Morgane a toujours été une boule d’énergie. Dès son arrivée dans ta vie, elle avait semblé toujours en mouvement, jamais fatiguée. Oh elle a fini par faire ses nuits au bout de plusieurs mois, sans problème mais pour cela il a toujours fallu la faire sortir, la laisser courir dans tous les sens. Tu avais récupéré ta fille à la sortie de l’école quelques heures auparavant et tu l’avais amenée comme prévu à l’aire de jeux où elle avait pu retrouver des amis pour jouer un peu. C’était le milieu de l’année à Brisbane, une année de plus dans la scolarité de ta fille que tu suivais avec attention. Tu ne savais pas si tu allais te transformer en tyran des études comme tes parents ou être plus laxiste. Vu l’enfer que cela avait été pour toi d’obtenir ton diplôme universitaire à distance, tu espérais être plus compréhensive mais tu avais tellement envie que Morgane réussisse que tu devais avouer commencer à comprendre la peur qui avait saisi tes parents alors que tu n’étais encore qu’une adolescente. A l’époque tout te semblait possible, l’idée de faire face à un échec, à une carrière éclair n’avait pas traversé ton esprit. Tu avais la tête sur les épaules quand tu as quitté l’Australie, une tête que tu as perdue un petit peu au fil des années, jusqu’à te marier sur un coup de tête. Mais aujourd’hui les choses sont bien différentes. Fini le temps des fêtes jusqu’à pas d’heures, fini l’irresponsabilité, tu ne pouvais plus vraiment t’accorder ce genre de faveurs. Mais alors que ta fille te tenait la main et te racontait sa journée, tu n’arrivais pas à le regretter. Tu n’avais jamais pensé être maman aussi jeune, encore moins avant ta soeur aînée mais c’était ce que la vie avait voulu et tu t’en étais accommodée. Tu profitais que Morgane soit occupée avec ses amis dans les jeux pour répondre à quelques sms et email professionnels sans réellement la perdre trop longtemps des yeux. La peur de la perdre était toujours présente mais tu essayais de ne pas la laisser prendre le dessus sur le reste. Quand les amis de Morgane rentrèrent chez eux, Morgane sembla se lasser des jeux et au lieu de rentrer de suite, tu décidais de continuer à vous balader un peu. Il ne faisait pas très beau mais aller vous enfermer dans la maison ne te semblait pas judicieux. Tu profitais donc du fait que le ciel gris ne semblait pas menaçant pour proposer à Morgane de continuer à marcher un peu le long du fleuve de Brisbane. Morgane s’accrocha à ta main et vous marchiez tranquillement toutes les deux avant que ta fille ne te propose de faire la course. Vous fîtes quelques rounds avant que tu ne la laisses continuer à courir, légèrement essoufflée. En jean, tu n’étais pas préparée à ce genre d’efforts même si tu étais habituée à courir depuis le temps que tu t’imposais un régime sportif coriace. Mais le bord du fleuve était un espace partagé entre les piétons, les coureurs et les vélos. Morgane savait qu’elle ne devait pas aller sur la ligne réservée aux vélos et elle respectait cette règle. Toutefois, les accidents sont vite arrivés et celui-là, tu le vis arriver comme s’il était au ralenti. Morgane courrait en regardant l’eau alors qu’un vélo qui avait légèrement dévié de la voie cyclable pour dépasser un obstacle fonçait droit vers Morgane. Ce n’est qu’au dernier moment que la personne sur le vélo évita Morgane qui s’arrêta brusquement et se mit à pleurer. Tu t’élançais sans attendre alors que des passants commençaient déjà à s’arrêter pour jouer aux curieux. « Morgane ! Ma puce ! Tu n’as rien ? » Des larmes coulaient sur le visage de ta fille mais une rapide inspection te permit de déterminer qu’elle ne semblait pas être plus blessée qu’elle ne l’était déjà, son poignet entouré de bandage le témoignant. Elle se blottit contre toi pour pleurer dans ton cou alors que la peur redescendait. « Ça va aller ma puce, ça va aller. » Voyant qu’il n’y avait pas de blessés, les passants commencèrent à se dissiper alors que tu te tournais vers la conductrice du vélo en lui disant : « Vous pourriez faire attention ! La voie piétonne est réservée aux piétons pour une bonne raison ! » Lui dis-tu sèchement alors que ton coeur avait encore du mal à se calmer. Tu étais bien consciente que c’était une erreur d’inattention, un accident mais à cet instant, alors que Morgane aurait pu se faire très mal, la rationalité avait quitté ton esprit. Et tu étais encore loin de te douter de l’identité de la personne venant de manquer de renverser ta fille.
Il fait frais et nuageux, mais quand on est en Australie, c’est un temps adéquate pour sortir faire un tour. L’hiver s’annonce timidement et une jeune brune sur son vélo envie les pays où il y a réellement de la neige en cette saison. C’est tellement rarissime de voir le pays des kangourous se parer de blanc – en vingt sept ans, en tout cas, ce n’est guère arrivé. Et même quand il fait froid, il fait bon. C’est injuste de pas pouvoir profiter d’un vent glacial qui vous paralyse jusqu’à l’os, quand même. En tout cas, c’est ce que pense Freya Doherty qui navigue tranquillement – mais en rouspétant quand même un peu dans sa barbe car sinon, ce n’est pas drôle. S’il faisait aussi froid qu’en Sibérie, il y aurait largement moins de population, moins de tourisme, moins de piétons. Et la circulation sur son deux roues en serait largement facilité.
Mais non. Il faut que ces imbéciles de flâneurs piétinent sur la piste cyclable et ils ont le toupet de presque crier au scandale quand Freya déclenche son klaxon. Elle s’est déjà prise la tête dans le passé sur ce genre de comportement. Ça lui hérissait le poil, à cette jeune femme d’apparence si douce et gentille. Les gens pensent qu’ils peuvent alors lui marcher sur les pieds et mal lui parler sous prétexte qu’elle a un physique de femme enfant. Ils ne connaissent pas le personnage qu’est Freya Doherty – et franchement, ils n’auront sûrement pas envoyé d’en connaître davantage. Sûrement pas après le regard noir et les paroles acerbes qu’elle leur aura glissé dans leurs petites mirettes d’un ton cinglant et froid. Si elle s’est laissée faire dans sa jeunesse, c’est fini, maintenant. Elle a vingt sept ans et il était temps qu’elle se reprenne en main.
Un long chemin périlleux mais qui finirait par aboutir. Somewhere.
