Déjà à même le stationnement je me doute que la soirée bat son plein à l’intérieur. Les conversations bourdonnent, les silhouettes désarticulées se tiennent les unes aux autres à sortir de l’établissement, les rires fusent, ça sent la bière jusque sur le trottoir. Mon portable dans la poche arrière de mon jeans, j’y pense à quelques fois de filmer les plus embués qui font la file dans l’attente du prochain taxi, persuadée qu’il y a de l’argent à faire avec eux et leur crainte d’être honteusement dévoilés sous leur pire jour sur internet. Mais j’ai pas tout à fait le temps de dégainer mon arme pré-blackmail que je remarque dans l’angle la raison qui m’a fait quitter l’appart à pas d’heures pour conduire jusqu’à Logan City et venir à la rescousse d’un type encore plus imbibé que tous les autres. « Hey, sailor. » je doute qu’il m’ait vue entrer dans le bar, je doute qu’il voit quoi que ce soit, avec l’air qu’il tire, la gueule en diagonale, les yeux brumeux. Son cousin derrière le bar est hilare, probablement parce qu’il a autant bu si ce n’est plus que Levi. Mais c’est qu’il a l’air d’avoir de grands projets à voir la nana qui rôde autour de lui, sur qui il arrête pas de lorgner. Une brunette que je suis sûre d’avoir déjà vue à quelque part sans mettre le doigt dessus, et à l’entendre envoyer pique par-dessus pique vers le McGrath, je confirme qu’elle et moi on s’entendrait parfaitement bien. « Apparemment, tu joues à l’adolescente qui se découvre une passion pour les cuites pas contrôlées, c’est ça? Ou tu pratiques tes talents de funambule à essayer de tenir en équilibre sur un fil invisible qui pue la vieille vodka cheap? » m’installant sur le banc à la droite de l’anglais, je prends le temps d’étirer le bras, de gober l’une des dernières gorgées restantes dans son verre, grimaçant de surprise avant d’en reprendre une autre pour la peine de finir le truc. J’attends pas vraiment de réponse de Levi avant de décréter qu’on se tire, passant de force et sans aucune douceur préméditée son bras autour de mes épaules, le soulevant de son siège dans un grognement plus proche d’un soupir que d’un râle.
Oh Ariane, t’aurais pu rester chez toi à écouter la finale de Masterchef Australia avant de profiter d’une nuit complète à avoir le grand lit, l’immense pieu rien qu’à toi ce soir. Qu’est-ce que tu fiches ici? Il titube, je force, il grogne, je renchéris. À un moment je pense que sa hanche pousse violemment une des tables sur notre chemin, les connes immobiles qui ne sont pas foutu de bouger, je regarde à peine s’il en souffre, garde mes iris vissés sur la porte devant nous, pas prête de lâcher sa carcasse de sitôt non plus. À croire que le destin se moquait de lui, que son cousin ait téléphoné à la seule personne dans son bottin de contacts qui aurait facilement pu refuser de jouer les sauveurs rien que parce qu’elle a envie de faire chier la populace, les odds étaient hautes. Pourtant, la seconde d’après, je l’aide à s’installer sur le siège passager de ma voiture, repasse du côté conducteur l’instant suivant. « Tu gerbes, j’te le fais bouffer. » restons tout de même accueillant, la radio que je laisse jouer en suspens le temps de démarrer le moteur. Mes prunelles se vissent directement au cadran affichant l’heure, y’a un soupir qui glisse de mes lèvres pendant que Levi est probablement en train de prévoir me ronfler en pleine tronche durant tout le trajet. Il reste à peine 10 heures, Ariane. 10 heures avant que j’aille prendre un café avec lui, avec mon père et ses bonnes intentions qui sonnent comme foutaises à mes oreilles, avant que je baisse les armes comme une bonne petite fille bien élevée, et que je daigne accorder mon attention pour une poignée de minutes tout au plus à celui qui voudrait que je l'appelle papa. Le décompte qui sonne comme une marche funèbre, qui m’empêche de dormir, d’écrire, de faire quoi que ce soit d’autre qu'apparemment voler au secours de la veuve et de l’ivrogne. « Attaches-toi, j’irai pas doucement dans les courbes. » et malgré mon avertissement, je m’étire tout de même pour passer la ceinture sur son corps relâché, visage reluisant, expression au ralenti.
Tu n’arrêtes pas de glisser du tabouret du bar, si bien que tu conseilles aimablement à ton cousin d’investir dans des sièges plus sécuritaires plutôt que de se la jouer “rustique” avec des bouts de bois alignés jouissant du seul dessein de supporter des fesses le temps que leur propriétaire avale une boisson. “Matti, faut que t'achètes des sièges plus creux. Concaves genre.” Ils ne sont même pas confortables, bien que tu ne ressens plus rien du tout physiquement. L’alcool traverse ta trachée saisie par les quantités de liquide que tu as avalées sans scrupule. Le plus drôle ? Tu ne te souviens même pas avoir sorti ton porte-feuille ce soir. Tu espère d’ailleurs qu’il repose encore sagement dans l’une de tes poches parce que tu as la flemme de vérifier. Il a déjà fallu que Matt joue au douanier vorace pour t’extirper ton téléphone portable quelques minutes plus tôt.
Il y a de nombreux avantages à être un McGrath, aussi étonnant cela puisse paraître. Les gens considèrent les McGrath comme des énergumènes dégénérés, des gens brisés, des êtres détraqués, des pantins désarticulés. Il y a toujours un gros souci dans chaque individu de la famille, une donnée qui fait tout disjoncter. Pourtant, il te semble que ta génération attire la sympathie. Jillian peut charmer n’importe quel homme en un clin d’oeil, Matt reçoit bien plus de verres qu’il n’en paye et Ginny a ce pouvoir de faire tomber les gens amoureux d’elle dans toute sa maladresse. “Hé, Matt. Tu sais à quoi elle me fait penser, Virginia ? A la citation avec la chaise-là. “Je tombe amoureux comme je tombe d’une chaise”” Ton interlocuteur t’offre un regard naviguant entre le confus et le vitreux. “Elle est maladroite et y’a plein de mecs qui tombent amoureux d’elle hardcore.” Tu reconnais que tu te contredis dans tes propres paroles mais tu t’en fiches. Ce soir, tu dis absolument tout ce qui te passe par la tête, sans filtre. Ça ne change presque pas de l’habitude, sauf que tu dis, tu penses, plus d’âneries qu’à la normale dans ces circonstances atténuantes.
« Apparemment, tu joues à l’adolescente qui se découvre une passion pour les cuites pas contrôlées, c’est ça? » Tu cilles plusieurs fois, véritable clignotant s’axant vers la réalité. Tu fronces les sourcils, essayant de faire du sens, de reconnaître Ariane derrière le voile de ta vue inhibée par l’alcool. Finalement, tu t’exclames, une fois ses traits plus clairs : “Woohoo !” Tu lui en veux pas qu’elle finisse ton verre, tu calcules à peine ses grimaces. Quand elle glisse ton bras derrière ses fines épaules, tu répètes : “Woohoo !” et agites la main en l’air dans quelques mouvements de danse rétro. Puis, tu te prends plusieurs meubles, titubes, grognes.
Elle ouvre la portière de sa voiture et tu t’affales mollement sur le siège du passager. Non sans difficulté, tu hisses tes jambes à l’intérieur du véhicule et entends la parisienne de naissance te menacer de manger l’éventuel vomi que tu disperserais dans précieux son moyen de transport. Tu ris en t’imaginant la scène et poses ta tête contre le dossier du siège, celle-ci tournant de manière étourdissante. Tu essaies de stabiliser ton estomac par la force de ta pensée, tu t’imagines que son contenu est tel les mixtures des chaudrons magiques des sorcières dans les dessins animés de ton enfance : visqueux, vert lime, faisant de grosses bulles qui éclatent et recouvrent les parois des murs - ici ton organe. Tu as un petit haut-le-cœur quand Ariane appuie sur ton ventre afin de t’attacher mais rien d’incontrôlable. Tu ris en pensant au shampooing que ça lui aurait offert.
“Les courbes… T’aimes bien les courbes, toi ?” Tu questionnes, sourcils si froncés que t’en as les yeux mi-clos. “T’es comme Kane, à bien aimer les courbes ?” Un nouveau rire file entre tes lèvres. “Est-ce que vous avez rougi tous les deux en même temps en voyant vos courbes ?” Ton plaisir aspire au tonitruant puis s’arrête derechef alors que tu poses ta tête contre la vitre fraîche de la voiture. La radio emplit quelques secondes l’espace de la voiture. “On va où ? On va à une autre fête ?”
