Cette amitié est étrange dans le fait que les deux jeunes femmes n’ont rien en commun. Sur le papier, elles sont la nuit et le jour. Romy est le rayon de soleil, le sourire éclatant à travers les nuages, la petite brise que vous appréciez en période de forte chaleur. Elle est apaisante, elle est calme, elle est mature aussi. (Enfin, encore une fois, sauf dans un magasin. Là, c’est une gamine qui regarde tout avec des yeux d’enfant qui veut absolument tout et qui devient ingérable.) Alors que Freya est tout le contraire. Elle est la tempête, elle est la pluie constante, parfois même l’orage. Elle est imprévisible, elle est ingérable, elle est irresponsable. La seule chose qui les lie, c’est cette main tendue quand elles avaient treize ans. Une main tendue, à cet âge, c’était beaucoup. Surtout quand tout le monde vous tourne le dos, vous traite comme une paria. Alors que Romy fut la seule, à ce moment-là, à se tourner vers elle et lui donner un semblant de soutien dans ce monde impitoyable qu’est celui des adolescents. Est-ce que c’est la reconnaissance qui finit toujours par coller Freya aux pompes de Romy ? Non, la suédoise apprécie réellement la compagnie calme et douce de son amie. Celle qui a été là aussi pendant les moments difficiles, jusqu’à la fameuse overdose dont personne ne doit parler sous peine de voir Freya rentrer dans une colère noire et se braquer totalement.

Romy est un pilier solide, une béquille en béton de sa vie, une constante sur laquelle elle se raccroche et s’appuie quand elle le peut. Enfin, surtout quand Romy vient la trainer et la chercher personnellement pour ne pas la laisser dans son coin. Parce qu’elle la connait, très bien même, aussi bien que son aîné, et elle sait comment la gérer, comme lui parler. Et puis, avec le travail qu’elle effectue, ce n’est pas surprenant qu’Ashby soit aussi douée pour contrôler les cas les plus critiques. Il faut dire qu’avec elle et Terrence à l’époque, la pauvre Romy avait eu de quoi forger ses armes.
« Et tu peux compter sur moi pour venir me coller à toi et te refourguer ton quota de guimauve pour l'année. » Freya grimace avant de rigoler légèrement. « Parce que c’est toi, j’te promets de pas te balancer hors du lit. » Pas qu’elles n’ont jamais passé des heures de sommeil ensemble de toute façon. Mais Romy n’est jamais en reste, même dans son subconscient, elle reste adorable et prévoyante. « Tu sais que tu viens d'entrer en contradiction avec des milliards d'individus, hein ? Je t'adore mais évite de dire ce genre de choses en public. Je suis pas d'attaque à te sauver avec mes petits bras. » Et là, Freya ne peut s’empêcher d’éclater de rire avant de hausser les épaules. « Promis, je rentrerai pas dans le débat. J’m’en contrefous totalement, de toute façon. Mais ne sous estime pas tes petits bras, Romychou. Ils peuvent être petits mais costauds ! »

Les chats sont l’avenir du monde et ça, Freya en est persuadée. Dans son esprit tordu, elle a bien une conspiration loufoque comme quoi ils sont en train de planifier leur plan d’attaque pour les exterminer tous pays par pays. « Bah, t'es allée le voir comment ton frère déjà ? » Fourrant une partie de crêpe dans sa bouche, les yeux bruns de Freya s’arment d’une expression que l’on pourrait qualifier de culpabilité ? « Un poil énervée ? » Elle fait un sourire d’excuse en se disant que déjà, vu la question de Romy, elle est partie sur le mauvais pied. « Et il lui arrive quoi pour que ça t'inquiète à ce point ? » Freya boit une gorgée de liquide avant de soupirer. « J’sais pas si c’est grave mais c’est notre mère. D’hab, c’est toujours lui qui en prend soin, parce qu’il a ce lien avec elle que ni moi ni Tobby on a. Mais là, ça fait plusieurs mois qu’il est pas allé la voir apparemment et… Avec les antécédents familiaux, à comprendre leur pyromane de père dont Romy n'ignorait pas l'existence, j’ai peur qu’il fasse une connerie qu’il puisse regretter. » Freya se laisse choir dans le canapé tout en relevant la tête vers le plafond. « Peut-être que j’me fais des films. Mais je perds déjà mon jumeau dans toutes ses conneries, alors si je perds aussi Wren, j’crois que je finis encore plus folle. » Parce qu’elle a un lien spécial avec son aîné et qu’elle ne s’en remettrait jamais s’il lui arrive quoique ce soit.

