“To the well-organized mind, death is but the next great adventure.”
Mon plus gros problème c’est que j’ai vraiment du mal à comprendre pourquoi Primrose a choisi de faire ce métier. Elle me dit qu’au début c’était pour l’argent, d’accord je peux le concevoir. Mais je le dis pour au moins la centième fois, il y a tellement d’autres moyens de gagner de l’argent. Faire un travail comme toutes les autres étudiantes de son âge comme par exemple travailler dans un fast food ou juste un restaurant, dans un magasin…enfin je sais pas moi. N’importe quel travail qui lui permettrait de rester habillée. Ça aurait été beaucoup mieux. Mais non elle a choisi stripteaseuse. Et d’ailleurs comment est-ce que cette idée lui est arrivée à la tête ? C’est une amie qui lui en a parlé ? Si oui cette amie en question n’est clairement pas à remercier, voilà la merde dans laquelle elle nous a foutu. « Au départ, j’ai choisi ce métier parce que j’avais besoin de trouver de l’argent rapidement pour payer l’université. » L’argent encore et toujours on y revient toujours. Ça me désespère. J’ai failli lui dire qu’elle aurait dû trouver un autre travail, mais je me tais. Parce que je lui ai déjà dit une dizaine de fois et me répéter n’a aucun intérêt. Elle sait ce que j’en pense. Elle sait que si un jour elle quitte ce travail et qu’elle a toujours besoin d’argent pour ses cours, elle peut venir me voir et je lui donne un job. Tout ça elle en est parfaitement consciente. « Une fois que tu as choisi la facilité, ce n’est pas si facile d’y renoncer, je gagne bien ma vie, j’ai un patron qui accepte d’établir mes plannings en fonction de mon emploi du temps à la fac, et les clients laissent de bons pourboires. » Je ferme les yeux tout en prenant une profonde inspiration quand elle mentionne ses clients. Les clients laissent de bons pourboires. Bien Primrose. C’est très bien, non mais vraiment je suis super content que tu préfères avoir un bon salaire facilement qui en plus, te permet de gagner de bons pourboires et un patron super sympa qui prend en compte ton planning à la fac. À l’entendre parler on a presque l’impression qu’elle aime ce qu’elle fait. C’est hallucinant. « Si tout ça te convient écoute… de toute façon j’ai pas mon mot à dire, c’est ta vie pas la mienne. » Malheureusement je n’ai mon mot à dire pourtant j’aimerais bien qu’elle prenne mon opinion et mes conseils et remarques en compte, sauf que ce n’est pas le cas. « Je ne sais pas trop ce qu’il se passera lorsque j’aurais mon diplôme, c’est dans un moment, alors je crois que j’ai le temps d’y réfléchir. Je sais bien que je ne pourrais pas être stripteaseuse et avocate, je n’en ai même pas envie. Pour le moment, je n’ai pas terminé mon cursus, j’y réfléchirais quand ce sera le cas. » Si justement démissionner dans ce milieu c’est si difficile elle devrait déjà commencer à y réfléchir non ? Même si ce n’est pas pour tout de suite. « Tu devrais pas attendre la dernière minute pour y réfléchir.» Je me contente de dire ça, sans aller plus loin parce que de toute façon je pense qu’on ne parviendra jamais à se mettre d’accord à ce sujet-là. « J’arriverais à démissionner quand le moment sera venu, ne t’inquiètes pas. » Je me retourne pour la regarder un instant. « Bien sûr que si je m’inquiète. Je m’inquièterai tout le temps pour toi, t’es ma petite sœur. » Et m’inquiéter pour elle fait aussi partie de mon rôle de grand frère. « Et sache que je te vois pas simplement comme une stripteaseuse. À mes yeux tu resteras toujours ma sœur. » Je pense tout de même que cette conversation fera le plus grand bien à notre relation, on avait besoin de se dire toutes ces choses même si elles ne sont pas forcément faciles à entendre.
