Sous le soleil des tropiques

Maintenant que ton esprit était moins embrumé, que tu n’avais plus aussi mal à la tête et que tu pouvais réfléchir un peu, tu savais qu’il fallait que tu appelles ton hôtel. Tes collègues allaient réellement commencer à s’inquiéter, ce n’était pas ton genre de disparaître ainsi sans donner de nouvelles. Le problème était que ton téléphone portable n’avait plus de batterie et tu ne trouverais rien pour le charger chez ton hôte. Elle te signifia toutefois que tu pouvais utiliser les autres outils informatiques qu’elle possédait pour retrouver le numéro de l’hôtel. « Oui, pas de soucis. Il y a une tablette sur la table basse du salon, il n'y a pas besoin de code pour la déverrouiller; allez-y. » Tu suivis la direction qu’indiquait la jeune femme qui finissait de préparer un plat dans la cuisine. Tu ne mis pas longtemps à trouver la tablette en question et tu la déverrouillais avant de te mettre sur internet. Le problème c’est que tu ne savais pas vraiment comment s’appelait ton hôtel. Cherchant dans ton esprit, tu finis par te rappeler d’un nom que tu tapais dans la barre de recherche. Après plusieurs essais, tu finis par retrouver l’hôtel où tu séjournais et attrapant le téléphone fixe, tu appelais la réception qui ne tarda pas à te mettre en relation avec une de tes collègues. Elle sembla soulagée de t’entendre et vous discutiez quelques minutes avant que tu ne raccroches en lui disant que tu avais rencontré des locaux et que tu rentreras peut-être un peu tard encore une fois. Tu reviens ensuite dans la cuisine avant de dire : « Merci beaucoup ! Il était temps que j’appelle, ils commençaient à se faire du souci. Merci. » Remercier Heïana était devenu ta nouvelle mission parce que depuis votre rencontre tu passais ton temps à cela. Quand elle te mit le café sous le nez, tu n’hésitais pas à en boire plusieurs gorgées qui te permettaient de sortir encore un peu plus de ton état de fatigue. Tu acceptais de rester pour l’anniversaire de sa soeur rien que pour goûter les plats qu’elle avait préparé et qui sentaient vraiment très bon. « J'ai préparé des bâtonnets de légumes et leurs sauces, mais les plats principaux sont un dahl de lentilles avec du riz, du curry végétarien que l'on peut coupler avec des Naans indiennes, et il y aura aussi un barbecue que mon oncle gérera. De quoi satisfaire un peu tout le monde, normalement. » Tu regardais la jeune femme en face de toi admirative. Tu considérais être une cuisinière décente, du moins tu n’avais jamais empoisonné personne, mais jamais tu ne pourras préparer ce genre de banquet. Vu que tu as proposé ton aide à Heïana, c’est peut-être mieux qu’elle ait déjà fini de cuisiner. « Je suis très admirative, c’est un vrai banquet que tu as préparé ! En tout cas, si c’est aussi délicieux que les odeurs le laissent penser, je ne peux que rester pour goûter. » Lui dis-tu avec un sourire amusé sur les lèvres avant de terminer ton café.

