« Je travaillais sur un sujet l'autre jour, et je suis tombée sur une étude qui évoquait qu'entre quarante à quatre-vingt-dix pour-cents des personnes présentant une dépendance à l'alcool ou aux drogues, auraient au moins une rechute après s'être fait soigner. » Alex relève la tête et croise le regard de quelques inconnus, assis face à elle. Plusieurs paires d'yeux la dévisagent. Et si c'est quelque chose d'intimidant, Alex tente de faire abstraction se contentant de réciter ce qu'elle avait préparé. Évitant de se laisser submerger par les émotions, la peur ou toute autre pensée qui pourrait la paralyser. Elle regarde les gens devant elle, hommes, femmes, jeunes, vieux, de tout milieu social. Et elle se demande ce qu'elle fait là, encore, à parler de sa vie. « C'est parce que vous avez rechuté que vous êtes là avec nous ? ». C'est à elle que l'on parle, mais elle est perdue dans ses pensées. Plongée dans les souvenirs des derniers jours qui l'avaient conduis à ce moment précis.
Depuis son retour à Brisbane, les souvenirs refaisaient surface. Inévitables, inéluctables, indispensables. Une vie qu'elle avait tenté d'oublier, d'extraire de sa mémoire, sans jamais vraiment y parvenir. Mais être ici pour elle, était aussi bénéfique que douloureux et elle devait faire avec. Pendant des années, elle avait cherché par différents moyens à oublier, à mettre ses souvenirs dans une boite et à les enterrer. Sans réussite. Elle avait pensé, naïvement, qu'il suffisait de partir, de tourner la page, de rompre tout contact avec son passé. Elle avait espéré que cela l'aiderait à avancer, et pourtant huit ans avaient passé et la douleur était toujours là. Elle n'avait jamais pu faire le deuil de son passé, elle n'avait jamais pu oublier. Elle ne s'était jamais donnée la possibilité de vivre avec, et désormais elle voulait faire les choses correctement. Accepter son passé, pour pouvoir envisager l'avenir plus sereinement. Elle avait passé sa vie à fuir, à se cacher, à se mentir. C'était fini. Elle était revenue à Brisbane avec des attentions simples, avec l'envie de faire la paix avec son passé, mais elle était loin de s’imaginer que ce serait aussi dur. Les cauchemars en nombre. Les souvenirs qui refaisaient surface à chaque coins de rues. Et les dernières nouvelles qui avaient fragilisé l'Anglaise. Elle s'était sentie faiblir, la culpabilité revenait encore et encore et se manifestait dans ces rêves, de plus en plus nombreux. Le sport avait aidé, un peu. Mais, pas assez pour supporter toutes les dérives de son ancienne vie qui revenaient hanter ses pensées. Un soir, alors qu'elle était partie courir pour s'aérer l'esprit, Alex s'était retrouvée dans une rue qu'elle avait bien fréquenté lors de ses premières années à Brisbane. Une rue dans laquelle elle venait lors des soirées de fêtes et de débauches avec certains de ses amis pour obtenir de quoi profiter encore un peu plus de la soirée. Elle se rappelait ses premières années, ses premières expériences, ses premières soirées, ses premiers abus, ses premières cuites, ses premières drogues douces. Tant de liberté d'un coup, trop sans doute, elle n'avait pas su se contrôler. L'alcool, la cigarette, la drogue. Elle avait tout découvert ici à Brisbane. Et si, de ces années, il ne lui restait que la cigarette comme unique addiction, elle en avait cultivé d'autres à son retour à Londres. D'abord pour noyer un peu sa peine, et soulager sa conscience, puis ensuite pour maintenir sa concentration pour ses études. Une addiction à certains médicaments et drogues qu'elle avait du traiter, à la demande de sa mère. Elle était clean depuis plusieurs années. Et pourtant, dans cette rue, elle avait eu, l'espace d'une seconde, envie de replonger dans certains de ses anciens démons. Juste pour oublier, juste pour obtenir un peu de répit après l'annonce difficile de la mort de son amie. Elle avait reprit son jogging, quittant cette rue au plus vite, et lorsqu'elle était rentrée chez elle ce jour là, elle avait ouvert son ordi. Et dans sa barre de recherche, elle avait entré ces quelques mots. « Groupe de parole addiction Brisbane. »
Devant le long silence d'Alex, l'animateur du groupe de parole lui propose de reprendre un autre jour. Mais l'Anglaise replonge son regard sur son petit bout de papier et reprends son récit. « Ma première pensée fut que les chercheurs ne s'étaient pas trop avancés avec leurs chiffres. J'ai même été tentée de me dire que l'écart entre les deux valeurs ne permettait pas à l'étude d'avoir un quelconque intérêt scientifique. Mais je ne suis pas scientifique, alors je vais me contenter de prendre les chiffres tels qu'ils sont. » Le bruit d'une porte interrompt le monologue d'Alex. Tout les yeux se tournent vers elle, Alex ne décolle pas son regard de son papier ou les mots sont écrits avec soin à la main. Une jeune femme rejoins le groupe, s'installe et Alex ne relève pas la tête, attendant uniquement que le silence revienne dans le groupe pour reprendre sa lecture, sans émotion, détachée comme pour garder une certaine distance avec la réalité de la problématique qu'elle partage avec les autres.
« Je regardais donc l'écart, entre les 40% à 90% de personnes rechutant, et je me demandais ou j'étais moi dans ces pourcentages. Si je voulais être optimiste, je me dirais que si la fourchette basse est de 40% de rechute, il reste tout de même 60% de personnes cleans qui ne rechuteraient pas. Et en même temps, l'autre nombre donne un constat bien différent et il est peu enclin à l'optimisme. Pourquoi je serais dans les 10% qui ne rechuteraient pas ? Qu'est-ce que j'aurais de plus que les 90% autres qui vont ou ont vécu au moins rechute ? Si autant de monde rechute, si neuf personnes sur dix rechute, pourquoi je serais l'exception ? Alors si les scientifiques le disent, pourquoi je ne me laisserais pas tenter après tout je ne serais pas la seule à replonger, ce sont les études qui le disent. Pourquoi lutter si même les pourcentages sont contre nous ? Je suis clean depuis des années, et l'autre jour, pendant une fraction de seconde, j'ai ressenti l'envie, le manque et depuis j'ai peur de la rechute, et c'est pour ça que je suis là aujourd'hui.» Le bruit du papier qui se froisse dans les mains d'Alex signale la fin de son intervention. La première de ses interventions dans ce groupe de parole. Une autre personne prends la parole, et Alex peut relâcher la pression.
Une des personnes présente prend la parole et j’étouffe difficilement un bâillement. Ce n’est pas contre elle, c’est une chouette fille, mais même si c’est ma troisième séance ici, je n’arrive pas à m’imprégner de l’ambiance et ça ne me donne pas spécialement l’envie d’avancer. Alors certes, son discours est bien ficelé et les chiffres qu’elle donne fond peur, mais là où tous ont peur de la rechute, moi j’ai surtout peur d’être convaincue par l’idée d’arrêter de retomber dans la pauvreté. Je ne veux pas stopper cette addiction au shopping parce que je ne veux pas que mon train de vie change, je ne me sens pas capable d’avouer à tout le monde que je ne peux pas m’offrir tout ce que je veux. Je n’écoute pas vraiment ce que la fille raconte, mais je la regarde. Elle a des traits doux, mais elle a l’air triste, beaucoup trop triste pour une jeune femme de son âge. Quoi que, je n’arrive pas vraiment à évaluer son âge… D’un côté, j’ai l’impression qu’elle est un peu plus âgée que moi, mais peut-être est-il possible qu’elle ait simplement été abimée par son chemin de vie ? Je n’en sais trop rien mais nous ne nous posons pas de question parce que ce n’est pas le but de ce groupe de parole, nous partageons nos expériences dirigées par un animateur neutre mais nous évitons de nous agresser les uns les autres, enfin c’est ce que j’ai cru comprendre. Elle s’arrête de parler. Regarde le groupe. J’ai l’impression qu’elle va se mettre à pleurer mais non. Le silence s’installe, l’espace d’un court instant avec qu’une autre fille prenne la parole. Timide, mal à l’aise, elle n’a pas l’air du tout à sa place et triture ses bijoux entre ses doigts pour tenter de canaliser sa nervosité. « Je fume depuis que je suis adolescente et après avoir eu un cancer du poumon en 2012, je n’ai pas pu m’empêcher de reprendre… Je sais que je mets ma santé en danger et j’aimerais arrêter mais j’ai l’impression de ne pas réussir à trouver la force nécessaire pour aller au bout de ce projet. Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire ? On sait que quelque chose est néfaste pour nous, on voudrait vraiment changer les choses mais on n’a pas le déclic pour le faire… J’attends ce déclic depuis tellement longtemps maintenant, je ne suis pas sûre de l’avoir un jour. » L’assistance reste muette mais malgré tout, je suis persuadée que de nombreuses personnes se sont reconnues dans son discours. Pas moi, toujours pas, car non seulement je n’ai pas la force nécessaire pour changer mais je n’en ai pas non plus la volonté et je ne vois pas tant que ça l’intérêt. Bien sûr, mon surendettement et mon éloignement de ma famille sont deux raisons qui me poussent à faire des efforts et c’est ce qui fait que je suis là aujourd’hui, mais au fond, je n’ai pas envie que ça change.
Cette fois, alors que le silence s’installe, personne ne prend la parole et les regards se tournent vers moi. Je commence à comprendre que je suis la seule à ne pas avoir parlé et que tout le monde attend que je me jette à l’eau à mon tour pour partager mon expérience. Je déglutis difficilement. Il est vraiment très compliqué pour moi de prendre la parole en public, surtout quand je ne sais pas vraiment ce que je dois dire, comment je dois le dire et si je ne m’aventure pas sur un sentier tortueux. Mais devant les regards tournés vers moi et l’insistance de l’animateur qui, même s’il ne me dit rien, n’a pas l’air de vouloir passer à autre chose si je ne prends pas la parole, je sais que je vais devoir obtempérer. « Je… Je ne suis pas sûre de savoir quoi dire… Je n’ai rien préparé. » Je baisse les yeux vers mes chaussures hors de prix, incapable de soutenir plus longtemps le regard de l’assemblée. Franchement, j’ai envie d’être complètement ailleurs, je regrette tellement d’avoir mis les pieds ici, je n’ai rien à faire parmi ces gens, je n’ai pas les mêmes préoccupations qu’eux et je ne veux pas avoir ces préoccupations-là. Je veux rester la fille qui peut s’offrir des vêtements hors de prix, aller dans toutes les soirées, mener un grand train de vie même si je n’en ai pas vraiment les moyens… Bref, je n’ai vraiment rien à faire ici. « Préparer son texte n’est pas obligatoire, l’important et simplement de libérer ce qu’on a sur le cœur. » Et écouter ? C’est bien aussi d’écouter mais je suppose que ce n’est pas l’essentiel d’un groupe de parole et que si toutes les personnes présentes, comme moi, se contentaient de se taire et d’écouter, alors ce groupe n’irait pas bien loin. J’essaie de sourire à l’animateur, mais je suis tellement crispée que ça doit paraitre complètement faux. Tant pis, j’aurais au moins fait cet effort, c’est un grand pas en avant pour moi. « Je… J’aimerais sortir de mon addiction pour renouer avec ma famille… Je n’aime pas la manière dont ils me regardent depuis qu’ils sont au courant pour tout ça… J’aimerais que nous ayons la même relation qu’avant… Quand tout allait bien, quand je ne les dégoûtais pas complètement… Quand j’avais l’attitude qui leur convenait. Maintenant, j’ai l’impression que rien ne leur convient. » Mon amertume est très nette, mais je me dis que personne n’est dupe, évidemment que ma famille me manque, évidemment que je serais beaucoup plus heureuse si je ne me sentais pas aussi exclue et marginalisée par ceux que j’aime, mais d’un autre côté, j’ai également conscience que ce n’est pas pour mes problèmes familiaux mais pour on addiction que je suis dans ce groupe et ce n’est pas du tout de ça dont j’ai envie de parler car je n’ai toujours pas la moindre envie de m’en défaire. « Voilà, c’est tout, je vous avais dit que je n’avais pas grand-chose à raconter. » Maintenant laissez-moi tranquille, je crois que ma présence ici est une véritable erreur.