Apparemment Candlynn a un petit-ami. Je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter un peu pour elle et d’espérer qu’elle est tombée sur un garçon bien, et qu’il ne la plaquera pas du jour au lendemain sans aucune explication. Pourtant des peines de cœur, elle en aura c’est sûr on passe tous par-là. Mais je n’aime juste pas l’idée de me dire que mes sœurs sont susceptibles de se faire briser le cœur par un pauvre gars qui ne se rendra pas compte qu’elles sont géniales. « Si c’est le cas, on sera là pour courir derrière elle avec une boite de mouchoirs, mais on ne peut pas la protéger de tout. » Elle a raison. Et ce sont bien souvent les déceptions qui nous forgent et qui nous rendent plus forts. J’espère que Prim elle aussi finira par rencontrer un garçon qui puisse la rendre heureuse, parce qu’elle le mérite tellement. Enfin avant moi je veux quand même le rencontrer avant pour me faire une idée du gars en question. Que je l’aime ou pas, ça n’a aucune espèce d’importance pour elle, je le comprends c’est normal. Mais c’est certainement pour me rassurer moi-même. « Je sais bien que Victoria est irremplaçable, mais si tu considères qu’elle est de toute façon bien mieux que toutes les femmes que tu pourras rencontrer à l’avenir, tu n’arriveras plus jamais à te projeter dans une relation. » Ça par contre, c’est plus facile à dire qu’à faire. Après est-ce que j’ai déjà essayé de rencontrer une femme depuis la mort de LV ? La réponse est très simple : non. Je ne pensais même pas à la possibilité de me remettre avec quelqu’un d’autre. « Je sais… et j’essaie je t’assure. Mais c’est vraiment pas facile. » C’est faux. Je n’essaie pas vraiment d’aller de l’avant en rencontrant une nouvelle femme qui pourrait potentiellement me plaire. « Mais après en toute objectivité, il y a très peu de femmes qui pourraient lui arriver à la cheville. Elle était vraiment parfaite. » Ce que je viens de dire prouve clairement que je ne suis pas vraiment passé à autre chose, mais en même temps je le pense. LV était la femme parfaite pour moi et à mes yeux. Mais puisque je l’ai tué je suis obligé d’apprendre à vivre sans elle. Et c’est un challenge que je tente de relever tous les jours. « Elle a toujours eu bon goût. » J’acquiesce ses paroles d’un signe de tête. Oui et il n’y a qu’à regarder tous les vêtements que nous avons triés pour se rendre compte que c’était une femme de goût. Et c’est en ouvrant un énième carton que je tombe sur sa bague de fiançailles. C’est bien l’objet dont je me serais bien passé de revoir. Je ne sais pas quoi en faire, alors je la regarde comme un con sans bouger. Je sens ma sœur s’approcher de moi et sa voix me fait redescendre sur terre. « Oh. Tu veux la garder ? » Je la regarde, et puis je reporte mon attention sur le bijou. Cette bague m’avait coûtée une putain de fortune. Tout ça pour ça. « Je sais pas. » Je lui réponds dans un premier temps. « J’ai pas envie de la jeter mais en même temps je vois pas ce que je pourrais en faire. » Ce qui est sûr c’est que je ne pourrais plus l’utiliser. Même si dans un futur tout à fait hypothétique je venais à me fiancer à nouveau, je ne pourrais pas faire ma demande avec la même bague. « Je crois que je vais la garder et la ranger quelque part dans un tiroir. Ou un truc dans le genre. » Ouais ça me semble plutôt bien ça. « T’en penses quoi ? » Je lui demande ça comme si j’avais besoin de son avis pour prendre ma décision. Je quitte enfin la bague des yeux pour regarder à nouveau ma sœur. Je suis vraiment content qu’elle soit là. Sans elle je m’en sortirais vraiment pas aujourd’hui. Je déballe par la suite un nouveau carton, à nouveau rempli de vêtements. « Je m’étais jamais rendu compte qu’elle avait autant de vêtements. » Je dis, en lâchant un petit rire. Et puis je sors chaque vêtements pour vérifier leur état et savoir dans quelle pille je vais pouvoir les ranger.
