Première nuit officielle dans cet appartement que nous avons choisi ensemble. Il y a des cartons partout, le matelas a été posé à même le sol car nous avons fini de tout apporter tellement tard que nous n’avons pas eu le courage de faire du montage hier soir, j’ai les courbatures d’une fille qui a fait un marathon après quatre semaines sans courir et pourtant je crois que j’ai passé l’une des meilleures nuits de toute mon existence. Je l’ai tant attendu ce moment que je pensais qu’il ne viendrait jamais. La lumière du jour commence à s’infiltrer par la fenêtre dont nous n’avons pas pris la peine de fermer les volets avant de nous coucher. Un mouvement à mes côtés m’indique qu’Alfie ne dort plus non plus et je me tourne vers lui pour lui faire face, enroulant mes jambes autour des siennes pour le retenir prisonnier – même si dans les faits, il lui aurait certainement suffit d’une pichenette pour me dégager – « Tu restes coincé avec moi, tu ne peux plus bouger. » L’âge moyen pour prononcer cette phrase se situe certainement aux alentours des cinq ou six ans mais j’avoue que je n’en ai rien à faire. Je suis sur mon petit nuage et aucune vanne douteuse que ne manquera pas d’envoyer Alfie au cours de la journée ou problème que nous ne décèlerons certainement dans notre tout nouvel appartement ne pourra venir me faire redescendre. Ma main libre vient coiffer ses cheveux ébouriffés alors que je ne peux m’empêcher de noter que notre chambre a l’air d’avoir été ravagée par un ouragan. « Tu crois que si on ignore les cartons, ils vont en avoir marre et se ranger tout seuls ? » Quoi que je ne suis pas sûre que je supporterais d’échapper à une journée où j’ai enfin le droit d’exprimer toute ma maniaquerie et ma psychorigidité. En réalité, j’ai presque hâte de me mettre à la tâche même si chaque muscle de mon corps semble s’opposer fermement à cet élan d’enthousiasme.
Le vibreur de mon téléphone vient me ramener soudainement à la réalité. Je suis bien allongée sur ce même matelas mais le reste du lit a été monté depuis longtemps et les cartons ont disparu. Mon sourire béat s’estompe lui aussi alors que je me reconnecte avec la réalité, oubliant progressivement le souvenir que je me remémorais. J’attrape le fauteur de trouble qui a osé me sortir de mes pensées et constate avec lassitude qu’Alfie a encore trop de choses à faire pour pouvoir être à la maison ce soir. Tad par-ci, Joey par-là, je ne devrais sans doute pas avoir cette réaction mais j’avoue que ça me gonfle. En plus, contrairement à la plupart des femmes, je ne peux pas vraiment me dire que puisque ce sont des hommes je n’ai pas grand-chose à craindre. Mais bon, la confiance est la base du couple et blablabla donc je le laisse vivre sa vie – pour l’instant – et quand j’en aurais vraiment marre, j’aviserais. Cela étant, est-ce que j’ai envie de lui répondre : « Tu fais chier, Alfie » ? La réponse est oui. Est-ce que je vais le faire ? Non. Je vais me contenter de sortir de ce lit et d’aller montrer au monde entier que je suis une femme forte et indépendante qui n’a pas besoin de son mec pour passer une bonne soirée. Je pourrais demander à Leo s’il a prévu de sortir ce soir, ou à Asher, ou encore demander à mes frères et sœurs s’ils ne veulent pas faire un truc en famille ? J’ai des tonnes de possibilités, je n’ai pas du tout besoin de lui. Après un « ok, amuse-toi bien » qui transpire la lâcheté, je me décide à me délester des vêtements de travail que je porte encore sur le dos pour adopter une tenue plus adaptée à une sortie et franchis le seuil de la chambre pour aller ajuster mon maquillage dans la salle de bain.
Je passe devant notre colocataire du moment, que je n’ai d’ailleurs pas entendu rentrer, non sans le saluer avec tout l’enthousiasme dont je suis capable de faire preuve. « Salut Joseph ! » Je ralentis le pas pour jeter un coup d’œil au livre qu’il tient entre ses mains, certainement emprunté à la bibliothèque du salon dont je prends soin comme d’un bébé. « Oh, My absolute darling, excellent choix, tu me diras ce que tu en as pensé ? » Je n’en oublie pas pour autant mon objectif final, à savoir la salle de bain mais alors que je m’apprête à en franchir le seuil, une idée bien plus attrayante que toutes celles que j’ai pu avoir auparavant me frappe. Joseph est là. Je suis là. Alfie est loin. Si j’ai accepté sans broncher la venue de l’ex-taulard dans notre quotidien, c’est aussi parce que je me suis dit que ça me permettrait d’en apprendre davantage sur le passé si secret de mon petit-ami, chose dont je n’ai pas vraiment eu l’occasion. Jusqu’à maintenant. Je n’ai pas besoin de beaucoup réfléchir pour me décider et je fais demi-tour, rejoignant l’ami d’enfance d’Alfie avec un grand sourire aux lèvres. « Tu restes ici ce soir ? » Pitié dis oui, pitié dis oui, pitié dis oui. « Je me disais… Ça fait un moment que tu es là, et on n’a jamais vraiment pris la peine d’apprendre à se connaitre toi et moi, en plus j’ai obtenu le premier prix de préparatrice de mojitos en 2017, ce serait dommage que tu n’aies pas l’occasion d’admirer mes talents. » Ce qui signifie grosso modo que j’ai l’immense chance d’être capable de verser du rhum, du sucre, de l’eau gazeuse et des feuilles de menthe dans un verre. Quel talent. « Si tu refuses, je te révèle la fin du livre. » Ce qui s’apparente pour une fan de lecture telle que moi à la plus grande menace qu’on puisse proférer, mais je doute que ça ait le même effet sur notre invité.
Avoir une conversation avec Joseph semble être totalement impossible et pourtant ses réponses laconiques construites en monosyllabes ne suffisent pas à m’arrêter. Je sais ce que je veux et je sais pourquoi je le veux, peu importe que je doive batailler pour l’obtenir, ça ne me parait pas insurmontable. La soirée ne fait que commencer et avec un peu d’alcool dans le sang et quelques questions bien tournées, je suis certaine que je devrais réussir à faire de cette soirée autre chose qu’un interrogatoire de police face à un suspect braqué. Outre les informations que je souhaite obtenir de Joseph, j’ai réellement envie d’en apprendre davantage sur lui. Il dort dans notre salon depuis un moment maintenant et apparemment il est bien parti pour y rester encore plusieurs mois, si ça ne se compte pas en années – chose que je commence sincèrement à redouter – autant que cette cohabitation devienne plus agréable. J’imagine qu’en hissant le drapeau blanc, je devrais réussir à rendre l’atmosphère de l’appartement plus amicale. Je ne sais pas pourquoi, depuis son arrivée ici, j’ai toujours eu la sensation que Joseph me redoutait ou plutôt qu’il craignait ce que je pourrais dire ou faire. J’ai du mal à comprendre pourquoi, je n’ai pas l’impression de lui avoir offert un mauvais accueil, au contraire, je me suis rangée très rapidement du côté d’Alfie – même si je n’en avais pas spécialement envie, il faut le reconnaitre – alors je ne comprends pas vraiment ce qui lui fait peur. Il se dit sans doute que j’ai plus de chance que son ami d’enfance d’en avoir marre de sa présence et donc de le mettre à la porte. J’admets que je n’ai pas spécialement envie de le voir s’éterniser ici, mais je ne pourrais pas le mettre à la porte sans avoir honte de mon attitude. J’aime me dire que je n’ai pas encore fait assez d’erreur pour devoir éviter l’image que me renverrait un miroir, alors autant ne pas commencer maintenant. Cette soirée est donc l’occasion de mettre aussi les choses au clair mais je ne suis pas du tout certaine d’en être capable sans avoir bu quelques verres au préalable.
