In this house of broken hearts, we made our love out of sstacks of cards. And yes, we tried, to hold on tight 'cause we knew our love was hard to find. And our paper houses reach the stars, 'til we break and scatter worlds apart. Yeah, I paid the price and own the scars. Why did we climb and fall so far ?
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Je ne devais pas être là. Je sais que je ne devrais pas être là, mais c’est plus fort que moi. Aujourd’hui mon cœur explose dans ma poitrine, la culpabilité me serre dans son étau glacial et brise ce qu’il me reste de volonté et d’espoir. Je suffoque depuis plus de vingt ans par ta faute. Depuis toujours, en fait.
Assis par terre dans l’allée du cimetière où ne poussent plus que les mauvaises herbes entre les cailloux disposés pour éviter leur propagation inévitable, une bouteille de whisky vide de trois quart dans la main, le visage déformé par la tristesse et la colère qui se font écho sans relâche, je fixe cette vieille croix de bois qui tient encore debout par je ne sais quel miracle.
- Difficile de t’abattre, hein vieux soulard… D’un air boudeur, je baisse les yeux sur ma bouteille et gratte nerveusement avec mon pouce à l’ongle rongé son étiquette. – Elle t’a quand même eu… Je murmure, plongé au cœur de mes souvenirs les plus douloureux. Je secoue la tête et la souffrance se mue en hilarité un peu folle alors que je répète – Elle t’a eu, elle t’a pas loupé ouais, elle t’a trouvé le bide pauv’ con… Je relève les yeux vers la croix, un petit éclat victorieux y brille et je lève la bouteille en disant – A ton bide trouvé, enculé !
Le goût âpre du whisky glisse sur ma langue sèche et coule dans ma gorge desséchée. Le soleil tape sur le sommet de mon crâne recouvert d’une tignasse blonde aux cheveux emmêlés et je pose la bouteille entre mes jambes, chancelant légèrement et proche du malaise. Je cherche mes cigarettes pendant plusieurs minutes alors qu’elles sont posées à mes pieds. Lorsque je le réalise, je les récupère d’un geste rageur et en glisse une à l’envers entre mes lèvres. Lonnie détesterait que je sois ici. – Je l’emmerde putain ! Il m’en voudrait, j’en suis sûr. Il me déteste déjà de toute façon. Je l’ai trop déçu, je sais.
Je galère à allumer ma clope. Mes mains tremblantes ne m’aident pas vraiment, et je renonce après quelques secondes. Cette vieille croix me fixe avec dédain, j’ai l’impression qu’il me juge comme il l’a toujours fait. – ça te fout la honte d’avoir engendré un bon à rien, hein ? Que je lui demande, agacé par cette sensation de honte qui m’ensevelit sous sa couche épaisse de répugnance. C’est comme ça que tu m’as toujours défini, un ‘bon à rien’, une ‘erreur’, un ‘chiard venu te pourrir la vie, piquer dans ton assiette et ton fric’. – Pourtant, t’as toujours trouvé de quoi les payer tes putains de bouteilles hein. Je renifle, m’essuie les lèvres d’un revers de manche et continue à psalmodier, plus ou moins fort dans mon coin.
Je ne remarque pas les gens autour pour qui je dois représenter un tableau sordide. Le mec bourré qui vient cracher sur la tombe de son paternel, trois jours après l’anniversaire de sa mort. Je n’étais pas revenu ici depuis des années, j’avais décidé de tourner la page, mais c’est plus fort que moi. Mon passé me colle à la peau et aspire toute envie, comme une sangsue.
Je finis par réussir à aspirer la fumée noirâtre qui envahit mes poumons et me redonne un peu d’élan. Fixant la croix avec haine, je déclare – T’es qu’une merde. T’es mort comme une sale merde, en laissant un tas d’immondices derrière toi… T’as jamais rien assumé de ta foutue vie, dès que ça a commencé à foirer tu t’en aies pris à Maman… T’aurais pu te suffire d’elle et de moi, mais t’as pas pu résister hein. Fallait que tu le frappes lui aussi. Que tu nous fasses tous trembler sous tes coups et ta fichue haine. Sale merde. Je te hais. Pris d’une colère soudaine, je balance la bouteille contre la croix en gueulant – Je te hais !!!
Et les sanglots s’étouffent dans ma gorge, me faisant avaler de travers la fumée. La quinte de toux secoue mon thorax, mes yeux sont noyés par le chagrin et je me tasse sur moi-même. Piètre image d’un type désespéré, écroulé au milieu d’une allée dégarnie au fond du cimetière.
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Les jours se ressemblaient à peu près tous au cimetière, surtout lorsque la météo devenait moins clémente. Les gens sortaient moins pour rendre visite à leurs proches désormais défunts. C'était cette période de l'année où Timothy devait mettre les bouchées double pour entretenir les allées jonchées de feuilles mortes de son lieu de travail. Il croisait peu de monde en règle générale et finissait par parler seul, ce qui était bien mieux que de voir une colonie de personnes venir le voir pour faire des réclamations sur des organisations de funérailles dont il n'était pas le prestataire. Tim n'avait pas le monopole de tout, contrairement à ce que les gens pouvaient penser. Il n'était que le misérable gardien de cimetière à qui on disait de creuser des trous d'une dimension donnée avant de lui fournir une date et une heure pour que le futur lieu de repos fut prêt. Tout était en ordre avec Decastel, jamais une seconde de retard, il était même assez psychorigide lorsqu'il était question de son travail. Il voulait que les choses fussent bien faites et ces derniers temps, il donnait à peu près tout ce qu'il avait pour que les choses se déroulent au mieux. A la suite du carnage perpétré par des délinquants locaux, Timothy s'était senti encore plus concerné par l'aménagement du lieu alors, il avait remis à neuf tout un tas de mausolées et de tombes sous les recommandations des familles les plus demandeuses. Il y en avait d'autres par contre qui n'avaient pas fourni d'efforts au départ... C'était le cas des Hartwell mais cette affaire touchait personnellement le jeune Timothy. Il avait connu Harvey très jeune et il avait su également que sa vie n'avait pas été facile alors, lorsque son père était décédé, le jeune gardien de cimetière avait respecté les voeux de la famille, la haine au fond de ses entrailles l'étreignant tout au long de la vide cérémonie. Chaque jour, il passait devant la vulgaire croix de bois, la laissant plus ou moins décrépir au milieu des tombes parfaitement entretenues. Tim n'arrivait pas à s'en charger, tout cela était trop difficile quand on savait ce que la famille Hartwell avait vécu. D'ailleurs, ce jour-là était marqué par un vide absolu mais Tim y avait pensé en passant plusieurs fois devant la croix avec sa brouette remplie de feuilles mortes. Il était en train de ratisser bien plus loin lorsqu'il entendit des cris. Decastel relâcha son outil bien vite pour se diriger vers la voix désespérée. Sa course ne fut pas très longue puisqu'il s'arrêta au moment d'apercevoir une silhouette étendue par terre en train de hurler contre la vulgaire croix de bois. Timothy ne mit pas longtemps à reconnaître Harvey, qui ne devait pas être le plus sobre en vue du ton qu'il employait. Tim s'approcha tout doucement pour ne pas effrayer le jeune homme, s'asseyant à côté de lui sans rien dire d'abord. La haine que Harvey ressentait, Tim n'arrivait pas à l'avoir au fond de lui contre sa mère, juste parce qu'il s'y refusait, ce n'était pas lui. Il aimait les gens, il essayait de comprendre les actes de tout le monde, même des pires personnes qui peuplaient ce monde. "Harvey... Je suis désolé mais il te répondra pas. Je pense que c'est mieux comme ça, tu crois pas? Il t'a fait beaucoup de mal et tu mérites mieux maintenant... T'es libre." Oui, il était libre de vivre sa vie, Timothy posant une main réconfortante sur l'épaule de son vieil ami. Il s'en fichait qu'il ait pu boire trois litres d'alcool pour être dans cet état. Tim ressentait son désespoir et il détestait cette sensation... Il ferait tout pour la faire s'en aller.
