Dans une autre vie, peut-être que Leo et Jules auraient vraiment été des femmes au foyer désespérées – fusil et robe de chambre y compris. Ils n’étaient pas si éloignés que ça de l’âge que les quatre héroïnes avaient, puisqu’ils avaient déjà atteint la trentaine. Mais contrairement à elles, ils n’étaient ni mariés ni parents. Le Grimes avait encore l’impression d’être une sorte d’adolescent un peu étrange et encore bien trop immature et vraiment pas prêt à assumer la tâche qu’était de s’occuper d’un mini-être humain. Il avait vraiment envie d’en arriver à ce stade-là – il avait même plusieurs amis qui s’étaient déjà mariés et qui avaient déjà des enfants, ce qui l’étonnait au plus haut point. Pendant qu’ils étaient certainement occupés à changer des couches et remplir des biberons, Jules et lui mangeaient de la glace devant un mauvais film et en blaguant sur ses capacités inexistantes au fusil – ce qui lui donnait l’impression de creuser encore plus l’écart entre les vrais adultes et lui. « Maintenant que tu le dis… j’avais oublié à quel point j’adorais être en ta présence. » La connaissant, ça l’aurait beaucoup étonné de voir son amie prêt à tuer qui que ce soit, même si sa survie à elle en dépendait. Mais s’il devait être honnête, lui non plus en aurait pas vraiment été capable – s’ils avaient été les personnages d’un film d’horreur, ils feraient certainement partie des premières victimes d’un quelconque tueur en série, peu importe qui ça pouvait être. « … Si. Mais ça devient rassurant une fois que tu comprends à quel point c’est improbable quand ça arrive. » D’une certaine façon, il était presque rassuré quand il comprenait à quel point ce genre d’événements étaient rares et peu courants – même s’ils étaient terrifiants en soi, savoir qu’il avait plus de chances de gagner à la loterie que de se retrouver dans un accident d’avion était tout de même assez rassurant. Jules et lui avaient déjà bien entamé leurs pots respectifs de glace, malgré tout le mal que ça pouvait faire à leurs corps d’ingérer autant de sucres en si peu de temps. « Fais gaffe à tes chevilles, y a pas tellement eu besoin de me convaincre. » Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, le fait de manger végétalien ne rimait pas forcément avec diète saine – comme le prouvait son pauvre pot de glace.
Si les deux amis en blaguaient bien volontiers, ils avaient tout le deux atteint la trentaine – et malgré ce qu’on pouvait en dire ou en penser, ça pouvait être assez impressionnant de réfléchir à tout le temps qui avait déjà passé. « Excuse moi, madame la vingtaine. J’avais oublié que t’étais encore dans la force de l’âge. » S’il n’avait pas spécialement l’impression d’être une vieille peau, il remarquait tout de même les petits changements qui venaient avec l’âge. Il était beaucoup plus sensible aux lendemain de soirées, son dos était plus souvent douloureux, il était plus facilement fatigué… rien de bien grave, mais il sentait qu’il n’était plus tout à fait jeune – aussi dramatique que cela pouvait sembler dit de la sorte. Lorsque Jules évoqua le fait qu’ils étaient un peu trop âgés pour perdre tout leur temps à passer de relation en relation, il se contenta de hausser les épaules. « Eh. Disons que dans le genre d’expériences, y a pas sortir pendant six mois avec un mec pour au final me faire plaquer parce qu’il est pas prêt à se caser. » En soi, il n’exigeait pas de se marier le lendemain – et toute relation pouvait se terminer du jour au lendemain, ce qui rendait le fait de sortir avec quelqu’un parfois compliqué ; en revanche, si deux personnes savaient d’avance qu’ils n’avaient pas d’objectifs communs ou que leurs aspirations étaient radicalement différentes, à quoi bon essayer de faire marcher ce qui n’allait jamais être identique ? Leonardo tira la langue à Jules, sachant pertinemment qu’ils n’allaient pas faire de marathon Scooby Doo de sitôt. « Ça tombe bien, je sais où t’habites. » Et c’était vrai – il aurait très