« Mes enfants ne comprennent pas, mes proches ne comprennent pas. Je suis tout les mois à découvert, et ils me reprochent tout le temps de ne pas pouvoir m'arrêter de consommer pour eux. Je me sens tellement seule. Ils pensent que je suis égoïste et je m'en veux de leur faire subir ça. Je me sens faible face à eux et j'aimerais pouvoir réussir à arrêter pour eux, mais je ne peux pas. Et c'est encore plus dur à vivre. » Les témoignages s’enchaînaient, et l'impact de l'addiction sur l'entourage semblait être le sujet choisit par plusieurs des participants. Si autant de participants avaient opté pour ce sujet, c'était sans doute pas un hasard. La dernière séance s'était terminée avec ce sujet, celui de la famille. Et beaucoup d'entre nous étaient ressorti avec cette réflexion en tête. L'impact et l'importance de la famille sur le processus de guérison et de sevrage. C'était une pensée que j'avais déjà pu élaborer à l'époque, lors de mes premières sessions dans un groupe de parole à Londres. Quand je n'étais encore qu'une jeune femme inconsciente de la réalité de sa situation. Je me rappelais des mots de la jeune femme lors de la dernière séance. Je la cherchais du regard inconsciemment, c'était elle qui avait fait mûrir ce questionnement dans la tête des gens. Enfin pas elle directement puisque tous ici nous avions déjà eu au fond, consciemment ou non, à réfléchir à l'impact de notre mode de vie sur nos proches. Mais, malgré son attitude peu impliquée, sa parole avait été entendu et le groupe avait choisi, sans concertation, de revenir sur le sujet abordé par la jeune femme. Je la cherchais du regard parce que j'avais sentie quelque chose en elle. Peut être que je m'étais un peu retrouvée dans sa façon d'être, dans sa façon d'aborder le groupe. « Je voudrais qu'on arrête de me dire ce que je dois faire ou non. J'en ai marre que tout le monde se permettent de me juger sans me connaître. Oui je bois, mais qui sont-ils pour juger que je bois trop ? Je suis ici aujourd'hui parce que j'ai l'obligation légal de participer à un truc de ce genre. Mais mes proches passent leur temps à me parler d'alcool, d'addiction, de consommation, et après on me demande d'arrêter alors que toute ma vie tourne autour de ce qu'ils appellent mon alcoolisme. Plus ils m'en parlent et plus j'ai envie de boire. » Nous avions tout types de personnalités dans ce groupe de parole, tout types d'addiction aussi. Les nouveaux venus qui cherchaient encore leurs places, et ce que ce groupe pouvait leur apporter. Ceux qui se demandaient encore ce qu'ils faisaient là, n'acceptant pas totalement l'idée d'avoir un problème et pourtant ne pouvant nier les conséquences nocives de leurs comportements. Ils y avait aussi ceux qui étaient ici parce qu'une tierce personne était intervenue et les avait obligé à venir, comme cet homme. Il y avait, aussi les personnes en soin pour qui l'acceptation de l'addiction avaient eu lieu et qui désormais se retrouvaient en sevrage à découvrir la vie sans ce qui occupait leur quotidien. Et puis il y avait les anciens addicts, anciens alcooliques, anciens drogués, ceux qui se disaient clean mais qui luttaient encore avec certains de leurs anciens démons. Je faisais partie de cette dernière catégorie. Plus vraiment droguée, mais pourtant pas totalement soignée. J'écoutais tout ces témoignages, certains assurés, d'autres beaucoup moins. Certains préparés, d'autres cherchant leurs mots, leurs phrases, guettant une réaction, ou un soutien auprès des autres. Et je me rappelais mes premières sessions dans des groupes de paroles de ce genre. Elles avaient été calamiteuses, trop de choses à dire et autant à taire. Je me souvenais des ces premiers moments face à des inconnus, ces moments d'extrêmes solitudes. Ces instants ou j'avais l'impression d'être totalement nue, à la merci d'inconnus me dévisageant, attendant de connaître mes plus grandes faiblesses, mes plus grandes hontes. Je me rappelais les premiers témoignages de ma part lors de mon tout premier groupe de parole. Alors que je n'avais pas encore totalement accepté mon addiction, je n'avais pas encore accepté l'idée que je n'avais plus le contrôle de ma vie, de ma consommation. Moi, la femme ultra sérieuse, vu par mes collègues de promo comme une personne réservée, avide de contrôle et exigeante. J'étais enfaîte totalement dépassée par mes angoisses et par la drogue et les médicaments que je prenais pour m'aider à gérer ma vie. Mais me l'avouer était encore une épreuve trop douloureuse. Il aurait fallu que j'accepte mes faiblesses, que j'accepte l'idée d'être dépassée, l'idée de perdre le contrôle. Et c'était impossible. Je me souvenais de toutes ces confidences lâchées au fil des séances. De tout ces souvenirs personnels, partagés à l'assemblée. De cette incertitude dans la voix. De ce doute dans la tête. Et cette même question qui revenait sans cesse. *Mais qu'est-ce que je fais ici ? Comment ces gens peuvent m'aider alors qu'ils sont incapables de s'aider eux même.* Désormais ce questionnement était loin, et quand ce fut à mon tour de parler, sans préparation cette fois, j'avais pu m'exprimer sans trop de difficultés apparentes. Ce n'était pas une première pour moi et j'avais déjà passé la question de la famille à plusieurs reprises, même si certains données avaient depuis changées, je pouvais parler de certaines choses sans trop de souffrances et en restant dans le thème des autres participants. « La première personne qui m'a fait prendre conscience que j'étais dépassée par mon addiction, c'est ma mère. Ça aurait pu être anecdotique voir même ironique venant d'elle, vu qu'elle est, était, elle-même totalement sous l'emprise des anti-dépresseurs. » Je marquais une légère pause. C'était la première fois que je parlais de l'impact de ma mère sur ma prise de conscience depuis qu'elle s'était suicidée. La première fois que j'évoquais son apport dans ma guérison en parlant d'elle au passé. « Mais pourtant, c'est la seule qui à l'époque aurait pu me faire entendre raison. Ce n'est pas vraiment pour elle à proprement parlé que j'ai accepté de demander de l'aide, mais c'est grâce à elle que j'ai arrêté. Malgré ses propres soucis, elle m'a aidé à surmonter les premières étapes, à sa manière, elle m'a accompagné sans me juger. Elle n'a pas eu la force de surmonter ses propres démons, mais elle m'a guidé dans mon parcours, me félicitant, m'encourageant dans mes réussites et surtout ne m'accablant pas quand les choses tournaient mal. Parce que c'est une réalité, on a tous des périodes de difficultés, de peurs, de manques tout simplement. Ma mère n'était pas prête à sortir de sa propre addiction mais si j'ai pu me relever c'est grâce à elle et je crois que cette épreuve m'a montré que ma mère avait une force en elle que je ne soupçonnais pas. Je l'avais toujours vu faible, dépressive et pourtant c'est elle qui m'a donné la force d'arrêter. Je pense qu'on a tous besoin d'un soutien, de quelqu'un qui voit au delà de l'addiction, au delà des difficultés. Et pour moi, cette personne ce fut ma mère, et aujourd'hui c'est autant pour elle, qu'à cause d'elle que je lutte pour ne pas replonger. » Je balayais immédiatement de mon esprit les images de son suicide qui remontaient dans ma mémoire. Ce n'était pas le moment pour ce sujet, pour cette pensée. La première séance avait été compliquée, puisqu'elle avait ravivé en moi plusieurs sentiments forts. Mais j'avais passé l'étape de la première séance, de l'acceptation de la demande d'aide, l'épreuve de la première prise de parole, et désormais je pouvais aborder le groupe de parole avec un peu moins d'anxiété et avec un peu plus de sérénité. Je connaissais déjà tout ça, j'avais déjà pu élaborer pas mal de choses sur mon addiction, ce qui rendait la chose un peu moins stressante. Et même si j'avais déjà de l'expérience, je savais quand même que toutes les séances ne seraient pas agréables. En même temps personne n'oserait un jour vous dire que s'ouvrir, montrer ses vulnérabilités aux autres pourrait être une partie de plaisir. Ce n'était pas un moment plaisant, mais c'était un moment important et j'avais pu comprendre depuis le temps, l'importance de pouvoir mettre des mots sur mes maux. Et c'était aussi un peu mon rôle, en tant qu'habituée des groupes de paroles, d'accompagner les autres dans cette découverte de l'importance de la parole.
Je crois que j’ai vraiment lancé quelque chose car après ma prise de parole, le sujet des proches prend de l’ampleur et tout le monde commence doucement à l’aborder. Entre la fille qui estime qu’elle ne boit pas trop alors qu’elle a l’air bourrée quasiment en permanence et celle qui a l’air d’être en train de s’endormir sur sa chaise, je crois que je suis vraiment bien entourée. La fille des statistiques reprend la parole mais cette fois, elle ne se contente pas de chiffres, elle parle avec le cœur et je dois reconnaitre que je trouve son histoire touchante. Alors comme ça, elle avait une mère droguée et elle est tombée elle-même dans sa propre addiction ? Je suis étonnée, je pensais que les enfants qui voyaient leurs parents se faire du mal de cette façon, faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour ne pas devenir comme eux. En tout cas, je me dis que c’est ce que j’aurais fait, moi, si j’avais vu ma maman dans un état lamentable. Je ne sais pas pourquoi mais j’estime que mon addiction est moins grave que celles des personnes qui sont présentes aujourd’hui, sûrement parce qu’elle ne porte pas atteinte à mon intégrité physique ou à mon mental. Après tout, les alcooliques perdent complètement le contrôle d’eux-mêmes lorsqu’ils sont sous l’emprise de l’alcool, pareil pour ceux qui se droguent, ils sont capables de devenir colériques, violents, ils se font du mal et font du mal à leurs proches, parfois même ils détruisent leur famille. Moi, de mon côté, je me contente de dépenser des sommes folles pour mon seul plaisir mais ça ne nuit absolument à personne. A la limite, mon compte bancaire en prend un coup tous les mois et mon banquier doit sacrément s’arracher les cheveux mais si mes problèmes m’éloignent de ma famille c’est surtout parce qu’ils ne supportent pas que leur fille ou leur sœur soit devenue stripteaseuse et ça me met hors de moi. Je ne comprends pas qu’ils ne fassent pas l’effort de m’accepter comme je suis, peu importe la voix que j’ai choisi. En l’occurrence, j’ai pleinement conscience que la prostitution n’est pas un choix de vie que je fais par amour de ma profession mais un choix que je fais par nécessité financière. Toutefois, j’estime que ce choix, je l’ai fait seule, en mon âge et conscience, et que je suis désormais trop grande pour que mes géniteurs puissent avoir le droit de s’opposer à ça. C’est sûrement pour cela qu’il y autant de frictions entre nous ces derniers temps et si je suis ici, c’est évidemment pour réparer ça. Cependant, je ne vois pas comment je pourrais réparer quoi que ce soit en étant sûre que je suis dans mon bon droit.
Je devrais peut-être me remettre en question… Peut-être. Mais à défaut d’y arriver, je préfère me concentrer sur les discours qui continuent à jaillir autour de moi, même pas appelés par l’animateur qui ne dit plus rien depuis plusieurs minutes, se contentant de murmure ni approbateurs ni désapprobateurs à chaque nouvelle prise de parole. Difficile de savoir ce qu’il pense celui-là ou même s’il pense quelque chose, peut-être se contente-t-il de jouer le rôle d’intermédiaire ou de relancer le débat quand il juge que c’est nécessaire. « Lors de mon divorce, j’ai obtenu la garde de mes trois enfants et leur père est parti vivre à cinq cent kilomètres d’ici avec sa nouvelle pouffe… J’étais tellement contente de les avoir avec moi, je pensais que je pourrais puiser en eux le courage nécessaire pour avancer mais je n’ai pas pu… J’ai commencé par un petit verre de vin le soir une fois les enfants couchés, puis deux, puis trois… Et ça a été la descente aux enfers. Mes enfants sont partis vivre chez leur père depuis maintenant deux ans… Je les ai perdu à cause de mon addiction. » La voix de la jeune femme se brise et je baisse les yeux vers le sol, peu désireuse d’assister à cette crise de larmes. La pauvre, je la plains, tout perdre parce qu’on n’est pas capable de s’en sortir. C’est monstrueux. « Je les ai vu pour la dernière fois une semaine durant les dernières vacances d’été, mon ainé n’a même pas voulu me faire un bisou pour me dire bonjour et la cadette avait désormais du mal m’appeler quand elle avait des difficultés pour faire quelque chose… Elle demandait d’abord à ses frères et sœurs avant de me demander à moi… J’ai trouvé ça douloureux et je me suis encore plus réfugiée dans l’alcool alors que ce n’était pas du tout la chose à faire. J’aime mes enfants plus que tout mais je crois qu’eux m’aiment de moins en moins. Je vois sur Facebook des photos de leur nouvelle famille recomposée et j’ai l’impression qu’ils sont bien plus heureux sans moi. Parfois, j’aimerais juste ne pas être là, je me dis que ça serait un poids en moins pour tout le monde. » Une suicidaire… Quelle horreur. Sa voisine pose délicatement sa main sur son épaule et je lui suis reconnaissante d’avoir fait quelque chose pour ne pas laisser cette pauvre femme à l’agonie. Le silence se prolonge quelques instants et j’ai tellement peur qu’elle reprenne de nouveau la parole que je me lance à mon tour alors que je m’étais promis que l’intervention que je viens d’avoir serait la toute dernière. « Parfois, je me demande pourquoi est-ce qu’on tient à ce point-là à vivre pour les autres et pas pour nous-mêmes, peut-être qu’on serait tout simplement plus heureux si on essayait de vivre de la manière dont nous avons envie de vivre et pas pour plaire à nos proches. » C’est sûrement de dire ça à une femme qui a perdu ses enfants. Je ne pense pas que ça l’aide, mais c’est ce que je pense. « Je fais tout pour regagner l’amour de ma famille mais au final je brasse de l’air, alors que si j’essayais simplement de poursuivre ma vie sans me soucier de e qu’ils peuvent penser, ça irait mieux. J’aimerais bien que ce soit aussi facile. » La solitude est-elle la solution ? Je n’en suis pas certaine. « C’est tout. » Cette séance est interminable et mes yeux n’ont pas décollés du sol. J’espère que ce sera vite terminé.