To the well-organized mind, death is but the next great adventure
Je vois bien que Caleb n’est pas convaincu par mes propos mais je crois que je ne suis pas moi-même convaincue par mes propres paroles alors il est évident que je n’arriverais jamais à les lui faire entendre. En plus, je crois que quoi qu’il arrive, même si j’arrivais avec un argumentaire digne des plus grandes plaidoiries, je n’arriverais pas à lui sortir de la tête que striptease signifie petite tenue avec des hommes qui scrutent les moindres parcelles de peau laissées nues. Il n’a pas tort, il faut bien le reconnaitre et le pire c’est que ce n’est que le dessus de l’iceberg, la partie immergée est encore bien plus sordide. Je me demande ce qu’il se passerait s’il apprenait la vérité alors qu’il n’est déjà pas prêt à encaisser la partie la plus facile de mon métier. Je crois que je devrais porter toute ma vie le poids de ce secret parce qu’il ne sera jamais capable d’accepter que ce soit encore pire que ce qu’il a pu envisager. Je crois que j’aurais aimé pouvoir me libérer de tout ça à un moment ou à un autre. Il m’est difficile de devoir constamment jouer sur deux tableaux, de donner le change pour éviter d’être repérée et d’être tout le temps en train de mentir que ce soit à mes collègues, à mes professeurs, à mes camarades d’université ou encore à ma propre famille. Pourtant, c’est exactement ce que je fais et ce, depuis de bien trop longues années et ça risque de perdurer encore un moment. « Ton opinion compte pour moi. » C’est le cas, réellement, et c’est pour cette raison que le sentiment de culpabilité qui m’habite n’en est que plus fort. Malgré tout, la situation dans laquelle je me trouve ne me permet pas de tout faire pour que mon frère soit fier de moi et convaincu par mes choix car je ne peux plus revenir en arrière. « C’est plus compliqué que tu ne le crois et je ne peux pas tout t’expliquer, mais je vais m’en sortir. Je te le promets. » Encore une promesse qui sonne faux parce que j’ignore si je pourrais réellement la tenir un jour ou même si j’en aurais envie. Je veux simplement pouvoir de nouveau lire autre chose que du dégoût dans les yeux de Caleb parce que c’est ce que j’ai l’impression de voir à chaque fois qu’il me regarde et j’ai horreur de ça. « Je suis touchée que tu t’inquiètes pour moi, mais je veux que tu restes en dehors de ça, tu me le promets ? » Si Caleb devait s’impliquer, d’une façon ou d’une autre, dans cet univers aux codes particuliers et à la mentalité spéciale, je ne suis pas sûre qu’il en ressorte indemne et je veux à tout prix éviter de lui infliger ça. Ma vie est compliquée mais je me suis embarquée dans tout ça toute seule et je m’en sortirais par moi-même sans qu’il ait besoin d’intervenir. De toute façon, même s’il décidait de m’aider, je ne suis pas sûre qu’il puisse faire quoi que ce soit à part se mettre bêtement en danger alors mieux vaut qu’il s’abstienne.
Malgré tout, Caleb reste mon grand-frère et même si je dois le tenir à l’écart de certains aspects de ma vie, il reste essentiel pour moi et je ne peux que comprendre qu’il se fasse du souci à mon sujet parce que moi je m’en fais pour lui. Il n’arrive pas à tourner réellement la page bien qu’il essaie de me faire croire le contraire et je ne sais pas vraiment comment l’aider. [color=#cc66ff]« Personne n’est vraiment parfait, Caleb et si tu rencontres une autre femme un jour, elle sera simplement différente de Victoria, pas mieux, ni moins bien. « J’imagine que le fait qu’elle t’a été enlevée au moment où vous étiez les plus heureux fait que tu as tendance à l’idéaliser et je le comprends très bien. Elle est sans doute la femme de ta vie et elle en fera toujours partie, mais tu as encore plein de belles choses à vivre et j’espère sincèrement que tu trouveras quelqu’un avec qui les partager. » Je persiste à croire que mon frère n’est pas fait pour rester célibataire. Caleb est doué pour les relations amoureuses et c’est assez rare parmi les jeunes de notre génération pour être souligné. Il peut rendre une femme heureuse et je suis sûre que la vie de couple le rend heureux également, il n’est juste pas encore capable de se projeter dans un avenir différent de celui qu’il avait projeté avec Victoria. J’espère qu’un jour, il se rendra compte qu’il a le droit à cette deuxième vie et qu’elle sera tout aussi belle que celle qui se dessinait devant lui sans pour autant qu’il renie cette dernière. Cette bague qu’il vient de trouver prouve encore une fois son attachement dont il essaie de se défaire progressivement mais qu’il n’arrive tout de même pas à mettre de côté ce qui est compréhensible. J’admets ne pas savoir mieux que lui ce qu’il convient de faire mais je ne suis pas certaine que la conserver chez lui serait le meilleur moyen de passer à autre chose. « Tu crois vraiment que c’est une bonne idée de l’avoir dans ton appartement ? » Tomber dessus à chaque fois qu’il ouvrira le fameux tiroir serait gênant, qu’une future compagne tombe dessus par hasard serait encore plus gênant et je doute fort que cette solution soit la meilleure à envisager, de toute façon. « Tu ne pourrais pas envisager de la mettre dans un endroit sûr chez nos parents ? Ils appréciaient énormément Victoria et ils savent ce que tu traverses, je suis sûre qu’ils seraient heureux de la garder parmi les bijoux de famille parce qu’elle en fera toujours partie. » Si ça peut lui permettre d’éviter de tomber dessus constamment, ce serait quand même préférable. « Je t’aurais bien proposé de la garder, mais j’aurais trop peur de la perdre. » Mon appartement n’est pas le lieu le plus sûr au monde et je ne suis pas sûre d’être capable de contrôler mes pulsions dépensières en ayant un objet de valeur aussi proche de moi. Je préfère nettement qu’il se tourne vers nos parents, ils seront ravis de faire ça pour lui. Les cartons avancent bien malgré les pauses effectuées pour laisser à mon frère le temps de digérer tout ça et j’ouvre également un carton de vêtement à mon tour. « Je trouve que ça va encore, tu devrais voir ma penderie. » Raison pour laquelle je suis tombée dans le monde de la nuit, malheureusement, mais je reste fière de la jolie collection que j’ai réussi à créer. « Elle avait du goût en plus. » Le joli pull en cashmere que je tiens dans mes mains en atteste et il fera un heureux, j’en suis certaine.