bien pu se pointer chez elle de bout en blanc, si seulement il n’avait pas eu peur de retomber sur Alfie et supporter la gêne ambiante entre eux. « Si seulement tu savais la vérité… » Il ne put s’empêcher de pouffer de rire lorsque Jules se mit à parler de Tinder, tout simplement parce que c’était si cliché qu’il ne pouvait pas pensé à tous ces documentaires de meurtre qu’il avait pu voir. « C’est le début de tous mes documentaires à base de meurtres-Tinder, je dis ça… » Généralement parlant, Leonardo n’avait jamais eu de gros soucis à base de rencards en ligne, si ce n’était quelques râteaux par-ci et par-là – ce qui n’était pas si mal que ça en fin des comptes. « Pour le coup, je suis énormément biaisé envers Twilight. Mais avec un peu de chance on devrait bientôt arriver aux chansons… j’espère. » Puisque la série était sorti lorsqu’il était encore adolescent et à New York, il avait dévoré tous les bouquins à leur sortie – c’était une façon comme une autre d’ignorer les personnes avec qui il était contraint de vivre. « Quand j’étais jeune, je connaissais toutes les choréos de High School Musical par coeur. Comme quoi, j’avais de la chance qu’y ait jamais personne à la maison. » Mais heureusement pour Jules, elle n’allait pas être obligé d’assister à ses reprises, malgré le fait qu’il se souvienne encore de tous ces pas de danse.
J’espère bien que Leo adore être en ma présence, après tout, je suis une amie formidable, il a de la chance de m’avoir dans sa vie… Oui, bon, peut-être pas tant que ça, surtout que la dernière fois que je l’ai vu, c’était pour le piéger lâchement et tenter de créer un lien – qui ne s’est manifestement pas fait – entre Alfie et lui. Je crois que je ne peux donc pas trop louer mes mérites dans la situation dans laquelle je me trouve. J’ai l’impression que Leonardo, malgré la tête de cochon avec laquelle il m’a accueilli, ne me tient pas rigueur pour le piège que je lui ai tendu, mais mieux vaut ne mas tendre le bâton pour me faire battre et attendre bien sagement que toute cette histoire se soit tassée. « J’espère bien ! J’espère même que je suis essentielle à ton bonheur. » Ou pas, Jules. Bien qu’étant un ami de longue date, Leonardo a ses propres centres d’intérêt, ses propres amis et sa propre famille et même si notre amitié nous procure certainement à l’un comme à l’autre beaucoup de choses dont je n’ai aucune envie de me passer, je me doute bien que ma disparition ne l’empêcherait pas de vivre malgré tout. Toutefois, je préférerais évidemment éviter de le perdre, il est important pour moi. « Mais justement, moi je trouve que quand on regarde ces trucs-là, on a l’impression que ça peut arriver à n’importe qui, c’est bien ça qui est flippant ! » Après avoir regardé de telles images, je n’ai plus qu’à garder la lumière allumée alors que je me glisse sous la couette, couteau de cuisine à la main. C’est la raison pour laquelle j’évite désormais pareil visionnage. Je ne pense pas qu’Alfie apprécierait que je l’égorge dans mon sommeil parce que je revivrais dans mes cauchemars les scènes traumatisantes regardées dans la soirée. Quoi que peut-être qu’en la présence de ma moitié, je ressentirais moins le besoin de me protéger, d’autant plus qu’Alfie a le sommeil léger et entendrait certainement un potentiel tueur entrer dans l’appartement. Je crois qu’il vaut mieux que j’évite d’avoir de pareilles pensées, je risque de me faire peur moi-même et ça serait dommage. « Mes chevilles vont très bien, je te remercie. » Je rétorque en plaisantant, sachant pertinemment que je n’ai pas vraiment eu d’effort à faire pour parvenir à le convaincre. Leonardo et moi avons fait de ces soirées glaces plus mauvais film, une sorte de rituel dont il me serait difficile de me passer à présent, j’aime ces moments simples partagés qui nous permettent de décompresser autant que de nous livrer sur les sujets qui nous préoccupent. Parler me fait toujours du bien et j’ose espérer que c’est également son cas.