Il était temps de commencer à tout mettre en place et tu ne plaisantais pas quand tu avais accepter d’aider Heïana. Tu la suivis à l’extérieur où tu l’aidais à sortir puis nettoyer puis installer les chaises et les différentes tables qui accueilleraient la nourriture ainsi que les invités. Pour continuer à faire la conversation, tu lui demandais ce qui occupait son temps libre. Une question que tu pensais être innocente mais à laquelle Heïana ne sembla pas très à l’aise pour répondre. « Eh bien, j'éduque Moana. Nos parents sont décédés d'un accident de voiture lorsque j'avais dix-huit ans et Moana onze, alors qu'on vivait encore à Brisbane. Une fois qu'on a pu, on a déménagé à Tahiti pour changer d'air, et j'ai pris la tutelle de ma soeur. Donc ça occupe pas mal de mon temps libre. Entre les rendez-vous médicaux, ceux avec le collège, l'éducation de manière globale... Et puis on passe beaucoup de temps ensemble au final, à jouer, à sortir à la plage ou randonner en forêt... Je n'ai pas vraiment d'autre occupation personnelle du coup. » Tu te figeais quand elle te parlait de ses parents qui n’étaient plus là pour l’épauler aujourd’hui. Heïana s’occupait de sa soeur depuis ses dix-huit ans, seule apparemment. Toi qui trouvais que tu étais déjà bien trop jeune quand Morgane était née, tu ne pouvais pas envisager de prendre un rôle parental à dix-huit ans. Tu comprenais mieux certaines réactions d’Heïana, son côté maternel aussi qu’elle avait actionné en te voyant. « Je suis désolée. Je … » Que dire dans des situations pareilles ? Tu n’en savais rien et tu n’étais pas la personne la plus douée pour cela mais tu te devais d’essayer toutefois. « C’est très courageux de votre part. J’ai déjà l’impression d’être bien trop jeune pour être mère alors je vous admire beaucoup. Votre soeur a de la chance de vous avoir, elle saura apprécier votre sacrifice en grandissant. » Parce que oui, Heïana avait sacrifié toute vie personnelle pour élever sa soeur, c’était en tout cas ce qu’elle était en train de te dire. « Vous … Pensez à prendre du temps pour vous aussi. Même si votre soeur passe en premier, vous avez aussi droit à votre propre vie. » C’était ce que tu faisais toi quand tu partais faire des photoshoots à l’autre bout du monde. « Vous voulez profiter de la piscine en attendant les invités ? Ils n'arriveront que dans une bonne heure et demie, au moins ! » Tu regardais la piscine avec envie mais tu n’eus pas le temps de répondre que la porte d’entrée s’ouvrit et une voix s’éleva bientôt : « 'ïana, je suis rentrée ! » Un sourire se dessina sur ton visage, tu allais rencontrer la star de la journée apparemment. « Je ne dis pas non à un plongeon mais seulement si vous faites une pause aussi. Vous l’avez bien plus mérité que moi. » Répondis-tu à Heïana alors que sa soeur faisait son apparition sur la terrasse. Son regard ne tarda pas à tomber sur toi et elle ne cacha pas sa surprise : « T’as des amis que je connais pas ? C’est qui elle ? » Dans ta robe de soirée de la veille, tu avais bien conscience que tu faisais tâche et que tu n’étais peut-être pas le genre de personne qu’elles avaient l’habitude de recevoir. « Jessian Reed, enchanté. Je suis de passage sur l’île et ta soeur a eu pitié de moi et m’a invitée à vous rejoindre pour quelques heures. » Dis-tu simplement laissant ton hôte compléter cette histoire comme bon lui semble.

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Je suis très admirative, c’est un vrai banquet que tu as préparé ! En tout cas, si c’est aussi délicieux que les odeurs le laissent penser, je ne peux que rester pour goûter. Heïana rougit de plaisir à ce joli compliment, ravie de voir ses efforts appréciés à leur juste valeur sans même que rien n'ait été goûté. En même temps, avec en tout trois heures passées en cuisine ou peu s'en faut, elle espérait bien que ce serait à la fois beau et bon ! Quoi que généralement, s'il y avait un choix à faire, c'était le goût qui primait sur l'aspect - et tant mieux - avant tout. Quel intérêt de faire un plat dont l'esthétique serait celle d'un restaurant étoilé mais dont le sucre de la recette aurait été remplacé malencontreusement par du sel ? Aucun. La Brisbanaise venue ici pour le travail avait le sens de la parole et du mot juste quoi qu'il en soit; elle avait touché dans le mille. L'étudiante sage-femme répliqua avec enthousiasme: J'espère ne pas te décevoir alors ! Tu me le diras ce soir. Ce fut donc dans la bonne humeur que les deux jeunes adultes terminèrent leur café et se mirent à la tâche suivante: tout installer avant l'arrivée des invités du soir.

