Romy avait un problème certain avec le shopping ; c'était un fait indéniable. Le dressing de la petite blonde n'était pas suffisamment grand pour contenir toutes ses fripes, mais ça ne l'empêchait pas d'en acheter, encore et encore, oubliant parfois jusqu'à leur existence. C'est ainsi que se mourraient une bonne demie douzaine de chemisiers et autant de paire de jeans dans le fin fond d'un tiroir, ou pendouillant à des cintres compressés les uns contre les autres sur les tringles qui tapissaient le mur de sa chambre ; tout cet investissement et cette énergie pour qu'au final elle ne porte toujours la même chose, à savoir des vans et des tshirts de groupes de musique, comme une adolescente. Un gigantesque gâchis à faire pleurer les associations caritatives. Une fois n'est pas coutume, la jeune femme s'était retrouvée au centre commercial ce samedi ; dans son élément au beau milieu du brouhaha urbain, de la foule amoindrie d'une fin d'après midi d'hiver. La jeune femme avait au bras quelques sacs de kraft, le butin de son compte en banque saigné à blanc. Arpentant les allées en lorgnant parfois sur les vitrines, elle s'était dit qu'il était peut être temps qu'elle rentre chez elle après s'être rendue compte qu'elle en était rendue à son point de départ. Un rapide coup d’œil à son téléphone qui lui indiquait 1) l'heure et 2) la notification d'un message d'Isla lui annonçant qu'elle avait commandé des sushis pour ce soir, et il ne lui en avait pas fallu plus pour la placer sur le chemin du retour. Prête à quitter le centre commercial, la blondinette eut pourtant le regard accroché par le mouvement d'une silhouette masculine qu'elle voyait fondre à toute vitesse devant elle. Ce type avait manqué de bousculer quelques passants, et si son instinct aurait été de regarder la direction qu'il empruntait -des soldes ? une bonne affaire ?- ... elle avait pourtant directement vu le sac qu'il avait laissé ; abandonné, osait elle songer. "Hééé" à qui parlait elle, hein ? De vifs coups d'oeil à gauche à droite, la petite blonde cherchait quelqu'un à qui faire part de cette paranoïa qui s'était manifestée sans la moindre parcelle d'hésitation. Cette façon d'agir était louche. Personne ne disparaissait aussi rapidement en larguant ses effets personnels. "Vous ! Un type vient de partir en abandonnant son sac là, allez voir !" Son ton autoritaire n'était pas crédible pour un sou, mais Romy tachait d'y insuffler de la conviction. Elle avait attrapé un employé de la sécurité qui passait par là, un grand costaud qui n'avait pas d'autre choix que de prendre la menace au sérieux ; c'était son job. Le suivant à une distance raisonnable, la blondinette se demandait bien pourquoi il ne mettait pas de périmètre de sécurité autour de la zone ; dans les gares et les aéroports ils l'auraient fait. Peut être qu'il ne la croyait pas -sûrement même- mais quand bien même, Romy l'observait avec attention, ne détachant pas son regard du contenant en polyester qui regorgeait peut être de ... de rien du tout, ou de quelque chose capable de faire sauter tout le quartier. Mieux valait être prudent.
Le type qu'elle avait interpellé semblait oeuvrer avec une lenteur pitoyable, et son collègue qui l'avait accompagné ne faisait pas davantage. Il faisait tout juste office de décoration. Romy était à pas grand chose de les secouer, de piquer un talkie pour attirer l'attention du PC sécurité sur une possible bombe qui menaçait de faire sauter le centre commercial, mais non. Elle se retint, se contentant d'attendre plus ou moins patiemment derrière -car elle n'aurait jamais pris la fuite sans avoir l'esprit tranquille- ne serait ce que pour s'assurer que le sac ne contenait rien de bien inquiétant, et c'est pile au moment où ses doutes pourraient être levés que le propriétaire fit son intervention. D'un « Eh ! » il notifiait sa présence, s'approchant, paume de main relevée. « C’est mon sac, c’est pas un dangereux élément en cavale. Vous avez l’intention de le passer au scanner ? » Le son de sa voix n'était pas inconnu à la petite Ashby qui s'autorisait à lever le regard, puis à sentir ses jambes se dérober sous son poids en s'apercevant de l'identité de cet homme. Keegan. De l'eau avait beau être passée sous les ponts, la jeune femme ne gardait pas un souvenir très appréciable de cet homme qui l'avait menacée de lui faire