Mon passé. Il fait partie de moi. Il m’a transformé en une femme forte, mais il m’a aussi brisé. Sans mon grand frère Sid, je ne serais certainement pas là. Il m’a donné l’amour d’une mère et d’un père à la fois. Sans cela, je n’aurais jamais goûté à ce sentiment. Perdu dans mes pensées, je ressens une pression sur ma main. Je baisse mes yeux et découvre la main d’Abel qui enveloppe la mienne. Je le fixe de mes pupilles vides d’émotions. « Hey, ça va ? J’roule trop vite c’est ça ? » Je lui souris tendrement en lui faisant signe que non. Je ne regrette pas de lui avoir mentionné que sa fille est chanceuse de l’avoir comme père. Ce simple geste prouve que son cœur est au bon endroit. Cela fait quoi… moins de 7hrs qu’on se connaît? Et malgré que nous sommes de simple inconnu l’un pour l’autre –des inconnues qui se sont embrassés et qui se sont vus complètement nues, soit-dit en passant-, Abel reste un personnage authentique ayant la main sur le cœur. Je lui demande alors une photo de sa fille, pour me permettre de sortir de mes pensées émotives. « Bien sûr ! Regarde, j’en ai des milliers ! » Je ne peux m’empêcher de rire et de porter quelques commentaires pendant mon analyse des photos. Il semble heureux avec sa fille. Morgane est tellement mignonne, elle est belle à croquer. Le restant du trajet se poursuit dans les confidences.
Une fois arrivée à destination, Abel est à peine sorti de sa voiture qu’une petite fille s’élance vers lui en hurlant « PAPA! » Mon cœur manque un tour en assistant à cette retrouvaille. Je sors du véhicule subtilement en regardant ce beau moment. Mes souvenirs du passé viennent me happer une seconde fois. Je sens une boule d’émotion reprendre place dans ma gorge. J’ignore pourquoi je suis aussi sensible, mais ça me fait du bien de voir qu’il n’y a pas que des petites Caroline en manque d’amour. Qu’il y a aussi de mignonne petite Morgane débordante de vie et entouré d’affection. « T’as vingt minutes de retard ! » La voix cassée me sort de mon moment. Je porte mon attention sur la femme qui se tient non loin, les bras croisés. J’imagine que c’est Jess. Le simple fait qu’elle utilise un ton hautain envers Abel m’irrite au plus haut point. Je décide de m’adosser contre la voiture, restant à l’écart. Ils ont un échange inaudible pour mes oreilles, mais je suis convaincu que Jess fait la moral à son ex. Pendant ce temps, Morgane réussit tout de même à me tirer un sourire par son simple comportement. C’est alors que j’entends une phrase qui fait bouillir mon sang. « T’as pas pu t’empêcher d’en ramener une hein? » Je reste de marbre lorsque leurs regards se portent dans ma direction. Non mais elle se prend pour qui? Juger sans même connaître la réalité. Je reste calme, me disant que je ne vais pas perdre de l’énergie pour cette meuf. « Caro viens ! Je te présente Morgane. Chérie, c’est Caroline une collègue de travail de Papa. » Je me rapproche tout doucement en faisant un petit signe de la main. Je sens le regard brillant de Morgane se poser sur moi… Et je me sens scruté de la tête aux pieds par Jess. Si elle aurait des lasers à la place des yeux, je finissais en charpie. « T’es jolie, j’aime tes cheveux. » « Merci, les tiens sont très jolies aussi! »Dis-je tout simplement en replaçant une mèche rebelle derrière mon oreille. La petite demande à son père d’aller payer ses cours. C’est à ce moment qu’Abel me prend par la main pour me trimballer avec sa petite fille. Le rouge me monte aux joues, terriblement gêné d’avoir ce simple contact devant les yeux de son ex. Tout en marchant, je me rapproche un peu plus d’Abel pour lui chuchoter. « Je crois pas que me tenir la main était nécessaire, elle a déjà l’ai en furie. » Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule et reste surprise de voir Jess qui me regarde encore… Et encore. Je reporte mon attention devant moi, gloussant. « Je crois que tu viens de signer mon arrêt de mort. » Elle doit s’imaginer tout un tas de truc. Tant pis pour elle.