J’aurais tout de même apprécié que notre grand âge ne vienne pas assombrir cette conversation. Je vis très mal le fait de vieillir, non pas parce que je vois les années défiler – même si ça y contribue – mais surtout parce que je les vois défiler sans avoir accompli tout ce dont je rêvais. Je me voyais maman avant trente ans, je me voyais mariée depuis des années à l’homme de ma vie, je me voyais cultiver mon potager dans le jardin d’une petite maison familiale qui nous appartiendrait. Bref, je rêvais d’une vie qu’on pourrait qualifier de banale et qui ne me semble pas si facilement accessible à l’heure actuelle. J’ai, certes, la chance de partager la vie d’un homme formidable, mais j’ai aussi conscience que les choses ne sont pas aussi simples que je l’aurais aimé et que l’accomplissement de mes rêves va sûrement devoir attendre encore un peu. Avoir une vision floue de l’avenir est un peu compliqué pour moi qui aime tant planifier et organiser, mais il en vaut la peine alors je me montre patiente. « Tâche de t’en souvenir à l’avenir. » Je plaisante, sachant pertinemment que je ne réussirais à convaincre personne que je suis restée aussi jeune, et encore moins moi-même puisque l’image qui se reflète dans le miroir se charge de me rappeler que, contrairement à ce que mon esprit veut me faire croire, je n’ai plus vingt ans. « Si tu tombes seulement sur des mecs qui ont besoin de six mois pour se rendre compte qu’ils ne sont pas prêts à se caser, c’est que tu ne tombes que sur des cons, tu vaux bien mieux que ça. » J’affirme, persuadée que j’ai raison et que Leo trouvera tôt ou tard quelqu’un qui partagera sa vision de l’avenir et ses envies et lui permettra de vivre la belle histoire dont il a besoin et qu’il semble rêver. « Je ne suis pas trop inquiète, je suis sûre que tu n’aurais pas envie d’affronter le Alfie qui monte la garde. » Je devrais peut-être même afficher sa photo sur la porte d’entrée pour dissuader les potentiels assassins dont nous parlions un peu plus tôt. Pauvre Leonardo, j’ai tort de me moquer du traumatisme qu’a provoqué chez lui cette conversation avec mon petit-ami puisque j’en suis à l’origine, mais c’est plus fort que moi, j’ai du mal à comprendre comment mon nounours de copain ait pu lui faire peur. Bon, certes, le fait qu’il se soit montré aussi maladroit dans ses propos est un bon indicateur, mais j’ai vraiment du mal à croire que quelqu’un puisse avoir peur d’Alfie, c’est vraiment impossible. « Je crois que je préfère l’ignorer. » Je préfère largement me souvenir du Leonardo-agneau plutôt que d’apprendre que je suis bien loin de la vérité. « Dans ces documentaires, on t’apprend qu’il faut toujours ouvrir la porte de chez soi avec un couteau de cuisine, même si c’est parce qu’un ouvrir vient pour poser de nouveaux carreaux aux fenêtre. La peur n’évite pas le danger, après tout, autant essayer de vivre sa vie même si elle est raccourcie par une mauvaise rencontre. » Tout ceci est très glauque malgré tout et le film plutôt léger de l’écran nous permet au moins de se sortir de cette vision un peu négative de la vie que je viens de renvoyer. Les acteurs ne sont pas spécialement bien choisis, le script n’est pas spécialement bien écrit, mais il a le mérite d’être joyeux et amusant et c’est tout ce qu’il nous fallait. « J’ai le droit à une démonstration de tes talents de danseur ? » Je demande, espérant qu’il se lancera et me renverra aux scènes merveilleuses de mon adolescence. « Je paierais cher pour voir ça. » Et il fera sans doute tout pour que je ne le vois jamais, mais ça vaut le coup d’essayer. J’ai envie de m’amuser.