Je capte le regard en coin de son cousin à la seconde où le corps amorti de Levi s’échoue sur mes épaules trop orgueilleuses pour pas le retenir dans son élan. « T’es ok pour le ramener? » il a presque l’air de s’en faire le barman, malgré les bras de sa concubine qui sont un peu trop entreprenants pour pallier si je lui réponds par la négative. Bah ouais mon grand, vas-y, demande-moi si j’ai tout en contrôle, si j’ai besoin d’aide, offre ton support même si on sait tous les deux que tu fais que ça pour te donner bonne conscience, et qu’à la seconde où on sera sortis du bar tu retourneras à ta petite vie à roucouler dans les oreilles de ta chica sans plus penser à Leviboy et à son potentiel vomi sur mes baskets. Charmant. « T’es ok si je le laisse dans une benne à ordures en face du bar? » que je rétorque, passant devant Matt en battant des cils, usant du même ton que lui avant d’entraîner son mollusque de cousin vers une bouffée d’air extérieur. S’il flippe et se demande ce que j’ai fait de Levi au moins une fois cette nuit, si je bousille son coup suffisamment pour rester immiscée dans son esprit le temps qu’il s’interroge à savoir si je blaguais ou pas du tout, y’aura au moins une justice dans ce monde, un peu de bon dans cette soirée. L’anglais infusé à outrance se laisse choir sur le siège passager de ma voiture, ses rires niais que j’entends en échos une fois installée derrière le volant, incapable de retenir le sourire en coin qui se dessine sur mes lèvres lorsqu’il se met à baratiner des conneries de sa voix pâteuse, une tonalité au-dessus de celle qu’il arbore habituellement. « Pas moyen de te dire, tu sais aussi bien que moi que Kane fait ça les lumières fermées. » et j’ai presque l’impression que le Williamson va se réveiller en panique dans ses draps de coton rose bouton dans la seconde, sachant qu’on parle de lui, ses joues colorées carmin spécialement pour l’occasion. Oh, petite nature.
Levi s’enquiert de mes plans une fois le moteur enclenché, la voiture qui s’engage sur la chaussée. Apparemment, il a l’alcool heureux ce soir ce dont je ne me plains pas, ça brouille assez facilement du noir dans ma tête pour que je ne laisse pas son air stupide et ses babillements de gamin me distraire un temps. « Ouais, ouais. Un truc de fou. » que je rétorque, évasive, jouant d’une main distraite sur les commandes de la radio pour trouver quelque chose autre que du techno de club branché comme trame de fond. « Ferme tes yeux, compte jusqu’à 1000 en attendant qu’on arrive. » satisfaite avec la station indie du coin qui s’en donne à coeur joie avec les compositions douteuses une fois la nuit tombée, mon plaisir se décuple de voir que Levi s’est laissé aller, laissé guider par les guitares et les voix mélancoliques, et que sa tête s’est creusé un nid de confort dans l'accoudoir. Il est endormi, il ronfle presque, je jure que j’aperçois de la bave commencer à couler sur son menton. Ou alors, c’est le reflet de la lune à travers la fenêtre de ma bagnole, je pourrais pas dire. L’important, c’est qu’il ait pas conscience, qu’il voit pas la sortie vers Bayside que j’ignore, la rampe que je continue de suivre au fil des panneaux de signalisation, des lampadaires illuminés. L’autoroute est presque vide à cette heure, je m’en plains pas, gardant le focus sur les lignes s’alternant au fil du bitume, sur tout sauf la panique, la lâcheté, le mauvais feeling qui naît de plus en plus en moi au fur et à mesure des kilomètres qui me séparent du point de rendez-vous où mon père voulait qu’on se voit, demain. Trente minutes passent, une heure, peut-être deux. Il s’est pas assoupi assez longtemps pour que je puisse profiter d’un long moment de calme, mais suffisamment pour que je sorte de la ville, aboutisse à Gold Coast, arrête à une station service en bord de route, stationne le véhicule face à l’une des plages de la côte. Quand il se réveille, j’ai rien à dire, rien d’autre que « Y’a du café et de la bière, au cas où tu veuilles te remettre de ta cuite, ou la poursuivre. » qui donne le ton. Attrapant une des bouteilles dans le pack qui traîne sur le siège arrière, je sors dehors, finit par aboutir à même le capot où je m’assoie tranquillement, en silence. Au loin, droit devant, on entend les vagues, même si on les voit à peine.
Échoué sur le siège passager du véhicule pimpant d’Ariane, tu extrapoles sur les courbes auxquelles tu penses. Ton rire remplit l’habitacle, ta main surplombe ton estomac qui menace à chaque instant de rejeter violemment son contenu alcoolisé. Tu avales à quelques reprises ta bile et répètes mollement : « les lumières fermées... » comme si tu espérais en décrypter un mystère, un pan de la civilisation inconnu des plus grands anthropologues, un algorithme menant insatiablement à toutes jouissances. Tu fermes les yeux, échappes un rire sans raison. « Pourquoi tu fais tant tout le temps c’que Kane veut ? » Tu finis par questionner, les yeux mi-clos, le verbe lent. « T’es pas du genre à vouloir les lumières fermées, si ? » Tu soupçonnes, lui lançant un regard inquisiteur pour souligner ton doute.
Un large sourire s’installe de nouveau sur tes lippes et tu poses ta tête lourde contre la vitre fraîche. Enthousiaste, tu questionner la conductrice sur votre prochaine destination et commentes d’un énième « Woohoo » sa terne promesse d’un endroit “fou”. Un hoquet s’invite en toi, la radio vrille entre les chaînes, tu tapotes ta cuisse au tempo des différentes bribes de chansons. « Ferme tes yeux, compte jusqu’à 1000 en attendant qu’on arrive. » « Ouuuuuuh… Hic » Tu réagis à ta manière devant cette invitation au défi ou au jeu à ton sens. « J’peux compter hic à partir de 1000 ? Hic C’est plus hic drôle. » Mais plutôt que compter, tu commences à interpréter du Danzig par-dessus la chaîne folk, hochant la tête comme si tu te croyais dans un concert rock : « 1000 devils reign up from the western shores. Hic 1000 seasons smile upon the bleeding horns… Hic » Et telle une machine dont les piles tombent à plat, ton rythme ralentit avant de se stopper complètement, égarant un hoquet ici et là, tes yeux clos, ta tête affalée sur le siège, ton entité épris par le sommeil. « Ones that you are…Hic 1000 devils reign...Hic ».
Tu plisses les yeux une période de temps indéterminée plus tard. Tu cilles, peines à ouvrir totalement tes paupières qui te semblent peser des tonnes. Mais le plus lourd demeure ta vessie qui beugle sans merci son besoin d’être vidée. « Y’a du café et de la bière, au cas où tu veuilles te remettre de ta cuite, ou la poursuivre. » Tu orientes ta tête vers l’origine des paroles provenant d’une voix plus que familière. T’inspires profondément, rameutes quelques souvenirs t’expliquant la situation, te hisses non sans peine du siège et vacilles quelques pas sur tes jambes engourdies avant d’annoncer, remarquant la présence d’une station-essence à une poignée de mètres. « J’vais pisser, j’reviens. » Tu pénètres le dépanneur, glisses à l’arrière pour soulager ton organisme de ce que tu penses être des litres de consommations. Tu t’acharnes sur le distributeur à savon d’une couleur suspecte, laves soigneusement tes mains, passes de l’eau sur ton visage, rejettes tes cheveux en arrière. Devant l’air courroucé du vendeur et avant de recevoir la moindre réprimande, tu attrapes un paquet de chips sel et vinaigre que tu règles avec une multitude de pièces rouillées.
Tu ressors l’esprit légèrement moins embrumé. L’air salin te chatouille les narines, te revigore, et tu prends place sur le capot. Tu ouvres ton paquet de chips, te verses un café, admires le flux et reflux des vagues pendant quelques minutes. « T’es à la bière ou au café ? » Tu demandes, devinant que sa réponse t’expliquera davantage la raison pour laquelle vous vous trouvez ainsi. T’es même pas sûr de votre localisation exacte, bien que tu ne t’en soucies absolument pas.
