Au petit jeu des sous entendus à peine voilés, Prim était passée maître, aussi lorsqu'elle lançait un discret mais pointu : « C’est parce que tu manques de pratique, bichette, je n’arrête pas de te le dire. » Romy manquait de s'étouffer. Le sang avait quitté les canaux de son visage, et tandis que ses méninges fusaient à tout va elle remerciait la providence d'avoir fait en sorte que Jonas ait loupé la distribution de neurones au profit de celle de la masse musculaire. Double ration de muscles, quotient intellectuel limité. Un mec qu'elle aurait dû trouver parfait mais qui pour le moment ne trouvait pas forcément grâce à ses yeux. Sans doute puisqu'elle ne désirait pas donner satisfaction à sa cousine d'avoir réussi son entreprise démoniaque. C'était peut être pour cette raison qu'elle avait tâché d'en dire le moins possible sur elle, qu'elle avait menti sur son job, et finalement, lorsque le brun repartait vaquer à ses occupations de modèle nu comme un ver, l'étudiante ne s'était pas privée pour ajouter son grain de sel. « Quitte à ne pas dire toute la vérité, tu aurais pu carrément mentir, trapéziste c’est un métier super cool et en plus il aurait passé les deux prochaines heures à fantasmer sur ta souplesse. » Ahahah. Très drôle. Lâchant en profond soupir, Romy s'était finalement passée une main sur le visage, comme soulagée à l'idée de ne plus être sous le regard pesant de monsieur "tu-as-des-mains-délicates". "Ouais au lieu de ça il risque de passer les deux prochaines heures à se dire qu'il pourra me parler de sa mère et de son manque de reconnaissance au boulot. Comme les trois quart des mecs." En fait elle n'en savait rien, mais c'était ce qu'elle s'imaginait. John se plaignait lui, beaucoup. Alors pourquoi pas Jonas ? Qu'importe. De toute façon les fabulations de Primrose ne se concrétiseront jamais, et c'est avec le plus grand sérieux (non) qu'elles se remettaient à l'oeuvre pour parfaire leur dessin. Si Romy avait tenté de minimiser les choses en renvoyant les espérances de sa cousine au fond du panier en lui avouant avoir un charme inexistant, cette dernière ne semblait pas exactement du même avis. « Non mais t’es sérieuse, là ? T’es carrément canon, toutes les filles rêvent de te ressembler alors arrête de jouer les potiches et fonce ! » Oula, non. La surprise la stoppa net dans son trait de fusain, et visible sur son visage à des kilomètres elle suffisait à montrer à quel point la blondinette n'y croyait pas. "Ressembler à quoi ? A une planche à pain d'un mètre soixante pas foutue de porter une paire d'escarpins sans se tuer ?" Grosso modo, c'était l'image qu'elle avait d'elle. Oh Romy savait qu'elle n'était pas si mal que ça, mais de là à se lancer à la conquête d'une montagne de muscles qui faisait saliver la moitié des personnes présentes dans cette pièce il y avait un monde, un point que ne manquait d'ailleurs pas de relever sa cousine. « Sachant qu’il ne m’a pas adressé un seul regard et que je suis encore loin de ressembler à une vieille femme de quatre-vingts ans, je crois qu’on peut dire que ton hypothèse ne tient pas la route, mais c’était bien essayé. » Ahah. Peut être. Ou non. Il était pas mal Jonas, mais ... il y avait bien trop de mais qui s'opposaient à cette hypothèse, et la brune avait tout un tas d'arguments en stock pour les contrer, du moins, la seule à montrer des signes de faiblesse c'était bien elle, et ça aussi, Prim l'avait vu. « Tu veux un mouchoir pour essuyer toute cette bave ? » "Eh !" protestait toutefois Romy (sans doute pour conserver un semblant d'amour propre) lui pinçant l'avant bras histoire de montrer que non, elle ne bavait pas. Pas vraiment du moins. « Dis-toi que de l’avoir déjà vu à poil ça enlève la première étape gênante où vous dévoilez l’un à l’autre. Pour sa part, c’est chose faite et si tu veux, je peux lui suggérer que tu poses à ton tour après la prochaine pause et que ce soit lui qui te dessine, comme ça vous serez sur le même pied d’égalité. » D'accord donc la on nageait en plein délire. Reposant son fusain sur le rebord de son chevalet, la petite blonde se penchait vers l'étudiante histoire de parler sans se faire entendre par leurs voisines, puis murmurait après s'être vue rassurée (ou pas) par cette dernière d'un : « C’est que du sexe Romy, tu as pas encore besoin de voir son CV. Mais s’il n’y a que ça, ça ne me dérange pas de le lui demander. » Ben voyons. "Ok, peut être qu'il t'a pas regardée mais ça veut pas pour autant dire que je lui ai tapé dans l'oeil. On est les petites nouvelles de ce cours, c'est normal qu'il soit venu nous voir. Et ... je sais pas, je dois avoir l'air d'une demeurée c'est peut être pour ça qu'il m'a montré comment tenir ce foutu fusain. Dans tous les cas je pense pas que t'ai matière à ... à penser qu'on puisse coucher ensemble. Il doit avoir une Penelope Cruz dans son lit déjà." Ce dont elle ne doutait pas. Et pourtant. " ... si jamais je retourne lui parler à la fin du cours, est ce que tu me promets de laisser tomber tes allusions jusqu'à ce qu'on ait fini nos oeuvres d'art ?" Romy ne savait pas bien dans quoi elle venait de se lancer là, quand bien même elle n'avait pas promis d'aller dénicher son numéro. La situation la rendait mal à l'aise et elle aurait été capable d'à peu près tout pour y mettre fin.