Mais la suite de la conversation fut un peu moins réjouissante, Heïana se devant d'avouer à son invitée ce qu'il en était de leur situation familiale, à elle et Moana. Le deuil avait été très dur à faire, et certains jours étaient encore difficiles, notamment pour la plus jeune. Mais plus que ça encore, c'était le sentiment de pitié que ressentaient les autres suite à une telle annonce qui était dur à supporter sur le long terme. Sur les quelques minutes suivant ce genre de déclaration, oui bien sûr, c'était tout à fait humain d'éprouver de la désolation pour une personne racontant des malheurs aussi durs, et arrivés aussi jeune. Mais quand les regards pleins d'une empathie forcée duraient, c'était là que ça coinçait. Cependant, la brune faisait confiance au mannequin - alors qu'elle l'avait rencontré quoi, quatre heures plus tôt tout au plus, marrant non ? - et elle se dit qu'elle n'aurait pas à regretter de lui avoir confié cela. Mieux valait ça qu'une boulette en pleine soirée d'anniversaire de toute façon. Elle balaya les excuses de Jessian d'un geste de main et d'un sourire compréhensif, disant: Vous n'y pouvez rien, et je suis passée à autre chose; ça fait déjà trois ans après tout. Son sourire touché trôna sur ses lèvres lorsque la femme loua son courage, mais elle hocha négativement la tête alors que son invitée terminait de parler. Avec une étincelle de détermination dans le regard alors qu'elle passait un coup d'éponge sur la table - drôle de scène il faut dire - elle répliqua: Je ne me sacrifie pas, en aucun cas. C'est mon devoir. J'aurais eu honte de ne pas m'occuper de ma soeur alors que j'en ai la possibilité et les moyens. C'est vrai, après tout, Heïana et sa soeur, malgré cet événement traumatisant de leur vie, n'étaient pas à plaindre sur bien des aspects: elles avaient un trèèès large confort matériel, ce qui était une bonne base pour ensuite gérer le côté plus relationnel et éducatif entre elles deux, ainsi que tous les aspects du quotidien. L'aînée des Brook avait fait le choix de reprendre ses études un an après l'accident ayant tué leurs parents, mais elle aurait très bien pu attendre des années, voire même ne rien faire de sa vie et profiter de l'usufruit de ses propriétés. Elle aurait alors eu tout son temps pour gérer Moana, et plus de temps pour ses loisirs. Mais cela ne lui aurait pas ressemblé, ce n'était pas elle; d'où ses choix jusqu'alors.

Au conseil de Jessian, l'étudiante sourit et répliqua: Oh ne vous en faites pas, je sais faire des pauses quand j'en ressens le besoin. En fait, j'aime bien ma vie telle que je la mène; elle n'est pas simple tous les jours, mais j'essaye d'en retirer le meilleur. Alors ça va bien ! Mais merci pour votre sollicitude. Elle approuva la proposition de son acolyte de la journée et elles allaient vers la chambre pour se changer lorsque la fameuse Moana rentra à la maison. Ce fut avec un grand plaisir que son aînée la salua d'une grosse bise sur la joue, alors que l'adolescente demandait d'une manière fort peu élégante l'identité de l'invitée. Heïana roula les yeux au ciel et reprit sa cadette avec une pointe d'amusement et d'ironie malgré tout dans la voix: On dit "Qui est-ce ?" et non pas "C'est qui elle ?"; on dirait que tu parles d'un bout de viande. Et on dit bonjour, accessoirement. Puis Jessian déclina par elle-même son identité et Moana pouffa de rire, répondant avec une décontraction et une assurance surprenantes pour son âge: Salut Jess ! Moana Brook, meilleure petite soeur du monde comme tu peux le voir. Enchantée. Puis elle se tourna vers son aînée: Je vais me préparer pour ce soir ! Et elle fila dans la salle de bain. Ok, elle serait bien occupée pour deux heures. Heïana ne put s'empêcher de pouffer de rire devant le comportement désinvolte de sa cadette, puis elle revint à ses moutons. Elle et Jess se dirigèrent vers la chambre, et trouvèrent largement leur bonheur dans les quelques maillots de bain présents dans les commodes. Ainsi, cinq minutes plus tard, elles profitaient de la piscine et du soleil qui commençait à se coucher, loin dans le ciel. Aaaah, ça fait du bien ! Soupira Heïana avec délectation, fermant les yeux un instant, la peau du visage baignée par les rayons du soleil, celle de son corps par l'eau cristalline. Vous êtes ici pour longtemps ? demanda-t-elle avec curiosité et simplicité, avant d'ajouter une question: Au fait, ça va mieux ? Vous n'étiez pas trop... au mieux de votre forme ce matin, on va dire. Un rire honnête ponctua ses dernières paroles, alors qu'elle même rouvrait les yeux.