Lorsqu’il accepte ma proposition de soirée, les battements de mon cœur s’accélèrent, j’ai la terrible sensation de faire quelque chose que je ne devrais pas mais l’envie d’apprendre ce que je ne sais pas est bien plus forte. Alors je fais taire mes doutes, bien décidée à profiter de cette opportunité qui ne se représentera sans doute pas avant un long moment. « Tout à fait, j’ai dû égarer mon trophée, malheureusement, tu te doutes bien que j’aurais été ravie de t’en apporter la preuve. » N’empêche, celui qui inventerait vraiment le concours de préparation de mojitos serait un génie à mes yeux. Je ne suis pas du tout une adepte des boissons alcoolisées. Je n’en consomme que très rarement et pour des occasions, mais le mojito reste de loin mon cocktail préféré mais aussi le seul que je suis capable de confectionner par moi-même. « T’inquiètes pas, tu n’as pas besoin de point de comparaison, tu te contentes de fermer les yeux, de prendre une gorgée et après tu dis un truc du genre « c’est de loin le meilleur cocktail que j’ai jamais bu », on fait comme ça ? » Je plaisante, ravie de pouvoir alléger l’atmosphère qui n’est pas souvent aussi supportable lorsque nous sommes tous les deux dans cette même pièce. Abuser de l’humour pour tenter de le mettre à l’aise n’est peut-être pas la meilleure solution mais c’est la seule que j’ai un stock. Sur ces bonnes paroles, je me dirige vers la cuisine, approchant un tabouret pour accéder aux plus hauts placards où se trouvent rangées les rares fonds de bouteilles que nous possédons. Les mettre hors de portée directe de tout être humain normalement constitué m’a toujours paru plus raisonnable et notre réserve a toujours été plus que limitée. Je m’attelle directement à la préparation des premiers verres – en espérant que ce ne soient que les premiers, sinon nous n’irons pas bien loin – non sans charger davantage celui qui est destiné à mon invité. Je ne bois pas assez pour avoir une résistance à l’alcool très développée et il serait tout de même dommage que je me retrouve bourrée avant même d’avoir pu poser les questions qui me brûlent les lèvres.
Alors que je termine ma préparation, non sans être désespérée de devoir déranger autant de choses dans la cuisine pour la simple confection de deux petits verres, Joseph lance notre soirée sans plus attendre. Il semble totalement disposé à répondre à mes questions et évidemment, le fait qu’il ne soit pas sur la réserve comme il a pu l’être jusqu’ici avec moi ne peut que me rassurer sur l’issue positive des quelques heures passées en sa compagnie. En revanche, la question n’est pas si simple que ça. De quoi ai-je envie de parler ? De lui ? De son passé ? Du passé qu’il a en commun avec Alfie ? De la raison pour laquelle il est ici ? De tout ce que je devrais savoir mais que je ne sais pas ? J’ai peur de commencer par-là, parce que nous n’avons pas encore bu une seule gorgée et que l’idée de le braquer d’emblée m’angoisse. « De toi. C’est bien comme ça qu’on apprend à connaitre quelqu’un, non ? » Il soutient mon regard et j’en profite pour détailler les traits tirés de son visage. Joseph est plutôt beau garçon, il devait faire tourner les têtes des filles lorsqu’il était adolescent, je me demande comment il a pu en arriver-là, il n’a pas du tout la tête e la petite frappe qui commet des délits mineurs et se retrouve enfermé pour une courte. J’ai vraiment du mal à m’imaginer que sa vie ait pu partir en vrille. Je finis par détourner les yeux pour terminer la préparation de nos verres et ne tarde pas à tendre le sien à Joseph. « A cette soirée. » Je trinque avant de boire la première gorgée, ravie de réaliser que je n’ai pas trop chargé en rhum – en tout cas mon propre verre –. « Tu peux prendre le rhum ? On ne va pas rester debout toute la soirée. » Dis-je alors que je regagne le salon, emportant de quoi remplir de nouveau les verres lorsque ceux-ci seraient vide. Je dépose tout ça sur la table basse en plus de mon propre verre avant de m’asseoir en tailleur à un bout du canapé. « Pourquoi tu es venu jusqu’ici quand tu as été libéré ? » Est-ce que ça a été son premier choix ? Est-ce qu’il s’est fait recaler par ses autres amis avant ? Est-ce qu’Alfie lui avait promis de l’héberger une fois qu’il serait sorti de prison ? Est-ce qu’il est allé le voir en prison ? Ce sont évidemment des questions que je me pose et que j’estime pouvoir me permettre de poser à voix haute sans avoir l’air trop indiscrète. Après tout, il squatte mon canapé, j’estime que j’ai le droit de savoir pourquoi c’est justement ce canapé qu’il avait envie de squatter et pas un autre.
Un large sourire s’étend sur mes lèvres lorsque Joseph capitule définitivement et que je peux m’atteler à la préparation du seul cocktail que je sais réellement confectionner, non sans oublier l’idée qui me reste en tête depuis que je me suis avancée vers Joseph pour lui proposer cette soirée. Evidemment, je m’en veux énormément d’agir de la sorte, il n’est pas dans mes habitudes de me jouer des gens. J’ai l’impression d’être un peu le genre de personne qui met du LSD dans l’alcool des filles en soirée pour obtenir des faveurs sexuelles sans avoir besoin de faire trop d’efforts pour les draguer ou prendre le risque de se faire recaler. C’est horrible et je suis certaine que la culpabilité post-soirée va être intense. Malgré tout, mon désir de savoir ce qu’il y a derrière la présence de Joseph dans cet appartement est plus fort que mon dégoût de moi-même et je ne recule pas. Je n’ai pas oublié l’attitude étrange des deux garçons lorsque je suis entrée dans l’appartement ce fameux soir où Alfie m’a annoncé que Joseph allait rester ici pendant une durée indéterminée, ni le malaise évidemment de mon copain qui a prétendu être angoissé pour le travail. Si sur le moment j’ai fait l’effort de me satisfaire de ces explications un peu bancales, je vois bien qu’Alfie n’est pas dans son état normal et je n’arrive pas vraiment à l’expliquer. Est-ce que le retour de Joseph y est pour quelque chose ? C’est bien ce que j’ai l’intention de découvrir ce soir. Les occasions de nous retrouver seuls ont été très rares, voire totalement inexistantes jusqu’ici, alors je ne peux pas laisser passer cette opportunité parce que mes principes m’empêchent d’aller au bout de mon idée. Evidemment, mes raisons, même si elles me paraissent justifier totalement mon attitude, n’excusent nullement ce que je m’apprête à faire à cet homme dont je ne connais rien et qui aurait peut-être répondu tout simplement à mes questions si j’avais pris la peine de jouer cartes sur tables. Je sais que je suis une horrible personne et que n’importe quel être humain normalement constitué qui se serait retrouvé à ma place serait allé trouver Alfie pour discuter plutôt que d’essayer de mettre en place des stratagèmes pour obtenir quelques éclaircissements. Si c’était si facile, je l’aurais fait depuis longtemps, mais c’est impossible, je n’arrive pas à me confronter à lui, j’ai bien trop peur de ce que je pourrais apprendre. Je ne suis pas prête à entendre des vérités qui pourraient tout chambouler entre nous, j’aime la facilité avec laquelle notre relation s’est construite et les bases solides sur lesquelles elle repose, fragiliser ce parfait équilibre avec des questions me parait tout bonnement inconcevable. Alors je suis désolée Joseph, vraiment sincèrement désolée, mais je n’ai pas l’impression d’avoir d’autre choix que celui d’aller à la pêche aux informations auprès de celui qui – normalement – connait parfaitement Alfie et même probablement mieux que moi.
