To the well-organized mind, death is but the next great adventure
D’habitude, les seules matinées durant lesquelles j’ai la chance de pouvoir observer Brisbane en train de s’éveiller sont celles durant lesquelles je vais courir, il est très peu fréquent que je prenne la peine de m’extirper de mon lit très tôt quand je n’ai pas d’impératif dans la journée. Mais justement, aujourd’hui, j’ai un impératif et pas n’importe lequel. J’ai été très surprise de recevoir l’appel de Caleb me demandant si je pouvais venir lui donner un coup de main pour trier des affaires de LV enfermées dans un box dont j’ignorais totalement l’existence. A dire vrai, je pensais qu’il se serait davantage tourné vers Romy pour ce genre de choses car même si j’ai tenté de lui apporter mon aide lorsqu’il était au plus bas, je n’ai jamais été aussi proche de lui que ma cousine depuis que je lui ai fait part de la profession que j’exerce actuellement – ou plutôt d’une partie de ma profession –. Cet éloignement compréhensible est très difficile à vivre pour moi, d’autant plus que malgré mes efforts – ou piètres tentatives – j’ai l’impression de ne pas parvenir à me rapprocher de lui désormais et de me heurter à un mur quand j’essaie d’aller vers lui. Pourtant, lorsque je me retrouve en sa présence, il se montre adorable avec moi et prend de mes nouvelles comme si rien ne s’était passé. Malgré cela, nos relations sont quand même tendues et ça se ressent dans nos échanges. Je ne suis pas sûre que l’aider à trier des affaires qui vont sûrement faire ressurgir des souvenirs heureux et douloureux à la fois soit ce que je peux faire de mieux car la gestion des sentiments n’est pas ce que je maitrise le mieux, mais puisqu’il me demande mon aide, je ne peux faire autrement que d’accepter, espérant retrouver mon grand-frère, l’espace d’un court instant.
Renouer le dialogue me parait être quelque chose de primordial et je n’y arriverais pas si je ne passe pas davantage de temps avec lui. Sa proposition d’emménager chez lui trotte toujours dans un coin de ma tête mais je sais que mon rythme de vie actuel et tous les secrets que je lui cache ne me permettent pas d’accepter une telle chose. Il va falloir que je mette de l’ordre dans ma vie avant de me projeter dans le futur et pour cela, il faut que j’aie ce fameux déclic que j’attends depuis des mois voire des années et qui m’indique quelle est la marche à suivre pour que je trouve enfin ma voie. Je ne sais pas vraiment ce que je veux faire, encore maintenant, la discussion que j’ai eu avec Raelyn ne m’a pas permis de me sortir de cette zone floue parce qu’elle a refusé catégoriquement d’envisager un quelconque futur, préférant ne pas se prononcer sur mon évolution possible. Du côté universitaire, c’est un peu la pagaille aussi, mon dossier a été retenu pour la thèse que je souhaitais écrire et j’ai miraculeusement trouvé un professeur qui s’intéresse assez à mon sujet pour accepter de me suivre durant les longues années qui arrivent. Malgré tout, je dois reconnaitre que ça ne m’intéresse pas vraiment, je ne ressens aucun enthousiasme à l’idée d’entreprendre des années d’études supplémentaires et je sais par avance que je vais sûrement couler si je dois écrire cette thèse en gérant en parallèle ma vie de danseuse, de prostituée et de petite dealeuse sans prétention. Pourtant, même en sachant que je suis en train de me lancer dans une année que je ne pourrais certainement pas assumer jusqu’au bout sans devoir faire un véritable choix, je n’arrive pas à changer de stratégie, c’est au-dessus de mes forces.
Spring Hill. C’est un quartier dans lequel je ne mets que rarement les pieds parce que rien ne m’y amène sauf parfois de riches clients que je suis tenue d’impressionner. Cependant, c’est aussi là que mon frère réside et il m’a donné rendez-vous au pied de son immeuble – dans lequel je n’ai dû mettre les pieds que deux ou trois fois depuis son emménagement – pour que nous fassions ensemble le trajet jusqu’au box. En arrivant devant chez lui, je lui envoie un message pour lui signifier mon arrivée et je n’ai pas besoin d’attendre bien longtemps avant qu’il ne sorte, prêt à partir, ayant probablement anticipé mon arrivée. Ça ne m’étonne pas de Caleb, il fait toujours les choses bien, contrairement à moi. Je l’accueille avec un immense sourire, ne sachant pas vraiment si celui-ci est de rigueur ou non mais préférant néanmoins me montrer joyeuse à l’idée de passer une journée en sa compagnie plutôt que d’annoncer tout de suite les séquences émotions en montrant éteinte et attristée. « Salut. » J’entame alors qu’il arrive à ma hauteur. « T’es rapide, je t’ai quasi pas attendu. » Une simple phrase d’une banalité déconcertante, parce que je peine à dire ce que je pense réellement, mais je finis par me faire violence parce que je ne vais pas passer mon temps à fuir les sujets sérieux en sa compagnie, d’autant plus que cette fois, c’est lui qui a demandé que je sois présente. « Comment tu te sens ? » Je finis tout de même par demander, parce que j’ai bien conscience que la perspective de se replonger dans tout ça doit quand même sacrément l’angoisser. « Tu es sûr que tu te sens prêt pour tout ça ? » Connaissant mon frère, il s’agit certainement d’une décision mûrement réfléchie, mais je préfère m’en assurer. Il ne s’agit pas d’une petite balade dans les pâturages dans lesquels nous conduirons des moutons en écoutant le doux tintement des sonnailles, non, pas du tout, nous allons déterrer le passé de Caleb, un passé qui lui promettait un avenir heureux et qui s’est envolé beaucoup trop rapidement. Je serais là pour lui, mais j’espère qu’il a les épaules pour traverser ça.
“To the well-organized mind, death is but the next great adventure.”
Ça fait maintenant plusieurs jours que j’y pensais. Trier les affaires de LV que j’avais lâchement abandonnées dans un box à quelques rues de chez moi. C’était une idée de Romy que j’ai très vite mis à exécution. Cette soirée qu’elle avait passée avec moi deux semaines après l’enterrement. Cette soirée où j’avais beaucoup bu de ce vin qu’elle avait ramené. Même si je ne lui avais pas forcément beaucoup montré ma cousine m’avait été d’une aide précieuse ce jour-là. Un mois après son décès j’ai décidé de mettre à exécution ses conseils et j’ai loué un box, j’ai fait des cartons et je les ai tous mis là-bas. Et depuis je n’y suis plus jamais retourné. La seule trace de Victoria que j’ai toujours gardé auprès de moi c’est une photo de nous deux qui est restée sur la table de chevet dans ma chambre. Cette photo que je regarde encore peut-être un peu trop souvent. Peut-être que ça peut paraître radical pour vous. Tout vider. Ne rien garder d’elle. Mais je pense sincèrement que j’en avais besoin, sinon je ne m’en serais jamais sorti. C’est d’ailleurs aussi pour ça que plusieurs mois après sa mort j’ai déménagé. J’ai quitté cet appartement que nous avions choisi ensemble, dans lequel nous nous voyions vivre une vie si heureuse que nous n’avons pas eu la chance d’avoir. La vie est courte. Et je m’en suis rendu compte à l’annonce de sa mort. Je ne savais pas si j’étais prêt pour ça. Prêt à me retrouver confronter à tous ces souvenirs. À toutes ses affaires qu’elle a laissé intactes. À ses vêtements. Je suis censé garder quoi moi ? C’est une bonne question. Mais malheureusement je n’ai vraiment pas la réponse. Et je ne connais personne qui pourrait l’avoir. Même pas Stephen non. Parce que je pense que dans cette situation précise, on a tous besoin de garder des choses différentes de la personne qui nous a quitté. Je vais devoir me débrouiller tout seul avec tout ça. Mais est-ce que j’en suis capable ? Est-ce que je pense pouvoir me retrouver seul face à de nombreux souvenirs qui sont toujours aussi difficiles à encaisser ? La réponse est très simple : non. Non je n’ai pas envie de me retrouver seul confronté à tout ça. J’ai besoin de quelqu’un et maintenant je n’ai plus honte de le dire. Il y a deux ans il m’avait fallu beaucoup de temps pour que je comprenne que je n’allais pas pouvoir surmonter la mort de LV seul. J’ai mis un temps fou à accepter l’aide d’un professionnel. Cette perte a été si brutale et si inattendue. Cette fois je n’ai pas besoin d’un psychologue, je vais mieux sur ce point-là. J’ai besoin de quelqu’un qui me connait moi et qui connaissait LV. Et un nom m’est très vite venu à l’esprit. Primrose. Je sais que nous ne sommes pas aussi proches qu’avant. Mais suite à cet accident il y a deux ans nous avons réussi à nous rapprocher, ç retrouver une certaine complicité que nous avions quand nous étions plus jeunes. Mais cette complicité n’a malheureusement pas durée. Je sais aussi que LV aimait beaucoup Prim et que contrairement à moi, elle ne l’a jamais jugé sur ses activités professionnelles. Je vais donc demander à ma sœur son aide, en espérant qu’elle accepte.
C’est donc en lui passant un coup de fil que je lui ai demandé son aide pour cette tâche difficile qui m’attend. Et je me sens soulagé quand elle accepte de m’apporter son soutien. Honnêtement je ne me voyais pas faire ça avec qui que ce soit d’autre. C’était Prim ou personne. Elle fait partie des seules personnes que j’ai laissé m’approcher il y a deux ans alors que j’étais dans un sale état. À cette époque j’avais refusé l’aide de presque tout le monde, j’avais juste envie et besoin qu’on me laisse seule. Mais Primrose avait réussi à s’imposer dans ma vie me montrant qu’elle ne me laisserait pas tomber. Et je n’ai pas l’impression de l’avoir remercié assez de fois pour ça. Je lui avais demandé de m’attendre en bas de chez moi à neuf heures du matin. Et c’est pile à cette heure que je suis descendu pour la rejoindre. Et elle était déjà là, elle me sourit. Et c’est à ce moment-là que je me rends compte que je n’avais pas vu le sourire de ma sœur depuis un bon moment. Triste vérité. On ne passe clairement pas assez de temps ensemble. Et je sais que c’est de ma faute, en partie. Parce que je n’arrive pas à passer au-dessus de son métier de stripteaseuse. Je suis le pire frère de l’histoire de l’humanité. Je lui rends son sourire. « Salut. T’es rapide, je t’ai quasi pas attendu. » J’allais justement lui demander si elle ne m’avait pas attendu trop longtemps mais elle est plus rapide que moi. Je lui fais un simple bisou sur la joue en guise de salutation. « Toujours ponctuel, tu me connais. » On peut ajouter la ponctualité à mes qualités, et je ne pense pas que dire ça fasse prétentieux puisqu’il s’agit tout simplement de la vérité. Rares sont les fois où je me pointe en retard à u un rendez-vous, je déteste ça. Je suis même généralement ce mec qui arrive en avance et qui va attendre que l’autre personne arrive. Je suis comme ça, je déteste arriver en retard j’ai toujours l’impression d’être extrêmement malpoli. « Comment tu te sens ? » me demande-t-elle alors que nous commençons doucement notre route. Étant donné que le box ne se trouve qu’à quelques rues de chez moi, je préfère y aller à pieds. Je hausse les épaules. À vrai dire c’est une très bonne question. Comment est-ce que je me sens ? Je n’en sais rien. En tout cas j’appréhende oui ça je ne peux pas le nier. J’ai peur de ce qu’on va trouver en vidant tous ces cartons. « Je pense que ça va à peu près… » C’est une étrange sensation. Parce que je ne me sens pas vraiment triste, j’ai juste vraiment peur. C’est un mélange de peur de stress et d’appréhension que je ressens. Mais je sais qu’il est grand temps que je m’occupe des affaires de LV, il faut que je passe au-dessus de tout ça. Et Prim s’en inquiète d’ailleurs. « Tu es sûr que tu te sens prêt pour tout ça ? » Sans hésitation je hoche la tête. Oui j’en suis sûr. Et ça fait deux ans je pense qu’il est grand temps que je fasse le tri dans ses affaires non ? « Oui je me sens prêt. Ça fait déjà quelques semaines que j’y réfléchis. » Et j’ai posé le pour et le contre et je me suis vite rendu compte que les arguments en faveur de ce tri étaient plus nombreux. « Et merci d’être là Prim. Tout seul je pourrais pas le faire. » lui dis-je sincèrement en la regardant. Parce que ça j’en suis sûr et certain. Sans elle j’en serais incapable. Tout seul face à tous ces cartons qui m’attendent… Je n’aurais pas pu le faire. Au bout d’une dizaine de minutes de marche, je m’arrête lui indiquant que nous sommes arrivés. Je reste une poignée de secondes debout, devant la grande porte de ce box qui ne demandait qu’à être ouverte. J’attends. Encore quelques secondes. Essayant de me préparer mentalement à ce qui m’attend à l’intérieur. Je suis vulnérable, je n’aime pas ça et je déteste le montrer. Une des raisons pour laquelle j’ai choisi ma sœur pour m’accompagner aujourd’hui. Elle m’a vu au plus bas, elle. Je prends une grande inspiration, je cherche la clé dans ma poche de pantalon et j’ouvre cette porte. Je détaille la pièce du regard sans rien dire dans un premier instant. Je m’imprègne de nouveau des lieux. De tous ces cartons entassés les uns sur les autres, de certains meubles cachés au fond de la pièce. « Deux ans que j’étais pas venu ici. » Je dis ça doucement. Des millions de souvenirs me remontent à la surface et je me souviens du jour où j’avais rempli cette pièce. Ce jour-là j’étais seul, parce que j’étais encore dans cette période de colère où je refusais que quelqu’un puisse m’aider. Mais aujourd’hui j’ai ma sœur à mes côtés.
