Raelyn & Primrose

Subir les coups d’individus mal intentionnés n’est pas une première pour moi, j’imagine que ce sont les risques du métier. Sous l’effet de l’alcool, de la drogue ou simplement parce qu’ils en ont envie, certains hommes peuvent devenir incontrôlables, violents, et laissent s’exprimer des pulsions qu’ils se refusent à extérioriser dans le cadre de leur vie comédienne. Des coups, j’en ai pris, des dizaines, des centaines mêmes, mais à chaque fois, je réussissais à me dire que ce n’était pas grave, qu’ils s’agissaient de cas isolés, que je ne les reverrais sans doute jamais et que de toute façon, j’avais besoin de cet argent. En plus, parfois, par culpabilité ou par peur d’être dénoncés, ils me donnaient un peu plus et même si ce dédommagement n’était sans doute pas suffisant au regard de la manière dont ils m’avaient traitée, je parvenais à m’en satisfaire, certainement parce que je n’avais de toute façon pas d’autre choix. Cette fois, c’est différent, la confrontation avec John n’était pas une sorte de jeu sexuel malsain, c’était un règlement de comptes, parce que j’ai eu le courage ou la folie, de parler, parce que pour la première fois depuis que je fais ce métier, j’ai eu envie de faire les choses bien, parce que j’ai certainement empêché une femme de se donner corps et âmes à un homme qui ne méritait que la solitude. Ce n’était pas mon rôle, je suis sortie des fonctions qui m’avaient été attribué, sans me rendre compte des conséquences de mes actes, sans mesurer l’effet boule de neige qui pouvait survenir par la suite. Je crois que je ne le mesure toujours pas, d’ailleurs, je suis debout dans la rue, la tête toujours ensanglantée, le dos plaqué contre cette voiture choisie au hasard, à ne pas trop savoir ce que je dois penser ou faire. Le fait que je vais peut-être perdre mon travail, avoir de gros ennuis et que ma vie tout entière risque d’être bouleversée par un petit aveu qui, à mon sens, n’aurait dû avoir de conséquences que dans le couple que je visais, me parait encore lointain et surréaliste. Je n’ai pas les idées claires, je n’arrive pas à aligner deux penser cohérente et encore moins des actions. Rester ici est une mauvaise idée, rentrer chez moi me parait insurmontable, retourner au club serait certainement ce que je pourrais faire de pire. Et le videur ? Je l’ai vu sans le voir, nous n’avons pas échangé ne serait-ce qu’un regard. C’est la deuxième fois qu’on me vient en aide, la seconde fois que des mains s’abattent sur un connard essayant de me faire du mal. Je devrais sans doute me poser des questions.

Pour le moment, je suis incapable de penser correctement et je mets de longues secondes à trouver comment agir et me sortir de ce mauvais pas. C’est finalement mon téléphone que j’attrape pour chercher la seule personne qui m’a fait comprendre que j’étais spéciale, celle qui m’a tendu la main pour que je la rejoigne, celle qui m’a incitée à la choisir au détriment des autres, celle que je crois assez forte pour n’être jamais inquiétée de rien. J’ignore si elle serait prête à voler à mon secours ce soir, ou dans un tout autre contexte mais c’est elle la première personne qui me vient à l’esprit et qui me parait suffisamment fiable pour que je tente le coup. Il est hors de question que ma famille se retrouve mêlée à ça, je me suis toujours jurée de les tenir à l’écart et c’est ce que je ferais. Finalement, je réalise parfaitement que Raelyn est non seulement mon premier choix, mais également le seul choix possible pour moi. Lorsqu’elle décroche, je me rends compte que ma voix est faible, tremblante, à l’image des émotions que je n’arrive pas à contenir, mélange de peur, de doute, et de tout ce par quoi je suis passée alors que John serrait encore et encore ses mains autour de mon cou. « J’ai besoin de ton aide. » Je souffle, espérant qu’elle n’éclate pas de rire, qu’elle ne me raccroche pas au nez, ou pire, m’insulte en me disant que j’ai tout gâché et que si j’en suis là aujourd’hui, c’est parce que je le mérite. La dernière fois que nous nous sommes vues, j’ai refusé sa main tendue, j’étais droite et fière, je me croyais invincible. Moins d’une semaine plus tard, je me retrouve dans une position de faiblesse nécessitant qu’elle me porte assistance, elle aurait toutes les raisons du monde de refuser. Elle n’en fait rien cependant et je réponds à ses questions sans trop réfléchir, la laissant prendre les commandes de cette conversation non maitrisée durant laquelle chaque mot est plus difficile à prononcer que celui d’avant. Il faut certainement que je me reprenne mais j’en suis véritablement incapable. Pourtant, j’arrive à lui dire ce qu’elle veut savoir, je lui explique où je suis, ce que je vois autour de moi, je crois même que je la supplie de venir me chercher. Lorsque le bip, m’indiquant que la conversation téléphonique est terminée, retentit, je me souviens à peine de tout ce que je lui ai dit, les souvenirs refusent de s’imprimer dans mon cerveau complètement obnubilé par la violence dont j’ai été à la fois spectatrice et victime parce que je l’ai provoquée. Je n’ai qu’une seule certitude, elle va venir, et moi, je ne dois surtout pas bouger d’ici.

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Raelyn & Primrose

Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé avant que j’aperçoive Raelyn qui se dirige vers moi. A dire vrai, je suis surprise de la voir, pourtant, je n’ai pas bougé de l’endroit où je me trouvais lorsque je l’ai appelée, comme si j’étais finalement persuadée qu’elle allait venir. J’ai l’impression d’être la gamine qui s’est égarée dans un supermarché et pour qui le responsable de rayon est obligé d’appeler sa mère après lui avoir répété de ne surtout pas bouger, je te jure que ta maman va arriver et si tu arrêtes de pleurer, tu auras même une sucette. Il y a quelques mois, jamais je n’aurais pu envisager appeler Raelyn en étant dans la merde, parce qu’elle m’impressionnait beaucoup trop, parce que je la jugeais sans cœur, parce que je croyais que rien d’autre ne l’intéressait à part servir ses propres intérêts. Il a fallu que je perde toute la drogue qui m’a été confiée pour la distribuer à l’université pour que nous ayons enfin une conversation qui m’a semblé un peu moins basée sur un rapport de force très inégal dans lequel je me trouvais être plutôt très en-dessous. Je ne sais pas si j’ai réussi à vraiment la cerner ce jour-là, je n’en suis pas persuadée, mais je me suis au moins rendu compte qu’elle avait des failles – que je n’ai pas réussi à identifier – et ça m’a suffi pour lui redonner l’humanité qu’elle n’avait jamais vraiment eu dans mon esprit. C’est sans doute pour ça que j’ai attendu son arrivée, ma raison étant persuadée que je me trompais sur le fait qu’elle puisse vraiment me venir en aide alors que mon subconscient, lui, voulait y croire. Ce dernier a eu raison et j’en éprouve un mince soulagement qui ne parvient tout de même pas à couvrir le traumatisme que je viens de vivre et la sensation d’avoir encore les mains de John serrées autour de mon cou. J’ai presque du mal à croire que j’ai encore la chance de respirer. J’ai vraiment cru que j’allais mourir, j’ai vu ma vie défiler et j’ai dû soutenir le regard plein de haine de l’homme qui envisageait m’ôter la vie par pure colère d’avoir vu son couple s’effondrer juste parce que j’ai trop ouvert ma bouche. Je devrais sans doute le dénoncer, j’aurais peut-être dû dire ou faire quelque chose au lieu de m’enfuir, mais pour le moment, tout ce dont je suis capable c’est de trembler comme une feuille, attendant Raelyn comme si elle était la personne susceptible d’avoir toutes les réponses à mes questions.