Lorsque Joseph goûte mon cocktail et me complimente, comme je lui ai gentiment demandé quelques instants plus tôt, je ne peux pas m’empêcher de rire. Ça avait presque l’air naturel. « Oooooh, je suis tellement touchée. » Je découvre qu’il peut être amusant, chose que j’ignorais jusqu’ici tant il semblait déployer une énergie folle pour ne pas aligner quatre mots à la suite lorsque je lui adressais la parole. Je crois que je commence à entrevoir pourquoi Joseph est l’ami d’Alfie à ce moment-là, mais par comprendre j’ai du mal à saisir quel est l’intérêt pour lui de rester constamment sur la réserve en ma présence. Après tout, en vivant chez moi, il a plutôt tout intérêt à faire en sorte que je l’apprécie pour que la cohabitation se déroule bien ? Décidément, il y a beaucoup trop de choses que je ne saisis pas dans cette histoire. Malheureusement, je ne peux pas directement lui poser toutes les questions qui me brûlent les lèvres. Nos verres sont encore quasiment pleins alors que nous rejoignons le canapé du salon sur lequel je m’installe confortablement et je prends le parti de commencer doucement, histoire de ne pas le braquer directement. Contre toute attente, j’en apprends bien plus avec ma première interrogation que j’aurais pu l’imaginer. « C’est marrant, je n’ai jamais pensé que mon avis avait réellement de l’importance à tes yeux. » C’est la vérité, lors de notre première rencontre, j’ai eu vraiment la sensation que tout ce qui comptait pour lui c’est qu’Alfie soit heureux de l’accueillir et que j’étais un simple dommage collatéral. « Ne t’excuse pas, t’as juste besoin de temps pour rebondir et nous, on est heureux de pouvoir te filer un coup de main. » Et sur le moment, je pense sincèrement parce que son attitude me touche et me donne envie de l’épauler pour la première fois depuis qu’il est arrivé chez nous. Si j’ai accepté cette cohabitation à contrecœur en imaginant que la présence de Joseph allait forcément compliquer le quotidien, je ne peux pas ignorer quelqu’un dans le besoin et le laisser de côté alors que j’ai les moyens de rendre sa vie plus facile. En plus – et c’est triste à dire –, finalement c’est peut-être sa présence qui empêche que l’atmosphère de l’appartement soit extrêmement pesante en ce moment. « Tu ne savais vraiment pas que j’existais ? Tu veux dire que vous n’étiez plus du tout en contact pendant ton incarcération ? » Parce que c’est quand même ça, l’information importante de tout ce que Joseph vient de me dire, j’ai du mal à croire que des amis aussi proches aient coupé tout contact pendant toutes ces années même en sachant qu’il était en prison. D’ailleurs, c’est justement parce qu’il était en prison que je me serais attendue à ce qu’Alfie lui apporte son soutien, il a le cœur sur la main. Et puis, du coup, compte tenu de leur amitié très forte, j’ai aussi un peu du mal à comprendre pourquoi je n’ai pas entendu parler de Joseph auparavant. Je suis un peu perdue mais Joseph arrive encore à me sortir du sérieux de mes réflexions pour m’arracher un sourire. « Oui, je le sais. » C’est pour ça et des milliers d’autres raisons que je suis tombée amoureuse de lui, je ne risque pas de l’oublier.
A l’origine, cette soirée devait avoir lieu pour que je puisse cuisiner Joseph et en apprendre davantage sur le secret que les deux amis me cachent et finalement, en discutant de sujets qui pourraient sembler sans importance, je suis doucement en train de changer d’avis sur lui et je le vois un peu moins comme le type sans-gêne qui s’est imposé chez moi sans le moindre scrupule. Pourtant, il m’avait vraiment fait mauvaise impression quand je l’ai rencontré, j’avais la sensation d’être soit transparente, soit que ma présence était tout sauf désirée. J’ai bien conscience qu’il ne s’attendait pas spécialement à me voir, ce que j’ai un peu de mal à comprendre, d’ailleurs, mais de là à me traiter comme une sorte d’extra-terrestre, c’est peut-être un peu excessif. Finalement, il est presque surprenant qu’il ait accepté le verre que je lui proposais, mais c’est une bonne chose car même si cette soirée ne me permet pas d’atteindre le but recherché, j’aurais au moins réussi à le voir différemment. Bien sûr, j’espère quand même que je réussirais à en apprendre davantage mais j’ai conscience que cette mission peut s’avérer vraiment compliquée parce que si tous les deux ont réussi à garder le silence jusqu’ici, j’imagine que ce n’est pas parce qu’ils meurent d’envie que j’en apprenne davantage sur le lien qui les unit. En plus, il est tout à fait envisageable que je n’apprenne rien pour la bonne et simple raison que je me fais des films et qu’il n’y a juste rien à dire de particulier. Cependant, j’en doute, parce que leur attitude lors du premier diner que nous avons partagé était vraiment trop bizarre pour que ça ne cache pas quelque chose que je n’ai pas su percevoir à ce moment-là. « Dire que j’ai envie de te voir tous les jours, serait peut-être un poil excessif. » Je souris, plaisantant gentiment sur les termes qu’il vient de choisir, sachant pertinemment qu’il commence à connaitre mon sens de l’humour parfois discutable et qu’il ne s’offusquera probablement pas de mon commentaire. « Mais c’est bien que tu sois là. » Parce qu’il est mieux chez nous qu’errant dans les rues de Brisbane, parce que ça fait plaisir à Alfie de retrouver son ami et parce que j’ai vraiment envie qu’il réussisse à retrouver un sens à sa vie. J’ignore tout de ce garçon, mais j’ai du mal à le voir comme un criminel, il me fait plutôt l’effet d’un petit enfant un peu perdu qui a du mal à ne pas céder à ses envies et qui n’a personne pour réussir à l’aider à les canaliser. J’observe tout ça de loin, parce que je sais que je n’ai pas à m’immiscer dans sa vie, mais je trouve toujours dommage de voir des gens gâcher leur potentiel comme il le fait.