En fin des comptes, même si en règle générale leurs soirées se résumaient à des séances de papotage intense face à des films qu’ils ne regardaient qu’à moitié, c’était bien tout ce qu’il y avait de mieux qu’ils pouvaient faire. C’était peut-être affreusement prévisible et pour certains, affreusement ennuyant et sans intérêt – mais ça leur convenait bien, et c’était bien tout ce qui comptait. « Que ferais-je sans toi, vraiment ? Qui ramènerait la glace à moi quand j’ai pas envie de sortir ? » Bien évidemment, ce n’était pas sa seule raison de l’aimer – et heureusement, parce que leurs vies auraient été bien tristes autrement. « C’est justement le but ! C’est pas bien rassurant, mais c’est la vérité ma pauvre cocotte. » Ce n’était peut-être pas la chose la plus rassurante à se dire, mais il fallait bien regarder la vérité en face parfois. Du moins, reconnaître qu’elle n’arrivait pas qu’aux autres ou dans les séries. « En vrai, il faut toujours… contextualiser ? Certes, parfois ça tombe sur des gens qui n’ont rien demandé – mais comme on est sept milliards sur cette planète, c’est quand-même peu probable que ça tombe forcément sur toi, Juliana Rhodes. » Effectivement, ce genre de tragédies était tout de même relativement rare en Australie – ce qui rendait leur quotidien bien moins inquiétant qu’ailleurs. « Ou sinon, c’était vraiment pas ta journée. » Mais s’il y avait bien quelque chose que les deux aimaient faire, c’était s’embêter sur toutes leurs petites peurs – et c’était une bien trop bonne occasion pour que Leonardo la laisse passer. « J’en doute pas, t’es connue pour ton humilité. » Mais il n’aurait rien changé en son amie – et il savait parfaitement que le contraire était tout aussi vrai.
« Oui maman, promis de chez promis. » Même s’ils s’entre-moquaient sans cesse, Leonardo savait à quel point son amie avait du mal avec le temps qui passait – après tout, il avait exactement le même réssenti face à la plupart de leurs autres amis. « Eh, c’est la vie j’imagine. On a pas tous la chance de tomber sur quelqu’un comme Alfie. » Même si les deux hommes avaient eu un peu de mal à s’entendre lors de leurs cher rendez-vous mis en scène par la Rhodes, Leonardo ne pouvait s’empêcher de jalouser un peu son amie. Même si Alfie n’était pas l’homme parfait pour lui, leur couple était bien meilleur que la plupart de ses quelques histoires. « Honnêtement, ce serait une des choses qui me terrifierait le plus au monde je pense. » Il ricana doucement, s’imaginant un Maslow posté devant la porte de chez lui tel un chien de garde, armé d’un énorme couteau de cuisine à la Michael Myers. Lorsque Jules lui demanda s’il pouvait lui montrer ses grandes compétences de danseur, il ne put s’empêcher de pouffer de rire – il aurait certainement répondu de l’affirmative s’il avait été un poil plus alcoolisé, mais les glaces qu’ils s’étaient enfilés ne faisaient pas vraiment le même effet. « Bien sûr que non. Pas si je suis le seul à me ridiculiser de la sorte. » Même si c’était Jules, le Grimes avait ses limites imposées par la dignité. « En plus, pour les chorégraphies de Ryan et Sharpay il faut absolument être deux. Donc… » Bien évidemment, il se doutait que Jules ne connaissait absolument pas par coeur la chorégraphie de Bop to the Top par cœur – elle n’aurait jamais eu de raisons pour, et Leo’ était bien l’un des rares à avoir autant de dévotion et temps à perdre dans ses années jeunesse. « Mais je peux t’apprendre. Je connais les deux, évidemment. » Évidemment.