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- Je ne crois pas que me tenir la main était nécessaire, elle a déjà l’air en furie. Je ne comprends pas tout de suite le sens de ses paroles, et le temps que ça me monte au cerveau, Caroline me relance – Je crois que tu viens de signer mon arrêt de mort. Je décide alors de suivre son regard et je comprends qu’elle parle de Jess qui est furieuse. Je lève alors les yeux au ciel, lâche sa main et vient passer mon bras autour de ses épaules, la collant à moi d’un coup. – Mais non, elle m’en veut à moi parce que j’ai oublié de payer c’est tout, t’inquiète. Je ne pense pas que Jess soit jalouse, en tout cas ça ne m’effleure pas vraiment l’esprit. Elle et moi, c’était unique et on gardera toujours un peu d’amour l’un pour l’autre, mais nous ne sommes pas faits pour être ensembles, c’est tout. Et puis pour le coup, j’ai pas mal merdé quand même avec cette histoire de règlement car j’oublie à chaque fois. Peut-être que je me voile la face, peut-être que je n’ai pas envie de voir les choses de manière objective, peut-être que je préfère savoir Jess en colère contre moi car c’est rassurant en quelque part, je ne sais pas… Je n’ai pas envie de me poser de questions. Le divorce m’a fait suffisamment de mal pour que j’y revienne.
Après avoir réglé les cours, et anticipé sur la dizaine d’autres à venir, Morgane me fait un gros câlin en guide d’au-revoir et je la laisse s’éloigner avec sa mère, observant sa petite silhouette sautiller au loin. Posé contre le capot de ma voiture, les bras croisés sur mon torse, j’affiche un petit sourire au coin des lèvres en la regardant filer. Mon cœur se serre, comme toujours, mais dans deux jours je la revois alors je me concentre sur le positif : il n’était pas prévu que je la vois aujourd’hui et j’en ai eu la chance alors, je suis content. Je me tourne vers Caroline, assise à côté de moi, muette depuis un bon moment maintenant et je lui demande – J’espère que je ne t’ai pas trop soulée avec tout ça… J’étais obligé tu comprends ? Elle est belle ma Morgane hein ? Je suis particulièrement fier de ma fille, et en toute objectivité, je la trouve MAGNIFIQUE. En fait, c’est la plus belle de toutes les filles de cette planète, voilà. Je me penche vers elle, dépose un rapide bisous sur sa joue en disant – Merci de m’avoir accompagné. Parce que rien ne l’obligeait à le faire et que sa présence a su m’apaiser, ce qui a évité que je débarque en furie au centre. Je me redresse et m’étire alors en demandant – Bon miss, on fait quoi ? Je te ramène chez toi ? On va boire un verre ? C’est toi qui décide du programme maintenant ! Grand sourire, j’attends de voir ce qu’elle a en tête.
Suite à mon inquiétude vis-à-vis Jess qui ne semble pas aimer ma présence dans leur petite réunion de famille, Abel jette un regard vers elle pour ensuite passer son bras autour de mes épaules. Je me crispe légèrement, ne désirant en aucun cas attiser la colère de cette femme qui nous regarde s’éloigner. Je ne suis personne pour Abel, qu’une simple inconnu avec qui le courant passe. Je suis convaincu que nous pourrions devenir de bons amis, ça se ressent quand deux personnes sont sur la même longueur d’ondes. Bref, tant que cette fille ne se fait pas trop d’idée à mon sujet et que je ne termine pas sur sa black list, moi ça me va. « Mais non, elle m’en veut à moi parce que j’ai oublié de payer c’est tout, t’inquiète. » J’acquiesce à ses explications, quelque peu rassurée. Pendant qu’Abel règle les problèmes du court de Morgane, je fais la conversation à sa fille qui semble curieuse de ma présence. Je lui demande si elle aime son cours d’équitation, le nom de son cheval, si elle a des bottes de cowboy. Bref, un réel plaisir d’entendre sa petite voix cristalline répondre à ma séance de question. Elle est maline et très drôle dans son parlé. Sans pour autant connaître Abel, je remarque quelques similitudes sur leurs comportements. Je ne pus m’empêcher de rire lorsque Morgane imitait son père tandis qu’il avait le dos tourné. Une vraie petite boule d’énergie. Le moment de plaisir tire à sa fin. Nous retournons au stationnement principal. Abel et moi on prend place contre le capot de sa voiture lorsqu’il a embrassé sa fille pour la dernière fois avant de la laisser filer. Je ne peux m’empêcher d’avoir un sourire triste et le cœur gros en vivant cette séparation. Ce mec il est gravement fort pour rester debout malgré tout cet amalgame d’émotions. Je lui lève mon chapeau. « J’espère que je ne t’ai pas trop soulée avec tout ça… J’étais obligé tu comprends ? Elle est belle ma Morgane hein ? » « Non t’inquiète, ça m’a réellement fait plaisir de faire la connaissance de ta fille… Et oui, elle est ravissante. Très drôle aussi… » Dis-je avant de rire en la revoyant imiter