve dans la voiture, direction la pizzeria. Puis de nouveau mon studio. Quand je suis garé devant chez moi, je coupe le moteur et je regarde Wendy.

« Faudra qu’on aille manger chez mes parents. Quand tu veux. Quand on est dispo tous les deux. »

No shit Sherlock.

« Je me rends compte que j’ai rencontré tes parents mais toi non. Pas encore. Mais je comprends si t’as pas la tête à ça pour l’instant. Ça peut attendre. »

J’ai faillit ajouté « ils vont pas mourir » mais non. Pas délicat du tout. Je suis content de pas avoir laissé glisser ça.

« Et mon frère aussi. Enfin, il sera là. Parce que ouais je me suis dit qu’on pourrait aller manger chez mes parents tous ensemble. »

Je vais souvent chez mes parents pour manger. Elle le sait. Je l’ai déjà prévenu que j’allais là bas après ma garde tel ou tel jour. C’est bien simple, avant que Wendy n’habite chez moi, dès qu’il était autour de 19h, que j’étais chez moi et que j’avais pas envie de me faire à manger, j’allais chez eux. Quand j’étais plus jeune j’amenais même mon linge sale pour que ma mère me fasse des lessives au passage. Et elle est tellement gentille qu’elle me le faisait avec bon cœur.

On dirait vraiment un couple d'adolescent mais j'aime tellement cela. Je ne peux pas mentir. Avec Kane, je suis prête à tout. Il me soutient, il m'apporte énormément et je me sens réellement à ma place. C'est la première fois que je me sens comme ça réellement, que je suis prête à sauter sans élastique parce que je sais qu'il est là. Kane est mon filet de secours, ma happy et safe place. Alors on le fait. Et je ne peux qu'acquiescer et sourire à ces quelques mots. Ma vie change du tout au tout aujourd'hui et je m'en rappellerais à vie. Dans le positif comme le négatif. C'est une nouvelle vie qui commence pour moi aujourd'hui et je ne serai pas seule sur le chemin, ce qui n'est pas rien. Et c'est ainsi, main dans la main que je me sens prête à affronter mon père et tout ce qui va suivre. J'ai mon partenaire à mes côtés alors rien ne peut mal se passer, j'en suis désormais convaincue. Je me dirige vers la chambre de ma mère et sors les boites en plastiques pleines d'albums photos et de photos dans des enveloppes. Elle avait l'habitude d'imprimer ses photos n'importe où pour être sûre de ne pas les laisser mourir dans son téléphone ou sur un disque dur externe. Je file dans ma chambre et prends quelques habits, sentant une ombre derrière moi. Il s'agit de mon père et je prends quelques secondes pour le regarder. " Demain, 13h, à la brasserie au bout de la rue. J'ai pas envie de parler là " Que je lui souffle bien moins sèche que ce que j'avais pensé. Je me suis adoucie pour une seule et unique raison : la peine qu'on lit dans ses yeux et la même que la mienne. J'ai eu dix ans de plus avec elle mais ça, c'est sa faute alors il ne peut s'en prendre qu'à lui. Aussi triste que ça peut être, je ne craque pas. Sac sur le bras, bac dans les mains, je descends avec Kane et je ne parle pas avant qu'on arrive à son studio. Ça m'a quand même fait quelque chose de le voir comme ça. Plus que ce que je pensais. Et alors que cette journée pourrait aller de mal en pis, j'ai l'impression d'avoir été béni par les anges. " Vraiment ? " Je ne veux pas qu'il se sente obligé de me les présenter parce qu'il connaît les miens. Mais il a vraiment l'air de proposer ça naturellement. J'aime Kane au naturel. Cette spontanéité est une merveille, il n'y a pas à dire. " Non non… On peut faire ça quand tu veux. Une fois que j'aurais fais le gros pour ma mère… " Ma gorge se serre et j'inspire profondément. Ça va bien aller. Tout va bien se passer Wendy, tout va très bien se passer. " J'appellerai l'hôpital demain pour voir comment m'arranger avec eux et on avise ? " Que je souffle doucement en prenant sa main dans la mienne. Je ne sais pas trop à combien de jour j'ai droit pour gérer cette épreuve ni comment je vais me sentir demain et les jours suivants. Pour le moment, je me sens bien. J'ai mal au coeur mais j'ai l'impression que les deux mains de Kane sont dans ma poitrine pour maintenir cet organe vital en place et en un seul morceau. " Je connais pas tant ton frère que ça c'est vrai… " Que je souffle doucement. Je l'ai croisé rapidement quelques fois et puis, il y a eu ce jour de mi-novembre où… comment dire, j'avais l'image totale de la chose quoi. Dieu merci je n'ai rien vu de compromettant. Et je n'en avais pas parlé à Kane d'ailleurs. C'était le moment ou jamais. " D'ailleurs ton frère… Ça lui arrive souvent de passer à l'appartement quand on est pas là ? " Que je demande en sortant de la voiture, sac sur le dos, bac de photos dans les bras. " Y a une bonne semaine je pensais bosser et en fait c'était mon jour de repos et… quand je suis sortie de la douche bah… Il était à poil dans le lit avec une meuf en fait " Je ne suis pas capable de regarder Kane dans les yeux. " Elle était jolie, il fait ce qu'il veut le soucis est pas là mais du coup bah… Je voulais savoir " Que je demande en enfonçant ma clé dans la serrure. Parler, discuter me permettait de ne pas penser et ça, ce n'était pas de trop.