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→ Avachi sur le sol, replié sur moi-même, j’ai noyé mon chagrin dans une bouteille de whisky mais ce dernier résiste et m’englue sous sa couche puante de désespoir. Je ne suis pas revenu ici depuis le jour de l’enterrement. Sobre, sans grande cérémonie, deux trois mots psalmodiés par un prêtre, mon frère et moi entourés des services sociaux. L’ambiance était glauque, affreuse et pitoyable. La famille de mon père avait déserté, par honte ou parce qu’ils s’en fichaient, je n’en sais rien. Mais nous étions seuls, mon frère et moi, et ce fut le début d’une longue route solitaire pour l’un et l’autre. Ressasser le passé ne m’aide pas, j’en ai conscience. Je n’arrive cependant pas à m’en défaire, obnubilé par les erreurs commises tout au long du parcours, les miennes et les leurs, celles qui ont causé cet éloignement douloureux entre Lo’ et moi. Cet espace vide, ce néant que je n’arrive pas à combler malgré mon envie de le faire. Mes tentatives ridicules sont le reflet de mon manque d’assurance. Lorsqu’on ne connait que le rejet, on finit par le provoquer et ça a un effet rassurant, anesthésiant. La douleur fulgurante permet à celle qui est là en permanence de s’évanouir un temps. Juste un temps cependant, rien qu’un temps…
Et alors que je me trouve là, en train de pleurer sur mon propre sort et de rager contre mon défunt père, à moitié ivre mort, je sens une présence rassurante s’assoir à mes côtés. Je ne bouge pas dans un premier temps, persuadé d’être confronté à l’une de ses fourberies de l’esprit, mon besoin de soutien étant tel que cela ne peut qu’être imaginé par ma propre personne. Et puis, au bout de quelques instants, une voix à la fois rauque et douce m’interpelle et je tressaille. – Harvey… Je suis désolé mais il te répondra pas. Je pense que c’est mieux comme ça, tu crois pas ? Il t’a fait beaucoup de tu mérites mieux maintenant… T’es libre. Libre. Je ne me suis jamais senti libre de quoi que ce soit, bien au contraire. Je reste inexorablement enchaîné à ce foutu passé, enlisé en plein bourbier et incapable de m’en extraire. Ma main vient essuyer mes larmes grossièrement et je me tourne vers mon interlocuteur. Durant plusieurs secondes, je ne fais que le dévisager reconnaissant les traits fins de l’un de mes anciens camarades de classe. Ses boucles éparses lui donnent un air angélique et la douceur de son regard m’apaise aussitôt. Je me souviens bien de ce regard d’ailleurs, et de tous les maux qu’il a subi plus jeune. Les couettes et les jupes entrainant les moqueries de la part de ses pairs. Proie facile, automatiquement désigné comme une victime. Fichu monde qui ne tourne pas rond et qui laisse certains endurer de pénibles fardeaux. Mon désespoir est néanmoins bien trop grand pour que ces mots suffisent à réduire la douleur. – Libre de quoi ? De gérer le merdier que ce connard a foutu dans nos vies ? J’suis pas libre, je le serais jamais. Mon regard se pose, furieux, sur la croix en bois. J’ai envie de cracher dessus et de la réduire en miettes. Je ressens tant de haine au fond de moi. Tant de haine. La haine emprisonne les cœurs, le mien suffoque depuis trop de temps. – Mais t’as raison Tim, ce connard ne me répondra pas. Il a jamais assumé de son vivant, de toute façon. Non, il préférait se noyer dans l’alcool, lui aussi. Mes mains viennent soutenir ma tête qui me parait bien trop lourde et je demande, un peu brusquement – Qu’est-ce que tu fous là Tim ? Parce que je ne comprends pas pourquoi il est là. Un nouveau fantôme du passé, mais pas déplaisant pour autant. Je m’inquiète juste maladroitement de savoir pourquoi lui aussi traîne dans cet endroit sordide, curieux et éméché, la migraine commençant d’ores et déjà à pointer le bout de son nez.
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Ils avaient tous bien changé depuis l'école primaire. La vie était tout simplement par là mais dans le cas de Harvey et de Tim, elle n'avait pas fait le travail à moitié. Aucun d'eux n'avait été épargné par un cruel destin, eux qui n'étaient que des enfants qui auraient mérité amour et épanouissement. Ce n'était juste pas ce qui était écrit dans les cartes pour eux. Ils s'étaient retrouvés au milieu d'une avalanche d'émotions négatives, l'alcool pour Harvey, l'identité pour Tim. Dans les deux cas, ils n'avaient jamais pu en guérir. C'était ce qui était le plus dur de toute manière, faire son deuil, accepter que le passé devait être enterré sous une pile de nouveaux souvenirs plus chaleureux. Tim avait beau sourire et paraître serein en société, ce n'était pas ce que son coeur lui murmurait dès lors qu'il se retrouvait face à sa propre solitude. Sa mère était encore bien vivace dans son esprit, et il en arrivait à des extrémités cruelles parfois... La voir mourir, voilà ce dont il rêvait, qu'elle prenne place aux côtés du père de Harvey, dans cette aile de mal aimés mais cela voulait aussi dire que Tim devrait la côtoyer tous les jours, sur son lieu de travail. Même dans la mort, elle était capable de le torturer mais il n'était pas le seul dans ce cas là puisque son ancien camarade de classe était présent, lui aussi. Face à sa haine. L'alcool aidant certainement à le faire parler, même si ce n'était qu'une croix sous ses yeux harassés. Tim n'avait pas croisé Harvey depuis bon nombre d'années mais il avait eu connaissance des tragédies des Hartwell, comme tout le monde. Maintenant que le patriarche était dans son cimetière, Timothy ne pouvait que rejouer cet épisode douloureux en passant devant la vieille croix en bois mal entretenue. Il voulait bien accepter cet homme dans son cimetière mais hors de question qu'il fasse des efforts pour ce cruel personnage qui avait fait tant de mal à un soutien précieux de son enfance. Harvey ne l'avait jamais jugé lorsqu'il s'était retrouvé orné de vêtements féminins au beau milieu de l'école. Ils s'étaient liés de cette façon, connaissant les déboires de l'autre sans rien en dire. Ce jour là, néanmoins, Tim ne pouvait pas rester silencieux, pas alors qu'il était dans cet état de colère. "C'est pas parce que ce connard a défini son passé qu'il doit définir ton avenir. T'es libre de choisir au moins ça, la personne que tu veux devenir, maintenant qu'il est plus là pour bousiller ce que tu peux encore construire... Fais pas cet erreur là, vis pas dans son ombre." Il savait bien de quoi il parlait parce que Tim ne faisait pas mieux que lui, toujours dans l'ombre de sa mère, de ce qu'elle voyait comme perspective pour lui... Enfin, plutôt pour Esméralda. Aucun d'eux ne méritait une telle souffrance, pas maintenant qu'ils avaient atteint l'âge adulte, pas alors qu'ils étaient censés être libérés du fardeau de leur passé. "Je travaille ici, Harvey. Je suis le gardien du cimetière, je t'ai entendu hurler et je t'ai vite reconnu en voyant devant quelle tombe tu t'es arrêté..." Il s'arrêta, son regard bleu vif se perdant sur les traits désespérés de son ami. "Pourquoi t'es revenu, toi? Pourquoi d'un coup, cette haine?" Que s'était-il passé dans sa vie pour être à nouveau dans cet état de désespoir? Tim ne pouvait qu'être présent, à défaut d'être utile. Comme plus de vingt ans auparavant. Eux deux contre le reste du monde.