L’admiration que j’ai toujours éprouvée pour elle me pousse aujourd’hui à me reposer entièrement sur son opinion et son jugement parce que je ne suis pas capable de réfléchir calmement. Pourtant, la dernière fois que nous nous sommes vues, je me suis montrée méfiante, sur la défensive, j’ai écouté ses arguments sans que ces derniers parviennent parfaitement à me convaincre. Pourtant, ce soir, je remets entièrement mon sort entre ses mains parce que je suis persuadée de ne pas être capable de me prendre en charge moi-même et le pire c’est que je n’ai même pas la sensation de l’avoir choisie parce que je ne pouvais me fier à personne d’autre mais bel et bien parce que je lui fais confiance. Si j’avais été capable d’avoir une véritable réflexion, cette idée m’aurait sûrement fait peur mais pour le coup, je l’accueille comme une fatalité et ça ne me dérange pas plus que ça. Elle a l’air surprise de mon état et je me demande quelle tronche je dois avoir pour que la grande Raelyn Blackwell ait une telle inquiète dans la voix. J’essaie de répondre à sa première question mais j’ai la gorge nouée et les mots ne parviennent pas à sortir. En plus, il faut bien l’admettre, je ne sais pas réellement ce qu’il s’est passé, j’ai été dépassée tellement vite par les événements que je n’ai rien vu venir. Ma décision de révéler les agissements de John à sa copine, son arrivée au club, sa colère, ma provocation qui n’a servi qu’à la faire grandir davantage, la violence dont il a fait preuve, ses mains autour de mon cou… Tout ça me parait vraiment surréaliste, comme si ça n’était jamais vraiment arrivé, finalement. Raelyn se baisse pour se mettre à ma hauteur et son regard se plante dans le mien. Je déglutis. « Un client. » Je souffle, donnant une justification qui n’en est pas une, réfléchissant à la suite de l’explication que je pourrais fournir tout en essayant de contrôler le tremblement de mes mains sans parvenir à gérer ni l’un, ni l’autre. « Il était furieux contre moi et j’ai… » Qu’est-ce que j’ai vraiment fait, en réalité, pour mériter qu’il tente de me tuer ? J’ai peut-être détruit son couple mais ça ne méritait pas qu’il me tue, malgré tout. « J’ai mal réagi, je l’ai provoqué, je pensais pas qu’il allait s’en prendre à moi, je croyais qu’il voulait juste m’impressionner. » Mon explication n’a pas vraiment de sens, en tout cas elle n’en aura sûrement pas pour Raelyn, mais c’est tout ce dont je suis capable actuellement. Tout est affreusement embrouillé dans ma tête, je veux juste partir loin d’ici, le plus vite possible. « Je veux pas rester ici. » Je redeviens la petite fille apeurée et je n’arrive même pas à m’en vouloir, ou en tout cas, pas pour le moment.

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Raelyn & Primrose

La Raelyn que je croyais connaitre ne se serait jamais accroupie à côté de moi pour me demander calmement ce qui venait de se passer, elle n’aurait pas non plus posé sa main sur mon épaule en un geste rassurant, presque maternel, m’aidant – peut-être même sans le savoir – à me reconnecter avec une réalité qui me semble si lointaine alors que je m’enferme dans cette spirale de panique qui m’a assaillie au moment où John a serré ses mains autour de mon cou. Elle me prouve encore une fois que la connais mal, que je n’ai jamais réussi à la cerner ou à la comprendre et je n’y parviendrais sans doute jamais et c’est ce qui la rend aussi impressionnante à mes yeux. A aucun moment elle ne s’énerve contre moi ni ne hausse le ton, elle a l’air d’essayer de comprendre et malgré mon discours décousu, je n’ai le droit à aucune réflexion cinglante de sa part. Je ne sais pas ce qui l’oblige à agir avec autant de gentillesse avec moi, ou plutôt ce qui lui en donne envie parce que finalement, elle n’est obligée de rien, elle fait ses propres choix, personne ne l’y pousse. Lorsqu’elle se redresse, lâchant mon épaule pour fouiller dans son sac-à-main, je suis presque tentée de la retenir, de lui dire de ne pas partir, parce que sa présence est rassurante et apaisante et que j’ai vraiment besoin qu’elle reste à mes côtés. Mais je me fais violence, Raelyn est ma patronne, pas ma maman, si elle est venue ce soir, c’est parce qu’elle a besoin que je sois en état de travailler pour elle, pas pour me couvrir de son affection et de son amour. Je me félicite d’avoir eu les idées assez claires pour réaliser ça et je ne fais pas le moindre mouvement et ne prononce pas le moindre mot alors qu’elle sort son téléphone de son sac pour passer un coup de fil, appelant probablement son chauffeur pour qu’il vienne nous chercher. Lorsqu’elle s’accroupit de nouveau à mes côtés c’est pour m’annoncer l’arrivée imminente d’un taxi – la reine n’a donc pas de carrosse –  qui nous ramènera chez elle. Je ne suis pas en mesure d’émettre la moindre protestation concernant cette idée qui m’aurait sans doute paru mauvaise – car me mettant fortement mal-à-l’aise – dans n’importe quelles autres circonstances. Pour le moment, tout ce que je sais, c’est que je veux partir d’ici au plus vite et oublier les souvenirs qui sont associés à cet endroit. C’est pour cette raison que je me contente de hocher la tête en signe d’assentiment, les remerciements viendront plus tard, quand je réaliserais que, une fois de plus, c’est son intervention qui me tire d’un mauvais pas. Sans Raelyn, j’aurais déjà eu des bleus sur le corps quelques jours auparavant et sans elle, je me serais certainement écroulée sur ce trottoir, restant en position latérale de sécurité jusqu’à ce que je réalise qu’il était grand temps que je rentre chez moi puisque, de toute façon, mon sort n’intéressait absolument personne.