Abel. Ce dernier se penche vers moi pour m’embrasser la joue. Je reste quelque peu surprise et rougit timidement. « Merci de m’avoir accompagné. » Je lui répond d’un sourire sincère en me redressant sur mes jambes. Abel s’étire de tout son long. « Bon miss, on fait quoi ? Je te ramène chez toi ? On va boire un verre ? C’est toi qui décide du programme maintenant ! » Je prends un air songeur, massant mon menton avec mes doigts. « Je crois qu’après une journée aussi déstabilisante que celle-ci, on se mérite tous les deux un bon verre de Gin Tonic! Su une terrasse au soleil, ce sera le comble! Après, je te laisse filer, promis. » Je lui dédie un clin d’œil avant d’entrer dans sa caisse. On choisit ensemble un bar non loin d’ici. Le trajet se fait encore une fois dans les confidences. Une fois arrivé à destination, on prend place à l’extérieur pour profiter des derniers rayons de soleil de la journée. Peu de temps après notre arrivé, un serveur est venu prendre notre commande. Je me laisse choir sur ma chaise, revoyant le rythme effréné de ma journée passer en boucle dans ma tête. Je croise les bras sur ma poitrine en regardant Abel. « Est-ce que tu te rends compte qu’en une seule et même journée, j’ai joué au mannequin, j’ai embrassé un inconnu, on s’est vue à poil, j’ai rencontré ta fille et là, on s’apprête à boire un verre ensemble… » J’éclate de rire en énumérant le tout. J’ai la larme à l’œil tellement je ris de bon cœur. « J’aurais jamais pensé que ma journée se déroulerait ainsi. » Le serveur revient avec nos verres, tout sourire. Je prends mon Gin Tonic et le soulève dans les airs. « On devrait boire à notre rencontre! »
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Dernière édition par Caroline Bauer le Ven 21 Juin - 8:27, édité 2 fois
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→ Caroline me fait largement sourire lorsqu’elle me répond, et je constate qu’elle ne lâche pas son envie de boire un verre avec moi, malgré les péripéties que je lui fais vivre aujourd’hui. Je lui fais un clin d’œil et conviens avec elle d’un endroit, au calme et en terrasse – même si je me suis pris un putain de coup de soleil sur le pif dans l’après-midi vu la tronche que je me tape et observe dans le rétroviseur. Je visse une casquette sur ma tête avant de la suivre en terrasse pour limiter les dégâts et je m’étale sur la chaise, exténué par la journée qui vient de se dérouler. Un red bull et ça repart. C’est comme ça que je fonctionne en général. Je ne prends pas le temps de me poser et de savourer l’instant, les moments de vide me font toujours un drôle d’effet, je suis mal à l’aise et je ressens toujours le besoin de remplir ma vie de futilités et autres. C’est une véritable plaie de vivre avec moi, il faudrait interroger Mouse et Curly, eux seuls savent et connaissent mon train de vie effréné et illogique au possible. J’ai peur du vide, du néant, de n’avoir rien à faire, rien à dire, rien à construire. Ça me terrifie absolument. Alors j’entasse, je cumule, je cherche les opportunités à saisir, je m’engage dans des projets sur du court ou moyen terme, je crée, je détruis, je recommence… Et je m’épuise, littéralement mais je ne sais pas faire autrement. De temps à autres, je m’arrête et bois un verre en charmante compagnie. Clope glissée entre les lèvres, j’observe ma compagne de la journée sans trop savoir quoi penser d’elle. Il faut dire qu’elle est un véritable mystère Caroline et alors que je la regarde curieusement derrière un filet continu de fumée, elle prend la parole – Est-ce que tu te rends compte qu’en une seule et même journée, j’ai joué au mannequin, j’ai embrassé un inconnu, on s’est vus à poils, j’ai rencontré ta fille et là, on s’apprête à boire un verre ensembles… Je n’aurais jamais pensé que ma journée se déroulerait ainsi. On devrait boire à notre rencontre ! Je dois avouer que pour une première rencontre, celle-ci a été totalement délirante. Même moi je ne sais plus vraiment où donner de la tête. Toutefois, je lève ma bière et vient la claquer contre son gin-tonic avec enthousiasme. – A notre rencontre ! Je lui tire la langue, boit un peu de ma bière avant de la reposer sur la table. Je frotte un peu la paume de ma main contre mon front, avant de reposer mes yeux cristallins sur ma charmante voisine. – Tu sais que pour moi tu viens presque de décrire une journée normale et basique ? Enfin, t’as pas l’air plus perturbée que ça en fin de compte… Je hausse deux fois les sourcils, amusé et lui demande presque sérieusement juste après – Tu pourrais totalement devenir mannequin tu sais, je suis sûr que les photos vont être énormes en plus. Tu risques d’être contactée dans les jours qui viennent. Puis, curieux d’en apprendre plus sur elle, je lui demande –T’es originaire d’ici ?