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D’un simple baiser sur la joue, Caleb m’accueille et je suis surprise de constater que malgré sa nervosité apparente, il a l’air plutôt bien. Pas de teint livide, pas de tremblements, pas d’yeux rougis ou légèrement humides. Il est fidèle à lui-même, avenant, souriant et sans l’évident stress qui l’habite, je pourrais presque croire que cette journée est juste comme les autres. Sa ponctualité m’étonne beaucoup moins que son attitude que j’avais envisagé être bien différente de celle qu’il adopte actuellement mais j’admets que je suis rassurée de me rendre compte qu’il n’est pas à l’article de la mort. J’adore mon frère, être là pour l’épauler après la mort de LV a été difficile mais ça me paraissait être une réelle nécessité, aussi je ne regrette nullement de m’être autant investie dans ce deuil douloureux pour lui. Il a repoussé tout le monde, il a été en colère, il a voulu tout envoyer valser et finalement c’est la tristesse qui l’a emportée, le genre de tristesse susceptible de détruire quelqu’un tant elle est lourde à porter. Dans toutes ces étapes, j’ai été là, la proche possible, encaissant tout ce qu’il pouvait avoir de m’envoyer, considérant tout simplement normal de ne pas bouger, quoi qu’il puisse se passer. Cette épreuve nous a rapprochés, énormément, et je ne l’oublierais jamais, mais le temps a passé, chacun a repris le cours de sa vie et la distance s’est de nouveau instaurée, doucement presque imperceptiblement jusqu’à ce que nous n’ayons plus rien à partager. Aujourd’hui, c’est LV qui nous rapproche de nouveau et je veux y voir un signe que tout n’est pas perdu, que notre relation peut renaitre de ses cendres, qu’on peut se donner ce nouveau départ dont nous avons tant besoin pour retrouver cette complicité si grande que nous avions entre nous. Bien sûr, ça ne sera pas facile, Caleb va devoir accepter sur je suis différente et je ne suis pas sûre qu’il en soit capable, tout comme je ne parviens pas à envisager de mettre un terme à tout ça pour retrouver le chemin de petite fille modèle que mes parents auraient tant aimé me voir tracer. A dire vrai, je ne suis toujours pas persuadée que nous en soyons capables. Nous en avons envie tous les deux, ça se voit, ça se sent, mais aucun de nous ne semble disposé à remettre en question son opinion et sa position et c’est pour cette raison que renouer le dialogue va être compliqué. Malgré tout, parce qu’il s’agit de mon frère et non d’un quelconque individu lambda, je me dois d’essayer pour ne pas avoir de regrets.
Son ton est hésitant lorsqu’il me confirme que ça va ce qui n’a rien de rassurant mais en revanche, c’est sûr de lui qu’il affirme se sentir prêt à franchir cette étape importante. « Je suis contente que tu t’en sentes capable, c’est un nouveau pas en avant. » J’affirme, sachant pertinemment que mon frère vit encore dans le passé et qu’envisager sa vie avec une autre femme que LV est encore douloureux voire totalement inacceptable. Pour le moment, il préfère vivre dans le passé et c’est quelque chose que je peux comprendre, parce que les souvenirs lui semblent tout simplement heureux que la réalité à laquelle il doit faire face. Toutefois, il ne peut pas se complaire dans cette spirale infernale jusqu’à la fin de ses jours, aller de l’avant est primordial, et je suis certaine qu’il y parviendra, parce qu’il commence tout juste à avoir cette volonté qu’il n’avait pas auparavant. « Tu as eu un déclic ? » A dire vrai, peu importe les raisons qui le poussent à effectuer cet énorme bond vers l’avenir, l’important, c’est qu’il le fasse, mais parce que j’ignore tout de la vie de mon frère, ces derniers temps, j’essaie au moins de m’informer sur un éventuel événement marquant qui aurait pu précipiter sa décision. Ses remerciements me vont droit au cœur, évidemment, mais je ne peux pas le laisser faire preuve de gratitude alors qu’à mes yeux, il s’agit juste de mon rôle de sœur que je tente de remplir du mieux que je peux, sûrement un peu maladroitement la plupart du temps. « C’est normal. » Je le pense sincèrement, je n’aurais pas aimé qu’il fasse appel à quelqu’un d’autre moi, même si j’aurais évidemment respecté cette décision car c’est un choix personnel qui ne m’appartient pas. Alors forcément, puisque c’est moi qu’il a appelé, il était parfaitement évident que je fasse le déplacement pour venir le soutenir et l’épauler dans cette épreuve tout aussi douloureuse que salvatrice qu’il s’apprête à traverser. Il ne nous faut pas longtemps pour regagner le box et, devant la porte, Caleb s’arrête, marquant une pause certainement nécessaire avant la vague d’émotions qui risque de le submerger. Timidement, je m’approche de lui, encerclant sa taille de mon bras dans un geste qui se veut réconfortant. Je maintiens cette proximité jusqu’à ce qu’il se sente prêt et se détache de moi pour se diriger vers la porte, glissant la clé dans la serrure pour que nous nous retrouvions face à des dizaines de cartons empilés les uns sur les autres. Je laisse le silence perdurer jusqu’à ce que mon frère le brise. Je sais que c’est un moment dur, aussi je prends encore de longues secondes avant de reprendre la parole, le poussant doucement à revenir à la réalité. « Tu veux commencer par quoi ? » Il faut un point de départ à tout ça et c’est à moi de le pousser à le donner, j’ai peur que tout seul, il n’en soit pas vraiment capable. Cette matinée s’annonce difficile et j’espère sincèrement que j’ai les épaules pour l’aider à traverser tout ça.
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Je n’ai pas très bien dormi cette nuit, je pense que j’étais beaucoup trop préoccupé et stressé par la journée qui m’attend aujourd’hui. Oui je me sens prêt et j’y ai bien réfléchi pendant plusieurs jours avant de prendre la décision de faire le tri des affaires de LV mais ça ne veut pas dire pour autant que je n’ai pas peur. Au contraire, j’appréhende énormément cette journée. Je me demande comment je vais réagir face à tous ces souvenirs qui vont remonter à la surface. Parce que oui je me sens prêt, mais est-ce que je le suis réellement ? Pour avoir la réponse, je suis obligé de m’y mettre et d’y aller sans trop de poser de questions. Et heureusement que Primrose a accepté de m’accompagner dans ce moment qui ne risque de pas être très agréable. La pauvre, elle avait sûrement mieux à faire un samedi matin. Mais elle se retrouve bloquée avec son grand frère pour l’aider à accomplir une tâche quelque peu déprimante. Elle aurait pu refuser, je ne lui en aurais même pas vraiment voulu. Mais non, elle a accepté et pour ça je la remercie un million de fois. Parce que je suis très bien que tout seul je ne pourrais pas le faire. Et la voir aujourd’hui me permettra aussi de m’assurer qu’elle va bien. En effet depuis la conversation que j’ai eue l’autre soir avec Clément, je pense beaucoup à elle et j’espère qu’elle ne se laisse pas abattre par la non-réciprocité de ses sentiments. Elle me sourit dès que j’arrive vers elle, ce qui me laisse penser qu’elle va plutôt bien. Tant mieux. « Je suis contente que tu t’en sentes capable, c’est un nouveau pas en avant. » Oui je pense aussi qu’il s’agit d’un nouveau pas en avant et j’espère que je ne me trompe pas en me croyant prêt à affronter les millions de souvenirs que contiennent ces cartons. « Oui je pense aussi. La décision n’a pas été facile à prendre mais je crois qu’il était temps que je commence à aller de l’avant. » Même si je suis encore loin d’être sorti d’affaire. Encore maintenant l’idée de m’imaginer faire ma vie et fonder une famille avec une autre femme que LV m’est insupportable. Et je ne sais même pas si j’en ai vraiment envie. Mais je commence doucement à me dire que je ne vais pas avoir le choix et je dans tous les cas, je vais devoir aller de l’avant sans elle. Même si je n’en ai pas franchement envie. « Tu as eu un déclic ? » Je hausse les épaules. En voilà une bonne question. À vrai dire je suis vraiment incapable de lui dire ce qu’il s’est passé pour qu’un matin je me lève avec cette idée en tête. Et surtout, que cette idée me semble bonne et réalisable. « J’en sais rien du tout. Je suppose que j’ai eu un déclic oui mais je sais pas du tout ce qui a pu le déclencher. » Peut-être est-ce la conversation que j’ai eue avec Jules il y a quelques semaines qui m’a inconsciemment fait réfléchir. Honnêtement je ne sais pas. Mais peu importe ce qui m’a amené à ça. Tout ce que je sais c’est que à l’heure d’aujourd’hui je me sens prêt à faire un nouveau petit pas en avant. Et je pense que ce n’est clairement pas à négliger. Un peu avant que nous arrivions je la remercie de sa présence ce matin. « C’est normal. » Non ce n’est pas normal. Elle avait sûrement mieux à faire pour commencer son weekend mais pourtant elle est avec moi.
Et nous voilà déjà arrivés devant le box. Cet endroit dans lequel j’ai entassé toutes ses affaires il y a deux ans et je n’ai jamais eu le courage d’y retourner depuis. J’ai besoin d’un instant. De quelques secondes pour me préparer à cette vague d’émotions qui m’attend derrière cette grande porte. Prim s’approche de moi en enroulant son bras autour de ma taille. C’est un geste qui peut paraître si anodin mais qui pourtant a beaucoup de signification pour moi. Je sais qu’elle est là, présente pour moi. Je finis tout de même par m’éloigner d’elle pour ouvrir cette porte. Waw. Je me rends compte que je me souviens exactement de chaque détail de cette pièce, pourtant ce n’est pas comme si j’y avais été un grand nombre de fois. Je m’avance tout doucement, m’imprégnant de cette ambiance morbide qui règne dans cette pièce. Je regarde ces cartons et ces quelques meubles qui sont eux tout au fond de la pièce et pendant un court instant j’ai l’impression que mon cerveau s’est mis en pause pour que je puisse me préparer mentalement à tous ces sentiments et toutes ces émotions qui m’attendent. Je ne dis plus rien je reste silencieux et je détaille la pièce du regard. Jusqu’à ce que ma sœur me sorte de mes pensées. « Tu veux commencer par quoi ? » Je redescends petit à petit à la dure réalité et je me retourne vers Prim ne sachant pas quoi lui répondre. Je n’en ai pas la moindre idée. Merde. J’y avais pas réfléchis à ça. Par quoi est-ce que je veux commencer. Je ne lui réponds pas tout de suite. Je m’approche d’une pile de cartons que je regarde, j’en regarde une autre et je soupire doucement. « Je sais pas. » Je me retourne vers elle. « On peut commencer par ces cartons-là. » lui dis-je en désignant une pile de boîtes. De toute façon ils vont tous y passer alors savoir par lequel on doit commencer… Je ne suis pas sûr qu’il y ait un ordre logique. Elle peut faire au feeling moi ça m’est égal. Je veux juste déjà en avoir fini avec ça. J’ouvre le premier carton en hauteur de la pile que je lui ai désignée. Apparemment il s’agit du carton qui contient une petite partie de ce qu’elle avait dans son armoire. Il y a ses bijoux. Elle en avait beaucoup trop c’est ce que je n’arrêtais pas de lui dire mais elle me répondait toujours qu’on ne pouvait pas avoir trop de bijoux. Je n’étais clairement pas d’accord. Au fond de ce carton je reconnais un sac. Pas n’importe quel sac. Elle l’avait acheté pour l’offrir à Primrose à Noël. Sauf qu’elle n’a jamais eu l’occasion de lui donner puisqu’elle est morte bien trop tôt pour ça. Je sors le sac du carton pour le regarder un instant, et puis je me retourne vers ma sœur pour le lui montrer. « Elle l’avait acheté pour toi. Pour Noël. » Parce que LV connaissait l’amour de Primrose pour les beaux sacs. « Elle t’aimait bien tu sais. » Et c’est bien elle qui avait réussi à me calmer quand mes parents m’avaient appris le métier de ma sœur.
To the well-organized mind, death is but the next great adventure
Cette matinée va être extrêmement dure pour Caleb, bien plus qu’un repas de famille l’est pour moi en ce moment. Je ne sais pas vraiment comment je vais faire pour le soutenir, si je vais vraiment réussir à être l’épaule sur laquelle se reposer et si je saurais trouver les mots pour faire de cette épreuve quelque chose d’un peu moins douloureux que prévu. Tout ce que je retiens, c’est que parmi les milliers de personnes qui l’aiment et le soutiennent – bon, peut-être pas des milliers mais c’est tout comme, j’ai toujours eu l’impression qu’il était impossible pour les gens de ne pas aimer mon frère – c’est moi qu’il a choisi et je me dois de faire honneur à cette décision. Je sais que je ne peux pas me mettre à sa place ni atténuer sa souffrance, mais je peux au moins lui montrer qu’il n’est pas seul et qu’il a le droit de ne pas aller bien et de le montrer extérioriser peut lui faire du bien. Je ne suis pas étonnée que la décision n’ait pas été facile à prendre pour lui, si ça avait été le cas, il n’aurait sans doute pas attendu autant de temps avant de se lancer dans cette épreuve. Je me garde bien de faire le moindre commentaire au sujet de ce délai, d’ailleurs, parce que je n’ai pas mon mot à dire sur la manière dont il a géré son deuil. J’aurais aimé que ça aille plus vite, c’est sûr, parce que je déteste voir mon frère malheureux et que je déteste encore plus devoir faire face, impuissante, à l’expression de cette douleur qui peut être vraiment violente par moments. Malgré tout, j’imagine qu’on ne peut pas forcer quelqu’un à aller le mieux et que ce n’est pas en le secouant et en lui criant qu’il est temps d’avancer qu’il le fera vraiment. S’il a compris par lui-même qu’il en était désormais capable, alors ça ne peut être qu’encourageant pour la suite et même si je sais que LV ne quittera jamais vraiment ses pensées, j’espère qu’un jour, elle ne sera qu’un souvenir heureux d’un passé amoureux parfois génial mais aussi compliqué à gérer. Les épreuves que l’on traverse font ce que nous sommes, j’en suis persuadée et si lui a eu à vivre cet événement terrible, je suis certaine que ça sera bénéfique pour lui, sur le long terme. J’ignore si je tiens cette pensée de ma simple envie de croire que nous ne souffrons pas pour rien ou si je le pense sincèrement, mais dans tous les cas, j’aimerais que mon frère en soit convaincu et que la perspective d’un futur plus positif suffise à lui donner envie de se battre pour être de nouveau heureux. « C’est bien ce que tu fais. » J’approuve simplement, parce qu’après tout, déclic ou pas, on s’en fiche, tout ce qui importe, c’est la finalité, et le fait qu’il décide de mettre de l’ordre dans son passé signifie qu’il est prêt à refermer un tiroir de plus et ça, c’est vraiment fantastique.