En attendant, ses écouteurs coincés dans ses oreilles, Freya se fiche bien de son environnement. Seul le paysage lui importe, au final, car il n’y a que ça qui reste beau à voir. Un de ses pieds tapote sa pédale au rythme de la musique, tout en accélérant de plus en plus la cadence. Elle n’a pas de but, pas de destination précise à se rendre et c’est ce qui rend sa balade encore plus douce. Ceci dit, venir dans un lieu aussi bondé surtout vers une sortie d’école, ça n’a pas été sa meilleure idée. Une seconde d’inattention, car le quai a une vue imprenable sur le quartier d’affaires qui reste impressionnant à voir, une personne qui va bien trop doucement à dépasser et voilà Freya qui détourne le guidon brusquement en voyant une petite personne débouler devant elle. Bordel ! Elle mit les freins en fonction et les pieds au sol pour stopper son vélo alors que la petite chose se met visiblement à pleurer. Doherty reste un instant les mains crispées sur son guidon avant de s’y extirper tout en ôtant un de ses écouteurs. « Vous pourriez faire attention ! La voie piétonne est réservée aux piétons pour une bonne raison ! » Double bordel ! C’est pas possible, la jeune femme se dit qu’elle a vraiment dû faire des mauvaises actions dans sa vie pour qu’elle en arrive ici et là, face à elle, l’espèce de reine des abeilles de son adolescence. Visiblement, cette dernière n’a pas l’air de la reconnaître – après tout, c’est Reed qui est devenue mannequin, pas Doherty, donc rien d’étonnant à ça. Et Freya avait appris, elle ne se rappelle pas comment ni pourquoi, que la mannequin avait eu un rejeton. Le même rejeton qui est en train de se tenir à sa mère, elle suppose. « J’vois que t’as pas changé, Reed. Accuser les autres au lieu d’assumer tes propres conneries. T’as qu’à mieux la surveiller ! »
Les parents que tu avais rencontrés dans le parc, à la sortie de l’école, dans les fêtes d’anniversaire n’avaient fait que te le répéter. Les enfants sont des aimants à accidents. Ces derniers étaient plus ou moins importants mais ils pouvaient arriver à tout moment et en un battement de cils. Tu n’avais pas quitté Morgane des yeux alors qu’elle courait sur la voie piétonne, tu n’étais pas en train de regarder ton portable, tu n’étais pas en train de lire un livre et pourtant, tu n’aurais pas pu empêcher cet accident de se produire. C’était un miracle que la jeune femme sur le vélo ait eu le bon réflexe et ait réussi à s’arrêter aussi rapidement. Les larmes de Morgane étaient une réaction normale, le contre-coup d’une peur soudaine qui n’avait durée que quelques secondes. Tu la laissais se blottir contre toi, bien heureuse d’être encore ce roc contre lequel elle s’appuyait quand ça n’allait pas. Terrifiée à l’idée qu’elle ait pu se faire mal, tu n’avais pas hésité à réprimander la jeune femme sur le vélo qui n’avait pas eu l’air très attentive en doublant la personne devant elle. Ce à quoi tu ne t’attendais pas toutefois c’était à la réflexion que cette dernière t’envoya au visage : « J’vois que t’as pas changé, Reed. Accuser les autres au lieu d’assumer tes propres conneries. T’as qu’à mieux la surveiller ! » Tu fronçais les sourcils alors que ton regard quittait ta fille pour se reposer sur ton interlocutrice qui apparemment te connaissait. Tu pouvais penser que c’était une femme qui t’avait vu dans des publicités, c’était déjà arrivé auparavant mais il y avait quelque chose dans la manière dont elle avait dit ton nom qui te faisait penser que c’était autre chose, une haine plus vieille certainement. Tu restais silencieuse alors que tu remontais le temps et les personnes qui avaient pu croiser ta route à Brisbane. Tu étais presque certaine de ne pas l’avoir croisée dans le monde du mannequinat et encore moins ces dernières années. C’est quand elle te lança son regard provocateur que tu réussis à faire le lien. Freya quelque chose, au lycée et certainement au collège aussi. Ces années là, tu les avais passées en haut de la chaîne alimentaire, parmi les filles les plus populaires et vous aviez quelques souffres douleurs. Freya en faisait parti mais cela faisait dix ans que tu ne l’avais pas croisée et que tu n’avais plus pensé à tout cela. « Je la surveillais et Morgane sait qu’elle ne doit pas aller sur la ligne des cyclistes mais je suppose que tu n’as pas d’enfants sinon tu saurais qu’ils ne font pas toujours ce qu’on leur dit. » Dis-tu sur un ton sec. Tu refusais de prendre des cours d’éducation de ton ancienne camarade de classe que tu n’avais jamais porté dans ton coeur. Tes parents s’en donnaient déjà à coeur joie dans ce domaine, pas la peine d’en rajouter. Et à peu près tout ton entourage s’accordait à dire que tu faisais du bon travail avec ta fille. « Je te retourne le compliment, je vois que toi non plus tu n’as pas beaucoup changé à sauter à la gorge des gens sans raison. » Elle pouvait comprendre que tu étais inquiète pour ta fille non ? Tu aurais fini par t’excuser et lui demander si elle ne s’était pas fait mal mais tu n’avais pas une inconnue devant toi, tu avais Freya et il était hors de question que tu t’excuses de quoi que ce soit. « Tu avais l’air pressée, que je ne te retienne pas. Il ne faudrait pas que tu sois en retard à ton boulot ou pour ton rendez-vous, enfin si tu as un des deux. » Petite pique gratuite. Tu étais plutôt du genre sympathique, tolérante et compréhensive en temps normal mais avec Freya, c’était bien différent …
Les incidents à vélo, ça la connaît un peu trop, à Freya. Un jour, elle va réussir à vraiment se blesser ou autrui à être soit absorbée par le paysage, soit avec sa musique trop forte pour s’occuper de son environnement soit tout simplement pas en état pour pédaler. Ou les trois en même temps. Un accident arrive en un battement de cil et aujourd’hui en est encore une fois, une nouvelle preuve. Elle ne veut pas avoir de blessé ou pire, de mort sur la conscience, Doherty. Qu’elle se la provoque est une chose, mais qu’elle le fait subir à d’autres, c’est autre chose. Et même si elle trouve qu’il y a trop d’humains sur cette planète, trop de population, trop d’imbéciles. Freya n’aime pas le monde, le contact avec les autres, la foule trop dense. Et là, avec le mini accrochage provoqué avec une petite fille incluse dedans, toutes les têtes se tournent vers la scène en question. On blâme Jessian, pour ne pas avoir fait attention. On blâme la petite fille, pour ne pas avoir écouté. On blâme Freya, pour ne pas avoir été attentive. Du coup, les regards sur elle, aussi agressifs et bourrés de jugement, ce n’est pas ça qui va améliorer son humeur de la journée. A supposer qu’on puisse un jour améliorer l’humeur de Freya Doherty un jour.
« Je la surveillais et Morgane sait qu’elle ne doit pas aller sur la ligne des cyclistes mais je suppose que tu n’as pas d’enfants sinon tu saurais qu’ils ne font pas toujours ce qu’on leur dit. » Oh, ça, c’est bas. Quelle entrée en matière, Reed. Mais Freya s’en fiche. Des enfants, elle ne compte pas en avoir, de toute façon. Faire une nouvelle génération pourrie qu’est leur famille ? Il vaut mieux pour l’humanité entière que cela n’arrive pas. Et puis, elle n’a aucune patience avec les enfants. Seul le fils de son cousin arrive à la faire craquer et à la manipuler à sa guise d’un regard. Les autres, elle les trouve bruyants, casse pieds, fatigants et irrespectueux. Et Freya n’est pas de taille pour élever un enfant, de toute façon. Elle n’a ni la pédagogie ni l’état mental. Le pauvre gamin serait cuit dans l’oeuf avant même d’atteindre sa première année. (Ouais, Freya n’a pas une grande estime d’elle-même en tant que potentielle mère.) « J’ai p’t’être pas de gamins mais j’sais qu’ça existe les laisses pour enfants. » Peut-être choquant mais au moins, c’est radical, comme solution.
« Je te retourne le compliment, je vois que toi non plus tu n’as pas beaucoup changé à sauter à la gorge des gens sans raison. » Freya ne put s’empêcher de faire un sourire (faux cul, faussement minaudant, pas sincère et complètement surjoué) tout en balayant l’air de la main. « On change pas une équipe qui gagne. » Elle repose la main sur son guidon. « C’est ça, fais toi passer pour Mère Térésa, pauvre biche. » Jessian fait remonter en elle l’époque de sa vie qu’elle pensait résolue et révolue. Une époque lointaine où Freya ne savait pas encore vraiment géré la soudaine notoriété macabre de son nom de famille. Une époque où on se moquait d’elle parce que son père est un pyromane, qu’il a foutu le feu à l’appartement familial et qu’elle était bizarre. Sa maladie n’a pas été connu de tous, elle ne l’a pas crié sur tous les toits. Alors forcément, ses différentes humeurs étaient suffisants pour qu’on la traite de tordu, de malade, qu’elle ou ses frères allaient sûrement foutre le feu à l’école un jour prochain.
Jusqu’à ce que Terry arrive et lui donne les armes. Depuis, elle ne les a jamais posé à terre. D’où son caractère grincheux et ses remarques acerbes.