L’éternel questionnement qui remonte, et Levi le volubile une fois son système imbibé à l’alcool gratuit offert par les bons soins des seules bribes de sa famille que je connaisse. Il se tortille et il jacasse et il s’exclame, j’éclate de rire en accordant mon attention à lui et uniquement à lui. C’est presque de la musique à mes oreilles de l’entendre déblatérer avec sa voix approximative, quand dans ma propre tête tout va trop vite, tout fait relativement trop mal pour que je l’assume. Alors, je mets l’accent sur la musique, sur ses conneries, je pense qu’à ça, je le laisse prendre toute la place et dans l’habitacle et dans mes pensées. « Parce que ça a toujours été comme ça. » à l’éternelle question sur toutes les lèvres, à savoir pourquoi Kane avait un traitement de faveur de ma part et le moindrement moins d’insultes, de soupirs et de claques que quiconque me côtoyait au quotidien, venait la réponse totalement rhétorique et assumée. Beaucoup de layers ici, à commencer par le fait que Kane avait gagné ma confiance quand tous les autres hommes de ma vie s’étaient tirés à différents moments, étaient tous partis, sans autre justification qu’ils se barraient, tout court. Kane était toujours resté, Kane était fidèle, Kane avait mon respect - et accessoirement, il recevait toujours des vannes un peu moins bitchy que les autres. Évidemment, y’a une brèche qui s’immisce le temps que je réalise que mon père fait partie du lot des tops au podium de ceux qui m’ont abandonnée ; en soit, il a pas vraiment de compétition du haut de sa médaille d’or triplée d’ivoire. Mais Levi me laisse pas le temps de cogiter plus longtemps qu’il m’arrache un rire au sujet de la luminosité que je préfère durant mes ébats. « Y’a beaucoup de rumeurs à mon sujet. » et je laisse aller, parce que de toute façon il s’en souviendra plus demain, et parce qu’il est trop occupé à hurler et à hic-er pour qu’on s’étende sur mes habitudes au niveau du registre charnel.
Et je nous ai conduit à Gold Coast. J’ai pas trop pensé, ou alors, j’ai pensé tellement fort que mes neurones survoltées ont tourné le volant vers la sortie tous seuls, comme s’il n’y avait pas d’autres issues possible. Je suis déjà allongée sur le capot, dos déposé sur le pare-brise et prunelles accrochées vers les vagues quand Levi émerge, charmant au possible avec sa pisse qu’il va délester Dieu sait où. Quand il revient, il sent bon le citron et l’eucalyptus, je souligne. Mentalement. « Bière. C’est toi qui conduit sur le retour. » à sa question, je réponds sur le même ton, agitant d’un mouvement bref ma bouteille sous ses yeux. Au moins comme ça, je sais que le temps qu'il dé-soûle, on a de la marge pour être ici encore quelques heures. Puis, je me sers dans ses chips sans même lui accorder un regard de plus, il est perdu autant vers l’horizon que je le suis. Fine by me. « J’ai toujours voulu te montrer Kirra Point. C’était sur ma bucket list, à chaque fois que je voyais le nom direct je pensais à toi. » ironique au possible, l'excuse du lieu qui sonne faux, ma voix chante trop pour ne pas être condescendante. Il verra directement à travers et c'est ce que je veux foncièrement, j’ai pas non plus envie de faire dans la dentelle et d’accorder encore plus de temps d’antenne à ruminer tout ça toute seule dans mon coin. Une longue, une très longue gorgée de bière plus tard, je parle autant pour moi (probablement même plus) que pour lui. « Je rencontre mon père pour la première fois demain. » j’inspire. Mon père. La blague. Le statut qu’il mérite pas, et que j’utilise tout de même à voix haute. « Et j’ai pas envie d’en parler. » tournant la tête vers Levi, y’a un sourire carnassier qui s’ajoute à l’équation. Alors, pourquoi t’en a parlé à la base, Ariane? Parce que Levi, il take no shit. Parce que Levi, il va pas me laisser me morfondre à jouer dans ma tête, il sera straight, il sera cash, il sera le miroir dont j’ai besoin. Ou alors, il servira de distraction le temps que j’arrête de flipper. Pas plus mal. « Juste, je tenais à te faire savoir qu’il y a toujours la possibilité que t’aies à conduire plus loin encore. » allez le nomade. Prouve-moi à quel point c’est bien de se tirer, de partir, de s’enfuir quand on s’enracine, quand on n’en peut plus d’être au même endroit à étouffer. « Cheers. » ma bière contre son gobelet de café, mes iris vers la voie lactée.
Tu as encore moins de filtre que d'habitude et te laisses diriger par Ariane. Installé sur le siège passager de son véhicule, tu bavasses inlassablement des propos que ton inconscient digèrent mal et que ton conscient dénigre catégoriquement. « Parce que ça a toujours été comme ça. » Tu toises ton interlocutrice d'un angle étrange vu ton corps avachi dans le fauteuil automobile, peu impressionné par cette réplique. « Boooooooooo » tu articules et prolonges à l'issue de quelques dizaines de secondes, n'approuvant absolument pas cette notion de fatalité et d'obligation. Tu n'adhères pas aux règles ni aux coutumes et le clames sans pudeur. D'ailleurs, tu enchaînes sur les éventuels ébats entre Kane et Ariane, un sujet qui te semble couler de source autant que l'alcool eût été versé ce soir dans ton organisme. « Y’a beaucoup de rumeurs à mon sujet, » qu'elle te sert alors que tu doutes que la Parker soit du genre prude à vouloir se taper son australien préféré dans l'obscurité la plus totale. Quitte à donner de soi, autant disposer de la totale connaissance de la marchandise qui le reçoit, non ? Tu grognes en protestation et rejettes violemment ton crâne contre le dossier du siège, l'air boudeur. Quelques minutes de silence surviennent, la rouquine t'invite à compter jusqu'à 1000 - ce qui t'enthousiasme instantanément et te ranime. Bien vite, la consigne se transforme en chanson car de toute évidence, tout se fait mieux en musique.
Une période de temps indéterminée plus tard, tu te réveilles avec la sensation que ta vessie risque d'exploser à tout instant. Tu balayes les alentours, notes quelques éléments dans ton cerveau encore anesthésié par les abus de la veille. Sans cérémonie, tu annonces à Ariane que tu t'en vas pisser et reviens quelques minutes plus tard avec un paquet de chips au sel et vinaigre. Ton organisme semblant tourner au ralenti, tu t'installes lentement sur le capot aux côtés de la rousse qui t'a possiblement même enlevé jusqu'ici. Tes yeux admirent amoureusement le reflux des vagues, tu inspires profondément cet air salin qui a le parfum de ce que tu considères comme ta maison. Parce que l'odeur du feu, le parfum des scones, les effluves de fleurs diverses ne te rappellent pas une zone de confort, mais bien le bruit des vagues, le cris des mouettes et l'odeur de la mer. Tu dégages ton visage de quelques mèches mouvées par le vent et questionnes ton interlocutrice sur sa boisson après t'être servi un café et avoir posé le paquet de chips entre vous deux. « Bière. C’est toi qui conduit sur le retour. » Tu pouffes de rire et nargues derechef : « Yes ! Enfin un peu de sensations fortes sur cette terre aride. » Tu t'allonges un peu plus sur le capot, élèves une de tes jambes contre l'autre. Le soleil caresse doucement ton visage et bien que tu n'aies strictement aucune idée de la raison pour laquelle tu te retrouves à cet endroit précis avec Arisucka, la seule chose qui t'importe est de tirer profit de ces circonstances pour le moins plaisantes. « J’ai toujours voulu te montrer Kirra Point. C’était sur ma bucket list, à chaque fois que je voyais le nom direct je pensais à toi. » Tu hausses les sourcils, lorgnes sur le profil aveuglant de pâleur de la chroniqueuse qui engorge sans merci le contenu de sa bière. « Tu m'en as fait avaler beaucoup des conneries comme ça cette nuit ? » Tu rétorques sans attendre de réponse en retour. Tes mains s'enfoncent dans le paquet de chips pour en extirper une grossière poignée que t'enfonces dans ta bouche tel un béluga.
