Romy & Joseph

Cette discussion est tellement naturelle et ça réconforte Joseph, au fond. Romy est la preuve même qu’il n’est pas condamné à subir le même traitement pour le reste de sa vie. Elle ne semble pas une femme qui se laisse contrôler par les préjugés. Elle est raisonnée et, si Joseph était né dans le corps d’un autre et dans une bonne famille, il aurait probablement craqué pour elle – non, mais, elle est jolie, Romy. S’il était né dans le corps d’un autre, il l’aurait interrogé quant à ces fameux problèmes d’ex qui semblent la préoccuper, aujourd’hui. S’il était né… autrement… Il aurait peut-être eu le courage d’arrêter de s’imaginer qu’il ne mérite pas d’entretenir de bonnes relations et il lui aurait offert la vérité sans jamais prétendre n’avoir rien d’intéressant à dire sur sa vie. Malheureusement pour lui, il ne possède que des anecdotes qui ne pourraient que salir davantage son image. Il aimerait pouvoir dire qu’il offre son aide à une association qui soutient les enfants défavorisés mais il a réussi depuis trop longtemps à se convaincre que, peu importe ce que le futur lui réserve, il n’arrivera pas à effacer son passé. Comme une tache d’encre indélébile (et, non, le côté bleu de la gomme n’efface pas l’encre). "Si tu t'étais pas mis à courir personne aurait fouillé ton sac aujourd'hui." Par réflexe, sa langue entre en contact avec son palais comme s’il s’apprêtait à sucer le bonbon à la menthe mais il remarque seulement trop tard que ce dernier a complètement fondu. « J’avais des trucs à dire à la toilette. » Il se mord la lèvre inférieure en répétant sa phrase dans sa tête, de plus en plus conscient que ce n’est probablement pas la chose à dire lors d’un rencard. Au moins, cette petite aventure avait calmé sa nausée. Joseph se voit ensuite emporté dans un discours qu’il narre comme s’il le connaissait par cœur et les réactions légèrement refermées de Romy lui font comprendre que tous les deux ne se trouvent pas sur la même longueur d’ondes, constat qui désole légèrement le garçon qui se contente de se mordiller l’ongle pour cacher sa gêne d’avoir rapporté l’état de sa vie sexuelle comme s’il abordait le sujet de la pluie et du beau temps – c’est ce qu’il aurait dû faire pour s’éviter ce vent. Il se consolera plus tard en avalant un verre de vodka. "Je serais pas honnête avec toi si je te disais qu'en ce moment c'était la joie." Bien, ils sont deux. " Moi je pense que pour être heureux, il faut se sentir vivant." Léger sourire timide, hochement de tête et mouvement machinal de la main en direction de sa bouche qui trahit son envie de fumer une clope pour se détendre. " Je te souhaite de rencontrer des gens qui te feront te sentir vivant Joseph." Oh. Cette phrase sonne comme la conclusion d’une lettre. Il ne manquerait plus que sa signature personnalisée dans le bas de sa page. Alors il sourit, le jeune homme, parce qu’il pense avoir compris le message qu’elle lui envoie : la discussion est terminée et ils ne se verront probablement plus dans le futur. Du moins, c’est comme ça qu’il l’interprète, peut-être faussement. Joseph n’a absolument rien à faire du reste de sa journée et hasardeux serait pour lui de s’inventer une raison pour partir si subitement – et il est confortable, ce banc. Mais il ne peut s’empêcher de garder l’hypothèse sur laquelle il est rapidement tombé et il hoche la tête en réponse à la jeune femme avant de marmonner, se redressant sur ses deux jambes en glissant son sac à dos sur son épaule : « J’te souhaite la même chose, si c’est c’qui pourrait te rendre heureuse. » Et c’est probablement ce qui pourrait chasser sa misère, à lui aussi, mais il ne semble pas s’en rendre compte. « À plus, alors… » Malaise. Gros malaise. Ses pieds le tournent dans une direction, mais il choisit l’autre, se retrouvant entraîné dans une pirouette mal calculée, telle une marionnette désarticulée. Il se racle la gorge, offre un sourire embarrassé à Romy et réussi enfin à faire un pas vers l’avant.