« Tu avais l’air pressée, que je ne te retienne pas. Il ne faudrait pas que tu sois en retard à ton boulot ou pour ton rendez-vous, enfin si tu as un des deux. » Freya arque un sourcil. « On a pas tous la chance de gagner du fric juste en montrant sa gueule dans les magasines, crache-t-elle de façon cinglante tout en faisant rouler son vélo. » Elle ne compte pas rester un instant de plus non plus. Minute. Quelque chose ne va pas. Elle jette un coup d’œil ; le pneu avant est complètement à plat. « Et merde !, enfant ou pas enfant, Reed n’a qu’à boucher les oreilles de sa fille, P’tain, mon pneu est complètement mort ! Qui sait qui va payer ça, hein, ta gamine ? »
Après tout, un pneu de vélo, ça ne coûte pas un sourire. Mais franchement, c’est surtout pour faire chier Jessian.
Freya Doherty … Tu parles d’un retour dans le passé … Contrairement à beaucoup de gens, tu ne regardais pas en arrière de manière nostalgique quand tu pensais à ta période de lycée. Elle n’avait rien de tragique pourtant, tu y avais vécu de belles choses mais tu te souviens surtout des castings à la chaine pour espérer être un jour retenue. Et ça avait marché, tu avais quitté le lycée un an avant la fin, finissant ta scolarité par correspondance. Et Freya avait dû être heureuse de te voir partir. Enfin, tu ne savais pas si Freya pouvait être heureuse un jour, tu ne pensais pas l’avoir vu sourire plus de quelques secondes d’affilé à l’époque. Il fallait un peu de temps pour que cela revienne mais tu te souvenais pourquoi toi et ton groupe d’amis vous l’aviez prise en grippe. Une vieille histoire aujourd’hui mais son père avait mis le feu à leur maison ce qui dans vos cerveaux d’adolescents voulait dire qu’il était fou et que Freya devait l’être aussi. Il n’en fallait jamais beaucoup pour devenir un souffre douleur au lycée. Qu’elle rejette la faute de cet accident sur toi ne te surprend pas vraiment. Il est toujours plus facile d’accuser les autres. Mais dans ce genre de situation, les tords sont sans doute partagés et l’essentiel pour toi c’est que Morgane n’ait rien. Et si cet épisode pouvait accroitre la vigilance de Freya à l’avenir, c’était déjà ça. « J’ai p’t’être pas de gamins mais j’sais qu’ça existe les laisses pour enfants. » Tu la regardais incrédule. Elle venait réellement de te parler de laisse pour enfants ? Tu commençais à te demander si la jeune femme n’était pas bien pire que l’adolescente que tu avais connue dix ans plus tôt. « Cela peut exister mais je n’en utiliserai jamais. Les accidents ça arrive tous les jours et je doute qu’une laisse y change quelque chose. » Tu ne voulais pas t’abaisser à son niveau et lui sauter de nouveau à la gorge. Le regard qu’elle te lançait était rempli de défiance, comme si elle te mettait au défi de t’offusquer. Ce ne serait lui faire que trop plaisir. Maintenant que vous saviez qui était l’autre, votre passif ne tarda pas à arriver sur la table. « On change pas une équipe qui gagne. C’est ça, fais toi passer pour Mère Térésa, pauvre biche. F » Tu lèves les yeux au ciel face à ces paroles. Il est possible que le nouveau mécanisme de défense de Freya soit de toujours répliquer et de toujours attaquer pour éviter que l’autre attaque. Mais jamais tu n’avais prétendue être une sainte, bien au contraire. « Je préfère passer pour Mère Thérésa que pour une fille hargneuse qui agresse les gens qui lui coupent le chemin. » Lui dis-tu simplement. Tu essaies de rester le plus calme possible mais ce n’est pas aussi simple que tu aimerais. Morgane est encore dans tes bras mais elle ne tarde pas à vouloir reposer les pieds par terre. Tu la poses tout en lui prenant la main. Elle regarde la piste piétonne avec envie, voulant sans doute reprendre sa course et ses jeux mais tu lui tenais pour l’instant fermement la main. Face à ta réplique pour couper court à cet échange, Freya te répondit : « On a pas tous la chance de gagner du fric juste en montrant sa gueule dans les magasines. » Il était évident que Freya n’avait pas une très haute opinion de ton boulot. Ce n’était pas la première qui pensait que c’était un métier facile. Tu aimerais que cela soit aussi simple qu’elle le laisse penser mais elle ne mérite pas que tu prennes le temps de le lui expliquer. « Jalouse Doherty ? » Ne pus-tu t’empêcher de lui lancer un sourire en coin sur les lèvres. Mais Freya était déjà en train de se préparer à partir. Toutefois, elle ne put pas aller bien loin car elle dit : « Et merde ! P’tain, mon pneu est complètement mort ! Qui sait qui va payer ça, hein, ta gamine ? » Tu regardes Morgane qui rigole face aux mots grossiers employés par la jeune femme. Tu lèves les yeux au ciel suite à la question qu’elle te pose et qui n’a pas de sens. « Toujours aussi assistée je vois. Tu fais quoi comme boulot pour ne pas pouvoir te payer un pneu de vélo ? » Attrapant ton porte monnaie dans ton sac, tu lui tendis un billet : « Tiens, ça devrait couvrir les frais. Il faudra faire avec l’argent gagné dans les magazines j’en ai bien peur. » Lui dis-tu.
« Cela peut exister mais je n’en utiliserai jamais. Les accidents ça arrive tous les jours et je doute qu’une laisse y change quelque chose. » Freya ne serait pas élue mère de l’année, c’est une affirmation qu’elle ne remettrait pas en doute. Les enfants et elle, ça ne colle pas. Elle est trop vulgaire pour eux, ils sont trop pénibles pour elle. Dans le fond, elle a une certaine admiration pour les gens comme Jessian qui ont la volonté assez forte de vouloir faire grandir un gamin dans le monde actuel. Ce monde complètement fou, qui n’a pas toujours de sens, et qui se créer des problèmes autant qu’il en résout.
Tant pis si Jessian ne reconnaît pas là une superbe invention.
« Je préfère passer pour Mère Thérésa que pour une fille hargneuse qui agresse les gens qui lui coupent le chemin. » Doherty sourit. « Tu me flattes. Arrêtes, j’vais rougir. » Se vexer pour ce genre de choses, ce n’est pas son genre. Elle est beaucoup de choses mais se faire traiter de fille hargneuse agressive, ce n’est pas le pire qu’elle a pu entendre, surtout venant de la bouche de Jessian. « Jalouse Doherty ? » Évidemment. Qui ne le serait pas ? Elle est belle, elle a une vie, elle a l’argent, elle a même une fichue gamine. Pas d’alliance mais ce n’est qu’une formalité – bienvenue dans le monde moderne. Cette gamine a très certainement un père, peut-être qui les attend actuellement chez eux.
Évidemment que Freya est jalouse, elle qui n’a rien de tout ça. Jessian, c’était une des populaires. Et des années après, elle reste toujours devant elle, à lui foutre sa perfection dans la figure. Comme si Freya a besoin de ça en ce moment. L’argent a toujours été un problème chez les Dohertys, elle n’a pas un travail qui la comble, elle n’a personne pour la tenir la nuit dans ses bras. Elle est désespérément seule et Jessian est la preuve vivante qu’elle est encore loin, très loin de ce qu’on attend d’une demoiselle de vingt sept ans.
« Qui est pas jaloux de l’argent facilement gagné, hein, franchement ? » Pourquoi on admire les célébrités, ces étoiles qui nous font croire que le rêve est accessible ? Ils vivent la belle vie, la vraie vie, celle d’un monde qu’eux seuls connaissent. Freya n’est qu’une humain lambda, elle ignore ce qui s’y trame derrière les sourires en papier glacé et les robes de créateurs.
Pas que ce monde l’intéresse de toute façon.
« Toujours aussi assistée je vois. Tu fais quoi comme boulot pour ne pas pouvoir te payer un pneu de vélo ? Tiens, ça devrait couvrir les frais. Il faudra faire avec l’argent gagné dans les magazines j’en ai bien peur. » Freya hausse les épaules tout en fourrant le billet dans la poche. « C’est bien moins glamour, crois-moi. On s’en contentera. »
La gamine s’est mise à rigoler et Doherty lui arque un sourcil. Cette petite a déjà de bons réflexes, visiblement. Elle n’a pas l’air traumatisé, en tout cas. « Hey, p’tite humaine, Freya se baisse légèrement vers l’enfant, tu demanderas à ta généreuse mère de t’payer une glace de ma part, ok ? »
La gamine y est pour rien, après tout, il ne faut pas tout mélanger. Elle n’est pas un monstre, non plus.