Lorsque le sujet dévie sur ses années de prison et la présence d’Alfie dans cette histoire, je prête une oreille attentive à son récit, cherchant à capter chaque détail qui pourrait m’orienter sur une faille ou quelque chose que j’ignore. J’ai rapidement de quoi m’étonner puisque j’apprends qu’il a envoyé un cadeau à Joseph. Je ne sais pas du tout pendant combien de temps il est resté en prison du coup je ne peux pas vraiment dire si c’est un problème de ne pas avoir été mise dans la confidence. Je reste tout de même étonnée de ne pas avoir entendu parler de Joseph une seule fois en trois ans. « Ce ne sont pas les prisons qui me font peur, ce sont les gens, c’est beaucoup plus facile de s’imaginer que ce sont les mauvaises personnes qui vont en prison et pas que ce sont des personnes bien qui ont juste fait des erreurs ou même qui parfois, ne le méritent pas du tout. » Parce que vivre dans un monde où on peut tout bêtement penser que tout est soit tout noir, soit tout blanc est simple et facile à accepter. J’ai toujours eu peur d’être capable de m’attacher aux détenus en mettant les pieds dans une prison, c’est pour ça que je n’ai jamais voulu être cette bénévole qui écrit et lit aux personnes ayant écopées de plusieurs mois ou années d’enfermement. Bien entendu, mes propos ne sont pas dirigés directement contre Joseph et je n’ai pas du tout réalisé qu’il pourrait mal prendre ce que je viens de dire. Comme d’habitude, l’alcool, même au bout de quelques gorgées, a cet effet désinhibant qui supprime malgré moi les filtres que j’aurais sans doute imposés à mon esprit en temps normal. Je ne peux retenir une expression étonnée lorsque Joseph aborde une plus grande stabilité dans la vie d’Alfie mais je m’abstiens de tout commentaire, désireuse d’éviter un terrain glissant alors que nos verres n’ont pas encore été vidés un assez grand nombre de fois pour que je sois certaine que Joseph est assez alcoolisé pour devenir plus bavard. Mais finalement, lorsqu’il enchaine sur l’impact de mon entrée dans la vie d’Alfie, je regrette de ne pas l’avoir coupé en lui posant davantage de questions. Il touche, probablement sans le savoir, un point sensible. Je sais que je ne peux pas laisser son interrogation sans réponse parce que répondre à ses questions est probablement le moins que je puisse faire et que mon esprit, légèrement embrumé, ne me permettra pas d’éluder si facilement. « Il voyageait moins au tout début, mais il a repris après. » J’admets sans aucune joie, appréciant difficilement ce retour dans un passé pas si lointain qui est encore si difficile à encaisser aujourd’hui. « Maintenant, il a totalement arrêté. » A cause de moi. Si je ne veux pas vraiment en parler c’est parce que je déteste devoir me souvenir que je suis la coupable dans cette histoire et que c’est moi qui lui ai coupé les ailes parce que je ne pouvais pas voler avec lui. Joseph a tort lorsqu’il prétend qu’il ne pouvait plus le faire, il en était totalement capable, je lui ai imposé ma volonté, voilà la vérité. « Tu as voyagé, toi aussi ? » Encore une de ces questions anodines destinée à m’en apprendre davantage sur le lien l’unissant à Alfie. Qu’ont-ils vécu ensemble ? Qu’est-ce qui les a rapprochés ? Qu’est-ce qui les a éloignés ? Je veux savoir et j’aimerais vraiment pouvoir tout simplement lui demander directement mais il est trop tôt pour ça. Malheureusement pour moi, la traversée du salon d’Odie crée une diversion que Joseph saisit au vol alors que j’avale plusieurs gorgées de mon mojito. Son enthousiasme serait presque contagieux si je n’étais pas aussi concentrée sur mon plan initial. « J’ai appris à les aimer. » La vraie réponse aurait sûrement été j’aime Alfie qui justifie mon affection pour les animaux parce que sans lui je n’aurais probablement jamais envisagé de m’entourer de toutes ces petites bestioles, mais je dois reconnaitre que je m’y attache, un peu malgré moi. « Normalement, le prochain c’est un alpaga, mais j’essaie de faire comprendre à Alfie qu’il va se sentir un peu à l’étroit sur le balcon. » Je sais que je ne lui enlèverais pas facilement cette idée de la tête, mais je tiens bon, pour le moment, bien décidée à échapper à cet envahisseur bien plus imposant que les précédents. « Tu en as déjà adopté, des animaux ? » Retournons dans le passé, s’il-te-plait, c’est ça qui m’intéresse
Peut-on se montrer trop honnête avec quelqu’un ? Il est vrai que j’ai appris à ne pas divulguer mes pensées brutes lorsque ces dernières ne sont pas trop appropriées compte tenu de la conversation en cours mais alors que nous avons commencé à boire, mon cerveau se permet de laisser échapper des informations un peu trop franches que j’aurais sans doute réussi à retenir en temps normal. Joseph n’a pas l’air de s’en offusquer, et j’en suis la première surprise, m’apprêtant presque à m’excuser pour les propos que j’ai tenu lorsqu’il m’aura fait réaliser que j’ai sans doute exprimé un peu trop facilement le fond de ma pensée. Il n’en fait rien et notre conversation devient plus profonde alors que nous abordons un aspect de sa vie auquel je refusais de faire référence parce que je ne voulais surtout pas le mettre mal à l’aise. « Et ça fait quoi alors, d’être un faux criminel parmi les vrais ? » Parce que c’est ce qu’il est, non ? Une erreur de casting parmi tant d’autres, le garçon qui s’est retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, à faire les mauvaises actions. Je ne sais pas quels motifs l’ont conduit en prison, ni combien de temps il y est resté, et je crois que je ne me permettrais jamais de lui poser la question. Pourtant, ce que je lui demande est bien plus intrusif mais l’alcool fait des merveilles quand il s’agit de supprimer des filtres pourtant utiles dans la vie de tous les jours. Pour ce qui est de Joseph, je ne pense pas qu’il ait besoin de boire quoi que ce soit pour mettre les pieds dans le plat et lorsque le sujet du travail d’Alfie est abordé, je sais déjà que la discussion qui va suivre ne va pas me plaire. Pourtant, j’ai vraiment essayé d’écarter calmement mais sûrement cette pente glissante sur laquelle Joseph s’est aventurée mais il fait fi de mon évidente réticence et continue sur sa lancée. Chacune de ses phrases à l’effet d’un coup de massue. Alfie vivait pour voyager Alors en supprimant ses voyages, je lui ai ôté ce qui faisait sa vie ? C’est ce qu’il essaie de me dire ? Est-ce Alfie lui-même qui lui a demandé de me dire ça ? Dans ce cas, il aurait suffi qu’il vienne m’en parler lui-même. Est-ce que je l’aurais accepté ? J’aimerais me dire que oui, bien sûr, mais au fond je sais que ça aurait été très compliqué. Ses yeux plein d’étoiles. Joseph continue sur sa lancée, enfonçant le clou encore et toujours plus profondément alors que la plaie laissée par le choix que j’ai imposé à Alfie ne s’est jamais vraiment refermée. Arrête, je t’en prie, arrête. Voilà ce que mon subconscient me hurle de lui dire, mais je résiste, bien que j’ai conscience de ne pas vraiment parvenir à dissimuler mes émotions. « Ce n’est pas aussi simple que ça. » Je pourrais m’offusquer contre lui pour avoir dénigré délibérément mon travail qu’il n’a même pas été fichu de retenir correctement, mais c’est le sentiment de culpabilité qui domine et l’envie de me justifier prime sur mon ego pourtant mis à mal. « On ne devient pas anthropologue parce qu’on a envie de voyager, c’est une vocation. » Et ce n’est pas la mienne, mais je n’avais pas pour autant le droit de le lui enlever. Joseph semble trouver tout à fait normal que je sois prête à renoncer à ma vie et à mes rêves pour suivre ceux d’Alfie et je devrais sans doute être énervée qu’il voit les choses de cette façon, mais je ne peux pas vraiment parce que c’est ce que j’ai fait, finalement, j’ai poussé mon petit-ami à abandonner ses projets pour ne pas avoir à renoncer aux miens. Je suis un monstre. « Toutes ses aventures l’ont marqué. » J’insiste volontairement sur le terme qu’il a employé et avec lequel je suis en total désaccord. Jouer avec sa vie n’a rien d’une aventure, c’est une tentative de suicide pure et simple et il a bien failli réussir. « Je n’arrive pas à ouvrir une boite de conserve toute seule, je ne pourrais pas faire le dixième de ce qu’il faisait. » Le sourire sans joie qui apparait péniblement sur mon visage ne trompe personne et cette tentative de plaisanterie pour alléger le sérieux du sujet abordé ne me permet pas de me détendre.