La fausse déclaration d’amour-amical de Leonardo me fait sourire parce que je sais évidemment que notre amitié va bien au-delà d’un pot de glace mais que ce rituel qui s’est instauré entre nous est important et j’espère que nous parviendrons à les maintenir. « Je crois que tu bougerais tes fesses de ton canapé et que tu irais le chercher toi-même, ou pire encore, tu te ferais livrer. » Je le chambre gentiment, imaginant avec difficulté un Leonardo avec quarante kilos de plus et une flemme à toutes épreuves. « Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. » Je rétorque alors qu’il tente de me faire flipper ce qui est mal, très mal, surtout quand on sait que je suis une grosse trouillarde. Je ne regarde pas de films d’horreurs ou très peu tant j’ai peur de ne plus réussir à trouver le sommeil pendant des semaines voire des mois. Sa tentative de contextualisation ne me rassure pas, loin de là, parce que je n’aime pas l’idée de jouer ma vie au hasard et je préfère imaginer que seules les personnes qui l’ont mérité se retrouvent dans ce genre de situation alors que je sais évidemment que ce n’est pas vrai et que personne ne mérite de tomber sur un individu susceptible de lui faire du mal. « Tu trouves ça rassurant, toi ? Moi je me dis que je peux être cette personne qui aura autant de malchance et ça me fait surtout flipper, je crois que je préfère l’ignorance. » Dans ma tête d’utopiste, je vieillirais aux côtés d’Alfie, on finira par acheter une maison, avoir quatre beaux enfants, devenir vieux et mourir paisiblement dans notre sommeil lorsque nous aurons bien profité de la vie que Dieu nous aura offerte. Tout cela pourrait paraitre trop simple et pas assez ambitieux mais c’est réellement ce à quoi j’aspire et j’espère qu’un jour ce rêve deviendra réalité. « EH ! » Je m’exclame en lui assenant un petit coup de poing dans l’épaule en guise de protestation. « Je suis humble ! » Je m’exclame de nouveau, l’air parfaitement outré. « Humilité est mon deuxième prénom. » Et je feins d’adopter une attitude boudeuse qui ne me ressemble pas, alors que je suis pourtant loin d’être vexée par les propos de mon ami qui prend un malin plaisir à me taquiner.
Je dois forcément me dérider lorsque nous abordons la vie amoureuse de mon meilleur ami qui semble un peu défaitiste concernant le succès éventuel de cette dernière. Je ne suis évidemment pas d’accord avec lui, Leonardo est un amour et il mérite de tomber sur quelqu’un de bien qui l’aimera autant qu’il le mérite et lui offrira cette vie à deux dont il rêve. J’aimerais qu’il continue à y croire encore parce que c’est possible, vraiment possible. « C’est vrai, j’ai eu de la chance. » J’admets, repensant à notre rencontre improbable, aux rendez-vous qui se sont enchainés après cette soirée de réveillon beaucoup moins pourrie qu’elle en avait l’air de prime abord et cette relation naissante qui m’effrayait autant qu’elle me rendait heureuse. Je lui souhaite de connaitre ça à jour, pas avec quelqu’un comme Alfie, de préférence, puisqu’il l’a à moitié traumatisé mais avec la bonne personne, celle avec qui il pourra se projeter et qu’il considèrera comme sa moitié sans avoir le moindre doute à ce sujet. Je n’ai plus de doute concernant Alfie depuis un moment maintenant, je n’envisage pas un seul instant être avec quelqu’un d’autre que lui et encore moins aimer quelqu’un d’autre que lui. Il a réussi à faire taire tous les doutes que j’aurais pu avoir et à gagner ma confiance. Pourtant, je revenais de loin et c’est aussi parce qu’il a eu la patience nécessaire pour me laisser le temps de retrouver foi en l’amour qu’il a gagné mon cœur. « Mais je suis sûre que ça t’arrivera à toi aussi, c’est