J'écoutais le témoignage qui suivait le mien et j'avais bien du mal à ne pas me laisser déborder par la colère que je ressentais. Cette femme faisait souffrir ses enfants depuis des années, à cause d'un divorce. Ils avaient grandi avec une mère alcoolique, j'avais grandi avec une mère dépressive. Ses enfants avaient du apprendre à se débrouiller seuls, et pire, ils avaient du grandir en voyant leur mère devenir épave soir après soir. Ils avaient du apprendre à gérer seuls. Et elle, maintenant qu'ils étaient en capacité de se débrouiller, elle trouvait cela difficile à accepter ? Je savais aussi bien que la plupart des gens ici, l'impact de l'addiction sur les proches. J'ai été droguée et j'ai eu une mère dépressive, droguée aux médicaments. Je ne devrais pas juger cette femme et pourtant au plus profond de moi, l'entendre penser que le suicide était la solution me procurait un sentiment de dégoût. Je la voyais pleurer, mais je n'éprouvais même pas d'émotions face à sa tristesse. Elle avait fait subir son addiction à ses enfants et maintenant elle pensait à leur faire subir son suicide, c'était trop. Trop lâche, trop facile et je ne pouvais pas compatir à sa douleur en pensant à celle qu'elle faisait subir à ses enfants. A celle que j'avais subis. Une voix m'avait sorti de ce moment délicat et j'avais tenté de me concentrer uniquement sur ses propos. De détourner mes réflexions sur ce qu'elle disait. « C'est tout ? Donc c'est à moi alors. Si tu cherches à ce que la vie soit facile, j'ai bien peur de te dire que tu fais fausse route. La vie est pas simple, surtout quand on est des drogués. Regarde nous tous là. Nos proches sont à la fois nos plus grosses faiblesses mais aussi nos plus grandes forces mais ils sont primordiaux dans notre situation. Sans eux, il ne reste plus que notre addiction, notre putain de drogue et plus aucun lien avec la réalité. Alors on se plaint qu'ils nous font chier, qu'ils nous accablent, qu'ils nous jugent, qu'ils nous comprennent pas, mais est-ce qu'on essaye de les comprendre nous ? On leur impose nos problèmes et on leur demande pas leurs avis. Certains finissent par partir parce que la situation n'est plus tenable pour eux, on gâche leurs vies, leurs jeunesses, leurs espoirs. On les inquiète, et le pire c'est qu'on n'essaye même pas de se mettre à leur place, on ne s'excuse même pas de leur gâcher leurs vies et on leur reproche de nous laisser. Ils subissent l'addiction alors qu'ils ne sont pas drogués. Et eux, parfois, ils restent, ils encaissent, ils se tiennent debout parce qu'on est pas capable de le faire. Sans eux, on est plus rien, seul, des déchets.» Des murmures, des soufflements bruyants, se faisaient entendre pendant le monologue de cet homme qui visiblement en avait gros sur le cœur. Il avait déchargé sa colère, sa rancœur et sa culpabilité sur le groupe et il avait jeté un froid. Je n'osais pas le regarder de peur de risquer d'envenimer la situation. Quelques membres semblaient prêt à lui répondre avec virulence. « Tout le monde se calme. Je crois que tout le monde a besoin de souffler un peu. On va faire une petite pause. Café, soda, viennoiseries, sont à disposition. Servez-vous.» L'animateur avait reprit la main sur les échanges, sentant sans doute la tension qui était monté en flèche suite à l'intervention de cet homme. Le malaise se faisait ressentir dans le groupe, et la femme qui se demandait, quelques secondes plus tôt, si elle ne ferait pas mieux de disparaître s'était remise à pleurer de plus belle. Inconsolable devant le constat si froid de cet homme qui avait glacé la plupart des membres présents. De mon coté, je restais silencieuse gardant un œil sur l'une des plus jeunes du groupe. Je n'avais pas faim, ou soif. Un café à Brisbane en pleins mois de Février, fallait être fou pour accepter. J'avais envie, même besoin d'une cigarette mais ce n'était pas vraiment le lieu approprié pour m'adonner à cette addiction là. A ma droite la femme restait inconsolable malgré la présence à ses cotés de l'animateur et d'un autre membre du groupe. A ma gauche, j'entendais certains membres poursuivre le débat et réagir à la réaction brut et agressive de l'homme. Et moi, j'étais encore assisse sur ma chaise, jouant avec le paquet de cigarette dans mon sac. Je n'allais pas fumer, malgré l'envie mais j'avais quand même besoin de prendre l'air. De m'aérer l'esprit. Beaucoup de choses avaient été dites, entendues, ressenties dans ces groupes et j'avais besoin de souffler un bon coup, pour faire retomber la pression. Je me dirigeais vers la porte d'entrée quand je croissais l'une des participante à l'écart. « Tu ne dois pas te sentir agressée par cette intervention, on a tous par moment eu besoin de se lâcher, ce n'était pas contre toi. » Je ne savais pas trop pour quelle raison j'avais eu envie de lui parler à elle précisément. Peut être que je m'étais imaginée à sa place. La jeune moi, à mes tout premiers groupes de paroles, me faire attaquer de la sorte alors que je n'avais déjà aucune envie d'être présente. Peut être que j'espérais, en quelque sorte, lui montrer que le groupe de parole pouvait être utile. « Mais tu sais j'ai écouté ce que tu as dis et je ne vois pas les choses comme toi. Je dirais pas que l'on vit pour les autres, mais plutôt avec eux. Et que pour vivre on a besoin des gens qui nous sont proches. Mais on s'en rends compte, souvent quand ils finissent par partir, et qu'il est trop tard. » J'avais instauré un début de discussion, et pour une raison toujours aussi inconnue, je ressentais le besoin d'aller au bout de ma pensée avec elle. Je ne savais pas qui elle était, je ne connaissais pas son prénom, je ne savais même pas pour quelle raison elle était ici. Et pourtant, je me retrouvais un peu en elle. Son attitude, son déni, sa nonchalance. Ce refus d'accepter que les choses n'allaient pas, et pourtant être à des réunions. S'impliquer tout en laissant une distance raisonnable avec le reste du groupe. J'avais de la sympathie pour elle, sans même la connaître, sans rien savoir d'elle. « Et puis dis toi, que si tes proches te semblent si dur avec toi, c'est peut être uniquement parce qu'ils tiennent à toi non ? L'indifférence blesse plus que le reproche et si tes proches ont remarqué les problèmes c'est que tu comptes pour eux. Et s'ils jugent que tu te mets en danger, ils ne peuvent pas faire semblant de ne rien voir, ça serait encore plus compliqués pour eux. Ce serait une façon de te dire qu'ils tolèrent et que tu as leur accord pour continuer ce qu'ils jugent être dangereux pour toi. Tu ne pourras pas t'en sortir pour eux, ce sera uniquement parce que tu en auras envie toi, mais tu pourras t'en sortir grâce à eux. Lorsque tu seras prête, tu auras besoin d'eux et si pour le moment ça te semble juste être un truc relou, un jour tu auras besoin de ta famille, de gens prêts à te soutenir. » Je savais que je ne réglerais pas les problèmes de cette jeune avec une discussion de quelques minutes, mais au fond, ce n'était pas le but. J’espérais juste pouvoir lui donner une raison de s'accrocher au groupe de parole, une raison de ne pas abandonner avant même d'avoir essayé. Sa motivation semblait être sa famille, alors elle devait continuer à s'accrocher à cette pensée. « On reprends dans cinq minutes. » La voix de l'animateur parvenait jusqu'à nous. « Je vais prendre l'air quelques minutes, tu te joins à moi ? Promis je te saoule pas à te donner mon avis sur tout. »
Apparemment j’aurais mieux fait de fermer ma gueule. J’ai à peine terminé ce que j’avais à dire qu’un mec inconnu m’enchaine comme s’il connaissait ma vie par cœur et qu’il était donc capable de savoir exactement ce que pensaient mes proches, ce dont ils avaient besoin et ce que je leur faisais subir. Trois phrases de sa part suffisent à me faire comprendre que j’ai ni aucunement besoin d’entendre son avis et encore moins l’envie, alors je laisse mes pensées vagabonder, je ferme les écoutilles, je me concentre sur les jolis motifs du carrelage et je reste totalement impassible. Les gens qui pensent tout savoir mieux que tout le monde ne m’intéressent pas, nous sommes venus ici pour nous exprimer pas pour être jugés et je ne pense pas que ce type soit capable de me pointer du doigt en disant que je fais du mal à mes proches parce qu’il a les fesses sur cette chaise c’est qu’il en a fait certainement aussi aux siens. C’est quoi son problème à lui ? Drogue ? Alcool ? Poussées de colères ? Tout en même temps ? S’il est capable d’engueuler une gamine de vingt ans qui cherche à avoir une vie simple et sans soucis, c’est probablement qu’il est dérangé, je le vois bien battre ses enfants. La suicidaire a l’air totalement au bout de sa vie, je ne pense pas que le discours moralisateur du gars lui fasse beaucoup de bien. Pourtant, c’est pour ça qu’on est là, non ? Se libérer ? Extérioriser ? Ressortir en allant mieux ? Je ne suis pas sûre que ce soit une réussite pour cette dame, je pense plutôt qu’elle va aller mettre son projet initial à exécution tant elle n’aura pas envie de revivre une seule séance comme celle-là. Pauvre fille. Je la plains vraiment, elle est totalement bouleversée par ce qui se passe dans sa vie et au lieu de lui tendre la main, on lui tape dessus. Elle me fait vraiment de la peine. Malgré tout, je comprends également la position de ses enfants et de son ex-mari, elle n’a pas supporté son divorce, c’est une chose, mais à partir du moment où on met des êtres humains au monde, on se doit de vivre pour eux et non plus pour nous et cette femme les a fait clairement passer au second plan. Elle s’en veut, ça se voit, mais les années ne se rattrapent pas. Tout ce qu’elle peut faire désormais, c’est tâcher de leur offrir un futur meilleur à ses enfants en se soignant et en faisant en sorte que son statut de mère redevienne plus évident que son statut d’alcoolique aux yeux de ceux qu’elle aime. Pour ma part, j’admets que je me demande encore ce que je fais ici, où est ma place… Je ne suis pas comme eux, pas du tout. Mon addiction au shopping est quelque chose de volontaire que je ne me vois pas du tout arrêter. Si je suis là, c’est surtout pour que les disputes familiales s’arrêtent mais je sais que je ne mettrais pas fin à cette passion. Car oui, dans ma tête, c’est une passion et non pas une addiction. Ils peuvent essayer de me faire entendre ce qu’ils veulent, je ne pense pas réussir à les croire un jour.
Je crois que notre animateur va avoir des cheveux blancs parce qu’il se hâte d’annoncer la pause dans une atmosphère plus que tendue. Tant mieux. Je me lève parmi les premières, ayant hâte de quitter ce cercle qui ne me dit rien qui vaille. J’attrape mon sac, mon manteau, je suis prête à me diriger vers le buffet pour attraper trois ou quatre viennoiseries mauvaises pour ma ligne et m’éclipser dehors. Franchement, je crois que je vais me barrer. J’ai envie de me barrer. Je n’ai rien à faire ici. J’hésite quelques instants, me demandant si mon départ sera mal vu ou non… Mais en même temps, est-ce que je dois quelque chose à tous ces gens ? Non, rien, absolument rien, alors je peux m’enfuir. Malheureusement, les quelques minutes de réflexion sont en trop puisqu’elles suffisent pour qu’une des filles du groupe, sortie de nulle part, se permette de venir m’adresser la parole. Rah. Mais laisse-moi tranquille ! Je ne t’ai rien demandé ! « Je ne me suis pas sentie agressée, je me fous de l’opinion des gens. » Pure vérité. Ce qu’il croit savoir ou non à mon sujet m’indiffère au plus haut point. S’il faisait partie de mes amis ou de ma famille et connaissait donc ma manière d’être, alors oui, j’aurais sûrement été touchée par ses mots, mais ce n’est pas le cas, donc tout cela n’a aucune importance à mes yeux. En revanche, cette conversation ne me plait pas des masses, cette fille est mignonne, elle a l’air charmante et je me demande d’ailleurs comment elle se retrouve dans le tas de déchets qui gravite autour de nous. Malgré cela, j’admets ne pas avoir trop envie de tisser des liens avec des membres du groupe et encore moins de débattre sur ma vision des choses. « Tu as peut-être raison. » Je hausse les épaules, en vérité, je ne suis pas du tout persuadée qu’elle ait raison. Encore quelqu’un qui veut m’imposer sa vision des choses sans me connaitre. Ça me gave, je ne veux pas entrer dans ce débat, ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais. « J’aimerais simplement qu’ils fassent preuve d’un peu plus de tolérance. Je sais qu’ils tiennent à moi mais ça n’excuse pas tout, et moi aussi je tiens à eux, sinon je ne serais pas ici. » Je ne me mets pas en danger, c’est bien ça le truc, ce qui les ennuie, ce sont les préjugés classiques sur mon domaine d’activité et l’image que ça peut renvoyer sur leur très chère famille, rien de plus. Autant dire que ça ne me fait pas plaisir du tout. J’aimerais qu’ils entendent mes arguments et arrêtent de me faire chier. « Et peut-être que je ne suis pas prête justement et que c’est pour ça que j’aimerais que tout le monde arrête de me faire chier. » Et oui, je t’inclus dans le lot ma jolie, désolée mais ton discours moralisateur ne me convient pas. Si tu es ici, c’est que toi aussi tu as fait de la merde dans ta vie alors ne viens pas jouer les jeunes filles modèles, ce n’est pas crédible. Pourtant, lorsqu’elle reprend la parole, je me radoucis, elle semble me comprendre et me propose même une issue de secours. Moi aussi je veux prendre l’air. « Je te suis. » Je lui offre mon premier sourire de la journée et franchit la porte qui mène vers l’extérieur, mes affaires sous le bras. Ma décision est prise, je ne reviendrais pas dans cette pièce. « Qu’est-ce que tu fais ici ? » Question tabou à la base mais elle s’est permis de juger mes relations familiales alors à moi de savoir ce que miss perfection a à se reprocher.