À mon résumé de journée, je me rends compte que je gère plutôt bien le stress. Comment? Je n’en ai aucune idée, mais j’ai passé à travers une journée hors de l’ordinaire. J’ai l’habitude d’être confronté à pleins de choses mystérieuses que la vie met sur mon chemin, alors je me dis qu’une journée comme celle-ci n’est pas au bout de mes peines. Je propose donc à Abel de trinquer à notre rencontre. Ce dernier lève sa bière pour venir cogner sa bouteille contre mon gin-tonic. « À notre rencontre ! » J’esquisse un sourire à mon partenaire avant de prendre une bonne gorgée rafraîchissante de mon alcool préféré. Je lèche mes lèvres pour goûter longuement un bon goût du gin et porte toute mon attention à mon nouvel ami. «Tu sais que pour moi tu viens presque de décrire une journée normale et basique ? Enfin, t’as pas l’air plus perturbée que ça en fin de compte…Tu pourrais totalement devenir mannequin tu sais, je suis sûr que les photos vont être énormes en plus. Tu risques d’être contactée dans les jours qui viennent. » Je le regarde avec stupeur, incertaine de ce qu’il avance. Moi, mannequin? J’ai adoré l’expérience, mais être constamment sous les projecteurs, le centre de l’attention, à moitié nue, dans un marécage… Ce n’est pas vraiment mon style. De plus, après avoir vue la réaction du styliste via ma cicatrice, j’ai encore moins envie de défiler. Je vais commencer par apprendre à aimer ma blessure avant de la partager aux autres. « Si c’est ça ta vie de tous les jours, je voudrais pas être dans ta peau… Et oui j’ai bien hâte de voir les photos… Peut-être qu’en me voyant je vais y prendre goût, mais après aujourd’hui, même si t’as été un collègue extraordinaire, je passerais mon tour si on m’offrirais un contrat. » Dis-je en buvant une seconde gorgée de mon gin-tonic. « T’es originaire d’ici ? » Je fais signe que non doucement, déposant mon verre sur la table. C’est drôle, j’ai le sentiment que je pourrais parler de tout avec Abel. C’est comme-ci on se connait depuis des années. « Non, ça doit faire bientôt 3 ans que je suis installé à Brisbane, dans une petite maison à Toowong. Je suis native de Melbourne. J’ai passé mon enfance là-bas avec ma famille. Mon frère s’est installé ici suite au décès de notre mère... Ça fait déjà un bail qu’il est un citoyen de Brisbane. Je m’ennuyais de sa tronche alors, j’ai décidé de venir le rejoindre! » Je termine mon explication avec un large sourire. Je suis sincèrement contente d’avoir fait les recherches et d’avoir harcelé mon cousin Archie pour connaître l’adresse de mon frère. Sans cela, nous serions encore loin l’un de l’autre, qui sait? « Et toi… Laisse moi deviner! » Je m’accoude sur la table, prenant mon visage angélique dans mes mains, puis avec mon air songeur, j’élabore une histoire. « T’as grandi à Chicago avec ta famille… T’as un frère plus vieux et une sœur plus jeune. À ton adolescence, t’as décidé de partir à l’aventure et t’as atterri ici à Brisbane. C’est là que t’es entré dans le monde de la photo et que t’as rencontré Jess… Vous vous êtes aimé, vous avez eu votre belle Morgane, mais finalement… » Je laisse ma phrase en suspens, me disant qu’il est préférable qu’il termine ma phrase, car si je dis une connerie, je ne voudrais pas le blesser avec mon jeu enfantin.
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→ - Si c’est ça ta vie de tous les jours, je ne voudrais pas être dans ta peau… Et oui j’ai bien hâte de voir les photos… Peut-être qu’en me voyant je vais y prendre goût mais après aujourd’hui, même si t’as été un collègue extraordinaire, je passerais mon tour si on m’offrait un contrat. Je souris tout en trouvant cela dommage qu’elle gâche une opportunité qui pourrait lui rapporter beaucoup d’argent. Mais je la comprends aussi, car ce n’est pas un métier facile. Notre corps et notre image ne nous appartiennent plus à partir du moment où les professionnels qui nous entourent décident ce qu’ils vont en faire. C’est vendre une partie de soi, en quelque sorte, et bien que cela ne me dérange pas car je m’y suis habitué, je comprends que l’idée ne soit pas acceptable pour tout le monde. Être sous les feux de la rampe, c’est accepter de concéder un peu de soi. Ça m’a paru être un bon tremplin à mes dix-sept ans et ça l’a été pour bien des choses, alors je ne m’en plains pas. Dix ans que je vis ainsi et que j’arrive malgré tout à me sentir libre, peut-être même plus libre que beaucoup de personnes de mon âge. – Tu seras magnifique, j’en suis sûr. Je lui dis en souriant, et c’est véritablement ce que je pense. L’agence va me devoir une fière chandelle pour avoir réussi à embaucher sur le tard la demoiselle ravissante que j’ai en face de moi. Je leur ai sauvé la mise cette fois-ci, et j’espère qu’elle recevra un gros chèque pour sa prestation. Peut-être que ça la convaincra de recommencer, qui sait ?