Les questions reprennent en attendant que le taxi arrive et Raelyn semble bien décidée à partir à la chasse aux sorcières, bien décidée à faire regretter son acte à ce John qui a tenté de mettre fin à mes jours et, à défaut d’avoir réussi son coup, s’est au moins assuré que ma carrière professionnelle ait besoin d’une bonne parenthèse. Mon patron ne voudra jamais que l’une de ses filles donne une représentation avec une plaie encore visible sur le visage, ça fait mauvais genre. Je reprends doucement mes esprits alors que Raelyn insiste pour que je fournisse l’identité de mon client. Son nom, je ne le connais pas, ce qui me simplifie bien la tâche car même si j’en avais connaissance, il n’aurait certainement pas été dans mon intérêt de le lui donner. Et s’il s’amusait à raconter les raisons de ma colère contre lui ? Je ne suis pas sûre qu’il apprécierait vraiment d’apprendre que j’ai trahi la confiance d’un client en me permettant de raconter ses agissements à sa copine, brisant son couple et faisant de moi la bête noire de tous les hommes infidèles venus chercher un peu de réconfort au club. Il ne faut surtout pas que ça se sache, sinon ma popularité est terminée ainsi que les faveurs que m’accorde le patron compte tenu de l’argent que je lui ai toujours ramené. Je suis dans une position extrêmement délicate que je n’avais pas du tout envisagée avant de me retrouver là et que j’aurais sûrement dû réaliser avant de passer à l’action. J’ai cru faire une bonne action mais j’ai peut-être ruiné l’équilibre très précaire de la vie que je menais jusqu’à présent. Je crois que, outre le traumatisme dont je suis évidemment victime après l’agression qui vient d’avoir lieu, c’est surtout l’avenir qui me fait peur parce que s’il me paraissait déjà incertain quelques jours auparavant, j’avais au moins la sensation de maitriser son futur déroulé et de pouvoir choisir son évolution. Maintenant, ce n’est plus vraiment le cas. « Je ne sais pas, je lui ai jamais demandé. » J’admets, consciente que mon ignorance ne va pas lui plaire mais qu’elle est aussi ce qui va me protéger de cette vérité que je ne peux pas avouer sous peine de représailles. « Il venait ici de temps en temps, toujours pour passer du temps avec moi… Apparemment, il voulait arrêter. » Il voulait surtout me faire payer mes révélations, les paroles que j’avais prononcé sans y être invitée et qui avaient drastiquement changé le cours de sa vie. Je crois que je comprends sa colère, mais la violence et la mort n’étaient sans doute pas nécessaires pour me faire entendre que j’avais été trop loin. Il m’a juste prouvé qu’il était dangereux et que ma mise en garde était sans doute nécessaire. Raelyn me parle de mon sang et je monte ma main au-dessus de ma tempe, juste au niveau de la racine de mes cheveux qui sont eux-mêmes trempés de sang à l’endroit où ma tête a heurté la table. « Quand il m’a lâchée, j’ai perdu l’équilibre et j’ai heurté une table. » Je lui explique, grimaçant lorsque mes doigts déjà ensanglantés touchent la plaie encore douloureuse. « Je crois que c’est pas très grave. » L’idée d’échapper aux points de suture me séduit, autant que celle de ne pas me rendre à l’hôpital, surtout que sous les vêtements enfilés à la hâte, je porte encore ma tenue de scène qui ne trompera personne dans le domaine médical. Il faut que j’évite à tout prix de me faire remarquer, me faire toute petite, voilà mon nouvel objectif.

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Raelyn & Primrose

Ne pas connaitre le nom de mes clients ne m’a jamais dérangé mais dans le cas présent, ça aurait pu être vraiment handicapant si j’avais voulu que Raelyn puisse véritablement mettre la main sur lui. Enfin, j’imagine que cette main n’aurait pas été la sienne, je la vois mal faire le sale boulot à la place de tous les hommes de main qu’elle n’aurait eu qu’à siffler. D’ailleurs, je pense que je dois m’estimer heureuse qu’elle soit venue me chercher en personne, elle aurait très bien envoyer un sous-fifre quelconque qui se serait chargé de me ramener dans mon appartement ou peut-être dans une chambre d’hôtel pas loin d’ici. J’ai de la chance, il faut croire, ou alors, je suis bel et bien privilégiée, comme elle semblait le prétendre quelques jours auparavant, avant que je décline plus ou moins l’offre qu’elle me faisait. En plus, elle semble vraiment remontée contre les agissements de John et je ne l’aurais une fois de plus pas crue capable de dénoncer la violence envers qui que ce soit. Après tout, n’était-ce pas elle qui m’expliquait les représailles du Club envers toute personne qui attentait à sa pérennité, que ce soit consciemment ou non ? J’ai du mal à croire qu’une telle chose puisse la révolter, après tout, je ne suis qu’un objet, un numéro parmi tant d’autres, je suis remplaçable et tout le monde l’est, c’est ce qu’elle a dit, alors que je sois un véritable être humain ou que je serve d’objet pour extérioriser une colère non contenue, ça n’a pas grande importance finalement. Je crois que c’est pour ça que j’aime autant la compagnie de Raelyn, finalement, parce qu’elle m’intrigue, me met mal-à-l’aise, me fait sortir de cette zone de confort que j’essaie de ne pas quitter en temps normal. Je n’arrive pas à la cerner parce que son attitude est paradoxale et difficile à prévoir à l’avance. Elle peut dire rouge un jour, noir le suivant, alors que le même sujet est abordé. Ou alors – et c’est fort possible – c’est moi qui ne comprends absolument rien et je devrais sans doute m’en inquiéter. « Je... Ce n’est pas le cas, je sais qu’il n’en a pas, il m’aurait tuée... Il avait... Le vigil est intervenu... Je crois qu'il l'aurait vraiment fait, sinon. » C’est la première fois que je prononce cette phrase à voix haute et elle me semble d’un seul coup si réel. Pourtant, je me rendais compte de ce que à côté de quoi je venais de passer, mais en le disant réellement, en le partageant avec quelqu’un, j’ai encore plus peur qu’avant. Le tremblement de mes mains s’accentue davantage alors que j’avais presque réussi à le contrôler. « Je le connais vraiment pas, il s’appelle John, c’est tout ce que je sais, et je suis même pas sûre que ce soit son vrai prénom. » Enfin si je suis sûre, sinon Charlie aurait sûrement démenti cette information. Et même si je ne connais pas son nom, il faut être honnête, je pourrais le retrouver si je le voulais vraiment, je crois simplement que cette idée m’attirerait plus d’ennuis qu’autre chose. Bien sûr, je suis tentée par cette vengeance qui ne m’apporterait rien d’autre qu’une pure satisfaction personnelle, mais je dois garder le silence si je ne veux pas que la bienveillance de Raelyn se transforme en une leçon de morale que j’aurais sûrement bien méritée.