la peau avec un crayon qui traînait par là. Déglutissant, elle s'écartait d'un pas ; question de principe. Il y avait peu de chances que cet ex taulard ne mette ses menaces à exécution mais tant qu'elle ne saurait pas ce qu'il y avait dans ce sac elle resterait sur la défensive. Brosse à dents, dentifrice, savon, préservatifs -charmant- l'inventaire de ce sac était d'un banal ... « Qu’est-ce que tu veux ? T’observes le spectacle comme autrefois ? » Hein ? La voix du type s'élevait, et par réflexe elle croisait les bras contre sa poitrine. « C’est toi qui a ramené les deux poulets ? » Ouvrant la bouche pour rétorquer, Romy fut pourtant devancée par l'un des deux musclors -qui au passage, montraient pour la première fois leur utilité aujourd'hui- « Joseph, laisse-la tranquille. » et elle ne put s'empêcher de se demander le temps qu'il pouvait passer ici pour que ses types puissent l'appeler par son prénom. Penchant la tête sur le côté, elle les entendait alors poursuivre une conversation à laquelle elle était exclue ou presque. « Pardon, j’avais oublié qu’j’avais pas le droit de communiquer ici. Si vous trouvez mon paquet de menthes, j’en prendrais bien une. Si t’as des Skittles, ça fonctionne aussi ! » car tournant le regard vers elle, Keegan ne cachait pas qu'il n'avait pas oublié leur rencontre. "C'est bon tout va bien. Mademoiselle vous devriez rentrer chez vous." Depuis le début la blonde n'avait pas su décocher le moindre mot, et si d'ordinaire cette situation l'aurait frustrée, aujourd'hui elle se sentait simplement peinée de voir que le système faisait que l'intégralité de la sécurité d'un centre commercial reposait sur une équipe de bras cassés qui n'avait pas hésité à se tirer en la plantant comme si rien de grave ne s'était produit ; bien qu'au fond c'était le cas, mais question de principes. "Quelle bande de nuls..." soufflait elle en les regardant s'éloigner, retourner discuter auprès de la femme de ménage et de la vendeuse de gaufres qui faisaient le coin. "Te tirer en laissant derrière toi un sac à dos ça te paraît normal ? T'as l'intention de retourner en prison ou de te faire arrêter ?" Avec les temps qui courraient, mieux valait ne pas plaisanter avec un tel sujet. Reportant son attention sur Joseph, Romy déliait les bras qu'elle avait croisé contre sa poitrine, reprenant son rôle de conseillère comme s'il ne la quittait jamais vraiment. Du coin de l'oeil elle jaugeait le brun, peu à même de finir ses jours au beau milieu d'une galerie avec l'équivalent d'un mois de salaire dans des sacs de krafts remplis de fringues accrochés aux poignets. S'il se montrait agressif alors elle aurait des témoins qui la protégeraient sans doute, et s'il était ... normal -autant que possible- alors elle aurait la certitude que ses menaces lancées trois ans plus tôt n'étaient que du flan et qu'elle ne craindrait rien.
Keegan était libre. Cette information tournait dans sa tête sans que la petite blonde ne sache interpréter ce que ce constat lui faisait. Il n'y avait plus de gardiens pour intervenir -exception faite de ces deux gorilles qui s'étaient fait la malle-, plus de chaînes, plus de caméra ... mais face à lui et à ce sac à dos dont une partie du contenu avait été exposée sous ses yeux, Romy ne se sentait pas tout à fait en danger. Sans doute aussi avait elle mûri. Côtoyer des gens sortis de prison était littéralement son quotidien, alors croiser ce type n'était pas quelque chose qui la paniquait réellement malgré la façon dont ils s'étaient quittés trois ans plus tôt. « J’suis d’accord avec toi. » La main qui cherchait après quelque chose dans son sac, le brun avait fini par mettre le doigt sur un paquet de pastilles dont il en glissait une sous sa langue. Romy l'observait sans trop savoir quoi ajouter. Il semblait pâle, était il malade ? Après tout ce n'était pas comme si elle le connaissait vraiment. Leur seule et unique rencontre remontait à loin et sous la lumière artificielle des néons de la prison, la jeune femme n'aurait pas vraiment su établir de comparaisons. Se lançant dans un vague sermon -la manifestation de cette pression qui redescendait- Romy récoltait un soupir agrémenté d'un : « Et toi, t’as l’intention de m’interroger à nouveau ? J’te rappelle que la première fois, t’as pas récolté beaucoup d’informations. J’espère quand même que j’t’en ai dit assez pour