Notre arrivée au box est chargée d’émotion, parce que je sens que Caleb n’est plus si sûr que ça de vouloir franchir cette porte mais qu’en réalité, il va le faire, parce qu’il en a le courage et qu’il veut juste que cette page se tourne une bonne fois pour toutes. Je lui montre que je suis là pour lui, bien qu’en retrait, le laissant s’imprégner de ce lieu dont il doit avoir un souvenir un plus flou, vu le temps qui s’est écoulé depuis qu’il y est entré pour la dernière fois. Ce n’est que lorsque j’estime avoir attendu assez de temps que je me permets d’intervenir, essayant de faire en sorte que nos recherches soient organisées pour que ce fastidieux travail aille le plus vite possible. Je sais qu’il n’a pas envie de s’éterniser parce que chaque seconde qui s’écoule le renvoie encore davantage dans le passé et que chaque détail sur lequel nous risquons de mettre la main, précisera des souvenirs ou pire, lui en rappellera des nouveaux qu’il aurait oublié. Il a l’air perdu et je le comprends, aussi je prends les choses en main quand il exprime ne pas savoir quoi faire. « On devrait mettre à droite de la porte ce que tu comptes garder, au milieu, on met ce que tu veux donner et à gauche, ce que tu penses jeter, ça te va ? » Evidemment, ça dépend de plein de choses, est-il capable de prendre la décision de permettre à des gens de porter les vêtements de sa fiancée décédée ? Ce serait faire preuve d’altruisme que d’envisager en faire don aux plus démunis, mais j’ignore quel est son cheminement personnel à ce sujet. J’avoue ne pas savoir non plus si certaines affaires lui tiennent assez à cœur pour qu’il les conserve ou s’il avait déjà gardé chez lui ce dont il était incapable de se délester pour le moment. Toutefois, je pense sincèrement qu’il faut procéder avec ordre et méthode et c’est évidemment ce que je l’invite à faire. Il m’indique par quels cartons commencer et je me dirige vers ces derniers, laissant Caleb en ouvrir un pendant que je me charge d’un autre dans lequel je trouve de pulls d’hiver de toutes les couleurs. A côté de moi, mon frère a brandi un sac-à-main magnifique et j’ouvre des yeux ronds comme des soucoupes lorsque j’apprends qu’il m’était destiné. « Il est magnifique. » J’affirme, étonnée qu’elle me connaisse aussi bien alors que je ne devrais pas. Victoria aimait les autres plus qu’elle ne s’aimait elle-même. « Je l’aimais beaucoup, moi aussi. » J’admets et elle me manque à moi aussi même si je ne peux évidemment pas comparé ce sentiment à celui qu’éprouve mon frère. « Et j’aimais celui que tu étais devenu quand tu étais avec elle. » Il était tellement plus pétillant et enthousiaste, ils se complétaient parfaitement et je n’ai jamais été aussi sûre de savoir que Caleb avait trouvé la femme de sa vie que lorsqu’il me l’a présenté. C’était un conte de fée, ils ne méritaient pas ça. « C’était elle qui les avait tricotés ? » Je demande, brandissant un des pulls de la pile ? « Il y en a au moins dix comme ça, de couleurs différentes, je les mets dans quelle pile ? » Suivre ses instructions, c’est tout ce que je compte faire de cette journée, c’est lui la tête pensante, c’est son moment et si je me montre présente pour lui, je sais que je ne peux pas prendre ce genre de décision à sa place.
“To the well-organized mind, death is but the next great adventure.”
La présence de Primrose me fait du bien. Au moins je ne suis pas seul pour cette épreuve dont je me serais bien passée. C’est vrai quoi, c’est une corvée insupportable qui m’attend et je ne l’ai même pas encore commencée que j’ai déjà hâte qu’elle soit terminée. Certains diront peut-être que j’ai été trop long à faire le tri dans ses affaires. Mais je vous assure que deux ans, ce n’est pas si long que ça. Et puis chacun gère son deuil comme il le peut. Certains tournent la page quelques mois après, d’autres ont besoin d’une année et puis il y a ceux qui ont besoin de plus de temps. Et encore je dis tourner la page mais en soit, je ne pense pas qu’on puisse tourner la page et oublier la femme de sa vie quand on l’a perdu de manière aussi brutale. On apprend à vivre avec. Et c’est ce que je m’efforce à faire depuis plusieurs mois. Avant je subissais. J’avais beaucoup de mal à penser à autre chose ou encore même à accepter son décès. Et puis petit-à-petit j’ai fini par accepter. L’acceptance est une des dernières étapes du deuil. Et je suis passé par toutes ces étapes sans exception ! Il y a d’abord eu le choc, quand le médecin m’a dit que LV était morte et qu’ils n’avaient rien pu faire pour elle. Et puis ensuite le déni. J’avais toujours l’impression d’être dans un cauchemar ou à chaque fois qu’il se passait quelque chose, je me disais « Il faudra que je le dise à Victoria ce soir. » . Et au final le soir je rentrais chez moi et je retrouvais un lit vide… La colère. J’envoyais tout le monde chier je ne voulais de l’aide de personne et surtout pas de mes parents. Je ne sais pas pourquoi mais c’est eux qui en ont pris plein la gueule, les pauvres… La dépression. Chez moi cette étape a été assez longue puisque j’ai fait une dépression pendant une année entière. J’avais beaucoup de mal à sortir de chez moi, j’étais au ralenti…enfin tous les symptômes d’une dépression classique quoi. L’acceptation. De toute façon je ne pourrais pas revenir en arrière, tout est fini elle est morte et elle ne pourra malheureusement pas revenir à la vie. Et je pense que je suis très certainement en plein dans la dernière étape : la reconstruction. J’apprends à vivre avec. Elle me manque encore tous les jours et je pense qu’il y aura toujours une partie de moi qui l’aimera. Mais il va falloir ma vie à moi continue. « C’est bien ce que tu fais. » À vrai dire je me sens un peu obligé de le faire. Ce n’est pas une partie de plaisir loin de là, mais je n’ai pas le choix. Je ne peux pas laisser indéfiniment ses affaires dans un box abandonné. Et puis je le loue tous les mois et il est temps que je mette fin à cette dépense inutile ou plutôt, dispensable.
Quand on arrive je me sens perdu l’espace d’un instant. Me voilà confronté à tous ces cartons je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir en faire mais ces cartons sont là, prêts à être déballés et triés. Pendant même quelques secondes, voire presque une minute je regrette presque d’être ici. Je serais bien plus tranquille chez moi pour mieux profiter de mon début de week-end. Prim me demande par où je veux commencer. J’en sais rien moi ça n’a pas vraiment d’importance si ? Je n’y avais pas pensé à ça. Je n’ai même pas pensé à une méthode d’organisation pour que ça aille plus vite. Heureusement que ma sœur en a une, elle. « On devrait mettre à droite de la porte ce que tu comptes garder, au milieu, on met ce que tu veux donner et à gauche, ce que tu penses jeter, ça te va ? » Je hoche doucement la tête toujours en observant les cartons qui nous entourent. C’est une bonne idée. Faisons ça oui. « Ouais on va faire ça. » Je souffle, comme pour me préparer mentalement à ce qui m’attend. Et puis je passe une main dans mes cheveux. « Ses vêtements je pensais les donner à des associations. C’est mieux que de les jeter tu penses pas ? » Et puis surtout, LV était une femme très généreuse et je pense que c’est ce qu’elle aurait voulu. Prim et moi prenons tous les deux notre premier carton et nous l’ouvrons. En deux années, c’est la première fois que je me retrouve confronté à ses affaires. C’est dur. C’est tellement dur. Dans les bijoux qui sont dans ce carton, il y a au moins une dizaine de colliers, de bracelets et je ne sais pas combien de boucle d’oreille. Certains sont des bijoux qu’elle s’était achetés et d’autres sont des cadeaux que je lui avais fait. Mais c’est surtout ce sac-à-main qui attire mon attention. Je me souviens très bien de lui. Je me rappelle, elle était rentrée un soir à l’appartement un grand sourire aux lèvres en me montrant ce sac. Et c’est juste après qu’elle m’avait dit qu’elle l’avait acheté comme cadeau de noël pour ma sœur. « Il est magnifique. » me répond-t-elle alors qu’elle a des étoiles dans les yeux. Sa réaction me fait doucement sourire. « Ouais, elle avait toujours des bons goûts et des supers idées de cadeaux. » lui répondis-je en souriant un peu plus. Je regarde ma sœur un instant, et je continue. « Tu peux le prendre si tu veux. C’est pour toi qu’elle l’avait acheté. » Je lui tends le sac-à-main. « Mais si ça te fait bizarre de le prendre t’inquiètes pas je comprendrais. C’est vraiment comme tu le sens. » Après tout il s’agit tout de même d’un cadeau que LV devait donner à ma sœur en mains propres, or elle n’en a pas eu le temps. Alors si Primrose trouve ça trop glauque que repartir avec ce sac-à-main je comprendrais tout à fait. « Je l’aimais beaucoup, moi aussi. » Je sais qu’elles n’étaient pas spécialement extrêmement proches mais à chaque fois qu’on voyait Prim que ce soit à un repas de famille ou autre, elle me disait toujours « Je l’aime bien ta sœur. Tu devrais être plus tolérant avec elle et un peu plus ouvert d’esprit. » Et le pire c’est que je sais qu’elle avait raison. De toute façon, elle avait toujours raison. « Tu sais euh… » Je suis hésitant parce que je suis sur le point d’aborder un sujet que nous évitons tous les deux depuis maintenant de bien nombreuses années. « Elle prenait toujours ta défense quand on parlait de ton…métier. C’est elle qui avait réussi à me calmer le jour où j’ai appris…» le jour où j’ai appris que tu étais une putain de strip-teaseuse. Je ne sais franchement pas où j’ai trouvé le courage de lui parler de ça. Parce que son activité nocturne reste très clairement un gros sujet tabou dans la famille, et entre nous également. « Et j’aimais celui que tu étais devenu quand tu étais avec elle. » Celui que j’étais devenu ? Je me retourne vers elle pour la regarder, fronçant les sourcils. « Qu’est-ce que tu veux dire par-là ? » Mon ton n’est pas du tout agressif, ni même bourré de reproches, je suis juste curieux de comprendre ce qu’elle veut dire par là. Je ne suis même pas conscient d’avoir changé quand je l’ai rencontré. J’espère que c’était en bien. Mais si elle me dit qu’elle m’aimait comme ça, c’est que en toute logique, oui c’était en bien. « C’était elle qui les avait tricotés ? Il y en a au moins dix comme ça, de couleurs différentes, je les mets dans quelle pile ? » Je regarde les pulls qu’elle me montre et j’acquiesce d’un signe de tête. Sa grand-mère lui avait appris à tricoter et qu’en elle s’ennuyait elle s’amuser à faire un peu de tout. « Ouais c’est elle qui les a faits. Euh…tu peux les mettre dans la pile pour donner. Merci. » J’ai l’impression de lui donner des ordres c’est horrible je déteste ça. De mon côté de mets ses plus vieux bijoux pour les jeter et les autres, pour les donner. Autant que quelqu’un puisse profiter de tout ça.
To the well-organized mind, death is but the next great adventure
Je ne suis pas vraiment une fille organisée, en temps normal, ou peut-être seulement lorsqu’il s’agit de ma scolarité ou de mon planning digne de celui d’un ministre. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’aider mon frère, je peux bien me transformer en une militaire carrée et psychorigide afin d’alléger la tâche qu’il doit accomplir aujourd’hui. Je suis certaine que notre organisation permettra d’accélérer ce processus de tri qui menace d’être incroyablement fastidieux et il a l’air d’accord avec moi. J’imagine que ça doit être bizarre pour lui de discuter, deux ans plus tard, des affaires de LV et ce qu’il compte en faire. Ça doit rendre tout ça cela tellement réel et tellement définitif, aussi. J’imagine qu’en deux ans, il a réussi à accepter le caractère définitif de la mort de LV, justement, mais entre l’envisager de manière abstraite et se débarrasser de tout ce qui lui appartenait, les choses sont quand même sacrément différentes. Pourtant, je trouve qu’il a l’air de bien s’en sortir, il arrive à rester fidèle à lui-même, logique et altruiste, et je suis admirative de cet état d’esprit que tout le monde n’arriverait pas à avoir dans sa situation. « Je suis d’accord, ça fera plaisir à beaucoup de gens. » J’en suis certaine, il y a tellement de personnes qui n’ont pas les moyens de s’acheter des vêtements que ces derniers trouveront forcément preneurs et il aurait été très dommage de tout jeter. Malgré tout, j’aurais trouvé également normal que Caleb n’arrive pas à se résoudre à imaginer quelqu’un d’autre avec les affaires de sa Victoria, la femme de sa vie. « Il faudra juste regarder si leur état le permet. » Je précise, malgré tout, même si je me doute que Caleb ne doit pas avoir envie de regarder chaque vêtement un à un. Il va falloir examiner chacun des cartons avec patience et rigueur, je pense sincèrement que cette journée va lui paraitre longue.
