Le situation avait dégénéré tellement vite que Leonardo aurait été incrédule face au peu de temps qui était passé entre le début de leurs manigances et celui où une présence fantomatique leur avait expliqué qu’ils allaient certainement mourir ce soir-là. « … okay. » C’était tout ce que le médecin arrivait à dire après que le verre se soit repositionné sur la lettre N. Pour résumer la situation, les citrouilles pouvaient être possédées et tuer des petits animaux, les morts étaient vraiment dus aux fantômes et ils n’étaient pas en sécurité. Okay. Le Grimes était complètement perdu – mais il avait remarqué que lorsqu’ils restaient en silence ou ne lui posaient pas de questions, le fantôme semblait s’impatienter. Alors, il allait essayer de l’occuper autant qu’il le pouvait. « Est-ce que vous êtes mort ici même ? » Le verre se déplaça vers le Y. Le docteur regardait Romy droit dans les yeux, d’une expression entre la peur et la ténacité. S’ils avaient affaire à des fantômes, ils ne pourraient pas spécialement les affronter à coups de bouteille et marteau – il fallait redoubler d’ingéniosité, encore qu’ils n’étaient pas sûrs que ça puisse marcher. Peut-être qu’ils étaient déjà condamnés, et peut-être bien qu’en posant leurs index sur le verre, ils avaient signé leurs arrêts de mort. À vrai dire, Leonardo ne savait pas s’ils avaient une chance de s’en sortir. Peut-être qu’ils auraient dû prêter plus d’attention aux potins du Saloon – ou peut-être qu’en fin des comptes, ça n’aurait rien changé. « Est-ce qu’il y a quelqu’un qu’on connait ? » Après tout, il avait cru en entendre certains parler de vengeance personnelle. Et ça aurait du sens – si on avait une chance de revenir parmi les vivants, pourquoi ne pas essayer de rendre la pareille à ceux qui nous avaient blessés ou tués ? Mais contre ses attentes, le verre se déplaça sur le N. Il ne voyait pas vraiment qui aurait pu s’en prendre à lui, de toute façon – et il aurait très mal vu la blonde être une tueuse en série cachée. Jamais dire jamais, mais ça l’aurait quelque peu étonné. La blonde devait connaître le Saloon mieux que n’importe qui – il espérait qu’en gardant le fantôme occupé, elle se souvienne d’un moyen de fuir qui leur aurait potentiellement permis de peut-être s’en sortir. Ou au moins, un moyen de partir pendant que lui se faisait attaquer. S’il n’y avait qu’un fantôme, il pourrait difficilement s’en prendre à deux personnes en même temps. Non ? « Est-ce que c’est vous qui avez tué le chien de la mère Dashwood ? » Le verre se déplaça brusquement vers le N, signe peut-être que le fantôme commençait à en avoir marre des questions du Grimes. Il regarda donc Romy, toujours d’un air presque paniqué. Qu’est-ce qu’on va faire ?