qu’tu écrives ton truc scolaire. Et j’espère que t’as eu une excellente note qui t’as permis de trouver un boulot sensationnel ! » qui sonnait comme un sarcasme qu'elle n'avait pas volé. Ses bras se croisaient contre sa poitrine, laissant un silence de quelques secondes planer ensuite. Qu'était elle censé répondre ? Devait elle seulement répondre ? La jeune femme haussait les épaules, se contentant de rétorquer avec neutralité : "C'est le week end. J'interroge plus personne. Surtout pas toi." dont elle aurait voulu qu'il sonne plus gentiment. Se laissant glisser sur le banc à côté -signe qu'elle n'était décidément pas prête à prendre ses jambes à son cou pour filer- Romy s'autorisait un demi sourire en l'entendant poursuivre : « T’sais, j’ai jamais eu l’intention d’te faire bouffer ton crayon. Ça m’amusait d’te faire peur mais, au fond, j’suis pas vraiment méchant. » qu'elle commentait en hochant la tête. "Je sais. Enfin j'ai mis un peu de temps à le comprendre. Dans un sens ... t'as été formateur. Mais c'est pas un compliment.." Parce qu'il lui avait vraiment fait peur et qu'elle préférait zapper à tout jamais cet épisode de son visage si près du sien et de ces menaces en l'air qui l'avaient empêchées de dormir pendant quelques jours ; elle n'était pas encore tout à fait maso la petite Ashby. "... en revanche je me sens redevable d'un paquet de Skittles. Pour la peine." qu'elle ajoutait sans trop savoir ou elle pouvait s'en dégoter dans l'immédiat, ce qui ramenait au fait que cette dette était purement hypothétique, quoique si elle en avait eu elle lui en aurait certainement donné pour illustrer son geste. « Alors, comme les flics l'ont dit: tout va bien. » Oui. Tout allait bien. Romy penchait pourtant la tête sur le côté, ramenant son genou contre son buste pour poser son menton contre ce dernier. "Donc t'es sorti." Bravo Einstein. "... et ça se passe bien ? ça fait longtemps ?" Ce n'était pas tant qu'elle voulait faire la conversation, ni même une quelconque curiosité qui reprenait le dessus. Déformation professionnelle oblige, la jeune femme se sentait obligée de s'assurer que tout allait bien. Qu'à défaut d'avoir une bombe dans son sac à dos capable de faire sauter le bâtiment, Joseph n'était pas sur une voie qui le replongerait tout droit dans une cellule.
Les souvenirs de cet homme qui lui revenaient en mémoire ne reflétaient en rien l’attitude qu’il adoptait là, devant elle. Plus calme, plus posée que lorsqu’ils s’étaient connus entre les quatre murs d’une salle aseptisée et impersonnelle de la prison sous un éclairage au néon. Il y avait quelque chose de différent dans sa façon d’être, dans sa voix, dans son attitude –non pas que Romy ait eu l’occasion de l’observer longuement lors de leur première rencontre-, si bien que désormais elle se sentait presque stupide de demeurer ainsi sur ses gardes, mais c’était plus fort qu’elle. Une habitude, un instinct. Au fur et à mesure de ses stages et depuis ses premiers mois en tant que conseillère, la jeune femme avait fait en sorte de se forger une sorte de carapace, une volonté de prendre du recul qui empêcherait quiconque de l’effrayer à nouveau, ne serait-ce que pour conserver sa crédibilité. Force était de constater qu’elle adoptait également ce comportement dans sa vie de tous les jours. Il lui fallait un temps d’adaptation pour remplacer le Keegan aux menottes par le Keegan libéré, celui qui ne semblait pas être véritablement un danger pour personne. Pendant ce court instant, son ton s’était fait plus détaché que d’ordinaire, bien que ce ne soit pas dirigé contre lui. Romy avait toujours cette sorte d’énergie solaire, cet optimisme à crever qui ne voyait que le bon côté des choses même lorsque le verre était aux trois quart vide, mais elle ne pouvait en revanche pas vraiment contrer ce flot de réminiscences qui la renvoyait tout droit à ses débuts maladroits. Comme s’il tentait de la rassurer un peu –du moins c’était une question d’interprétation- le brun lui avait assuré qu’il ne lui avait pas voulu de mal, et c’était en toute transparence qu’elle avouait qu’il s’était fait en quelque sorte comme la manifestation d’une ligne rouge dans son esprit ; y réfléchir à deux fois avant de poser des questions stupides, ne pas mourir plantée par un crayon. Elle n’aurait jamais su gérer cette épitaphe sur sa pierre tombale.