« Bon, c’est pas que ces retrouvailles m’émeuvent mais j’ai à faire. Oui, Reed, j’ai une vie, je sais, c’est choquant, hein. » Freya imagine déjà la marche qui se profile devant elle.
Et franchement, ce n’est pas une perspective qui la réjouissait.
Voilà une entrevue dont tu te serais bien passée. Quand on quitte sa ville natale pour revenir y vivre des années plus tard, il est évident que l’on va recroiser des visages du passés. Mais Brisbane est une grande ville, très grande ville et tu avais bêtement pensé que tu ne reverrais jamais certaines personnes ce qui t’aurait arrangé. Cette rencontre accidentelle avec Freya te prouvait une chose, c’était que la jeune femme n’avait pas réellement changé. Peut-être que toi non plus mais tu n’avais pu t’empêcher de te dire adolescente qu’elle finirait par s’adoucir et que peut-être la vie finirait par lui sourire. Clairement, ce n’était pas le cas. Tu étais heureuse qu’elle lâche le sujet de la laisse pour enfant mais bien sûr, c’était en espérer un peu beaucoup qu’elle s’arrête là complètement. « Tu me flattes. Arrêtes, j’vais rougir. » Freya avait toujours affiché sa différence comme un emblème, même quand ça lui causait pas mal de soucis à l’époque. Cela ne t’étonnait nullement qu’elle revendique d’être une chieuse aujourd’hui. Tu laissais passer ce commentaire qui ne méritait pas de réponse alors que tu lui lançais une remarque à la figure sur la jalousie qui transpirait de ses propos. Le mannequinat, c’était une passion avant d’être un gagne pain. Certes, cela te permettait de bien gagner ta vie mais ce n’était pas un métier aussi facile que les gens le pensaient et il était très exigeant. « Qui est pas jaloux de l’argent facilement gagné, hein, franchement ? » Est-ce que tu gagnais facilement ton argent ? Non, tu ne trouvais pas en tout cas. Il y avait bien plus au métier que de prendre quelques photos sur de belles plages ou dans de beaux studios. Ce métier là c’était pour toi un art mais un art qu’il fallait accompagner de communication, de marketing, de soirées en tout genre auxquelles il fallait se faire voir. Des contraintes existaient dans ce métier comme dans les autres et il était important de le souligner. « S’il est si facilement gagné, n’hésite pas à te lancer, il y a de la place pour tout le monde ! » Lui dis-tu un sourire en coin sur les lèvres. Oui, c’était un milieu compétitif mais tu restais persuadée qu’il y avait quand même de la place pour tous ceux qui voulaient s’y lancer de manière pérenne. « Tu risques de trouver que c’est un peu moins facile que tu le penses. » Ne pus-tu t’empêcher de lui dire. Rien que le maintient en forme de ton corps était un exercice quotidien et qui demandait efforts et privations. Mais tu étais prête à faire tous ces sacrifices qui n’en étaient plus vraiment aujourd’hui, ils étaient devenus des habitudes. Freya en essayant de repartir ne tarda pas à se rendre compte qu’elle avait crevé et t’attaqua aussitôt pour te dire qu’il allait falloir qu’elle répare et donc qu’elle paie. Tu n’es pas une experte en vélo mais ça ne coûte pas si cher que ça un pneu non ? Enfin, tu ne cherches pas plus longtemps, tu sors un billet que tu tends à Freya qui s’en empare rapidement pour le mettre dans sa poche. « C’est bien moins glamour, crois-moi. On s’en contentera. » Tu fronces les sourcils. Pourquoi est-ce qu’elle ne voulait pas te dire ce qu’elle faisait comme boulot ? Bien moins glamour que le mannequinat ? Oui, certes mais qu’est-ce que cela voulait dire ? Tu doutais que tu aurais une réponse de toute manière. Mais tu ne pus t’empêcher de t’inquiéter légèrement. Freya ne faisait rien d’illégal ou de dangereux n’est-ce pas ? « Ca veut dire quoi bien moins glamour ? C’est quel boulot qui t’attend ? » Lui demandas-tu pour insister un peu. Si Freya t’envoyait balader comme c’était probable, tu n’insisterais pas plus mais tu te devais de tenter. Face aux éclats de rire de Morgane, ton interlocutrice sembla s’adoucir et lui dit : « Hey, p’tite humaine, tu demanderas à ta généreuse mère de t’payer une glace de ma part, ok ? » Morgane te regarda avec ses petits yeux, déjà toute excitée à l’idée de manger une glace. Génial … Ce n’était pas Freya qui allait devoir la gérer quand elle serait remplie de sucre. « Si tu es sage, on en rediscute. » Dis-tu à ta fille pour t’acheter un peu de temps. L’heure du goûter approchait dangereusement de toute façon. « Bon, c’est pas que ces retrouvailles m’émeuvent mais j’ai à faire. Oui, Reed, j’ai une vie, je sais, c’est choquant, hein. » Tu vois Freya descendre de son vélo et se mettre à côté pour commencer à avancer. Tu ne doutes pas qu’elle ait une vie, tu le lui souhaites même en vérité. « J’ai une voiture, si tu veux je peux te déposer quelque part. » Lui proposas-tu. Tu avais bien conscience que cela ne te ressemblait pas mais c’était la moindre des choses. Et puis Freya et toi ne vous recroiserez sans doute jamais de toute façon.
« S’il est si facilement gagné, n’hésite pas à te lancer, il y a de la place pour tout le monde ! Tu risques de trouver que c’est un peu moins facile que tu le penses. » En vrai, Freya n’en sait rien. Et elle s’en fiche. Forcément, elle fait parti de cette population en bas de l’étagère, qui regarde ceux qui sont au sommet amassés des sommes astronomiques. C’est l’arbre typique, la pyramide de la richesse, une injustice banale et quotidienne. Plus personne n’y prête attention parce que c’est comme ça, il y a des pauvres, des riches et ceux du milieu. Freya balaie ces pensées d’un geste de la main tout en haussant les épaules. « J’suis déjà trop vieille pour ton monde, t’façon. J’préfère laisser ça aux pros. » Quand Jessian est partie durant la scolarité pour entamer sa carrière, Freya en a presque crevé de jalousie. Adolescente qu’elle était, la faiblesse faisait parti de son quotidien. Terrence l’amenait vers la noirceur et la facilité et Jessian allait droit vers la lumière, vers un monde meilleur. Ça donnait envie. Et puis, on est aussi dans une période où l’apparence domine. On se trouve moche, trop carré, trop petit, une jambe trop courte, un bouton mal placé. Freya ne s’est jamais aimée quand elle était adolescente. Les taillades sur ses bras cachés en sont la preuve.
Et Jessian était tout le contraire. Preuve de réussite, symbole d’une beauté presque parfaite, avec une gamine adorable.
« Ca veut dire quoi bien moins glamour ? C’est quel boulot qui t’attend ? » Freya ne peut s’empêcher de pencher la tête sur le côté. Elle fronce des sourcils, la Reed, et c’est bizarre. Elle ne s’attendait pas à une réaction pareille. Est-ce qu’il y a une once, un soupçon, un débris de préoccupation? Doherty plisse légèrement les yeux. « Parce que ça t’intéresse ? T’inquiètes, j’suis pas dealeuse de drogue. Ni stripteaseuse. J’aurai pu, hein. Mais question perspective d’avenir, c'était pas trop ça. » Pas que son boulot actuel a plus d’ouverture pour l’évolution ou même que Freya compte sur un avenir plus ambitieux mais ça, c’est une autre histoire.
Que Freya ne risque pas de dévoiler ici, maintenant ou jamais.