« Je rencontre mon père pour la première fois demain. » « Voilà qui m'semble plus honnête. » Tu commentes la bouche pleine, des miettes de chips voletant entre vous. « Et j’ai pas envie d’en parler. » Fine by you. T'as pas la meilleure des expériences avec ton père et t'as jamais capté cet amour entre parents et enfants. Tes géniteurs peuvent bien être morts, ça fait des années qu'ils sont enterrés pour toi. Ils ne te font ni chaud ni froid et tu te doutes que la Parker a une petite idée que tu ressens rien pour ceux-ci. Sinon, tu serais comme Kane à conter de temps à autres des petites anecdotes larmoyantes en famille. Tu te demandes ce que fiche ton meilleur ami avec les débris que vous représentez, parfois. « Juste, je tenais à te faire savoir qu’il y a toujours la possibilité que t’aies à conduire plus loin encore. » Tu plisses les yeux tel un débile qui cherche à décrypter si l'enflammée te ment ou pas. « Cheers. » Sa bouteille contre ta tasse, les gouttes de café jaillissant sous l'impact ont à peine le temps de se faire ressentir sur ta main que tu qualifies : « Quelle hypocrite. » Tu passes ta langue sur les gouttes de café posées contre ta chaire, engouffres une nouvelle poignée de croustilles dans ta bouche, les ramollis d'une gorgée de café. « T'es toujours à critiquer le fait que j'tienne pas en place en disant que j'fuis. Mais c'est toi la fuyarde, sale gosse. Quand j'me casse, j'surveille jamais ce que j'laisse derrière moi. T'as qu'à l'envoyer paître ton père si c'est un con. Qu'est-ce que tu fous à m'embarquer sur ton Kirra Point pour t'éviter de le voir ? T'as peur de quoi ? Tu crois vraiment qu'il peut te toucher ce guignole ? Parce que si c'est le cas, t'as reçu un coup sur la tête à la naissance. C'est pas lui qui va te définir. » Tu agites ton doigt contre sa mâchoire afin d'obtenir toute l'attention de la jeune femme dont les perles noires restent fixées au ciel. Percevant son agacement, un large sourire satisfait fendant tes joues, tu te verses un autre café et questionnes, impatient de te mettre derrière le volant de cette bagnole : « Bon, j'te conduis où ? » Tu hausses les sourcils, une idée palpitante te happant. « Ouh, à moins que tu veuilles qu'on aille à la mer ? Te remettre les idées en place, un peu ? Ou on va à la prochaine brocante acheter de quoi paraître encore plus loufoques. » Tu te laisses tomber contre le capot, ton agitation et ton dévolu sur la nourriture et le café te faisant quand même tourner la tête et chavirer l'estomac fragiles de tes consommations alcoolisées précédentes. « Nah, on va rester là un p'tit peu plus finalement. » Tu fermes les yeux et te loves contre Ariane, léchant après quelques secondes de silence son lobe de manière à lui signifier que t'es toujours bien alerte.
Levi qui revient à la vie entre ses chips, son café, sa pisse minute et tout ce que ça occasionne. J’ai laissé mes clés dans la poche de mon jeans mais j’ai pas l’intention de reprendre le volant si ce n’est pour conduire loin, plus loin, bien plus loin. Ma bière suffira donc, qu’il en soit averti. « Tu casses, tu paies. » simple rhétorique. Il avait emprunté ma voiture des tas de fois depuis qu’il avait posé le pied à Brisbane, probablement la personne qui l’avait conduite plus que quiconque en fait, parce que ma confiance ne se donnait absolument pas en terme de voiture. Fallait croire qu’il conduisait pas si mal pour un idiot d’anglais râlant sur le sens du volant ici comme ailleurs. Ou alors que j’adorais vivre dans le risque de voir comment il arriverait à payer pour les dommages s’il éclatait mon auto sur un arbre ou un coin de trottoir. Voir toutes les manigances qu’il ferait pour racheter l’incident en sachant très bien que s’il ne remplissait pas sa part du marché, y’allait avoir des bras et des jambes de son côté qui seraient aussi cassés que mon pare-choc ou mes portières. Dans les deux cas, je gagnais en somme.
Kirra Point qui passe pas, tant mieux, j’avais pas envie de continuer sur l’air du mensonge cheap et surfait rien que pour ses beaux yeux. « Tellement que je fais même plus d’effort pour que tu me crois. » et je pique une gorgée dans son café sans demander, sans même penser à. Quand on me côtoyait fallait savoir que tout ce qu’on consommait et possédait à ma portée se retrouvait rapidement sous mon courroux. Et elle tombe, la bombe. Ou du moins, les premiers mots que je dis à son sujet, au sujet de mon père, à voix haute, à quelqu’un d’autre qu’à mon reflet enragé dans le miroir, ou à maman qui tente de me raisonner avec son peace & love surjoué. Je vois mon père demain. Je rencontre mon père demain. Et Levi takes no shit, comme j’avais anticipé. Comme j’avais espéré surtout, prévu. « Hypocrite? Sale gosse? Tu te ramollis. » je surfe sur ses insultes en haussant un sourcil, parce qu’il avait pu faire bien plus pire, bien plus mal par le passé. Là, il flatte juste dans le sens du poil, il me rassure presque sur le fait que dans une joute violente, j’ai encore des munitions pour le craquer d’emblée ; ce qui, en soit, me conforte un peu. Qui l’eût cru que Levi allait me remonter le moral à travers tout ça. Mais ce qui reste par contre, c’est la fin, la sienne. Et même si je lui renvoie un air bien agacé dont moi seule ait le secret quand il est dans les parages, y’a la vérité qui sort, pure et dure. « J’ai paniqué. »
J’avais pas le contrôle, sur ça. J’avais le contrôle sur tout, absolument tout, sauf sur ça. Mon père avait jamais été dans ma vie, il en avait jamais voulu. Et là, du jour au lendemain, il arrivait à me faire cracher un “oui, ok, je viendrai”. De où, de comment, de pourquoi? Salaud. « Je connaissais même pas son nom avant hier. J’ai jamais fait gaffe à le demander. Jamais voulu. » ça aurait dû rester ainsi. Ça va rester ainsi, que je me surprends à penser, réalisant que même si ça me tuerait de l’avouer à voix haute, Levi a entièrement, complètement raison. Le dude, je lui dois rien. Le gars, il mérite pas que je me mette dans cet état. Le con, il avait pas flotté ailleurs en aparté pendant 30 ans pour qu’aujourd’hui il me retourne à ce point. Alors, pourquoi ça fait si mal tout d’un coup?
Ma bière que je finis d’un trait maintenant que Levi part en mode énumération, qu’il s’emporte, qu’il m’énerve, que je l’écoute attentivement. Il fait presque mine de gerber, je me dégage, il se colle, je soupire. Sa langue qui provoque un sursaut, un frisson de dégoût de sentir sa bave qui tartine mon oreille, ma joue, le poids de sa tête qui s’affale sur mon épaule la seconde d’après et mon bras qui passe autour de sa nuque parce qu'autrement c'est pas confortable. « Tu dors, haleine de chacal? » j’attends de longues minutes à fixer le ciel, à laisser les vagues faire office de trame de fond avant de lui asséner une gifle au visage pour accompagner mes paroles. « Regarde ça, la vie parfaite du riche bourge parfait. » entre temps, j’ai eu la décence de sortir mon portable de ma poche pour stalker celui qui, je l’ai su que la veille, s'appelle Harvey Abrams. Facile à trouver sur Facebook, encore plus alors qu’il a rien activé comme paramètres de sécurité, et que j’ai accès à toutes les photos et à toutes les publications passibles de me donner de quoi rager, râler, à l'infini. Plus je fais défiler sous les yeux de Levi et sous les miens les albums, les vidéos, son existence à lui qui s’étale apparemment sur le net depuis des années, plus je sens une boule bouillante, brûlante dans mon ventre qui grandit, grossit, s’affine, prend en ampleur. « J’ai rien à faire avec lui, j’ai rien à savoir de lui. J’ai déjà tout ce que je veux voir, là. J'ai pas besoin de rattraper le temps perdu. » comme un constat, comme la réalisation en effet que c’est pas lui qui va me définir. « La mer, les brocantes… ou aller foutre sa maison en feu pour rattraper le temps perdu. Les trois options me vont. »
Tu ne saisis pas pourquoi Ariane se laisse autant atteindre par un parfait inconnu, qui n'a fait que contribuer à sa création des années plus tôt. Vraiment, il n'y a rien de spectaculaire à avoir éjaculé dans le vagin d'une autre et certes, si cet homme a contribué au patrimoine génétique de la rousse au teint vampirique, en aucun cas il a façonné sa vie et possède quelconques droits sur son histoire. Il s'est cassé, il a décidé en pleine âme et conscience de quitter l'aventure avant même qu'elle ne commence réellement. A tes yeux, y'a pas de marche arrière à ces jeux-là, encore moins lorsque ces retours de flamme surgissent trente ans plus tard.
« J’ai paniqué. » qu'elle te commente, face à ton air peu impressionné. « Je connaissais même pas son nom avant hier. J’ai jamais fait gaffe à le demander. Jamais voulu. » Tu pouffes de rire et détournes le regard. Décision intelligente. « Qu'est-ce que ça aurait changé, anyway ? Qu'il s'appelle Peter ou Archibald, les faits restent les mêmes. » T'es tellement terre-à-terre pour un mec qui vit sur un bateau sans aucune attache, sans foi ni loi ni scrupule. Il faut dire que t'as eu ton lot de pourriture en termes de famille et de personnes, ce qui a généré en toi une véritable intransigeance dotée d'un cœur de pierre. Il n'y a vraiment que Kane qui a réussi à s'incruster dans ton affection, et Ariane qui gravite autour de ton cœur - puis tes cousins. Mais à part ceux-là, c'est le désert aride du Sahara. Quiconque tente de s'approcher de ta fontaine d'amour meurt de soif. C'est une denrée que tu ne produis plus depuis des décennies.