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→ - C’est pas parce que ce connard a défini son passé qu’il doit définir ton avenir. T’es libre de choisir au moins ça, la personne que tu veux devenir, maintenant qu’il n’est plus là pour bousiller ce que tu peux encore construire… Fais pas cette erreur-là, vis pas dans son ombre. Je ferme les yeux, déglutis et inspire profondément. Ses paroles me blessent bien plus qu’elles ne peuvent me toucher, malheureusement. Il me semble que c’est justement à cause de sa disparition que j’ai tout bousillé. Lorsque je n’étais qu’un enfant battu, je faisais tout de même partie d’un foyer, aussi bancal qu’il puisse être, c’était mon point d’ancrage. Il y avait ma mère et mon frère et nous étions soudés tous les trois. Nous subissions les coups de cette horrible personne ravagée par l'alcool que mon père était devenu, mais nous étions ensembles, unis. Tout a explosé le jour où ma mère a pris la pire décision de sa vie, celle qui l’a éloigné pour toujours de nous et a démantelé notre foyer. Et comme si cela n’avait pas été suffisant, la presse s’était emparée de l’affaire, et tels des vautours rongés par la faim, les journalistes étaient venus se repaître de nos cœurs décharnés. Je m’étais senti dépossédé de tout, de ma propre vie, de mes propres décisions et choix. Je n’étais plus qu’un gamin perdu, un de plus parmi tant d’autres, confié aux services sociaux. Noyé dans la masse de gosses tous aussi pommés les uns que les autres, l’enfer a tournoyé autour de moi jusqu’à ce que je finisse par m'y précipiter moi-même. – J’aurai aimé le tuer de mes propres mains. J’avoue, à demi-mots, ce que j’ai sur le cœur. Combien de fois ai-je regretté de ne pas l’avoir tué ? J’aurai épargné Maman de la prison, Lonnie n’aurait jamais fini tout seul… Il n’y a que des regrets dans ma vie, c’est le bordel dans ma tête. Mes doigts s’enfoncent dans mon crâne alors que j’essaie de ne pas sombrer à nouveau dans les sanglots qui menacent de m’étrangler une fois de plus. – Je travaille ici, Harvey. Je suis le gardien du cimetière, je t’ai entendu hurler et je t’ai vite reconnu en voyant devant quelle tombe tu t’es arrêté… Le gardien du cimetière… Mon regard détaille son visage avec aberration. Quelle vocation étrange que celle de vouloir garder les morts ! Surpris, je cligne simplement des yeux, renifle et continue de l’observer. Il est devenu beau, Tim et même si dans son regard j’y aperçois un peu de peine, il a l’air d’aller mieux. – ça ma parole… Pour une vocation, s’en est une bien drôle… Ou pas du tout d’ailleurs. Mon regard glisse sur les tombes silencieuses autour de nous, je ressens un certain calme. Effroyable malgré tout. J’en ai presque la chair de poule. – Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce qui peut bien l’avoir poussé dans cette voie un brin sordide ? J’ai du mal à comprendre l’intérêt qu’on peut porter aux morts des autres, ou aux morts en général. Faut dire que je ne comprends pas vraiment les vivants non plus, ma foi. Alors, peut-être que je ne comprends juste rien à rien tout simplement. Que je suis un abruti ou un ‘bon à rien’ comme me répétait si souvent mon père. – Pourquoi t’es revenu, toi ? Pourquoi d’un coup, cette haine ? Je pousse un soupir empreint de découragement à cette question, mes épaules s’affaissent et ma vue se trouble à nouveau. Et parce que je suis totalement bourré, je n’arrive à rien d’autre qu’à me lamenter sur mon propre sort – dont je suis l’unique responsable. – Parce que j’ai lamentablement foiré Tim… J’ai merdé dans les grandes largeurs, je ne suis qu’un fichu bon à rien… Une loque à peine humaine… Et j’bois presqu’autant que cet enculé à qui j’dois la vie. Putain de vie de merde ! Dans l’fond c’est lui qu’est chanceux, six pieds sous terre. Il a pas à traîner sa carcasse tous les jours sans savoir où ses pas le mèneront. Vers un nouvel échec, de nouveaux problèmes… J’en ai tellement marre de tout ça. Et je suis en train de m’apitoyer lamentablement sur mon sort.
