Il est plus souriant que sous les taules, le blond. C’est peut-être la nuit étoilée ou les histoires qu’ils se racontent entre deux lampées. Toujours est-il qu’il en vient même à pouffer de rire maintenant et ça c’est un sacré progrès. Les babines de Kyte se retroussent alors qu’il le regarde secouer la tête. Ouai, les gars se détendent toujours sacrément quand on leur parle de gonzesses. Sauf que : « J’pourrais pas t’dire, c’est pas ma came les go. J’préfère les petits culs bien musclés et les pecs dessinés, moi. » La surprise envoie les sourcils de Kyte se balader au milieu de son front. Jamais il aurait deviné, ça non. Avec sa grande taille et son allure brute, le fighter correspond pas vraiment au cliché qu’on peut se faire sur les homos. « T’sais les go que j’vois défiler sur la plage par ces temps elles sont presque aussi musclées qu’leurs mecs ! » Il lâche avec un petit rire, rapport à cette nouvelle mode d’aller s’écraser sous les poids d’une salle de sport pour exhiber un corps aux proportions défiant les lois de la physique. « Bon après y’a un truc qu’elles pourront jamais s’faire pousser entre les pattes ça j’te l’accorde. » Qu’il plaisante en se tapant joyeusement la cuisse. Et c’est tant mieux ! Mais déjà son compagnon replonge dans ce voile mélancolique qui quitte jamais vraiment son regard trop doux pour le monde dans lequel il se perd. « Fin, un petit cul musclé en particulier surtout, mais je l’ai lâché et… Je n’aurais pas dû j’crois… » Une histoire de cul, évidemment. Ou plutôt une histoire de cœur. Parce que le môme perdu a beau s’planquer derrière la clope qu’il embrase comme pour rallumer un peu de sa virilité, ça crève les yeux comme l’absence de son p’tit gars au cul musclé lui a laissé un trou béant dans l’âme. « J’suis pas fait pour ça t’façon. » La petite note de résignation lui plait pas des masses. Faut dire que Kyte, y’a rien qui le met plus en rogne que les mur qu’on se dresse tout seul en travers de sa route. « Allons, allons ! » Il gronde et lui pique une clope au passage. « On est tous fait pour ça, faut juste trouver quelqu’un d’aussi taré qu’soit. » C’est même comme ça qu’il a trouvé sa Lenore. Tarée, elle l’était, mais y’avait une beauté dans sa folie qu’il a jamais retrouvé chez personne après. Un mariage chaotique, des disputes si intenses que le quotidien ressemblait trop souvent à une immense scène de crime. Mais la passion… Ah, la passion… elle était au cœur de leur histoire écrite en lettres de sang. Elle était imparfaite, elle était dangereuse, mais c’était la leur. Au final il l’a perdue ouai, mais seulement parce que la mort s’en est mêlée. Alors ça fait pas de doute qu’Harvey joli-cœur en face il pourra trouver son bonheur sans trop de difficulté. Peut-être même qu’il est déjà sous son nez ! Kyte lui en toucherait bien deux mots d’ailleurs mais il se renferme le grand blond. Ou plutôt il évite la discussion et la douleur qui vient avec, parce que voilà qu’il lui reparle du Canada et des habitudes vestimentaires des nanas là-bas. L’homme du nord hausse les épaules, parce que dans le fond une go reste une go et lui les préfère nues et pressées contre sa peau. Qu’ce soit sur un tapis douillet en face d’une cheminée ou bien roulés dans une dune de sable ; dans l’fond il fait pas son difficile avec ces choses-là. « T’as l’intention de rester longtemps par ici ou tes montagnes te manquent trop ? » Y’a des questions qu’on voit pas venir, quand on est trop occupé à penser à celles qu’on doit déjouer, celles qui pourraient en révéler un peu trop, creuser trop loin. Y’a un truc qui enfle dans sa gorge, et Kyte le ravale avec une grande inspiration de tabac qu’il recrache dans la nuit noire. « La question s’pose pas. J’peux pas y r’tourner. » Une sincérité brute, un fait incontestable. Mais ne dit-on pas que le meilleur moyen de dissimuler la vérité c’est encore sous une couche de franchise ? « Pas les moyens ! » Il ajoute avec un haussement d’épaules désinvolte et écarte les mains l’air de dire alors qu’est-ce tu vas faire, hein ? Mais la vérité c’est que même s’il gagnait au loto il pourrait pas y remettre les pieds. Parce qu’au Canada c’est pas comme ici : sa gueule, elle est un peu trop connue dans les postes pour qu’il puisse se contenter de jouer les clochards sans histoire. Là-bas, pas de doute qu’on le reconnaîtrait comme l’écoterroriste bon à enfermer, ou le cinglé que la Norvège réclame pour le meurtre de sa femme. Peuh ! Comme s’il en aurait été capable… « M’enfin, c’est la vie. » Qu’il balance avec un soupir dans son français canadien. « Mais assez parlé d’moi ! » Il tire une nouvelle latte de sa cigarette et lève le menton en direction de son compagnon d’infortune. « T’sais qu’tu trouveras toujours un lardu assez cinglé pour vouloir personne d’autre que toi, pas vrai ? » Il fouille une seconde dans les yeux océan du gamin puis secoue la tête et laisse échapper un petit rire. « Même qu’avec ta belle gueule ça d’vrait pas être trop compliqué. » Kyte détourne le regard vers l’horizon et plaque une main contre la nuque d’Harvey, qu’il malaxe avec une force mêlée de tendresse, comme on le ferait avec un chiot robuste. « Tiens, ça s’trouve c’est même le cas d’ton p’tit cul musclé en particulier. » Il balance, l’air de rien, comme si l'idée venait brusquement de lui traverser l'esprit. Puis il reporte son attention sur le fighter-matheux. « Si tu regrettes de l’avoir laisser filer, qu’est-ce que t’attends pour aller l’récupérer, eh ? »      

The first and final thing you have to do in this world is to last it
and not be smashed by it.

Pando