Romy regrettait presque toutes ses questions. Elle aurait pu demander autre chose, comme par exemple s'il allait faire beau demain, si elle allait finir par se marier un jour. Des choses normales, parce que si au début parler de ces accidents et de ces morts inexpliquées avec un esprit au travers d'un verre semblait irréel, maintenant ça ne l'était plus du tout. « … okay. » Ils étaient donc en danger. La mort allait elle les prendre ce soir ou leur accorderait elle la rédemption après s'être bien amusé avec eux ? Allez savoir. Quelque part elle se disait que ce fantôme voulait peut être s'amuser.. mais en son for intérieur elle savait qu'il se tramait quelque chose. Après c'était peut être le whisky. « Est-ce que vous êtes mort ici même ? » Le verre se déplaça vers le Y, et le docteur remontait le regard vers elle ; entre peur et ... elle ne savait pas trop. Rapidement elle se fit l'inventaire des personnes décédées ici, se rappelant au passage que ce taudis était déjà ouvert bien avant sa naissance et qu'elle n'était probablement pas au courant de tous les décès qui s'y étaient déroulés. Entre les règlements de compte et les accidents il y avait de quoi ouvrir un business de pompes funèbres en collaboration. « Est-ce qu’il y a quelqu’un qu’on connait ? » Comme quoi ? Un règlement de compte ? Ce fut à son tour d'interroger le brun du regard, avant que son attention ne soit absorbée par le verre qui se déplaçait vers le N. C'était déjà ça. "Pas de vengeance hein." ne put elle s'empêcher de rétorquer, comme soulagée, bien qu'il n'y ait aucune raison valable qu'elle ne le soit. L'esprit avait bien précisé qu'ils n'étaient pas en sécurité. « Est-ce que c’est vous qui avez tué le chien de la mère Dashwood ? » No. Une réponse immédiate, mais quelque part la brune sentait que le verre semblait s'agacer de toutes ces petites questions. Il vibrait, trépignait, et Romy en retour paniquait au moins autant que son compagnon d'infortune qui la regardait avec une expression similaire à la sienne. "Bon ça m'amuse plus du tout." qu'elle poursuivait en retirant vivement son doigt du verre ; une chose qu'elle n'aurait sans doute jamais du faire. La bougie se soufflait, les portes claquaient. La pièce n'était désormais plus éclairée que par la lumière de la lune qui transparaissait au travers la fenêtre, mais soudainement il faisait froid. Horriblement froid. Une bourrasque passait sans qu'elle ne sache d’où elle venait, puis une seconde. A la troisième elle se retrouvait projetée hors de son tabouret, heurtant le sol sans pouvoir se protéger de ses bras. Tout s'était passé si rapidement.
    
   

La blonde eut le courage de faire ce que Leonardo n’aurait jamais osé faire : retirer son doigt du verre. Mais aussitôt qu’elle ait eu fait ça, la bougie disparut et les portes se mirent à claquer. Le Grimes retira à son tour le doigt du verre – il était bien trop tard pour faire quoi que ce soit. Au bout de quelques maigres instants qui avaient semblé bien plus longs, Romy fut projetée hors de son tabouret et au sol. En temps normal le médecin aurait crié, ou au moins appelé la serveuse pour vérifier qu’elle était encore en vie et que le choc ne l’avait pas assommée – mais sa voix refusait de sortir. Il essaya de s’accroupir – histoire d’éviter des bouteilles volantes, au cas où ledit fantôme décide de s’amuser à jouer aux fléchettes avec eux. Il arriva au niveau de Romy, dont la tête commençait à saigner doucement – le choc de sa tête contre le sol en bois avait dû ouvrir sa peau, mais ils n’avaient pas vraiment le temps de s’arrêter contrôler ses blessures. « Il faut qu’on arrive à trouver un moyen de le battre. » Bien évidemment, ils ne pouvaient pas vraiment se battre physiquement contre quelqu’un qu’ils ne voyaient pas – le Grimes ne savait pas s’ils pourraient le toucher, mais il aurait vraiment aimé ne pas avoir à en arriver là. Il fallait qu’ils soient bien plus malins, et qu’ils utilisent ses points faibles contre lui, mais pour cela il fallait savoir comment il comptait les blesser, et donc s’exposer. « Mais si on y arrive pas… ce fut un plaisir de vous connaître. » Il eut à peine le temps de finir sa phrase avant qu’une bouteille en verre explose juste à côté de lui – les débris s’éparpillant par terre tout autour d’eux. Il essaya donc de ramper dans un sens, mais sa course fut de bien courte durée : à son tour, Leonardo fut poussé contre le sol. L’impact initial l’avait suffisamment amoché, mais il se rendit assez vite compte qu’il était incapable de bouger – comme si un poids mort avait été placé sur lui. Mais si le fantôme l’écrasait lui, alors Romy était libre de se déplacer à sa guise. Il ne savait pas ce qu’elle était en train de faire – et à vrai dire, il ne savait même pas ce qu’elle aurait dû faire pour se sauver elle ou le sauver lui. À ce stade de la soirée, il savait juste qu’il avait de plus en plus de mal à respirer – et à ce rythme là, il n’était pas sûr de tenir bien longtemps de plus.

