C’était prévisible. Lui faire part d’une certaine habitude à être nue dans mon propre bureau ne pouvait pas obtenir une autre réaction que l’incrédulité. Ce pendant, c’est ainsi. La gentille Madame Kruger n’est pas à sa première tentative de « survie », même si Elle n’en prends que conscience présentement. Elle a déjà goûtée à cette adrénaline de l’interdit. Elle a déjà commencé à s’en doper pour oublier le temps d’un instant le circuit mortellement ennuyeux. Et Elle ne l’a certainement pas fait par le biais de vibromasseurs cachés dans son lieu de travail, comme le suggère Joseph sans aucune gêne. Non. Elle l’a fait avec la complicité de l’un des meilleurs dealeurs d’adrénalines qu’elle a été amenée à côtoyer : son très estimé Liam Weiss.
_ Tu n’y es pas du tout, Joseph. Je le corrige en éprouvant à nouveau cette gêne dont je me croyais pourtant débarrassée. _ J’ai… Il se trouve que j’ai déjà trompé mon époux à plusieurs reprises avec un autre homme. Je marque une pause. _ Et que c’est lui qui venait à mon cabinet.
Je n’entre pas dans les détails des raisons principales encourageant la venue de cet homme, qui n’était pas à des fins purement sexuels. Non. Au contraire. Il est préférable que Joseph le croie, ne serait-ce que pour m’éviter de perdre mon droit d’exercer définitivement. Quand j’y pense : ce serait une catastrophe. Je serai démunie de ma principale raison de vivre. C’est affreux. Et cela l’est d’autant plus d’en parler en ces termes. Mais qu’importe. Passons. Le sujet n’a pas sa place en cet instant, et j’ose espérer que le problème se résoudra si par miracle Joseph peut m’aider. Du moins, s’il parvient à ce concentrer sur la « thérapie ». Ce qui semble bien difficile avec un homme qui a voulu en premier lieu vous glisser dans son lit. Joseph m’informe qu’il ne souhaite m’offrir ni thérapie, ni leçons précises. J’hausse les sourcils d’étonnement. Que veut-il alors si ce n’est rien m’apprendre ? Tout simplement m’offrir le luxe de tirer ce que je désire de ce qu’il me montrera. D’accord. C’est un peu déstabilisant mais je ne désapprouve pas la méthode, en dehors de ma tenue. Surtout qu’il s’avère qu’il cerne bien le but d’une thérapie. La finalité d’une séance n’est pas d’imposer des idées à un patient, mais bien de les lui suggérer, pour qu’il chemine lui-même vers le bien-être. J’applaudis mentalement ces débuts de psychologue. Pour sa partie raisonnement, entons-nous bien. Je n’adhère absolument pas à l’exercice consistant à mettre réellement à nu les patients. Joseph se lève aussitôt pour rejoindre mon ordinateur. Quelle idée a-t-il encore en tête… Je songe, intriguée. Impossible de le prédire. Peut-être parce la psychologue a décidé de fuir la séance. Ah moins que cela ne soit uniquement parce que j’ai acceptée de lâcher les commandes, au choix. Mais dans un cas comme dans l’autre, cela ne répond pas à ma question. Il examine l’ordinateur avec attention, double clique sur la sourie, puis saisie quelque chose sur le clavier. Je fronce les sourcils. Je suis inquiète qu’il puisse aller jeter un œil sur le dossier confidentiel d’autres patients ; qui serait une faute grave de plus à mon erreur passée. Il me souligne que cela a changé, avant de souligner que j’écoutais du Queen en voiture à notre rencontre. C’est très juste. Néanmoins, je ne comprends toujours pas en quoi cette information nécessite qu’il utilise mon outil de travail. Quant à son sourire, il ne me dit rien qui vaille. Soudainement, les premières notes de l’une de mes chansons préférées résonnent dans la pièce. D’accord. Il est sur YouTube ou une plateforme de musique. L’honneur est sauf. Mais pas la gêne qui s’impose violement à tout mon être lorsque je présage ce qu’il va me demander. Non… Non… Je ne chanterais pas du Queen à m’en briser les cordes vocales je… Je regarde la main qu’il me tend, hébété. Oh non non non non non. Il est hors de question que je danse. Je lui jette un regard presque implorant de m’épargner quelque chose d’excessivement gênant. Danser, je n’y ai rien contre d’ordinaire mais là… Là il s’agit tout de même de danser à moitié nue devant lui et… Seigneur. J’en viens à regretter que nous n’ayons pas couchés ensemble. Je me serais sentie bien moins pudique en cet instant. Quant à l’humiliation qu’il argumente pour me convaincre de le rejoindre, je la trouve particulièrement ironique. C’est moi qui va danser les seins nues, pas lui. Je soupire d’exaspération avant de me saisir de sa main, pendant que l’autre bras continue de cacher ma poitrine péniblement.
_ J’ai presque envie de te dire que je te déteste. Je l’informe en me mettant debout pour à peine me trémousser, pitoyablement. Nous sommes ridicules. _ Me faire danser dans cette tenue ne va pas me convaincre de me lâcher, Joseph. Je poursuis, sans que mon ton soit pour autant agressif. _ Si encore nous avions couchés ensemble, je ne dis pas : je n’aurais plus eu cette pudeur envahissante pour m'en empêcher. Je pense à haute-voix. _ Mais là il s’avère que ce n’est pas le cas et jamais je n’arriverai à lâcher prise.