Notre taxi arrive et je suis soulagée de pouvoir me glisser à l’intérieur et encore plus de voir que le chauffeur ne semble pas du tout prêter attention à mon état actuel. J’imagine que Raelyn, une fois de plus, sait exactement ce qu’elle fait et que je n’ai absolument pas de crainte à avoir. J’aimerais avoir cette capacité à gérer toutes les situations d’une main de maitre comme elle le fait. « Je repasserais prendre ce dont j’ai besoin. » Je glisse, en guise de réponse à la question pour laquelle j’ai simplement secoué la tête en signe de négation, lorsqu’elle me l’a précédemment posée. J’ai la vague sensation que si je dois repasser au club, ce sera juste pour récupérer mon chef de fin de de poste – enfin, au sens figuré, je ne suis pas sûre que ça se passe comme ça en réalité après le drame que je viens de provoquer – et récupérer le reste de mes affaires. Je bosse dans ce club depuis six ans, j’y ai toutes mes habitudes, je sais exactement comment attirer les clients, quelles sommes demander, je sais me jouer du patron que je connais par cœur et gratter quelques jours de congés supplémentaires lorsqu’ils m’arrangent. Six ans, c’est long et court à la fois, et ce travail, bien qu’épuisant et loin d’être linéaire, avait au moins pour avantage de me mettre financièrement à l’abri, ou en tout cas de m’aider à conserver mon niveau d’endettement à un montant à peu près acceptable. J’ai l’impression de devoir plonger dans l’inconnu à présent et ça me fait affreusement peur. Mes réflexions m’emportent si loin que je ne vois pas le trajet passé et lorsque le taxi s’arrête, je m’extrais péniblement de l’habitacle à la suite de Raelyn, vacillant légèrement en me retrouvant debout sur les gens, mais suivant la reine à la trace sans la distancer d’un seul millimètre, comme si je craignais qu’elle renonce et décide finalement de me planter là. Lorsque je pénètre dans son appartement, j’ai presque l’impression que cette nuit n’est plus réelle. Je ne me sens pas spécialement à l’aise, mais je suis beaucoup moins gênée que je l’envisageais, tout du moins, pour le moment. J’avis les deux verres de vin pleins posés sur la table basse et je me doute qu’elle ne les a pas placés là avant de venir me trouver. J’ai interrompu quelque chose. Je devrais sans doute m’en excuser mais je ne sais pas si je dois oser le faire et avant que je prononce le moindre mot, elle m’invite à m’installer sur son canapé pour boire un verre et je m’exécute. « C’est plutôt une bouteille, qui me ferait du bien. » Je tente l’humour mais mon teint pâle et l’absence de lueur dans mes yeux prouve à quel point je viens d’être traumatisée par l’acte de violence dont j’ai été victime. Assise du bout des fesses sur le canapé, pour éviter de le repeindre en rouge, comme demandé par la patronne, j’attrape un verre pour en avaler deux grandes gorgées, sans me préoccuper de qui a bu dans ce verre avant moi ni d’attendre que Raelyn m’en ait donné plus explicitement l’autorisation, chose que je ne me serais certainement pas permis en étant dans un état psychologique différent. « Si t’as un miroir, je peux le faire. » J’affirme, alors que le tremblement de mes mains disent le contraire. Je crois que je ne suis pas prête à la voir jouer les apprenties infirmières avec moi, et pourtant, je sais pertinemment que je ne vais pas avoir le choix, parce qu’il va effectivement falloir nettoyer cette plaie pour voir l’étendue des dégâts et donc savoir à quel point l’entaille est profonde et que, contrairement à ce que je peux prétendre, je ne vais jamais y arriver moi-même. « Je suis désolée, pour ta soirée. » Et je reprends le verre que je venais de reposer pour vider d’une traite ce qu’il restait. J’ai besoin d’oublier.

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Raelyn & Primrose

Lâcher ce club miteux est quelque chose qui m’aurait paru inconcevable quelques jours auparavant et qui ne me semble plus si délirant que ça ce soir. C’est sûrement parce qu’il y a de grands risques pour que ce soit mon club qui me lâche et non pas l’inverse. Je ne sais pas ce qui est ressorti de mon altercation avec John, je me suis enfuie avant de voir les conséquences que cet acte allait bien pouvoir avoir, que ce soit sur moi, sur John ou sur la soirée qui était en train de se dérouler et la réputation du club, en général. Tout ce que je sais, c’est que si le patron apprend la raison de ce conflit et que ça arrive jusqu’aux oreilles des clients, je suis cuite, non seulement dans ce club mais peut-être bien dans la profession toute entière. Je n’avais pas mesuré les conséquences de mes actes, c’est une certitude, tout ce que je voulais, c’était sauver Charlie de cet homme foncièrement mauvais qui ne pourrait lui attirer que des emmerdes, mais j’aurais mieux fait de me comporter comme l’égoïste que je suis d’habitude, finalement, ça aurait été plus facile pour moi, parce que rien n’aurait changé finalement. J’aurais tout simplement fermé les yeux sur ce couple mal assorti qui aurait sans doute fini par se déchirer, même sans un petit coup de pouce de ma part, et j’aurais pu continuer ma petite vie tranquille sans avoir le moindre problème. Je me déteste de ne pas avoir été capable de fermer ma gueule et de m’être dit qu’après tout, je ne risquais peut-être pas grand-chose, finalement, alors qu’en réalité, c’est toue ma vie qui est remise en cause à présent. Si je suis virée, comment je vais faire pour trouver l’argent qu’il me faut pour rembourser mes dettes, payer mes études, mon loyer… Je vais me retrouver dans une sale situation et cette idée me rend malade alors qu’elle n’est encore qu’au stade de supposition. Jusque-là, j’ai toujours réussi à m’en sortir, j’ai affronté tous les coups durs, j’ai reçu des coups, j’ai tout encaissé et à chaque fois, j’ai fini par me relever. Je me croyais forte et invincible et peut-être qu’aujourd’hui enfin, je tombe sur plus fort que moi. Est-ce réellement possible que ce soit la fin de Poppy ? Qu’il ne me reste comme seule option de me lancer en tant qu’avocate pour espérer réparer les dégâts avec de l’argent un peu moins sale que d’habitude ? Je crois que c’est la première fois que je réalise à quel point je ne veux pas de cette vie-là. Je ne suis pas faite pour mettre un tailleur tous les matins, prendre le bus de huit heures, arriver au travail trente minutes plus tard, déjeuner avec Marise de la comptabilité pour parler de ses trois enfants merveilleux, enchainer les dossiers et repartir à cinq heures pour aller à la salle de sport avant de rentrer me préparer une salade végan. Comment font tous ces gens pour vibrer et s’épanouir ? Je ne me sentirais tellement pas à ma place. J’ai besoin de sentir le danger pour exister et je ne m’en étais jamais rendu compte avant.