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Rien ne s'effaçait jamais, on gardait tous les stigmates de notre passé. Timothy aurait aimé se montrer plus rassurant, trouver les mots qu'il fallait pour soutenir une autre thèse, prouver qu'on pouvait vivre un bel avenir malgré les souffrances endurées. C'était faux dans son cas. Tim faisait tout pour oublier mais ce n'était jamais une réalité pour son coeur si fragile. Il revoyait sa mère constamment, les images de tout ce qu'elle lui avait fait subir et le jeune gardien de cimetière comprenait tout à fait où Harvey voulait en venir. Lui aussi parfois aurait aimé être une personne assez forte pour faire disparaître ses parents de la surface de la planète mais il aurait très probablement gâché son avenir. C'était la même histoire pour Hartwell. Sa mère avait fait le sale boulot, laissant derrière elle ses deux marmots complètement déchirés par les événements. Harvey avait vite fait de détaler et Decastel ne lui en avait pas voulu pour ce silence radio. Après tout, la presse était constamment sur leur dos à cette époque et les habitants en avaient parlé un long moment. Puis, tout cela avait fini par se tasser, la vie avait repris son cours avec, pour seul véritablement changement, la vieille croix de bois qui ornait désormais l'aile est où travaillait Timothy. Il n'aimait pas spécialement se retrouver dans cette rangée, les mauvais souvenirs refaisant vite surface mais voir son vieil ami, ici, après tout ce temps, mettait tout de même du baume au coeur du jeune brun. "Si t'avais fait ça, ça aurait été toi derrière les barreaux et je pense pas que ta mère aurait voulu que tu ruines ton avenir." Sa mère les avait protégés, bien plus que la sienne n'avait pu le faire puisqu'elle était la personne qui l'avait détruite en premier lieu. Tim semblait apaisé quand on le voyait ainsi, autant en contrôle sur son lieu de travail mais ce n'était qu'une bien belle illusion, une de plus dans un compte déjà gigantesque. Que dire à Harvey? Comment le soulager de cette peine? Tim était une bonne épaule pour pleurer, c'était un fait mais vu que leur parcours se ressemblait énormément, Decastel se retrouvait relativement sans voix pour une fois. Il l'écouta cela dit, lui dire à quel point sa vie était un désastre, mais lui, le pauvre Tim n'était pas mieux. "Le cimetière, c'était mon lieu de refuge quand je me sentais pas bien par rapport à ma mère alors j'ai fini naturellement par bosser ici... Qu'est-ce qui s'est passé pour que tu te mettes à boire? Peut être que t'as foiré, ouais, mais on le fait tous, non? Et ça veut pas dire que tu vas pas retrouver ta route... Faut jamais arrêter d'espérer et de faire ce qui faut pour devenir celui que tu veux être. C'est une route longue mais c'est possible, je t'assure." Il en était loin lui-même mais depuis sa rencontre avec Charlie, Timothy avait tendance à croire plus en ce genre de discours. Il regarda son vieil ami avec un sourire, espérant que tout cela ne serait qu'éphémère et qu'il le reverrait bientôt avec le même rictus sur ses lippes.
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→ - Si t’avais fait ça, ça aurait été toi derrière les barreaux et je pense pas que ta mère aurait voulu que tu ruines ton avenir. Je ne peux pas réprimer un pouffement de dédain à ses paroles. Je rétorque, amer – Si ma mère en avait eu quelque chose à foutre de mon avenir, elle ne nous aurait pas abandonné pour passer sa putain de vie en taule. Je suis totalement perdu entre ma culpabilité et la colère que je ressens vis-à-vis d’elle. Je lui en veux tellement, terriblement. Son geste désespéré a eu des conséquences tellement désastreuses sur nous ! Lonnie a dû grandir sans foyer, avec un frère trop en colère pour s’occuper de lui et une mère à qui il rend visite toutes les semaines à la prison, tout ça parce qu’elle a pété un câble et commis l’irréparable. Ce passé sordide ne me lâche pas et me hante tous les jours. Je revois les services sociaux à la sortie de l’école, le visage baigné de larmes de Lonnie et l’annonce terrible et fatale… Foyer disloqué, père et mère mis au trou, différemment. Et je sais que je rejette toute la faute sur elle pour minimiser mes manquements et mon attitude de rejet, je sais que je me voile la face et que tôt ou tard il faudra que je me confronte à mes propres défaillances. Mais c’est dur… Je n’en ai pas réellement envie, le déni est un entre-deux bancal dans lequel je me conforte aisément. - Le cimetière, c’était mon lieu de refuge quand je me sentais pas bien par rapport à ma mère alors j’ai fini naturellement par bosser ici… Qu’est-ce qui s’est passé pour que tu te mettes à boire ? Peut-être que t’as foiré, ouais, mais on le fait tous, non ? Et ça veut pas dire que tu vas pas retrouver ta route… Faut jamais arrêter d’espérer et de faire ce qui faut pour devenir celui que tu veux être. C’est une route longue mais c’est possible, je t’assure. Comment est-ce que je me suis mis à boire ? Les coudes posés sur les genoux, mon regard contemple le vide et je reste un moment sans bouger – si bien qu’on pourrait croire que je me suis endormi. La cigarette entre mes doigts se consume toute seule et le mince filet de fumée qui s’en échappe titille mes narines sans que cela ne me gêne réellement. Je suis perdu dans mes souvenirs, lorsque je n’étais qu’un ado qui cherchait à tout prix à annihiler la douleur, à la faire disparaître, à chercher cet état d’ébriété qui anéanti la conscience et permet de s’oublier soi-même. M’oublier, c’est un peu ce que je cherche, trop souvent. – L’espoir c’est d’la merde. Que je réponds, fataliste. Néanmoins, je le pense réellement. Je rallume une nouvelle clope, décrétant : - ça te fait croire que tu peux faire ce que tu veux, que la roue va tourner, que tout finira par s’arranger alors que c’est faux. En fait, l’espoir c’est le truc qui t’empêche de te pendre alors que tout t’y pousse. C’est un truc de masochiste. Et je crois que je suis maso dans l’fond. Sinon j’serais pas là. Surtout pas là. Je tourne mon regard vers Tim. Lui aussi il est maso pour travailler ici, il aime se faire du mal. Mais quand on a connu que ça, que le mal, comment pourrait-on chercher autre chose ? Le mal, c’est familier. On connait, et ça peut même sembler réconfortant. – C’est toujours ton lieu de refuge, ici ? Elle est où ta mère maintenant ? J’espère : très loin de lui. L’emprise de sa mère a été si néfaste durant son enfance. Je le plaignais, évidemment. Lui-aussi subissait les conneries d’un parent tordu, lui-aussi n’avait rien demandé à part vivre, simplement…
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Le retrouver après tant d'années ressemblait à une scène tout à fait surréaliste aux yeux de Tim. Une partie de lui avait voulu oublier tout ce qu'il avait subi dans sa jeunesse mais en pensant ainsi, il en avait également oublié les bons moments, les belles rencontres et Harvey en faisait définitivement partie. Ils n'avaient pas pris pour habitude de parler énormément, ce n'était de toute manière pas vraiment dans leur caractère mais ils s'étaient toujours soutenus face à la cruauté de leur famille respective. Chacun avait vécu ses tragédies et leur chemin s'était naturellement séparé au moment d'entrer dans l'âge adulte. On aurait pu croire que devenir indépendant aurait réglé tous leurs problèmes mais au bout du compte, rien n'avait changé. Pas en vingt ans. Timothy retrouvait son vieil ami d'école dans le même état de désespoir qu'à cette époque, quoiqu'il avait plus tiré sur la bouteille cette fois là. Le pauvre Decastel n'était pas spécialement doué pour réconforter et de toute façon, il ne s'attendait pas à comprendre ce qui se passait pour Harvey. Il ne savait pas ce que cela faisait quand un de tes parents assassinaient le second, même si celui-là n'était pas une personne merveilleuse et un père aimant. Les Hartwell en avaient forcément souffert et Harvey en était la preuve incarnée, là, à hurler à la mort contre une misérable croix en bois qui n'avait jamais été l'attrait principal du cimetière. Que dire? Comment faire diminuer sa peine? Par un geste, peut être, mais Tim n'était lui même pas très à l'aise avec la notion d'espace vital réduit alors, il cherchait ses mots, espérant que sa simple présence pourrait atténuer le chagrin de son ami d'enfance. Au moins cela, oui, à défaut de révolutionner son existence. "Mais si elle avait rien fait... Il aurait continué à vous faire du mal, non? Elle a voulu vous protéger. Enfin, je crois." Tim en connaissait un rayon sur le sujet puisqu'il passait le plus clair de son temps à protéger autrui, se détruisant au passage. Quelque part, il avait même protégé les sévices de sa mère en ne vendant pas la mèche auprès de ses professeurs. Il avait eu peur d'être séparé de son frère alors, il avait laissé faire. La mère d'Harvey, elle, avait choisi d'agir, même si les conséquences étaient dramatiques, évidemment. "Mais l'espoir, c'est tout ce qu'on a, tu sais. Et quelque part, les choses s'améliorent, à un moment donné. Regarde, il y a vingt ans, je portais des couettes contre mon gré et des robes... Regarde, aujourd'hui, je suis celui que je veux être. C'est ton tour maintenant." A lui de faire ses choix parce que ce ne serait pas Tim qui pourrait répondre à l'ultime question: vivre ou mourir, quel choix en valait le plus la peine? Lui n'aimait que la vie, quoiqu'il arrive, malgré les doutes, la peur et les douleurs diverses et variées. "Plus vraiment, c'est resté un lieu de souvenirs plus qu'autre chose, enfin la plupart du temps. Elle est à l'asile maintenant et je vais la voir souvent, ça se passe en général pas très bien pour mon état mental. Une partie de moi aimerait la voir à côté de la croix de ton père là et l'autre culpabilise de penser ça alors..." Que choisir, à nouveau? Rester là, immobile, en attendant, son regard azur planté dans celui de Harvey, sûr de rien mais avec l'envie de vivre encore un peu.
