Bien évidemment on va s’occuper de tout ce qui concerne sa mère avant de prendre le temps pour les présentations. C’est pas urgent. Y’a tout le temps. Enfin, dans la logique des choses y’a le temps, mais on est pas à l’abris d’un accident du jour au lendemain. Wendy et moi sommes très bien placé pour savoir ça. Je toucherai discrètement mon bureau en bois pour « toucher du bois » quand on sera à l’intérieur pour que tout continue d’aller pour le mieux parmi les gens qui nous sont proches. Je ne le dis pas à haute voix parce que je me sens ridicule de faire ce geste, mais c’est un automatisme. Je suis superstitieux.

Wendy parle de contacter l’hôpital demain. J’hoche la tête.

« Si tu veux que je m’en occupe tu me dis… »

Je suis pas un expert dans le domaine mais je pense pouvoir me débrouiller si jamais c’est trop compliqué émotionnellement pour elle. Je veux pouvoir la soulager autant que je peux. Même si c’est faire des trucs pas évident comme ça. Je sais que je peux me débrouiller comme un grand. Nos mains liés, j’apprécie de la sentir venir à moi comme ça. Elle a l’air d’avoir autant besoin que moi qu’on soit en contact.

Elle parle de mon frère et la suite de sa réflexion me fait ouvrir de très grands yeux. Comment elle sait ça ? Merde. Est-ce que c’est un reproche ? Je suis dans la merde ? J’essaie de ne pas paniquer. J’essaie de faire en sorte qu’elle ne le remarque pas alors qu’on sort de la voiture. Zen Kane, calme toi. C’est ton appart’. Je vais aider à prendre les trucs à porter et je l’écoute parler d’une de ses journées y’a pas longtemps. Elle a croisé Austin avec une fille. J’évite de regarder Wendy alors qu’on commence à marcher vers mon immeuble. Elle veut donc savoir… Ok. Quoi dire ? La vérité sûrement.

« Je lui ai passé un nouveau jeu de clé et je lui ai dit quand l’appart’ est supposé être vide… »

Je me mordille la lèvre alors que j’appuie sur le bouton pour appeler l’ascenseur. Je sais que ma phrase n’est pas terminé, il faut vraiment que je continue sur ma lancée. Je n’ai pas envie qu’elle ait le temps de se faire de mauvaises conclusions. Mais vu mon teint spectral, elle va capter tout de suite que y'a un soucis. Je suis pas serein.

« Je t’en ai pas parlé parce que… »

Merde, parce que quoi ?

« Je sais pas, j’ai pas pensé… Enfin… Ouais… Ok j’avais peur que tu veuilles pas et… J’avais juste envie de redonner un peu d’intimité à mon frère. »

La vérité c’est toujours mieux. Les portes en ferraille s’ouvrent et on entre à l’intérieur.

« Ca te dérange ? Enfin… Oui bien sûr que ça t’a dérangé là, c’était pas prévu que tu sois là. »

Je réalise doucement qu’elle a vu mon frère nu et ça y est, je la regarde dans les yeux cette fois.

« T’as vu Austin à poil ? A poil à poil ? »

Parce qu’il y a des degrés « d’à poil » oui oui. Aussi oups, ma voix est un peu partie dans les aigües.