Il la regardait de bas en haut alors qu’elle se posait sur ce banc, dans une posture sans doute bien trop relaxée mais qui lui ressemblait. C’était samedi, elle n’était plus en fonction ni tenue de se tenir droite les jambes croisées. Tacitement elle invitait ainsi Joseph à poursuivre cette conversation, et ce dernier venait à son tour prendre place, bien qu’il s’imposait une sorte de distance réglementaire qu’elle appréciait dans le fond. Ramenant un chouïa plus de légèreté en évoquant ce paquet de skittles qu’elle lui devait depuis près de quatre années maintenant, Romy fut surprise de le voir se feindre d’un sourire auquel elle réagissait par mimétisme. « Si j'comprends bien, t'as rencontré d'autres mecs cinglés après moi ? » demandait il sitôt installés, son sac s’échouant à ses pieds. « Non, après toi j’ai terminé mon stage et je suis retournée à la fac. » vaccinée à l’idée de travailler avec des hommes ensuite. Ce n’était pas tant sa rencontre avec Keegan qui l’avait poussée à se fermer à quatre-vingt pour cent du monde carcéral ; cette rencontre avait cristallisé son envie de ne travailler qu’avec des femmes, bien que certaines puissent s’être montrées au moins aussi agressives que certains messieurs. « Enfin c’est pas toi hein » qu’elle s’empressait d’ajouter, un vague mouvement du bras pour tempérer des paroles qui auraient pu être mal interprétées. Romy n’avait pas été à ce point traumatisée par le brun. Cette rencontre n’avait fait que concrétiser une décision qu’elle avait déjà prise avant d’accepter ce stage. Ce serait les femmes et rien d’autre. La petite blonde n’avait pourtant pas gardé de rancœur ni d’amertume envers Joseph. Elle lui demandait des nouvelles même ; savoir comment cela se passait pour lui maintenant qu’il avait quitté les quatre murs de sa cellule. Bien, elle l’espérait. « Un peu plus d'un an. J'suis sorti plus rapidement que prévu. Mon bon ami la Bible m'a permis d'convaincre le juge que j'étais un homme changé. » Amusé, il avait soufflé ces paroles qui avaient fait sourire la jeune femme. Ben voyons. Depuis tout ce temps elle s’était demandée si le type était vraiment croyant ou s’il avait joué un rôle. Ou peut-être un mélange des deux. Il fallait être sacrément informé pour appuyer une libération conditionnelle sur cet élément s’il ne le connaissait pas sur le bout des doigts. « Dieu soit loué, hein. » blasphémait elle presque en levant les yeux au ciel, cédant à un rictus alors que son regard s’attardait sur les pleurs d’une enfant venant de s’étaler de tout son long sur le sol à quelques mètres d’eux. « Je suppose que t’es ravi de retrouver les bancs d’une véritable église chaque dimanche. » poursuivait elle dans une tentative dérobée de comprendre s’il avait été ne serait-ce qu’un tout petit peu sérieux toutes ces années, la gamine beuglant de plus belle. Seigneur. Sans mauvais jeu de mot. « Mais ça s'passe bien. Enfin, pas trop mal. J'ai terminé mes travaux communautaires l'mois passé alors j'ai plus d'yeux rivés sur moi, ça fait du bien. » Elle hochait la tête avec intérêt ; Bien. Les travaux d’intérêt général étaient l’étape la plus compliquée à passer pour les détenus remis dans le grand bain. Parfois certains se sentaient sous considérés, parfois d’autres craquaient en se rendant compte que leur existence dans la société était encore incertaine. « C’est une bonne chose. » qu’elle concluait sans trop savoir quoi répondre d’autre. Elle ne savait pas en quoi consistaient les dits travaux pour comprendre le brun. « et tu fais quoi maintenant ? » Romy poursuivait sans trop savoir si elle entrait dans un domaine privé ou non, quand bien même elle posait cette question par réel intérêt et non par curiosité. Joseph lui lançait ensuite un « Allez ! Dis-moi qu'tu t'es rendu compte que la prison c'est d'la merde et que tu as décidé de devenir chirurgienne, ou astronaute, même ! » qui semblait de toute façon entrer dans la même sphère que sa question, alors elle espérait qu’il ne se formaliserait pas. « La prison c’est pas de la merde. Hors mis quelques cinglés les gens là-dedans ont un background et une histoire hyper intéressante. » qu’elle rétorquait en haussant les épaules, plus amusée que piquée au vif par cette remarque. « Tu sais quand les gens te menacent pas de te faire la peau avec un crayon c’est hyper agréable même. » Ok c’était facile. Un petit rire la secouait, puis elle reprit avec plus de sincérité. « Je bosse à la prison pour femmes, vers Toowong. J’ai jamais aimé travailler avec les hommes. » Parce qu’elle préférait faire sortir des mères de famille, des gamines paumées en quête d’indépendance ; la petite blonde n’aurait troqué son job pour rien au monde, même si elle se gardait bien de le préciser à son interlocuteur sous peine de se retrouver avec une mention « mère Theresa » d’estampillée sur le front. L’avantage avec Romy, c’est qu’elle n’avait pas besoin de trop en dire pour qu’on comprenne que son fond débordait littéralement de bonne volonté et d’optimisme. Elle en avait suffisamment pour toute une ville.