Freya finit par reposer ses yeux sur Romy tout en souriant légèrement. « Devrait y avoir des coupures plus souvent, c’est sympa l’effet bougie, je trouve. »

L’idée de partager son lit avec Freya n’effrayait pas une Romy s’étant déjà prêtée à l’exercice des dizaines de fois par le passé. Elles avaient beau être aussi différentes que possible, l’une et l’autre s’accordaient une profonde affection renforcée par le temps et les épreuves communes. Elle adorait cette petite boule de négativité, s’efforçait de dénouer ses méninges à vif pour l’apaiser, et comme c’était le cas ce soir, la petite blonde s’y donnait à grand coup de guimauve de de niaiserie toute calculée. « Parce que c’est toi, j’te promets de pas te balancer hors du lit. » Romy levait les yeux au ciel, repoussant du coude son amie pour se faire justice après un tel affront, elle qui venait pourtant de lui fournir des conseils avisés sur sa survie en milieu urbain. « Promis, je rentrerai pas dans le débat. J’m’en contrefous totalement, de toute façon. Mais ne sous-estime pas tes petits bras, Romychou. Ils peuvent être petits mais costauds ! » Toujours ce même surnom qui lui collait à la peau, l’un de ceux pour lesquels elle n’avait pas donné son accord, mais si ça pouvait permettre à Freya de rire et de se remonter le moral … Romy voulait bien faire le sacrifice de sa personne et laisser son amie d’enfance en user. Alors qu’elles se réconfortaient à coup de crêpes, le sujet « Doherty » arriva sur le tapis, et avec lui la délicatesse innée de la suédoise qui lui confiait, le regard en disant long, ne pas avoir été des plus tendres avec son frère. « Un poil énervée ? »  Un sourire pour la forme au coin des lèvres, la petite blonde semblait ne pas vraiment être au bout de ses surprises … car visiblement Doherty n’y avait pas été avec le dos de la cuillère. « J’sais pas si c’est grave mais c’est notre mère. D’hab, c’est toujours lui qui en prend soin, parce qu’il a ce lien avec elle que ni moi ni Tobby on a. Mais là, ça fait plusieurs mois qu’il est pas allé la voir apparemment et… Avec les antécédents familiaux j’ai peur qu’il fasse une connerie qu’il puisse regretter. »  Et par antécédents familiaux … ouais. Il y avait bien trop de matière dans ce sujet. Cette famille avait toujours été un brin décousue, mais dans le cas présent la situation semblait toucher une Freya qui se laissait aller sur le canapé en fixant le plafond. « Peut-être que j’me fais des films. Mais je perds déjà mon jumeau dans toutes ses conneries, alors si je perds aussi Wren, j’crois que je finis encore plus folle. »  Oula. Romy ramenait ses jambes sous ses cuisses, s’installant au travers du canapé avant de pincer l’avant-bras de son amie. « Ça t’apprendra à aller voir les gens avec ton air ronchon là. » qu’elle commençait avant de poser son menton sur le sommet de son genou, laissant quelques secondes planer avant de reprendre la parole. « Il y a que ça qui te fait penser qu’il puisse repasser du côté obscur ? » Disons-le ainsi. « Enfin … ouais. Plusieurs mois ça fait beaucoup quand même. T’as pas essayé d’aller le voir avec un air … j’sais pas, plus affable ? » Parce qu’elle-même venait de l’avouer, et que ça n’avait rien d’un secret. Freya était une adorable tête à claque, et heureusement que la nature l’ait dotée de traits angéliques sans quoi l’envie de lui arracher les yeux lui aurait été plus fréquente. « Tu penses vraiment ce que tu dis ? Les perdre, c’est pas rien quand même. » Eternelle optimiste (non) Romy l’était pourtant suffisamment pour croire que les choses pouvaient constamment s’arranger si l’on s’en donnait la peine, et bien que sa relation avec son frère et sa sœur n’était pas des plus saine elle l’était sûrement davantage que celle de son amie, et c’est pour cette raison qu’elle n’insistait pas vraiment. « Devrait y avoir des coupures plus souvent, c’est sympa l’effet bougie, je trouve. » Un (vrai) sourire plus tard, et voilà que le calme revenait un peu. Romy balayait la pièce du regard, amusée par la teinte dorée dont se paraient les murs. « Et si on sort les plaids en pilou de ma chambre et que je ramène mon PC ? Je crois que j’ai téléchargé un Destination Finale. Rien à voir avec les Marvel mais on a pas internet et pas Netflix. » Autrement dit : il faudrait composer avec les moyens du bord.       
 