Finalement, il n’est pas plus mal que je ne sois pas dans mon état normal pour pénétrer dans le splendide appartement de Raelyn, je n’ai pas le temps d’être mal-à-l’aise, au contraire, je me comporte de manière un peu trop familière, essayant de masquer mon angoisse et la panique qui m’habitent toujours derrière une fausse assurance qui me permet d’être impolie et de me servir dans un des verres entamé, chose que je n’aurais jamais faite en temps normal et encore moins avec Raelyn. Le liquide qui franchit mes lèvres ne me fait pas tant de bien que ça, mais le verre m’occupe les mains et m’aide à en contrôler les tremblements, l’espace de quelques instants, même si ceux-ci reviennent à la charge dès que le verre est posé. Il est question de nettoyer ma plaie et Raelyn et moi savons toutes les deux que je ne suis pas capable d’être autonome et de gérer les choses par moi-même. J’essaie, pourtant, d’avoir l’air assurée et de repousser son aide, mais je ne trompe personne et devant son air catégorique, je capitule sans même prendre la peine de lutter. « Très bien. » Laisser Raelyn jouer les infirmières signifie autoriser une proximité qui m’aurait franchement dérangée en temps normal, mais au point où j’en suis… Un mec vient d’essayer de m’étrangler alors je peux bien laisser la reine laver le sang sur mon visage. Je reste étonnée qu’elle ne m’en veuille pas pour tout ça. Elle est en train de faire du babysitting alors qu’elle avait manifestement prévu une soirée romantique ou autre et j’ai totalement ruiné ses plans. Elle ne semble pas s’en formaliser plus que ça et j’admets que j’aimerais bien pouvoir lire dans ses pensées au moins une fois dans ma vie pour comprendre sa façon de fonctionner. Lorsqu’elle m’ordonne de la suivre, je le fais sans m’y opposer, finissant d’un trait le deuxième verre avant de lui emboiter le pas, traversant une chambre qui fait probablement la taille de mon appartement ainsi qu’un immense dressing qui fait automatiquement pétiller mes yeux – ce n’est pas une tentative de meurtre qui va empêcher mes vieux démons de ressurgir –. « Waw… Mais vous habitez à combien, ici ? » Les vêtements, les accessoires, le maquillage, c’est mon domaine, j’adore me sentir belle et voir les regards se retourner sur moi. Avec un tel dressing, je pourrais faire des folies. Malheureusement, notre passage et rapide et je me retrouve assise sur le rebord de la baignoire, revenant brusquement à la réalité alors que Raelyn tente de nettoyer ma blessure. Ses gestes sont doux et je me laisse faire sans broncher jusqu’à ce qu’elle s’attaque directement à la plaie avec son désinfectant. Je ne souffre pas énormément mais c’est loin d’être agréable et je serre les dents alors qu’elle m’applique le produit, n’oubliant pas, malgré tout, de me questionner une fois de plus sur mon agression. Il est normal qu’elle veuille savoir mais moi, j’ai juste l’impression de revivre la scène de nouveau et à chaque fois, cette angoisse me saisit, j’ai l’impression qu’elle ne me quittera jamais. « Me faire payer parce que j’ai trop parlé. » J’avoue, parce que de toute façon, je n’y échapperais pas, elle me questionnera jusqu’à ce que je lui donne une excuse valable. « Je détenais des informations sur lui et je les ai confiées à la mauvaise personne. » Une erreur de jugement, ça peut arriver à tout le monde et jusqu’ici, dans mon histoire, je n’ai presque pas l’air de la pauvre cruche naïve qui va raconter à une étudiante inconnue qu’elle se prostitue. Je ne suis pas prête à assumer cette partie de l’histoire. « J’aurais dû me méfier. J’ai été trop conne. » Me flageller n’aide en rien, mais je crois que je préfère le faire moi-même avant qu’elle s’en charge. Je vais juste lui prouver, une fois de plus, que je ne suis pas encore prête pour faire de grandes choses et que le petit poulain qu’elle pensait entrainer n’a peut-être pas les épaules pour supporter ce qu’elle a l’intention de lui donner. Pourtant, j’ai cette immense soif d’apprendre à ses côtés, même si j’ai toujours réussi à la contenir parce que je n’étais pas prête à faire un choix. « Je le sais. » Je suis moi-même étonnée de la sincérité de mes propos et de la confiance que je lui porte. Les choses ont tellement changé en peu de temps. « Pourquoi t’es venue me chercher ? » Je n’arrive pas à comprendre sa démarche et je ne devrais pas avoir envie de creuser. Le principal, c’est qu’elle soit là, je devrais réussir à m’en satisfaire.

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Raelyn & Primrose

Dans le dressing de Raelyn, j’oublie presque que je viens tout juste de frôler la mort et que le sang séché sur ma tempe ainsi que les marques rouges qui entourent mon cou en attestent. J’ai toujours été attirée par le luxe et mon envie d’avoir de belles choses a surpassé tous les scrupules que je pouvais avoir à trahir les miens pour en obtenir davantage. Je leur ai menti, je les ai trompés, reniés, délaissés et ce pour quelques vêtements ou une paire de chaussures. Est-ce que j’en ai honte ? Oui, bien sûr, j’aime ma famille et mes amis, je n’ai pas envie de leur faire du mal volontairement. Est-ce que je le referais si j’en avais l’occasion ? Oui, certainement, parce que cette addiction est plus forte que ma propre volonté et surpasse de loin les principes et les valeurs qui m’ont été inculqués. Si on me demandait de revivre mille fois l’agression dont je viens d’être victime pour avoir le même dressing que celui dans lequel je me trouve, alors je dirais oui sans la moindre hésitation. Mon attirance pour cette vie où l’argent n’est qu’une simple formalité et où je pourrais obtenir tout ce que je souhaite est tel qu’il va même au-delà du respect que je peux avoir pour ma propre personne. C’est pour ça que choisir de me prostituer a été une décision facile à prendre et que je n’ai pas eu trop de mal non plus à me convaincre que j’acceptais mon sort. Je voulais vivre la vie dont je rêvais, peu importait de devoir vendre mon corps pour y parvenir. Je suis devenue un objet sexuel et je n’en ai même pas honte, ou en tout cas, c’est ce dont je me persuade. « Tu as bon goût. » Je souffle. Tu pourrais avoir tout ce que tu voulais. C’est ce qu’elle a dit et elle aurait dû commencer par là dans ses tentatives pour me convaincre car l’appât du gain est certainement ce qui met le plus à mal mes convictions et va à l’encontre de ce que ma raison me dicte de faire ou même mon cœur. Je me perds une poignée de secondes supplémentaire dans la contemplation de ce qui ressemble presque au paradis, à mon sens. Rejoindre la salle de bain me ramène brusquement à ma réalité, à ce que je viens de vivre et à ce que je risque de perdre. Rêver cet appartement ne me permet plus vraiment de faire abstraction du moment présent désormais, le charme est rompu. « Tous ceux qui travaillent pour le Club ont le même traitement ? » Je doute que les petites mains dont se sert Raelyn aient autant d’avantages, ça me paraitrait étonnant, mais elle me fait malgré tout miroiter un futur dont je rêve depuis des années et je ne peux pas en faire totalement abstraction. Je voudrais tellement vivre cette vie, ne plus avoir à me soucier des tonnes de dettes qui commencent à peser lourd sur mes épaules, alors même s’il est peu probable que j’ai cette vie de rêve compte tenu du statut que j’aurais si je décide de travailler pour le Club, je crois que je peux lui laisser une chance de me prouver qu’effectivement, elle n’est pas une menteuse.