Un sourire, un premier sourire et j'avais l'impression d'avoir peut être réussit à établir un premier lien. Après un échange assez froid, ou je l'avais sentie plutôt distante, malgré une certaine implication de sa part dans la discussion. J'avais réussi à obtenir d'elle qu'elle m'accompagne à l'extérieur et le tout avec un sourire. Je n'avais pas cherché à revenir sur ses propos, je lui avais fais la promesse de ne pas lui donner mon avis sur tout, alors je l'avais écouté et bien que j'avais sentie une certaine agressivité dans certaines de ses réponses, je n'avais pas cherché à la provoquer davantage, retenant tout de même certaines informations sur elle. J'avais été touché par la manière dont elle semblait réellement être touchée par la situation avec sa famille, et je sentais qu'il y avait plus qu'un simple désaccord. Mais je n'avais pas cherché à l'acculer de questions qui aurait sans doute eu pour conséquences de la faire fuir. Je n'avais pas, non plus, cherché à la questionner sur ses affaires qu'elle emportait avec elle. Et, finalement le résultat de cette discussion n'était pas si négatif, un sourire et un « je te suis » de sa part et nous nous retrouvions toutes les deux à l'extérieur. Sous le soleil encore bien présent de Brisbane. J'attrapais mes lunettes de soleil dans mon sac, les yeux désormais protégés, je regardais le ciel totalement dégagé. « Qu’est-ce que tu fais ici ? » Qu'est-ce que je faisais ici ? Très bonne question, inattendue, surprenante, désarmante même mais bonne question. Sa question avait tué toute la résistance et tout le peu de volonté que j'avais en moi. J'avais finis par prendre cette cigarette qui me narguait l'esprit depuis plusieurs minutes. J'avais hésité quelques secondes à lui en proposer une. Proposer une substance addictive et dangereuse dans un groupe de soutien contre les addictions, je n'étais pas sur de la réussite de la procédure. Et pourtant au fond de moi, j'étais persuadée que sa présence ici n'était en rien liée à la cigarette. « Tu veux une cigarette ? » Je lui avais tendu le paquet. Par politesse, par courtoisie ou juste pour me déculpabiliser de m'adonner à une addiction devant un centre rempli de drogués qui venaient combattre leurs addictions. J'avais allumé ma cigarette et tirer une longue latte, tant pis pour mes poumons. 'Qu'est-ce que je faisais ici ?' Cette question tournait encore et encore dans ma tête. Je l'avais quelque peu évoquée lors de ma toute première intervention. La crainte de la rechute, la sensation de manque de la substance et de ses effets. La peur aussi de replonger, de ne pas réussir à gérer seule, de céder à ces pulsions. Alors, le besoin de parler, de partager cette expérience, de se sentir moins seule face à ses difficultés, c'était autant de raisons qui m'avaient poussé à venir dans ce groupe de soutien. C'était pour surmonter ce moment délicat, pour dépasser les pensées nocives qui revenaient obnubiler mon esprit par vague, que j'avais ressenti le besoin d'être ici dans ce groupe de soutien. Parce que j'étais une addicte à certaines substances, et aux effets qu'elles avaient sur moi. J'étais une droguée et par moment, je n'avais qu'une idée en tête, me droguer à nouveau pour faire taire cette souffrance que je ressentais et qui me replongeais dans des souvenirs trop douloureux à gérer. J'expirais la fumée de ma cigarette, et je regardais la jeune femme face à moi, cherchant une réponse à lui donner à sa question. « Toxicomanie. Dépendance aux médicaments et drogues. » J'avais sortie cette phrase avec le plus de détachement possible. C'était assez facile finalement. C'était un diagnostic impersonnel, un diagnostic parmi d'autres. Médicaments, drogues, toxicomanie, dépendance. Autant de mots vastes, qui répondaient à sa question, sans donner d'indications sur ma vie et sur mon histoire. J'avais déjà évoqué ma mère, sa dépression, mon addiction, et je savais que ma réponse n'allait pas suffire, que ce n'était pas exactement ce qu'elle avait demandé. Alors, après avoir inspirée une bouffée de cette drogue que je tenais entre mes doigts, j'avais repris la parole, essayant de me montrer un peu plus loquace. Pour apporter une réponse plus complète à sa question. « Clean depuis presque quatre ans mais par moment j'ai l'impression que ma vie est si compliquée que je devrais avoir le droit à un peu de répit, avec une dose. Et dans ces moments, je me mets à penser, que ce n'est pas grave, que ce n'est même pas un truc fort ou dangereux. Que je veux juste quelque chose pour me calmer quand ce que je ressens est trop fort, pour me sentir libérée et pouvoir souffler quelques instants. Juste pouvoir ressentir un peu de paix, de bien-être, de plaisir et faire taire cette culpabilité. » J'aspirais une nouvelle bouffée de cigarette, les yeux perdus dans le vide bien cachés derrière mes lunettes de soleil. Je repensais à tout ce que j'avais pu dire jusqu'à présent, et je ne pouvais pas rester sur ça, sur l'idée que finalement, replonger n'était pas si grave. Il fallait que je me convaincs autant que je la convaincs elle. « Mais je sais, par expérience, que les risques sont bien trop importants pour le peu de bénéfices. Et que la solution n'est pas durable, que c'est un doux euphémisme et que ça ne fait que te bercer d'illusions. Et que finalement, on finit tous par se réveiller un matin et réaliser qu'on a fait des choses, prit des choses que l'on n'aurait pas du et on finit par se détester et se blesser. On se rends compte que l'on est dépassé, que l'on a blessé des proches, que l'on a été trop loin et que c'est trop tard. Alors je viens dans un groupe comme celui ci pour parler, juste parler avec des gens et me rendre compte que je ne suis pas seule. Parce qu'au final, c'est peut être ça la seule chose à faire, parler pour accepter sa fragilité et la dominer. Enfin j'en sais rien. » Un léger aveux de faiblesse, non je ne savais pas tout, je n'avais même pas réponse à ça. Une autre question sans réponse que je me posais. Je ne savais pas pourquoi j'avais finis par parler autant à cette fille en particulier, pourquoi je ne m'étais pas juste contenter de ma super phrase 'Toxicomanie. Dépendance aux médicaments et drogues.' C'était pourtant assez éloquent, et ça suffisait à faire de l'effet normalement. Mais non, j'avais parlé, j'avais répondu avec honnêteté, peut être même un peu trop, mais comme je venais de lui dire. J'étais ici, dans ce groupe pour parler, avec dix personnes ou avec une, ça restait la même chose non ? « Puisque tu m'as posé une question, je peux me permettre à mon tour une question ? » J'avais demandé plus par politesse que pour obtenir réellement son approbation. Et sans même attendre sa réponse, j'avais à mon tour posé une question plutôt tabou, enfaîte la même qu'elle. Elle avait commencé après tout. « Et toi qu'est-ce que tu fais ici concrètement, à part vouloir regagner l'amour de ta famille dans un groupe de soutien sur l'addiction avec des inconnus ? » Je savais que la question était risquée, peut être un peu trop. Mais je n'avais fais que reprendre sa propre question et ses propres mots. J'espérais au fond que me livrer un peu avant elle, allait lui montrer qu'elle pouvait elle aussi parler librement. Mais j'étais consciente aussi que je prenais le risque qu'elle décide de m'envoyer complètement chier. Je regardais la jeune fille cachée derrière mes lunettes de soleil attendant une réaction.
Je décline son offre avec une légère grimace de dégoût. La cigarette ? Très peu pour moi. C’est sûrement étonnant vu la vie que je mène. Le monde de la nuit, les excès, la débauche, ce sont des choses qui me ressemblent, alors pourquoi pas la cigarette ? Je suis sûre qu’en connaissant mon train de vie tout le monde s’attendrait à ce que je fume, mais non, ou en tout cas, pas de cigarette. Il m’arrive de prendre quelques substances illicites de temps à autres, surtout lorsque Joey est à la maison, mais ça reste relativement rare, je n’ai jamais été vraiment folle de ces trucs, ça ne me viendrait pas à l’idée d’en consommer toute seule, par exemple, ou alors il faut que je sois vraiment dans un étant de nerfs incroyable, autant dire que ça ne m’est pas arrivé souvent. A dire vrai, quand je me sens mal, en général, je gère le stress ou la colère via le shopping ce qui n’est pas forcément idéal pour les finances mais a le mérite d’un peu moins mauvais pour la santé. « Non merci. » Je ne juge pas le fait qu’elle fume, elle fait bien ce qu’elle veut. Elle mourra peut-être d’un cancer du poumon, ou peut-être pas, mais on a de nos jours tellement de raisons de mourir différentes qu’en ajouter une à la longue liste ne change pas grand-chose. Au pire, elle aura droit à des remontrances médicales si jamais elle a un souci plus tard, mais pour le moment, elle a l’air de bien s’en sortir, elle ne tousse pas, elle est restée jolie et n’a pas les dents jaunes. Elle ne doit pas être une grosse fumeuse sinon son physique en aurait pris un coup. Et puis, en vérité, je m’en tape complètement ce ne sont pas mes affaires.
Malgré tout, je ne peux pas m’empêcher de la questionner. Je veux la connaitre davantage, apprendre les raisons de sa présence ici. Pourquoi ? Je ne saurais pas le dire moi-même, j’ai envie de savoir, c’est tout. Et puis, c’est elle qui est venue vers moi alors je me suis tout simplement permis d’être cash, si elle n’avait pas eu envie de discuter, elle ne serait pas venue voilà tout. Sa réponse ne me surprend pas, la toxicomanie est certainement la raison de la présence de neuf dixième de notre groupe, aucune originalité là-dedans. La pauvre, ça doit être dur à gérer quand même. En plus, elle n’a pas dit que sa mère était une droguée ? C’est chaud. Généralement, on évite d’avoir les mêmes travers que ceux qui nous élèvent… Mais heureusement, on en développe d’autres, ô joie. « Classique. » Mon ton est neutre, je ne donne pas mon avis et je ne prends pas position, je n’ai pas à le faire de toute façon. Mais elle enchaine, elle s’explique, elle parle davantage et je suis très surprise de la voir se confier véritablement à moi sur un sujet qui, je le vois bien, est encore dangereux pour elle. « Après quatre ans, c’est toujours aussi dur ? Il y a un moment où ça s’arrête vraiment ? » Je crois qu’on m’a toujours dit qu’on ne guérissait jamais vraiment d’une addiction mais l’entendre me dire qu’elle a encore envie de craquer parfois alors qu’elle n’a pas touché à la drogue depuis près de quatre ans me fait peur. Quatre ans de combat acharné, autant dire une éternité et cette éternité pourrait être réduite à néant en une poignée de minutes. Je crois que je n’ai jamais rien d’entendu d’aussi effrayant. Honnêtement, j’ai envie de me barrer en courant d’ici et je crois que c’est ce que j’aurais fait si elle n’avait pas continué sur sa lancée, je l’aurais fait. Je pensais avoir à faire à une jolie fille un peu fragile mais en fait je me rends compte petit à petit qu’elle est bien plus que ça et elle me touche, à sa manière. « Tu as tenu si longtemps… Tu ne gâcheras pas tout maintenant, tu es assez forte pour résister. » Je ne la connais pas mais je suis sûre d’avoir raison, elle a l’air forte, elle l’est forcément. « Je ne suis pas convaincue par le groupe de paroles… Echanger avec des gens aussi fragiles et désespérés que nous pour tenter d’aller mieux ? C’est comme si on se tirait tous vers le bas. » Il faut voir les loques humaines qu’on a entendu parler tout à l’heure, ça ne fait clairement pas rêver.