Il va y avoir beaucoup de choses à gérer dans ces prochaines soixante douze heures et même si je savais que ce moment allait arriver, je ne suis absolument pas prête. Qui est prêt à faire face au décès de son parent franchement ? Surtout avec la force avec laquelle elle se battait. " Merci " Que je souffle doucement à mon petit ami alors que la musique résonne dans l'habitacle. Il va falloir que je vois avec mon supérieur si je peux prendre quelques jours, les rattraper avant la fin de mon stage. Ça va être double dose de travail sur le plan professionnel et émotionnel. Mais Kane est à mes côtés et mon père sait désormais qu'on doit se voir pour tout mettre à plat. Même si j'ai envie de tout gérer toute seule, je sais que je ne le pourrais pas et il est la seule famille que j'ai à disposition. On a jamais été trop famille. Enfin, pas depuis que mes parents ont divorcé. Mes grands parents paternels seront surement très ravis de savoir qu'ils ont une petite fille et que leur belle fille est décédée. Enfin, je me concentre sur le chemin que l'on prend, sur les pizzas fumantes qui embaument la voiture de Kane et on se retrouve rapidement en direction de l'appartement. Notre appartement. Je l'écoute et je lance des petits coups d'oeil en direction de mon petit ami quand il s'explique. Il me ferait presque éclater de rire si mon moral n'était pas si bas. Il est beaucoup trop mignon et précieux. " Je m'en fous " Que je souffle doucement avant qu'il me pose la question fatidique, trouvant mon regard qu'il fuyait ces dernières secondes. " Oui, il était à poil, à poil mais j'ai rien vu. Juste un bout de fesses mais tu sais, avec les blouses de malades à l'hôpital, des fesses, j'en vois tous les jours " C'est juste pour dire que je m'en fiche complètement. Un cul c'est un cul. C'est qu'un peu de chair et voilà. Y a rien de bien sexy dans un cul. Et Kane me connait assez je pense pour savoir que mes yeux ont plutôt cherché à éviter cette confrontation. " J'ai plutôt cherché à m'habiller en fait parce que j'étais en sous-vêtements. Tu sais, l'ensemble rose clair… " Celui qui est carrément magnifique mais carrément transparent. Alors forcément, la nudité de son frère, ça m'intéressait pas. Et même en combinaison de ski, ça m'aurait pas intéressé. L'ascenseur arrive à destination et on en sort rapidement. Je le laisse ouvrir la porte de l'appartement et rebondis un peu sur tout ce qu'il m'a dit plus tôt. " Je m'en fiche, je comprends totalement. Je lui ai piqué ses clés et l'accès à l'intimité qu'il avait. Mais j'aurais bien voulu être au courant, pour éviter ce genre de choses " Ça ne m'avait pas gêné mais bon, c'est délicat quand même. Dieu merci qu'Austin et sa copine n'étaient pas déjà entrain de faire des trucs, parce que ça aurait été encore pire. " Tu lui en parles pas, j'ai pas envie que ça le mette mal à l'aise, d'accord ? " Il avait déjà du se sentir assez con comme ça quand il m'avait demandé son caleçon donc on ne va pas abuser non ? Je pose tout dans le petit salon et m'assois par terre. Je lui tends la main pour qu'il me rejoigne sur le sol. " T'inquiète pas, ce sont tes fesses les plus belles " Que je ris doucement avant de regarder tous ces cartons et boites autour de nous. J'abuse, il n'y en a pas tant que ça mais bon. " Es-tu prêt à entrer dans mon embarrassante adolescence ? " Que je demande en ouvrant un bac et sortant un tas de photos. Il y a de tout et ça fait presque flipper. J'ai le look avec mon palmier sur la tête. Oh. Mon. Dieu.

J’aurai dû la laisser parler avant de me lancer dans toutes ces explications douteuses parce qu’elle s’en fou en fait. Ouf. Tout va bien. Sauf le détail qu’elle a vu mon frère à poil qui m’horrifie sur le moment. Mais apparemment elle l’a juste vu à poil. Pas à complètement à poil. Un bout de fesse, je saurais survivre à ça. Elle compare ça à ses patient mais non. Là c’est mon frère. Et il était pas malade ou blessé comme un patient. Il était chaud pour coucher avec une fille apparemment. Techniquement, même moi j’ai jamais eu cette vue de mon frère. Quand je l’ai surpris il était avec un mec. Ca change tout. Non ok ça change absolument rien, je suis juste curieux sur l’identité de cette fille. J’oublie bien vite le détail du bout de fesse d’Austin quand je réalise que Wendy était en sous vêtements à ce moment là. L’horreur se lit sur mon visage. L’ensemble rose clair. Non. Pas celui là. Tout sauf l’ensemble rose clair !!

« Putain je vais le tuer. »

Pas vrai du tout. Mais c’est ma première impulsion et j’ai conscience après coup que je passe pour un idiot. J’ouvre l’appart’ essayant d’oublier que Austin a pu voir le corps de MA WENDY. Elle essaie de me raisonner en répétant que tout ça n’a pas d’importance pour elle. J’hoche la tête quand elle dit qu’elle aurait voulu savoir.

« Désolé ouais… J’aurai dû t’en parler. »

J’ai encore peur d’être complètement ouvert avec elle. Je veux pas qu’on se dispute pour des broutilles alors je préfère les cacher. Pas la meilleure chose à faire. Elle demande à ce que j’en parle pas à Austin et je fronce un peu le nez. Ouais bon c’est vrai qu’il a dû être bien mal à l’aise lui aussi dans l’affaire.

