Ethan et toi vous n’auriez jamais dû connaître ce froid entre vous. Mais toute cette histoire d’armée avait été lourde pour toi. Tu savais que toute la famille d’Ethan était passée par une armée ou une autre, c’était dans leurs gènes, ce n’était pas dans les tiens ça c’était sûr et certain. Alors peut-être qu’Ethan avait aussi du mal à voir les choses de ton côté, tu n’en savais rien. Ce que tu savais c’était qu’Emily s’était engagée. Peut-être qu’elle l’aurait fait sans Ethan, Emily était une force de la nature, elle n’en faisait toujours qu’à sa tête et elle n’aurait jamais été heureuse derrière un bureau mais quand tu la voyais aujourd’hui tu te demandais ce qui pourrait un jour la rendre heureuse. Mais ce n’était plus l’engagement d’Emily que tu reprochais à Ethan, cela aurait pu arriver sans le jeune homme. Emily n’aurait peut-être pas choisi les SEALs mais elle aurait choisi quelque chose d’autre qui l’aurait mise en danger. Non, tu en voulais à Ethan de se reconstruire petit à petit. Jamais tu ne te permettrais de dire que cela était facile pour lui, tu ne voyais que ce qu’il montrait quand il te croisait et tu ne pouvais pas croire que cela avait été simple pour lui, tu n’étais pas un idiot. Mais il s’en sortait malgré tout. Peut-être pas autant qu’il l’aimerait mais il s’en sortait et ça c’était plus que ce que tu pouvais dire pour Emily … « Je vais faire ce que je peux, d'accord ? Mais Emily s'est engagée toute seule, comme une grande. Et ça ne sert à rien de se demander si elle l'aurait quand même fait si jamais je ne m'étais pas engagé dans cette branche, qu'est-ce que ça changerait ? Tu peux me le dire ? Le mieux que l'on puisse faire est de s'entendre et de faire équipe pour l'aider. » Tu savais que c’était injuste de le blâmer pour le fait de mieux s’en sortir qu’Emily mais tu ne pouvais t’en empêcher parce que tu trouvais ça injuste. Parce que tu avais passé ces dernières années à essayer de sortir ta sœur de cette dépression, de cet état de survie dans lequel elle s’était installée. C’était ton propre échec que tu avais du mal à accepter mais Ethan n’avait pas compris pourquoi tu lui en voulais, tu lui en voulais d’aller bien, d’aller à peu près bien au moins. « Cela fait longtemps que je me suis fait à l’idée de l’engagement d’Emily. Elle serait partie dans quelque chose de dangereux dans tous les cas mais ce n’est pas pour cela que cela que je t’en veux. Je t’en veux d’avoir réussi à te reconstruire parce que malgré tout c’est un peu ce que tu as fait, doucement certes mais tu arrives à vivre. Emily survit à peine un jour après l’autre, c’est juste … » Oui, tu en avais marre de la voir se détruire. « On peut faire équipe mais concrètement je n’ai plus rien à te proposer. » Tu avais passé les quatre dernières années à tout essayer, tu ne savais réellement plus quoi faire.

La discussion se détendit ensuite, c’était toujours plus facile de parler de ta fille, même de ta vie amoureuse désastreuse en fait. Cela ne te dérangeait pas réellement d’en parler, tu n’avais rien à cacher, du moins en parlant tu faisais croire que tu n’avais rien à cacher et les gens ne posaient pas plus de questions bien souvent. « Un de perdu, dis de retrouvés... et puis ça te tombera dessus au moment où tu t'y attendra le moins, certainement. C'est souvent comme ça d'après ce que j'ai entendu. » Tu l’avais tellement entendu dire … Tu ne croyais pas à toutes ces histoires d’âmes sœurs et tout ça, tu pensais seulement que l’amour existe, il peut se trouver chez différente personne mais construire une relation c’était bien plus que de l’amour et ça les gens l’oublient souvent à tes yeux. « Il paraît en effet, je ne m’inquiète pas trop. » C’était vrai, tes yeux se posaient toujours sur Noah un peu plus longtemps que prévu mis ça personne ne le remarquait n’est-ce pas ? Tu ne savais pas encore s’il serait le bon comme le disait Ethan mais pourquoi ne pas essayer ? Tu lui retournais ensuite la question. « Elle n'était déjà pas brillante avant de partir... Il m'a fallu un moment pour être à peu près sociable il y a quatre ans puis je me suis beaucoup investi dans la police, mais j'aimerais bien que ça change. Lâcher un peu de leste pour retrouver une vie sociale digne de ce nom. » Tu hochais la tête dans un premier temps, Ethan avait mérité cette vie, tu espérais qu’il trouverait ce qu’il cherchait, vraiment. Il avait réussi à se reconstruire dans la police, c’était simplement un pas de plus à faire. Toujours facile à dire bien sûr … « Je savais que je ne serais pas SEAL toute ma vie, de toute façon. Être en mission et s'inquiéter pour ses proches restés en Australie, ç'aurait été difficile. Tu t'imagines quitter ta fille et lui dire que papa va sauver des gens à l'autre bout de la planète ? J'aurais trouvé ça trop cruel. Ta vision du monde a du changer depuis que tu as Léa, non ? » A vraie dire tu n’avais jamais envisagé l’armée comme une possible carrière, cela ne t’avait jamais intéressé le moins du monde et vu le nombre d’homophobes que tu connaissais qui s’étaient engagés tu préférais rester les pieds à Brisbane. Mais tu ne pourrais pas quitter Lea, pas comme ça, tu ne savais pas comment les gens pouvaient le faire. « J’espère que tu arriveras à trouver cette vie personnelle que tu recherches. La vie professionnelle c’est assez mais simplement un temps. Je n’ai jamais envisagé partir dans l’armée alors en fait je ne m’étais jamais posé la question mais je ne pourrais pas quitter Lea plus de quelques semaines c’est sûr. Ma vision du monde n’a pas réellement changée, c’est ma vie qui a changée. Lea s’est mise à passer avant tout le reste, avant chaque rendez-vous, avant chaque regroupement entre amis, avant tout en fait. Mais je ne le regrette pas, elle est parfaite. » Oui, ça tu le pensais réellement.