Ma piètre tentative pour le pousser à rebondir sur le sujet à son tour et ainsi dévier la conversation n’a pas beaucoup de succès mais bien que la réponse qu’il me donne aurait dû me pousser à abandonner, le désir de dévier la conversation vers lui est nettement plus fort. « Pourquoi ? » Les possibilités sont multiples et sa volonté de ne pas m’en dire plus peut évidemment être un réel obstacle à la poursuite de mon investigation. J’aurais sûrement dû lâcher l’affaire, tenter de rebondir sur quelque chose de différent, détourner la conversation, mais c’était beaucoup trop tentant. C’est finalement l’humour qui vient me sauver la mise grâce à Odie qui, sans le savoir, vient alléger l’atmosphère qui commençait à devenir presque étouffante. Si on m’avait dit que cette tortue aurait une utilité un jour, je ne l’aurais sûrement pas cru. Quoi que, ces derniers temps, je me surprends à la prendre sur mes genoux pour lui raconter ma journée de travail quand personne n’est à la maison, ce qui arrive un peu trop souvent à mon goût. Le fou-rire de Joseph me surprend et me fait sourire, il ne réalise sûrement pas à quel point je suis sérieuse, pourtant c’est réellement le genre de conversation que je peux avoir avec Alfie, le plus normalement du monde. Sans le vouloir, j’ai détendu tout le monde et sa confidence me fait éclater de rire à mon tour, parce que je n’imagine tellement pas pouvoir faire peur à qui que ce soit, ça me parait surréaliste. « Je savais bien que je te faisais flipper. » Il faut dire que se prétendre flic devant un ancien détenu venu demander asile n’était probablement pas la meilleure chose à faire, mais j’essayais vraiment de le mettre à l’aise, aussi étrange que ça puisse paraitre. « De toute façon, je suis adorable, je te jure, t’as aucune raison de t’enfuir. » Enfin, c’est ce que je prétends, la réalité est peut-être toute autre et mes proches se sont bien gardés de me le dire. « Et comme t’es finalement plus sympa que tu en as l’air, je te promets de ne pas t’enfermer à la cave tout de suite. » Non pas qu’il soit dans mes habitudes d’enfermer les gens à la cave, mais j’ai ma réputation de femme effrayante à entretenir alors je fais du mieux que je peux pour avoir l’air un peu impressionnante. Mon mojito descend doucement et malgré le faible dosage d’alcool dans le verre, je prends doucement conscience qu’il vaut mieux que j’évite de le descendre trop vite et surtout d’en avaler quatre comme ça. « Elles s’appelaient comment, tes vaches ? » Information ô combien capitale, il faut bien le reconnaitre. Je ne sais pas comment je suis passée de mon envie de déterrer les secrets du passé à celle de connaitre les prénoms des vaches de compagnie de Joseph. Je crois que j’ai un sérieux problème. « Vous viviez dans une ferme ? » Et il a une sœur, elle non plus je n’en ai jamais entendu parler, mais je suppose qu’Alfie doit la connaitre s’il s’agit réellement d’un vieil ami. Le verre vide de Joseph me surprend puisque, prise par la conversation, je ne l’avais pas vu le finir. Je déplie mes jambes pour me lever, conscience avec ce que vient de me dire Joseph que celui-ci n’est pas dupe quant à la raison de cette petite soirée improvisée. Je suis vraiment une piètre actrice. « Je dois avoir ça, je reviens. » Un bref aller-retour dans la cuisine me permet d’apporter un fond de vodka certainement suffisante pour que n’importe quel adulte lambda finisse en position latérale de sécurité après en avoir absorbé la totalité. « Tu la bois pure ? » La grimace qui se lit sur mon visage prouve une fois de plus que je suis une petite nature et que je n’ai pas du tout l’habitude de ce genre de choses. « Tu m’en voudras pas si je reste aux mojitos, je tiens à conserver ma dignité intacte. » Et je suis une maniaque du contrôle qui ne supporte pas l’idée de lâcher prise, donc dans une situation où je tiens à mener la conversation – ce qui pour le moment est un échec, qu’on se le dise – il est évident que je ne peux pas me permettre de finir complètement déchirée. « Il faut que tu sois saoule pour être capable de t’amuser ? Je te fais vraiment peur, en fait. » Ou alors, il a peur des révélations qui pourraient sortir de sa bouche, ces mêmes révélations dont j’ignore la réelle existence mais que je tiens tellement à obtenir.