Romy s'était presque empressée de le rassurer quant à son départ rapide de la prison suite à leur rencontre ; il n'y était pour rien dans sa volonté de se délester rapidement de ce stage qui ne lui convenait pas, et à en juger par la façon dont il secouait la tête de gauche à droite en retour, Joseph semblait en être conscient. Un fait qui la rassurait un peu. « J'sais, t'inquiète. Les gens d'ton stage t'ont pas jumelé avec moi pour rien. » Elle esquissait un demi sourire, se notant qu'il semblait bien plus apaisé aujourd'hui qu'au moment où ils s'étaient connus. A l'époque on lui avait dit que Keegan faisait partie des détenus les moins dangereux, et quelque part l'administration ne lui avait pas menti. Ce n'était pourtant pas pour autant qu'elle avait apprécié l'expérience et souhaité la renouveler.. le brun était resté un vague souvenir jusqu'à aujourd'hui. Ils discutaient sans caméra, sans gardiens ni menottes. Pas de questionnaire débile sur lequel se baser pour converser, la petite blonde laissait les interrogations qui passaient dans son esprit fuser sans le moindre filtre ou presque, comme lorsqu'elle évoquait la religion qui avait visiblement œuvré à appuyer sa demande de libération conditionnelle. « Non, et n'essaye pas d'me chercher là un dimanche, tu n'me r'trouveras jamais. » Retenant un sourire mutin -parjure- Romy se contentait de faire pivoter le menton qu'elle avait planté sur le sommet de son genou vers lui, délaissant du regard le gamin pleurnichard que sa mère venait rechercher pour le plus grand bonheur de leurs oreilles déjà suffisamment agressées. « Cependant, si j'te donne mon numéro, ça sera plus facile de partir à ma recherche. » Il lui avait laissé ces quelques mots sans la regarder, ce qu'elle ne savait pas bien comment interpréter. Finalement après quelques secondes elle extirpait son téléphone de sa poche, le déverrouillant pour lui tendre afin qu'il ne s'y enregistre. "Je t'ai promis des skittles hein. Puis c'est bien mieux que des hosties." Ce n'était pas le numéro du premier détenu qu'elle avait dans ce téléphone (à vrai dire au moins la moitié de ses contacts étaient des femmes sorties de prison) mais toutefois Romy se promettait de ne pas agir avec lui comme elle le faisait avec les autres détenues ; il n'avait pas besoin d'un nouveau conseiller de réinsertion sur le dos. La petite blonde n'arrivait pourtant pas à chasser sa nature profonde, et ç'avait été plus fort qu'elle, elle posait des questions pour s'assurer que tout allait bien, se promettant toutefois d'arrêter de se mêler de ce qui ne la regardait pas ensuite. « J'suis garde du corps, je... J'fous la trouille à ceux qui voudraient toucher à des mannequins. Mais j'travaille pas souvent, seulement quelques jours par mois, s'il y a un événement organisé. » D'accord. Hochant la tête avec intérêt Romy se sentait soulagée qu'il ait trouvé un boulot pour se raccrocher aux branches, que l'après TIG semble se dérouler plutôt bien, même si ce n'était que quelques jours par mois. Gardant pour elle sa curiosité et ses questions bien trop personnelles elle esquissait un sourire en soufflant : "Des mannequins hein ? Il doit y avoir pire comme job. Enfin sauf si tu dois user de tes talents pour terrifier les gens trop souvent." tandis que d'un geste de la main elle accompagnait ses propos. La jeune femme faisait partie de ces gens qui ne savaient pas tenir en place lorsqu'ils discutaient, parlant avec une gestuelle particulière et des expressions faciales qui trahissaient son ressenti à des kilomètres ; en l’occurrence ici son visage criait presque : "et ça se passe bien ?" mais elle se retenait toutefois de le céder, ne désirant pas jouer la mama de service. La conversation déviait ensuite un peu sur elle et sur son job. Elle n'avait pas vraiment de choses à cacher à ce sujet alors elle baissait la garde, s'autorisant même un trait d'humour qui avait fait glousser Keegan. « T'es aux femmes, p't-être ? » qu'il ajoutait ensuite. Quoi ? Relevant le sourcil avec amusement, Romy soufflait en retour "Non plutôt au couvent en fait." en haussant doucement les épaules. Elle n'avait pas vraiment de gêne à l'avouer, hésitant presque à se rebaptiser elle même "Soeur Romy de la crédulité" et quand bien même en compagnie de ce type qui s'était débrouillé pour se sortir de prison grâce à sa bible ... cette remarque, elle la trouvait presque drôle. Mieux valait en rire qu'en pleurer.