“To the well-organized mind, death is but the next great adventure.”
J’aimerais me réveiller un matin et me rendre compte que tout ça n’a été qu’un horrible rêve. Que ma sœur n’ait en fait jamais été stripteaseuse, que ma fiancée n’est jamais morte et qu’elle est finalement devenue ma femme. Je vous assure que je donnerais tout ce que je peux pour ça. Sauf que ça n’arrivera pas et je pense qu’il est vraiment temps que je me remette à vivre à nouveau dans la réalité. Je sais qu’il m’aura fallu du temps pour m’en rendre compte, mais mieux vaut tard que jamais. Pour la première fois depuis des années, Primrose et moi nous nous parlons à cœur ouvert, je lui explique ce que je ressens, ce qui me dérange le plus dans son métier. Enfin « métier » …désolé mais j’ai encore beaucoup de mal à considérer cette activité comme une véritable profession. C’est si peu ambitieux. J’ai envie de la prendre dans mes bras de lui dire que je l’aime et que quoiqu’elle fasse je l’aimerai toujours et qu’elle restera ma petite sœur adorée. J’ai envie de lui dire qu’elle compte pour moi, qu’elle reste l’une des personnes les plus importantes dans ma vie et que je serais prêt à n’importe quoi pour elle. Parce que tout ça c’est vrai. Primrose, c’est ma sœur, je l’aime et je ne sais même pas si elle le sait. Je ne lui ai jamais dit, je suis assez pudique sur mes sentiments j’ai beaucoup de mal à les exprimer. Alors je me contente à le faire comprendre en général. Et ça fonctionne plutôt bien. Sauf avec elle, je ne sais pas si je suis très doué pour lui montrer mon attachement à elle. Je ne sais pas pourquoi c’est plus compliqué avec elle qu’avec d’autre. Parce que c’est Prim, tout simplement. Notre relation a toujours été compliquée et je pense qu’elle le sera tout le temps. « Ton opinion compte pour moi. » Ça me touche ce qu’elle me dit. Peut-être que ça peut vous sembler tout simple ou comme une phrase futile sans importance mais ça ne l’est pas. Mon opinion compte pour elle. Son opinion a de la valeur à mes yeux aussi. Sûrement l’une des raisons pour laquelle je lui ai demandé de venir avec moi aujourd’hui pour cette tâche ingrate. « C’est plus compliqué que tu ne le crois et je ne peux pas tout t’expliquer, mais je vais m’en sortir. Je te le promets. » J’ouvre la bouche, je suis prêt à lui demander pourquoi elle ne pourrait pas tout m’expliquer mais je me rétracte. Je la sens sincère quand elle me dit ça, elle ne me ment pas j’en suis sûr. « Je suis touchée que tu t’inquiètes pour moi, mais je veux que tu restes en dehors de ça, tu me le promets ? » Une nouvelle fois, je la sens sincère. Je la regarde sans rien dire pendant un instant et puis je reprends la parole. « Moi je veux que tu me promettes que si un jour t’es vraiment dans la merde et que t’as besoin d’aide, tu viendras me voir. Je suis ton frère et je veux que tu saches que tu peux compter sur moi. Pour n’importe quoi. » Si un soir elle m’appelle à deux heures du matin pour me demander de l’aider à cacher un corps, je le ferais.