Tu te loves contre la silhouette squelettique de ton amie. Ta langue passe sur son lobe, tu fermes les yeux, laisses tes cheveux virevolter au-dessus de ton crâne et étouffer possiblement Ariane. « Tu dors, haleine de chacal? » Tu ne réponds pas, profitant du moment, du soleil, et aussi parce que t'as envie de gerber toutes les substances d'influence que t'as ingurgitées la veille. « Regarde ça, la vie parfaite du riche bourge parfait. » Ta grosse main vient à tâtons heurter le téléphone de ton interlocutrice. T'as envie de lui clamer qu'on s'en fout de sa vie, mais au fur et à mesure, tu réalises à quel point cet inconnu est important pour la jeune femme, malgré ses torts. Malgré son absence. C'est peut-être pour ça que la Parker est si attachée à Kane et qu'elle fait un cinéma quand tu t'absentes pour une durée indéterminée alors que t'as toujours joué franco sur ton mode de vie. Tu daignes ouvrir un œil pour voir défiler les photos à t'en étourdir davantage puis tu attires ton attention sur le profil tendu et hargneux de la chroniqueuse sexo. « J’ai rien à faire avec lui, j’ai rien à savoir de lui. J’ai déjà tout ce que je veux voir, là. J'ai pas besoin de rattraper le temps perdu. La mer, les brocantes… ou aller foutre sa maison en feu pour rattraper le temps perdu. Les trois options me vont. » « A d'autres, ouais. T'es scotchée sur son image et tu accumules les kilomètres entre toi et votre lieu de rendez-vous comme si t'étais une junkie qui essayait de rester clean désespérément. Va le voir si tu y tiens tant et dis-lui c'que tu penses vraiment de lui. J'peux même venir si tu veux. J'suis très doué avec les darons. » Faux. « J'ai une bonne droite et j'existe à peine pour le gouvernement. Un délit de plus ou de moins, j'suis pas à ça près vu que j'passe toujours entre les mailles du filet. Ou j'accuse mon frangin et ses vieux paient pour lui. » Ça, c'est vrai - ou tu te l'imagines véridique. Tu serres Ariane contre toi, à tes risques et périls. « Tu vaux mieux que lui. Même si j'te pensais pas si sentimentaliste. C'est nouveau pour moi, j'ai un peu du mal à t'accepter ainsi. Peut-être avec le temps je tolérerais cette facette cachée et répugnante de ta personnalité. » Tu te redresses brièvement, une idée te happant. « Ça me fait penser à une chanson, tiens. » Le jukebox que tu composes chantonne : « And all of your words fall flat I made something of myself and now you wanna come back But your love, it isn’t free, it has to be earned Back then I didn’t have anything you needed, so I was worthless »
« T'as son numéro ? » T'interroges, te doutant déjà de la réponse. Tu prends le téléphone des mains de la parisienne de naissance et déroule le répertoire avec une dextérité qui t'impressionne personnellement. Tu notes au passage les différents légumes devant certains prénoms masculins. Tu aborderas cette stratégie Arianesque plus tard. Chaque chose en son temps. « On l'appelle et on lui dit que le rendez-vous c'est maintenant. Si vraiment il te mérite, il va faire selon tes règles. Ou nos règles. Ou mes règles. 'Cause you love me that much babe. » Tu presses tes lèvres dans un baiser que tu ne risques pas de déposer sur sa chaire, conclus ton charme par un clin d'oeil grossier. « Comme si on allait attendre demain. » Tu soupires avec sérieux en levant les yeux au Ciel, pire qu'une poupée de série B pourrie gâtée.
Il fait me chier Levi, dans tout son being. Parce qu’il a raison, parce qu’il a toujours raison pour ces choses-là, et que je préférerais m’arracher la langue que de le lui affirmer haut et fort. Ouais, j’ai toujours été la dramatique du lot, pas de surprise ici, sue me. Mais dans ses démonstrations et dans son léchage de lobe et dans sa présence suffocante, le con, il finit par m’apporter un peu de réconfort, sans même que je l’ai demandé à haute voix. Il voit bien que ça me trouble cette histoire, et je m’enrage contre moi-même de lui avoir donné les cartes si facilement. Mais après, c’est du normal, de l’évident. Of course qu’Harvey venait me chercher au plus profond des tripes. Le gars, il m’avait cassée du plus loin que je me souvienne. À l’origine de mes trust issues, de ma peur de l’abandon, de mon incapacité à m’attacher du moment où j’ai la certitude que la personne de l’autre côté pourrait se tirer en un claquement de doigts. Et Levi émerge, et il revit le dude, il est pas juste dans les limbes, à flotter dans sa bave et contre mes cheveux dans lesquels il se noie sans que je ne le dégage de là. Sa proximité avait toujours eu sur moi l’effet contraire de sa personnalité, à comprendre ici me faire du bien. Allez savoir. Je propose de quoi faire donc, quand son haleine fétide me monte aux narines, et que ses soubresauts me confirment qu’il a bien vu la séance Facebook que je lui ai forcée au réveil, et qu’il a intérêt à se bouger entièrement s’il veut enfin donner un sens à sa vie, là, dans l’instant. Drama queen, I said. « A d'autres, ouais. T'es scotchée sur son image et tu accumules les kilomètres entre toi et votre lieu de rendez-vous comme si t'étais une junkie qui essayait de rester clean désespérément. Va le voir si tu y tiens tant et dis-lui c'que tu penses vraiment de lui. J'peux même venir si tu veux. J'suis très doué avec les darons. » woah, il parle le gars. Et je m’étire la nuque, et je capte son regard de suite. « Faux. » je suis sûre que même lui l’a pensé. Autant faire un homme du garçon et l’affirmer à sa place. « Tu vaux mieux que lui. Même si j'te pensais pas si sentimentaliste. C'est nouveau pour moi, j'ai un peu du mal à t'accepter ainsi. Peut-être avec le temps je tolérerais cette facette cachée et répugnante de ta personnalité. » je laisse une seconde couler, inspire en maugréant parce que ça me donne accès à son fumet buccal par la bande, pas particulièrement savoureux. « Mais c’est vrai que t’es aussi pire que parfait comme allié sur ce coup-là. » faut voir les choses comme elles sont.
« Je sais pas pourquoi ça m’atteint autant... » que je commence, presque prête à avoir une vraie conversation avec lui, assez stupide pour croire qu’il veut m’entendre surtout. Mais il me coupe Levi, il se grouille, il s'enflamme, il s’élance. « Ça me fait penser à une chanson, tiens. » « … oh, come on man. » je soupire, fort, mais il s’en balance quand il entonne, quand il chantonne, et mes yeux qui roulent quand lui, il fait les percussions le sourire aux lèvres. Les paroles passent, je les retiens, son répertoire qui va dans la pop bonbon déjà l’aube levée. Je dis rien par contre, j’y vois le message qu’il veut me livrer, c’est pas trop difficile de le comprendre même, je suis pas si conne non plus. « T'as son numéro ? » bah ouais, tu penses qu’on s’est parlés par pigeons, ou? Dumb question, dude. Mais il prend ses aises Levi, comme toujours les mains fourrées dans mes affaires presque autant que mes mains dans les siennes. Mon téléphone qu’il investit, passe partout et sur tout. « Attention à pas te fouler le poignet, ce serait un drame pour tes prochaines nuits en solo en mer. » je pique, pas assez férocement à mon goût, mais j’ai l’esprit ailleurs, quand je le vois tomber sur le bon numéro, le survoler pour passer ailleurs, mais finir par y revenir parce qu’il doit voir dans mon regard que c’est bon, qu'il a trouvé, qu'on passe à un autre appel – littéralement. « On l'appelle et on lui dit que le rendez-vous c'est maintenant. Si vraiment il te mérite, il va faire selon tes règles. Ou nos règles. Ou mes règles. 'Cause you love me that much babe. » et il expose son idée. Et je dis rien. Je pense. Je considère. « Comme si on allait attendre demain. » il en fait trop Levi, il a l’air de vouloir même plus que moi qu’on règle cette histoire-là au plus foutu. C’en est presque devenu une affaire de famille en fait, la nôtre, celle à lui et à moi, notre duo atypique qui en a long à raconter sur des géniteurs de merde qui nous ont brisés dès la naissance.
« Do it. » ma voix qui finit par clamer, une longue minute plus tard. « On l’appelle. » la décision est prise, et il se fera pas prier, le numéro qui est composé et la sonnerie qui me donne l’impression d’être 1000 fois plus longue que celle de qui que ce soit d’autre. Quand ça décroche, je le réalise pas, mais j’ai comme la plus idiote des nanas enroulé mes doigts autour de ceux du McGrath, m’y suis accrochée comme si ça pouvait niaisement changer quelque chose. « Bonjour ! Vous avez bien rejoint la boîte vocale d’Harvey, Juliet, Clara et Bradley. » bippppppppppp. Je reste de glace, bloquée, furieuse. « Fuck it. » ça enregistre, ça reste sur la boîte vocale, c’est là à vie, quand je raccroche rageusement, précipitée. « Juliet, Clara et Bradley. Tu peux pas faire plus cliché sur les noms. Pauvres connards. » une famille. Il a une famille Ariane. Tout un monde, toute une vie entière. Sans toi.