Romy avait toujours été quelqu'un de sociable, sans doute parfois un peu trop. Laisser Joseph noter son numéro dans son répertoire avait été un geste qu'elle avait proposé le plus naturellement possible, et cet intérêt n'était pas feint. Leur première rencontre avait beau ne pas s'être déroulée sous les meilleures auspices, aujourd'hui la jeune femme n'en demeurait pas moins plus âgée et grandie qu'elle ne l'était à vingt deux ans. Prendre des nouvelles et s'intéresser au Keegan avaient été des choses qui lui semblaient normales et qu'elle faisait de bon coeur, d'autant plus que ce détenu n'était pas vraiment n'importe qui à ses yeux, et qu'arrondir les angles quant aux souvenirs qu'elle avait de lui était quelque chose de préférable, sans doute. Le prétexte des bonbons tenait le cap d'une rencontre à venir et qu'elle proposait pour rassurer le brun et lui assurer qu'elle ne laisserait pas le contact qu'il deviendrait sitôt sa bataille avec le clavier menée à bien inactif. « On dirait que j’suis pas le seul à qui t’as promis des Skittles. » Sans doute. Un demi sourire lui naissait au coin des lèvres avec amusement, comprenant en un coup d'oeil qu'il faisait allusion à la longueur de son répertoire, le faisant défiler d'un mouvement de l'index. "Étonnamment t'as l'exclu. Généralement je propose plutôt des cafés aux gens. Enfin on peut faire les deux." Et il y avait de fortes chances qu'ils procèdent ainsi si jamais Romy lui donnait rendez vous sans destination précise en tête. Récupérant son bien, la petite blonde se promettait intérieurement d'envoyer un message à l'ancien détenu sitôt leur rencontre achevée pour qu'il puisse également avoir son numéro, mais pour l'heure c'était de sa situation dont elle voulait discuter. Que faisait il ? Ce n'était pas tant de la curiosité qu'un réel intérêt qu'elle manifestait, car elle aimait à savoir que le brun s'en était sorti, qu'il était passé à autre chose depuis qu'il avait été libéré. Sans faire preuve d'une grande conviction, Joseph lui répondait qu'il était garde du corps, et le fait qu'il puisse travailler avec des mannequins avait fait réagir une Romy qui se fendait d'une remarque qui le fit ricaner. « Ce talent me sauve la vie, à vrai dire. » Ah oui ? Penchant la tête sur le côté, la blondinette le laissait poursuivre plutôt que de demander des détails à vif. « J’suis pas vraiment le preux chevalier qui sauvera la princesse si elle est en danger… » Ce qui devait être problématique, en effet. Elle joignait son rire au sien, pourtant plus mesurée tant son esprit cogitait encore dans l'imaginaire d'un garde du corps qui peinait à jouer des coudes. Joseph n'était toujours pas quelqu'un de violent, donc. « Mais ne l’dis pas à mon patron ! Il pense que je sais me battre. » Cette fois ci il chuchotait presque, lui livrant ce qui semblait être une confession dans un souffle avant de secouer la tête. "Tant que t'as pas à la prouver ça devrait le faire. Et … j'espère vraiment que tu sauras te débrouiller niveau mensonges avec la carte du type posé pour éviter le combat si jamais ça venait à arriver. Sait on jamais." Puisque investir dans une trousse de premiers secours n'était pas forcément de mise lorsqu'il était question de points de suture, et dans ce milieu … bon. Plutôt que de s'inquiéter là où Joseph avait tenté de la rassurer, elle confirmait sa demande d'un "Je serais muette comme une tombe, promis." avant de laisser le sujet de leur conversation dériver vers … elle. Maladroitement. Depuis sa rupture, la jeune femme plaisantait souvent sur le fait qu'elle puisse élire prochainement domicile au couvent du coin, et dans un sens elle pouvait aisément comprendre que le Keegan puisse avoir compris que son orientation n'était pas tout à fait définie. Du moins elle ne s'attendait pas à ce qu'il demande en tout cas. « C’est une façon de parler ou t’es vraiment une… femme de la religion ? » Ses lèvres s'étiraient d'un petit sourire avant de se laisser attraper par un rire, léger et sincère. "Non. Séparation récente, envie de meurtre à tout va, et drama en veux tu en voilà. Tu sais je suis une fille dans le cliché." qu'elle avouait sans toutefois se rendre compte que la fille dans le cliché ne travaillait pas en prison le jour avant de se caler devant l'intégrale de Bridget Jones le soir. "Mais je trouve ça drôle que t'ai pu y penser. J'ai vraiment l'air d'une future none ?" Le sourcil de la petite blonde se relevait alors que son regard délaissait les clients du centre commercial qui passaient devant eux au profit de son interlocuteur qu'elle dévisageait avec intérêt.