« On peut faire équipe mais concrètement je n’ai plus rien à te proposer. » Je hoche simplement la tête. Je n'ai nul besoin d'argumenter plus longtemps puisque la balle est dans le camp d'Emily : si elle accepte de partir dans le bush avec moi, ça nous montrera qu'elle reste déterminée. Ou qu'elle est si résignée qu'elle se laisse embarquer dans mon aventure... c'est aussi une possibilité. Il faut déjà que je contacte la tribu concernée, que je prépare la logistique de ce séjour, tout les détails. Le plus délicat reste de convaincre la jeune femme. Nous ne sommes plus aussi proches qu'il y a cinq ans donc je ne peux pas vraiment me permettre de l'emmener de force. Avant elle l'aurait pris à la rigolade, maintenant je ne suis pas sure qu'elle apprécie beaucoup.

Se retrouver débordé dans son boulot voire piégé dans un rythme effréné, Henry doit connaître ça. Il est gynécologue depuis quelques années. Ce métier n'est pas connu pour être « bidon ». Je vois de la fierté et de la tendresse dans le regard du jeune papa lorsqu'il parle de Léa et dit même qu'elle est parfaite. Chaque enfant est un cadeau. Parfois je me demande si dieu n'est pas découragé de faire naître des enfants dans un monde comme le notre. Et comment ces enfants ne sont pas, à leur tour, découragés... mais j'oublie que je ne suis pas un fervent croyant. Le bénédicité avant de manger, nous le faisons. Maman va à l'église tout les Dimanche. Cependant je ne suis pas le digne enfant de mes parents en ce qui concerne la religion. J'ai fait de la catéchèse lorsque j'étais petit, j'ai fait tout ce qu'on m'a demandé. Assez bêtement je trouve, puisque je me considérais plus comme un mouton que comme un réel croyant. Je voulais faire plaisir à mes parents, c'est tout. Depuis mon retour d'Afghanistan je ne cesse de maudire ce « dieu » dont tout le monde parle. Au fond, un prêtre pourrait dire que je crois en Dieu puisque je le maudis. Un vrai laïc s'en ficherait complètement. « J’espère que tu arriveras à trouver cette vie personnelle que tu recherches. La vie professionnelle c’est assez mais simplement un temps. Je n’ai jamais envisagé partir dans l’armée alors en fait je ne m’étais jamais posé la question mais je ne pourrais pas quitter Lea plus de quelques semaines c’est sûr. Ma vision du monde n’a pas réellement changée, c’est ma vie qui a changée. Lea s’est mise à passer avant tout le reste, avant chaque rendez-vous, avant chaque regroupement entre amis, avant tout en fait. Mais je ne le regrette pas, elle est parfaite. » Travailler d'arrache-pied est, comme il le dit si bien, une bonne solution quand c'est temporaire. En revanche on peut vite péter un plomb une fois qu'on se rend compte qu'on a perdu nos amis et notre famille à force de faire l'ermite. J'affiche un sourire béat en m'imaginant, à mon tour, avec une petite fille dans les bras. Être père, ça doit être la plus belle aventure qui soit. Semée d’embûches, certes, mais si belle... J'ai toujours voulu avoir une famille un jour. Et à vingt-sept ans je me retrouve célibataire, sans enfants mais avec une excellente situation. Rien n'est perdu, au contraire. Toutefois il m'arrive de perdre l'espoir de trouver un jour la bonne personne. « J'espère vivre ça un jour. Et puis maintenant que j'ai eu ma promotion, je peux lever le pied. » Lever le pied, ça c'est une expression que je n'applique pas de la même façon que les autres... certains de mes collègues se moquent de moi quand je leur dis que j'ai passé un week-end tranquille – selon ma définition du mot – et que je leur raconte ce que j'ai fait. « Allez, à la notre alors ! » dis-je en levant ma bière vers lui puis en buvant quelques gorgées supplémentaires. La soirée se poursuit sans querelles et, après un bon film et deux pizzas sorties, je retourne m'affaler dans mon lit telle une loque. Demain il faudra que je parle à Emily de ce séjour... et espérons que ça lui plaise.