La criminalité, la prison, la justice et tous les termes similaires sont associés à un monde que je ne suis pas en mesure de maitriser parce que je n’arrive pas à accepter l’idée qu’on puisse vouloir faire du mal aux gens que ce soit physiquement ou moralement. Bien sûr, les hommes peuvent faire des erreurs mais pour se retrouver en prison, il faut avoir fait plus qu’une simple petite bêtise qui peut être réparée en demandant pardon. J’ai bien conscience que parfois on peut être emprisonné suite à des affaires de drogue, d’alcool ou autres fait qui n’ont pas une incidence directement néfaste sur autrui et qui sont simplement à l’encontre des lois écrites, mais quand je vois les ravages que peuvent faire ces substances, j’ai du mal à comprendre ce qu’elles ont d’attirant. Je ne suis pas la dernière à bouder un verre, de temps en temps, mais il faut savoir être raisonnable. Cependant, j’entends les explications données par Joseph, même si je ne suis pas en mesure de véritablement la comprendre. Comment peut-il imaginer que tous ceux qui évitent la prison sont des êtres malheureux qui donnent le change en montrant de faux visages ? Parce qu’il faut nécessairement commettre des actes allant à l’encontre des règles de la société pour trouver le bonheur ? Etrangement, à cet instant précis, il me fait penser à Harvey. Ils ont l’air aussi tristes tous les deux et aussi désabusés par le monde qui les entoure. Personne ne se fiche réellement de l’opinion des autres et heureusement d’ailleurs, avoir un tel désintérêt pour autrui serait forcément quelque chose de dangereux, mais est-ce qu’on peut vraiment s’aventurer dans pareil débat ce soir ? Je me détournerais de mon objectif en le faisant et même si je ne suis pas d’accord non plus avec le portait qu’il dépeint d’Alfie à cet instant précis, je n’ai pas l’intention de me mesurer à son ami d’enfance pour tenter de répondre à une question à laquelle le seul le principal intéressé peut répondre. « J’imagine que même si l’opinion des autres t’importe peu, celle que tu as de toi-même a une valeur ? » Parce que s’il se fiche que les gens le voient comme un vrai criminel ou comme un faux criminel, lui-même peut y accorder de l’importance, mais c’est sans doute pousser un peu trop loin l’introspection et je ne suis pas sûre qu’il soit véritablement prêt à discuter de tout cela avec moi. Je m’étais promis de ne pas aborder le sujet de son incarcération et je m’en veux un peu d’en être arrivée là. Malgré tout, ça m’intéresse vraiment, parce qu’au fond, je suis persuadée que Joseph est quelqu’un de bien et je n’arrive pas du tout à imaginer ce qui l’a conduit jusqu’ici. Comment est-il passé de l’église tous les dimanches matin à une cellule ? C’est une question à laquelle je ne pourrais certainement jamais répondre, tout comme je ne pourrais jamais comprendre que les proches d’Alfie envisagent son métier comme une aventure fabuleuse et merveilleuse alors qu’il s’agit d’un combat de chaque instant. « Et qu’est-ce qu’elles apportent ces cicatrices ? » Il n’a pas tort Joseph, j’ai moi-même mes cicatrices, parce que je me suis déjà brûlée avec une casserole trop chaude et que j’ai fait une chute un peu plus violente que les autres dans la cour de l’école étant petite, mais ça n’a rien à voir avec les dangers affrontés par Alfie, ce n’est pas comparable. Et si la tournure que prend la conversation est loin de me plaire, la suite est pire encore et les mots prononcés par le jeune homme résonnent dans ma tête. J’aimerais le contredire mais au fond, je sais qu’il a parfaitement raison, j’ai été égoïste et je le suis encore à présent alors que j’espère que notre vie évoluera dans le sens que je souhaite sans lui avoir demandé au préalable si c’est quelque chose qu’il veut aussi. « La question n’est pas de réussir à faire passer les autres avant soi. » Bien sûr que si, mais il n’y a pas que ça, évidemment, ce sont surtout les risques qu’il prend qui me poussent à agir de la sorte. « C’est de réussir à surmonter la peur de recevoir ce fameux appel qui m’annonce qu’il est mort. » Sans mojito, je crois que je n’aurais jamais réussi à prononcer cette phrase parce que je n’ai jamais vraiment réussi à envisager que ce soit une possibilité, mais ça l’est, je suis terrorisée à l’idée qu’il reparte sur le terrain parce que le dernier accident a été l’accident de trop. « Je n’en suis pas capable. » Et on en revient à ce que Joseph disait tout à l’heure, ça fait de moi une égoïste et j’aimerais sincèrement réussir à agir autrement.
Rebondir sur un sujet plus joyeux est une délivrance mais mon insistance concernant les voyages fait un nouveau flop et j’abandonne l’idée de poser davantage de questions à ce sujet, profitant pleinement de l’intervention d’Odie pour retrouver le sourire et adopter un ton plus joyeux. Je ne pensais pas que cette soirée serait aussi dure et qu’elle me pousserait autant à réfléchir, il faut croire que je me suis trompée. « Mais non, voyons, j’aurais au moins pris la peine de faire le ménage avant de t’y installer, pour qui tu me prends ? » Aire faussement choqué sur le visage alors que je commence simplement à me dire qu’aménager la cave en un appartement provisoire pour Joseph n’aurait pas été une si mauvaise idée que ça, finalement et que ça nous aurait permis de préserver davantage notre vie de couple. Toutefois, je n’aurais évidemment jamais proposé une telle idée à Alfie, je pense que ça aurait été un motif tout à fait valable pour me faire virer de chez nous. Et sans cette cohabitation, je n’aurais jamais eu connaissance de ces noms de vaches qui me font évidemment éclater de rire. « J’adore. » Je précise, entre deux éclats de rire, imaginant Joseph se balader avec ses deux vaches en leur parlant comme à des camarades à coup de « non Cheesecake, on ne va pas par là aujourd’hui » ou « Milkshake je t’ai déjà dit cent fois de ne pas me regarder avec ses yeux là, tu sais bien que je ne peux rien te refuser ». Je comprends son désir de vivre en ville, malgré tout, parce que la campagne n’est pas adaptée à tout le monde et que je ne me verrais pas y renoncer. J’aime les matins bruyants où tout Brisbane est en effervescence, j’aime devoir slalomer entre toutes les personnes pressées qui tentent d’attraper leur bus à la dernière minute et j’aime me dire que chaque jour, je verrais de nouvelles têtes et je pourrais faire de nouvelles rencontres qui auront peut-être un impact sur celle que je suis et la vision que j’ai du monde. Par contre, j’ai du mal à comprendre comment il est possible qu’il ait rencontré Alfie en étant enfant s’il ne vivait pas à Brisbane. « Quand es-tu arrivé à Brisbane ? Ta famille est venue avec toi ? » Doucement, mais sûrement, j’essaie de retracer le passé, de comprendre comment leurs histoires se sont entremêlées et ce qu’il y a de si spécial pour que j’ai pu percevoir sans aucun mal le malaise de leurs retrouvailles. Beaucoup de détails m’échappent mais également un certain nombre de généralités parce que je n’ai pas vraiment osé poser la question et que je n’ai pas pris la peine d’essayer de connaitre Joseph alors que j’aurais certainement dû. « Pourtant, c’est carrément dégueulasse. » Et surtout très fort, ce qui fait évidemment tout de suite penser qu’en terme de tolérance à l’alcool, je suis tombée sur un adversaire bien plus coriace que moi et que je risque de me faire prendre à mon propre jeu. Pourtant, je sais que je ne reculerais pas, parce que mon envie d’en apprendre plus surpasse les risques que je cours à dépasser le seuil que je m’impose habituellement. « Je n’en doute pas une seule seconde et je préfère également qu’elle le soit. Si on doit cohabiter pendant quelques temps encore, j’aimerais être capable de te regarder dans les yeux. » Ce qui ne sera sans doute pas le cas si j’apprends des détails de sa vie privée qui auraient dû le rester. Mon verre retrouve le chemin de mes lèvres et je termine d’une traite le cocktail que j’ai préparé avant d’attraper les bouteilles pour en composer un nouveau, sans doute un peu plus chargé que le précédent parce que mes idées sont un peu moins claires. « Pourquoi tout le monde se comporte toujours comme ça avec moi ? » Non pas que je ne sois pas une fille sage, je le suis, il n’y a aucun doute à ce sujet, je ne déroge jamais à mes principes, je ne prends pas de risques, ou alors seulement des risques mesurés et j’évite toute nouvelle expérience susceptible de dégénérer car je préfère largement garder le contrôle de mes actes. « Non pas que je ne sois pas sage, mais venant de toi, et de tous les autres d’ailleurs, ça a l’air tellement péjoratif. » Comme si j’étais trop chiante pour supporter qu’ils se comportent de manière totalement naturelle avec moi, chose que je suis évidemment bien loin d’apprécier. « T’as tort, je suis parfaitement capable d’encaisser. » C’est seulement à ce moment que je remarque les marques sur sa peau laissée dénudée alors que sa veste est venue s’échouer sur le canapé. Je détourne le regard rapidement, tâchant de ne pas imaginer ce qui a pu les provoquer. Finalement, je ne suis peut-être pas aussi prête que cela à entendre tout ce qu’il pourrait être capable de révéler.