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→ - Mais si elle n’avait rien fait… Il aurait continué à vous faire du mal, non ? Elle a voulu vous protéger. Enfin, je crois. Est-ce qu’il aurait continué ? Très certainement. Est-ce qu’elle nous a protégés ainsi ? Pas vraiment. Sous couvert de vouloir nous protéger, elle a agi égoïstement, mettant fin à son calvaire en nous envoyant en pâture à tous ces charognards avide de sordides histoires. Les frères Hartwell, sombre histoire du passé, celle de deux gosses livrés à eux-mêmes bien trop jeunes et dont la mère a disjoncté, poussée à bout par un mari abusif et violent. Le jour où Gail a appuyé sur la détente, je ne suis pas certain qu’elle ait réellement réfléchi son acte. Ou alors, si elle l’a fait, ce serait encore pire. Si elle a cru réellement pouvoir nous protéger ainsi… Je secoue la tête, mes pensées sont embrumées, fragmentées et la migraine n’aide pas à me concentrer. – J’m’en fous. Je la hais. C’est tout ce que j’arrive à articuler. Je m’en fous, je la hais. Et je me répète ces mots jusqu’à ce qu’ils s’impriment dans mon cerveau et dans mon cœur, le rendant imperméable à toute culpabilité ou compassion envers ma mère. Je m’en fous, je la hais. Et Tim, il devrait la haïr aussi sa mère et comprendre ça. Nos mères nous ont blessés, abandonnés… Nos mères sont des connasses.
- Mais l’espoir, c’est tout ce qu’on a, tu sais. Et quelque part, les choses s’améliorent, à un moment donné. Regarde, il y a vingt ans, je portais des couettes contre mon gré et des robes… Regarde aujourd’hui, je suis celui que je veux être. C’est ton tour maintenant. Les yeux exorbités, fixant cette pauvre croix en bois menaçant de s’écrouler car elle doit être aussi pourrie que l’était mon paternel, je reste dubitatif face à ces mots. Puis, j’observe mes phalanges explosées et mes yeux se voilent. Je suis la violence de mon père. Je suis l’abandon de ma mère. Rien de plus, rien de moins. Je suis foutu. – Je ne peux pas… ça fait trop mal encore… bien trop mal… Et c’est bel et bien de la douleur dont il s’agit, qui perce à travers mes sanglots. Cette douleur immense et cruelle qui me broie le cœur et m’empêche d’avancer. J’ai mal, je souffre et je suis incapable d’avancer. Je suis la souffrance du passé, empêtrée dans ma chair, indissociable.
- Plus vraiment, c’est resté un lieu de souvenirs plus qu’autre chose, enfin la plupart du temps. Elle est à l’asile maintenant et je vais la voir souvent, ça se passe en général pas très bien pour mon état mental. Une partie de moi aimerait la voir à côté de la croix de ton père là et l’autre culpabilise de penser ça alors… Je souris, bêtement. Parce que je le comprends si bien Tim ! Parce que je me déteste pour la détester. Je culpabilise de ne pas lui rendre visite. Je déteste le regard de Lonnie sur moi. Je ne suis qu’un faible, qu’un lâche. J’ai tourné le dos à mon frère dès lors qu’elle nous a abandonné. Putain de cercle vicieux dont je ne sors jamais. – Mais qu’est-ce que nous ont fait nos mères putain ? Une mère, ce n’est pas celle qui est censé te bercer dans ses bras, te protéger de tout et de donner de l’affection ? Pourquoi les nôtres ont choisi des voies aussi terribles que les leurs ? Pourquoi nous ? Je soupire, tourne mon visage vers Tim et croise son regard cristallin. – J’aurai préféré te revoir ailleurs qu’ici, Tim. Que tu ne me vois pas comme ça. J’ai honte, évidemment. J’essuie mes mains sales sur mon jean et demande, un peu bêtement, un peu maladroitement – Y’a un endroit que tu préfères dans le cimetière ? J’ai pas envie de rester là… Près du connard que je déteste, non. J’ai envie de rester près de Tim, de parler avec lui, de prendre de ses nouvelles, mais je veux garder ça pour moi. L’enculé dans sa tombe entache trop ces retrouvailles, et même si je suis bourré, j’arrive encore à connecter quelques neurones étonnamment.