Je la questionne un peu, désireux d’en apprendre plus sur la femme qui vient de partager ma journée entière et à qui j’ai confié tout un pan de ma vie. Je continue de fumer en l’observant tandis qu’elle se prête au jeu des confessions sans réticences. Toutes ne réagissent pas aussi facilement lorsqu’il s’agit de parler de soi. Anderson hante mes pensées et un fin sourire élargit mes lèvres que je viens frotter avec la pulpe de mon pouce doucement. Je me concentre sur ma vis-à-vis et l’écoute - Non, ça doit faire bientôt trois ans que je suis installée à Brisbane, dans une petite maison à Toowong. Je suis native de Melbourne. J’ai passé mon enfance là-bas avec ma famille. Mon frère s’est installé ici suite au décès de notre mère… ça fait déjà un bail qu’il est citoyen de Brisbane. Je m’ennuyais de sa tronche alors, j’ai décidé de venir le rejoindre ! Toutes ces annonces me font passer par tout un tas d’émotions variées. J’ignore absolument tout de Melbourne et il faut avouer qu’en trois ans, je n’ai pas pensé une seule seconde à parcourir l’Australie – je devrais peut-être d’ailleurs. Je me suis implanté ici, à Brisbane et j’y fais mon nid, occultant le reste du monde, même si mes pensées voltigent bien souvent vers Londres. Puis, j’apprends qu’elle a un frère, qui vit ici à Brisbane. Aussitôt elle attire ma curiosité. J’ai un pincement au cœur lorsqu’elle me confie que sa mère est décédée, mais sa façon d’en parler me laisse à penser qu’elle a fait son deuil depuis un moment alors je ne vais pas insister sur ce sujet douloureux. Faut dire que je ne suis pas très doué pour gérer la tristesse en général. – Il fait quoi ton frère ici ? Il est plus âgé que toi ou c’est toi la plus vieille ? Je tire la langue, amusé. Puis elle se lance dans une devinette et je la laisse faire, trouvant le concept plutôt rafraîchissant et inédit.
Je ne sais pas du tout ce qui l’a laissé croire que je pouvais être américain, mais j’éclate d’un rire franc alors qu’elle m’invente une vie totalement abracadabrante. J’en pleure presque de rire à la fin de sa tirade et je m’essuie les yeux du dos de la main. – Oh bordel, t’es partie loiiiin ! Tu trouves que j’ai l’air d’un américain avec mon accent et ma tronche ? Tsss. Je secoue la tête, rallume une clope et souffle la fumée au loin avant de me confier à mon tour. – J’viens de Londres en fait. Et j’ai débarqué ici il y a trois ans parce que Jess a voulu se rapprocher de sa famille pour Morgane. Elle est originaire d’ici, on s’est connu sur des photos shoots, elle est mannequin internationale. Sans le vouloir, je remarque que j’ai de l’admiration pour elle. J’en aurai très certainement toujours, après tout je me suis marié avec elle. C’est pas rien ça quand même ! – J’voulais pas que ma fille grandisse sans son père alors j’ai suivi. Du coup je me suis installé à Spring Hill et j’me suis inscrit à la FAC de droits dans l’idée de devenir avocat un jour. Je suis un mec avec un plan, oui. Je n’en ai pas l’air comme ça, mais c’est pourtant le cas. Même si je suis le roi du bordel et de l’imprévu, j’ai un but précis et je suis déterminé à y arriver. – Comme ça, j’pourrais demander la garde alternée, mais ça… Jess ne le sait pas encore. Je me stabilise juste pour le moment et j’essaie de voir Morgane le plus souvent possible. Je l’ai un weekend par mois rien qu’avec moi, c’est génial même si elle me rend fou. Tiens, par exemple, l’autre jour on passe devant le magasin de bonbons. Elle n’a plus voulu avancer si je ne lui offrais pas ses bonbons roses préférés, bref… J’ai cédé, elle s’est du coup gavée de ces trucs dégueu. Moi aussi d’ailleurs, parce que c’est pas si dégueu que ça en vérité. Et puis, elle a passé sa soirée à geindre et à pleurnicher car elle avait mal au ventre, tout ça jusqu’à ce qu’elle me vomisse dessus, que je sois recouvert d’une épaisse couche gluante rosâtre de la tête au pied. Après, elle pétait la forme et elle m’a obligé à chanter tout le répertoire de la reine des neiges, vaïana, raiponce et toutes les princesses nunuches insupportables… Quand elle s’est endormie, je te jure que j’étais mort, vraiment. Et malgré le fait que j’ai l’air de me plaindre excessivement de ma gosse capricieuse, j’ai un énorme sourire sur les lèvres qui signifie bien que j’ai adoré cette soirée et que son souvenir m’est réellement précieux.
