D’aussi loin qu’il s’en souvienne, il a longtemps hérité du statut d’élève turbulent, de celui qui dérange ses camarades et n’est pas disposé à apprendre quoi que ce soit – c’est une réputation qu’il a encore aujourd’hui. Seulement, le problème ne réside pas dans son comportement, mais dans les sujets qui lui sont enseignés, et ceux que lui propose Ariane suscitent suffisamment son intérêt pour qu’il se montre docile, sage, et plus que disposé à prendre des notes. Alors même s’il ne peut nier qu’il apprécie lorsque les rôles sont inversés, il peut encore moins nier qu’il adore lorsqu’Ariane est aux commandes. « Au fond ? Désolé Parker, tu n’auras pas d’applaudissements pour cette découverte parce que je fais rien pour le cacher. » Il précise, sourire au coin des lèvres. Si c’était le cas, il prendrait plus souvent les devants : autant dans une chambre que pour cette commande. Mais Alfie n’a jamais correspondu aux critères du mâle alpha, raison pour laquelle il s’accommode sans peine du rôle de sidekick la plupart du temps. L’essentiel est qu’il y trouve son compte ; et c’est présentement le cas. Il n’aurait pas tenu le même discours deux heures auparavant, réfutant de telles idées, mais il est resté clean pendant si longtemps qu’il ne sait plus comment s’y prendre ou qui contacter. Oh, au fond, bien-sûr qu’il saurait se débrouiller, mais passer par l’intermédiaire d’Ariane en prétextant une histoire de domination lui permet de rejeter sa propre responsabilité – ou du moins, de s’en distinguer. Ce n’est pas tout à fait sa faute, ce n’est pas tout à fait sa volonté, il n’est que le passager du voyage en paradis artificiels de la rouquine, alors ce n’est pas si grave, dans le fond, s’il met au placard ses bonnes résolutions et ses convictions nouvellement retrouvées, et tout aussi vite oubliées. Comme cette envie de se vouloir sérieux, responsable, normal, en sommes, en planchant sur sa thèse plutôt qu’en s’oubliant au milieu des artifices. À qui il ment, il aurait tenu environ demi-heure avant de faire autre chose ; et dans le fond il vaut mieux qu’il soit accompagné que tout seul dans de tels moments – et il persiste à se trouver des justifications quand bien même il ne ressent plus le besoin de contredire cette petite voix dans sa tête qui s’est tue, rendue silencieuse par son envie qui prime sur sa volonté. « T’as conscience qu’en me disant ça, tu vas retrouver sur ton palier, demain à la première heure, une liste de toutes les fois où tu n’avais pas raison ? » Il s’amuse, Alfie, bien qu’il soit capable de rédiger une telle liste. Pas ce soir, probablement, et la livraison sera repoussée d’un jour ou deux, mais l’idée est implantée dans son esprit, et dans le disque dur qu’il lui sert de mémoire, il cherche déjà les exemples qu’il pourrait mettre par écrit. Et dans une ultime tentative de se dédouaner, il reste en retrait pour laisser Ariane à ses affaires, se contentant de zieuter autour de lui pour que tout se passe pour le mieux, qu’aucun grain de poussière ne vienne enrayer la machine qui est désormais lancée. Et c’est les yeux brillants et le sourire aux lèvres qu’il observe le contenu des paumes d’Ariane, frustré qu’elle prenne son temps pour lui offrir son cadeau, amusé bien que blasé par sa réflexion. « Quelle question. » Il soupire, comme s’il allait refuser sa proposition et exiger que ce ne soit pas du 50-50. « J’ai toujours aimé la douleur, tu devrais le savoir. » Il précise dans une manière de lui assurer qu’il ne va pas la laisser tomber et que la chute n'est pas un problème, ouvrant légèrement la bouche pour s’emparer avec joie de la pilule qu’elle plaque contre ses lèvres. « On retourne crécher chez toi pour la suite, ou tu as une meilleure idée ? » Il demande, avant d’esquisser un sourire. « Car sinon, on est pas loin de Bayside, et vu la période, je dirais qu’il y a un certain nombre de bateaux esseulés qui quémandent notre compagnie. » Il précise, en haussant les épaules, avant d’ajouter : « on peut pas les laisser dans une telle détresse. » Et il la connait, Ariane, il faut le chercher, mais elle a un cœur sous cette carapace de tornade, qui n’attend que de battre pour quelques bateaux « empruntés » à leurs propriétaires.