Ça t'exaspère vigoureusement qu'Ariane se laisse autant atteindre par un homme qui n'a pas su lui faire une place dans sa vie pendant tant d'années, quand elle, elle le désirait et le nécessitait. Tu aurais aimé que l'Ariane enflammée envers l'intégralité de notre misérable monde projette une haine voire une indifférence totale contre ce géniteur qui n'a aucun mérite si ce n'est d'avoir participé à sa création. Tu le répètes et le soulignes, à quel point il ne jouit d'aucun pouvoir sur elle. Tu œuvres pour qu'elle désinfecte cette relation pourrie de ressentiments crépitant à sens unique, qu'elle éclaircisse sa vision trop idéalisée de ce père qu'elle recherche mais sera en réalité perpétuellement décevant à ses yeux. Personne ne peut satisfaire naturellement la Parker. « Mais c’est vrai que t’es aussi pire que parfait comme allié sur ce coup-là. » « Tu l'as toujours pas capté ? Qu'est-ce que t'es longue à la détente. » Tu soupires en levant les yeux au ciel, avant d'engloutir de nouvelles chips au sel et au vinaigre.
« Je sais pas pourquoi ça m’atteint autant... » Because you're an idealistic and control freak, Ariane. Tu ne veux pas en entendre davantage, tu refuses de la laisser s'enfoncer sur cette médiocre route. Tu ne cautionnes pas cette douleur répugnante, cette injuste souffrance. Elle te frustre impétueusement et tu rêves furieusement de l'éradiquer, même si tout comme son père, t'as pas ton mot à dire sur les émotions de la rousse ainsi que leurs vecteurs. Alors plutôt, tu chantes. Tu lui coupes l'herbe sous le pied, tu modifies l'atmosphère via une chanson pop - soigneusement sélectionnée. Puis, une fois l'interprétation terminée, devant le constat que ton art n'a pas su chasser les nuages noirs planant au-dessus de la tête du vampire que tu as en amie, tu actes qu'il est temps de saisir les grands moyens.
« T'as son numéro ? » T'as pas le temps que son cerveau réagisse à ta demande que tu cherches déjà le dit paternel dans le répertoire de l'auteure newbie. Tu ignores comment le scélérat se prénomme - ou ta mémoire sélective a effacé judicieusement cette information -. Mais tu sais interpréter le regard de ton interlocutrice et à l'air mitigé entre l'horreur et le mielleux qu'elle affiche quand tu cliques sur le contact Harvey, tu sais que tu fais bonne route. Rip off the band-aid, darl. T'as pas le temps d'endurer Ariane se lamenter sur son sort et jouer aux fuyardes, quand elle a toujours reproché aux gens de l'abandonner. Qu'elle n'entre pas dans un rôle qu'elle déplore. Ça pourrait la détruire, et un tel poison causé par le fantôme du passé est proscrit.
« Do it. » Elle t’autorise, une éternité plus tard. Tu téléphones derechef mais la boîte vocale du gougeât réplique. « Fuck it. » « Prick. » Vous ragez à l'unisson. « Juliet, Clara et Bradley. Tu peux pas faire plus cliché sur les noms. Pauvres connards. » Elle crache son venin, la trentenaire incomplète. « On réessaie. » Tu annonces, catégorique. « On va l'avoir à l'usure. » Et au même moment, alors que le numéro se recompose, un coup de tonnerre brise le temps radieux en grondant férocement. Tant, qu'il te fait sursauter et que le téléphone d'Ariane glisse le long du capot de la voiture sur lequel vous êtes installés depuis des dizaines de minutes. Une averse s'abat magistralement sur vous. Tu as l'impression de recevoir des sceaux d'eau tiède sur la tête, tes cheveux se plaquent sur ton visage, tes habits collent à ta peau. Parker ne dispose pas d'une plus fière allure, surtout qu'elle arbore une camisole claire et manifestement un soutien-gorge très révélateur - s'il y en a vraiment un. Tu craches de ces précipitations, rejettes tes mèches lourdes de liquide en arrière et t'ôtes de sur la tôle, ton corps crissant contre les vagues torrentielles s'y déversant. Tu attrapes le téléphone trempé et possiblement fichu gisant au sol - s'y noyant presque. Des éclairs passent devant tes yeux, de nouveaux coups de tonnerre résonnent, vous finissez par vous installer dans la voiture, aussi mouillés que si vous aviez plongés dans l'océan. « The heck, Australia. » Tu commentes en remontant la vitre. « Et après ils disent que la crise climatique est une mascarade. » Tu secoues la tête, fiches des gouttelettes partout dans l'habitacle, clébard. Tu reviens néanmoins promptement aux choses sérieuses, tendant la dépouille du moyen de communication de la rousse à sa propriétaire. « Il habite où ? Il travaille où ? Je sais que tu sais, stalker. On y va, now. » Tu ne demandes pas son avis.
Il devient comme fou le gars, à signaler encore et toujours, à pas laisser la boîte vocale lui voler le dernier mot. C’est comme si ça en était devenu un automatisme, comme si on savait faire que ça, se passer mon portable comme une bombe prête à exploser, renchérir d’un numéro qu’on a pas besoin de connaître par cœur parce que la composition automatique fait tout le boulot pour nous. D’office, on remplit sa boîte vocale. De soupirs, de « really? » condescendants étouffés, que ma main plaquée sur ses lèvres ou ses doigts piquants dans mes côtes rendent encore plus dramatiques à chaque nouvel enregistrement. J’en viens à imaginer un stratagème où on pourrait trouver un nerd en ligne qui serait à même de nous programmer un robot pouvant lui téléphoner on and on jusqu’à ce qu’il en devienne fou, mais la simple optique de devoir expliquer la manœuvre informatique à Levi en sachant qu’il comprendra que dalle m’épuise mentalement beaucoup trop pour mettre le plan en marche.
Le ciel gronde, un peu comme ça gronde à l’intérieur de moi. La métaphore est conne, est stupide, mais l’éclair qui tombe à quelques mètres de nous me confirme que si j’avais à choisir meilleur setup pour être enragée contre mon géniteur presque 30 ans plus tard, ce serait ici, maintenant. Levi est détrempé, j’en mène pas large non plus, l’averse nous noie sur place et nos vêtements qui collent à nos peaux dégueulassement moites. Il voit rien et dégage son visage de ses mèches ébouriffées, mon téléphone s’écrase au sol, mon t-shirt est plaqué sur ma silhouette. Il se précipite pour ramasser le reste de technologie déjà bien imbibé quand ma seule et unique priorité reste les bouteilles de bières encore pleines et le sac de chips à moitié vide. On finit par rentrer dans la voiture, et pendant que Levi se transforme en sea sheppard de merde à revendiquer les droits de la planète Gaïa notre mère à tous, moi, je m’installe confortablement – le plus possible – sur le siège passager. Les clés de ma bagnole que je lui file un peu avant d’ouvrir une des bières que j’avais sous les genoux. « Il habite où ? Il travaille où ? Je sais que tu sais, stalker. On va y, now. » un hochement de tête suffira, j’attends même pas qu’il enclenche le moteur pour lui pointer les différentes directions à prendre pour qu’on retourne sur nos pas, qu’on se rapproche de Brisbane, qu’on aille chez lui.
« Tourne là. Et là. Et ici. » j’ai fini par retirer mon t-shirt pour le laisser crever sur le siège arrière, mon soutien-gorge qui a réussi à sécher bien plus vite tout seul sans tissu trempé collé dessus. Mes cheveux sont attachés à la va vite, mon index désigne et encourage, une gorgée de bière que je lui donne pour quatre que je prends ; il est censé être le conducteur désigné quand même. Puis, c’est la bonne adresse, la bonne maison, la bonne rue, le bon putain de quartier. J’opine comme énième confirmation, et la voiture se stationne un peu plus loin, de l’autre côté du trottoir. Les oiseaux chantent, le petit matin sur Spring Hill est aussi cliché qu’il me file un haut le cœur. Daddy, we’re home. « Planque-toi, tu fais exprès. » que je finis par articuler, me baissant dans mon siège, le forçant à faire de même. Un temps beaucoup trop long pour que ce soit sain, notre pitoyable garde de détectives privés nous offre enfin du mouvement chez lui, une porte d’entrée qui s’entrouvre, qui est censée confirmer, mais qui offre que deux silhouettes que j’arrive pas à discerner assez bien pour agir vite. « Il s’est tiré quand il a su que ma mère était enceinte. Il a même pas attendu que je sois née. » fun fact au sujet d’Ariane Parker, première du nom. Levi le sait pas celui-là, personne le sait en fait. J’ai été championne à faire croire à tout le monde qu’il était parti un peu après ma naissance, qu’il avait tenté mais que comme tous les hommes de ma vie, il avait fini par s'enfuir lui aussi. Là par contre, c’est pire quand t’y pense. Il a juste jamais voulu essayer. « Tu crois que laquelle des roches dans ses plates-bandes fera le plus de dégâts? » voilà mieux comme sujet de conversation. J’inspire, le silence qui plane à nouveau, et mes prunelles que je vrille vers Levi un peu après, attendant d’avoir son attention aussi. Surtout. « Merci. » je préciserai pas pourquoi, c’est déjà tout un honneur qu’il ait droit à ça. « Mais si ma voiture pue encore le chien mouillé demain, tu paies le nettoyage complet. » j’aurais pas été la même si j’avais pas fait la précision, la prunelle noire de menace la seconde qui suit.