L’ouverture du premier carton permet à mon frère de retrouver des bijoux ainsi qu’un sac que LV comptait m’offrir. J’avoue qu’il est très beau et je ne suis en général pas contre m’approprier des objets de valeur, encore moins si on me les propos gratuitement. Toutefois, j’ai des scrupules, cette fois-ci, parce que je ne veux pas obliger Caleb à se remémorer Victoria à chaque fois qu’il me verra avec ce sac. « Je… C’est très gentil et j’aurais vraiment adoré son cadeau, mais je ne suis pas sûre que ce soit bien que je garde des affaires qui lui ont appartenu, je ne veux pas que ça te dérange ou que ça te mette mal-à-l’aise. » Il ne m’arrive pas souvent de penser aux autres avant de penser à moi-même, j’ai toujours considéré que ma propre personne passait avant tout le reste. Toutefois, mon frère est un peu l’exception qui confirme la règle, ou plutôt ma famille, en règle générale, parce que je connais leur affection à mon égard alors que je suis une si grande source de déception pour eux, je ne veux pas descendre dans leur estime encore davantage. Je me raidis lorsque mon frère aborde le sujet de mon métier, pas certaine de la manière dont je suis censée réagir. Mon métier a toujours été un sujet de conflit entre nous et j’espérais sincèrement que cette journée serait placée sous le signe de la paix. « J’ai eu de la chance qu’elle soit là à ce moment-là, alors, sinon ça aurait été encore pire. » Je constate, amèrement, toujours pas forcément à l’aise avec la manière dont Caleb considère mon activité. J’ai l’impression qu’il me définit comme étant une stripteaseuse alors que je suis loin, bien loin, de me considérer comme étant juste Poppy. J’aurais aimé qu’il se rende compte que sa petite sœur est toujours la même, au fond.
J’ai toujours beaucoup aimé LV, elle était pétillante, elle avait un grand cœur et elle donnait toujours l’impression d’être parfaitement heureuse. J’imagine que, comme tout le monde, elle avait ses propres problèmes à gérer et que ça n’a pas toujours été facile, malgré tout, elle se gardait bien de les exposer et de se plaindre. Elle était en tous points équanime. Caleb était un homme différent à ses côtés et il n’a pas vraiment l’air de s’en rendre compte. « Je ne sais pas trop. » J’admets, cherchant mes mots pour réussir à exprimer ce que je veux dire, sans pour autant y parvenir. « Je crois qu’elle t’a redu moins sérieux… T’avais l’air de voir la vie différemment. » Ce n’est pas clair, mais même dans ma tête, ça ne l’est pas, alors mes capacités d’expression s’en trouvent vraisemblablement limitées. « Je crois que quand elle est morte, il y a une partie de toi qui s’est envolée avec elle. » Il fait des plaisanteries, c’est vrai, mais il a perdu sa joie de vie, il se noie dans le travail pour tenter d’oublier et tout le monde peut constater qu’il n’oublie pas vraiment. Je crois que le rangement de ce box est le premier vrai pas en avant qu’il fait et c’est pour ça que je suis aussi fière de lui. La conversation devient un peu trop sérieuse et je me hâte de plonger la tête dans mon carton pour penser à autre chose. « Je t’en prie. » Je réponds, presque machinalement, alors que je m’empare du carton pour aller le déposer à la place des affaires à donner. En revenant auprès de Caleb, j’ouvre un deuxième carton pour en examiner le contenu. « Vêtements, encore, je regarde s’ils sont en bon état et je les mets avec les autres. » J’ai l’impression d’être une employée rendant des comptes à son boss, mais ça ne me dérange pas, je me sens utile à mon frère pour la première fois depuis longtemps et s’il me demandait de passer trois journées complètes ici, ça ne me dérangerait pas le moins du monde.
“To the well-organized mind, death is but the next great adventure.”
Habituellement je sais toujours plus ou moins quoi faire et comment faire les choses et je m’organise toujours pour que tout se passe comme je l’avais pensé. Sauf qu’aujourd’hui c’est différent. J’y suis allé en me disant que j’allais faire le tri dans les affaires de ma fiancée morte il y a deux ans. Et c’est tout. Je n’avais absolument pas pensé à la moindre idée d’une possible organisation. Et c’est pour ça que quand Prim me demande par où je voulais commencer je me suis trouvé complètement perdu. Heureusement qu’elle est là et qu’elle me propose un plan, plutôt logique et basique mais cette organisation fera largement l’affaire. J’acquiesce. Je ne sais pas si elle réalise à quel point sa présence aujourd’hui me touche et à quel point elle m’est indispensable. J’aurais pu demander à d’autres personnes de m’accompagner aujourd’hui. J’aurais pu demander à Romy, Dan ou peut-être même à Stephen. Mais non, c’est bel et bien à ma sœur que j’ai demandé ce service. Et ce n’est pas par hasard que je lui ai demandé à elle. La mort de LV nous a rapproché pendant un temps. Et je pense que j’ai l’espoir que cette lourde tâche pourrait nous rapprocher à nouveau. « Je suis d’accord, ça fera plaisir à beaucoup de gens. Il faudra juste regarder si leur état le permet. » Encore une fois, si elle n’avait pas été là je n’aurais même pas pensé à vérifier l’état des vêtements et je les aurais tous mis dans la pile des choses à donner aux associations. Mon dieu j’ai vraiment la tête ailleurs. « Ouais…heureusement que t’es là. » Je laisse échapper un petit rire nerveux. Je me sentais beaucoup plus confiant tout à l’heure, mais maintenant que je me retrouve confronté à tous ces souvenirs, je fais moins le malin. Surtout quand on ouvre chacun un premier carton. Des bijoux pour moi, et des pulls d’hiver pour Prim. Tout au fond du carton rempli de bijoux se trouvait un sac-à-main qui était normalement le cadeau de Noël pour ma sœur de la part de LV. Avant de le revoir je l’avais complètement oublié. Mais je me souviens maintenant que Victoria avait vraiment hâte de l’offrir à Primousse parce qu’elle savait qu’il allait lui plaire. Je ne sais pas comment elle pouvait en être aussi sûre. Certainement un truc de fille que je ne comprendrai jamais. « Je… C’est très gentil et j’aurais vraiment adoré son cadeau, mais je ne suis pas sûre que ce soit bien que je garde des affaires qui lui ont appartenu, je ne veux pas que ça te dérange ou que ça te mette mal-à-l’aise. » Je secoue la tête, je ne veux vraiment pas qu’elle se prive pour moi et pour mon bien-être. C’est gentil de sa part mais j’insiste. « Il lui a jamais vraiment appartenu, c’était censé être le tien. Et je t’assure que si je m’en sentais pas capable je te laisserais pas le prendre. Ça me ferait plaisir que tu puisses l’avoir. » Je la regarde, je lui dis ça sincèrement. Mais je ne veux pas la forcer. Surtout pas. Surtout si elle le refuse parce qu’elle n’a pas envie d’avoir ce cadeau de noël avec deux ans de retard. Dans ce cas-là, je comprendrais qu’elle n’en veuille pas et je n’insisterais même pas.
Et je ne sais pas trop par quelle force je suis d’un coup poussé à lui parler de son métier nocturne qu’elle exerce depuis maintenant trop longtemps à mon goût. À chaque fois que ce sujet de conversation se mettait entre nous, Victoria la défendait toujours me disant que je devrais plutôt essayer de la comprendre et que de toute manière je n’avais pas mon mot à dire puisqu’il s’agissait de sa vie et non de la mienne. Le pire, c’est qu’elle avait raison. Mais encore à l’heure d’aujourd’hui je ne l’ai toujours pas accepté et je n’ai même pas essayé de savoir ce qui la pousse à faire ce qu’elle fait. « J’ai eu de la chance qu’elle soit là à ce moment-là, alors, sinon ça aurait été encore pire. » Oh oui Primrose tu as eu de la chance crois-moi. Ça ne vous parait peut-être pas mais en lui disant ça je fais un énorme pas en avant. Aborder son métier de strip-teaseuse je ne le fais pas tous les jours. Voire même jamais. « Ouais, heureusement qu’elle était là. » Il y a tellement de choses que j’ai envie de lui dire mais je ne sais tellement pas comment aborder les choses. Si LV était encore parmi nous elle aurait su me conseiller sur le sujet mais malheureusement elle n’est plus là et il va falloir que je commence à essayer de me débrouiller tout seul comme un grand. Elle me dit quelque chose qui m’intrigue. Elle m’avoue qu’elle aimait beaucoup celui que j’étais devenu quand j’étais avec elle. Est-ce que ça veut dire que maintenant qu’elle n’est plus là je suis moins appréciable ? « Je ne sais pas trop. Je crois qu’elle t’a redu moins sérieux… T’avais l’air de voir la vie différemment. » Oh ça. Je comprends mieux ce qu’elle voulait dire. Et elle a raison. J’étais différent, je me sentais bien quand j’étais avec elle. Parce que Victoria et moi, même si on se ressemblait bien on avait des différences tous les deux. Elle avait ce grain de folie que moi je n’ai pas vraiment. Elle aimait sortir. Ce n’était pas non plus une grosse fêtarde, mais elle aimait sortir boire un verre avec ses copines, s’amuser. Avec elle on ne s’ennuyait jamais parce qu’elle avait toujours quelque chose à dire, elle était extrêmement bavarde contrairement à moi qui suis assez discret. « Ça c’est parce que j’étais heureux quand j’étais avec elle. J’étais amoureux. » Sous-entendu que je ne suis plus heureux. Ce qui est à moitié vrai. Je ne suis plus heureux de la même manière. Plus autant. Disons que je vais bien. Je vais mieux. Vraiment, je vous assure. Je me sens mieux et ma présence dans ce box aujourd’hui le prouve. Le fait que je parviens à parler de LV en est également une preuve. « Je crois que quand elle est morte, il y a une partie de toi qui s’est envolée avec elle. » Touché. Encore une fois, elle a complètement raison. Une partie de moi est morte avec elle ce jour-là. Je sais à quel point dire ça c’est déprimant mais c’est la triste vérité. Quand elle me dit ça, je me raidis. C’est la première fois que quelqu’un me dit ça à voix haute pourtant je suis sûr qu’elle n’est pas la seule à l’avoir vu. « T’as pas tort. » J’avoue. Je ne peux pas le nier de toute façon. « Mais je vais bien, t’en fais pas. » Je lui dis ça sincèrement, et je me retourne vers elle pour la regarder. « J’irai vraiment mieux un jour, t’en fais pas pour moi. » Je ne veux vraiment pas qu’elle s’occupe de moi et de mes problèmes. Elle doit en avoir assez comme ça de son côté. Et je suis sincère. Je sais qu’un jour je vais vraiment aller mieux, et peut-être même que je retrouverais ce fameux bonheur qui me parait encore si difficilement atteignable pour le moment. Et je trouve que depuis ces derniers mois, j’ai fait pas mal d’effort non ? Je vais de mieux en mieux. Ma sœur continue en ouvrant un deuxième carton. « Vêtements, encore, je regarde s’ils sont en bon état et je les mets avec les autres. » Je hoche la tête. Je me retourne juste quelques secondes pour jeter un coup d’œil aux vêtements qu’elle est en train de trier. « Merci. » C’est la deuxième fois que je la remercie en l’espace de cinq minutes. Et je ne m’en suis même pas tout de suite rendu compte. J’ouvre à mon tour mon deuxième carton pour me retrouver nez-à-nez avec deux albums photos. Je sors le premier pour commencer à le feuilleter. C’était l’album qu’on avait fait quand on était partis en vacances en France il y a trois ans. Cet été-là elle m’avait traîné un weekend entier à Disneyland Paris. Et le deuxième était aussi un album qui rassemblait des souvenirs de vacances. En Australie cette fois-ci. Parce qu’elle voulait visiter toutes les grandes villes touristiques. Je tourne les pages et je remets ces albums dans le carton, je rangeant dans le coin de ce que j’allais ramener chez moi.
To the well-organized mind, death is but the next great adventure
Le fait que Caleb apprécie autant ma présence à ses côtés durant cette journée particulière me fait évidemment plaisir. Mon frère compte énormément pour moi et pouvoir être source d’émotion positive, pour une fois, rattrape un peu l’enfer que je lui fais vivre ces derniers temps. Enfin, s’il vit aussi mal ma profession, j’estime que c’est entièrement de sa faute et pas de la mienne, je lui ai tout simplement dit que j’étais danseuse, enfin stripteaseuse, ce qui est un peu moins reluisant, mais tout de même, s’il savait que je me prostituais, je crois qu’il ne m’adresserait plus jamais la parole. Je ne comprends pas comment il peut me juger juste par rapport à ce que j’ai choisi de faire de ma vie. Je suis quand même sa petite sœur et je n’ai pas changé, je suis Primrose, la fille aux couettes qui faisait de sa vie un enfer lorsque nous étions enfants. Bien sûr j’ai grandi, j’ai évolué, j’ai fait des choix qui ont influé sur ma personnalité, mon quotidien et mes perspectives d’avenir, mais c’est ça devenir adulte, non ? Il ne peut pas s’imaginer que je reste un petit bébé jusqu’à la fin de mes jours, si ? Il a l’air tellement persuadé que mon métier dégradant fait de moi une toute autre personne alors que c’est loin, bien loin, d’être le cas. Au fond, je suis toujours la même et j’ai affreusement besoin d’avoir mon grand-frère à mes côtés pour le reste de mon parcours de vie. Tout cela, j’aimerais évidemment le lui dire, mais comme d’habitude, je ne sais pas comment faire, parce que j’ai toujours été nulle pour exprimer mes sentiments et que j’ai affreusement peur qu’il me rejette encore une fois. Je ne suis pas prête pour cette terrible désillusion. Finalement, parler de Victoria est presque moins dur que d’évoquer le sujet de notre conflit, au moins, c’est un sujet qui nous rapproche au lieu de nous éloigner et j’étais vraiment attachée à cette fille, ils étaient tellement parfaits l’un pour l’autre. C’est sans doute pour ça que je finis par accepter ce cadeau, parce qu’après tout, ce n’est pas parce qu’elle est morte qu’il faut enterrer tout ce qui pourrait nous faire penser à elle, c’est plutôt une bonne chose qu’elle reste dans nos mémoires. « Je vais le garder, alors, merci. » Je tends la main pour attraper le sac qu’il me donne et le contemple quelques secondes avant d’aller le poser devant la porte, autant pour être sûr de ne pas l’oublier que pour ne pas le mettre dans un des tas fictifs que j’ai imaginé, par mégarde. « Je suis contente de pouvoir garder quelque chose qui me rappelle son souvenir. » Je n’ai pas besoin de quelque chose de matériel pour penser à Victoria, voir le regard triste de mon frère me suffit à me rappeler qu’elle n’est plus là, et tous les bons moments vécus ensemble ne peuvent de toute façon pas s’effacer, mais malgré tout, je sais que le temps estompera tout ça et je veux qu’elle continue à faire partie de ma vie malgré tout.