La conversation ne continue pas sur un ton plus léger. Elle me parler de LV, je lui dis qu’elle était parfaite et c’est vrai elle l’était. Je sais très bien que l’amour que je ressens pour elle m’a obligé à fermer les yeux sur ses défauts. Enfin…l’amour que je ressentais pour elle plutôt. Au fond c’est sûrement ça mon problème je l’aime encore. Je suis toujours amoureux d’une morte. Super. « Personne n’est vraiment parfait, Caleb et si tu rencontres une autre femme un jour, elle sera simplement différente de Victoria, pas mieux, ni moins bien. J’imagine que le fait qu’elle t’a été enlevée au moment où vous étiez les plus heureux fait que tu as tendance à l’idéaliser et je le comprends très bien. Elle est sans doute la femme de ta vie et elle en fera toujours partie, mais tu as encore plein de belles choses à vivre et j’espère sincèrement que tu trouveras quelqu’un avec qui les partager. » À voir si j’ai envie de trouver quelqu’un avec qui partager ma vie. Quelqu’un qui n’est pas Victoria. Là-dessus je suis encore mitigé. « Le pire c’est que je sais que t’as raison Prim. » Je sais que j’ai tort de penser comme ça, que je ne devrais pas la mettre autant sur un piédestal. J’aimerais tant être fort et avoir déjà réussi à refaire ma vie sauf que je ne le suis absolument pas. « Je sais que tout le monde a raison en me disant que je dois arrêter de vivre dans le passé et qu’il faut que je me remette à vivre pour moi. Sauf que c’est vraiment dur. » Lui dire cette dernière phrase n’a vraiment pas été facile pour moi. Je crois que c’est la première fois que je dis ces mots-là à voix haute. Et la première fois que j’arrive à me confier autant à ma sœur. À la mort de LV elle a certes été très présente pour moi, mais je ne me confiais à personne à ce moment-là. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai fini par péter un câble je pense, j’accumulais beaucoup trop de sentiments et j’avais besoin d’évacuer tout ça. Comme si la situation n’était pas assez pénible comme ça en défaisant un nouveau carton je tombe sur la bague de fiançailles. Sa bague. Je ne sais pas quoi en faire. Je reste là, à la regarder sans savoir quoi dire ni même quoi faire. Heureusement que ma sœur est là pour me faire redescendre sur terre quand j’en ai besoin. « Tu crois vraiment que c’est une bonne idée de l’avoir dans ton appartement ? » J’en ai pas la moindre idée. Je hausse les épaules. « J’en sais rien. Je peux pas la jeter en tout cas... » C’est sûr. C’est un bijou qui a beaucoup trop de valeur à mes yeux, il est symbolique pour moi. Et mettre cette bague dans les pile des choses à jeter me semble vraiment impossible. « Tu ne pourrais pas envisager de la mettre dans un endroit sûr chez nos parents ? Ils appréciaient énormément Victoria et ils savent ce que tu traverses, je suis sûre qu’ils seraient heureux de la garder parmi les bijoux de famille parce qu’elle en fera toujours partie. Je t’aurais bien proposé de la garder, mais j’aurais trop peur de la perdre. » J’aime son idée. Ma sœur a vraiment des supers idées, j’ai vraiment de la chance de l’avoir et je suis vraiment content qu’elle ait accepté de m’accompagner aujourd’hui. Elle avait sûrement mieux à faire. «C’est pas une mauvaise idée. Je vais faire ça je pense. » J’ai l’impression qu’aujourd’hui je suis dans l’incapacité totale de prendre des bonnes décisions. « Merci. » C’est certainement la centième fois de la journée que je la remercie. Je mets la bague dans la poche arrière de mon jeans et je prends un autre carton que j’ouvre pour découvrir encore un certain nombre de vêtements. « Je trouve que ça va encore, tu devrais voir ma penderie. » Sa réflexion m’arrache un rire sincère. « Je sais pas comment tu fais pour ranger tous tes vêtements dans ton petit studio. » Je jette un coup d’œil au box qui se vide de plus en plus, on est plutôt efficaces tous les deux on s’en sort assez bien et je pose mon regard sur le pull que ma sœur tient entre ses mains en m’assurant qu’elle avait du goût. Oui et en plus elle l’adorait, ce pull. J’ouvre un nouveau carton contenant plusieurs albums. « Y a des chances que t’aimes Ed Sheeran, Taylor Swift ou Justin Bieber ? » Je lui demande en sortant plusieurs albums du carton pour lui montrer. Si ça peut lui faire plaisir, autant qu’elle les prenne. Elle et moi on avait pas vraiment les mêmes goûts musicaux.