obligé, personne ne peut résister à ça. » Dis-je en le montrant de la main avec un léger sourire. « Ou alors, tu ne dragues que des aveugles. » En plus de ne pas être repoussant, Leo est également intelligent, bourré d’humour et particulièrement gentil, je ne vois pas comment ses qualités ne peuvent pas faire flancher les personnes auxquelles il s’intéresse, et je trouve ça bien dommage. « Je trouve ça vraiment drôle qu’il te fasse peur à ce point, ça me parait tellement impossible ! » Vraiment, je pourrais payer très cher pour avoir la possibilité d’assister à retardement à la conversation qu’ils ont eu. Je sais qu’Alfie aime beaucoup défendre ses convictions mais je ne pense pas non plus qu’il y soit allé vraiment fort avec Leo… Quoi que, son coup de téléphone laissait clairement entendre qu’il risquait d’y avoir un meurtre si je ne rappliquais pas tout de suite, j’ai peut-être simplement voulu voir les choses plus positivement qu’elles étaient réellement. « Je serais ravie de me ridiculiser avec toi. » J’affirme avec une assurance que je vais sûrement regretter. Non pas que je sois spécialement mauvaise danseuse mais je ne suis pas non plus excellente et je pense qu’en matière de ridicule je pourrais largement égaler voire carrément surpasser mon ami. Toutefois, l’idée de pouvoir l’admirer vaut bien ce petit sacrifice. « J’ai hâte de découvrir tes talents de professeur. » Et hâte de devenir certainement la pire élève du monde parce que je me doute bien que je vais être absolument catastrophique et bizarrement ça ne me dérange pas le moins du monde, au pire, Leo se moquera de moi pendant les six prochains mois mais j’ai aussi de mon côté des dossiers à ressortir en cas de besoin, alors aucun problème, je pourrais encaisser. On va s’amuser, c’est tout ce qui compte.
Il était certainement très vrai que sans amis, l’humain n’était personne – et c’était particulièrement vrai pour Leonardo, qui avait besoin de ce genre de contacts pour se rappeler de qui il était. De plus, il avait aussi besoin de glace au coco pour vivre, et il refusait d’aller en chercher par lui-même. Trop d’efforts tuent les efforts, après tout. « Moi ? Bouger mes fesses ? Et puis quoi encore, courir un marathon ? » S’il disait ça sur le ton de la rigolade, Leonardo devait avouer être bien trop pantouflard que la norme – s’il avait pu hiberner des mois entiers comme un ours grizzly, il l’aurait certainement fait dès que possible. Mais il fallait de tout pour faire un monde, et s’ils devaient être tout à fait honnêtes avec eux-mêmes, Jules n’était pas exactement une machine à énergie non plus. « Eh. C’est pas comme si on pouvait y faire quelque chose. » Il comprenait quand-même le train de pensées de son amie – ou plutôt le panic express au vu de leurs sujets de conversation – mais il ne pouvait s’empêcher d’avoir envie de savoir tout ce qui aurait pu se passer. Après tout, c’était en s’informant qu’on était prêt à tout imprévu, n’est-ce pas ? Du moins, c’était ce que le Grimes se disait pour se rassurer lui. « Oui ! Quand tu te rends compte d’absolument tout ce qui peut se passer, au final tu découvres que t’as déjà beaucoup de chance d’en être arrivée jusque-là, et que ça va pas soudainement changer d’un claquement des doigts. » Ou peut-être que si – mais tel n’était pas le constat que Jules voulait entendre, et à vrai dire le Grimes ne pouvait la blâmer pour cela. Après tout, qu’était un être humain sans aucun espoir ?« Mouais. T’as plus une tête de Millicent que d’humilté, si je peux me permettre. » S’il devait être honnête, il n’avait pas grand-chose à lui reprocher qui aurait pu devenir un surnom sympathique, ce qui expliquait le choix d’un nom aussi banal.