A défaut d’être douée pour me persuader de la suivre, Raelyn fait une bonne infirmière, ses gestes sont sûrs et appliqués et elle a vraiment l’air d’avoir fait ça toute sa vie. Entre ses mains expertes, je ne pipe pas, la laissant œuvrer sans même chercher à savoir ce qu’elle est en train de faire, lui confiant mon sort sans la moindre inquiétude. Je n’ai pas pour habitude de me reposer sur les autres, ce revirement de situation est donc étonnant, d’autant plus qu’il s’agit de ma patronne et non pas de n’importe qui. C’est sans doute pour cela que je ne peux pas vraiment me permettre d’éluder le sujet John et les questions qu’elle me posent, bien que les révélations que je pourrais lui faire à ce sujet sont capables de me porter préjudice. Je ne veux pas qu’elle perde l’image de moi qu’elle semble avoir et, en l’occurrence, je vais devoir admettre que tout le monde ne peut pas avoir confiance en moi. « Le genre d’information dont je n’avais pas le droit de me servir. » Je l’ai fait quand même, j’ai ignoré les principes que j’utilise habituellement parce que je voulais aider quelqu’un qui n’en avait même pas besoin et qui ne m’avait rien demandé. Je ne sais pas vraiment si je le regrette, je crois que oui, parce que je me suis mis dans la merde et que je n’ai pas l’impression de l’avoir réellement aidée, finalement. Je croyais réellement bien faire, mais peut-être que j’aurais simplement dû continuer à faire ce que je fais toujours : choisir ma propre personne comme priorité numéro un. « J’ai voulu aider quelqu’un et ça s’est retourné contre moi. » Mes explications restent vagues mais je ne peux pas vraiment lui en dire plus, c’est la raison pour laquelle je la questionne à mon tour, profitant de ce tête-à-tête improvisé pour en apprendre davantage sur elle qui me parait toujours aussi mystérieuse, même après notre dernière conversation. « Non, bien sûr que non, je ne sais pas ce que j’aurais fait si tu n’étais pas venue. » Je ne sais pas si c’est ma manière à moi de la remercier de prendre soin de moi, mais je ne suis pas du genre à faire dans le sentiment et je suis certaine qu’elle se passe très bien de mon trop plein de gratitude pourtant bien réelle. « Quelqu’un du club ? » Je demande, alors qu’elle me révèle qu’elle a eu une main tendue lorsqu’elle a touché le fond. Mitchell ? Probablement, ça expliquerait sans doute son statut au sein du Club. « Ça veut dire que j’ai touché le fond, moi aussi ?» Je ne sais pas pourquoi je pose la question alors que je sais déjà que c’est vrai. Est-ce que j’ai réellement besoin qu’on me le confirme ? Ça ne me permettra que de me renvoyer la réalité en pleine figure. Je ne sais pas si je suis réellement prête pour ça. Le pansement est placé sur ma tête et lorsqu’elle me demande de lever mes cheveux, je m’exécute, luttant contre le mouvement de recul que j’ai envie de faire lorsqu’elle passe ses doigts le long de mon cou, me rappelant les doigts de John refermés sur ce dernier peu de temps auparavant. « Dans quelques jours, ça ne se verra plus. » Mais rien ne sera plus comme avant.

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Raelyn & Primrose

Evidemment, les belles choses que me fait miroiter Raelyn ne m’appartiendront jamais et c’est ce que je comprends de son énigmatique réponse m’indiquant que ce que j’obtiendrais dépendra évidemment de mon investissement personnel. Je n’aime pas évoluer dans un monde où rien est acquis, où on peut nous retirer nos avantages aussi facilement qu’on nous les a donnés, d’un simple claquement de doigts. J’aurais encore l’impression d’agir sous la menace, par devoir et non pas par envie. On parle de confiance et de fiabilité mais le chantage a l’air de faire partie intégrante de l’organisation du Club. Tu es un bon élément, tu es récompensé, tu n’en fais pas assez, tu es puni. C’est aussi simple que ça et ça me terrifie. J’aime avoir ce sentiment d’obtenir quelque chose de manière définitive, j’ai toujours été comme ça, m’approprier des belles choses est ce qui rythme mon quotidien et Raelyn est en train de m’apprendre que je dois faire mes preuves pour rester au top et qu’un faux-pas de ma part pourrait me ramener instantanément d’où je viens. « Je vois. » J’admets, alors que mes yeux pétillent déjà un peu moins devant le paradis qui s’éloigne de plus en plus au fur et à mesure de ses explications. « Le Club offre une sécurité provisoire à ceux qui en sont dignes et se réserve le droit de la reprendre si les résultats ne sont pas à la hauteur de ses exigences, c’est ça que ça signifie ? » Mais en même temps, à quoi est-ce que je pouvais bien m’attendre ? A la sécurité de l’emploi ? Je sais que le monde dans lequel je veux évoluer ne m’offrira jamais ça et nous avons déjà eu cette conversation, ça ne sert à rien que je m’offusque davantage contre ce mode de fonctionnement. Si je voulais être la mère au foyer entretenue par son mari et lui préparant des bons petits plats tous les soirs, j’aurais dû y penser avant. « Je devrais y arriver. » J’ajoute alors, parce que je ne peux pas mentir sur le fait que cette idée si abstraite peu de temps auparavant est en train de le devenir beaucoup moins à présent. Ou alors, le coup que j’ai réussi sur la tête a définitivement abimé mes capacités de réflexion et je regretterais demain d’avoir tenu de tels propos.

Devoir expliquer ma bourde est nettement moins agréable que de discuter des éventuels avantages que je pourrais obtenir en travaillant pour le Club, il faut bien le reconnaitre. Je soupire presque lorsqu’elle comprend – beaucoup trop facilement – la nature de mon erreur. Je ne suis pas sûre qu’on puisse vraiment considérer Charlie comme une cocue, je pense qu’elle a un statut bien pire que ça. Son mec n’a pas voulu coucher avec une autre fille parce qu’il avait une attirance pour cette dernière ou qu’il n’était pas sûr de ses sentiments, non, il a juste eu envie d’une partie de jambes en l’air et de payer pour celle-ci plutôt que de faire l’effort d’user de son pouvoir de séduction – sans doute inexistant, je ne comprends pas bien ce que Charlie a pu lui trouer – pour arriver à ses fins. « C’est ça. » J’admets, me rendant pleinement compte qu’à ce moment précis, je dois être une réelle source de déception pour celle qui plaçait tant d’espoir en ma personne. Pourtant, ce n’est pas surprenant venant de moi, parce que je suis encore tiraillée entre les principes qu’on m’a inculqués et le rythme de vie que je souhaite mener. Si ce n’était pas le cas, mon choix aurait été fait depuis bien longtemps. Oui, j’avais ce genre de principes mais vu ce que ça m’a apporté, je me garderais bien de réitérer cet exploit qui n’en était finalement pas un. « Je n’ai pas l’habitude de reproduire deux fois les mêmes erreurs. » Je ne cherche pas à me défendre, mon acte était stupide, il n’y a rien à dire de plus, en revanche, je suis certaine que je ne recommencerais pas. Ma révélation ne m’a apporté que des emmerdes et la satisfaction que j’avais eu à accomplir – pour une fois – une bonne action, s’est envolée, laissant place à la colère d’avoir été à la fois l’élément déclencheur et le sac de boxe sur lequel passé ses nerfs. Enfin, plus que la crainte, c’est probablement la peur qui domine, malgré tous les efforts que je fournis pour en faire abstraction mais j’imagine qu’il me faudra plusieurs jours pour que cette crainte, qui me noue l’estomac à chaque fois que je revis la scène, disparaisse définitivement.