Je ne m’attendais pas du tout à ce que Caleb parvienne à évoquer ma profession aujourd’hui, pas alors que la journée promettait déjà d’être si lourde et chargée en émotion, mais puisqu’il a commencé, je ne peux pas le laisser s’en tirer aussi facilement, j’ai besoin de savoir, j’ai besoin qu’on arrive à s’entendre. J’ignore si c’est possible, et à première vue, je crois que non, malheureusement, nous avons une trop grande divergence d’opinion pour y parvenir. Toutefois, j’aimerais au moins qu’on réussisse à aller de l’avant et à se retrouver. « Si elle n’avait pas été là, qu’est-ce que tu aurais fait ? » Je dois être maso pour avoir envie d’entendre une chose pareille, mais je veux savoir ce que Caleb pense réellement lorsqu’il n’est pas tempéré par quelqu’un de plus sage. J’ai envie de pouvoir lui expliquer ce qu’il ne comprend pas, de lui faire entendre que ce n’est pas si grave et qu’il dramatise peut-être un peu trop la situation. Bien entendu, je ne sais pas si ça va fonctionner mais j’ai bon espoir. Et puisqu’on fait preuve d’honnêteté l’un envers l’autre, aujourd’hui, je me permets de lui dire sincèrement ce que je vois dans son attitude et la sensation que j’ai toujours eu depuis qu’il a perdu sa fiancée. Je ne veux pas le blesser, bien sûr, mais sa réaction me fait évidemment mal au cœur, parce que je me rends compte que malgré ce pas en avant, il n’est pas remis de cette perte brutale. J’ai peur qu’il ne le soit jamais vraiment. « Bien sûr que tu l’aimais, ça se voyait. » Quand ils entraient ensemble dans une pièce, on ne voyait qu’eux, de toute façon, ils étaient lumineux, le genre de couple qui fait rager les autres. « J’étais un peu jalouse. » J’admets avec un sourire. Pas jalouse de Victoria, non, mais jalouse de cette vision de l’amour qui me paraissait si inaccessible et qu’ils avaient pourtant réussi à trouver l’un avec l’autre. J’aurais aimé que quelqu’un m’aime autant qu’ils s’aimaient tous les deux. Mais l’amour, ça ne fait pas tout et je suis évidemment triste d’apprendre que lui aussi considère qu’une partie de lui est morte. Il n’est pas mort, lui, il est toujours en vie et une vie, on en a qu’une, il ne peut pas la passer dans le regret. Bien sûr, je sais que c’est plus facile à dire pour moi qui n’ai jamais expérimenté la perte d’un proche, raison pour laquelle je ne peux pas me permettre de faire une telle remarque. « J’espère qu’un jour, tu retrouveras goût à la vie et que tu t’autoriseras à être heureux, parce que toi tu n’es pas mort, t’as le droit de vivre. » Il ne lui fait pas d’infidélité en trouvant le bonheur, il vit pour deux, au contraire, il la fait vibrer à travers son expérience de la vie. C’est en tout cas comme ça que je considère les choses. « Bien sûr que si je m’en fais pour toi. » C’est une simple constatation, pas un reproche mais il doit se rendre compte que tout le monde est inquiet pour lui parce qu’on l’a vu remonter la pente, certes, mais il s’est arrêté alors qu’il était sur la bonne voie, certainement incapable d’envisager avoir droit à cette vie heureuse qu’il pourrait pourtant encore avoir. Il est tellement jeune. Le tri des cartons avance malgré notre conversation et je m’empresse de trier les vêtements du second carton pour les mettre dans la pile à donner. Lorsque je me retourne, Caleb est en train de feuilleter ce qui me semble être un album photo. Je me hâte de m’approcher de lui, désireuse d’être à ses côtés s’il doit faire face à un trop plein d’émotions. Pourtant, il ne fait aucun commentaire et se contente de les remettre dans les cartons, décidant de le conserver ce qui me fait évidemment plaisir parce que ça veut dire qu’il est capable de regarder ces clichés sans être trop mal ce qui est un progrès. J’ouvre le carton numéro trois et tombe cette fois sur des tonnes de papiers à l’écriture régulière et parfaite. « Ce sont des lettres ? Vous vous écriviez ? » Je suppose, sans savoir si je suis dans le vrai, ça peut être tout autre chose, mais je ne me permettrais pas de jeter un œil au contenu de ces documents, ce n’est pas mon rôle.
“To the well-organized mind, death is but the next great adventure.”
Pas que passer du temps avec ma sœur me dérange, au contraire j’adore ça et j’ai l’impression que cette journée pourrait vraiment nous rapprocher si tout continue dans cette lignée, mais j’ai tout de même hâte que ce tri se termine. Même si j’essaie de ne pas trop lui montrer, revoir toutes les affaires de LV ça ne me laisse clairement pas indifférent. Elle me manque, et me replonger dans tous ces souvenirs ce n’est pas facile. Mais je crois vraiment que j’avais besoin de faire ça au plus vite pour pouvoir tourner cette page. Pas tourner la page de Victoria non parce que ça me paraît impossible. On ne peut pas tourner la page ou oublier la femme avec qui on était censé se marier. Mais pouvoir ramener certaines de ses affaires chez moi et rendre les clés de ce box va me faire du bien. Surtout le fait d’avoir de nouveau des affaires d’elle avec moi. Parce que je n’avais rien gardé. Simplement une photo d’elle et moi, c’est bel et bien le seul souvenir que j’avais gardé d’elle. Je ne me sentais pas capable d’en avoir plus. Mais là c’est plus le sentiment contraire que je ressens. Je commence à me dire que j’ai envie d’avoir quelques souvenirs de Victoria chez moi. Voilà un nouveau pas en avant vers la fin de mon deuil je pense. Il m’en aura fallu du temps. Deux longues années. Mais chacun va à son rythme et même si j’ai bien avancé ces dernières semaines je ne pense pas non plus être tout à fait sorti d’affaire. J’ai encore du chemin à faire pour être complètement guéri. Comme permettre à ma sœur de garder ce sac. Je sais qu’il y a encore quelques semaines je n’en aurais pas été capable. « Je vais le garder, alors, merci. » Un demi-sourire se dessine sur mon visage alors que je tends la main pour lui donne ce fameux sac-à-main qu’elle part immédiatement poser à côté de la porte. « Je suis contente de pouvoir garder quelque chose qui me rappelle son souvenir. » Cette fois c’est un sourire triste qui reste plaqué sur mon visage le temps de quelques secondes. Au final je ne sais même pas comment Primrose a pris le décès de Victoria. Je sais qu’elles s’appréciaient plutôt bien. Mais j’étais moi tellement au fond du trou que je ne me suis pas préoccupé une seule seconde des autres personnes de son entourage. « Je suis content que tu puisses garder un souvenir d’elle. Si tu veux récupérer un ou deux autres trucs hésite pas. Évite juste les vêtements, là pour le coup ça me ferait trop…bizarre. » Je dis cette dernière phrase en grimaçant doucement. Elle peut prendre n’importe quoi en vrai sauf des vêtements de LV, je n’ai pas envie de vor ma petite sœur porter les habits de ma défunte fiancée. Ça par contre, je n’en suis pas capable.
Sans que je ne m’en rende vraiment compte nous voilà en train de parler du métier de Prim. Profession dont je ne suis pas franchement fan. En même temps quel mec sain d’esprit serait heureux de savoir et d’imaginer sa petite sœur exerçant le métier de stripteaseuse ? Ça serait beaucoup trop glauque. « Si elle n’avait pas été là, qu’est-ce que tu aurais fait ? » En voilà une bonne question. D’ailleurs je ne pensais pas qu’elle me demanderait ça un jour. En soit, je ne me suis jamais vraiment posé la question. J’aurais vraiment très mal réagi. C’était déjà le cas mais je veux dire, j’aurais encore moins bien réagi. « Je crois que sans elle j’aurais pu employer des mots que j’aurais fini par regretter. » Et je pense vraiment sincèrement que dans ce cas-là ma relation avec ma sœur aurait été irrécupérable. « J’étais en colère parce que je sais que tu mérites mieux, que tu es capable de faire autre chose pour gagner du fric. Si tu veux danser tu peux mais tu peux aussi garder tes vêtements pour faire ça. Et elle arrêtait pas de me dire que c’était ta vie pas la mienne et que je devais t’accepter comme tu étais et que je devais te laisser faire tes propres erreurs. Sauf que moi là-dessus j’étais pas d’accord avec elle parce que pour moi mon rôle de grand frère c’est aussi te protéger et te dire quand tu merdes. » Là par contre, je n’ose pas vraiment la regarder parce que je ne lui ai jamais dit tout ça et que j’ai peur de voir sa réaction. « Je sais que c’est un milieu qui t’oblige à ne pas avoir de bonnes fréquentations. Et je te le redis : tu mérites tellement mieux Primrose. J’ai l’impression qu’en faisant ça tu gâches ta vie et surtout ton avenir. » Voilà, maintenant c’est à elle de réagir à tout ça. J’ai pesé mes mots j’ai essayé de ne pas la blesser et j’espère que c’est réussi. J’espère aussi qu’elle va enfin comprendre mon point de vue et mon ressenti parce que moi je suis prêt à écoute sa réponse et je l’attends même. Vous devez peut-être vous dire que je dramatise beaucoup trop et que j’en fais toute une histoire alors que ce n’est pas vraiment utile. Et peut-être que vous avez raison d’ailleurs. C’est pour ça que j’ai hâte de voir ce qu’elle va me répondre. C’est la première fois qu’on en parle vraiment en expliquant à l’autre notre ressenti et je dois bien avouer que lui dire tout ça m’a vraiment fait du bien.
La conversation s’enchaîne sur un sujet qui n’est pas moins difficile. Elle me parle de Victoria et moi, du couple qu’on formait. Elle me dit que j’étais différent quand j’étais avec elle. C’est juste l’amour qui m’avait rendu comme ça. Et je sais qu’elle avait une bonne influence sur moi. « Bien sûr que tu l’aimais, ça se voyait. » Non je ne l’aimais pas. Je l’aime toujours. Et c’est peut-être bien ça le vrai fond du problème. J’ai du mal à l’oublier et c’est certainement pour ça que j’ai autant de mal à m’imaginer me remettre en couple avec une autre femme. J’ai encore l’impression d’être fiancé et donc de ne pas voir le droit de regarder une autre femme. Pourtant je ne le suis plus. Parce qu’elle est morte et qu’elle ne reviendra jamais. « J’étais un peu jalouse. » Étonné je me retourne vers elle pour la regarder. Je lui souris doucement. « T’avais pas à être jalouse. Tu finiras par trouver un mec dont tu tomberas amoureuse autant que moi j’aimais Victoria. Mais avant de t’engager avec n’importe qui tu dois me le présenter pour que je lui donne ma bénédiction. » Je lui dis ça en la pointant du doigt, le sourire aux lèvres. Je ne rigole qu’à moitié c’est bien ça le pire. Je ne sais pas si Prim est déjà tombée amoureuse mais dans tous les cas elle sait que je veux rencontrer son prochain petit ami afin de m’assurer qu’il ne s’agit pas d’un connard qui le fera souffrir. « J’espère qu’un jour, tu retrouveras goût à la vie et que tu t’autoriseras à être heureux, parce que toi tu n’es pas mort, t’as le droit de vivre. » Je baisse les yeux un court instant, entendre ma sœur me dire ça me fait quelque chose : « Toi tu n’es pas mort » Pendant longtemps je me disais que j’aurais peut-être dû mourir moi aussi. Sauf que je n’ai plus ce raisonnement. Nouvelle preuve pour montrer que je vais effectivement mieux. « Un jour, peut-être. Sûrement. Je pense que pour ça j’ai encore besoin d’un peu de temps. Je me sens pas encore vraiment prêt à rencontrer quelqu’un. » Je hausse les épaules. Il ne vaut mieux pas brûler des étapes. Il faut que j’aille à mon rythme et surtout que je ne me force pas pour me rendre compte que oui effectivement je suis allé trop vite. « Bien sûr que si je m’en fais pour toi. » Je ne veux vraiment pas qu’elle s’inquiète plus qu’elle ne le fait déjà. Je m’approche d’elle en la regardant. « Hey je t’assure, arrête de t’inquiéter pour moi. Je vais mieux. Ou du moins je commence à aller de mieux en mieux. » Mon ton se veut rassurant et j’espère qu’elle se rend compte que je vais effectivement de mieux en mieux. Je pense que ça se voit. On continue par la suite de notre côté à déballer des cartons et alors que je tombe sur des albums photos de nous deux, je sens Prim se rapprocher de moi. Revoir ses photos fait remontrer plusieurs sentiments différents : le bonheur, la mélancolie et la tristesse. Mais je sais que je vais avoir besoin et même vouloir regarder un peu plus en détails ces photos un peu plus tard, c’est pour ça que je décide de les garder. Alors que je m’apprête à ouvrir un autre carton, Prim m’arrête en me posant une question. « Ce sont des lettres ? Vous vous écriviez ? » Je m’approche d’elle et je sors quelques lettres pour pouvoir les regarder. Et je ne peux m’empêcher de rire doucement en lisant en diagonale l’une d’entre elle. « Ouais , la plupart d’entre elles c’est des lettres qu’on s’envoyait quand elle partait en France pour voir sa famille. » Je me tais quelques secondes avant de remettre les lettres dans le carton. . « Tu peux les mettre avec les albums photo, je vais les garder. » Je ne sais pas si les relire est une bonne idée, mais au cas où un jour j’en ressens le besoin au moins elles ne seront pas trop loin. Et de toute façon, je ne me vois pas jeter ça.