Cette discussion devient bien trop profonde à mon goût et c’est entièrement de ma faute puisque je me suis intéressée d’un peu trop près à l’incarcération de Joseph et à son ressenti durant cette dernière. Il est en droit de mal le prendre mais il n’en fait rien, se contentant de m’expliquer sa vision des choses que je ne partage pas forcément mais que je respecte évidemment. J’ai un peu du mal à cerner le personnage, à dire vrai, il peut être adorable par moment comme super froid à un autre, voire méfiant. Ses changements de comportements sont déstabilisants tout comme certaines de ses réactions alors ça ne me surprend pas vraiment lorsqu’il m’apprend que personne ne le connait vraiment. Je n’aimerais pas être dans sa tête, ça doit être un joyeux bordel là-dedans. En revanche, je suis touchée par son désir de se prouver à lui-même qu’il n’est pas un cas désespéré. J’aimerais pouvoir le contredire, mais autour de lui, c’est le flou artistique et puisque je n’arrive pas à le cerner, je n’ai pas envie de dire quelque chose de potentiellement faux ou que je ne pourrais pas justifier. Pourtant, au fond, je suis vraiment persuadée que c’est quelqu’un de bien, et puis, si ce n’était pas le cas, je suis persuadée qu’Alfie ne lui aurait pas ouvert notre porte, je dois lui faire confiance sur ce coup-là, même si je ne suis pas certaine du tout d’apprécier son ancien ami. Je le laisse changer de sujet, un peu déçue de n’avoir finalement rien appris sur lui, les mots qu’il emploi sont tout juste assez précis pour apporter des réponses à mes questions mais pas assez pour que je puisse aller au-delà. Depuis le début de cette conversation, je crois que je fais du surplace, incapable de comprendre réellement ce qu’il fait là et pourquoi c’est Alfie qu’il est venu trouver lorsqu’il a eu besoin d’un toit. A défaut de pouvoir vraiment lui faire confiance, je crois que je peux considérer que c’est quelqu’un de loyal ce qui lui permet tout de même de remonter un peu dans mon estime, même si je me doute bien qu’il se fiche complètement de l’estime que je peux avoir de lui. Il l’a dit d’ailleurs, l’opinion des autres n’a pas d’importance.
Non seulement je n’apprends pas grand-chose de cette conversation, mais là où j’échoue de manière plus que lamentable, il arrive lentement mais sûrement à tirer sur la corde sensible, sélectionnant pile poil celle que j’aurais aimé qu’il évite. Parler du passé ne me pose pourtant aucun problème habituellement, outre la mort de mon père, je n’ai pas eu d’événement vraiment marquant ou de secret à cacher, si j’ai eu mes hauts et mes bas, comme toute personne normalement constituée, je sais que j’ai eu de la chance, globalement. J’ai vécu dans un milieu qui m’a ouvert plein de possibilités. J’ai pu choisir comment je voulais construire mon avenir là où d’autres auraient été contraints d’adopter une voie qui ne les emballaient pas plus que ça. La liste des sujets que je ne souhaite pas aborder est donc vraiment très courte et c’est pour cette raison que je devrais sûrement en vouloir à Joseph de réussir à viser pile poil l’un d’entre eux et encore pire, l’un des plus récents et donc forcément beaucoup moins facile à appréhender. « C’est peut-être valable pour les humains ça, mais pas pour les chats, c’est con un chat et ça n’apprend pas de ses erreurs. » Dis-je pour alléger l’atmosphère, sans pour autant être dupe. Le sujet des cicatrices ne s’arrête pas là et ce n’est pas un évoquant le cerveau des félins que je vais réussir à m’en tirer comme ça. Le pire, c’est que c’est de ma faute, j’en ai beaucoup trop dit et je me déteste de m’être laissée avoir aussi facilement. « Je pensais que vous en aviez parlé. » Après tout, ils sont censés être super proches, non ? Ca aurait logique qu’il aborde les bons et les mauvais souvenirs, surtout que ce n’est pas comme si cet accident avait eu lieu il y a douze ans. « Vous aimez un peu trop les secrets tous les deux. » Et moi, j’ai beaucoup trop de mal à tenir ma langue, on va dire que ça compense.
On tourne en rond et j’ai l’impression que je n’arriverais jamais à obtenir quoi que ce soit, le prénom des vaches est une chose, mais ça ne me met pas sur une piste, aussi minime soit-elle. Cependant, lorsque j’essaie de retracer un passé qui ne me semble pas dangereux parce qu’à ce moment-là, je pense sincèrement qu’essayer de connaitre son parcours ne risque pas de le mettre dans l’embarras, mais manifestement je me trompe et je reçois un joli rappel à l’ordre. « Ok, ça va, j’ai rien dit, je ne pouvais pas deviner que les vaches et le déménagement c’étaient des sujets tabous. » Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas chez ce mec. A partir du moment où on ne peut pas poser une question à quelqu’un sans craindre de s’embarquer sur une pente glissante, c’est qu’il y a vraiment un problème. En l’occurrence, je commence sérieusement à penser que je ne peux rien dire qui n’empiète sur une partie de sa vie privée qu’il n’a pas l’intention de partager avec moi. Ou alors, je m’y prends super mal. Je n’ai plus qu’à espérer que l’alcool pur soit plus efficace que le mojito que je lui ai servi précédemment. Je peux d’ailleurs me maudire d’avoir opté pour quelque chose d’aussi doux alors que manifestement Joseph n’en est pas à son coup d’essai en matière de soirée alcoolisé. Je n’ai plus qu’à croiser les doigts pour que ça l’incite à se livrer d’avantage parce que pour le moment, les seuls moments où il semble être à peu près à l’aise sont ceux où je me retrouve, malgré moi, au centre de l’attention. Le portrait qu’il dresse de moi est d’ailleurs relativement fidèle et je ne sais pas si je dois bien prendre le fait qu’il l’énonce comme si c’était une critique. « Pour l’association, tu t’es trompé, mais je fais la lecture dans le service pédiatrique de l’hôpital si jamais tu souhaites te joindre à moi, on manque toujours de bénévoles. » Par contre les chiens errants, désolée, ce n’est pas mon domaine, en vivant avec Alfie, j’ai tacitement accepté de devoir vivre un jour avec une animalerie à la maison, j’estime donc que j’en fais assez comme ça. « Tu te débrouilles bien, et t’inquiètes mon ego se porte bien, je te remercie. » Enfin, pour le moment, il a l’air d’avoir encore des tartines de comparaisons destinées à me faire passer pour la pire coincée à faire, mais bon, je crois que je peux vivre avec. « Mais ce n’est quand même pas très juste, tu as l’air de trop bien me connaitre et moi je n’ai rien le droit de savoir de toi. » La méthode discrète ayant échouée, je pense que je peux passer à la version directe, au pire, il me plante et va se coucher, au mieux, il consent à m’ouvrir une toute petite porte assez minime pour que j’ai la satisfaction de ne pas avoir la tête qui tourne pour rien.