To the well-organized mind, death is but the next great adventure
Cette conversation est beaucoup trop sérieuse et en temps normal j’aurais tout fait pour la fuir mais ça fait bien trop longtemps que Caleb et moi devons nous ouvrir davantage, notre relation est en train de s’effriter inexorablement sans que nous prenions la peine de faire quoi que ce soit pour rattraper le coup. Parler et exprimer notre ressenti n’est certainement pas notre point fort et je suis malgré tout ravie que nous arrivions à échanger sans que ça tourne au drame ou que ce moment devienne l’un des plus gênants de toute ma vie. A dire vrai, il y a encore des tonnes et des tonnes de choses que j’aimerais dire à mon frère, il est extrêmement important pour moi et je sais bien que je ne l’exprime pas assez parce que dans la famille, nous avons toujours été très pudiques lorsqu’il s’agissait de sentiments et que je n’ai tout simplement jamais réussi à sortir de cette habitude de tout garder pour moi. Malgré tout, j’ai l’impression que nous avons réussi à avancer aujourd’hui car même si Caleb n’apprécie toujours pas mon métier et ne l’appréciera sans doute jamais, d’ailleurs, je crois qu’il se sent prêt à faire en sorte que nous ne nous perdions pas de vue une fois de plus parce qu’il n’est pas capable de tolérer mon activité professionnelle. Quant à moi, je sais qu’il va me falloir faire en sorte de rester discrète sur le sujet mais pas trop pour éviter qu’il pense que je ne lui fais pas confiance. Ce n’est pas du tout le cas, en plus, il est certainement l’une des personnes en qui j’ai le plus confiance, mais je ne veux pas lui attirer des ennuis, il a déjà eu son lot de problèmes et il n’a pas à supporter les miens. Mon frère a mis sa vie entre parenthèses ces derniers temps tout simplement parce qu’il ne devait plus vraiment avoir envie de la vivre et je ne veux pas qu’il fasse l’erreur de s’oublier de nouveau au profit de ses proches. Je m’en sors toujours, de toute façon, je m’en sortirais cette fois encore, en tout cas, je l’espère fortement. « Je te le promets. » Je suis parfaitement sincère. Je sais que je peux compter sur lui, je m’abstiens simplement de l’appeler à chaque fois que j’ai un problème parce que je sais pertinemment qu’il volerait à mon secours sans la moindre hésitation et je ne veux pas le mettre dans une position désagréable. « J’ai toujours su que je pouvais compter sur toi, je n’ai juste jamais eu envie de t’imposer les conséquences de mes choix. » Je crois que je n’ai jamais été aussi honnête avec mon frère qu’aujourd’hui concernant mon métier et je suis surprise de me rendre compte que ça me fait du bien. « Et puis, c’est bien que j’apprenne à me débrouiller seule. Quand on était petits, tu volais tout le temps à mon secours et c’était adorable mais je crois que j’ai pris l’habitude de me reposer sur toi. En arrivant à l’internat, je me suis sentie tellement perdue, j’ai mis beaucoup de temps à m’habituer à la solitude. » Certes, je n’étais pas vraiment seule à l’internat mais il n’y avait pas mon frère et ses précieux conseils, ça change la donne.
Malgré toute notre bonne volonté, l’ambiance reste un peu tendue et ce ne sont pas uniquement les cartons pleins de souvenirs qui rendent cette matinée un peu désagréable mais bien les sujets de conversation qui l’accompagnent. Après avoir évoqué mon avenir un peu incertain, c’est forcément à celui de Caleb que l’on s’attaque et évidemment, il ne me faut pas plus de trois minutes pour réussir à pointer du doigt les différentes plaies encore béantes de mon frère. Je déteste me sentir aussi impuissante face à toute cette souffrance et à toutes les incertitudes qu’il a accumulées durant ces deux longues années. J’aimerais pouvoir l’aider à traverser tout ça, j’aimerais trouver les bons mots pour réussir à le sortir de ces souvenirs qu’il n’est pas prêt à laisser de côté, j’aimerais pouvoir lui expliquer que ce n’est pas trahir Victoria que de s’autoriser à aller de l’avant. J’ai essayé, j’ai vraiment essayé, mais je crois que personne ne peut rien faire pour lui, en réalité et que s’il reste bloqué dans cette inconfortable position c’est tout simplement qu’il n’est pas vraiment prêt, encore, à aller de l’avant. J’en suis désolée, vraiment, je déteste le voir gâcher toutes ces années parce qu’il préfère vivre aux côtés d’un fantôme plutôt que de profiter de la vie qu’il a eu la chance de conserver, lui. Caleb n’est plus que l’ombre de lui-même depuis cet accident et je commence à désespérer de pouvoir un jour retrouver mon frère. Pourtant, il me donne raison, il a donc parfaitement conscience de la situation mais ça ne suffit pas pour provoquer un déclic chez lui. « Peut-être qu’on est tous des gros nuls et qu’on ne devrait pas te dire ce que tu dois faire ou ne pas faire. » Je