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Contrairement à toi, Heïana savait recevoir. Enfin, ce n’était pas que tu ne savais pas, c’était plutôt que tu faisais venir un traiteur pour s’occuper de la nourriture car tu n’avais pas de temps à perdre à louper un plat après l’autre. La vérité c’était que tu organisais peu de fêtes de ce genre. Peut-être auras-tu l’occasion de le faire pour Morgane mais tu avais pris l’habitude de fêter tes anniversaires et ceux de tes amis à l’extérieur, dans des bars et de boîtes de nuit ces dernières années, il y avait rarement besoin d’aller aussi loin dans les préparatifs. Toutefois, il était évident que la jeune femme avait pris plaisir à faire tout cela et c’était le plus important. Alors que vous installiez le mobilier à l’extérieur, tu posais des questions pour apprendre à connaître ton interlocutrice et c’est sans surprise que tu mis les pieds dans le plat. Si Heïana s’occupait de sa soeur c’était parce que leurs parents ne pouvaient plus le faire. Tu essayais donc de te rattraper comme tu pouvais en ne manquant pas de noter que tu étais admirative de la jeune femme. Vous aviez à peu près le même âge mais il était évident qu’Heïana était plus mature que toi. Tu tenais toutefois à lui faire remarquer qu’elle devrait prendre du temps pour elle également car il serait dommage qu’elle ne profite pas un peu de ces quelques années d’insouciance que tu retrouves quand tu quittes Brisbane et ta fille pour quelques jours. Tu t’accroches à ces jours comme un enfant s’accrocherait à Noël. « Vous n'y pouvez rien, et je suis passée à autre chose; ça fait déjà trois ans après tout. Je ne me sacrifie pas, en aucun cas. C'est mon devoir. J'aurais eu honte de ne pas m'occuper de ma soeur alors que j'en ai la possibilité et les moyens. » Les obligations familiales, tu n’as pas de mal à les comprendre. S’il y a bien une valeur que tes parents ont réussi à t’inculquer c’est celle de la famille. Tu serais prête à tout pour ta famille et s’il avait fallu que tu t’occupes de Sky à l’époque, tu l’aurais fait sans aucun doute. Mais tout sacrifier pour sa famille, ce n’était pas la bonne solution non plus. Même si Morgane était devenue le centre de ton univers, tu ne voulais pas qu’il ne tourne qu’autour d’elle, tu avais besoin de rester une personne en dehors de ce rôle de maman que l’on te collait si facilement à la peau. « Je peux comprendre également les personnes qui n’ont pas envie d’assumer ce genre de responsabilités. Des fois ce n’est pas aussi simple mais c’est très admirable à vous de le faire si humblement. » Lui dis-tu parce que tu avais remarqué la modestie maladive de ton interlocutrice qui pensait trouver cela normal d’élever sa soeur si jeune et de ramasser des inconnues alcoolisées pour les laisser se reposer chez elle. Non, ce n’était pas normal, elle devait le savoir. « Oh ne vous en faites pas, je sais faire des pauses quand j'en ressens le besoin. En fait, j'aime bien ma vie telle que je la mène; elle n'est pas simple tous les jours, mais j'essaye d'en retirer le meilleur. Alors ça va bien ! Mais merci pour votre sollicitude. » En effet, Heïana avait l’air heureuse de la vie qu’elle menait ce qui était une bonne chose. Tu l’admirais vraiment beaucoup à cet instant parce que c’était réellement mature comme comportement. Avait-elle dû renoncer à des rêves ? Tu espérais que ce n’était pas le cas, ce serait d’autant plus triste. « Si vous êtes heureuse c’est le principal. Vous n’avez pas eu à renoncer à certaines choses ? Quand j’ai eu ma fille, j’ai mis entre parenthèse ma carrière de mannequin pendant près de deux ans et cela a été un vrai sacrifice pour moi. » C’était ce qui t’avait le plus manqué finalement. D’être derrière la caméra, d’avoir une activité. Pour le reste, ce n’était pas aussi important.

Alors que vous aviez terminé les installations, vous fûtes interrompues dans votre discussion par la soeur d’Heïana qui revenait chez elle pour se préparer pour sa fête d’anniversaire. Tu n’avais aucun mal à voir des traits de ta soeur dans cette adolescente qui croquait la vie à pleine dents et qui semblait n’avoir peur de rien. « On dit "Qui est-ce ?" et non pas "C'est qui elle ?"; on dirait que tu parles d'un bout de viande. Et on dit bonjour, accessoirement. » Tu secouais la tête, amusée de ces remarques car il était clair que l’adolescente n’en avait pas grand chose à faire. Mais tu n’allais pas t’en formaliser. « Salut Jess ! Moana Brook, meilleure petite soeur du monde comme tu peux le voir. Enchantée. Je vais me préparer pour ce soir ! » Elle disparut aussi vite qu’elle était apparue sous le regard exaspéré de sa soeur et ton regard amusé. Heïana qui t’avait proposé de te détendre dans la piscine t’entraîna dans une chambre où tu attrapais un maillot de bain que tu enfilais avant de la rejoindre à l’extérieur où ton hôte rentrait dans la piscine avec aise. « Aaaah, ça fait du bien ! Vous êtes ici pour longtemps ? Au fait, ça va mieux ? Vous n'étiez pas trop... au mieux de votre forme ce matin, on va dire. » Tu ris avec elle car elle était vraiment trop gentille. Pas au mieux de ta forme c’était un euphémisme … Tu ne perdis pas de temps à rentrer dans l’eau et tu fis quelques brasses avant de lui répondre : « Ça va mieux. Je pense que je vais avoir un vrai coup de barre dans la soirée mais la sieste a été bénéfique. » Lui dis-tu avec un sourire. « Je suis là pour une semaine. Je viens à peine d’arriver et nous devons shooter toute une campagne de publicité sur vos belles plages donc cela va prendre plusieurs jours. » Tu refis quelques brasses avant de lui dire : « Merci encore de m’avoir accueillie, ce voyage aurait pu rapidement tourner au cauchemar je pense si vous n’aviez pas été mon ange gardien. » Tu lui étais réellement très reconnaissante, tu avais de la chance d’être tombée sur elle.