Si ce sont réellement les secrets qui rapprochent les deux hommes, alors je suis sacrément dans la merde parce que ça signifie que je n’apprendrais vraiment rien ce soir. Si au bout de trois ans, je n’ai pas vraiment réussi à percer le mystère Alfie, alors ce n’est pas en faisant boire un mojito et un peu de vodka à Joseph que je parviendrais à en tirer quoi que ce soit. Certes, je n’ai pas passé trois ans à essayer de découvrir ce que me cachait mon copain pour la simple et bonne raison que j’ignorais totalement qu’il me cachait quelque chose jusqu’à l’attitude bizarre qu’il adopte depuis quelques semaines. Et encore, à certains moments, je me demande encore si ce n’est pas moi qui me fais des films et s’il n’est pas tout simplement submergé de travail et de projets à mener. Après tout, ce ne serait pas si étonnant que ça pour la pile électrique qu’il est depuis toujours – ou en tout cas depuis que je le connais – et peut-être que courir partout est un moyen pour lui de compenser l’absence de sa vie professionnelle atypique qui lui permettait de ne pas se poser plus de quelques mois au même endroit. Je pensais sincèrement que Joseph serait apte à m’apporter des réponses à ces questions, il était le mieux placé pour le savoir, mais plus la soirée avance et plus je me rends compte que celle qui en a trop dit, en l’occurrence, c’est moi et pas l’inverse. « C’est dommage. Parler, parfois, ça évite beaucoup de quiproquos ou de non-dits désagréables. » C’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité, je suis la première à la fermer lorsque j’entends quelque chose qui ne me plait pas pour ne pas provoquer un conflit ou pour ne pas prendre plus de place que je le devrais. En général, quand je me décide enfin à dire ce que j’ai sur le cœur, c’est que j’ai trop longtemps gardé les choses pour moi et il est souvent déjà trop tard. Je n’ai donc aucune leçon à donner à Joseph mais mon envie de le convaincre de s’ouvrir un pue plus est bien supérieure à ma capacité à reconnaitre mes propres erreurs et à ne pas la ramener sur le sujet.
Le pire, c’est que ça ne change rien du tout puisque même quand je suis un peu plus directe, protestant contre les nombreux tabous qui entourent son passé, son présent et sans doute également son futur, il ne perd pas la face, se contentant d’avouer que ses tabous à lui sont loin d’être ceux de tout le monde. Je me demande bien ce qu’il s’est passé dans sa courte vie pour que seuls les prénoms de ses vaches ne soient pas assez secrets pour qu’il puisse en parler. Il est agent secret ? Meurtrier ? Dealer ? Drogué ? Peut-être qu’il a volé l’identité d’un autre qu’il a tué et qu’il n’est pas vraiment Joseph ? Je pars un peu trop loin mais tout ce mystère commence sincèrement à m’intriguer et j’aimerais vraiment en savoir davantage. Je pourrais poser des dizaines de questions, mais je pense que j’obtiendrais dix fois la même réponse et c’est décourageant. Je me console en attrapant mon verre, prenant une grande gorgée que j’avale de travers et recrache à moitié alors que Joseph demande sur la conversation comment est la baise avec Alfie. Je m’étouffe. Je tousse. Le canapé a écopé de jolies taches de rhum comme mes vêtements et mes mains, d’ailleurs. « Je reviens. » Je prononce péniblement entre deux quintes de toux, les larmes aux yeux. J’attrape un verre sur le comptoir de la cuisine pour me servir de l’eau, essayant de ne pas mourir tout de suite, surtout que je ne pense pas assumer le « morte étouffée par un mojito » potentiellement gravé sur ma tombe. Lorsque je reviens au salon, j’ai repris mes esprits si on excepte la tête qui tourne un peu compte tenu de l’overdose de mojito que je suis en train d’infliger à mon pauvre petit corps peu habitué à une telle descente. « Préviens la prochaine fois, il faut me préparer psychologiquement avant de demander des trucs pareils. » En terme d’image de jeune fille prude, je pense que cette fois, je ne pourrais plus jamais le convaincre du contraire. « Est-ce que je dois m’inquiéter pour ton intérêt soudain pour ses performances ? » Non parce qu’il n’est pas libre, merci. Et si en plus ça pouvait m’éviter d’avoir à répondre à la question, ce serait formidable.
Passer de ma vie sexuelle au bénévolat dans le service pédiatrique de l’hôpital de Brisbane a quelque chose de légèrement dérangeant mais puisque la psychanalyse de Joseph est loin d’être complètement absurde, je me dois évidemment de l’en féliciter et même de lui proposer de m’accompagner lors de mes visites hebdomadaires. Le fait qu’il refuse ne m’étonne pas et est même un réel soulagement parce que je ne serais pas trop en confiance si je devais l’avoir à mes côtés. Après tout, rien ne me dit qu’il ne s’est pas retrouvé en prison pour viol d’enfant mais j’ose espérer qu’Alfie ne l’aurait pas accueilli chez nous si ça avait été le cas. Mes félicitations ont l’air de lui aller droit au cœur et malheureusement il les prend pour un encouragement à continuer, profitant du fait que je ne me montre pas susceptible pour creuser un peu plus loin, sans doute même un peu trop. Cette fois, je suis préparée et un peu moins déstabilisée par sa remarque qui parvient même à me faire sourire. « Je me brosse les dents, aussi, l’hygiène est primordiale. » J’ajoute avec beaucoup de sérieux comme si j’avais étudié le sujet à fond. « Alfie est quelqu’un de très tolérant, tu l’as dit toi-même. » Et je meurs de rire intérieurement imaginant tout à fait pouvoir vraiment faire ça un jour, probablement même pour me venger de la présence longue durée de son ami sous notre toit. Comme quoi, ma soirée avec Joseph n’aura pas été vaine, puisqu’elle me permet d’ajouter des idées de torture sur ma propre liste. C’est bien la seule chose qu’il m’apporte d’ailleurs puisque savoir à quel âge il a perdu sa première dent ne me parait pas essentiel à mon bonheur. Je tique légèrement sur l’histoire du joint et de la conduite sans permis, mais beaucoup d’adolescents sont cons et Alfie m’a dit lui-même qu’il avait eu une adolescence un peu compliquée donc j’imagine que fumer un joint de temps en temps en soirée est une bonne idée pour se rebeller contre l’autorité parentale. « C’est parce que t’as fumé des joints que tu t’es retrouvé en prison ? » Je n’aurais jamais posé cette question en temps normal mais puisqu’on vient de parler de mes habitudes de fellation, j’estime que j’ai le droit à mon tour d’aborder ses tabous en laissant tomber la langue de bois, pour une fois.