« Mouais… »

Mais ouais, je ne dirai rien. Je la regarde s’asseoir par terre et elle en remet une couche sur les fesses de mon frère mais en couvrant les miennes de compliment. Ca m’arrache un sourire et me détend d’un coup. Pas que j’avais peur de la compétition avec mon frère mais j’aime qu’elle dise ce genre de truc sur moi. Je me joins à elle par terre après avoir mis une de mes playlist de chansons douces sur mon ordi pour avoir un bonne musique de fond. Et c’est parti pour se plonger dans les souvenirs et merveilleuses photos de Wendy et son enfance, sa famille, toute sa vie avant moi.

Wendy se couche relativement tôt ce soir là. Je la suis dans le lit pour ne pas la laisser seule. Je me dis que des bras autour d’elle l’aideront sûrement à passer un moins pire moment. Je la regarde sans rien dire parce que je sais qu’elle est dans ses pensées. Je caresse sa joue, ses cheveux et… je suis le pire boyfriend parce que je m’endors.

Je dédramatise pas mal la situation parce que je sais qu'il y a pire dans la vie et que ce n'est pas bien grave. Austin m'a vu en sous-vêtements, ça sera plus étrange pour lui et moi la prochaine fois que l'on se verra qu'autre chose. J'ai essayé d'être très cool à ce propos, de ne pas péter de plomb ou paniquer parce que le plus jeune des Williamson me voyait dans une tenue montrant terriblement mon corps. Et puis, ça aurait pu être pire. J'aurais pu être entrain de faire ma petite affaire dans le lit avec les jouets offerts par le duo diabolique Ariane-Levi. Là ça aurait été pire que tout. On avait échappé à un fiasco digne de ce nom. Relativiser, c'est la clé du succès. Et c'est ce que j'essayais de faire à ce sujet. " Maintenant je sais. Et si jamais un jour je me trompe d'horaires à nouveau, je lui enverrais un message avant de rentrer " C'était un peu le comble mais ça ne me gênait pas. Moi aussi j'ai squatté chez des copines pour faire ma petite affaire avec mes ex copines alors franchement, ça serait mal venue de critiquer et de juger. Je l'attire près de moi et embrasse sa joue avant de walk down memorie lane. Il y a des clichés vraiment très embarrassants de ma petite personne mais je fais avec. C'est des tas de souvenirs que je me prends en pleine face et ça fait autant de bien que de mal. Ma majorité. Nos voyages au quatre coins du monde. Je l'aime et elle va me manquer, terriblement. La journée passe. Je prends le temps d'appeler l'hôpital et ma supérieure m'informe que chacun de mes collègues m'a donné une journée ou une demi-journée pour que je sois tranquille une semaine. Et bien entendu, quand j'apprends cela, j'éclate en sanglots dans les bras de Kane. Inconsolable. Voilà ce que je suis. Je m'endors sur son épaule devant un film que j'avais choisi - pauvre Kane - et me réveille en sursaut. Je suis déglinguée, c'est définitif.

Et alors que la nuit arrive, je pars m'installer au lit. Je n'ai pas envie de rester debout, je n'en vois absolument pas l'intérêt. Kane me rejoins rapidement et je m'en veux de lui imposer tout ça. Mais quand il passe ses bras autour de moi, je me sens mieux. Quelques secondes, lui et moi. Rien autour, rien dans ma tête. Je ferme les yeux et le résumé de cette journée me revient. La fin d'une garde qui se voulait plutôt calme. L'appel du service de ma mère qui annonce la nouvelle à la cheffe de service. Tout me revient. Et ça fait si mal. Putain que ça me crève le coeur ! Je ne bouge pas dans le lit et les larmes s'écrasent contre l'oreiller blanc. Je tends la main pour attraper des mouchoirs dans ma table de nuit et m'extirpe doucement des bras rassurants de Kane pour aller chercher un cliché de ma mère et moi. Je le pose contre la lampe de mon côté et me glisse à nouveau sous les draps. J'embrasse la joue de Kane, paisiblement endormi, de mes lèvres trempées de larmes et je tente de m'endormir. Morphée finit par avoir raison de moi. Une heure ou deux de sommeil et voilà que je me réveille, un léger sourire sur le visage, sentant les bras de Kane autour de moi. Mais c'est avant que tout me revienne. Il aura fallu d'une seconde pour que mon sourire disparaisse et que la tristesse reprenne possession de mon corps et de mon coeur. Le premier d'une longue série de réveils difficiles où mon sourire disparait en un claquement de doigts. Je n'ai pas envie de faire sans ma mère. Mais je n'ai pas le choix. Et alors que les larmes coulent à nouveau le long de mes joues, je sers les bras de Kane autour de moi. Ma bouée, la lumière de mon sombre tunnel. Et ça m'évite de trop sangloter aussi, je dois bien l'avouer.