« J’ai une voiture, si tu veux je peux te déposer quelque part. » Alors là, Doherty aurait pu bondir tel un kangourou, emblème de leur mère patrie. « T’es sérieuse ? » Elles se chicanent comme quand elles étaient adolescentes et pourtant, son interlocutrice lui propose de l’emmener là où elle veut. Décidément, voilà une journée qui a son lot de surprise. « J’peux pas refuser une telle proposition. J’vais pas aller loin avec un vélo à la patte brisée, t’façon. »
Mais pour la bonne mesure, Freya la regarde avec une pointe de suspicion. « Excuse moi de te poser la question mais y a pas d’entourloupe, hein ? En souv’nir du passé ou je n’sais quoi ? Rien en échange ? Juste du bon coeur ? »
Parce qu’on ne sait jamais avec les fantômes du passé, après tout.
Dernière édition par Freya Doherty le Jeu 8 Aoû 2019 - 21:10, édité 1 fois
Il y a toujours des choses dans la vie que, des années plus tard, on finit par regretter. Tu étais loin d’être une tyran quand tu étais au lycée mais il fallait avouer que tu faisais parti du clan des populaires et tu n’avais rien fait non plus pour défendre ceux qui subissaient leurs méchancetés. Tu avais même participé quelques fois de ton plein gré. C’est une époque compliquée pour tout le monde mais en regardant en arrière, il ne fallait pas être un génie pour comprendre que c’était toi qui l’avais le pouvoir à cette époque et que tu en avais abusé. Oui, Freya avait tout pour faire une victime idéale mais le méritait-elle vraiment ? Non, personne ne méritait de se faire harceler à l’école. Parce que oui, le harcèlement a plusieurs formes et n’est pas toujours aussi évident que certains semblent le penser. « J’suis déjà trop vieille pour ton monde, t’façon. J’préfère laisser ça aux pros » Tu ne sais pas s’il y a vraiment un âge pour cela mais il était évident que Freya n’avait pas l’envie qu’il fallait pour réussir dans ce métier. Ce n’était pas une critique, simplement la constatation que si tu n’étais pas amoureuse et passionnée de ton métier, tu l’aurais arrêté depuis longtemps pour faire autre chose. Tu préférais ne rien répondre à cela et retourner la question de la profession à Freya. Car si la tienne était évidente, tu ne savais pas ce qu’elle faisait aujourd’hui. Sa réponse vague ne te surprit pas toutefois, tu ne pus t’empêcher d’éprouver une sorte d’inquiétude. Tout le monde te pensait trop naïve pour envisager certaines professions mais tu avais une vision bien réaliste du monde et tu espérais que Freya avait fini par se sortir de cette mauvaise passe au lycée pour rebondir. Ta question légèrement inquiète l’étonna, c’était indéniable mais tu refusais de t’excuser ou quoi que ce soit de ce genre. Finalement, elle finit par te dire : « Parce que ça t’intéresse ? T’inquiètes, j’suis pas dealeuse de drogue. Ni stripteaseuse. J’aurai pu, hein. Mais question perspective d’avenir, c'était pas trop ça. » Certes, tu n’avais jamais trop prêté attention à Freya mais l’eau avait coulé sous les ponts depuis votre passage au lycée et même si tu étais certaine que vous ne pourriez pas vous entendre plus de cinq minutes même en faisant des efforts, cela n’empêchait pas que tu aurais préféré qu’elle te dise qu’elle avait un super boulot, une super vie et que vous aviez tous été des merdes qui l’aviez sous-estimés. Vu sa réponse défensive et toujours évasive, tu compris que ce n’était pas le cas. « Qu’est-ce que tu as comme perspective d’avenir dans ton job actuel ? » Toi ? Insister ? Jamais voyons ! Tu avais bien conscience que tu étais en train de pousser le bouchon un peu loin mais tu avais toujours été persévérante et tu ne comptais pas t’arrêter maintenant. Alors que Freya descendait complètement de son vélo et s’apprêtait à le trainer là où elle voulait aller, tu lui proposas de la déposer quelque part. Après tout, tu avais une voiture assez grande pour qu’elle y rentre avec son vélo, tu lui devais bien ça non ? C’était presque de l’incompréhension que tu lisais sur son visage. « T’es sérieuse ? J’peux pas refuser une telle proposition. J’vais pas aller loin avec un vélo à la patte brisée, t’façon. » Tu laissais échapper un petit rire avant d’appeler Morgane à revenir vers toi. Ta fille était déjà repartie courir à droite à gauche, peu intéressée par la conversation des deux adultes. « Je pense que je peux faire ça. » Lui dis-tu simplement. Vous vous mîtes en route vers ta voiture qui se trouvait à quelques quatre cents mètres plus loin quand Freya te demanda : « Excuse moi de te poser la question mais y a pas d’entourloupe, hein ? En souv’nir du passé ou je n’sais quoi ? Rien en échange ? Juste du bon coeur ? » Tu levais les yeux au ciel. Oui, tu n’avais pas été tendre adolescente mais cela faisait dix ans ! Freya s’était mis dans la tête que tu n’avais pas changé d’un poil mais ça c’était son problème. « Je ne suis plus l’adolescente que tu as connue. Je vais donc te déposer là où tu le souhaites sans rien attendre en retour. Deal ? » Lui proposas-tu en lui tendant la main. Tu ne pus t’empêcher de lui demander : « Tu es si peu habituée à ce que les gens te proposent de t’aider ou c’est juste avec moi que tu es méfiante ? » C’était plus fort que toi. Tu ne pouvais pas t’empêcher aujourd’hui de penser que cette violence naturelle de Freya cachait quelque chose d’autre, peut-être une part d’elle plus sensible ? Tu n’en savais rien et tu doutais de le découvrir un jour mais au moins, tu ne laissais pas le silence s’installer entre vous. « La voiture est là-bas. » Lui dis-tu en montrant le SUV rouge garé sur le parking et vers lequel ta fille courrait en restant sagement sur le trottoir.
C’est étrange. Cette journée est bizarre et cette rencontre anodine l’est encore plus. Freya avait l’habitude de penser que les grandes têtes comme Jessian se retrouvent plus tôt aux Etats Unis, dans une île ou en Amérique du Sud, mais pas de retour à Brisbane. Et pourtant, elle est belle et bien en face d’elle, toujours au traits parfaits et au regard typiquement Reed. C’est aussi étrange que Doherty s’entende aussi bien avec sa cadette mais pas avec elle. Il faut dire aussi que Sky ne ressemble à aucun point de vue à Jessian. Si cette dernière est rayonnante, Sky est tout le contraire. Et puis, c’est Jessian qui a fait parti de cette fichue bande qui a pourri ses années d’étude, pas sa sœur.
« Qu’est-ce que tu as comme perspective d’avenir dans ton job actuel ? » Freya se mord la joue tout en secouant la main. « Je dirai la porte. Yep, je pense que prendre la porte me semble une bonne perspective. C’est sûr que je vais augmenter mon salaire avec cet avenir là. » Doherty ne sait pas pourquoi elle se confie presque à Jessian. Peut-être que son côté inquiet ou au moins soucieux a un écho dans sa tête. Franchement, elle ne s’attendait pas à ça de son interlocutrice, qui semble être sur la route de la persistance. Et elle, elle lui avoue à demi mots qu’elle finira sûrement soit par quitter son job soit par se faire virer. L’un dans l’autre, ce n’est pas ça qui la dérange outre mesure. Même si elle paniquerait forcément pour le loyer à payer à la fin du mois. Mais elle veut croire qu’elle peut tout faire et que rien n’est perdu tant qu’ils ne sont pas complètement à la rue.