Joseph n’avait pas l’air d’être contre l’idée de la revoir, et quelque part Romy se satisfaisait de cette réponse qu’il lui offrait. Les choses avaient évolué, de l’eau avait coulé sous les ponts, et c’est dans un sourire qu’elle accueillait ce : « Tu peux compter sur ma participation. » sans toutefois le commenter. Elle ne manquerait pas de lui proposer cette entrevue dans le courant de la semaine, et bien que l’idée d’en toucher deux mots à Charlie la démangeait, elle se disait que cela faisait un moment qu’elles ne s’étaient plus vues et que sans savoir si cette information pouvait encore la toucher elle ferait mieux de s’abstenir de tout commentaire, et d’ailleurs après quelques secondes de silence elle hochait la tête comme pour se convaincre elle-même que oui, elle ne lui en toucherait pas deux mots, c’était la meilleure chose à faire. Prenant ensuite des nouvelles du Keegan, la petite blonde apprenait qu’il avait déniché un job de garde du corps, mais que ce dernier ne collait pas vraiment avec son tempérament plus enclin à se dérober à la violence qu’à la provoquer. Pour conserver cet emploi il lui faudrait la jouer finement, mais le brun semblait en avoir conscience. « J’continue à prier pour que ça n’arrive jamais. » lui avait-il répondu en ricanant, et évidemment, la référence au saint père la fit sourire en retour. « Dieu soit loué. » C’était facile. Plus facile que le sujet vers lequel la conversation glissait du moins. Sa rupture avait fait d’elle une sorte de petite souris perdue dans les méandres de la vie. Elle alternait entre ses envies de croquer la vie à pleines dents et celles de se morfondre à chaque soirée passée seule. Une transition encore difficile. Alors qu’elle se dépeignait volontiers comme une fille des plus banales, elle se heurtait pourtant à un Joseph qui haussait les épaules et marmonnait : « J’sais pas si t’es réellement dans le cliché parce que j’me tiens loin des dramas de ce genre. » qu’elle avait un peu de mal à interpréter. « En tout cas, j’te conseille de tuer personne, il paraît que c’est mal. » Ben voyons. Un demi sourire lui naissait au coin des lèvres, car cette phrase dans la bouche d’un ex-détenu avait le mérite d’être drôle à défaut d’être de bon goût. « Il mérite pas que je m’acharne sur lui. Auquel cas si je craque j’ai des tips pour faire disparaître les corps. » Quand elle plongeait son nez dans les archives de la prison pour dégoter les dossiers les plus sordides. Ce qui n’était pas forcément bien vu par ses collègues, mais ce n’était pas une activité à laquelle la petite blonde s’adonnait souvent et surtout, elle n’en parlait pas. « Et toi alors ? C’est quoi le drama de ta vie Keegan ? » qu’elle demandait en lui glissant un coup d’œil, espérant que sa liberté retrouvée ait pu lui ouvrir d’autres portes que celles d’un club dans lequel il officiait en tant que garde du corps. Elle espérait qu’il y ait plus, qu’il y ait quelqu’un, et que cette question posée entre quelques autres suffirait à le motiver à répondre. D’ailleurs, piquée de curiosité, Romy s’était risquée à lui demander ce qu’il en était d’elle, et si elle avait vraiment l’air de pouvoir entrer dans les ordres. Joseph la détaillait de haut en bas, haussant les épaules en répondant que : « N’importe qui pourrait ressembler à une future none. Tu ne jures pas, tu n’es pas mal élevée, t’es bien habillée, ton maquillage est discret. » puis marquait une pause, comme une hésitation. « Et j’ai l’impression que tu cherches des réponses à certaines de tes questions. Peut-être que tu n’sais pas si t’apprécies la voie dans laquelle tu t’es lancée. » Penchant la tête sur le côté, la jeune femme ramenait à nouveau ses genoux contre sa poitrine, posant son menton au sommet de ces derniers en haussant le sourcil. « C’est-à-dire ? Va au bout de tes impressions. Je veux savoir » qu’elle demandait avec intérêt. Dans un sens, Joseph n’avait pas tord. Romy était effectivement dans une période transitoire, mais que cela puisse se lire sur son visage … elle ne savait comment le vivre.