Elle s'était rendu compte que ce geste avait été une erreur du moment même ou son doigt n'était plus en contact avec le verre. Une vague de froid l'enveloppait, un noir de jais rendait l'atmosphère du saloon encore un peu plus lugubre et des bourrasques balayaient la pièce, la faisant tomber sur le sol bien qu'elle soit persuadée y avoir été plaquée. Par réflexe sa main venait masser son crâne douloureux et désormais ensanglanté, puis elle relevait le menton vers le médecin pour voir dans quel état il pouvait être à son tour. Ce dernier était venu près d'elle, s'abaissant à son niveau sans doute pour contrôler les dégâts bien qu'il ne la touche pas. Les bourrasques continuaient encore et encore faisant voler quelques chaises, s'éclater quelques verres. « Il faut qu’on arrive à trouver un moyen de le battre. » Romy haussait un sourcil en retour. "Vous pensez à quoi ? des incantations ? un exorcisme ?" et comme si le simple mot exorcisme avait suffit à réveiller les esprits, les manifestations s'étaient exacerbées. Des bouteilles s'écrasaient sur les murs, déversant une pluie de bourbon et de brandy qui s'égouttaient sur le plancher un peu partout. « Mais si on y arrive pas… ce fut un plaisir de vous connaître. » La fatalité dont faisait preuve le docteur semblait ne pas plaire à ces esprits farceurs. Une bouteille éclatait à côté de sa tête, puis alors qu'il entreprenait de ramper pour se metter à l'abri de cette avalanche il s'arrêtait net sous les yeux d'une Romy dont la vision commençait à se brouiller, sa blessure l'ayant amochée plus que prévu. "Vous ... vous ... " elle tentait de se mouvoir à son tour ; ses bras et ses jambes n'étant pas entravés par quoique ce soit. Étonnamment l'esprit ne s'acharnait pas sur elle, plutôt sur ce pauvre docteur qui commençait à virer au violet à force de ne plus pouvoir respirer. Se relevant tant bien que mal, la blondinette titubait non pas vers la porte d'entrée mais vers le bar sur lequel y était resté le verre dont ils s'étaient servis. Elle avait quitté la séance improvisée de spiritisme trop tôt, et replaçait donc son doigt sur l'objet du crime, celui par lequel ils avaient invoqué tout ce désordre. "Allez vous nous laisser sortir d'ici vivants ?" qu'elle demandait d'une voix tremblotante, et le verre se déplaçait sur non. "Au revoir. Au revoir." s'obstinait elle à répondre pour faire déguerpir l'esprit, alors que son doigt n'avait de cesse que de tourner en rond autour de la lettre N. Son visage baigné de larmes se posait alors sur le bon docteur qui avait cessé de respirer ... mort, il était mort. Prise de panique, elle se laissait retomber sur le sol, son buste secoué de pleurs incontrôlés et incontrôlables ; à nouveau elle avait fait l'erreur de retirer son doigt trop vite sans attendre de réponse, et ce fût à son tour de voir sa mort arriver. Vivement projetée du sol vers le plafond, sa nuque se brisa dans un son craquement immonde, puis c'en était fini du brouhaha incessant. Les bourrasques cessèrent, les bouteilles arrêtaient de voler dans tout l'espace. Un silence de mort pesait dans le saloon, les corps des de nos deux imprudents du jour reposant à quelques mètres l'un de l'autre, l'expression même de la terreur encore visible sur leurs traits.  

- sujet terminé -