Tu as envie de clore ce dossier une bonne fois pour toutes, éradiquer sans ménagement les relans de l'homme qui n'a jamais su épauler sa fille, la prendre en considération. Le besoin viscéral de démontrer à Ariane qu'elle n'a pas besoin de ce géniteur dans son existence, qu'il ne la définit pas, qu'il n'a aucun pouvoir sur elle, qu'aucun rôle décisif ne lui ait dû par son statut de père, te brûle les entrailles. Tu refuses que la Parker soit minée par un inconnu, une ordure qui n'a su assumer ses actes aux dépens d'un être humain qui recherchait - nécessitait - une affection qu'il lui reniait sans aucun scrupule. Non, il ne mérite pas qu'elle se mette dans un état pareil. Ça te frustre puissamment de ressentir à quel point ça l'atteint. Tu lui en veux à lui pour être si égoïste et à elle d'être si sensible.
Tu ne lui accordes donc pas le choix. Puisque Harvey n'a pas la décence de décrocher son téléphone portable malgré les incessants appels et innombrables messages vocaux laissés sur sa boîte de messagerie, vous allez chez lui. La météorologie se révolte, la rouquine te somme les directions à emprunter. Tu en aurais presque l'impression de rouler vers une scène d'urgence, tant l’atmosphère est lourde et électrique entre vous. L'orage gronde autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'habitacle du véhicule.
Spring Hill. Tu scrutes la maison, dévisages la battisse. Il aurait pu vivre dans un manoir ou une cabane dans un arbre, tu aurais désapprouvé. Mais maintenant, tu sais où il réside, tu connais son style. Tu notes les détails, les décorations dans le jardin, la bagnole devant la baraque, les rideaux aux fenêtres, la boîte postale, les pots de fleurs et manquements de peinture. Si typique. Si terne. « Planque-toi, tu fais exprès. » « Tu rigoles ? J'ai rien à cacher. Te cache pas, Ari ! C'est lui le fautif. » Tu te fâches. T'es pas là pour espionner Harvey, t'es là pour le confronter. Cependant, la chroniqueuse est tapie au fond de son siège et te tire de manière à faire de même. Tu ne lui résistes pas tant que ça, comprenant que ça lui ait crucial, assimilant le fait qu'aujourd'hui, vous ne réglez pas tes conflits avec ta famille, mais ceux de ton amie. Tu allais cependant reprendre ton argumentaire comme quoi la Parker n'a certainement pas à endosser le poste du criminel ou de l'intrus dans cette escapade, mais elle t'adresse une véritable bombe. « Il s’est tiré quand il a su que ma mère était enceinte. Il a même pas attendu que je sois née. » Ton regard se perd dans le sien, tes lèvres demeurent entrouvertes, soufflé. Cet homme n'a même pas pris la peine de rencontrer son enfant. « Pourquoi ? » Tu oses interroger, froid. Avait-il des raisons valables ? En existent-ils réellement ?
« Tu crois que laquelle des roches dans ses plates-bandes fera le plus de dégâts? » Un rictus étire tes lèvres, tu analyses les différents rochers à votre disposition pour réaliser de tels méfaits. « Je propose aussi qu'on revienne ce soir et qu'on balance des œufs sur sa façade. On pourrait rayer sa bagnole et crever ses pneus par la même occasion. » Et vous êtes-là, recroquevillés dans vos sièges comme des gueux, à planifier vengeances. Le silence vous englobe, tu laisses la pression retomber, mets ta rage de faire payer Harvey en veille - en attente du retour ou de la naissance de celle d'Ariane. Ton interlocutrice te remercie avant de te menacer une énième fois de financer l'éventuel état de sa voiture. « Tu sais que j'ai pas d'oseille. » Et tu laisses filer une poignée de secondes, avant d'exposer, stratège, sérieux, dévoué : « On attend qu'il rentre et tu le confrontes ? On le confronte ? Tu veux faire quoi ? T'as besoin de quoi ? »
Le fixer alors qu’il évolue sur son palier me lève le cœur. Le regarder qui embrasse sa connasse avant qu’elle parte au boulot, qui ébouriffe les cheveux de sa marmaille comme si c’était la chose que tout bon père faisait au petit matin me fait rouler des yeux à m’en fouler le nerf optique. Il est ridicule Harvey, il se voile la face, il se prend pour la figure d’autorité exemplaire et je parierais qu’il se dit dans sa tête que d’aller boire un café avec moi plus tard dans la journée rachètera toutes les merdes qu’il a pu me faire subir – en me faisant rien subir, du tout – depuis ma naissance. Just too bad.
L’élan d’émotions qui remonte quand il embrasse sa fille sur la tempe me surprend presque autant que Levi. « Pourquoi ? » et il réagit, bien sûr qu’il demande. J’avais jamais mentionné quoi que ce soit au sujet de son départ, même à Kane c’était pas sorti ce genre d’information. Qu’il nous avait pas donné de chance, qu’il avait pris la décision pour nous, qu’il s’était jugé trop bon pour ça, bien mieux que moi. « Parce qu’apparemment on était sa famille brouillon avant qu’il en fasse une au propre. » d’un geste vif j’attrape le gobelet de café qui reste entre les mains de Levi, bois la dernière gorgée bien froide sûrement coupée de moitié avec sa salive avant d’hausser nonchalamment l’épaule, trop pour que ce soit réaliste.
Bien vite, Levi reprend du nerf, et je souffle un peu. Parce que l’autre a déjà eu trop de temps d’antenne, parce qu’Harvey avait lui-même décidé de me garder hors de sa vie, et que de réapparaître comme une fleur en croyant que tout lui est dû est une bien bonne façon de se retrouver avec sa demeure, son véhicule et n’importe laquelle de ses chères possessions mises à néant par nos bons soins. Mes prunelles s’accrochent à celles du McGrath, y trouvent la même lueur nocive qu’elles renvoient et en un claquement de doigt, juste un, je sais qu’on est étrangement sur la même longueur d’onde. Ça fait du bien de sentir quelqu’un dans mon équipe, même si c’est que pour une circonstance isolée, un seul moment volé. « Je propose aussi qu'on revienne ce soir et qu'on balance des œufs sur sa façade. On pourrait rayer sa bagnole et crever ses pneus par la même occasion. » « Et à quel moment on met un sac de crotte de chien en feu sur son palier? » que je questionne, foncièrement sérieuse, dégageant mes iris des siens rien que pour repérer aux alentours une maison qui semble abriter un canin futur complice de nos méfaits.