« Il fait quoi ton frère ici ? Il est plus âgé que toi ou c’est toi la plus vieille? » « Mon frère est tatoueur et c’est lui le plus vieux. Le grand frère protecteur, tu vois le genre… » Je roule des yeux en prenant une gorgé de mon Gin Tonic. Je fais bien des accroires avec le fait que son côté protecteur est chiant, mais à vrai dire, j’en attends pas moins d’un grand frère aimant. Par la suite, je m’embarque dans l’histoire sans queue ni tête que je m’imagine à propos de la vie personnelle d’Abel. Il se marre, riant de bon cœur jusqu’aux larmes en écoutant le récit que je débite avec rigueur. « Oh bordel, t’es partie loiiiin ! Tu trouves que j’ai l’air d’un américain avec mon accent et ma tronche ? Tsss. » Je rie à mon tour, voyant bien que mon exagération dans mes propos le fait rire. Ensuite, il me dédale son roman. Je reste pendu à ses lèvres, trouvant sa vie plutôt chamboulée. D’avoir été un Londonien, de déménager à Brisbane pour sa fille, d’étudier pour devenir avocat –whut?- et de tout faire pour être stable et avoir la garde partagée pour sa fille. Mon cœur est dans tous ses états. De voir un père prêt à absolument tout pour avoir plus de temps avec sa petite fille chérie. Morgane est encore jeune et inconsciente de tout l’amour qu’éprouve Abel pour elle… Mais en vieillissant, elle finira par lui être reconnaissante d’avoir été un homme aussi acharné et dévoué.
Je ne peux m’empêcher de rire aux éclats lorsqu’il entame son récit avec les bonbons roses de Morgane. Il est heureux et il sait que malgré tout, il est chanceux de pouvoir vivre de tel moment précieux avec sa fille. Tranquillement, je me remets de ce tourbillon d’émotions. Je continue de siroter les dernières gorgées de mon alcool, regardant le fond de mon verre avec les yeux vides, recherchant intérieurement un souvenir auquel je pourrais me rattacher avec mon vieux père. «Tu sais… Je dois me répéter, mais ta fille a vachement de la chance d’avoir un père aussi attentionné que toi. Je suis certaine que tu vas réussir à avoir la garde alterné. Il y a des pères qui ne devraient pas avoir d’enfant, mais toi avec tout l’amour et les sacrifices que tu fais… Tu le mérites à coup sûre. » Je lui esquisse un sourire sincère, mais teinté de tristesse. J’ignore pourquoi, mais l’envie de me confier me submerge. Est-ce que c’est la fatigue mêlée au Gin qui m’incite à apaiser mon cœur déchiré? Je n’en sais trop rien, mais je décide tout de même de partager une parcelle de ma vie avec cet homme que j’admire de plus en plus. « Je n’ai pas eu la chance de Morgane. Je veux dire, d’avoir un père aimant comme tu l’es. Je n’ai pas non plus connu une mère très… Présente. Aussitôt qu’elle avait la chance de se piquer et de s’injecter des saloperies de merde pour oublier son rôle de mère, elle le faisait. C’est moi qui l’aie découvert morte dans la salle de bain à l’étage. Morte d’une overdose. Mon frère à paniquer et a décidé de m’abandonner. Aujourd’hui je lui ai pardonné, mais il m’a tout de même laissé avec un père qui passe la majeure partie de son temps sur la route et ce n’est pas parce qu’il avait une famille en deuil qu’il allait se priver de faire de la moto… Ça non. » Je prends une petite pause, buvant ma dernière gorgée avec ce pincement au cœur, cette rage non intentionnée. « Désolé, je sais pas du tout ou j’allais avec cette histoire… » Je me met à rire nerveusement, un peu gênée finalement d’avoir déballer tout mon mal de vivre. « Je crois que la journée, la fatigue et l’alcool me rende quelque peu faible émotionnellement. Sans compter que j’ai l’impression de parler à un ami de longue date. » Je lui sourit en replaçant timidement une mèche derrière mon oreille. Je suis soudainement prise d’une boule d’émotion coincé dans la gorge. Je n’ai qu’une seule envie, m’enfermer chez moi et rester seule. J’ai rarement, voir jamais, fait mention à haute voix de mon passé, mise à part avec mon frère Sid. Même avec lui, ce sujet de discussion est tabou. «Je crois que je vais rentrer je… Je suis exténuée de ma journée. Est-ce qu’on s’est échangé nos numéros? » L’interrogation s’imprègne sur mon visage. J’ai envie de revoir ce mec et j’espère sincèrement que c’est réciproque.