Raelyn était-elle réellement ma seule option ? Je ne crois pas que ça soit le cas, elle était juste ma meilleure option et si elle n’était pas venue ce soir, j’aurais dû choisir entre faire éclater la vérité sur mon quotidien auprès de mes amis de fac ou faire éclater cette même vérité auprès de ma famille. Je crois que je n’étais prête ni pour l’un, ni pour l’autre. Ou alors, j’aurais pu faire appel à Lexie mais la jeune femme n’est pas d’accord avec le peu de limite que je me suis fixée et ça lui aurait donné des cartes supplémentaires pour me prouver que j’étais en tort. Je crois que même dans de pareilles circonstances, ma fierté aurait été plus forte que ma peur… Alors pourquoi est-ce que ce n’est pas le cas s’agissant de Raelyn ? Je pense que le fait qu’elle connaisse tout de moi m’aide forcément à prendre cette décision, parce que je n’ai absolument rien à cacher, aucune apparence à sauver. Elle me facilite la tâche mais elle ne s’en rend absolument pas compte, apparemment. « Dommage, je commençais à penser que j’avais toutes mes chances. » Je rétorque, sourire aux lèvres alors que l’idée ne m’a jamais effleurée l’esprit et que ça ne sera jamais le cas. Je crois que je préfère m’arrêter sur cette éventuelle idylle qui n’aura jamais lieu plutôt que de me demander réellement si les attaches qui me retiennent le sont ou non, j’ai peur de la réponse que je pourrais obtenir. Questionner Raelyn est de toute façon un exercice bien plus enrichissant que celui de me livrer à une introspection qui ne sera pas une grande réussite compte tenu de mon état actuel. Elle reste vague sur son arrivée au Club et sur cette fameuse personne qui appartient au passé. Je crois que je n’ai pas le droit de poser davantage de questions et pourtant, j’aimerais tellement pouvoir le faire. « Il a pas réussi à s’en sortir quand le Club a eu sa mauvaise période ? » Je demande, malgré le fait que tout mon être me supplie de m’abstenir, parce que c’est beaucoup trop tentant et que je sais que je n’aurais sans doute pas l’occasion de revenir sur le sujet plus tard. Je veux savoir ce qui lui est arrivé, pourquoi son passé semble si sombre et comment elle peut prétendre que ma situation actuelle est une chance plutôt qu’une bénédiction. « J’imagine que ça va dépendre de la manière dont tout ça va se terminer. » Quelles vont être les conséquences de cette bagarre et cette nouvelle entrevue informelle avec Raelyn ? Je n’en ai pour le moment aucune idée, mais outre cette blessure qui sera éphémère, j’ai l’impression que les choses vont changer.

Raelyn prend congé et me laisse seule dans la salle de bain dans laquelle je prends mon temps avant de la rejoindre. Je ne vais pas laisser passer une occasion pareille d’essayer la douche qui me parait bien plus luxueuse que tout ce que j’ai pu voir auparavant, à part peut-être celles des hôtels magnifiques payés de temps en temps par un client mais dans ce moment, je n’avais jamais la possibilité d’en profiter seule. C’est donc une grande première pour moi et, laissant mes affaires sur le sol, je profite de cet instant avec moi-même, fermant les yeux sous le jet programmé à une température bien trop élevée qui fait rougir ma peau. Lorsque je les rouvre, je m’attends presque à voir de l’eau noire s’évacuer, reflétant l’état psychologique dans lequel je me trouve et la vision que j’ai de moi-même après cet événement traumatisant. Mais non, l’eau est limpide, d’une couleur habituelle et rien ne prouve que je viens de frôler la mort. Malgré tout, je frotte chaque parcelle de ma peau de mes mains savonnées avec ce que j’ai pu trouver et lorsque je m’arrête enfin, je suis presque essoufflée. C’est donc bien plus propre qu’à mon arrivée – même si j’ai remis les mêmes vêtements, à contre-cœur – que je me retrouve de nouveau devant Raelyn. « Je t’ai emprunté une serviette. » J’annonce, alors que je débarque de nouveau dans le salon, prenant place sur le canapé où elle est assise sans prendre la peine de demander l’autorisation, cette fois. Je commence à être à l’aise avec elle, désormais, peut-être trop à l’aise, même, mais je n’y prête pas attention, préférant essayer d’interpréter les conseils qu’elle vient me donner. « Tu veux dire que je devrais apprendre à me battre ? » Ou à me défendre, mais ça revient au même, je ne ferais pas le poids même en ayant appris des techniques de combat. Elle m’a regardé, franchement ? Je suis sûre que les moustiques de mon appartement se marrent quand je les prends en chasse. « Je ne suis pas sûre que ça soit fait pour moi. » J’ai toujours été trop petite, trop menue, la petite fille fragile à qui on ne pouvait rien demander. Je ne vois vraiment pas où elle veut en venir mais je ne suis pas sûre d’aimer l’idée de devoir pratiquer un sport de combat. Vraiment pas. Elle me tend un verre que je prends sans hésiter, un simple signe de tête en guise de remerciement. « J’y connais rien, si tu l’avais remplacé par un vin bas de gamme de supermarché pendant ma douche, je m’en rendrais même pas compte. » Je ne suis pas difficile et tant mieux, c’est ce qui me permet d’être douée pour exercer mon métier alors je ne m’en plains pas. En revanche, dommage pour elle si elle croyait offrir son vin à une connaisseuse.