Romy a une vision de la gente masculine assez particulière et même si je ne peux que lui donne raison compte tenu des hommes que je côtoie presque quotidiennement et dont la mentalité me donne envie de vomir bien plus souvent que je le souhaiterais, je ne tiens pas à ce qu’elle la conserve. Ma cousine a vécu une déception amoureuse difficile mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne mérite pas une nouvelle chance avec un homme qui pourrait la rendre plus heureuse. Et en attendant que cet homme parfait se présente à elle, rien ne lui interdit de prendre un peu de bon temps, notamment avec le bel Apollon qui se trouve dans cette pièce. A défaut de lui permettre d’avoir une autre relation sérieuse, elle pourra au moins profiter des plaisirs qu’il peut lui offrir et s’octroyer par la même occasion un regain de confiance en elle dont elle semble manquer cruellement ces deniers temps. C’est dommage, elle mérite tellement mieux que ça et elle est tellement plus que la personne qu’elle décrit. J’aimerais beaucoup qu’elle s’en rende compte. « Ou alors, il est en train de se dire qu’il est bien dommage que cette couche de vêtement l’empêche de t’admirer plus en détail, d’un point de vue purement artistique, bien sûr. » Je rétorque, contrant ses hypothèses dont la forte probabilité n’est pas avérée. Il peut être orphelin, avoir une mauvaise relation avec sa mère ou tout simplement entretenir des rapports normaux avec cette dernière. Tous les hommes ne se résument pas au portrait qu’elle en fait et heureusement. « Moi je trouve qu’il a l’air épanoui et bien dans sa peau. » Ce qui peut très bien être totalement faux mais pour pousser Romy dans les bras de ce bel homme musclé, aucun mensonge ne me parait inutile. En plus, si Branche d’Arbre manie bien le bâton, elle risque fort de laisser tomber sa rancœur envers son ex au profit de parties de jambes en l’air bien plus efficaces qu’une psychothérapie ou une thalasso. « Mais pour le découvrir, il va falloir que tu te sacrifies pour céder à ses avances, j’en ai bien peur. » Déjà parce qu’il ne m’a fait aucune avance à moi, aussi parce que je suis en couple – enfin presque – et surtout parce que c’est elle qui a besoin d’un peu de réconfort sexuel et non pas moi qui aimerais plutôt en avoir un peu moins d’autant plus que dans mon cas, c’est un devoir et je n’y trouve absolument aucune forme de réconfort. Je sais que je vais réussir à la convaincre, elle craque un peu pour lui même si elle fait en sorte de rester ferme. S’il s’agissait d’une histoire d’amour, je ne ferais pas preuve d’autant de désinvolture mais compte tenu de la nature de la relation que j’envisage pour elle – et qu’elle s’efforce de refuser sans en avoir envie, j’en suis sûre – je crois qu’il est possible de conserver ce ton léger.