C’est à mon tour, je le savais, une question n’est jamais vraiment gratuite, il fallait qu’elle se retourne contre moi à un moment ou à un autre et c’est très rapidement le cas. La question me déplait au plus haut point, certainement parce que je ne détiens pas réellement de réponse. « Honnêtement ? » Je marque une courte pause, sachant pertinemment que je vais lui apporter une réponse dont elle ne voudra pas. « Je ne sais pas. » C’est la réponse la plus sincère que je peux lui apporter car la vérité c’est que je ne sais vraiment pas ce que je fous là en vérité. C’est sûrement pour cette raison que je n’ai pas du tout l’intention de remettre les pieds dans cette pièce après la fin de la pause. « En fait, je crois que je n’ai rien à faire ici… J’ai voulu me donner bonne conscience en venant parler, je pensais que ça me donnerait le déclic. » Pas du tout, c’est même encore pire qu’avant mon arrivée. « Je ne suis pas comme toi, ni comme eux. » Je désigne la porte d’un simple geste de main. « Je n’ai pas envie de changer. » Et je ne changerais pas. J’aime ma vie comme elle est, seule ma famille me pose un réel problème en réalité. Voir la déception dans leurs yeux à chaque fois que je suis dans la maison familiale est extrêmement dur à encaisser pour moi. Je pensais vraiment que ce groupe serait la solution mais force est de constater qu’il n’en est rien.
J'avais senti son inquiétude vis à vis de mes révélations. Devant ma difficulté à rester clean. Et, j'avais ressenti le désir, même le besoin de la rassurer pour ne pas qu'elle prenne totalement peur. L'idée qu'après quatre années de sobriété, quatre année à être clean, le manque se faisait toujours ressentir pouvait être effrayant et j'en prenais conscience en voyant sa réaction. Alors j'avais continué avec honnêteté à lui livrer une partie de mon histoire. Pour la rassurer, mais aussi, un peu pour me déculpabiliser. Me déculpabiliser, de me sentir si fragile face à la drogue, si vulnérable face à mon ancienne addiction. « Il y a des moments où ça s’arrête ou la tentation n’est plus vraiment un problème et on tu as l'impression d'être guérie, d'être forte. Et puis il y a d’autres moments où ça revient plus fort plus violent. » Je repensais à ces derniers jours, ces dernières semaines. Le décès, enfin suicide, de ma mère après des années de lutte contre la dépression, elle avait lâché prise et mit fin à ses jours. Puis mon changement de vie, mon retour à Brisbane et les souvenirs anciens qui revenaient hanter mes nuits, et le coup de grâce. L'annonce de la mort de mon ancienne amie. C'était ce genre de moments où la tentation était forte, ou le risque de replonger était élevé. « J’ai perdu quelqu’un de proche il y a quelques semaines et j’ai appris le décès d’une ancienne amie il y a quelques jours. J’ai jamais été très douée pour gérer les situations comme celles ci. » De toute façon qui pouvait se vanter de pouvoir gérer le deuil avec simplicité ? Personne enfin personne de normalement constituée non ? Et bien pour moi, cette difficulté à gérer, me replongeait dans mes anciens travers et redonnait à la drogue un certain attrait bénéfique. « Enfin bref, ça m’a déstabilisée et j’ai eu pendant une fraction de seconde l’envie de replonger pour oublier. Et depuis je me sens fébrile, fragile. J’ai peur de ne pas réussir à gérer mes émotions et les souvenirs sans replonger. » J'étais totalement honnête face à elle, une personne dont je ne connaissais pourtant absolument rien. Ni son prénom, ni son addiction, ni son âge, rien. Et pourtant, j'étais presque totalement transparente avec elle. Touchée par ce qu'elle dégageait, par quelque chose chez elle que je ne pouvais pas m'expliquer. Cette fille m'avait intrigué dès les premières minutes passées dans ce groupe de soutien, et j'étais désormais face à elle, à me livrer totalement sans même savoir pourquoi. J'entendais ses mots, son discours d'encouragement et même si elle ne me connaissait pas, et que je ne me considérais pas comme quelqu'un de fort, loin de là, j'appréciais l'effort pour tenter de me rassurer.
Elle commençait à se livrer à moi, petit à petit, mon honnêteté semblait avoir un peu d'effet sur elle et elle s'ouvrait. D'abord, sur les groupes de paroles dont elle remettait en cause l’intérêt et je ne pouvais pas lui donner totalement tord. Surtout au vue de la séance d'aujourd'hui, qui devait d'ailleurs avoir reprit, sans nous. « Moi je viens ici, parce que c'est ce que je connais. Enfin pas ce groupe là, mais d'autres groupes de ce style. Ça m'a aidé à mes débuts, même si j'étais un peu comme toi. Jeune, septique sur l’intérêt. Et pourtant, ça m'a aidé vraiment. J'avais trouvé un endroit ou je pouvais parler sans filtre, sans peur de choquer. Ou j'avais face à moi, des gens qui comprenaient la douleur de la dépendance, la souffrance de se sentir si faible, incapable de réagir alors même que l'envie est présente. Des gens qui vivent la même chose, à leur manière. Ce qui m'a permis de relativiser un peu mon addiction, et de prendre conscience que je n'étais pas seule dans ce cas. Et puis surtout, j'avais trouvé un groupe avec lequel il était possible de parler de mes réussites et de mes échecs sans la crainte de décevoir. »
Et ensuite, elle s'ouvrait un peu à moi suite à ma question. Elle ne m'avait pas envoyé chier comme j'avais pu le craindre. Et, j'avais même été surprise par son honnêteté à avouer qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait là. J'étais restée devant elle, silencieuse. Lui laissant le temps de construire sa pensée ; lui laissant le temps de trouver ses mots. Et j'avais bien fais, puisqu'elle avait continué. Donnant d'autres informations sur elle et sur sa présence ici. Et allant jusqu'à m'avouer qu'elle n'avait pas envie de changer. « Je n'étais pas comme ça au début. » Je me désignais d'une main, montrant celle que j'étais devenue. « Comme je t'ai dis, j'étais jeune, septique, je pensais que personne ne pouvait savoir mieux que moi comment je devais vivre, comment je devais gérer ma vie. Je pensais que personne ne pouvait me comprendre et de toute façon je n'avais pas envie qu'ils essayent de me comprendre.» Et c'était vrai. Je ne voulais pas qu'on essaye de comprendre d’où venait ma consommation, pourquoi je me droguais, pourquoi j'en avais besoin. Je ne voulais pas avoir à expliquer les raisons qui me poussaient à faire subir ça à mon corps, puisque c'était pour oublier que je me droguais. Alors, j'allais au groupe parce que ma mère me suppliait, j'allais au groupe pour soulager ma mère, et parce que je craignais qu'elle n'utilise mon paternel comme moyen de pression ultime. Mais je ne voulais pas que l'on parle de mon addiction, que l'on parle de moi comme d'une droguée. Et pourtant, avec le temps j'avais pris conscience de certaines choses. Des petites choses d'abord, puis ensuite déclic après déclic j'avais réussi à avancer et à réaliser que ma consommation n'était pas la solution à mon problème, mais juste un autre problème qui venait s'ajouter aux autres. Tu repensais à ses mots, ''je n'ai pas envie de changer''. Personne n'a réellement envie de changer, parce que c'est dur de changer, c'est dur de s'avouer que son mode de vie n'est pas le meilleur pour soit. « Le changement ça fait peur, et ça prends du temps. Personne ne peut t'obliger à changer, et personne n'est ici pour te mettre la pression. Tu es la seule qui puisse savoir ce qu'il te faut, et si tu es prête à avancer. Quelque soit la direction que tu choisis, et ce même si tu ne veux pas encore accepter ton addiction, tu as ta place ici. Parce qu'on est tous passé un jour par là, par le déni du problème, par le refus de demander de l'aide, parce qu'on est malgré tout humains et qu'accepter ses failles et ses erreurs n'est jamais évident.» J’avais senti, dans son discours, la probabilité assez élevée qu’elle quitte le groupe et n’y revienne jamais. Alors j’avais pris les devants, ne voulant pas lâcher l'affaire aussi rapidement avec elle. « Si le groupe de soutien ne te convient pas à l'heure actuelle, c'est possible. Tu es jeune, pas encore prête à renoncer à ce qui t'amène ici alors c’est possible que tu ne te sente pas concernée pas prête à te livrer à eux. Mais si tu ressens le besoin de parler un jour, sache que je peux aussi écouter sans poser trop de question. Je te promets pas de ne pas en poser, mais au moins je te promets de ne pas juger, quoique tu puisses vouloir évoquer. » Je lui fais un sourire compatissant, un sourire que je voudrais amical. Je ne savais pas dans quoi je m’entraînais avec cette fille, mais je savais au fond de moi, que je m'en serais voulu de n'avoir rien tenté avec elle. Parce que pour une raison toujours inconnue, j'avais la sensation d'être connectée à elle. J'étais sensible à sa personne et je voulais l'aider, à ma manière. Comme on avait pu m'aider à l'époque. « Au faite, moi c'est Alex. »
Je suis sortie avec cette fille parce qu’elle m’inspirait confiance, parce qu’elle avait l’air moins paumée que les autres, parce qu’elle parlait avec douceur et également avec une certaine intelligence. Je suis face à elle maintenant et je comprends petit à petit son histoire sans pour autant qu’elle me la raconte réellement. Il n'y a pas de chronologie dans son discours mais elle évoque différentes périodes de son addiction et ça me suffit pour réaliser qu’elle a dû en baver durant ces dernières années. En plus, si elle est là, ça signifie bien que ses ennuis ne sont pas encore derrière elle, loin de là. Je la plains, ça doit être dur d’être dans un quotidien qui rime régulièrement avec souffrance et lutte. Elle a choisi de combattre son addiction, je ne suis pas sûre que j’aurais été capable du même choix. « Je vois… » En réalité, je ne vois pas du tout, je n’ai jamais été dans cette situation alors je ne peux qu’imaginer et je pense que la simple imagination n’est pas suffisante pour réaliser ce qu’elle vit réellement. « En gros, chaque événement négatif dans ta vie, aussi minime soit-il, peut se transformer en excuse pour replonger ? » Je ne veux pas sous-entendre que le décès de son amie est un événement minime, loin de là, même si je ne sais pas encore ce que c’est que de perdre un proche, je ne suis clairement pas prête à faire le deuil de mes amis ou pire de ma famille. Je veux simplement comprendre son discours et essayer de voir si je pourrais être à sa place. Pour le moment, ça parait surréaliste, je ne me vois pas du tout faire preuve d’autant de volonté. « Et pourquoi tu ne replonges pas alors, si tu en as envie ? Tu préfères aller mal ? » Se sentir fragile, voilà quelque chose que je déteste plus que tout. Je l’ai vécu durant mon adolescence, quand j’ai rejoint ce monde que je ne maitrisais pas. J’espère que ça n’aura plus jamais lieu.
Nous parlons du groupe de parole, de l’intérêt qu’il a pour elle. Je comprends qu’elle se sente soutenue et épaulée et qu’elle ait besoin de vider son sac sans jugement, en revanche, j’ai du mal à encaisser son jugement à mon sujet. Je fais comme si je n’avais pas entendu, je me concentre sur son propre cas, je n’ai pas envie de me mettre en colère, cette fille est gentille, elle ne mérite pas que je m’énerve. Je suis persuadée qu’au fond, elle essaie juste de m’aider. « Pourquoi as-tu changé de groupe de paroles ? Ce n’est pas mieux de rester tout le temps au même endroit ? Au moins, on n’a pas besoin de raconter son histoire dès le début à chaque fois… » Pour ce qui est de l’absence de jugement, on repassera vu les commentaires négatifs auxquels j’ai eu droit suite à ma prise de parole. Je crois que les gens ne réalisent pas à quel point je me fous de ce qu’ils pensent de moi et à quel point je n’ai pas envie de les écouter. « Tu trouves réellement que tu as des points communs avec les personnes qui étaient là aujourd’hui ? » Parce que moi non, ils étaient tous complètement à côté de la plaque, sans volonté, sans but, noyés dans les larmes et les remords. Je ne deviendrais jamais cette fille, je m’en fais la promesse. « Ce n’est pas parce qu’on regroupe des gens souffrant d’une addiction que l’on doit forcément imaginer qu’on est pareil qu’eux, je ne le suis pas et je n’ai pas l’intention de le devenir. » Est-ce que je pense réellement que je suis mieux que les autres ? Certainement pas, mais je n’aime pas qu’on m’assimile à celle que je ne suis pas. « Je ne dis pas que je suis mieux, juste que je suis différente. » J’espère qu’elle parviendra à l’entendre.