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La jeune maïeuticienne accorda un sourire tout à fait de connivence avec Jessian quand celle-ci exprima que tout le monde ne pouvait pas vouloir endosser la responsabilité d'élever un enfant. Heïana était en parfaite symbiose avec la Brisbanaise sur ce point, elle ne se permettrait de juger personne qui se serait retrouvée dans sa situation et qui aurait fait un choix différent. Chacun son ressenti, son vécu, ses décisions. Mais en ce qui la concernait, elle n'aurait pas pu voir Moana être séparée d'elle, envoyée dans de la famille éloignée ou dans un foyer d'accueil totalement inconnu. Hors de question. Elles étaient l'une à l'autre tout ce qui leur restait d'essentiel en ce monde, se séparer les aurait sans doute tuées. Car elles n'auraient pas été ensemble, et l'amour qu'elle se portaient n'aurait pas pu s'exprimer et panser la blessure béante de leurs coeurs quant au deuil de leurs parents. Non, vraiment, l'étudiante sage-femme espérait, et pensait avoir fait le bon choix en prenant la tutelle et l'éducation de sa petite soeur à sa charge - quoi qu'elle détestât cette expression, car elle ne considérait certainement pas Moana comme un poids - jusqu'au jour où sa majorité arrivera. Jess lui demanda si elle n'avait d'ailleurs pas dû sacrifier certaines choses en ce sens. La Tahitienne réfléchit quelques instants puis répondit: Non, pas vraiment. Nous avons été déscolarisées toutes les deux un an suite à l'accident, puis Moana est retournée dans le cursus, et moi je me suis inscrite à l'école de sages-femmes locale, sachant qu'il s'agit vraiment de la voie professionnelle dans laquelle je me suis toujours projettée. Elle ajouta, buvant une gorgée d'un verre d'eau qu'elle s'était servi entre-temps: Le quotidien est parfois un peu chargé, et c'est sûr que je ne fais pas la fête comme les jeunes de mon âge, mais ça ne me manque pas vraiment.

D'ailleurs, en parlant du loup, il ne tarda pas à toquer, à montrer patte blanche et à entrer dans la maison: la star de la journée était arrivée. Après un échange bref, l'adolescente déclara avoir besoin de "se préparer": elle ne serait donc pas visible avant une bonne heure, si ce n'est plus. Le temps de prendre sa douche, choisir ses habits, se maquiller un peu, se coiffer... Autant dire que les deux adultes avaient le temps de faire trempette avant l'arrivée des invités. Une fois immergées dans l'eau, Jess remercia une fois de plus Heïana, qui répliqua avec un grand sourire: Ne me remerciez pas, vraiment, ça m'a fait plaisir de vous rencontrer. Et je ne sais pas pourquoi, mais mon petit doigt me dit qu'on se reverra, même si c'est dans plusieurs mois ou années ! Or, son intuition la trompait rarement; rien que pour cette raison, la brune était curieuse de voir quand est-ce-qu'elles se reverraient, et en quelles circonstances. Le reste de la soirée se passa superbement bien: la petite quarantaine d'invités débarqua au fur et à mesure, et heureusement, chacun connaissant les manières de Tahiti d'accueil et d'entraide, ils mirent tous la main à la pâte pour aider Heïana à servir les plats, les boissons et le tout. Jessian partit avant le reste des convives, et la Tahitienne lui transmit son numéro. A un de ces jours, murmura-t-elle alors que le taxi amenait déjà le mannequin loin de la maison des Brook. Puis, la métisse retourna à la fête d'anniversaire de sa cadette, remerciant le Ciel de lui avoir offert une si belle journée.

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