To the well-organized mind, death is but the next great adventure
Garder un souvenir de Victoria me fait plaisir, même si j’ai peur de mettre mon frère mal-à-l’aise en utilisant un cadeau que devait me faire sa fiancée alors qu’il n’a peut-être pas besoin que ses souvenirs soient ravivés à la moindre occasion. C’est bien la première fois que je pourrais me faire violence pour mettre quelque chose d’aussi beau de côté et ne pas servir en premier mes propres intérêts. Mon frère est le seul à réussir à faire ressortir mes bons côtés avant les pires, je suis différente avec lui. Malgré tout, devant son insistance, je finis tout de même par capituler, consentant à garder le sac même si je ne sais pas encore pour quelles occasions je pourrais bien vouloir le ressortir. Une chose est sûre, je ne pourrais pas l’utiliser au quotidien, je ne crois pas que ce soit une bonne idée. « Si on retrouve des photos de famille où on est tous ensemble, je crois que j’aimerais bien en avoir une. » Evidemment, il ne me viendrait pas du tout à l’idée de porter ses vêtements, même si elle avait été encore en vie d’ailleurs, c’était la fiancée de mon frère, pas ma meilleure amie et même si je l’appréciais bien et que nous étions relativement proches, je ne lui aurais jamais emprunté un jean et inversement non plus, d’ailleurs. La mort de Victoria n’a certainement pas eu le même impact sur moi que sur mon frère, mais elle était une belle-sœur formidable et je ressens son absence comme toute ma famille, j’imagine. Savoir qu’elle a aidé mon frère à surmonter l’annonce de mon métier ne me surprend donc pas tant que ça, au final, en revanche, j’admets être étonnée que le sujet soit abordé maintenant parce que je pensais que cet instant serait consacré à LV et à elle uniquement. Toutefois, je m’engouffre dans la brèche ouverte par mon frère parce que ça fait longtemps que nous aurions dû évoquer le sujet et qu’il faut mettre les choses au clair. « Bien sûr que tu as le droit de ne pas être d’accord avec ce que je fais, Caleb, je n’ai jamais prétendu le contraire. » Je ne changerais pas d’avis pour autant, parce que mon métier, je l’ai choisi et je n’irais pas jusqu’à dire que je l’aime mais de toute façon, c’est un choix sur lequel on peut difficilement revenir. Je me suis engagée dans tout ça, je n’ai pas d’autre choix que d’y rester à présent. « Je suis juste déçue de voir que tu me définis seulement en fonction de ça… J’ai l’impression que quand tu me regardes, tu me vois à poil en train de danser, on ne partage plus rien, on ne se parle plus, mais je suis toujours ta petite sœur. » Je comprends que je le déçois et qu’il ait envie de me faire la morale, j’entends parfaitement les remarques qu’il peut me faire, mais j’estime simplement que j’ai encore le droit de faire mes propres choix de vie. « Tu me manques. » J’avoue, dans un murmure, parce qu’exprimer mes sentiments a toujours été quelque chose de compliqué pour moi. Je sais qu’on se voit encore régulièrement, notamment chez nos parents, mais ce n’est plus pareil. « Si ça peut te rassurer, je sais que je suis capable de faire autre chose de ma vie et c’est bien mon objectif, mais je préfère faire ce boulot plutôt qu’un job étudiant qui me rapportera une misère. C’est provisoire. » Oh non, ça ne l’est pas du tout et je le sais, mais je n’ai tellement pas envie de le décevoir davantage.
Je ne suis pas un modèle à suivre et je ne revendique pas mes choix de vie comme étant les meilleurs. J’ai simplement trouvé ce qui était le mieux pour moi au moment où j’avais besoin d’argent et maintenant que je suis entrée là-dedans, j’ai découvert un monde dont on ne pouvait pas vraiment sortir ou alors en changeant radicalement de vie. Je n’en ai pas l’occasion pour le moment et je n’ai pas la volonté de le faire mais regagner l’amour de mon frère est réellement quelque chose d’important car j’ai toujours eu énormément d’admiration pour lui, autant que de jalousie d’ailleurs. Bien sûr, ça ne s’est pas amélioré avec l’arrivée de Victoria dans sa vie, il est passé du parfait ainé de la famille au couple rêvé et ça devenait dur pour moi de porter l’image du vilain petit canard de la famille. Bien sûr, je ne suis pas ravie que ses rêves se soient brisés, j’aurais préféré continuer à être dans son ombre mais ce sentiment de jalousie ne m’a jamais vraiment abandonnée finalement. « Je ne sais pas trop si c’est ce dont j’ai envie, en réalité, mais j’étais jalouse quand même parce qu’on dit toujours que les contes de fées n’existent pas et vous prouviez à tout le monde le contraire. » Il était ce fameux Prince Charmant dont rêvent toutes les petites filles qui ont regardé les dessins animés Disney ou écouté les histoires de château, de sorcière, de princesse et de valeureux chevalier. En plus, malgré le drame qu’il vient de vivre, j’ai l’impression que sa personnalité, à ce niveau-là, n’a absolument pas changée. Il aurait pu enchainer les filles, se mettre la tête à l’envers, faire du mal autour de lui pour extérioriser sa propre douleur. Il a préféré se noyer dans son travail et se couper du monde, je ne suis pas sûre que ça soit mieux, il a mis du temps à renouer avec tous ses proches mais aujourd’hui, je trouve qu’il s’en sort plutôt bien si on exclut le fait qu’il vit toujours un peu dans le passé, comme s’il attendait qu’on lui annonce que tout cela n’est qu’une vaste plaisanterie et que Victoria n’est pas morte, en réalité. « Par contre, tu m’excuseras, mais je me passerais de ta bénédiction, occupe-toi des jumelles plutôt, je crois que Candy sort avec un type étrange, tu devrais te méfier. » A dire vrai, je me fiche bien de savoir qui mes sœurs fréquentent mais mon frère a cet instinct de protecteur qui le pousse à connaitre toutes nos vies sur le bout des doigts de peur qu’on fasse complètement n’importe quoi. « Je pense que tu ne te sentiras jamais vraiment prêt, Caleb, mais tu devrais au moins essayer de lâcher prise et de laisser les gens venir à toi au lieu de les repousser. » Il est sur la réserve, voire carrément sur la défensive, parce qu’il estime ne pas être prêt ou parce qu’il pense devoir être fidèle à Victoria mais il a trente ans seulement et il ne peut pas faire une croix sur cet aspect-là de sa vie pour une personne qui n’en fera plus jamais partie à part dans ses souvenirs. « Tu peux dire ce que tu veux, on sait tous les deux que tu n’es pas fait pour vivre seul, t’as toujours voulu avoir une famille, tu serais malheureux si tu y renonçais. » Certes, c’est totalement injuste qu’il soit obligé d’affronter ça alors que son avenir heureux était tout tracé mais il n’a pas besoin de faire une croix sur le bonheur, il peut encore l’obtenir. « Je sais que tu vas mieux, ça se voit, mais t’as juste trouvé un moyen de mettre un pied devant l’autre, ça veut pas dire que tu profites de la vie. » Il sourit, il rit, il s’occupe de son restaurant, mais où sont passés ses projets de vie ? Est-ce qu’il se projette vers l’avenir ? Je connais les réponses à ses questions et c’est bien ça qui me dérange. L’ouverture d’un énième carton me plonge dans un aspect de leur vie privée que je ne connaissais pas et que je trouve vraiment touchant. Je ne pose toutefois pas davantage de questions et pose le carton sur la pile à conserver avant d’en ouvrir un nouveau. Cette fois, ce sont des tonnes d’accessoires pour cheveux, que je trouve et je brandis une brosse en direction de mon frère. « Je suppose que tu ne t’en serviras pas ? » Il vaut mieux les jeter, de toute façon, réutiliser les brosses de quelqu’un, ce n’est pas spécialement hygiénique. On avance bien mine de bien même si l’ambiance du box est toujours un peu lourde et que je ressens la tension de Caleb alors qu’il s’efforce de faire bonne figure. J’espère qu’on en aura vite fini avec tout ça.
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Je pense qu’au final j’arrive à m’en sortir pas si mal que ça pour la tâche difficile que je dois accomplir aujourd’hui. Même si le contenu de chaque carton me replonge dans des millions de souvenirs, j’arrive à garder la tête haute. Simplement parce que j’essaie de me dire que ce sont des bons souvenirs. Et c’est en partie pour ça que j’assure à ma sœur qu’elle peut garder le sac, je me sens capable de la voir avec sans que ça ne me fasse mal. Au contraire, c’était un cadeau qu’elle devait lui faire alors je pense qu’il est grand temps qu’elle puisse l’avoir pour en profiter. Je sais que LV et ma sœur s’entendaient très bien, mis j’ignore totalement comment Prim vit son absence. Après tout, LV a fait partie de ma vie pendant cinq ans quand je suis rentré de mon année en Europe je l’ai très vite présenté à ma famille. Je me souviens que mes parents m’avaient dit qu’elle était géniale et que j’avais plutôt intérêt à tout faire pour la garder. Et je les ai écoutés, j’ai tout fait pour la garder. Et j’avais plutôt réussi d’ailleurs puisque nous étions censés nous marier quelques mois après l’accident. « Si on retrouve des photos de famille où on est tous ensemble, je crois que j’aimerais bien en avoir une. » J’acquiesce d’un signe de tête. Si avoir une photo de famille où Victoria était présente peut lui faire plaisir alors moi ça me va. « On devrait pouvoir te trouver ça. » Je lui affirme, alors qu’un petit sourire se dessine sur mon visage. C’est un sourire assez triste et mélancolique, mais un sourire quand même. Il y a deux ans j’étais incapable de sourire en parlant de LV, c’est en ça que je me rends bien compte que oui, je vais mieux même si ce n’est pas toujours facile et même si je pense encore à elle tous les jours. Oui elle me manque encore mais de toute façon, je crois qu’elle me manquera toute ma vie il faut juste que je me fasse à cette idée-là. Et nous voilà maintenant en train de discuter du métier de ma sœur. Je ne sais même pas comment j’ai eu le courage de lui en parler, mais je l’ai fait. « Bien sûr que tu as le droit de ne pas être d’accord avec ce que je fais, Caleb, je n’ai jamais prétendu le contraire. » De toute façon je ne pourrais jamais être d’accord avec ce qu’elle fait, on ne peut pas trop m’en demander. J’ai toujours été protecteur envers mes trois sœurs, je ne pense pas qu’on puisse me le reprocher. Et puis je les laisse quand même vivre leur vie sans être pour autant intrusif. Je veux juste m’assurer que les personnes qui les entourent sont bienveillantes et je veux aussi être sûr qu’elles fassent les bons choix pour mener une vie heureuse et réussie, comme elles le méritent. Sauf que Prim fait tout l’inverse. Elle ne fait clairement pas les bons choix et je ne suis pas sûr qu’en étant stripteaseuse ses proches soient des personnes bienveillantes. « Je suis juste déçue de voir que tu me définis seulement en fonction de ça… J’ai l’impression que quand tu me regardes, tu me vois à poil en train de danser, on ne partage plus rien, on ne se parle plus, mais je suis toujours ta petite sœur. » C’est vrai elle a raison. On ne communique plus, on ne partage plus rien, quand on se voit on se comporte presque comme deux connaissances essayant tant bien que mal de connaitre l’autre un peu mieux sans savoir comment s’y prendre. « Mais justement c’est ça le problème, t’es ma petite sœur et j’aime pas t’imaginer faire ça. Pas seulement parce que tu mérites mieux mais aussi parce que j’aime pas le fait que des vieux porcs dégueulasses puissent te voir danser pour fantasmer. » Voilà mon côté grand frère protecteur. Je l’aime et je ne lui dis pas souvent –voire jamais en fait, je ne lui dis jamais – et je voudrais juste qu’elle essaie de comprendre mon point de vue. Moi j’essaie de comprendre le sien même si ce n’est franchement pas évident. « Tu me manques. » Cette phrase qu’elle vient de prononcer me brise le cœur. Comment est-ce qu’on en est arrivés là ? On se voit plus ou moins régulièrement mais pourtant j’ai l’impression de ne pas avoir passé du temps avec ma sœur depuis une éternité. Je baisse les yeux une seconde avant de la regarder à nouveau. « Tu me manques aussi... Vraiment beaucoup. » Et dire que nous étions si proches. Et je sais que si on s’est éloignés c’est en grande partie à cause de moi. Certainement parce que je ne suis pas assez ouvert d’esprit pour accepter que ma sœur exerce ce genre de profession. « Si ça peut te rassurer, je sais que je suis capable de faire autre chose de ma vie et c’est bien mon objectif, mais je préfère faire ce boulot plutôt qu’un job étudiant qui me rapportera une misère. C’est provisoire. » Je m’apprête à dire quelque chose que j’ai déjà dit au moins un million de fois, mais je le fais quand même. « Mais non, tu pourrais très bien venir travailler au restaurant en tant que serveuse ou peu importe. Et tu serais payée comme tout le monde, t’aurais pas un salaire misérable d’étudiant. » Je sais qu’elle n’aime pas quand je lui dis ça, mais tant pis.