Malheureusement, son discours reste le même, elle ne cesse de me répéter que je suis jeune, que j’ai le temps, que je finirais par faire la démarcher qu’elle a faite et par me soigner moi aussi. Ce n’est pas ce que j’ai envie d’entendre et je déteste avoir cette impression d’être une petite fille à qui on fait la morale. Je ne suis plus une enfant, je prends mes propres décisions et fais mes propres choix. J’aimerais qu’elle le comprenne et arrête de jouer les institutrices. « Ecoute… Je te remercie pour tes conseils, c’est vraiment très gentil de prendre de ton temps pour me venir en aide… Mais la vérité, c’est que je n’ai pas besoin d’aide. Peut-être que j’aurais envie de changer plus tard comme tu sembles le penser, mais peut-être que ça n’arrivera jamais et dans ce cas, ce sera mon droit. » J’essaie de lui expliquer les choses le plus calmement possible, elle est vraiment adorable avec moi, mais je n’aime pas son discours et il me parait important d’y mettre un terme. « Je ne sais pas ce que tu crois voir en moi… Mais je ne suis pas toi, nous n’avons pas les mêmes parcours de vie, les mêmes aspirations, les mêmes envies et je ne crois pas que nos différences s’expliquent simplement par notre différence d’âge, je ne suis même pas sûre qu’elle soit si énorme que ça d’ailleurs… » Je fais jeune, j’en ai bien conscience, peut-être s’imagine-t-elle avoir en face d’elle une adolescente de seize ans qui ignore encore pourquoi elle est venue au monde. « Tu penses penser que je vis dans le déni, que je ne sais pas ce que je fais, que je suis trop jeune pour faire des choix cohérents ou toutes les autres conneries qui te passent par la tête, mais je crois sincèrement que tu perds ton temps et que tu fais fausse-route. » Je ne vais pas lui demander son aide pour la simple et bonne raison que je n’en ai pas besoin. Je ne vais pas renoncer à ma vie parce que je l’aime comme elle est, je ne vais pas renoncer au shopping, aux hommes, aux soirées parce que j’adore ça et que je ne me verrais pas faire autre chose. Elle n’a pas l’air d’être en mesure de le comprendre, malheureusement. « Ce n’est pas contre toi, je suis touchée que tu cherches à m’aider… Mais je n’aime pas qu’on me donne des leçons sans me connaitre. » Et d’ailleurs, même en me connaissant, je n’aime pas ça non plus. Elle est quand même bien persévérante puisqu’elle finit même par se présenter. « Enchantée Alex, moi c’est Prim. » J’essaie de lui sourire même si la conversation n’a pas pris une tournure aussi agréable qu’espérée.
La réalité de ses mots me fait mal, mais je ne montre rien. Oui, la rechute est une réalité pour tout anciens drogués, et je ne fais pas partie des exceptions. Mon passé m'a conduit à devenir dépendante pour tenter d'apaiser ma douleur, alors je sais que face à des événements forts, mes anciennes habitudes pourraient revenir me tenter. J'en suis consciente et c'est sans doute pour ça que je n'ai pas encore replongée, même juste une fois. « C'est pas que je préfère aller mal. » Je cherche mes mots pour tenter d'expliquer ce que je ressens, je me cherche une raison pour expliquer pourquoi je lutte contre le rechute. Pourquoi je ne vais pas au plus simple. « Je sais que la drogue ou les médicaments vont peut être m'apaiser quelques heures mais le lendemain ce sera pire et les circonstances qui m'ont fait replonger n'auront pas disparu. Je ne veux plus recouvrir mes sentiments, je veux pouvoir faire face et assumer et je ne pourrais pas le faire si je replonge. » Elle ne le sait pas, mais j'ai tenté, pendant plusieurs années, d'enfouir au fond de moi certains de mes choix. J'ai tenté d'oublier, tenté de soulager ma culpabilité avec les médicaments, la drogue. Pendant prêt de huit ans, j'ai mis ma vie privée entre parenthèse pour éviter d'avoir à faire face, avec l'aide de la drogue. Et désormais, je n'ai plus envie de me voiler la face, j'ai décidé d'affronter les choses et même si ce n'est pas simple, surmonter ma dépendance, mon envie de rechute est déjà la première chose à faire.
Elle me questionne sur mes points communs avec les gens présents aujourd'hui. Et je dois dire, que cette session ne m'aide pas vraiment à vendre le bénéfice des groupes de soutiens. Entre la femme, pour laquelle j'ai très peu d'estime voir même de la rancœur. L'homme qui se permet de prendre à partie les autres participants ou encore l'autre homme qui n'est présent que parce qu'il en est obligé légalement. C'est pas vraiment le groupe de participant avec lequel j'ai le plus de points communs c'est sur. Je ne suis pas sûre d'avoir une réponse à lui apporter, une réponse qui puisse lui convenir et alors que je cherche mes mots, elle reprends. Je suis attentive à sa réflexion et je pense comprendre une partie de sa pensée. Voir les dégâts des addictions sur certaines personnes peut faire peur. « On est tous différents. Mieux ou pas c'est pas vraiment la question. » Quelle réflexion intense et intéressante Alex ! C'est sur qu'avec ces mots, je vais la convaincre et l'aider. « On est pas tous obligé d'avoir des points communs pour se comprendre et se soutenir. C'est même cette différence qui peut nous aider à avancer et à se questionner non ? » La question est toute autant destinée à moi même qu'à la jeune femme devant moi.
Je sens que j'ai l'impression de faire totalement fausse route avec elle. Quoique je tente, quoique je dise, elle se sent agressée et je finis par réussir à la pousser en mode défensive. Je commence à penser que je me suis trompée, que je n'ai peut être rien à lui apporter. Que mes paroles ne trouvent pas d’écho en elle et que je suis en train de la braquer. Après tout, qui suis-je pour donner des conseils ? Je ne suis qu'une ex droguée encore fragile. Alors je finis par me taire et je l'écoute tout en me rallumant une cigarette. J'essaye de la comprendre, de l'écouter, d'accepter ce qu'elle me dit mais je sens que je passe à coté de quelque chose, sans savoir quoi et ça m'agace. J'ai beau lui répéter que je ne veux pas la juger, tout ce qui vient de moi semble lui arriver aux oreilles comme une leçon que je lui donnerais. Et là je l'entends, me dire que je perds mon temps, peut être a t-elle raison ? Après tout, j'ai aussi cette sensation non ? Mais, plus j'y réfléchis et puis je me rends compte que je n'ai encore même pas essayé de l'aider. Je n'ai même pas essayé qu'elle refuse même jusqu'à ma proposition de parler. Je le sens, si elle part aujourd'hui, je sais que je ne vais plus la revoir dans un groupe de soutien. Alors je tente de faire abstraction de son attitude, et j'essaye tant bien que mal de sauver une situation qui semble bien mal embarquée, par ma faute. Évitant tout propos qui pourraient la braquer davantage, et consciente de ne pas avoir les mots pour calmer la situation je choisis de me présenter, comme pour donner une sorte de nouveau départ. « Au faite, moi c'est Alex. » Et sa réponse me laisse silencieuse, comme choquée. « Enchantée Alex, moi c’est Prim. » Prim ? Prim ! Un surnom inhabituel et pourtant un surnom qui a une résonance toute particulière en moi. Un surnom que je connais si bien. Prim, Primrose ? D'un coup tout s'explique, tout devient si évident. Cette sensation si spéciale que j'ai ressenti en la voyant. Cette impression de me sentir liée à elle, en quelque sorte. Je la connais. Primrose Anderson. Un nom que je ne peux oublier. Je la reconnais maintenant. Je l'ai vu adolescente sur des photos, mais cette fois, j'ai face à moi une femme. Et lorsque je réalise face à qui je me tiens, face à qui je me dévoile, je me sens mal. Mon cœur s'emballe me faisant regretter mes confidences passées. Je me reproche de ne pas avoir reconnue cette fille plus tôt, ce qui m'aurait évité cette situation inconfortable au possible. L'envie de fuir est tentante, l'idée de partir loin et d'oublier cette rencontre, cette fille et ce qu'elle est. Et pourtant, je ne peux pas m'enfuir au risque d'éveiller les soupçons. J'ai compris qui elle est parce que j'ai beaucoup entendu parler d'elle il y a quelques années. Primrose, elle ne semble pas savoir à qui elle a à faire, et je me sens soulagée de ne pas avoir dévoilée la toute première épreuve qui m'a conduite à me droguer. Primrose Anderson, est bien la dernière personne à qui j'aurais pu dévoiler mes problèmes et ma vie. Et pourtant, elle est là devant moi. La petite sœur de Caleb. Je m'excite un peu trop sur ma cigarette. Mes méninges tournent à plein régime et je cherche la solution à cette situation. Je pourrais partir et ne jamais revoir cette fille, après tout elle semble déjà ne pas me supporter alors ce serait simple. Et pourtant, au fond de moi une tonne de questions se bousculent, comme si mon cerveau voit en cette rencontre une opportunité de se rapprocher un peu de Caleb sans risquer de se retrouver face à lui. Primrose est là, devant moi. Et si le désir d'aider cette fille était déjà présent avant, désormais c'est encore plus vrai. Je repense à Caleb, à cet homme que j'ai aimé, et que j'ai laissé. Au choix que j'ai fais, pour le protéger, pour protéger son avenir et celui de sa famille. Et là, je me retrouve devant sa petite sœur, la fille en école privée, qui est là pour un soucis qui ne plaît pas à sa famille. Alors désormais je ne suis plus Alex, celle qui veut aider cette fille croisée dans un groupe de soutien, mais Alex qui cherche à aider la sœur d'un homme qui a compté. Je sais que je ne devrais pas m'en mêler, ma logique me pousse à partir et la laisser seule avec son soucis qu'elle semble ne pas vouloir accepter. C'est ce qui serait le plus facile et le moins risquer. Mais je repense à Caleb, à ce que je lui ai fais et au fond, peut être qu'aider sa petite sœur peut aussi m'aider à soulager la culpabilité que je ressens ? J'ai fais des choix dont je ne suis pas fière, j'ai fais des choses impardonnables, et même si je ne suis pas sure de pouvoir un jour avouer la vérité à Caleb, si je peux aider un peu sa sœur, peut être que je pourrais me sentir un peu moins coupable. Si jusqu'à présent, j'ai abordé cette fille par pure gentillesse, cette fois c'est légèrement différent. Et je ne compte pas lâcher l'affaire. Je ne vais pas la sauver non. Mais je vais tout tenter pour l'aider à s'ouvrir, et à faire face aux problèmes qui l’éloignent de sa famille. « Enchantée Prim. Tu ne veux pas que je te donne des leçons sans te connaître ? Alors aide moi à te connaître. Même si, je sais que ça ne changera rien puisque j'ai cru comprendre que tu n'aimais pas non plus que ta famille te donne des leçons, alors qu'eux doivent te connaître non ? » Je ne sais pas comment l'aborder, c'est fou comme découvrir qui elle est, a changé radicalement ma façon de l'aborder. Je suis moins sereine, peut être bloquée par l'enjeu. Je sais que je n'ai pas marqué des points plus tôt avec ma façon réfléchie et posée de lui parler. « Alors tu sais quoi. Je te propose un truc. Je t'offre à boire dans un endroit plus tranquille et qui dispose de la clim. » Je tente de lui sourire pour me montrer avenante et sympa mais au fond, je sais que je ne dois pas rater mon coup. « On reprends à zéro, j'arrête de parler, enfin j'arrête avec mes leçons de morales, qui au passage n'en sont pas, et je t'écoute me parler de ce pourquoi tu es là. Après tout, tu es venu aujourd'hui au groupe de parole, c'est pour une raison non ? Et pourtant je ne sais rien de toi. Alors comme grâce à moi, tu as réussi à t'échapper du groupe, tu peux me dire ce pourquoi tu es en froid avec ta famille ? Ou même juste me parler d'eux puisque c'est le seul sujet que tu as bien voulu aborder durant les quelques minutes de parole dont tu as fais honneur au groupe.» Si elle n'était pas Primrose Anderson, j'aurais lâchée l'affaire. Sans doute avec une pointe d'amertume et de déception, j'aurais acceptée de n'avoir rien à apporter à cette fille. Mais ce n'est pas n'importe qui et je le dois à Caleb.
