| | | (#)Dim 21 Juil 2019 - 14:19 | |
| Quelle idiote. Quelle conne.
Mais qu’est-ce que c’est délicieux. Comme un bonbon acidulé, comme une friandise que les enfants réclament à corps et à cris tellement que c’est addictif. Et les lèvres de Stephen sont comme ces fichues sucreries que Freya aime tant. Ce n’est pas bon pour le corps mais ça fait du bien au moral. On culpabilise d’en manger mais on ne serait s’en passer. Surtout quand elles vous tentent, quand elles sont sous votre nez et qu’elles ne sont qu’à porter de main. Freya se laisse trop facilement piéger, comme une mouche se dirigeant tout droit dans la toile de cette putain d’araignée parce qu’elle ne la voit pas.
La chaîne alimentaire est injuste. La vie aussi.
Le contact de la main de Stephen sur sa joue l’électrise. Non, ne me touche pas, ne me brise pas encore une fois, je ne veux pas finir comme cette bouteille disloquée en mille morceaux sur le parvis ci bas. Et pourtant, dans sa mentalité folle de vouloir pousser les limites toujours plus loin, Freya se rapproche de lui, accentue sa pression, quémande plus de lui et de cette bouche qu’elle connaît par cœur. Laisse moi entrer, permets moi de te bousiller comme tu l’as si bien fait huit ans auparavant. Elle insiste mais elle garde ses mains pour elle. Elle a soif. D’ivresse, de délivrance, de paix intérieur, d’affection… De vengeance, aussi. Freya n’a jamais pensé que sa soirée se finirait comme ça. Coincée sur un balcon, avec un ancien amant. Pathétique, vraiment. De tous les endroits de Brisbane, sur toute la population que la ville contient, il a fallu que ça tombe sur lui, sur cet espace réduit.
La vie est d’une injustice bâtarde.
Avec le temps, Freya aurait dû apprendre que les soirées apportent toujours leur lot de rebondissement. Elle qui ne vient jamais pour le social, restant principalement dans son coin et non loin du bar, il n’est pas rare qu’il lui arrive quelque chose. N’importe quoi. Pour le peu qu’elle s’en souvienne le lendemain, elle remettra comme ça la nuit suivante. Et celle d’après. Son travail ? Quel travail ? Ce n’est qu’un passe temps. Un terrain de jeu pour gagner encore plus. Il faut payer son addiction. Et les médocs. Tout est payant alors Freya va là où les billets sont. Et dans son petit casino, elle y trouve tout ce qu’elle veut.
Même si ça risque de ne plus durer si elle continue comme ça.
La rationalité l’a quitté et son travail, elle s’en fout comme de sa première chaussette. Freya finit par se détacher de lui, doucement, sagement, les yeux toujours fermés parce qu’elle ne veut pas affronter les siens ni le monde réel. Il va l’épier, lire ses iris dilatés et la blesser de nouveau. Elle ne veut pas. Ce n’est pas comme ça que ça doit se passer.
Elle prétend que c’est elle qui a les cartes en main. Un coup de grâce et s’en est fini. (Mais tu te fourvoies complètement. Le déni ne te va pas au teint.)
« Si l’bonheur ressemble à ça, alors j’en veux pas. Gard’le et brise-le comme t’as pu l’faire. » A croire que tout n’est qu’histoire de verres brisées et d’espoir trompé. C’est triste, c’est pathétique, c’est un manque d’originalité flagrant de la part de l’univers. Mais elle s’en fout, Freya, de l’univers. Elle a mal, encore plus mal que d’habitude parce qu’elle n’est pas dans son état normal. Tout est amplifié, tout est grossi et le peu rationalité que tu peux avoir, pouf, envolé depuis longtemps.
Pourquoi Charlie ou Ariel ne sont pas dans les parages, pour une fois ? Elles lui auraient évité tout ce drame inutile.
« HEY ho, euh…. » Une voix étrangère s’incruste et Freya se détourne complètement de Stephen. Ce n’était que passager, ce n’était rien, pas de quoi briser des œufs. Les portes fenêtres viennent de s’ouvrir, laissant le monde réel reprendre le dessus. Doherty eut la sensation que le temps s’était arrêté pendant un moment, que tout allait au ralentir alors qu’eux se précipitaient de plus en plus vite.
Mais non, la réalité est là, personnifiée par un visage souriant mais complètement hagard qui se tient devant les portes du balcon. « Quoi ? Ferme ta bouche avant d’inonder le sol de ta bave. » Elle ne connaît pas, elle s’en fiche mais son expression surpris lui monte à la tête.
Elle veut partir. La liberté lui tendant enfin les bras.