Elle finit par me dire qu’elle été jalouse du couple que je formais avec LV, ce qui m’étonne beaucoup. Je n’en avais pas la moindre idée. Il n’y avait pas vraiment de quoi être jalouse en plus, on était un couple comme un autre. Enfin du moins c’est ce que je pensais. « Je ne sais pas trop si c’est ce dont j’ai envie, en réalité, mais j’étais jalouse quand même parce qu’on dit toujours que les contes de fées n’existent pas et vous prouviez à tout le monde le contraire. » Je souris à ses paroles. C’est bien la première fois qu’on me parle de nous en comparant notre histoire d’amour comme étant tout droit sortie d’un conte de fées. Et ses mots me touchent. « Un conte de fées ? » Je lui demande en riant doucement. « Elle en faisait une belle de princesse. Elle savait toujours comment me demander de lui rendre des services d’une manière à ce que je ne puisse pas refuser. » Ce souvenir me fait sourire, elle savait user de son charme et avec moi honnêtement ça fonctionnait tout le temps. Ou du moins presque. Elle savait toujours comment me demander les choses, les mots à employer pour me convaincre de telle ou telle chose. Elle me connaissait beaucoup trop bien sur tous les points. « Par contre, tu m’excuseras, mais je me passerais de ta bénédiction, occupe-toi des jumelles plutôt, je crois que Candy sort avec un type étrange, tu devrais te méfier. » J’arrête ce que je fais et je me retourne vers Primrose. Depuis quand notre petite sœur a un petit ami ? Non, elle est bien trop jeune pour ça. Bon en fait non, elle a complètement l’âge d’avoir un copain mais je ne m’étais pas préparé à ça. Je ne suis pas contre le fait qu’elle ait un copain, je veux juste être sûr que c’est un mec bien et qu’il la traite bien, c’est tout. «Quoi ? Elle a un copain ? Mais depuis quand ? Tu l’as déjà vu ? Il est gentil avec elle j’espère ? » C’est tout ce que je veux savoir, je veux juste m’assurer qu’il n’est pas une mauvaise fréquentation pour elle. Et pour ça que bombarde ma sœur de questions la pauvre, elle doit regretter de m’avoir livré cette information. « Je pense que tu ne te sentiras jamais vraiment prêt, Caleb, mais tu devrais au moins essayer de lâcher prise et de laisser les gens venir à toi au lieu de les repousser. » Peut-être qu’elle a raison et que je ne me sentirais jamais prêt à m’engager à nouveau dans une relation. Mais dans ce cas-là, comment est-ce qu’on fait ? « Bah tu vois, je m’étais même pas rendu compte que je repoussais les autres. » Je sais que tout de suite après sa mort oui, je repoussais tout le monde, mais je n’étais même pas conscient que je continuais. « Tu peux dire ce que tu veux, on sait tous les deux que tu n’es pas fait pour vivre seul, t’as toujours voulu avoir une famille, tu serais malheureux si tu y renonçais. Je sais que tu vas mieux, ça se voit, mais t’as juste trouvé un moyen de mettre un pied devant l’autre, ça veut pas dire que tu profites de la vie. » Ça me fait bizarre d’avoir cette conversation avec elle. Et surtout encore une fois, elle a raison. Oui j’ai toujours voulu une famille et je ne suis pas sûr de vouloir y renoncer. Mais moi je voulais que ça soit elle la mère de mes enfants, pas une autre. Juste elle. Je suis sûr qu’on aurait fait des magnifiques bébés franco-australiens. « Oui oui... » Je commence par dire, doucement. « Je veux encore toutes ces choses, je veux toujours une famille. C’est juste très dur de l’imaginer sans elle. Mais j’y renonce pas forcément. » Je hausse les épaules, et je reprends d’un ton qui se veut plus enthousiaste. « Mais je profite de la vie à ma manière ! Y a le restaurant qui fonctionne toujours aussi bien ! » Et j’en reviens encore et toujours au restaurant, c’est-à-dire que j’en reviens toujours à mon travail ce qui prouve au final que non, je ne profite pas vraiment de la vie. Je sais qu’elle n’a pas tort. Je pars de mon côté ouvrir un nouveau carton et je me retrouve nez-à-nez avec tout un tas de maquillage. Je ne savais pas qu’elle en avait autant. Ou du moins je ne me souviens plus parce que c’est bien moi qui ait mis tout ça dans les cartons. « Je suppose que tu ne t’en serviras pas ? » me demande-t-elle en me montrant une brosse à cheveux. Alors je lui réponds le plus sérieusement du monde. « Si je comptais me laisser pousser les cheveux, ça pourra me servir. » J’observe sa réaction juste quelques secondes avant de me mettre à rire. « Non mais je rigole t’en fais pas, je vais pas le laisser pousser les cheveux. Tu peux les jeter oui. » Je ne sais même pas d’où m’est venue cette petite blague, mais j’avais juste envie de la faire marcher un peu. À mon tour je sors du carton ce qui me semble être du fond de teint et des rouges à lèvres. « Au bout de deux ans ces trucs-là c’est périmé non ? » je lui demande. Parce qu’au final moi le maquillage je n’y connais vraiment rien du tout, même si je pense avoir une idée de sa réponse.
To the well-organized mind, death is but the next great adventure
Je n’accrocherais sans doute pas cette photo de famille dans mon salon, de peur qu’elle soit trop douloureuse à regarder pour mon frère et qu’elle nous ramène à un passé nettement plus radieux que notre présent. Toutefois, je serais contente de la conserver, de pouvoir la contempler lorsque j’en ressentirais le besoin, parce que sur ces clichés, nous avions tous l’air aussi heureux, comme si c’était finalement LV qui nous liait et nous donnait cet enthousiasme que nous avons perdu à présent, pour des raisons diverses et variées. Si Caleb a souffert de la perte de sa fiancée, je me rends compte également que notre famille a explosée ces deux dernières années, tout s’est malheureusement enchainé bien trop vite pour qu’on puisse enrayer le phénomène et nous en sommes là, à présent, à pleurer sur les morceaux cassés sans savoir comment les réparer. Parler de ma profession avec Caleb ne nous aidera sûrement pas, parce que nous ne parviendrons jamais à nous mettre d’accord, mais c’est un pas en avant et je veux réinstaurer ce dialogue qui semble si difficile entre nous. « Alors pourquoi tu l’imagines ? Je ne fais pas que ça, je continue mes études, je travaille beaucoup, je regarde toujours des séries Netflix quand j’ai le temps, je sors avec Romy ou avec mes copines… Il faudrait que je te présente Yoko, d’ailleurs, c’est ma meilleure amie, elle est super et… » Tout ceci n’est pas en lien avec mon métier, alors je me reprends, revenant au sujet principal. « Tout ce que je veux dire, c’est que ne suis pas devenue une danseuse, ce n’est qu’une activité parmi toutes celles que je fais, et je ne te forcerais jamais à en parler parce que je sais que ça te déplait. » Je ne vais pas lui raconter mes soirées avec les types dégueulasses dont il parle et encore moins lui dire que ces mêmes types ne se contentent pas de me regarder danser mais profitent parfois de moi après le show, parce qu’ils me donnent une poignée de billets que j’accepte avec plaisir car je sais que sans elle, mes dettes ne pourraient pas être réglés et mes goûts de luxe resteraient inassouvis. Tu me manques aussi. Evidemment, ses mots me touchent et j’ai envie de lui dire à quel point il compte pour moi, mais ce n’est pas quelque chose dont j’ai l’habitude, alors je reste muette, me contentant de chérir ses mots que j’ai si peu l’habitude d’entendre. Sa proposition de job me touche, évidemment, comme toujours, parce que je sais qu’il veut m’aider et j’aimerais accepter sa main tendue mais je ne le peux pas. « C’est vraiment un univers particulier, Caleb, et je ne pense pas que tu puisses me payer autant que ce que je gagne là-bas. » La prostitution, ça a au moins le mérite de bien payer. « Et je ne te le demande pas, d’ailleurs. » Jamais je n’irais réclamer à mon frère un salaire que je ne mérite pas pour pouvoir sortir de là. Son restaurant, c’est toute sa vie, je ne le mettrais pas sur la paille pour assouvir mes besoins de princesse. « J’aimerais juste que tu essaies de comprendre… Je ne peux pas tout quitter comme ça, ce n’est pas un milieu dont on part en donnant une simple lettre de démission. » Bien sûr que non, il ne peut pas comprendre, parce que je ne lui ai pas tout dit et que je ne compte pas le faire. Les non-dits continueront à planer parce que je ne peux pas assumer ce que je fais réellement et ça me désole, bien entendu.
Parler de mon frère n’est pas beaucoup plus simple que d’aborder ma propre vie et si le ton reste léger alors que nous abordons le conte de fées que représentait leur relation, je perçois également une certaine tristesse et beaucoup de nostalgie, de sa part comme de la mienne. « Et toi, tu faisais un prince fabuleux. » J’ajoute, désireuse de lui redonner la place qu’il ne semble pas vouloir obtenir dans cette histoire. Il met Victoria sur un piédestal ce que je peux totalement comprendre, mais lui aussi contribuait à la réussite de leur couple et de la plus belle des manières, en se montrant prévenant et à l’écoute, tout simplement. Parler des jumelles n’est probablement pas la meilleure idée que je puisse avoir, je ne pensais pas réellement inquiéter mon frère et je grimace légèrement face à son avalanche de question. « Je l’ai juste entendue en parler à Bailee, dimanche dernier, je ne l’ai jamais rencontré, je ne connais même pas son prénom, mais tu les connais, elles sont assez secrètes, toutes les deux. » Le stéréotype même des jumelles fusionnelles vivant dans une bulle dont elles ne sortent que rarement pour s’exprimer à d’autres personnes. J’exagère, je le sais, mais j’ai toujours souffert de voir mes sœurs être si proches l’une de l’autre sans que je puisse partager ça avec elles. Tout ce que je dois retenir c’et qu’elles vont bien ce qui n’est pas forcément le cas de mon frère malgré ce qu’il veut essayer de me faire croire. « Je me suis peut-être mal exprimée, je ne crois pas que tu repousses les autres, je pense simplement que tu t’arranges pour faire en sorte que personne ne prenne la place que tu veux encore conserver pour Victoria alors que tu sais qu’elle ne l’occupera plus jamais. » Je ne dis pas qu’il doit l’oublier, pas du tout, mais il va falloir qu’il arrête de considérer qu’elle était la seule et unique femme de sa vie car il n’arrivera jamais à y faire entrer une autre s’il raisonne de cette manière. Je sais, je n’ai perdu personne, j’ai donc sûrement tort de penser de cette manière mais je connais mon frère et je sais comment il fonctionne. « Et en dehors du restaurant, comment tu profites de la vie ? » Je lui pose cette question parce que je connais la réponse, je sais que le restaurant est toute sa vie, qu’il n’y a qu’à travers lui qu’il arrive à aller de l’avant. C’est ce que j’appelle se noyer dans le travail et non pas trouver le bonheur. L’ouverture d’un carton d’accessoires pour cheveux permet de détendre l’atmosphère et je grimace en entendant le projet de Caleb qu’il dément heureusement dans les secondes qui suivent. « Ouf, tu m’as fait peur, c’est immonde les cheveux longs sur un homme, par pitié ne fais jamais ça. » Mon point de vue est évidemment purement subjectif mais comme je suis sa sœur, j’estime avoir le droit de véto sur ces choses-là. S’il peut contrôler ma vie amoureuse, j’ai bien le droit d’avoir la main sur ses évolutions capillaires. « je crois que c’est trois ans pour tout ce qui n’a pas été ouvert et entre six mois et un an pour ce qui est déjà utilisé. » Je suppose, alors qu’il découvre un carton plein de maquillage. Victoria prenait soin d’elle, ça se voit. « Dans le doute, tu devrais peut-être t’en débarrasser. » Inutile de trier ce qui est neuf et ce qui est vieux alors que deux années se sont déjà écoulées. Pour ma part, je place mon carton du côté des affaires à jeter et je m’empresse d’en ouvrir encore un, découvrant un tas de vêtements que je trie un à un. Notre travail avance vite, finalement, et Caleb a l’air de relativement bien vivre cette journée éprouvante. Je suis fière de lui.
“To the well-organized mind, death is but the next great adventure.”
J’ai l’impression que depuis ces dernières années notre famille est complètement partie dans tous les sens. Il y a d’abord eu l’annonce du métier de ma sœur et puis quelques années plus tard la mort de LV qui n’a clairement pas arrangée les choses. Je ne comprends pas pourquoi Primrose a fait ce choix de carrière. Enfin j’espère que ce n’est pas vraiment un choix de carrière et qu’elle compte bien arrêter dès qu’elle le peut. Ma petite sœur est stripteaseuse. Elle sert de fantasme à ces hommes dégueulasses. C’est ça qui m’énerve et qui me dérange le plus. Je n’aime pas imaginer ça. Ma petite sœur traînant dans ce genre de milieu tout sauf recommandable. Je déteste ça, elle mérite mieux. Elle mérite tellement mieux. « Alors pourquoi tu l’imagines ? Je ne fais pas que ça, je continue mes études, je travaille beaucoup, je regarde toujours des séries Netflix quand j’ai le temps, je sors avec Romy ou avec mes copines… Il faudrait que je te présente Yoko, d’ailleurs, c’est ma meilleure amie, elle est super et… » Pourtant je le sais bien tout ça. Je sais qu’elle reste une jeune femme de vingt-quatre ans comme toutes les autres. Mais ça ne change rien. C’est son métier qui me dérange. Et le fait qu’elle continue des activités normales à côté de son travail ne change pas grand-chose à mon ressenti sur ses activités nocturnes. Mais je comprends ce qu’elle veut dire par là. Je ne la vois pas juste comme une stripteaseuse, je sais qu’elle pense ça mais c’est faux. Je la vois toujours comme ma petite sœur et c’est bien ça le problème. Ma petite sœur qui passe la plupart de ses soirées à danser à moitié nue devant des vieux procs dans le seul et unique but de les exciter. Je n’aime pas le fait que ces mecs puissent fantasmer sur ma sœur. C’est bien ça le vrai fond du problème. « Tout ce que je veux dire, c’est que ne suis pas devenue une danseuse, ce n’est qu’une activité parmi toutes celles que je fais, et je ne te forcerais jamais à en parler parce que je sais que ça te déplait. » Je la regarde un instant en restant muet. C’est bien la première fois que nous parlons tous les deux à cœur ouvert. C’est la toute première fois que j’essaie de lui expliquer ce qui me dérange dans son travail et j’ai beaucoup de mal à mettre des mots sur mon ressenti. « Je le sais tout ça Prim mais ça change rien. J’ai juste du mal à comprendre pourquoi tu fais tout ça. Si c’est pour l’argent tu peux trouver n’importe quel autre métier et t’auras aussi un salaire. Et certes ça sera certainement pas un métier très bien payé mais t’es sur le point de devenir avocate, ça paie bien ce boulot. Quand tu auras ton diplôme, quand tu seras installée dans un cabinet et que tu te sers fait une clientèle, tu vas faire quoi ? Tu vas être avocate le jour et stripteaseuse la nuit ? Et si tu tombes sur un client ou même un juge qui t’as déjà vu danser, tu penses pas que tu manqueras un peu de crédibilité à leurs yeux ? » Je dis ça d’un ton calme. Je ne veux pas qu’elle le prenne mal, j’essaie juste de comprendre et peut-être même de lui faire ouvrir les yeux. Elle fait un métier qui risque d’avoir un impact négatif sur sa future vraie vie professionnelle. Mais ça, elle le sait sûrement déjà et en lui disant tout ça je ne l’aide certainement pas… c’est pour ça que je lui ai déjà plusieurs fois proposé un travail dans mon restaurant. Elle sera bien payée et surtout, elle sera habillée. « C’est vraiment un univers particulier, Caleb, et je ne pense pas que tu puisses me payer autant que ce que je gagne là-bas. Et je ne te le demande pas, d’ailleurs. J’aimerais juste que tu essaies de comprendre… Je ne peux pas tout quitter comme ça, ce n’est pas un milieu dont on part en donnant une simple lettre de démission. » Oui et bien cet univers particulier je ne l’aime pas du tout. Même si je ne le connais pas plus que ça, je n’ai franchement pas envie d’en connaître davantage. J’essaie de comprendre Prim, je t’assure. Mais je n’y arrive vraiment pas. « Alors tu vas faire comment pour démissionner ? » Je lui demande. Je suis presque sûr qu’elle ne le sait pas elle-même. « Tu vois, c’est ça le truc Prim. Je m’inquiète juste pour toi. Parce que comme tu l’as déjà, t’es ma petite sœur et tu t’es engagée dans quelque chose que tu maîtrises pas et je peux rien faire pour t’aider. » Lui dire tout ça me fait du bien. J’essaie de comprendre, mais moi aussi j’aimerais qu’elle essaie de me comprendre elle. Je m’inquiète pour ma petite sœur, parce que je l’aime. Mais cette dernière information je la garde pour moi.