Est-ce que j’ai été trop dure avec cette fille ? Après tout, je ne la connais absolument pas, de quel droit est-ce que je me permets de la juger ? En plus, c’est exactement ce que je suis en train de lui reprocher de faire. Je ne devrais pas me comporter comme ça, c’est nul de ma part. Malheureusement, c’est plus fort que moi, ses révélations me poussent à la questionner, à m’intéresser, à en savoir plus alors même que je devrais lui laisser son espace vital et ne pas la replonger dans de douloureux souvenirs qu’elle n’aurait pas forcément envie d’évoquer en ma présence. Pourtant, elle n’a pas l’air de m’en vouloir, au contraire, elle se creuse même la tête pour réfléchir, m’apporter des réponses construites et je dois dire que je suis impressionnée par ce qu’elle dégage. Elle est pleine de force et de détermination et ne se laisse pas désarmer par la petite chose fragile mais mordante que je suis avec elle. « C’est… admirable. » Je l’admets, presque à regret, comme si le simple fait de pouvoir lui donner des torts pouvait soulager ma propre conscience. Malheureusement, je suis bien obligée de reconnaitre qu’elle agit du mieux qu’elle peut, elle, au moins. « En fait, ta volonté est plus forte que le manque. Je ne connais pas beaucoup de gens qui sont capables d’une telle résistance. » C’est peut-être aussi parce que les personnes que je connais ne sont pas des exemples en matière de morale mais je me garde de préciser cette information. Son argumentation me fait réfléchir. Elle a choisi cette voie parce qu’elle sait que c’est le mieux pour elle et c’est sa raison qui lui permet de tenir le coup. C’est véritablement impressionnant, il n’y a pas d’autre mot pour qualifier le courage dont elle est capable de faire preuve et qui me parait aujourd’hui totalement insurmontable. Pourtant, je ne suis pas capable de la lâcher, je continue à l’interroger, à essayer d’en savoir plus, à tenter de percer le mystère qui l’entoure. Parce que tout cela me parait trop rose, trop parfait et que je sens qu’une histoire plus sordide se cache derrière sa présence à ce groupe de parole. Pourquoi est-elle entourée de tous ces paumés aujourd’hui alors qu’elle a l’air d’avoir un cheminement de vie exemplaire ? Est-ce pour se rappeler le chemin qu’elle a parcouru ou y a-t-il toute autre chose ? « Mais c’est parce qu’on est tous différents que nous n’arriverons jamais à nous comprendre les uns les autres et à nous conseiller. Ce qui s’applique pour une personne ne s’applique pas forcément pour une autre, il n’y a pas de règle générale. » C’est pour ça que je pense qu’il n’y a pas de remède miracle ou de bonne solution pour se sortir d’une addiction. C’est aussi pour cette raison que je ne pense pas avoir ma place dans un groupe de parole tel que celui-ci. Je n’y apprends pas grand-chose en définitive mis à part que je ne veux jamais devenir des loques humaines comme tous ces gens que je viens de rencontrer. C’est cruel, je sais, mais tellement réaliste.
On passe d’un état d’esprit à l’autre rapidement en présence de celle qui se présente comme étant Alex. A un moment elle m’impressionne, celui d’après elle m’énerve et encore après elle me met carrément hors de moi en me dispensant ses leçons de morales. Pourtant, elle n’arrive pas à me faire fuir parce qu’elle m’intrigue, elle a un truc spécial et j’ai envie d’en savoir plus à son sujet. Je dois être maso, j’ai l’impression d’être face à une institutrice de primaire qui me tape sur les doigts avec une règle et de lui demander encore. Il faut être sacrément allumer pour s’infliger ça, mais il faut croire que souffrir ne m’a jamais dérangé, Alex m’aide à voir une autre réalité sous forme d’électrochoc et mine de rien, ça fait du bien. « Alex c’est un diminutif ou c’est un prénom complet ? » Pourquoi est-ce que ça m’intéresse ? Je ne devrais en avoir absolument rien à faire mais c’est plus fort que moi, c’est sorti tout seul et je ne le regrette pas. Doucement mais sûrement, nous entamons une conversation qui s’apparente à celle que deux connaissances en train de se lier pourraient avoir et ce n’est pas déplaisant en fin de compte. Je ne le réalise sûrement pas vraiment à ce moment-là, mais finalement ce groupe de parole est réellement en train de m’apporter quelque chose, à savoir quelqu’un pour m’écouter et me conseiller. Je crois que je n’ai jamais eu à mes côtés une personne comme ça. « J’aimerais bien t’aider, mais je ne suis pas sûre de me connaitre moi-même… Et pour ma famille, c’est compliqué… Je vis à Brisbane depuis… Longtemps maintenant, j’étais en internat ici après l’école primaire. Je ne voyais ma famille que le weekend alors je ne crois pas qu’ils me connaissent si bien que ça en fin de compte. » Pourquoi est-ce que je lui raconte tout ça ? Qu’est-ce que ça peut bien lui faire ? Peut-être est-ce parce qu’elle a vraiment exprimé l’envie de me connaitre ? Pourtant, je suis qu’une pauvre fille rencontrée à un groupe de parole. Elle a l’air de s’intéresser vraiment à moi et pour une raison que j’ignore, ça me va droit au cœur. « D’accord, je te suis. » Dis-je sans avoir besoin de temps de réflexion lorsqu’elle me propose de boire un verre. Suis-je poussée par la curiosité ou bien un véritable désir de faire davantage connaissance ? Je crois que je n’ai pas envie de laisser cette fille partir sans se retourner, je veux connaitre son histoire avant et à mon avis ça ne se résume pas à une simple addiction. Encore une fois, impossible de me dire s’il s’agit de la curiosité mal placée ou d’autre chose mais dans tous les cas, je suis mes envies sans réfléchir. « Je pense qu’avant que je te raconte tout ça, on ferait mieux d’y aller, ils vous nous appeler pour reprendre et je n’ai aucune envie de retourner dans ce truc… Et puis, c’est donnant-donnant, je n’ai pas pour habitude de raconter ma vie à des personnes que je ne connais pas, donc si je dois me montrer transparente avec toi, je m’attends à ce que l’inverse soit aussi vrai, tu n’y vois pas d’inconvénient, j’imagine ? » J’ai posé mes conditions. A toi de choisir, Alex.
« C’est… admirable. » Après avoir été dur dans ses propos avec moi, elle semble se radoucir et je suis surprise par cet aveux qui semble difficile à admettre pour elle. Je la regarde surprise, et je l'écoute. « En fait, ta volonté est plus forte que le manque. Je ne connais pas beaucoup de gens qui sont capables d’une telle résistance. » Je ne sais pas si ça me fait du bien d'entendre de telles paroles ou si au contraire ça me met dans une position délicate. Parce je ne me sens pas résistante. Je ne me reconnais pas dans la personne qu'elle semble décrire. J'essaye d'être quelqu'un de résistante mais toute ma vie j'ai cherché à fuir pour ne pas assumer, pour ne pas faire face, alors non je ne suis pas résistante, je suis lâche. J'aimerais devenir celle qu'elle décrit, celle capable avec volonté de surmonter les difficultés. Mais je ne suis pas cette personne, du moins pas encore. Mais elle semble en être convaincue, et je n'ai pas envie de la décevoir et de montrer que je suis douée pour les discours et beaucoup moins pour le reste. La discussion dérive sur le groupe de parole, celui qui se tient derrière la porte close qui se trouve à quelques mètres de nous. Un groupe qui ne semble pas avoir fait forte impression auprès de Primrose, mais puis-je l'en blâmer ? Pour une première séance, c'était loin d'être rassurant. « Il n'y a pas de règle générale, c'est vrai. J'en ai vu qui se sont cherché pendant des années, et qui ont fini par trouver dans les groupe de soutien un endroit ou se poser et réfléchir sur son problème. Les groupes ne pourront pas aider tout le monde à trouver la solution miracle, parce qu'il n'y a pas de solution miracle. Mais une chose est sure, parler ça aide. Pas à se sortir de la merde, ce serait trop facile, mais ça aide quand même je t'assure. Pour certains ça aide à prendre conscience de l'ampleur de l'addiction. Pour d'autres ça aide à déculpabiliser et comprendre que ce n'est pas une honte de craquer par moment. Pour d'autres encore, c'est un endroit pour exprimer sa souffrance auprès de personnes qui peuvent comprendre l'impact de l'addiction sur soi. Le groupe de parole ne donne pas de règle général pour gérer son addiction chacun gère à sa manière avec ses moyens. Mais chacun vient trouver une utilité propre à lui dans cet espace d'échange. » J'essaye toujours de répondre avec une part de retenue pour ne pas la froisser mais avec sincérité espérant qu'elle soit sensible à mon honnêteté.
On change de registre, la discussion évolue et les présentations sont faites avec pour résultat de me mettre face à l'une des pires personnes face auxquelles je pouvais me livrer. Encore sous le choc de la révélation que je viens d'avoir, je tente de garder la face et de rester ouverte dans la discussion. Elle est réceptive, elle participe, elle s'intéresse à moi, moins dur, moins froide et je dois garder ce lien si je veux pouvoir l'aider. Ma cigarette me sert d'excuse pour faire une pause, je tire deux lattes et ça me laisse le temps de digérer la nouvelle avant de répondre à sa question. « Je m'appelle Alexandra mais personne à part mon père ne m'appelle comme ça, et excepté pour un entretien ou pour des présentations très formelles, c'est Alex. » Je finis ma clope et je digère cette nouvelle avec plus ou moins de réussite. Je cherche à rester la même, mais je me sens déstabilisée. Incapable de trouver la meilleur approche pour garder le contact avec elle. Je cherche mes mots, réfléchis au sens de mes phrases pour éviter les gaffes, pour éviter de la perdre définitivement. Et je dois réussir puisqu'elle se livre à moi, elle me fait part d'une toute petite partie de son histoire mais elle se dévoile un peu. Et ce qu'elle me livre me confirme définitivement son identité, ou du moins ne laisse plus de place au moindre doute. C'est elle, son histoire coïncide et je comprends que je suis définitivement face à la petite sœur de Caleb. Je tente de ne rien laisser transparaître de mon malaise. Je tente de rester celle que je suis depuis notre premier échange mais ce n'est pas simple. Heureusement j'arrive à garder son attention, j'arrive à la mener à s'ouvrir sur sa famille et mieux j'arrive même à la convaincre de me suivre. Devant ses confidences sur elle et sur sa famille, j'ai comme une mini sensation de culpabilité à l'idée de me jouer d'elle. Mes intentions sont bonnes mais pas dénouées d’intérêts et j'ai l'impression d'être en train de la trahir un peu en ne lui révélant pas que je la connais déjà, du moins que je connais une partie de sa famille. Mais je ne peux pas lui révéler cette information sans devoir me livrer davantage, et je n'ai pas envie d'élaborer sur les raisons qui m'ont poussé à abandonner son frère du jour au lendemain. Malgré cette sensation dérangeante, je continue mes questionnements sur sa famille ayant remarquée qu'elle semble réceptive et totalement prête à me suivre pour boire ce verre que je lui ai proposé. « je m’attends à ce que l’inverse soit aussi vrai, tu n’y vois pas d’inconvénient, j’imagine ? » Un inconvénient à être honnête et transparente ? Moi ? Non aucun ! Mon histoire est tellement facile à assumer, surtout face à elle. Je ne vois absolument aucun problème à lui raconter la vérité. ''Eh au faite Prim', si j'ai commencé à me droguer c'est parce qu'il y a huit ans j'ai abandonné l'enfant de ton frère et comme je me sentais trop coupable et que rien ne soulageait ma douleur j'ai commencé à me droguer.'' Non, je ne vois vraiment absolument aucun inconvénient de mon coté à jouer la transparence avec elle. « Tu sais déjà pas mal de chose sur moi. Mais d'accord, je trouve ça assez juste. » J'accepte ses conditions, mais avec mes propres particularités. Ma vérité n'est pas racontable, et surtout pas à elle, alors heureusement pour moi la vérité est modulable face à ceux qui ne connaisse pas ma vie. Ma vérité sera celle que je vais bien vouloir lui donner et je vais devoir être convaincante pour qu'elle me croit. Encore des mensonges, je ne suis plus à un prêt, mais ma vérité n'est pas compatible avec ce qu'elle est et avec qui elle est surtout. Je ne peux pas risquer de mettre en danger mon secret, je ne suis pas prête encore à faire face à Caleb, à assumer face à lui mon choix, pas prête à lui raconter cette vérité tout simplement. Alors face à Primrose, j'accepte les conditions, mais la vérité que je donnerais sera celle que je veux bien assumer et admettre, ce sera une vérité et c'est celle qu'elle aura. A moi d'être vigilante. Je me lance dans une relation délicate avec cette fille. Je prends des risques vis à vis de mon passé, mais je le fais pour lui, pour elle, pour la famille Anderson à qui j'ai caché l'existence d'un fils, d'un neveu, d'un petit fils. « Allez suis moi avant qu'ils s'aperçoivent de notre absence, je connais un petit bar à quelques pas d'ici, je t'invite et on pourra poursuivre cette discussion dans un autre contexte un peu moins sérieux. » Oublier le groupe de parole, oublier les premières motivations qui m'ont poussé à rejoindre le groupe de parole aujourd'hui. Je quitte tout ça avec Primrose à mes cotés, direction un bar du coin. Le trajet est rapide et silencieux, de mon coté je cherche à me convaincre que je fais le bon choix. Que je m'engage avec elle dans quelque chose de délicat, entre mes mensonges, mes secrets et la sensation de trahir la confiance qu'elle semble commencer à me donner. Je réfléchis, me questionne, et ce petit moment de silence me permet de mettre en ordre mes idées. On arrive dans un bar, et je retrouve un lieu que j'ai fréquenté dans le passé. Le changement est minime malgré les nombreuses années qui se sont écoulées depuis mon dernier passage ici et ça me replonge dans des souvenirs à la fois doux et douloureux. « Prends ce que tu veux, je t'invite. » La musique en fond sonore donne une ambiance plus détendue et pourtant je me sens toujours assez stressée, incertaine. Elle pourrait, à tout moment, découvrir qui je suis et je serais bien dans la merde comme on dit familièrement. La commande est passée et je me lance, prête à percer le secret de Primrose. « Alors, qu'est-ce que ta famille te reproche réellement ? Tu es restée très vague à ce sujet. Tu sais déjà que moi c'est la drogue, alors tu as dis donnant-donnant. Qu'est-ce qui crée ce froid entre ta famille et toi ? »
Je ne sais pas réellement ce que je pense de cette fille, finalement. Je crois que je lui en veux d’être si parfaite et d’avoir ce côté moralisateur qu’on ne peut pas vraiment lui enlever puisqu’elle, contrairement à moi, agit toujours correctement et fait constamment les bons choix. C’est peut-être ça qui m’agace, finalement, savoir que j’ai peut-être tort même si je ne veux pas réellement l’admettre et que j’ai une personne en face de moi qui a osé faire ce travail psychologique que je me refuse à faire. Sauf que j’ai bien conscience que je ne peux pas lui en vouloir, nous ne sommes simplement pas à la même étape du parcours et quand je déciderais de le suivre à mon tour, peut-être que je réussirais aussi bien à m’en sortir. Mais je n’en suis pas là et je ne sais pas combien de temps s’écoulera avant que je décide de me lancer et de me débarrasser de tous ces démons qui finiront certainement par avoir raison de moi. Mais pour le moment, je considère simplement qu’ils font partie de ma vie, qu’ils rythment mon quotidien et je sais que je suis incapable de m’en passer alors je continue à suivre mon instinct et mes envies sans me soucier des conséquences probables qui finiront bien par se manifester. Je reste sceptique face à sa description des groupes de parole parce que je sens bien que c’est quelque chose qui ne me correspond pas et qui ne risquera pas de m’apporter une quelconque aide. Je ne vois pas du tout ce que je pourrais trouver parmi ces gens auxquels je ne parviens pas à m’identifier. C’est peut-être nul de ma part, je suis sans doute trop dans le jugement alors que je n’ai pas de quoi juger les autres, dans ma situation. Une chose est sûre, je ne suis pas prête pour ça et je ne retenterais pas l’expérience. « Je suis ravie que ça aide les autres, ce n’est juste pas fait pour moi, je n’aime pas parler. » Enfin si, j’aime bien parler, mais je n’ai pas envie de parler de mes problèmes parce que ce serait considérer qu’ils en sont réellement et c’est quelque chose que je ne suis pas prête à entendre. Je vis dans le déni, très clairement, mais je n’ai aucun problème à le faire. « Et je ne crois pas être douée pour écouter non plus et encore moins pour apporter mon soutien. » J’ai tendance à penser que quand on veut, on peut, et qu’à partir du moment où on prend une décision, il suffit de s’y tenir, c’est aussi simple que ça. Bien sûr, au fond, j’ai conscience que ce n’est pas aussi simple, que se sortir d’une addiction est un combat de chaque instant dans lequel il faut faire preuve d’une volonté de fer. C’est bien pour ça que je ne me lance pas, parce que je sais que je ne saurais pas faire preuve d’une telle volonté, mais j’ai bien la preuve sous les yeux que certaines personnes en sont capables.