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On sentait que Timothy n'avait pas fait d'études de psychologie. Il n'avait jamais été spécialement doué pour réconforter les gens autour de lui, il avait déjà bien du mal à remonter la pente de lui même, alors comment s'occuper des autres? On ne lui avait pas appris les codes des relations humaines et la plupart du temps, cela se voyait dans le rapport qu'il pouvait avoir avec les autres. Etant gamin, il n'avait jamais vraiment réussi à former d'amitiés avec les autres, toujours maladroit, incapable de communiquer ou d'entrer dans un monde fantastique comme ses camarades. En grandissant, l'affaire ne s'était pas améliorée parce qu'il avait dû subir les remarques idiotes du reste des collégiens et des lycéens par la suite. Il avait dû vivre avec, plutôt en solitaire, regardant les autres s'inviter à des soirées quand lui se retrouvait recroquevillé dans un coin de son cimetière favori. Arrivé dans l'âge adulte, il avait conservé sa place dans ce monde étrange où personne ne voulait vraiment pénétrer. Il se trouvait mieux seul, au moins, il n'avait pas à souffrir de la communication à outrance avec le reste de l'humanité. Peut être qu'il n'était pas fait pour tout cela, c'était simple comme constat. Il se le répétait constamment et pourtant, là, au beau milieu du cimetière, il retrouvait Harvey bien des années plus tard et il avait été peut être le seul homme avec qui il avait pu partager un quelconque lien. Ils avaient un parcours relativement similaire, teinté de souffrances et de pleurs dissimulés, c'était ce qui les avait rapprochés avec les dires de leurs camarades de classe. Puis, la vie les avait séparés et quelque part, Decastel s'était persuadé qu'il ne croiserait jamais sa route à nouveau. Il s'était apparemment trompé puisqu'il devait être une épaule sûre pour Harvey, lui qui n'avait jamais réussi à consoler qui que ce fut jusqu'ici. Avait-il les bons? L'aidait-il? En vue de ses réactions, Timothy y croyait peu mais il ne pouvait pas abandonner, malgré tout. Pas Harvey. "Tu la hais parce que tu l'aimais et elle t'a déçu mais tout ça, ça peut toujours changer." Tim avait bien du mal à s'en convaincre pourtant, lui qui vivait le même genre de relation avec sa génitrice. Une grande partie de lui voulait la détester pour tout ce qu'il avait eu à supporter mais une autre s'évertuait à l'apprécier parce qu'elle l'avait mis au monde... Oui,il était d'un masochisme sans pareil. "Un jour, ça fera moins mal. Promis." Il ne pouvait pas lui fournir une date, pas même approximative mais Timothy était persuadé que le vent tournerait pour son vieil ami. Il était une des personnes qui le méritaient le plus après tout ce qu'il avait traversé. "Elles nous ont bousillé, je peux pas le nier." C'était la réponse la plus honnête qu'il pouvait lui fournir parce que lui aussi était instable, plus fragile qu'autrui mais il tenait le coup. Un jour de plus. Et encore un. Vacillant mais jamais vaincu, pas totalement. "C'est pas grave Harvey, tu sais que je te jugerai pas pour ça. Tu m'as bien vu pleurer pas mal de fois à l'école donc..." Ils n'en avaient jamais parlé mais Timothy savait que le jeune Hartwell l'avait aperçu dans des états plus pathétiques encore alors, il ne pouvait qu'être présent pour lui. Il hocha d'ailleurs la tête et aida Harvey à se relever, l'emmenant près du grand arbre au fond du cimetière, là où il n'y avait pas encore de pierres tombales, juste le silence et des dizaines de fleurs, un havre de paix pour Decastel. "Un jour, ce sera rempli de tombes ici aussi mais en attendant, je me fais plaisir niveau fleurissement, j'espère que ça te va comme endroit... Et si tu veux parler de ce que t'as vécu depuis la dernière fois qu'on s'est vus, je suis tout ouïe, j'adore les histoires!" Tim n'avait pas été un gamin, il n'avait jamais eu cette chance alors, peut être que c'était bien qu'il puisse avoir cette innocence désormais, en compagnie d'un vieil ami. Là, au milieu des fleurs, tous les deux seuls mais pas avec leurs démons. Pour une fois.
In this house of broken hearts, your ambition caused our fall. And yes, we hold on tight 'cause we knew our love was your last legacy. And our paper houses reach the stars, and one day, we may touch the moon. Yeah, I paid the price and owned the scars for the two of us. Sometimes I'm wondering if it's enough. Why did you climb and fall so far ?
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Harvey et Timothy s'étaient dirigés au fond du cimetière, tout au sud, là où il n'y avait pas encore de tombes d'érigées. Le lieu était beau, avec son grand arbre et ses fleurs. Le temps était mitigé, pas assez ensoleillé pour encourager la joie à pointer le bout de son nez, mais pas assez terrible pour empêcher chacun de se recueillir sur la tombe de ses défunts proches. Un peu plus au nord, dans la ligne de mire des deux hommes, se tenait bien droite, une silhouette toute de noir vêtue. De la tête aux pieds: une longue robe noire à manches, surplombée par un long voile noir qui flottait, porté par les courants d'air assez réguliers ce jour, autour du visage entièrement couvert de la jeune femme. Seules ses mains n'étaient pas emmitouflées en fait, actuellement jointes devant la poitrine de l'inconnue, doigts entrelacés, chapelet catholique les entourant à plusieurs reprises, mais si long que son extrémité retombait un peu plus bas, le crucifix bougeant lui aussi selon les caprices du vent. On aurait pu croire à un fantôme qui errait dans les allées du cimetière; mais l'apparition était bien vivante. Elle priait. Silencieuse. Isolée dans son recueillement. Méconnaissable dans cette tenue de deuil telle qu'on en voyait plus guère; mais après tout, chacun vivait la mort à sa manière.
Qui aurait cru que sous ces épaisseurs de tissu si sombre, se cachait Heïana ? La jeune femme était plus accoutumée aux tenues légères, ou au moins plus festives et respirant le bien-être, colorées et bien assorties. Là, pour ceux qui la connaissaient, ça aurait paru inquiétant de la voir ainsi habillée. Pourtant, aucun souci à se faire pour le quotidien de la demoiselle; quand elle serait rentrée chez elle, sa bonne humeur reviendrait, et ses habitudes réapparaîtraient. Mais en ces lieux, elle pouvait se permettre de laisser ses sentiments envers ses parents resurgir, aussi profonds et douloureux soient-ils. Après tout, cela faisait déjà sept ans qu'ils étaient décédés ; sept longues années sans être passée sur leur tombe, le temps de se remettre, de se reconstruire et surtout, de veiller sur Moana. Sous le voile, de lourdes larmes mouillaient les joues de la Tahitienne, les unes après les autres, alors qu'elle terminait de prier. Voilà bien une demie-heure que la jeune femme était là; elle avait dit ce qu'elle avait à dire à ses proches. La tombe était grande, et le marbre utilisé pour la bâtir luxueux, mais sobre. Plus qu'ils ne l'auraient sans doute eux-même voulu, mais ça avait été la volonté de leur aînée. En arrivant, elle avait déposé une gerbe de roses aux couleurs mélangées, blanches pour le deuil, rouges sang pour l'amour qu'elle leur portait. Les mains jusque-là accrochées l'une à l'autre se détachèrent, laissant voir la trace que les ongles avaient fait dans la peau. La jeune femme enroula son chapelet autour de son poignet, se signa. Puis, toujours aussi silencieuse, elle quitta le tombeau familial. Entendant des bruits de conversation, un peu plus loin, elle tourna la tête et vit deux hommes. Elle n'irait pas les déranger. Reprenant son chemin, elle quitta le cimetière, sans un bruit, comme elle l'avait visité.