Les deux jeunes femmes et la mini humaine se dirigèrent alors vers le parking – enfin, c’est plus Freya qui suit Jessian avec son vélo mal au point et la petite gosse qui court devant elles sachant où aller. « Je ne suis plus l’adolescente que tu as connue. Je vais donc te déposer là où tu le souhaites sans rien attendre en retour. Deal ? » Freya regarde la main qui se tend devant elle. Elle regarde Jessian avant de secouer la main. « Okay, okay. »
« Tu es si peu habituée à ce que les gens te proposent de t’aider ou c’est juste avec moi que tu es méfiante ? » Voilà que Jessian a tapé en plein dans le mille. Freya a les yeux rivés devant elle avant de passer sa main sur sa nuque. « Sûrement les deux. » Autant être honnête quand on le peut. Surtout que Jessian se montre plutôt sympa avec elle. Il faut apprendre à mettre de l’eau dans son vin apparemment. « J’ai pas envie d’la pitié des gens. Et venant de toi… Ca m’donne l’impression que rien n’a vraiment changé. Enfin, j’veux dire, forcément on a changé, la preuve, t’as l’air plus cool qu’avant. » Freya eut même un timide sourire en prononçant ces paroles. « Mais t’es là-haut, toujours là et moi, bah, j’suis toujours en bas. » La jeune femme soupire, agacée plus contre elle pour le coup. « C’est con d’avoir encore ce genre de pensées. »
Puis elle regarde la gamine de Jessian qui les attend sagement à la voiture. « En tout cas, elle a une bouille adorable, ta gosse.T’as intérêt à la surveiller plus tard. » Surtout si elle ressemble à sa mère.
Cela t’amusait presque que Freya soit aussi déstabilisée de ton comportement. Pourtant, tu n’étais pas différente de d’habitude, tu étais juste différente de celle que tu avais été pendant l’adolescence. Tu voulais montrer le bon exemple à Morgane et même si ta fille ne se doutait pas une seconde de ce qui s’était passé entre Freya et toi bien avant ta naissance, elle te voyait faire un geste pour aider l’autre et c’était tout ce qui comptait. Et puis tu devais bien ça à la demoiselle. Tu ne pus t’empêcher de la questionnaire un peu plus sur son travail car le fait qu’elle fuit autant ta question ne te disait rien qui vaille. « Je dirai la porte. Yep, je pense que prendre la porte me semble une bonne perspective. C’est sûr que je vais augmenter mon salaire avec cet avenir là. » Tu aurais presque rigolé si le sujet n’avait pas été aussi sérieux. Tu ne savais toujours pas ce que faisait Freya mais quelque chose te disait qu’insister ne servirait à rien et puis tu avais déjà la réponse plus ou moins. Quelque chose d’assez peu respectable pour qu’elle ne veuille pas en parler. Tu espérais que ce n’était pas quelque chose qui pourrait la voir terminer en prison. « Des fois, ça permet de repartir d’un bon pied. » Dis-tu en haussant les épaules. Elle allait te dire que tu étais hypocrite et elle aurait certainement raison alors tu préférais enchaîner sur une autre question. « Qu’est-ce que tu aurais aimé faire comme boulot si tu avais pu choisir ? » Car quelque chose te disait que Freya n’avait pas choisi son boulot, il lui était imposé par tout un tas de circonstances que tu ne comprendrais certainement jamais vraiment même en essayant de te l’imaginer. Parce que tu n’as manqué de rien et la vie t’a toujours souri malgré tout et ce n’était pas le cas de tous, tu le savais. Tu finis par passer un deal avec Freya lui promettant que tu ne vas faire que ce que tu lui as dit c’est à dire, tu vas te contenter de la déposer là où elle le souhaite sans rien attendre en retour. Elle ne te croit pas vraiment, tu peux le voir mais elle finit par accepter : « Okay, okay. » De toute manière, elle n’avait rien à perdre. Enfin toi tu le voyais comme ça. Tu ne peux t’empêcher de lui faire remarquer que cette méfiance est peut-être un peu excessive. Certes vous n’étiez pas les meilleures amies du monde au lycée mais que gagnerais-tu à être cruelle avec elle aujourd’hui ? Strictement rien du tout. « Sûrement les deux. J’ai pas envie d’la pitié des gens. Et venant de toi… Ca m’donne l’impression que rien n’a vraiment changé. Enfin, j’veux dire, forcément on a changé, la preuve, t’as l’air plus cool qu’avant. Mais t’es là-haut, toujours là et moi, bah, j’suis toujours en bas. C’est con d’avoir encore ce genre de pensées. » Effectivement, c’était idiot. Oui, tu avais bien conscience qu’il existait des classes sociales et que tu faisais partie de ceux qui n’étaient pas à plaindre mais cela ne voulait pas dire que tu te pensais supérieure à Freya. Si cette dernière avait eu le même environnement que le tient dans lequel évoluer, tu étais à peu près sûre que vous ne seriez pas en train d’avoir cette conversation. On ne choisit pas le milieu dans lequel on naît et du peu que tu savais de Freya et des souvenirs que tu en avais, ce n’était pas très reluisant. « Je n’ai pas parlé de pitié, proposer d’aider quelqu’un ne veut pas dire qu’on a de la pitié pour lui. Je … Je pense que je ne pourrai jamais vraiment comprendre ce que tu ressens mais je n’étais pas destinée à réussir forcément comme tu n’es pas destinée à rester en bas comme tu le dis. » Autant être honnête toi aussi car il était évident que Freya avait fait tomber les masques. « J’aurais pu finir droguée et sans emploi aussi bien que mannequin internationale si je n’étais pas tombée enceinte. J’ai tout arrêté quand j’ai su que j’attendais Morgane mais j’aurais pu mal tourner. » Tu n’aimais pas y penser mais c’était une réalité qui devait exister dans un univers parallèle si on y croyait. « En tout cas, elle a une bouille adorable, ta gosse.T’as intérêt à la surveiller plus tard. » Tu laissais échapper un petit rire alors que tu déverrouillais la voiture. Oh tu ne doutais pas une seconde que Morgane allait t’en faire voir de toutes les couleurs ! Entre ton caractère et celui de son père plus l’influence de ta cadette, tu n’étais pas au bout de tes surprises … « Merci. » Dis-tu touchée avant d’ajouter : « Je pense qu’elle va me faire quelques cheveux blancs précoces en effet alors je profite tant qu’elle est encore trop jeune pour ça. » Dis-tu en secouant la tête. Tu aidais Freya à mettre le vélo dans le coffre en lui demandant : « Tu as une famille de ton côté ? » La réponse était sans doute non vu qu’elle semblait trouver intéressant l’idée d’avoir une laisse pour enfants mais bon, on ne sait jamais.
« Qu’est-ce que tu aurais aimé faire comme boulot si tu avais pu choisir ? » Une bonne vieille question comme elle ne les a jamais aimé. Freya eut un léger sourire nostalgique tout en remettant une mèche de ses cheveux derrière son oreille. « Ils nous posaient la question, quand on est ado, tu t’rappelles ? » Et Doherty n’a jamais eu le loisir de se pencher sur la question. Du coup, elle ne sait pas. Elle n’a jamais eu d’ambition, pas comme Jessian qui est partie dans la fleur de l’âge pour aller effectuer certainement ce qui devait être un rêve pour elle. « J’imagine que toi, t’as toujours su quoi dire. Perso, j'me voyais déjà pas passer la barre des vingt ans donc chaque année est une victoire. » Freya hausse les épaules. C’est une fatalité dont elle s’accommode parfaitement. Aucune envie, aucun désir professionnel, juste se laisser porter par la vague. « Carpe Diem est ma devise. » Voilà, Jessian a une réponse à demi mots. C’est fou comment elles réussissent à plus facilement communiquer là, en dix minutes, même si elle a failli écraser sa gamine, que durant des années d’études.
« Je n’ai pas parlé de pitié, proposer d’aider quelqu’un ne veut pas dire qu’on a de la pitié pour lui. Je … Je pense que je ne pourrai jamais vraiment comprendre ce que tu ressens mais je n’étais pas destinée à réussir forcément comme tu n’es pas destinée à rester en bas comme tu le dis. J’aurais pu finir droguée et sans emploi aussi bien que mannequin internationale si je n’étais pas tombée enceinte. J’ai tout arrêté quand j’ai su que j’attendais Morgane mais j’aurais pu mal tourner. » Quand on dit qu’apparemment, une grossesse vous chamboule totalement. Visiblement, ça a réussi à Jessian, qui a un œil tendre quand elle regarde sa fille. A quel âge elle a dû l’avoir, d’ailleurs ? Beaucoup trop jeune de toute façon aux yeux de Doherty. « C’est un réflexe, t’sais. De placarder le mot ‘pitié’ dans ce genre de discours. Même si ça part d’un bon sentiment, on peut pas s’empêcher de détester ça. » Puis Freya finit par hausser les épaules. « C’est qu’toi, t’as fait les bons choix. On a pas été tous aussi intelligents. » Elle en première ligne. Elle a été conne dans tout ce qu’elle a entreprit, dans tous ses choix et ses habitudes. Un vrai petit nid de malheur, d’erreurs de parcours et de désillusions. La stabilité, elle ne connaît pas. En somme, tout le contraire de Jessian, rayonnante et pimpante, même si elle lui affirme le contraire.