Autant être honnête. Il va falloir qu’il trouve autre chose, et si possible moins gênant que cela ne l’est actuellement.
Quelque chose change chez Joseph, à ma confession. L’étincelle qui brillait dans ses yeux l’instant d’avant, disparaît totalement pour assombrir ses prunelles. C’est étrange. C’est comme si ce que je venais de lui avouer le touchait personnellement. Je ne comprends pas. Il n’est pas mon mari, il ne devrait pas ressentir une forme d’amertume de me découvrir volage. Pourquoi est-ce le sentiment qu’il me laisse entrevoir ? Je réfléchis brièvement quand la réponse m’apparaît presque aussitôt. Terriblement évidente, d’ailleurs. Je l’ai éconduit à notre rencontre là où je me suis laissé aller avec mon amant. Bon sang Je soupire. Je n’ose imaginer les pensées qui le rendent partiellement absent, tout d’un coup. Je n’ose pas le faire car je suppose - peut-être à tort - que la conclusion de tout ceci amplifiera mes remords de l’avoir laissé, ce soir-là. J’en suis bien évidemment désolé, sincèrement. Seulement, je ne peux rien faire pour changer les dégâts occasionnés chez lui. Je n’osais même croire que j’ai pu bouleversée sa vie réellement avant aujourd’hui. Comment aurais-je pu le faire, d’ailleurs ? Nous nous connaissions à peine ! Ce qui est toujours le cas, même s’il entrevoit une femme qui semble le décevoir. J’entrevois un besoin de me fuir lorsqu’il rejoint mon ordinateur, et à raison. Il met la musique pour m’inviter à danser, mais est-ce réellement pour m’aider à me sortir de mon carcan routinier ? J’en doute. Mais peut-être me fourvoie-je complètement ? Il semble sincèrement préoccupé par ma situation et, finalement, je regrette de lui avoir formulé une presque envie de lui dire que je le déteste. Pas parce qu’il me confie y être habitué ; parce qu’il ne mérite pas d’être détesté. Fait que je m’abstiens de souligner, estimant que le moment n’est pas adéquat. Je le laisse d’ailleurs me faire danser sans mettre l’entrain qu’il attend. A mes réflexions, Joseph m’autorise à remettre mon chemisier si je le souhaite, m’affirmant que je l’ai déjà impressionnée de l’avoir retiré sans protestation. Vraiment ? Je suis sincèrement touchée. Je n’imaginais pas être en mesure de l’impressionner. Mais toutefois pas au point d’être à l’aise avec l’idée de danser à moitié nue, tel qu’il le souhaiterait. Et tant pis pour moi si mon inhibition n’as pas été mise à mal par une aventure sexuelle entre nous. Monsieur s’en moque bien. Et il ne se prive pas de me le laisser entendre par une attitude plus parlante que des mots. Je ris quelque peu avec amusement. Un vrai gamin. Je profite qu’il danse seul, dos à moi, pour revêtir mon chemisier. Je n’ai pas l’intention de danser, même vêtue. De plus il m’apparaît évident que cette danse est plus utile à Joseph qu’à moi-même. Elle lui permet de se défouler, sans plus réfléchir à ce qui l’entoure. Un loisir que je lui laisse jusqu’au terme de la chanson. Soudainement, l’attitude de Joseph devient plus préoccupante. Il s’appuie contre mon bureau en jurant. Il n’a pas l’air bien.
_ Joseph ? Je l’interpelle aussitôt, la voix étreinte par l’inquiétude. _ Que se passe-t-il ?
Il doit s’asseoir, a ce qu’il dit. Je ne suis pas convaincu. Il n’a visiblement pas mangé depuis longtemps. J’en veux pour preuve sa maigreur, plus importante que dans mon souvenir. Je tente de le rejoindre pour l’aider à regagner le canapé, mais trop tard, Joseph s’effondre lourdement au sol sous mon regard horrifié. J’hurle son prénom en accourant prés de lui. Il est bouillant, et son cœur bat à vive allure. Je tapote ces joues pour le ramener à lui, sans succès.
_ TESSA !! J’hurle sans plus attendre. Elle me rejoint presque immédiatement. _ Appelez une ambulance. Vite ! _ Oui docteur. _ Joseph. Joseph. Reveille-toi je t’en supplie.
J’attends les secours prés de lui, terriblement inquiète. Lorsqu’ils arrivent, je me décale pour leur laisser le libre accès. L’un d’eux me pose de nombreuses questions. Je réponds au mieux qu’il m’est possible. Je ne sais pas grand-chose de Joseph, si ce n’est qu’il est un sans domicile qui se drogue à l’occasion. Je ne précise pas cette dernière information, toutefois. Le verdict tombe : sous-nutrition. Ils décident de l’emmener à l’hôpital. J’accepte de les y accompagner, où j’attends en salle d’attente de ses nouvelles. Je prie pour qu’il aille vite mieux, me promettant de le sortir de sa pauvreté. Je ne l’abandonnerai plus jamais. Jamais.