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→ Suivant la direction indiquée par Tim, je me relève et quitte l’allée interminable et horriblement triste où les tombes se succèdent dans un alignement précis. Les cailloux crissent sous les chaussures alors que je m’éloigne de la cause de mes tourments, sans avoir obtenu de réponses, ni ressentir d’apaisement. Quelle connerie de venir ici ! Comme si me rendre sur sa tombe pouvait tout régler, encore une fois je n’ai pas vraiment réfléchi. « Tu la hais parce que tu l’aimais et elle t’a déçu… » Elle nous a abandonné, lâchement et bêtement. Elle nous a abandonné pour croupir en prison le reste de ces jours. Quelle mère fait ça ? Quelle mère pense que la solution est l’enfermement et la privation de liberté ? Elle nous a condamnés en même temps qu’elle, et tous les événements qui ont suivi ce jour-là n’ont été qu’une succession de mauvaises décisions prises à cause de son acte irréfléchi. Elle aurait dû m’en parler, nous aurions agi ensembles, trouvé une meilleure solution pour nous trois. Au lieu de nous faire confiance, elle nous a éloignés et notre famille a implosé, littéralement. « Un jour, ça fera moins mal… Promis. » Ces paroles me révoltent mais je me tais. Est-ce que ça lui fait réellement moins mal lorsqu’il rend visite à sa mère internée ? Est-ce que la souffrance a réellement diminué ou s’y est-il habitué en vérité ? On s’habitue à souffrir, la douleur est une gangrène qui ne nous quitte pas et qui finit par être familière. Elle nous pourrit et nous ronge jusqu’à l’os et pourtant, nous sommes encore debout, et vivants. Et alors que je contemple le parterre fleurie devant moi, sans pierre tombales, j’écoute avec attention mon vieil ami qui me fait part, un peu, de ce qu’est devenue sa vie. Aussi triste que les pierres qu’il entretient. Un goût amer dans la bouche, je renifle alors que les larmes menacent de resurgir, encore. – Un jour, ce sera rempli de tombes ici aussi mais en attendant, je me fais plaisir niveau fleurissement, j’espère que ça te va comme endroit… Est-ce que ça me va comme endroit ? Je pense que c’est le mieux qu’on puisse obtenir d’un cimetière alors j’hoche la tête, un petit rictus au bord des lèvres qui laisse à penser que je lui suis reconnaissant de m’avoir éloigné de l’endroit où repose mon père. – Et si tu veux parler de ce que t’as vécu depuis la dernière fois qu’on s’est vus, je suis tout ouïe, j’adore les histoires ! Étonné par l’entrain que Tim mettait dans cette demande qui me semble étrange pour ma part, je lui jette un regard et l’observe, tentant de comprendre mon ami. Je soupire et relâche mes épaules en déclarant – Mon histoire est à chier, Tim. Mais si t’as envie de l’écouter, alors… Je ne sais pas vraiment raconter les histoires par contre. J’hausse les épaules, m’excuse d’avance pour le récit peu rocambolesque que je suis sur le point de narrer et me lance tout en laissant mon regard glisser sur les fleurs étalées devant moi. – Je me suis tiré quand ça a commencé à devenir chaud ici et parce que j’ai pu. J’ai décroché une bourse universitaire pour étudier à l’étranger, tout un programme spécial, bref… J’suis parti pendant dix ans, Tim. J’étais en Irlande et c’était… cool. Plus cool qu’ici, y’a pas vraiment de mal. Je ne vois comment qualifier l’Irlande autrement, je m’y suis senti libre et vivant… Seulement un temps. Je soupire à nouveau et passe ma main dans mes cheveux, les tirant vers l’arrière. La migraine toujours bien présente me fait grimacer. – Puis j’ai fait d’la merde, je me suis battu, j’ai perdu mon visa d’études et j’ai été obligé de rentrer au pays. J’suis revenu en février ici, j’ai trouvé un job à Fortitude Valley, dans un strip-club. J’y fais la sécurité, c’est pas passionnant mais ça paie les factures. Je cherche mon paquet de clope et m’en grille une nouvelle. Soufflant la fumée, j’aperçois une silhouette recouverte d’un voile noir qui marche entre les tombes au loin et je frissonne d’effroi un court instant. Serait-ce la faucheuse parmi nous ? Ou seulement une personne venue se recueillir. – J’ai revu Lonnie, il est flic maintenant. Il va voir Maman toutes les semaines en taule. Ça le bouffe tu sais… Lonnie et moi, c’est compliqué. On ne se comprends pas vraiment, on s’est trop éloignés pour ça et nos rancœurs nous séparent continuellement davantage. – Et toi Tim ? Que t’est-il arrivé cette dernière décennie alors ?
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Tim devait mettre son optimisme de côté, au moins durant un temps, pour être en mesure d'écouter Harvey. A ce stade, il était très certainement plus utopiste qu'autre chose et il n'y avait aucun moyen de savoir quelles étaient les origines de cet étrange comportement. Après tout, Decastel avait souffert bien plus que la majorité des gens avec son passé des plus tortueux mais il gardait le sourire. C'était certainement sa seule arme pour survivre dans un univers qu'il ne comprenait pas. La vérité était lâche mais elle était réelle pourtant: Tim ne savait pas ce qu'il faisait là. Il essayait de suivre le rythme, de se remettre sur pied le plus rapidement possible mais au fond, il n'avait aucune idée de ce qu'il essayait de réaliser. En tant que Decastel, il ne semblait plus attendre grand chose de la vie, c'était probablement pour cette raison qu'il lui était si aisé de sourire et ne pas s'inquiéter du futur. Harvey avait l'air de penser tout à fait différemment et avec l'alcool, le désespoir paraissait très vite plus profond. Tim l'écarta de la tombe de son père, profitant du fleurissement de l'aile qu'il travaillait le plus depuis quelques temps dans son cimetière. Il aperçut Heïana faire sa visite hebdomadaire entre quelques pierres tombales au loin mais n'osa pas la déranger en lui envoyant un signe de main. De toute manière, il était bien trop préoccupé par Hartwell qui commençait à narrer son parcours pour arriver jusqu'ici, aujourd'hui. Tim suivit assidûment ses aventures, pour le moins heureux que son ami soit sorti de cette ville pendant une bonne décennie pour mieux y revenir, plus douloureusement qu'auparavant, du moins, c'était la sensation que le gardien de cimetière avait en l'écoutant. "T'es un peu revenu contre ton gré, alors... Et t'envisages pas de repartir? Tu pourrais trouver un autre visa, je sais pas, si tu te plaisais autant là bas, je me dis que t'as encore toutes tes chances d'y retourner. C'est vrai qu'ici, t'as pas les meilleurs souvenirs mais dans tous les cas, tu peux faire la paix avec ton passé une bonne fois pour toutes. Avec Lonnie, peut être aussi. Il a l'air d'avoir changé lui aussi. Le temps nous change." C'était là une bien triste vérité. Timothy, pourtant, avait la sensation d'être toujours le même, désespérément le même. A croire que tout le monde n'était pas destiné qu changement, au vrai bouleversement. "Moi? Bah écoute, j'ai rien fait de plus en dix ans. Je sais, c'est triste, mais je subis encore les folies de ma mère quand je vais la voir à l'asile. Sinon, je bosse ici, je crois que je suis le type le plus désespérant de la planète, c'est ce que mon frère dit en tout cas. Je dois avoir un problème. C'est la seule chose que je vois. Je suis pas plus aidé que toi et dans le fond, je suis aussi malheureux." Au moins, il le confessait, assis sur l'herbe à regarder Harvey avec ses yeux brillants. Aucun d'eux ne s'en était sorti au final, les jeunes garçons qu'ils avaient été devaient être bien chagrinés de le constater, vingt ans plus tard.