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Raelyn & Primrose

Si tout se mérite, alors est-ce vraiment cette vie-là que j’ai mérité ? Peut-être que oui, finalement, parce que j’ai menti, trompé et que j’ai toujours été très douée pour faire les mauvais choix. Alors oui, peut-être que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même si je me retrouve aujourd’hui dans le luxueux appartement d’une femme que je ne devrais probablement pas fréquenter mais qui semble être ma meilleure option compte tenu de ce que je suis en train de vivre. Cette constatation devrait m’effrayer mais ce n’est pas vraiment le cas, finalement, et je ne suis même pas sûre que ce soit le traumatisme que je viens de vivre qui guide réellement mes pats. Mon envie d’appartenir à ce monde où tout semble tellement plus facile dès lors qu’on se donne les moyens d’en atteindre les plus hauts niveaux hiérarchiques devient de plus en plus forte au fur et à mesure de mes échanges avec Raelyn. Pourtant, je ne me berce pas d’illusion, je sais que ce sera difficile. Je fais déjà des erreurs alors que je n’appartiens même pas encore à cent pour cent au Club, j’imagine que ça risque d’être pire si j’en fais réellement partie et que les conséquences seront donc bien plus désastreuses que celles que je pourrais avoir à l’heure actuelle. Toutefois, alors que je justifie un énième faux-pas de ma part, je sens bien qu’il ne passe pas aussi bien que je l’aurais souhaité, sûrement parce que c’est le deuxième sur une courte période mais aussi parce que mon erreur prouve une certaine faiblesse que j’aurais préféré ne pas avoir à lui avouer. Malheureusement pour moi, elle s’est montrée trop perspicace et je suis obligée de faire avec et d’assumer, parce que montrer mes regrets ou m’apitoyer sur mon sort rendrait la situation bien pire encore. « Tu le sais, mais j’imagine que tout ceci aura un prix tôt ou tard. » Je n’arrive pas à croire qu’elle puisse agir par pure bonté d’âme, d’abord l’argent de la drogue, maintenant un rôle d’infirmière, c’est très gentil, certes, mais j’ai du mal à croire que Raelyn puisse être réellement gentille avec moi de manière totalement désintéressée. Je ne sais pas vraiment ce qui va me tomber dessus et si quelque chose va me tomber dessus, mais j’en ai la sensation.

L’humour est ma meilleure arme pour me battre contre les évidences qu’elle souhaite que je m’avoue à moi-même. Je ne suis pas prête pour ça, je ne veux pas voir cette vérité, ou en tout cas, je ne veux pas l’accepter. Sa réponse énigmatique suscite ma curiosité. Il n’est pas dans les habitudes de Raelyn de se dévaloriser. Se considère-t-elle réellement comme un fardeau ou a-t-elle voulu dire totalement autre chose ? J’aimerais en être sûre mais c’est une question que je n’oserais pas poser, j’en ai parfaitement conscience et puis, peut-être essaie-t-elle de tester la petite apprentie qu’elle s’est donnée pour mission de former. « Pourtant, tu essaie d’en faire partie, même si ce n’est pas de cette façon. » Elle se bat pour me donner une place au sein du Club depuis quelques semaines maintenant, et maintenant elle réussit à admettre qu’elle n’est pas essentielle à mon développement ? C’est le monde à l’envers. Je crois sincèrement que je ne parviendrais jamais à la comprendre, et mes questions n’obtiennent pas des réponses suffisamment précises pour que je puisse me faire une idée de qui elle est réellement. Elle m’ouvre une petite porte en me parlant du propriétaire – ou plutôt de l’ancien propriétaire – de l’appartement mais elle se hâte de la refermer lorsque je me permets de l’entrebâiller davantage, mettant un terme à cette conversation sans avoir besoin de préciser qu’il est inutile que j’insiste davantage. Je suis frustrée d’avoir l’impression de toucher au but sans pour autant parvenir à l’atteindre. Elle m’échappe, comme elle sait si bien le faire et ça me déplait. Le rapport de force est toujours bien présent, quoi qu’elle puisse en dire car si elle peut lire en moi comme dans un livre ouvert, la réciproque n’est bien sûr pas vraie du tout. « Il y a des chances que je perde mon travail si mon patron creuse un peu, il n’est pas très fûté mais j’imagine qu’il serait assez perspicace pour comprende que je nuis à la réputation de son établissement. » Je ne sais pas si j’attends réellement un commentaire de sa part ou si je réfléchis seulement à voix haute. « Finalement, si c’est le cas, j’aurais presque obtenu ce que je voulais, c’est bien quelqu’un d’autre qui aura choisi pour moi. » Et finalement, ce n’est pas si chouette que ça.

Assise sur le canapé, j’entends des conseils qui ne me paraissent pas vraiment adaptés à mon petit gabarit et à ma force inexistante. Pourtant, j’ai bien conscience qu’il serait judicieux que je m’endurcisse. Je me suis toujours contenté d’utiliser mes capacités à mon avantage et mes incapacités également, j’imagine que cette technique à ses limites. « J’ai toujours trouvé pratique d’être la petite chose fragile, la fille qu’on ne soupçonnerait jamais si jamais on devait mener une enquête… C’est pratique, je passe toujours pour celle qui est sage ou trop faible pour faire quoi que ce soit de répréhensible. » Je n’ai jamais été inquiétée pour la vente de stupéfiants au sein du campus universitaire parce que je suis la petite intello aux notes exemplaires qui ne fait pas de vagues. Sauf que là, je ne suis plus à l’université, je suis dans un monde où les faux-semblants ne passent plus et dans lequel mon statut de prostituée en dit bien plus long que ma gueule d’ange. « Je vais y réfléchir. » Autant qu’à sa proposition d’intégrer le Club, finalement, mais je sais déjà que je capitulerais, parce que pour devenir la prochaine Raelyn, il faut penser comme elle et agir comme elle l’aurait fait à ma place. Elle n’est pas arrivée ici par hasard et ses conseils sont donc ceux que je dois suivre. Je ne me fais pas prier quand elle m’ordonne de boire et avale quelques gorgées, essayant de les savourer au lieu de n’apprécier que la légère sensation de tournis que je ressens alors que je descends mon verre bien trop rapidement compte tenu de sa qualité. J’ai besoin de ça pour me sentir mieux, pour oublier ce que j’ai vécu et pour ne pas appréhender la nuit que je vais passer dans cet appartement beaucoup trop impressionnant pour que je souhaite y rester aussi longtemps. Malgré tout, elle ne me l’a pas suggéré, elle me l’a imposé et je n’ai pas l’habitude de contredire un ordre direct. « Soirée pyjama, donc. Quelle bonne idée. » Je camoufle ma nervosité comme je peux, usant de l’humour pour me persuader et la persuader que j’adore cette idée. « Tu es vraiment sûre que je ne t’intéresse pas ? Tu fais tout pour me prouver le contraire. » Elle m’a proposé de dormir ici, pas de passer la nuit dans son lit, mais je ne peux pas manquer une pareille occasion de lui rappeler son aveu d’hétérosexualité précédent. « J’imagine que demain matin, j’aurais le droit à ma leçon de morale ? Je peux encaisser tu sais, t’es pas obligée d’être sympa avec moi. » En réalité, il est préférable qu’elle le soit. Mon moral est dans un équilibre précaire et jouer les dures ne me rendra pas moins fragile que je le suis à cet instant précis. Malgré tout, c’est plus fort que moi et parce que j’appréhende le réveil et le changement d’attitude de Raelyn, je me sens obligée de prendre les devants, optant pour un chemin qui ne m’attirera que des emmerdes mais qui me permettra d’être fixée sur ce qui m’attend. J’espère me tromper mais je ne pense pas que ce soit le cas.

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