La question de la triste vie amoureuse du Grimes vint sur le tapis, comme elle le faisait à peu près à chaque fois que les deux se retrouvaient. Jules avait dû suivre toutes les mésaventures de son ami comme une sorte de mauvaise télénovela : les crushs à qui il n’avait jamais osé parler, les plans culs à qui il s’était un peu trop attaché, les exs qui revenaient dans sa vie aux pires moments… Leonardo avait coché toutes les cases du trentenaire désespéré en amour, pour le coup. « Eh, qui sait. Jamais dire jamais, j’imagine ! » Si le Grimes adorait se plaindre de sa triste vie, il n’avait pas spécialement envie que ce soit le seul sujet qu’il abordait avec son amie les quelques fois où ils se voyaient – surtout qu’à part le rassurer en lui disant qu’il allait bien trouver quelqu’un un jour, elle ne pouvait pas y faire grand-chose. La conversation glissa donc vers la suite la plus logique : la peur irrationnelle que Leonardo avait pour Alfie. « Crois-moi, t’aurais pas été de cet avis à ma place. » Les souvenirs du bref (mais bien trop long) tête-à-tête qu’il avait eu avec l’Australien étaient encore bien trop récents pour qu’il puisse passer outre. « Non, en vrai il aurait pu être bien pire. C’était juste bien trop stressant et gênant. » Mais hey, il fallait bien arracher le pansement – et Jules n’avait pas eu tort en pensant que les deux hommes n’allaient jamais se rapprocher tout seuls. En quelques simples coups de touches de sa télécommande, son Spotify s’était mis à jouer le chef-d’oeuvre musical qu’était Bop to the Top. « Bon. Alors. Déjà, il faut te rappeler que t’es Ryan, aka le frère cool mais un peu soumis, et moi Sharpay, aka la main bitch in charge. » Ils en arrivaient à sa partie préférée, le refrain de la chanson ; il l’avait tellement saigné qu’il aurait pu le chanter dans son sommeil. « Ce qui fait la choréographie, c’est les petits sauts qu’on fait en secouant des mains. Et il ne faut surtout pas oublier le zip-zap-zap. C’est comme… un livre sans pages. » Il montra à Jules les quelques pas qu’elle devait mémoriser, avant de la regarder d’un air des plus déterminés. « Prête ? » It’s show time.
Leonardo s’offusque que je puisse envisager ne serait-ce qu’une demi seconde de lui faire faire du sport et je ne peux m’empêcher de rire devant ce gros cliché du garçon non-sportif qui mange de la glace dans son canapé devant un film au niveau intellectuel douteux. « Le marathon est peut-être un peu prématuré, mais tu peux commencer par un petit cinq kilomètres, je suis sûre que ça te fera du bien. » Je plaisante gentiment, pour le charrier. « Ou alors, tu me rejoins à la piscine et on se lance dans la natation synchronisée. » J’adore l’eau, je pense que j’ai été un poisson dans une autre vie pour apprécier autant nager, mais en revanche, je crois que pour ce qui est de la grâce et de l’élégance qu’il faut avoir pour pratiquer un tel sport, je ressemblerais vite à un boudin essayant d’exécuter des figures de ballet. Certes, je manque peut-être un poil d’objectivité mais je ne suis certainement pas très loin de la vérité. Cela dit, je crois que je préférerais nettement m’initier à la natation synchronisée plutôt que de visionner les images flippantes que prend plaisir à regarder Leo sur son temps libre. Franchement, sur ce coup-là, je ne le comprends pas du tout. Comment peut-on aimer se faire peur en se mettant face à des faits divers plus angoissants les uns que les autres ? Est-ce qu’il a conscience au moins que ce sont des histoires vraies et donc susceptibles de se reproduire ? Vivre dans l’ignorance est largement préférable, au moins si l’une de ces situations devait se présenter pour moi, je n’aurais qu’à les subir au moment « m » où elle deviendra une réalité au lieu de m’être pourrie la vie à attendre qu’elle arrive. Nous sommes différents sur ce point – et sur beaucoup d’autres, évidemment – mais je respecte son opinion tant qu’il ne m’oblige pas à voir une de ces séquences beaucoup trop angoissantes. Je suis sûre qu’il ne le fera pas, raison pour laquelle je n’ai même pas besoin de lui préciser que c’est une limite que je ne compte pas dépasser un jour, il me connait suffisamment pour l’intégrer de lui-même. Malheureusement pour moi, il intègre déjà beaucoup moins bien le fait que je sois une personne humble et pendant un instant, je me demande s’il plaisante ou non en prétendant que je ne sais pas faire preuve d’humilité. J’espère vraiment que c’est juste pour m’embêter, sinon une sérieuse remise en question s’impose. « Mais quelle méchanceté gratuite ! Tu ne mérites même pas que je te ramène gentiment de la glace, la prochaine fois tu iras la chercher tout seul ! » J’ai certainement utilisé la menace la plus convaincante de tout mon répertoire, il va avoir peur, vraiment très peur.