« Ça t’apprendra à aller voir les gens avec ton air ronchon là. » « Hey ! » Voilà que Romy a gagné le droit de voir son air ronchon en direct live. Freya bougonne dans sa barbe trois mots avant de soupirer. Parce que Romy n’a pas tort quand même. Mais la suédoise n’aime pas avoir tord et elle n’aime pas qu’on lui rappelle que son comportement craint par moment (quasiment tout le temps). Mais c’est vrai qu’aller voir Wren en manquant de défoncer sa porte en criant n’avait peut-être pas été la meilleure stratégie pour une conversation calme et sereine. Comme si ce sont deux mots qui s’associent à la famille Doherty de toute façon. « J’étais pas ronchon, j’étais inquiète. Et quand j’suis inquiète, je peux vite m’emporter. » Après tout, Freya n’est pas un modèle de patience et encore moins de tranquillité. Son frère étant en silence radio depuis des mois, ce n’est pas si surprenant que cela qu’elle soit affolée. « Il y a que ça qui te fait penser qu’il puisse repasser du côté obscur ? » Elle n’en sait rien. C’est bien là tout le problème. Freya a vécu des années sous le même toit qu’un pyromane et pourtant, elle n’en savait rien. De la poudre devant les yeux, voilà ce qu’elle voyait. Comment on peut reconnaitre quelqu’un qui va tomber dans une passion aussi morbide que dangereuse qu’est le feu ? Il n’y a pas de signe avant-coureur, pas de signe extérieur pour le voir, ce genre de choses. Il n’y a pas de trace physique, rien qui laisse prévoir que la personne perd tout contrôle. Freya lâche un léger soupir alors que Romy lui suggère qu’elle aurait pu aller le revoir avec un visage un peu plus accueillant. C’est compliqué pour eux. Ils sont tellement tous victimes de leurs émotions, surtout Freya qui n’arrive pas finalement tant que ça à se foutre sous des tonnes de couche de mensonge, de faux semblants et d’apparences. « Tu penses vraiment ce que tu dis ? Les perdre, c’est pas rien quand même. » Elle aimerait se faire des films, Freya. Elle aimerait être sur le faux pour le coup. « On dit souvent que la pomme tombe pas loin de l’arbre. Wren s’est jamais autant isolé. Maman, c’est la personne qui compte limite le plus pour lui. J’comprends pas. » Elle ne comprendra jamais les hommes de la famille Doherty de toute façon. « J’espère ne pas les perdre, Romy. Même si Tobias me donne des envies de meurtre quotidiens, même si Wren ne mérite que des coups d’pied au cul, ils restent mes frères. Mais ils m'font peur parce que j'ai l'impression d'être impuissante. » Et elle les aime, ces idiots. Elle les aime tellement qu’elle est malade juste à l’idée de les voir passer de l’autre côté, ce côté sombre, inconnu, dangereux, d’où personne ne revient jamais vraiment indemne. Elle finit par prendre un verre et le boire cul sec parce que franchement, ce n’est pas le genre de pensées qu’elle vue avoir pour le restant de la soirée.