C’est une journée difficile. Que ce soit pour la conversation de l’avenir de ma sœur ou même sur le mien. Mon avenir sans LV. « Et toi, tu faisais un prince fabuleux. » Je souris doucement. J’aime le fait qu’elle compare notre histoire d’amour à un conte de fées. Par contre ce que j’aime un peu moins c’est apprendre que Candy a apparemment un petit ami. C’est très certainement son premier copain, elle va donc vivre son premier chagrin d’amour. Tant qu’elle est heureuse et que ce mec la traite bien, qu’il la respecte moi ça me va. C’est tout ce que je demande pour mes sœurs. Qu’elles rencontrent toutes les trois un garçon qui les aime à leur juste valeur, qui les traite comme une princesse et qui la respecte. Si le garçon rempli tous ces critères, j’approuve cette relation. « Je l’ai juste entendue en parler à Bailee, dimanche dernier, je ne l’ai jamais rencontré, je ne connais même pas son prénom, mais tu les connais, elles sont assez secrètes, toutes les deux. » Il est vrai que les jumelles sont très fusionnelles toutes les deux. Elles se confient beaucoup l’une à l’autre et impossible de leur soutirer des informations. « Tout ce que j’espère c’est que c’est un mec bien qui la fera pas souffrir. » J’ai envie de lui dire que j’espère qu’elle aussi elle va rencontrer un homme qui sera capable de la rendre heureuse. Elle le mérite. Et elle a vingt-quatre ans et je ne l’ai jamais entendu parler d’un garçon qui pourrait lui plaire. Peut-être qu’elle est homosexuelle qui sait ? Si c’est le cas en soit moi je m’en fiche et ça ne change rien. Dans ce cas je voudrais juste qu’elle trouve une fille qui puisse la rendre heureuse. Quoiqu’elle a eu apparemment un petit crush pour Clément, donc en fait non elle est certainement hétéro. Mais pourquoi je pense à ça moi ? Heureusement qu’elle me sort de mes pensées étranges en reprenant la parole. « Je me suis peut-être mal exprimée, je ne crois pas que tu repousses les autres, je pense simplement que tu t’arranges pour faire en sorte que personne ne prenne la place que tu veux encore conserver pour Victoria alors que tu sais qu’elle ne l’occupera plus jamais. » Entendre toutes ces choses dites à voix haute ça me fait bizarre. C’est étrange. En grande partie parce qu’elle a raison sur toute la ligne depuis le début. Je refuse de laisser Victoria dans un coin de ma tête pour laisser la place libre à quelqu’un d’autre. « Mais c’est parce que... » Je cherche mes mots quelques secondes. « Aucune femme pourra jamais la remplacer tu vois. Je dis pas que je suis sûr de ne plus jamais laisser aucune autre entrer dans ma vie, mais…elle pourra pas la remplacer c’est impossible. » Je ne sais pas si je m’exprime bien ni même si elle va réussir à comprendre ce que je veux dire. Et elle a aussi raison quand elle me dit que je ne profite plus de la vie depuis deux ans. Je ne vis qu’au travers de mon restaurant, ça a été mon échappatoire quand j’en avais besoin. Mais je sais que maintenant il est temps que je m’en détache. Mais j’ai un peu peur que le retour à la réalité soit difficile et que je ressente un peu trop l’absence de LV. « Et en dehors du restaurant, comment tu profites de la vie ? » Elle m’a encore eu. Je la regarde quelques secondes avant de me racler la gorge, je baisse les yeux et je ne lui réponds pas me plongeant dans un nouveau carton. À quoi bon lui répondre quand je sais pertinemment qu’elle connait la réponse à sa question. Primrose me demande si elle peut jeter les accessoires de cheveux de Victoria et comme tentative pour détendre l’atmosphère j’essaie de lui faire croire que je comptais me laisser pousser les cheveux et que par conséquent je voulais conserver ce qu’il y avait dans ce carton. « Ouf, tu m’as fait peur, c’est immonde les cheveux longs sur un homme, par pitié ne fais jamais ça. » Je ris doucement, non jamais de ma vie je me laisserais pousser les cheveux, elle peut se rassurer tout de suite. « C’est pas dans mes plans non. Victoria détestait ça aussi les cheveux longs chez un mec. » Et un soir on avait d’ailleurs eu une longue conversation à ce sujet, je m’en souviens comme si c’était hier. À mon tour j’ouvre un nouveau carton dans lequel se trouve du maquillage, de plein d’autres produits de beauté en tout genre. Je ne sais pas si je peux les donner alors je demande à ma sœur si elle pense que les produits sont périmés. Elle me répond qu’il est plus sage de les jeter parce qu’elle n’est pas sûr qu’ils soient encore utilisables. J’acquiesce d’un signe de tête et je les mets dans la pile à jeter. On avance doucement mais sûrement. J’en ouvre un nouveau qui est rempli de plein d’objets en tout genre, rien de bien intéressant. Jusqu’à ce que je tombe sur sa bague de fiançailles. Ça, ça me refroidit tout de suite. Je me raidis et je la regarde, ne sachant pas quoi en faire.
To the well-organized mind, death is but the next great adventure
J’ai l’impression que quoi que nous puissions avancer comme argument, nous tournerons toujours en rond lorsqu’il s’agira de mon métier. Caleb désapprouve – sûrement à juste titre – et ne parvient pas ne serait-ce qu’à tolérer mon activité professionnelle. J’essaie de plus expliquer que je suis toujours la même, que je ne me définis pas en fonction de ce que je fais et que ça n’aurait rien dû changer entre nous, mais j’ai conscience que ce n’est pas aussi facile. Je comprends sincèrement les arguments de mon frère et je ne crois pas pouvoir démentir quoi que ce soit parce qu’il a tout simplement raison, mais il ne connait pas tout, et c’est pour ça que je ne peux pas vraiment prendre en compte son opinion. J’aimerais vraiment lui en dire plus, lui expliquer dans quoi je me suis embarquée mais je sais pertinemment que je ne peux pas me le permettre. « Au départ, j’ai choisi ce métier parce que j’avais besoin de trouver de l’argent rapidement pour payer l’université. » Je n’avais aucune qualification et un simple boulot de serveuse n’aurait pas été suffisant pour payer à la fois les frais liés à mes études et mes goûts de luxe sur lesquels je n’étais pas prête à faire un trait. Le problème, c’est que ça non plus, je ne peux pas vraiment lui expliquer, je ne suis pas sûre que Caleb comprenne qu’un sac Gucci soit plus important que ma dignité. C’est pourtant le cas. « Une fois que tu as choisi la facilité, ce n’est pas si facile d’y renoncer, je gagne bien ma vie, j’ai un patron qui accepte d’établir mes plannings en fonction de mon emploi du temps à la fac, et les clients laissent de bons pourboires. » Une fois de plus, la réalité est un peu enjolivée, mon patron a de la considération pour moi seulement parce que j’ai fini par avoir un portefeuille client plutôt conséquent et que celui-ci fait de moi une de ses filles populaires. Au départ, il ne connaissait pas mon prénom, il n’en avait absolument rien à faire que je sois étudiante, je devais respecter les horaires et faire plaisir aux clients. Maintenant, j’ai pris du galon et mon quotidien est devenu un peu plus facile. Malgré tout, je comprends les interrogations de Caleb et je suis déçue de e pas pouvoir y répondre, mais pour cela il faudrait que je lui donne la partie de l’histoire qu’il ne connait pas. « Je ne sais pas trop ce qu’il se passera lorsque j’aurais mon diplôme, c’est dans un moment, alors je crois que j’ai le temps d’y réfléchir. Je sais bien que je ne pourrais pas être stripteaseuse et avocate, je n’en ai même pas envie. Pour le moment, je n’ai pas terminé mon cursus, j’y réfléchirais quand ce sera le cas. » Oui, je repousse l’échéance et c’est stupide mais c’est plus fort que moi. Je sais que le problème auquel je vais devoir me confronter va être difficile à résoudre alors autant faire en sorte qu’il se pose le plus tard possible. « J’arriverais à démissionner quand le moment sera venu, ne t’inquiètes pas. » Il a de quoi s’inquiéter pourtant, mais je me voile la face, c’est ce que je fais de mieux.
Caleb a raison il ne peut pas m’aider et je ne peux pas non plus, malheureusement alors que j’aimerais tant y arriver. Je vois bien que malgré tout ce qu’il peut dire, il souffre encore de son bonheur brisé. Il a fait son deuil, ou plutôt il accepté la mort de Victoria et ça lui a permis de venir aujourd’hui pour s’occuper de ces cartons mais, malgré tout, il n’est pas encore prêt à s’autoriser à être pleinement heureux et à reconstruire sa vie différemment. Il ne peut pas faire sa vie avec un fantôme, les souvenirs qu’il a de Victoria ne deviendront jamais une réalité, à présent et se raccrocher au passé est une erreur. Pourtant, je sais que c’est évidemment facile de le dire et à penser mais absolument pas simple à mettre en application. Mon frère a envie d’être heureux, bien sûr, et s’il avait trouvé la solution miracle pour l’être de nouveau, il le serait aujourd’hui, j’en suis certaine. Je ne peux pas lui faire la leçon comme à un enfant qui refuse de manger ses haricots, tout cela est bien plus compliqué et je ne veux pas minimiser ce qu’il traverse. Malgré tout, je peux tout de même lui faire remarquer qu’il met sa vie entre parenthèses et que pendant ce temps, les années continuent à défiler et l’éloignent de son projet initial. Il s’intéresse davantage aux autres qu’à sa propre vie et je le soupçonne de jouer de son côté protecteur pour pouvoir se concentrer sur ses proches plutôt que sur son quotidien peut-être un peu trop terne par rapport à ce qu’il aurait souhaité. C’est sans doute pour cette raison qu’il s’intéresse autant au nouveau copain de notre sœur et j’essaie de le rassurer sur ce point. Candlynn est une grande fille et si jamais elle doit avoir le cœur brisé, elle s’en remettra, comme tout le monde. « Si c’est le cas, on sera là pour courir derrière elle avec une boite de mouchoirs, mais on ne peut pas la protéger de tout. » Il faudrait sans doute l’enfermer à la cave pour l’empêcher de rencontrer des personnes qui pourraient potentiellement lui faire du mal, autant dire que ce n’est pas du tout envisageable. Je pense que ma sœur se tournera facilement vers sa jumelle fusionnelle si jamais ça ne va pas, je ne suis pas inquiète pour elle. Elles ont toujours vécu dans une bulle dans laquelle personne n’avait sa place, je pense qu’elle n’aura aucun mal à y retourner si elle se rend compte que le monde extérieur ne lui apporte pas autant de bonheur qu’elle l’imagine. Ce n’est peut-être pas le plus sain, mais au moins ça la préservera d’une éventuelle souffrance. A dire vrai, je me fais plus de souci pour mon frère que pour les deux cadettes de la famille. « Je sais bien que Victoria est irremplaçable, mais si tu considères qu’elle est de toute façon bien mieux que toutes les femmes que tu pourras rencontrer à l’avenir, tu n’arriveras plus jamais à te projeter dans une relation. » Est-ce qu’il pourrait arriver à ne pas comparer les éventuelles femmes qui croiseront sa route à celle qui a partagé sa vie ? Victoria est morte en lui laissant une image de parfaite future épouse et je me doute que personne ne pourra l’égaler, j’aimerais juste qu’il arrive à faire la part des choses. Je ne suis pas sûre d’être très clair quand je lui explique tout ça, alors je me remets à la tâche, prête à ranger encore davantage de cartons avant que ce box puisse être rendu et que cette page se tourne définitivement pour mon frère. « Elle a toujours eu bon goût. » Une femme qui n’aime pas les hommes aux cheveux longs est forcément quelqu’un de bien, mais je n’avais aucun doute à ce sujet. L’ex-fiancée de mon frère était fabuleuse et elle manque à énormément de gens à lui et encore plus à Caleb. Je continue à ranger les cartons lorsque je remarque qu’il s’est totalement immobilisé. En m’approchant de lui, je remarque évidemment la bague qu’il tient dans sa main et je m’arrête à mon tour. « Oh. » Je ne suis pas trop sûre de ce que je dois dire ou faire, je ne suis même pas certaine d’avoir ma place dans ce moment de nostalgie. « Tu veux la garder ? » Cette bague fait peut-être remonter trop de souvenirs pour lui, mais je me doute bien qu’il ne voudrait pour rien au monde que quelqu’un la porte à la place de son ex-fiancée. S’en débarrasser doit être également douloureux. C’est une décision compliquée.