En dehors de la prison, Romy réussissait à parler sans filtres, et c'était sans doute pour cette raison qu'elle s'autorisait cette remarque au sujet de son ex copain, bien que ce soit aux antipodes de la déontologie. « Tu m’les refileras si un jour j’en ai besoin. » qu'avait répondu Joseph dans un ricanement, sûrement conscient lui aussi que ces deux remarques qu'ils venaient de faire étaient un gigantesque affront au monde carcéral, mais qu'importe visiblement. L'humour n'avait pas de limites et tous deux se comprenaient. Elle hochait la tête, comme si elle n'osait pas trop en dire, puis demandait ce qu'il en était de sa vie, comment il se portait. Un silence pesant s'ensuivit, et bien que ce n'était pas son intention à la base, la petite blonde regrettait presque d'avoir posé la question. Finalement après un court instant, le Keegan souffla : « Bah… J’inspire la confiance de personne et y’a les flics qui viennent fouiller mon sac comme s’ils avaient espoir d’y trouver une bombe. » comme si recourir à un trait d'humour suffirait à éloigner d'elle ce questionnement qu'elle s'était fait. Il éludait. "Si tu t'étais pas mis à courir personne aurait fouillé ton sac aujourd'hui." qu'elle rétorquait comme pour conserver une sorte de dernier rempart de légèreté. Elle n'avait pas voulu rendre la conversation compliquée bien qu'elle puisse véritablement s'inquiéter. C'était dans la nature de la petite blonde de le faire, comme poussée par une sorte d'instinct débordant de guimauve et de bienveillance, alors elle n'insisterait pas plus. A la place, Romy avait préféré lui demander d'expliquer cette intuition qu'il avait eue à son sujet. Comment ça elle n'appréciait pas la voie dans laquelle elle s'était lancée ? Haussant le sourcil tandis qu'elle posait son menton sur le sommet de son genou, la jeune femme attendait des réponses, mais ne s'attendait pas vraiment à celle que Joseph lui fournissait dans un souffle : « J’en sais rien. Faut croire que j’essaye de me remonter l’moral en m’disant que même des filles qui ont réussi comme toi ne peuvent pas être à cent pour-cent heureuses… » Heureuse, elle ne l'était assurément pas. Sa vie avait complètement pris l'eau ces derniers temps, mais si cela ne se lisait pas sur son visage elle essayait toutefois de comprendre ce qu'il voulait dire par là. Un boulot fixe, un appartement cosy et une famille proche ? C'était ça le bonheur ? « C’est égoïste, j’sais. C’est le moyen qu’j’ai pour pas m’morfondre. J’imagine que le riche banquier a des problèmes érectiles et que celui qui a accompli son plus grand rêve se voit maintenant obligé d’en chercher un autre, mais en vain. » D'accord ? Se mordant l'intérieur de la joue, Romy tachait de comprendre sans trop réussir à le faire. Sans doute était elle bien trop terre à terre, pas assez spirituelle pour tout cerner. « Alors que, moi, j’bande encore sans problème et j’ai encore la volonté d’exaucer mon rêve. J’suis plus à plaindre, maintenant ! » Il avait rétorqué ça avec un ton presque enthousiaste qui aurait presque ravi une Romy qui se demandait si oui ou non elle avait besoin de connaître cette information. "Je suis contente de l'apprendre." dit-elle d'un ton dubitatif, se recentrant pourtant rapidement sur le sujet initial. « Alors, j’ai raison ou pas, à propos d'ton bonheur ? Elle est où ta faille, Romy ? » Non. Secouant doucement la tête, la petite blonde esquissait un sourire, soufflant : "Je serais pas honnête avec toi si je te disais qu'en ce moment c'était la joie." Et elle ne s'épanchait pas sur les détails, préférant poursuivre directement : "Moi je pense que pour être heureux, il faut se sentir vivant." Et c'était ce dont elle manquait cruellement. "Je te souhaite de rencontrer des gens qui te feront te sentir vivant Joseph." Qu'importe l'argent et le futile.