« Je pense qu’elle va me faire quelques cheveux blancs précoces en effet alors je profite tant qu’elle est encore trop jeune pour ça. » Freya sourit sincèrement. Les gosses et elle ne sont pas vraiment amis et pourtant, ces petits êtres miniatures finissent toujours par lui provoquer quelque chose. Enfin, tant qu’ils ne se mettent pas à geindre, hurler, pleurer ou rouspéter. Là, clairement, c’est une claque dans la figure qui les attend. « Elle a quel âge ? Le père est encore dans les environs ? » Après tout, si Jessian s’intéresse à elle, la moindre des choses est de lui rendre la pareille. Bravo, Doherty, on va finir par croire que tu t’es achetée de la maturité !
« Tu as une famille de ton côté ? » Freya soulève son vélo pour le coincer dans le coffre de sa voiture rouge tout en grimaçant légèrement. « Toujours moi et mes frères. Pas d’gamins à m’emmerder dans les jambes en tout cas. » Elle n’imagine même pas ce que sa vie aurait été si elle était tombée enceinte. Elle l’aurait gardé ? Elle l’aurait aimé ? Elle aurait une vie meilleure ? Elle aurait dû l’abandonner ? Non, Freya ne préfère ne pas se poser ce genre de questions. C’est stupide, ça n’avance à rien et sa vie n’a pas été tracée comme ça, donc elle n’a pas à se torturer l’esprit de la sorte.
Le métier de Freya allait apparemment rester un pur mystère. Toutefois, tu ne pouvais t’empêcher de la questionner sur ce qu’elle aurait aimé faire. Pour toi, il n’y avait pas de date de péremption sur les rêves et les ambitions. Même si l’on s’en éloignait un temps, ils pouvaient toujours être réalisés grâce à un coup de chance ou alors un travail acharné dépendant de ce que l’on souhaitait faire. « Ils nous posaient la question, quand on est ado, tu t’rappelles ? J’imagine que toi, t’as toujours su quoi dire. Perso, j'me voyais déjà pas passer la barre des vingt ans donc chaque année est une victoire. Carpe Diem est ma devise. » Tu n’avais jamais pensé de cette manière et cela te paraissait étrange que la Freya que tu connaissais quand tu étais adolescente pense qu’elle ne passerait pas le cap des vingt ans. Tu n’avais jamais pris le temps d’analyser sa vie à l’époque pour te demander comment elle vivait mais elle devait avoir eu une enfance et une adolescence terrible pour penser ainsi. « J’ai décidé que je voulais être mannequin peu avant d’entrer au collège. Mais tout le monde me riait au nez à l’époque. C’est un peu comme quand on te dit que l’on veut devenir acteur ou chanteur. » Lui dis-tu. Tu avais été tellement déterminée que ces moqueries n’avaient eu aucune importance. Tu n’étais jamais venue faire la maligne aux réunions des anciens élèves pour montrer à tes enseignants que tu y étais arrivée. « Ce n’est pas parce que tu vis au jour le jour que tu n’as pas le droit d’avoir des ambitions professionnelles. » Tu haussais les épaules. C’était sans doute ridicule de dire ça à quelqu’un comme Freya mais bon, tu le dis quand même. C’était assez étrange car d’habitude, c’était toi qui était un peu une intrus dans ton milieu. Tu étais celle qui ne venait pas d’une famille connue, qui ne connaissait pas toujours les codes, tu étais celle que l’on regardait de haut. Tu n’étais pas habituée à ce que ce soit toi qui aies cette position dans une conversation et cela ne te plaisait pas beaucoup. « C’est un réflexe, t’sais. De placarder le mot ‘pitié’ dans ce genre de discours. Même si ça part d’un bon sentiment, on peut pas s’empêcher de détester ça. C’est qu’toi, t’as fait les bons choix. On a pas été tous aussi intelligents. » Tu n’étais pas certaine que les choix que tu avais faits avaient été faits avec intelligence. Tu avais fait au mieux à chaque période de ta vie mais tu aurais pu mal tourner, tu en avais conscience aujourd’hui. « J’ai fait des choix, je ne sais pas s’ils étaient intelligents mais je refuse de penser qu’on est destiné à un avenir plutôt qu’un autre. On peut changer notre destin. » C’était ta manière à toi de penser et tu espérais que Freya ne vivait pas dans un monde fataliste où elle pensait qu’elle n’avait de prise sur rien. La conversation se tourna ensuite vers Morgane que tu ne tardais pas à appeler quand vous arrivâtes près de la voiture. Tu l’ouvris et tu commençais à baisser les sièges arrière en prévention du vélo de Freya que vous alliez mettre dans le coffre. « Elle a quel âge ? Le père est encore dans les environs ? » Tu étais habituée à ce genre de questions et cela ne te dérangeait pas d’y répondre. Tu vis sur le visage de Freya qu’elle s’en voulait d’en avoir trop demandé mais tu n’avais rien à lui cacher. « Elle a quatre ans et oui, son père est à Brisbane mais on a divorcé quelques mois après sa naissance. Elle le voit un peu tous les week-ends et il la garde un week-end par mois. » Dis-tu en ouvrant le coffre. « Tu veux que je t’aide à monter le vélo ? » Lui proposas-tu. Tu ne quittais pas Morgane des yeux, elle s’approchait enfin de la voiture et ouvrit la portière à côté de son siège. Tu en profitais pour lui demander si elle avait elle aussi construit une famille. « Toujours moi et mes frères. Pas d’gamins à m’emmerder dans les jambes en tout cas. » Un sourire en coin apparut sur tes lèvres et tu ne pus t’empêcher de lui dire : « C’est peut-être plus sage si tu comptes les promener avec des laisses pour enfants. » Lui dis-tu un sourire en coin sur les lèvres. « Les enfants ça change une vie et je peux comprendre que tout le monde n’en veuille pas ou du moins pas aussi tôt que moi. » Dis-tu en haussant les épaules.
« J’ai décidé que je voulais être mannequin peu avant d’entrer au collège. Mais tout le monde me riait au nez à l’époque. C’est un peu comme quand on te dit que l’on veut devenir acteur ou chanteur. » Une vocation depuis presque gamine alors. Elle en a eu, de la chance, Jessian, de pouvoir accomplir ce qu’elle souhaitait et d’aimer ce qu’elle faisait. Freya n’a jamais eu ce plaisir – enfin, il y a peut-être eu ce travail (très) temporaire qu’elle a fait au musée et où elle a passé tout son temps à se fondre dans les étudiants pour y dessiner. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle a été renvoyé. Le balais l’avait beaucoup intéressé que le crayon. Mais Freya n’a pas de mal à croire Reed quand elle affirme que les gens ne l’avaient pas prise en sérieux. « En même temps, ça paraît tellement irréel et inaccessible ce genre de truc. » Ce sont des métiers qui n’en sont pas vraiment. Parce que ces personnes s’amusent dans leur métier, ils jouent des personnages et ils gagnent plus que de raison. C’est complètement hors de compréhension et franchement, même Freya ne comprend pas qu’on puisse le vouloir. Surtout mannequin. « Pourquoi mannequin, au faites ? Être jugée sur sa plastique à longueur de temps, c’est pas épuisant ? Ca m’foutrait des complexes que j’aurai jamais pensé, j’en suis sûre. » Ah, le monde impitoyable des strasses et des paillettes.