Les remerciements ne brûlent pas mes lèvres. Ils sont honnêtes, même s'ils viennent doublés d’une menace, d’une circonstance atténuante qui n’atténue pas, justement, leur importance à mes yeux. « Tu sais que j'ai pas d'oseille. » la tête que je secoue de la negative, ma silhouette que je replace dans mon siège quand l’autre raté finit par embarquer dans sa bagnole pour la mettre en marche. « C’est juste une question de temps. Même si t’es la personne la plus chiante de l’univers à mes yeux y’a des gens qui t’estiment assez pour acheter tes livres et aller voir tes concerts. » must be worth something. Il est un investissement Levi, il est beaucoup trop talentueux pour que je le lui dise à voix haute, même s'il est pas assez con pour nier l'estime que je lui porte. Et il est aussi le futur riche que je bernerai dans une quarantaine d’années pour qu’il me foute sur son héritage en direct de son lit de mort, quand j’userai de la carte nostalgie à son dernier souffle de vie. Le moteur de la voiture de Harvey gronde, il passe en marche arrière. « On attend qu'il rentre et tu le confrontes ? On le confronte ? Tu veux faire quoi ? T'as besoin de quoi ? » mon regard qui suit le temps qu’il sorte de son entrée, se vire dans la rue. « J’ai besoin qu’il sache qu’il est qu’un connard de s’être tiré comme il l’a fait. » l’évidence. « J’ai besoin qu’il soit terrorisé la prochaine fois où il voudra s’enfuir comme un lâche. » la résilience. « Et accessoirement, j'ai besoin qu’il crève. » un soupir qui passe de mes lèvres alors que je suis dramatiquement déçue. « Mais j’ai pas envie d’aller en prison pour lui. Il mérite pas tant de dévouement. »
Tapis dans le véhicule garé d'Ariane tels des pestiférés, vous voilà qui décrivez les mouvements du géniteur de cette première. Une partie de toi apprécie ressentir tout le mépris qu'elle voue à l'adresse du prénommé Harvey, néanmoins, tu connais - et abomine que trop bien - l'attirance de Parker pour les scélérats, les lâches, les faibles. Une sorte de syndrome de supériorité la happe dans une sinistre chimère : elle se sent alors pousser des ailes et se doit de chérir, défendre, étreinte la vermine. Le déserteur a donné rendez-vous à sa progéniture qui n'a su l'envoyer bouler comme il mérite souverainement de l'être. Tu ne peux pas comprendre l'éventuel sentiment de vide que peut ressentir la jeune femme, ni son besoin de découvrir d'où elle vient. Selon toi, Harvey ne peut ni la combler, ni la définir. Toutefois, tu as beau le lui répéter, ton avis est impuissant. Ariane est butée à - tu le redoutes - rechercher de l'or chez un homme qui n'est composé que de pourriture.
Elle t'indique qu'il a mis les voiles avant même qu'elle ait vu le jour, t'expliques qu'il n'y avait aucune raison valable à ce retour de flamme de la part du gredin. « Ça te prouve quelle personne c'est. » Tu statuts, catégorique, froid, telle une piqûre de rappel. Qu'elle ne lui pardonne jamais, il ne la mérite pas.
Ariane parle une langue que tu maîtrises avec expertise : celle de la vengeance. Les plates-bandes innocentes n'incomberaient pas des dégâts collatéraux assez importants à ton sens, tu proposes de rayer sa voiture, jeter des œufs pourris sur sa façade. Comme ça, il sera aux prises avec une gravure et odeur aussi tenaces que sa manière de craindre. « Et à quel moment on met un sac de crotte de chien en feu sur son palier? » « Quand t'auras trouvé le clébard. D'autres suggestions ? » Tu élabores déjà le plan machiavélique rythmant votre soirée à venir.
Un remerciement dérisoire franchit ses fines lèvres, tu hoches les épaules, désinvolte, face à sa menace concernant son véhicule et les répercussions olfactives de votre présence trempée par l'averse qui vous a surpris plus tôt. La rouquine a espoir que t'aies une situation financière stable grâce à tes livres et ta musique, quand personnellement, l'argent constitue bien le cadet de tes soucis. Tu favorises les quelques personnes qui ont su s'immiscer une place dans ton existence et suivant cette logique, tu reviens sur le sujet Harvey. Tu requêtes le futur proche, les projets d'Ariane par rapport à ce paternel raté, ton rôle dans ce chapitre en cours d'écriture. « J’ai besoin qu’il sache qu’il est qu’un connard de s’être tiré comme il l’a fait. J’ai besoin qu’il soit terrorisé la prochaine fois où il voudra s’enfuir comme un lâche. Et accessoirement, j'ai besoin qu’il crève. » Des ambitions d'envergure, donc. Tu hoches insouciamment la tête en signe de dénégation face à l'option prison et te redresses. Tu vérifie la clef dans le contact, la right family étant de retour dans la maisonnée traditionnelle. « On le suit, ou tu veux rencontrer la famille ? » Tu marques une pause, plonges ton regard aussi sérieux que dommageable dans celui de ta camarade. « Parce que vraiment, je sais pas si tu réalises, mais c'est toi qui a le pouvoir, ici. » Elle peut ruiner sa sphère quotidienne s'il n'a jamais été franc envers son épouse et ces enfants-là. Elle peut l'humilier en public, lui faire du chantage, lui réclamer d'assurer son rôle de père - lui faire payer les maux qu'il a occasionnés en bonne et due forme. Elle n'est pas un mobilier que l'on trimbale pour oublier en brocante, ni une futilité à laquelle on s'intéresse par intermittence. Elle est Ariane Parker.
« On le suit, ou tu veux rencontrer la famille ? » Levi a jeté un coup d’œil à la clé, il me rappelle où on se trouve, et je la retire du contact l’instant d’après. « Parce que vraiment, je sais pas si tu réalises, mais c'est toi qui a le pouvoir, ici. » la piqure de rappel qu’il fait exprès de ramener sur le tapis, lui et ses beaux discours qui me font l’effet de claques à la gueule, me faisant lutter entre le soulagement d’enfin en avoir parlé avec quelqu’un qui comprend, et le soulagement d’en avoir parlé tout court. J’inspire mais j’en ai pas nécessairement besoin pour reprendre des forces, lui comme moi sachant qu’à partir de maintenant, j’en ai plus rien à faire de larmoyer dans mon coin. Qu’il a servi à quelque chose – grand bien lui en fasse – et que ce quelque chose est de me ramener là où ça compte vraiment, là où j’y crois vraiment. « Il m’a jamais donné le choix. » le bras que j’étire vers le siège arrière, cherchant distraitement un t-shirt à passer maintenant que mon soutien-gorge a séché. Ma voix demande rien, pas de pitié, pas de lot de consolation, pas même d’écoute. Je fais que statuer l’évidence. « Je vais pas me priver pour profiter de toutes les options maintenant. » à savoir rencontrer sa famille et le suivre. Pourquoi choisir maintenant quand j’ai jamais pu? Levi sait probablement que dans l’un ou l’autre des cas, il aura jamais la possibilité de s’esquiver, mais pour la forme, je le précise tout de même, ouvrant la porte au passage. « Tu viens. »
Je suis sortie du véhicule depuis quelques secondes à peine quand le brun arrive à mes côtés, que je passe une main dans mes mèches encore humides en me foutant clairement d’avoir l’air d’un raton-laveur détrempé lors des grandes retrouvailles. Harvey avait juste à pas être un lâche de merde et j’aurais été en meilleur état pour lui foutre un coup de pied au ventre plus tôt. « Je me ferai pas chier avec famille parfaite toute seule. » la procession qu’on compose qui réduit la distance entre ma voiture et sa maison parfaite, sa pelouse parfaite, ses fleurs parfaites, sa vie parfaite. Mon doigt appuie sur la sonnette dorée logée à gauche de l’immense porte en bois blanc teint, ça crie le magazine de décoration ce truc, c’est tout faux, ça a presque l’air d’un plateau de cinéma tellement chaque angle est impec, tellement chaque centimètre est ridiculement calculé. Ça manque de fissures, ça manque de pentures qui craquent, ça manque de vie, c’est trop léché, ça m’énerve. Ils m’énervent. « Et après on va chercher un café, et on va le prendre avec lui. À son bureau. » le plan que je continue d’énumérer pendant qu’ils nous font poireauter sur le porche, que je continue d’appuyer agressivement sur la sonnette sans réponse de leur part. « Si un jour, je sais pas par quel miracle ou quelle connerie de divinité tu deviens père, soit pas une merde s’te-plaît. » la réflexion que je glisse, amère, persuadée que si Levi est père un jour, je me ferai un plaisir de multiplier les claques au moindre comportement qu’il aurait et dont je me porterais pas garante. Bizarrement, un coup d’œil plus tard vers l’anglais me donne l’impression qu’il serait un bien meilleur père que quiconque puisse l’être dans mon entourage. Et ça m’enrage de penser ça. Ça m’enrage presque autant que la porte qui finit enfin par s’ouvrir sur le visage rieur et pas le moins du monde importuné par mon index toujours enfoncé dans la sonnette de la femme, la sienne.
« Bonjour. Je suis Ariane Parker. » ma main se tend maintenant vers elle, mon sourire acide n’en grandit que plus. « La gamine que votre connard de mari a abandonnée y’a un peu plus de 25 ans. » j’attends que sa paume soit ancrée dans la mienne pour la serrer, pour annoncer mes couleurs. « Vous avez un truc à manger ? I’m starving. » mon regard dérive par-dessus son épaule, fouille la maison, cherche des éléments, n’importe quoi, pitoyablement à espérer qu’il a peut-être une marque, un signe, un drapeau blanc somewhere. Mais non, rien de chez rien. Le gars est clean comme de l’eau, il s’invente une vie comme un bel hypocrite. J’ai jamais aimé les mensonges, j’ai toujours préféré la vérité. Et il semblerait que maintenant soit le meilleur moment pour la rétablir.