Malgré tout, rien n’est gagné concernant Romy dont l’estime d’elle-même n’est pas à son paroxysme ses derniers temps. Je soupire et lève les yeux au ciel en l’entendant se décrire comme si elle avait le physique d’une collégienne et non celle de la jolie femme qui se tient à mes côtés. « Les fortes poitrines, c’est hasbeen et t’as qu’à porter des compensés. » Je lui suggère, haussant les épaules comme si ce choix de chaussure était suffisant pour la convaincre de se jeter dans les bras de ce futur sublime amant. « Franchement Romy, tu penses réellement que tu ne peux pas lui plaire ? Il t’a regardé comme si tu étais un biscuit et qu’il n’avait pas mangé depuis une semaine, alors détends-toi, bats des cils et profites. » Pour ce qui est d’être de bons conseils, j’admets que je ne suis sans doute pas exceptionnelle, loin de là, même, mais je ne baisserais pas les bras et à chaque argument que Romy donnera pour ne pas se jeter dans les bras de cet homme, j’en trouverais un autre pour la persuader que c’est en réalité la meilleure idée qu’elle puisse avoir. « En plus, la beauté est génétique chez nous, regarde-moi, c’est de famille. » En l’occurrence, c’est plutôt le côté planche à pain qui est de famille, mais je me garde bien de faire le moindre commentaire à ce sujet, préférant mon argument monté de toute pièce à une réalité qu’elle ne serait pas forcément ravie d’admettre. J’ai fait partie de ces adolescentes trop heureuses de rembourser leurs soutiens-gorges avec des chaussettes en attendant de devenir une vraie femme qui pourrait porter des décolletés plongeant pour laisser le monde admirer ses atouts. Malheureusement pour moi, s’ils devaient admirer quoi que ce soit, ce serait sûrement à la loupe et depuis le temps, je me suis fait à l’idée qu’il me faudrait trouver autre chose à mettre en valeur plutôt que d’user de la chirurgie esthétique pour devenir une autre de ces bimbos construites à l’aide d’un catalogue et dont le physique ne devient que plus repoussant au fur et à mesure des interventions. « Tu dis vraiment n’importe quoi, je devrais t’enregistrer pour que tu entendes le nombre de conneries que tu arrives à prononcer en un si court laps de temps. » Elle lui plait, ça crève les yeux, il n’y a qu’elle qui semble ne pas s’en rendre compte. « Tu lui plais, ça se voit dans ses yeux, regarde-le, il n’arrête pas de te fixer. » Et moi, je suis totalement transparente mais ce n’est pas un problème tant que c’est bien Romy, la fille sur laquelle il a des vues, plutôt que Huguette, soixante-sept ans, au fond de la salle. « Elle est peut-être canon Penelope, mais toi tu l’es encore plus et rien ne dit qu’elle assure au lit. » Bon, j’envisage donc sans scrupule que ma cousine se débrouille pas mal dans ce domaine et je lui impose ce fait, évidemment, sans avoir envie de connaitre le moindre détail de sa vie intime. Et elle craque, enfin, envisageant même de faire le premier pas vers lui ce qui est presque touchant. « Dommage, je m’amusais bien mais c’est d’accord, mais tu as intérêt à lui filer ton numéro quand il te le demandera. » Il le fera, bien sûr, ce n’est qu’une question de temps. La fin du cours est proche et Romy va repartir avec un futur rencard. J’ai hâte pour elle.
Romy ne restait pas insensible aux paroles de Prim, et bien qu’elle ne soit pas hermétiquement fermée à l’éventualité d’avoir un flirt avec ce type (elle n’entrait pas totalement dans la catégorie des vierges effarouchées après tout), la petite blonde voyait pourtant les choses se profiler un tantinet trop rapidement pour son instinct de Bridget Jones en puissance, et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette situation lui faisait monter le rose aux joues. Elle tentait de garder un semblant de contenance face à cette cousine qui avait planté ses crocs et ne laissait pas le moindre répit au vestige de son sex appeal. « Ou alors, il est en train de se dire qu’il est bien dommage que cette couche de vêtement l’empêche de t’admirer plus en détail, d’un point de vue purement artistique, bien sûr. » Bien sûr, évidemment. L’art avant tout, il n’y avait qu’à en juger par les deux dessins qu’elles venaient de réaliser avec autant de précision qu’un enfant de dix ans. L’idée de poser nue pour se faire dessiner par un crush à l’instar d’une Rose dans Titanic la ferait sûrement plus rire que vibrer, mais soit. Ce Jonas pouvait s’imaginer autant de choses qu’il le voulait dans les pensées d’une Prim un chouïa trop imaginative. Reposant son fusain sur le rebord du chevalet, Romy se passait les doigts dans les cheveux dans un geste qui traduisait son malaise. Elle avait sûrement l’air d’une gamine, mais pour elle son envie de s’investir ou non avec un type ne s’était jamais faite en quelques regards. Elle était de celles qui avaient besoin de rire, de ressentir des choses, mais pour un flirt qu’elle ne reverrait jamais (puisqu’il était hors de question qu’elle retourne à ce