Heureusement, la conversation évolue un peu, devient légèrement plus agréable ce qui m’incite à être moins sur la réserve et plus sympathique. A dire vrai, j’ignore complètement pourquoi je me laisse approcher par cette fille. Je devrais simplement quitter cet endroit et ne plus avoir de contact avec les personnes qui pourraient éventuellement me le rappeler. Ce qui est intéressant dans ces groupes de parole, c’est l’anonymat que l’on peut conserver durant nos discours avant de revenir, par la suite, dans le monde réel en vivant notre quotidien habituel. Je ne devrais pas laisser cette fille, qui en sait déjà bien trop sur moi, continuer à me questionner et à me parler comme si nous pouvions devenir de véritables amies. « Ok, ce sera Alex, alors. » C’est joli Alexandra, mais il est vrai qu’entre Alex et son véritable prénom, il y a un gouffre en terme d’impression que ça peut donner à un interlocuteur et de première impression. Si elle s’était présentée directement en tant qu’Alexandra, je crois que je n’aurais eu aucun mal à l’imaginer avec un balai dans le cul, alors qu’Alex, ça fait un peu aventurière… Mais bon, ce n’est que ma propre interprétation, elle n’engage à rien alors je me garde bien de lui en faire part. Je me contente de m’éloigner de cet endroit de malheur, accompagnée par cette fille que je commence tout juste à connaitre et qui pourtant reste encore une parfaite inconnue à mes yeux. Notre trajet est de courte durée et nous entrons dans un bar. L’ambiance est chaleureuse, portée par la légère musique d’ambiance qui me plait bien. « Un diabolo menthe. » Dis-je simplement sans consulter la carte. Vieille habitude de mes années de petite fille qui reste lorsque la situation ne se prête pas à consommer des boissons alcoolisées. En attendant que la commande arrive, Alex n’hésite pas une seconde à me questionner et étrangement, je n’arrive pas à être aussi dérangée par son intrusion que je devrais l’être. C’est comme aller boire un verre avec une amie, finalement, et je suis étonnée que ce soit si simple. « Moi c’est les bijoux, les vêtements… Indirectement l’argent, du coup. » Sauf que ce n’est pas vraiment ça que me reproche ma famille même si évidemment mon goût du luxe est un réel problème. « Ils ne me reprochent pas vraiment d’aimer les belles choses mais plutôt le métier que j’ai choisi pour réussir à les obtenir… Disons que je suis une sorte d’Escort. » Mais je ne suis pas que ça, mon argent, je l’obtiens grâce au sexe, je danse, je me prostitue, je couche ave des inconnus, voilà la vérité et ce n’est pas en utilisant un mot qui pourrait sembler un peu moins sale aux yeux de miss parfaite que j’arriverais à me voiler la face. « Je pense que ce qui les dérange vraiment, c’est que j’ai choisi de mon plein gré de faire ça. » Et je n’en ai absolument pas honte et je ne suis pas encore prête d’arrêter. « Comment tu as fait pour devenir addict alors que tu avais vu les conséquences sur ta mère ? » Direct, certainement trop, mais en acceptant ce verre avec moi, elle a choisi de supprimer les éventuels filtres pouvant subsister entre nous.
Nous avons quitté le groupe de parole, fini le temps ou nous n'étions que des inconnues, enfin qu'elle était une inconnue pour moi. J'ai Primrose face à moi, Primrose qui parle des problèmes avec sa famille et forcément je ne peux pas résister à l'idée d'en apprendre davantage. Après des présentations simples, nous nous retrouvons dans un cadre moins formel dans un bar autour d'un verre comme le ferait deux connaissances. Sauf que moi je la connais, elle non et c'est très bien comme ça. Je commence à la questionner ne pouvant pas freiner ma curiosité. Et à ma grande surprise, elle joue le jeu et se dévoile à moi. « Moi c’est les bijoux, les vêtements… Indirectement l’argent, du coup. Ils ne me reprochent pas vraiment d’aimer les belles choses mais plutôt le métier que j’ai choisi pour réussir à les obtenir… Disons que je suis une sorte d’Escort. » Je reste silencieuse, pensive, incapable de trouver les bons mots à répondre face à cette confidence. Je pense à sa famille, une famille modeste de paysans qui avaient travaillé dur pour élever leurs enfants. Je pense à ses parents qui se sont sacrifiés pour donner la meilleure éducation possible à leurs enfants. Et, je comprends qu'ils puissent avoir du mal à tolérer les choix de vie de leur fille. Et pendant un instant, je ressens une certaine colère envers Primrose. Elle n'a pas le droit de tout gâcher comme ça. J'ai quitté Caleb du jour au lendemain pour qu'il puisse réussir ses études et sa vie, pour ne pas gâcher les espoirs qui reposaient sur lui, pour qu'il puisse venir en aide à sa famille et elle, la petite prodige de la famille, vient de me dire qu'elle gâche tout son potentiel pour des bijoux et des vêtements ? J'ai envie de la secouer, de lui rentrer dedans parce qu'au fond je lui en veux, pas de jouer les escorts, cela ne me regarde pas. Mais plutôt de cette liberté qu'elle s'offre dans ses choix de vies et de l'indépendance qu'elle se permet vis à vis de sa famille. Je lui en veux parce qu'elle pense à elle avant de penser aux autres, elle pense à ses désirs avant de penser à ceux de sa famille. Et moi, j'ai pas réussi à l'époque. Et j'ai envie de lui hurler dessus, « putain Prim', tu ne peux pas manquer autant de respects à tes parents qui se sont saignés pour toi. » Mais je ne peux pas lui dire cela, je ne peux pas lui donner le fond de ma pensée sans trahir mes liens avec son frère, sans me dévoiler. Et c'est frustrant. Alors je la laisse parler, s'exprimer et je ravale ma colère et ma frustration. Je tente de faire abstraction de tout ce que je ressens pour ne pas me faire trahir par mes émotions. « Je pense que ce qui les dérange vraiment, c’est que j’ai choisi de mon plein gré de faire ça. » Le serveur nous apporte notre commande, ce qui me laisse le temps de réfléchir à une question sans aucune marque de jugement ou de ressentiment. Et à peine le serveur reparti, que Primrose reprends la parole pour me questionner à son tour. « Comment tu as fait pour devenir addict alors que tu avais vu les conséquences sur ta mère ? » Coriace et sans filtre la petite sœur de Caleb. Je suis à la fois choquée par sa question, interloquée aussi. Mais je me rends compte qu'elle m'a écouté, bien que mes discours avaient semblé la saouler. J'hésite un instant à lui répondre avec honnêteté, je lui ai promis d'être transparente et commencer par un mensonge serait un peu trop flagrant. Parler de ma mère, je peux le faire, je peux être honnête, elle n'a rien à voir avec Caleb, alors je décide d'être totalement vraie avec elle. « J'ai vu ma mère dépressive quasiment toute ma vie, shootée aux médicaments, j'ai même d'abord tenté de fuir loin d'elle pour éviter de devoir vivre avec une mère déprimée, je ne comprenais pas tout les aspects de sa maladie et je lui en voulais. » C'est plus compliqué que ce à quoi je m'attendais. Parler de ma mère, de sa maladie, de la dépression qui l'avait conduite à mettre fin à sa vie. Mais je reprends la parole et avec sincérité je réponds à sa question, je me dévoile encore un peu plus, essayant de me montrer aussi honnête que possible tout en restant vague sur les vraies raisons de ma prise de médicaments et de drogues en premier lieu. « Et puis j'ai eu une période compliquée avec les études notamment, la pression parentale et j'ai craqué. D'abord les médicaments, puis la drogue pour m'aider à gérer chaque jour. Pour me concentrer, pour me détendre, enfin pour tenir enfaîte et je pensais que c'était la solution, la seule. J'ai pas pensé à ma mère à ce moment, j'étais pas en mesure de voir aussi loin et puis ensuite quand ma mère est venue me trouver pour me dire qu'elle s'inquiétait pour moi, j'ai compris que j'étais aller trop loin. Si elle avait pu se rendre compte que quelque chose n'allait pas, c'est que j'avais vraiment déconné. Elle n'a jamais cherché à savoir tout ce qui se passait dans ma vie, mais elle m'a soutenu avec ses moyens. J'aurais aimé pouvoir l'aider à mon tour, mais elle n'était pas en mesure de faire face à ses démons.» Ses démons ont gagné. Sa maladie a eu raison d'elle et la blessure est encore grande. J'ai besoin de changer de sujet, j'ai besoin d'arrêter de penser à elle. Alors, je cherche à réorienter à la discussion sur sa situation. Rebondir sur les confidences qu'elle m'a faites. Je veux continuer à en apprendre plus sur elle, sur sa famille parce que même si ce que j'ai appris d'elle m'énerve un peu, je veux toujours l'aider. Elle, son frère et sa famille. « Et sinon, tu m'as dis que c'était ton choix qui dérangeais ta famille, tu comprends pourquoi ça les dérange ou pas ? Tu as pu en parler un peu avec eux ? » Je réfléchis quelques secondes, cherchant les mots pour formuler mon questionnement. « Et je me demandais, pourquoi tu as choisi de faire ça pour gagner de l'argent ? Il y a d'autres moyens qui dérangeraient moins tes parents non ? » J'essaye de garder mes jugements pour moi, de rester neutre mais c'est pas simple. Je sais que cette fille face à moi avait des capacités élevées au niveau scolaire et que sa famille avait des espérances pour elle, et escort n'était pas une option envisagée. Alors savoir qu'elle avait gâché son potentiel pour trouver de l'argent facile, c'est pas vraiment quelque chose de totalement simple à comprendre et je veux la comprendre alors je continues à la questionner. « Tu es jeune, tu pourrais faire beaucoup de choses de ta vie qui te permettrait de gagner de l'argent d'une manière qui ne déplairait pas à ta famille. Tu fais des études ? »
AVENGEDINCHAINS
Spoiler:
Je suis vraiment désolé du délai de la réponse ! Pas mal de choses à faire mais je ne t'oublies pas! Vraiment désolé j'espère retrouver un rythme de rp plus soutenu très vite ^^