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→ J’écoute avec un air absent mon ancien camarade de tourments qui voit toujours le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Je ne sais pas d’où lui vient cette optimiste qui me semble à moi totalement inutile. Car à quoi bon penser que les choses vont s’arranger quand il est évident que non ? Faire la paix avec mon passé me semble impossible. Lonnie ne pourra jamais me pardonner tous mes manquements, et je ne rendrais pas visite à Maman en taule pour lui faire plaisir. D’autant plus que je risque de tout foutre en l’air, je vivrais très mal d’apprendre que Maman s’est suicidée après mon unique visite auprès d’elle en dix ans. Je ne pense pas pouvoir contenir toute ma colère à son égard si je la croise, ça risque de sortir n’importe comment et ce n’est pas judicieux. Autant que les choses restent telles qu’elles sont. – Non je ne l’envisage pas. L’Irlande c’était… une parenthèse. Une parenthèse de dix ans, une parenthèse agréable loin de tout, une parenthèse qui s’est refermée et avec elle les opportunités qu’elle offrait. Je ne vais pas expliquer à Tim mon besoin de faire parler mes poings régulièrement pour laisser la rage et la colère sortir et éviter d’imploser à tout moment. Mais c’est bel et bien à cause de ça que je sais que l’Irlande n’a rien à m’offrir désormais. Je n’y suis pas connu pour mon grand intellect, mais bien plus à cause de mes poings ravageurs. – Et ouais, Lonnie a changé mais je ne connais pas grand-chose de sa vie. Tu sais, lui et moi, ça n’a jamais été simple. Par manque de communication principalement, qui a entraîné inévitablement d’énormes incompréhensions. On ne se comprend plus désormais, on ne sait plus quoi se dire et nos opinions sont tellement opposés qu’il est difficile d’envisager qu’un jour nous serons capables de nous réconcilier. Lui, que j’ai abandonné ici et qui rend visite à notre mère toutes les semaines, s’imposant la lourde atmosphère de l’univers carcéral continuellement, ce même univers qui me terrifie et que je fuis tout en continuant de jouer avec l’illégalité. Je n’ai aucune logique dans ma façon d’agir, c’est totalement stupide et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même pour le coup. Accuser le destin ne sert qu’à tenter en vain de m’ôter un peu de la culpabilité qui m’oblige à me tasser sur moi-même. Alors, pour éviter de sombrer dans mes pensées les plus noires, je demande à Tim ce qu’il devient, espérant que son enthousiasme et son optimiste ne sont pas feints. Et il s’avère que si, ils le sont. Car lorsqu’il m’explique être tout aussi malheureux qu’avant, je pousse un long soupire de découragement. Puis, je secoue la tête et me met à rire. D’un rire grave, un peu désespéré et moqueur envers nous-même et nos situations de merde. – Putain, on n’est pas aidé Tim ! Bordel, je ne suis pas sûr qu’on s’en sortira un jour tu sais. Sortant une clope de mon paquet, je lui en propose en tendant les responsables du cancer vers lui, avant d’en glisser une entre mes lèvres. Je finis par m’allonger dans l’herbe, fixer le ciel et je lui demande – T’as quelqu’un dans ta vie Tim ? Je pense que lorsqu’on trouve sa moitié, la plupart de nos problèmes s’évanouissent, comme si on trouvait un sens à nos vies alors…
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Mentir était devenu une facilité. Faire semblant d'être heureux, sourire à tout bout de champ, toujours rester accueillant avec des visiteurs particulièrement désagréables, tout cela était le quotidien de Tim depuis quinze bonnes années. Il s'était habitué à ne pas être cent pour cent lui même, toujours dans son rôle d'acteur, de jeune homme sûr de lui et bien sous tous rapports, même si le mensonge était bien trop gros pour être avalé. Si on le regardait suffisamment de près, on réalisait bien vite que Timothy était loin de l'image qu'il voulait renvoyer. On le sentait rapidement nerveux, apeuré de tout mais surtout des autres. Il essayait de guérir, de faire ce qu'il fallait pour évoluer mais ce n'était jamais aussi simple qu'on pouvait l'envisager au départ. En cela, Decastel pouvait se rapprocher de Harvey, leur parcours de vie s'étant délité plus ou moins au même moment. Ils avaient tous deux commencé à souffrir dès l'enfance, leurs parents les enchaînant à un destin terrible mais, ils étaient restés vivants. Chancelants peut être, mais encore debout pour subir d'autres douleurs, celles de l'âge adulte, les pires qui puissent exister. Harvey avait quitté le pays, Tim s'était plongé dans la routine mais au final, ils avaient tous les deux fui leur passé pour qu'il puisse mieux leur revenir et les ruiner. Une sacrée histoire, en somme. "J'espère que t'en gardes quand même d'heureux souvenirs, c'était pour en avoir que t'es parti après tout." Brisbane ne l'avait pas rendu heureux et Tim pouvait se reconnaître dans ce genre d'images. Il n'avait pas vécu de grands instants de bonheur, se retrouvant bien trop fréquemment seul face à ses démons. Un autre point commun avec Hartwell, assurément. "Vous avez pu parler un peu avec Lonnie depuis ton retour? Peut être que ça s'arrangera entre vous, les frères, c'est parfois compliqué." Le sien était très certainement plus simple à suivre que Lonnie, même s'il était parti de la ville durant deux bonnes années pour poursuivre un de ses rêves. Maintenant qu'il était de retour, Timothy ne s'imaginait plus vivre sans lui. Il se retrouva à expliquer à son tour son malheur et en guise de réponse, Harvey lui tendit une cigarette que Timothy attrapa sans savoir quoi en faire. Il n'avait jamais fumé de sa vie alors, comment savoir s'il aimait cela ou non? "On va essayer de rester optimistes un minimum, Harvey, parce qu'on a atteint que la trentaine pour le moment alors si le reste de notre vie est de cet acabit, je sais pas si ça vaut le coup de continuer." Tim ne se voyait pas mourir, en tout cas. Il avait la sensation d'avoir encore plein de choses à accomplir sur cette planète, même s'il ne savait pas de quoi il s'agissait exactement. "Tu veux dire, est-ce que je suis en couple? Je l'ai jamais été mais je connais les béguins, je sais pas si je suis capable de gérer, j'aimerais dire que oui mais, qui voudrait de moi? Je suis cassé comme gars. Je suis pas normal alors... Et toi, t'as quelqu'un?" Il avait eu Alex et maintenant, il y avait Charlie. Tim espérait que l'avenir serait plus brillant que son passé, tout comme celui d'Harvey, c'était tout ce à quoi il pouvait encore aspirer.