Quand Jessian lui affirme qu’elle peut quand même avoir des ambitions professionnelles, Freya hausse les épaules à son tour. « Ouais, je sais. Mais ça a jamais été mon truc de toute façon, l’ambition. Je laisse ça pour les grandes personnes. » Elle sourit légèrement mais n’en pense pas moins. Si elle pense que l’argent tombe du ciel ? Non, bien sûr que non. Les sués qu’elle se tape pour retrouver un nouveau travail à chaque fois en sont la preuve. Son casino, ça va bientôt faire un an qu’elle y travaille et c’est presque un exploit. « J’ai fait des choix, je ne sais pas s’ils étaient intelligents mais je refuse de penser qu’on est destiné à un avenir plutôt qu’un autre. On peut changer notre destin. » Voilà un point qui fait tiquer Doherty. Le destin, elle est persuadée qu’il est écrit d’avance et qu’on ne peut pas le toucher. Même quand on pense le berner, lui faire un doigt d’honneur ou lui tirer la langue, ça aussi c’est écrit. Rien n’arrive par hasard, il y a un fichu karma qui finit toujours par vous rattraper, que vous le voulez ou non. Mais les paroles de Jessian sont prononcées avec une telle conviction que Freya ne rétorque rien et laisse couler. Après tout, chacun son point de vue sur le sujet.
« Elle a quatre ans et oui, son père est à Brisbane mais on a divorcé quelques mois après sa naissance. Elle le voit un peu tous les week-ends et il la garde un week-end par mois. » Freya fit une légère moue appréciative tout en haussant le vélo à bout de bras. Jessian a dû voir qu’elle s’y prend de façon maladroite car elle lui propose son aide – que la blonde n’est pas la dernière à refuser. Une fois le vélo installé, Doherty se tourne vers la gamine qui patiente à côté de la portière. « Quatre piges, hein ? » La petite lui sourit tout en secouant la tête. « Tu fais des crises à maman genre se rouler par terre et hurler à la mort ? » Si jamais ce n’est pas le cas, pas sûr que Jessian apprécie qu’elle foute ce genre d’idée dans la tête de son rejeton.
Le trio de filles finit par s’installer chacune à leur place dans la voiture. « C’est peut-être plus sage si tu comptes les promener avec des laisses pour enfants. » Freya pousse un léger cri de protestation. « Les enfants ça change une vie et je peux comprendre que tout le monde n’en veuille pas ou du moins pas aussi tôt que moi. » Doherty passe son sac à ses pieds avant de mettre sa ceinture. « Oh, t’sais, après, j’ai toujours mon jumeau donc c’est comme si j’avais déjà mon propre enfant. Il a juste le même âge que moi. » Et que lui, il fait pire que de se rouler en boule par terre pour un caprice, malheureusement. « Bon, je sais pas où tu comptais aller mais si tu veux me déposer quelque part, Fortitude Valley s’ra très bien. Faut que je m’occupe de mon vélo, c’est l’seul truc que j’utilise pour me déplacer. »
Il est souvent facile de faire des raisonnements aux autres quand la vie a plutôt tendance à vous réussir. Tu étais globalement entourée de gens qui réussissaient leur vie et qui n’avaient pas à chercher comment boucler leurs fins de mois et cela depuis toujours. Alors il était difficile de se mettre dans la peau de Freya et d’essayer de ne pas dire une trop grosse bêtise. Car tu savais que tu étais maladroite et que l’on pouvait mal comprendre certaines de tes réflexions. Ton envie de devenir mannequin était venue très tôt et ne t’avait jamais quittée. Pas depuis que tu savais marcher mais presque finalement et cela ne sembla pas surprendre ton interlocutrice. « En même temps, ça paraît tellement irréel et inaccessible ce genre de truc. Pourquoi mannequin, au faites ? Être jugée sur sa plastique à longueur de temps, c’est pas épuisant ? Ca m’foutrait des complexes que j’aurai jamais pensé, j’en suis sûre. » Aujourd’hui, alors que tu étais mère à ton tour, tu n’avais pas de mal à comprendre ce qui avait inquiété tes parents. Si l’on mettait de côté leurs valeurs conservatrices et la peur qu’ils ont toujours eu que tu deviennes impure et que tu trahisses leurs valeurs (ce que tu avais fini par faire), il y avait certainement eu une peur bien plus profonde de voir leur fille partir exercer un métier précaire dans un milieu de requins. « C’est un côté du métier que je préfère essayer d’oublier. Moi ce que j’aime, c’est l’excitation de se faire prendre en photo, le fait de savoir que la personne derrière l’appareil va photographier un moment unique. J’ai toujours adoré être de l’autre côté de l’objectif, c’est ce qui me fait vibrer et tout le reste me semble être un maigre sacrifice. » Mais cela en restait un. Les sacrifices de l’adolescence se sont transformés en habitudes alimentaires, en modes de vie aujourd’hui, plus de dix ans plus tard. Au départ, rien n’était évident et tu aurais eu beaucoup plus de mal à avoir confiance en toi si tu n’avais pas fait partie de la bande que l’on voulait absolument rejoindre au lycée. Tu ne comprenais pas pourquoi Freya se refusait à avoir de l’ambition mais après tout, tout le monde n’est pas obligé de vouloir faire carrière. « Ouais, je sais. Mais ça a jamais été mon truc de toute façon, l’ambition. Je laisse ça pour les grandes personnes. » Tu préférais ne pas répondre à la jeune femme, c’était mieux comme ça certainement. L’essentiel au fond c’était que Freya soit heureuse dans sa vie et si elle n’avait pas besoin de plus dans sa vie professionnelle, cela la regardait. Tu notais également qu’elle ne releva pas la remarque que tu fis sur le destin et la manière dont tu pensais pouvoir l’influencer. Cela voulait certainement signifier qu’elle n’était pas d’accord alors tu laissais également le sujet filer. La conversation se tourna vers Morgane qui arrivait en courant pour rejoindre la voiture. Tu confiais donc à Freya que ta fille avait quatre ans et que tu avais divorcé de son père. Même si tu détestais parler de ton divorce, c’était plus simple de le dire de suite plutôt que de laisser les gens se faire des films aux scénarios pas possibles. La jeune femme se tourna vers Morgane après que vous ayez mis le vélo dans le coffre avant de lui demander : « Quatre piges, hein ? Tu fais des crises à maman genre se rouler par terre et hurler à la mort ? » Tu levais les yeux au ciel à ces paroles espérant que Freya ne donnerait pas de mauvaises idées à ta fille. Mais cette dernière semblait perplexe car elle lui demanda : « C’est quoi des piges madame ? » Ta fille n’avait après tout que quatre ans et une curiosité sans borne. Tu laissais échapper un petit rire et laissais Freya se débrouiller avant d’ajouter : « Pas de mauvaises idées merci, Morgane est très sage. » Dis-tu en aidant ta fille à monter dans la voiture. Tu rajoutais à l’attention de la jeune femme : « Pour l’instant ! » Avec tes gênes et ceux de son père, la crise d’adolescence risquait d’être mémorable … Tu pris place derrière le volant alors que Freya et toi discutiez de sa famille et de la possible existence d’enfants dans son entourage. « Oh, t’sais, après, j’ai toujours mon jumeau donc c’est comme si j’avais déjà mon propre enfant. Il a juste le même âge que moi. » Tu avais peu de souvenirs voire aucun du frère de Freya alors tu étais bien mal placée pour faire des commentaires sur ce dernier. « Les frères et soeurs, c’est toujours toute une histoire ! » Dis-tu un sourire en coin sur les lèvres. Entre ta cadette qui avait décidé de braver tous les codes et les interdits possibles et ton aînée qui avait suivi dans les pas hyper cathos de tes parents, tu avais de quoi faire. « Bon, je sais pas où tu comptais aller mais si tu veux me déposer quelque part, Fortitude Valley s’ra très bien. Faut que je m’occupe de mon vélo, c’est l’seul truc que j’utilise pour me déplacer. » Tu avais démarré la voiture et à la sortie du parking, tu pris donc la direction de Fortitude Valley. « Tu as un garage ou un magasin en particulier pour que je te dépose ou pas du tout ? » Lui demandas-tu avant d’ajouter : « Tu habites dans ce quartier ? » Question comme une autre mais toujours un moyen d’en apprendre plus sur ton interlocutrice.