rétorque, consciente que mes arguments ne sont pas les meilleurs quand je parle à Caleb du futur qui l’attend, mais je crois qu’il sait que je fais de mon mieux pour lui venir en aide. « Je crois qu’on sait tous que ça ne peut venir que de toi et personne ne veut te mettre la pression, on a juste tellement envie de te voir heureux de nouveau qu’on te pousse sans le vouloir. » Le fait d’avoir l’impression d’être épié par sa propre famille qui attend qu’il retombe absolument dans les bras d’une autre femme ne doit vraiment pas être simple pour lui. J’ai l’impression que quoi qu’on dise, rien ne peut l’aider de toute façon. « Tu as tout à fait le droit de prendre ton temps, c’est ta vie après tout, et tu as le droit de la vivre de la manière que tu as choisi, j’espère simplement que tu ne te réveilleras pas un matin en te rendant compte de toutes ces belles années qui se sont envolées. » Ses rêves et ses projets sont partis avec Victoria, mais il peut encore en construire d’autres et j’espère qu’il le fera. Le fait qu’il accepte de laisser la bague de fiançailles de la jeune femme chez nos parents prouve qu’il peut faire des pas en avant malgré tout et je suis très fière de lui. « Arrête de me remercier tout le temps, c’est normal, je suis là pour t’aider. » Et je suis encore une fois extrêmement touchée qu’il ait fait appel à moi pour l’aider à surmonter cette épreuve. Nous avançons rapidement et le box commence déjà à ressembler à quelque chose ce qui est un soulagement pour moi et qui doit l’être encore plus pour lui. Nous continuons à déballer des cartons et alors que je range encore d’autres vêtements, mon frère déniche une preuve des goûts musicaux douteux de la jeune femme. « Bof, je pense que tu peux les donner, ça fera des heureux. » Mais pas moi, pas du tout, même. « Finalement, tu viens de me donner la preuve qu’elle avait des défauts. » Je suis mauvaise langue mais je m’en fiche, toute plaisanterie est bonne pour tenter d’alléger une atmosphère qui promet de rester un peu pesante jusqu’à la fermeture définitive de ce box.
“To the well-organized mind, death is but the next great adventure.”
J’ai l’impression que cette journée va nous faire du bien à ma sœur et moi, à notre relation. Je l’aime. Elle fait partie des personnes que j’aime le plus sur cette terre, vraiment. Mais depuis plusieurs années on s’est éloignés, et j’ai même quelque fois la sensation qu’on se comporte comme si on était des étrangers tous les deux. Ce qui est horrible. Parce que Primrose c’est ma sœur et quand on était petits on était beaucoup plus proches que ça. J’étais son grand frère protecteur qui cherchait à l’aider au moindre obstacle qu’elle rencontrait. Peut-être que j’étais trop sur son dos au final. Et aujourd’hui c’est tout l’inverse. Pourtant je suis toujours prêt à tout pour l’aider et je ferais réellement n’importe quoi pour elle. Mais j’ai l’impression qu’on vit dans un monde totalement différent elle et moi mais ça ne veut pas pour autant dire qu’on ne peut pas retrouver cette complicité qu’on avait autrefois. Parce qu’au fond, Prim et moi on a toujours été différents l’un de l’autre c’est pas quelque chose de nouveau ça. Mais je veux qu’elle sache que malgré tout ça, si un jour elle a besoin d’aide pour quoique ce soit je serais toujours là pour elle. Je veux juste m’assurer qu’elle en a conscience et qu’elle n’hésitera pas à faire appel à moi si elle en a besoin. « Je te le promets. » Sa présence aide à rendre cette journée beaucoup moins désagréable. Non seulement elle m’aide à prendre des décisions que j’aurais été incapable de prendre seul, mais des conversations à cœur ouvert on en a eu très peu elle et moi. Et ça me fait réellement du bien. « J’ai toujours su que je pouvais compter sur toi, je n’ai juste jamais eu envie de t’imposer les conséquences de mes choix. Et puis, c’est bien que j’apprenne à me débrouiller seule. Quand on était petits, tu volais tout le temps à mon secours et c’était adorable mais je crois que j’ai pris l’habitude de me reposer sur toi. En arrivant à l’internat, je me suis sentie tellement perdue, j’ai mis beaucoup de temps à m’habituer à la solitude. » Je comprends tout à fait sa volonté de vouloir se détacher un peu de moi. Et puis de toute façon dans la vie pour avancer il peut qu’on apprenne de ses propres erreurs et il est temps que j’accepte que je ne pourrais pas toujours être là pour sauver ma sœur. « Je comprends. Mais sache que même aujourd’hui si un jour t’en as vraiment besoin, je volerais à ton secours quoiqu’il arrive. » Parce que t’es ma petite sœur chérie et que je t’aime. C’est dingue pourquoi dans notre famille on est incapable de montrer la moindre marque d’affection ? J’aurais pu lui dire ça, mais je me tais et je garde cette phrase dans un coin dans ma tête.