I probably shouldn't be around you 'Cause you get wild, wild, wild You looking like there's nothing that you won't do
→ - Mon frère est tatoueur et c’est lui le plus vieux. Le grand frère protecteur tu vois le genre… Eh bien pas vraiment en fait. La seule chose que j’ai retenu et sur laquelle je viens de faire un blocage c’est le mot ‘tatoueur’. Je demande alors, enthousiaste – Sérieux ? Il est tatoueur ? Il bosse dans un salon ici à Brisbane ? Mon intérêt n’est pas du tout feint. Faut dire qu’avec tous les tatouages que j’ai, je suis forcément à la recherche d’un bon tatoueur. J’en ai rencontré quelques-uns dernièrement mais je n’ai pas eu le coup de cœur. Je suis encore et toujours en quête du tatoueur dont les œuvres me feront rêver et auquel je pourrais confier mon corps sans sourciller. L’abandon et le lâcher prise, je connais mais il faut instaurer un minimum de confiance avant malgré tout. Je me lance ensuite dans un récit brouillon de ma vie à Brisbane en tant que père célibataire et je vois bien que ça la touche tout ce que je lui raconte. L’anecdote sur Morgane la fait sourire et je m’humidifie les lèvres après mon bavardage intensif. J’ai soif maintenant, alors je me saisis de ma bière et en bois une longue rasade pour me rafraîchir. – Tu sais… Je dois me répéter, mais ta fille a vachement de la chance d’avoir un père aussi attentionné que toi. Je suis certaine que tu vas réussir à avoir la garde alternée. Il y a des pères qui ne devraient pas avoir d’enfant, mais toi avec tout l’amour et les sacrifices que tu fais… Tu le mérites à coup sûr. Ça me touche. Ce qu’elle me dit m’émeut et je baisse la tête vers mes converses un instant en me mordillant l’intérieur des joues. L’amour et les sacrifices. Peut-être que l’amour c’est ça en fait : un sacrifice. C’est s’oublier pour l’autre, abandonner un peu de soi pour accueillir l’autre à l’intérieur. Je le comprends maintenant avec Morgane, j’ai été incapable de le comprendre avec Jessian. Et elle est partie maintenant, inaccessible, loin… Je me racle légèrement la gorge pour reprendre contenance et ne pas laisser mes pensées tergiverser trop longtemps. – Je n’ai pas eu la chance de Morgane… Commence Caroline avant de se lancer dans des confessions douloureuses que j’écoute avec attention. C’est une grande tristesse qui s’empare de moi en comprenant que la vie qu’elle a eu jusqu’à présent a été difficile pour elle. En plus de sa mère droguée qui a fini par mourir d’une overdose, elle s’est faite abandonnée par son frère et par son père, se retrouvant seule et isolée… Pauvre petit oisillon égaré et mis de côté. Je suis triste pour elle, profondément. On ne dirait pas quand on la voit comme ça qu’elle a autant souffert. Sa force, c’est son sourire et sa beauté, son air détaché et son envie de s’amuser qui ne permet pas de nous attarder sur ses grands yeux tristes. Même moi je ne les ai pas vus jusqu’à présent. Mais désormais je les vois ses yeux, je vois leur immense tristesse et mon cœur se serre lorsqu’elle s’excuse d’être aussi émotive. – Désolé, je ne sais pas du tout où j’allais avec cette histoire. Je crois que la journée, la fatigue et l’alcool me rendent quelque peu faible émotionnellement. Sans compte que j’ai l’impression de parler à un ami de longue date. Je lève les yeux au ciel et attrape sa main qui traine sur la table. Les yeux dans les yeux, je lui confie avec douceur – Parfois, ça fait juste du bien de parler et je suis touché que tu me confies tout ça, vraiment. Si t’as besoin de quoi que ce soit, tu peux m’appeler. Même si tu veux juste parler... Je suis pas méga doué mais je sais écouter quand même. J’hausse les épaules. J’suis pas doué pour réconforter les gens, pas doué pour la tristesse mais j’essaie tout de même d’aider et de leur changer les idées. – Je crois que je vais rentrer je… Je suis exténuée de ma journée. Est-ce qu’on s’est échangé nos numéros ? Je secoue la tête et sors mon téléphone sur la table rapidement. – Attends, j’vais pisser, j’reviens. Rentre ton numéro. La bonne vieille excuse pour aller payer tranquillement sans qu’elle ne se mette à hurler au scandale car ‘on est au 21ème siècle, c’est 50/50’. Je vais donc au comptoir et je paie rapidement avant de revenir vers Caroline. – Alors tu t’es enregistré à quoi ? Mannequin d’un jour ? Meuf de tes rêves ? Bombe atomique ? Pécho-moi si tu peux ? Mon humour d’idiot est sans-limite quand je m’y mets. Je souris comme un abruti, range mon téléphone et lui propose de la raccompagner jusqu’à chez elle.