cours de dessin un jour) …. L’idée commençait à germer, et c’était un fait que Primrose n’avait pas manqué de relever. « Moi je trouve qu’il a l’air épanoui et bien dans sa peau. » La blondinette penchait la tête sur le côté, glissant un regard au modèle venant de changer de pose pour nous faire admirer les muscles de son dos. Oula. « T’es sûre que tu veux pas dire par là qu’il a l’air bien tout court ? » Non elle ne lorgnait pas. Ou peut-être un peu. « Mais pour le découvrir, il va falloir que tu te sacrifies pour céder à ses avances, j’en ai bien peur. » Feignant le cataclysme, Romy plaçait sa main contre sa poitrine avec fatalité. « Et quel sacrifice. En revanche il ne m’a pas fait d’avances. » Il a peut être éventuellement complètement zappé la présence de Prim et attrapé son avant-bras pour le manipuler du bout des doigts mais ça ne voulait pas explicitement dire « Je te veux » et Romy la coincée en restait là. Et si elles s’étaient fait des films toutes les deux hein ? Et s’il aspirait à une nana en huit avec des lèvres pulpeuse et des airbags gonflés à bloc ? « Les fortes poitrines, c’est hasbeen et t’as qu’à porter des compensés. » Mouais. Elle n’était pas certaine, mais n’argumentait pas plus, se contentant d’un haussement d’épaules tant elle savait pertinemment qu’à chaque argument qu’elle trouverait, sa cousine en aurait un pour le contrer. « Franchement Romy, tu penses réellement que tu ne peux pas lui plaire ? Il t’a regardé comme si tu étais un biscuit et qu’il n’avait pas mangé depuis une semaine, alors détends-toi, bats des cils et profites. » Le sourcil relevé, Romy n’avait pu s’empêcher de s’imaginer minaudant, son numéro à la main pour essayer de mettre le grappin sur Jonas, et puisqu’il était évident qu’elle avait encore du mal à intégrer le fait qu’elle ait pu lui taper dans l’œil … « En plus, la beauté est génétique chez nous, regarde-moi, c’est de famille. » Mais qu’elle prévienne avant de balancer des choses comme ça, Prim. « Bien sûr. C’est bien connu, on est des bombes. » Et en l’occurrence, si elle était convaincue du charme de sa cousine et de sa sœur (mauvais jeu de mot ceci dit) elle était sincère lorsqu’elle confiait à la brune qu’elle ne s’en trouvait aucun, bien qu’elle compensait en claquant la moitié de son salaire chez Zara et l’autre moitié chez Sephora. « Tu dis vraiment n’importe quoi, je devrais t’enregistrer pour que tu entendes le nombre de conneries que tu arrives à prononcer en un si court laps de temps. » Romy émettait un claquement de langue pour montrer sa désapprobation, puis roulait complètement des yeux en l’écoutant poursuivre : « Tu lui plais, ça se voit dans ses yeux, regarde-le, il n’arrête pas de te fixer. » Il était hors de question qu’elle regarde branche d’arbre et sa branche apparente maintenant qu’il s’était retourné et semblait effectivement leur faire face, un peu comme un parent un peu trop fier qui ferait coucou à ses enfants dans un manège. « A part toi et moi, la moyenne d’âge de ce cours doit être de soixante-quinze ans, et je sais pas, peut-être qu’il a dû comprendre que tu filais déjà le parfait amour avec ton fils à papa. » Le fameux Joey qu’elle gardait jalousement pour elle depuis quatre mois et dix-huit jours. Un peu plus maintenant. Il faudrait qu’elles aient une discussion à son sujet d’ailleurs, mais pour l’heure Romy jouait ses dernières cartes avant de craquer. « Elle est peut-être canon Penelope, mais toi tu l’es encore plus et rien ne dit qu’elle assure au lit. » Mais elle resterait Penelope Cruz et pas Romy Ashby, conseillère pénitentiaire et planche à pain de son état n’ayant pour elle que son semblant d’humour et un niveau de make up artist du dimanche sauvant les apparences. « Dommage, je m’amusais bien mais c’est d’accord, mais tu as intérêt à lui filer ton numéro quand il te le demandera. » Mouais. « Je te déteste cordialement Primrose Anderson. » Ce qui était faux. Quoique. En l’instant peut être. Romy soufflait, attrapait dans son sac à main un miroir de poche pour s’inspecter le visage. Joues rouges certes, mais le mascara n’avait pas bavé et son correcteur tenait encore le coup, comme quoi, ces trente dollars valaient l’investissement. Elle abandonnait l’idée de terminer son dessin (appelons-le ainsi) et patientait encore quelques secondes que la fin du cours soit effective pour sauter de son tabouret et profiter de l’effusion générale pour rejoindre Jonas qui, heureusement pour elle, avait enfilé un peignoir. Est-ce qu’elle allait vraiment proposer à ce type de la revoir ? Peut-être. Le faisait-elle pour sa cousine ? Un peu. Pas du tout en fait. C’était complètement stupide d’avoir vingt-sept ans et pas la moindre idée du charme qu’elle avait en elle, alors bien décidée à faire mentir ses joues rouges, Romy se jetait dans le grand bain en évitant soigneusement de croiser le regard d’une Primrose qui devait avoir dégainé le popcorn pour la voir à l’œuvre.
Accueil