« Et si on sort les plaids en pilou de ma chambre et que je ramène mon PC ? Je crois que j’ai téléchargé un Destination Finale. Rien à voir avec les Marvel mais on a pas internet et pas Netflix. » Une crêpe avalée plus tard, un verre englouti et Doherty finit par sourire sincèrement. « Si ton ordi résiste le temps d’un film avant de perdre en batterie, why not. Finalement, un peu de gruesome peut pas faire de mal. » Au contraire. C’est bien aussi, de voir des trucs complètement irréalistes. Et puis, peut-être que l’électricité reviendra au final et elles pourront entamer un vrai marathon. Mais pour l’instant, elles se contenteront de ce qu’un appartement sans électricité peut donner comme activité.

Romy ne s’était jamais privée de dire la vérité à Freya, et en l’occurrence, même si une bonne partie du temps la Doherty détestait ce fait comme elle le lui prouvait d’ailleurs en protestant d’un « Hey ! » après sa remarque, son amie le faisait pour son bien sans toutefois se retenir de la charrier au passage. « J’étais pas ronchon, j’étais inquiète. Et quand j’suis inquiète, je peux vite m’emporter. » Même quand elle ne l’était pas d’ailleurs. Romy haussait les épaules, soufflant : « Tu sais que dans ton cas c’est pas si évident de distinguer tes émotions, hein ? » puisque son comportement avait beau être justifié vu le silence pesant instauré par son frère, elle n’en demeurait pas moins maladroite. La jeune femme avait ensuite essayé d’en savoir plus sur ce qui pouvait lui faire penser que son frère aîné était sur le point de virer d’un mauvais côté, mais Freya ne lui apportait pas de réponse, et sans doute parce qu’elle n’avait pas de preuve mais plutôt un sentiment profond qui la tenaillait. Pour toute non-réponse, Romy attrapait la main de son amie qu’elle serrait un bref instant avant de la relâcher, se passant de mots pour illustrer son geste. La petite blonde espérait toutefois en apprendre plus, et demandait alors des précisions que son amie lui confiait : « On dit souvent que la pomme tombe pas loin de l’arbre. Wren s’est jamais autant isolé. Maman, c’est la personne qui compte limite le plus pour lui. J’comprends pas. » Hochant doucement la tête, la jeune femme tentait d’être de bons conseils, mais la vérité c’était qu’elle ne savait pas trop quoi répondre si ce n’est apporter son soutien. Conseiller à Freya d’amener le sujet avec son aîné était peine perdue tant elle les savait aussi réactifs l’un que l’autre. Ils partiraient au quart de tour. « J’espère ne pas les perdre, Romy. Même si Tobias me donne des envies de meurtres quotidiens, même si Wren ne mérite que des coups d’pied au cul, ils restent mes frères. Mais ils m'font peur parce que j'ai l'impression d'être impuissante. » « T’es leur petite sœur Doherty. Même s’ils te délaissent un jour tu le resteras. Vous êtes une famille. Mais tu vas t’épuiser si tu rentres dans la bataille. » Et c’était sûrement le plus dur à avouer. Freya irait à contrecourant, s’acharnerait sans doute à sa manière pour sauver la cohésion de sa famille, mais si les efforts ne venaient pas des deux parties alors elle se détruirait tout doucement. Romy avait beau ne pas la suivre dans la descente de son verre, elle la soutenait toutefois en amenant une autre sorte de réconfort ; du pilou, un film, et du gras. La base d’une soirée chill qui mettrait sur pause et apaiserait la blondinette pour quelques heures au moins. « Si ton ordi résiste le temps d’un film avant de perdre en batterie, why not. Finalement, un peu de gruesome peut pas faire de mal. » Dans un haussement d’épaules, la conseillère se relevait pour atteindre sa chambre et attraper un plaid au passage qu’elle balançait à son amie pour la recouvrir. « Mets-toi au chaud et aies confiance en mon vieux coucou, on va mater des gens se faire découper ça te fera du bien. » Le malheur des uns fait le bonheur des autres après tout.

-sujet terminé-