« Sérieux ? Il est tatoueur ? Il bosse dans un salon ici à Brisbane ? »Je souri face à son intérêt, je vois bien qu’il adore mettre de l’encre sur son corps. D’ailleurs, il a vraiment beaucoup de tatouage, il doit avoir pris de la valeur en tant qu’humain – phrase que mon père absent adorait relater à mon frère lorsqu’il le revoyait depuis un certain temps apparaître avec un nouveau tatouage. Je me demande si sans tout cet art, Abel aurait autant de gueule. Je veux dire, avec tous ses dessins sur sa peau, il dégage un look très intéressant à l’œil. Cela le démarque des autres. Bien qu’aujourd’hui, les gens acceptent de plus en plus les gens tatoués, il est rare de voir des personnes aussi tatoué qu’Abel – mise à part mon frère Sid -. « Il s’appelle Sid, il est le propriétaire de la boutique Wild Ink pas trop loin d’ici! » Je recherche une carte d’affaire à travers mon portefeuille pour lui laisser les informations de mon frère – tu me remercieras plus tard Sid! -. Je lui tends la carte et ensuite, on s’élance dans les épouvantes de mon passé. De m’ouvrir ainsi me fait un bien fou. Même si je me sens toute drôle, j’ai l’impression d’avoir retiré du poids de mes épaules. La main chaude d’Abel s’empare de la mienne. Timidement, je me mords les joues de l’intérieur sous ses mots apaisants. « Parfois, ça fait juste du bien de parler et je suis touché que tu me confies tout ça, vraiment. Si t’as besoin de quoi que ce soit, tu peux m’appeler. Même si tu veux juste parler... Je suis pas méga doué mais je sais écouter quand même. » Je suis à mon tour touché par son commentaire. J’acquiesce pour confirmer que je ne me gênerai pas de le contacter en cas de besoin. Je ressens l’envie de tisser une relation amicale et durable avec ce mec. J’ignore si c’est réciproque, mais après avoir partagé tant de chose en l’espace de moins de 12 heures, c’est éprouvant mais ô combien déterminant. « Attends, j’vais pisser, j’reviens. Rentre ton numéro. » Il laisse son cellulaire sur la table avant de se diriger vers l’intérieur du pub. Je navigue dans ses contacts pour rajouter mon nom sous forme de « Caro au veston », me trouvant très drôle de faire allusion à ce putain de veston qu’il m’avait juré que je devrais retirer tôt ou tard. Je prends quelques photos de moi en faisant quelques poses qu’il m’a enseigné durant le shooting. Je ne peux m’empêcher de rire seule, me trouvant stupide d’agir comme une enfant. Je m’envoie un texto pour le rentrer ensuite dans mes contacts, puis je lui redonne son cellulaire lorsqu’il revient vers moi. Éclatant de rire lorsqu’il m’interroge sur la façon dont je me suis inscrite dans ses contacts. Je vois qu’on a les deux le cœur jeune pour penser à ce genre de conneries. Abel se propose à me raccompagner, mais je maintiens le fait que je préfère être seule pour le trajet du retour. Je m’approche de lui pour l’enlacer très fort et je dépose un léger baiser sur sa joue. « Merci… » Dis-je tout simplement avant de m’éloigner. Lorsque j’arrive pour payer nos verres, on m’avise que la facture a déjà été payée. Je me retourne vers Abel au loin et lui tire la langue. Tout en quittant les lieux, je prends mon cellulaire pour lui envoyer un message. La prochaine fois, c’est moi qui paye! ;)