Alfie qui pique, Alfie qui se moque, Alfie qui me rend fière aussi, faut dire, d’être de plus en plus à l’aise à la répartie. C’était un des trucs parmi d’autres qui rendaient notre relation bien plus fun aussi. J’avais pas besoin de faire attention à ce que je disais, pas que j’aurais fait gaffe anyways - mais Maslow rendait toujours bien la pareille et un mec avec du répondant ça avait toujours eu un effet sur moi, pas de surprise ici.  « T’as conscience qu’en me disant ça, tu vas retrouver sur ton palier, demain à la première heure, une liste de toutes les fois où tu n’avais pas raison ? » personne le croit là par contre, moi la première. Parce que « Pour ça, faudrait que t’aies le moindre temps libre d’ici là. », je m’assure de le lui faire savoir, lui chuchotant à l’oreille comme la pire tentation possible. Sa thèse qu’on oublie, sa vie entière que je monopolise quand et comment j’en ai envie. Il s’en plaint pas, il est un grand garçon, il fera ce qu’il voudra le jour où il le voudra, et pour le moment, ça m’implique moi. Je m’en plains pas.

Sa frustration n’est qu’une façon de plus d’attiser la chieuse que je suis. Plus il montre qu’il est pressé pour une raison que j'ignore et que je ne cautionne pas, plus je suis amusée par le fait de le faire rager, de le sentir bouillir d’impatience. « J’ai toujours aimé la douleur, tu devrais le savoir. » « C’est moins fun quand t’assumes que t’aimes ça, chaton. » mes paupières qui battent la mesure, le cachet qu’il gobe comme un bon garçon, mon regard qui brille de le voir faire et de l’entendre acquiescer. Il est cool Alfie, il est pas chiant, pas compliqué. J’étais clairement la valeur à risque de notre duo, et je me doutais qu’il venait chercher ça avec moi - le risque, l’interdit, toutes ces conneries. Dans un autre monde j’aurais fait gaffe, j’aurais pas poussé ses limites, ou du moins, je me serais intéressée un brin plus question de m’assurer que je ne le fais pas sombrer dans du mauvais, dans du dark. S’il voulait m’en parler, qu’il m’en parle, mais je lui faisais étrangement assez confiance pour croire qu’il n’était pas à même de m’exploser entre les doigts rien que parce qu’il voulait se sentir vivant.

Les pas qui errent, la tête aussi. De chez moi qu'on fabule, pour finalement rester ici. J’ai le coeur qui bat dans les tempes quand il repère des bateaux au loin, pire et meilleur plan du jour que celui d’en choisir un pour y élire domicile.  « On peut pas les laisser dans une telle détresse. » quelle grande âme Alfie, quel être généreux tu fais. « Ouais, clairement, on dirait que j’me sens le pied marin aujourd’hui. » y’a une pensée qui file vers le proprio de celui qu’on investit - lol, nope, pas du tout - quand j’entre dans la cabine comme si c’était la nôtre, pas présence d’être humain qui y vive après un vif coup d’oeil sur le pont. C’est vide et c’est à nous, c’est proscrit et c’est ce qui nous - me - plaît, quand on décide de s’y installer comme si de rien n’était, quand on vide les rations d’alcool et de bouffe, quand on vit leur quotidien à eux l’espace d’un high comme un autre, l’espace d’une vie.

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