Apparemment, plus que d’être privé de sa fameuse glace, c’est plutôt un nouveau tête-à-tête avec mon petit-ami qui l’inquiète ce qui me ferait hurler de rire une nouvelle fois si je ne prenais pas à cœur de conserver mon sérieux pour lui faire comprendre que j’entends ses angoisses et que je ferais en sorte de ne pas lui infliger une pareille souffrance une seconde fois. Malgré tout, je suis persuadée qu’il exagère un peu, Alfie peut être un tantinet excessif lorsqu’il défend ses convictions – et dans un tas d’autres situations que je ne listerais pas parce qu’il me faudrait toute une vie pour en venir à bout – ce qui peut expliquer qu’il ait pu paraitre un peu effrayant. Il faudra que je lui explique qu’il n’a pas besoin de sortir le grand jeu pour se montrer persuasif, parfois et que, dans le cas de mon meilleur ami, il aurait dû s’abstenir parce que le pauvre garçon semble avoir été à deux doigts de l’accident vasculaire cérébral ce qui n’est pas rien. « La prochaine fois que je t’invite, je te promets de ne pas faire de coup en douce, je resterais avec toi, tout le long de la soirée et je te tiendrais même la porte si tu dois aller faire pipi, ça te va ? » Je n’ai pas pu m’empêcher de rajouter une pointe d’humour à cette conversation un peu trop sérieuse, mais dans le fond, je suis sincère, je ne veux pas qu’il refuse de remettre ne serait-ce qu’un orteil chez moi sous prétexte qu’il appréhende une nouvelle crasse de ma part. Honnêtement, si j’avais su que la situation pouvait tourner au vinaigre, jamais je ne les aurais laissés seuls pour faire connaissance, mais je n’avais pas du tout anticipé que les choses puissent se dérouler de cette façon et j’ai été la première surprise de me rendre compte que ça ne matchait pas des masses, entre eux. Toutefois, je ne m’en formalise pas, je suis loin de souhaiter à tout prix qu’ils deviennent des amis proches, je ne sais d’ailleurs pas vraiment quel était l’objectif de ce rendez-vous improvisé, juste que ce n’était pas du tout une bonne idée. Une autre mauvaise idée est probablement la reproduction de cette fameuse chorégraphie qui va faire appel à mes piètres talents de danseuse et à ma mémoire défaillante concernant un film que je n’ai pas vu depuis des longues années. Leonardo, de son côté, a l’air ravi de donner un sujet tout trouvé à mes cauchemars pour les dix prochaines nuits à venir puisque je suis certaine que cette chorégraphie risque de me hanter un certain temps. « Pas du tout prête, non. » Mais prête ou non, je ne vais pas le décevoir et je compte bien lui montrer de quoi je suis capable. Dire que la soirée ne fait que commencer.
Code by Sleepy
Spoiler:
Je pense que le moment est bien choisi pour mettre un terme à ce sujet et laisser notre imagination se charger de l’invention du carnage de choré, qu’en penses-tu ?