Et la conversation qui suit est encore plus désagréable pour moi. Bien évidemment qu’on finit par parler de LV. On est ici pour trier ses affaires après tout alors logique que la conversation finisse par dévier sur elle. Même si je vais déjà bien mieux qu’il y a encore quelques mois je suis loin d’être sorti d’affaire. Elle me manque. Encore tous les jours et je donnerais tout ce que j’ai pour pouvoir la revoir une dernière fois. Pour pouvoir la voir sourire, entendre son rire, pour l’embrasser juste une dernière fois. Elle me manque. Je la veux à mes côtés. Encore. Il y a encore et toujours cette douleur constante qui est là dans ma poitrine à chaque fois qu’on me parle d’elle. Même si elle s’atténue petit à petit elle est toujours là. Pourtant j’essaye de la faire partir. Mais je n’y arrive pas. Je me sens nul. Nul de ne pas parvenir à passer au-dessus de tout ça. Je devrais y arriver pourtant. Il est temps. C’est ce que tout le monde me dit. Mais c’est bien plus facile à dire qu’à faire. « Peut-être qu’on est tous des gros nuls et qu’on ne devrait pas te dire ce que tu dois faire ou ne pas faire. » Je secoue la tête. S’il y a un nul dans l’histoire c’est clairement moi. « Non dis pas ça, je me suis juste mal exprimé. » De toute façon personne ne peut m’aider à surmonter cette peine. Je suis seul dans mon désespoir et c’est à moi de réussir à m’en sortir tout seul. « Je crois qu’on sait tous que ça ne peut venir que de toi et personne ne veut te mettre la pression, on a juste tellement envie de te voir heureux de nouveau qu’on te pousse sans le vouloir. » Je le sais. Je sais que tout ça part d’une bonne intention c’est pour ça que je ne peux pas leur en vouloir. Mais à force de me dire que je dois me bouger et penser à vivre pour moi, j’ai l’impression qu’ils me foutent un gros coup de pression à chaque fois. Même si ce n’est pas leur but principal. Et pourtant… Ils ne peuvent rien faire d’autre de toute façon, comme elle me l’a dit, ça ne peut venir que de moi. « Tu as tout à fait le droit de prendre ton temps, c’est ta vie après tout, et tu as le droit de la vivre de la manière que tu as choisi, j’espère simplement que tu ne te réveilleras pas un matin en te rendant compte de toutes ces belles années qui se sont envolées. » Si c’est le cas je ne pourrais en vouloir qu’à moi-même n’est-ce pas ? J’écoute ses mots avec attention tout en continuant le tri pénible de chaque carton. « Ça n’arrivera pas, t’en fais pas. » En soit je lui dis ça, mais je n’en sais rien. Peut-être que dans un an je vais avoir ce fameux déclic et je vais regretter d’avoir mis autant de temps à me réveiller. Je ne peux pas contrôler ça. Peut-être que je pourrais faire plus d’effort pour aller de l’avant c’est vrai. Mais le problème c’est que je n’en ai pas envie. On avance doucement mais sûrement, et le box commence à bien se vider. « Bof, je pense que tu peux les donner, ça fera des heureux. Finalement, tu viens de me donner la preuve qu’elle avait des défauts. » Je souris doucement et je pars ranger ce carton avec ceux qui seront à donner. « Ouais je sais, elle avait des goûts musicaux douteux. J’arrêtais pas de lui dire. » Je lui avoue en riant un peu. Chose que j’étais incapable de faire il y a encore quelques mois. Rire en parlant de LV, en évoquant son souvenir. Peut-être que c’est la preuve que je commence vraiment à aller mieux. Et on continue le tri des cartons pendant encore une bonne heure. Heureusement qu’elle est venue avec moi sinon je ne m’en serais jamais sorti tout seul et j’y aurais passé beaucoup plus de temps. Une fois le box vide je l’invite à aller manger dans le restaurant de son choix. Juste elle et moi, pour nous permettre d’encore mieux nous retrouver. On a passé un super moment et à ce moment-là, j’ai presque eu l’impression de retrouver ma petite sœur.