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| | | | (#)Lun 22 Juil 2019 - 20:32 | |
| Ce serait mentir que d’affirmer qu’il voulait se décrocher de ce baiser. Chaque seconde lui rappelle ceux qui ont précédé et qu’il croyait déjà oubliés depuis longtemps — mais ce sont des souvenirs faciles à réactiver. Il n’a pas franchement de résistance à ce plaisir, pas plus qu’il ne pense à autre chose pendant. Hédoniste pessimiste, il offre ses lèvres pour mieux reconnaître celles de Freya. Il n’a aucune idée de ce qui peut se tramer dans l’esprit de la jeune femme. Il n’a pas la foi de décoder ses paradoxes. Elle arrête, alors elle n’en veut plus, c’est aussi simple que cela. « Si l’bonheur ressemble à ça, alors j’en veux pas. Gard’le et brise-le comme t’as pu l’faire. » Il n’y a rien à répondre, rien à soupeser, rien à analyser. De toute façon il n’y a plus rien dans son cerveau qui en soit capable. Elle avait cédé la première, il l’avait laissée rompre le charme la première. Il se dit qu’elle n’a de toute façon pas dû écouter la moitié de ce qu’il a tenté de lui dire. Ce n’est pas grave. Les mots ne font pas partie des moyens de communication qui fonctionnent entre eux. Il entend un bruit. La porte. La porte ? Il y avait une porte ? Il avait fini par l’oublier. La porte n’était qu’un mythe. Il n’y a pas d’échappatoire où clignotent les lettres « bonne décision ». Chacun de ses actes est condamné à s’additionner à la masse de chaos et de désastres qu’il crée par sa seule existence. La porte est un mythe et la franchir ne sera jamais suffisant. Tant pis. Il ne le dit pas, mais le pense assez fort. Il n’allait pas se briser les os à entrer en force, si c’était ce qu’elle espérait pour mieux lui refuser. Elle l'avait dit elle-même : il n'était pas indispensable. Son indifférence habituelle reprend le dessus en guise de protection. Son bilan à lui n’a pas changé : il ne regrette que le verre. Et ceux que Freya a bus avant de l’écouter. A un verre près, il effaçait huit ans de culpabilité. A un verre près, elle entendait ce qu’il disait. Toujours à un verre près, hein ? La vie est une science inexacte.
Sincèrement, il n’aurait pas de réactions plus léthargiques s’il était alcoolisé. C’était comme si toutes ses facultés de raison s’autodétruisaient, emportant avec elle le peu de lucidité qu’il lui reste. Quand ses yeux se posent sur l’intrus, il ne comprend pas ce qui se passe, comme s’il avait fini par s’habituer à l’incohérence totale de la situation. Le gaillard qui les libère a pas l’air frais. Eux non plus. Il n’a pas envie de savoir ce qu’il s’est passé à l’intérieur entretemps. Ils pourraient bien tous avoir crevé qu’il enjamberait leurs cadavres avec indifférence. Tout cela a l’allure vacillante d’un mirage. Soudain, exaspéré par le regard embué par l’alcool et la curiosité du gars de la porte, Stephen ne peut s’empêcher de le congédier avec plus de froideur qu’il ne s’en pensait capable. « Y’a rien à voir. » L’autre le toise avec ahurissement. « Ça vaaa, pas la peine d’être désagréable… » Le reste est inintelligible. Bouche pâteuse. Yeux vitreux, satisfaits et niais. Si la réalité ressemble à ça, elle mérite bien une droite sans retenue, à lui décoller les dents en même temps que ce sourire abruti. Ou un verre dans la gueule. Selon. L’intrusion de l’individu a l’effet d’un répulsif. Il n’a plus qu’une envie, rentrer chez lui, faire comme si rien de tout cela n’était jamais arrivé, et cocher l’événement dans la longue liste des actes illogiques qu’il laissait trainer dans son existence. Bien sûr qu’il voudrait plus, bien sûr qu’elle a un pouvoir sur lui — ça n’est pas très difficile —, bien sûr que la partie complètement impuissante et irresponsable de son esprit lui dicte de recommencer, de prendre l’initiative, de céder à ce jeu malsain qui n’aboutira qu’à une dose de souffrance supplémentaire au prix de l’illusion d’un bonheur. Au point où il en était, une connerie de plus ou de moins ne pèserait pas lourd sur la balance ; mais les paroles de Freya, au lieu de lui faire mal, se contentent de lui redonner un semblant de clairvoyance. Il n’y a que le contact empoisonné qui l’aveuglait, qui retourne le couteau dans la plaie. Il hésite encore un instant à jouer le tout pour le tout, mais il n’y a plus grand-chose à jouer, elle devait le savoir, elle bossait dans un casino ; alors il s’écarte lui aussi. Tant pis. Il n’y avait rien à regretter, et force était de constater qu’ils restaient d’accord sur un désaccord — du moins pour ce qui était des dettes du passé, pas des corps. « J’appelle un taxi ou tu préfères rester ici ? » Peut-être qu’elle connaissait des gens, qu’est-ce qu’il en savait. Lui part à pied, ou en tout cas il part, il n’a aucune envie de passer une minute de plus dans ce foutu appartement dysfonctionnel. Mais il a beau être la pire chose qui pouvait arriver à Freya ce soir, il ne pense pas qu’elle soit capable de rentrer chez elle dans cet état. Qu’est-ce qu’il en avait à faire, au fond ? Elle pouvait bien s’enfiler une autre bouteille pour tenter d’effacer les dernières heures de sa mémoire, ça n’était plus son problème. Il ne sait même pas s’il attend une réponse. Il n’a rien à chercher à l’intérieur, il peut très bien se casser à l’instant. Bien sûr que si, c’est ton problème. Putain de balcon, putain de hasard, putain de décisions. Il a beau jurer intérieurement, il sait très bien qu’il n’en apprendra rien. Allez, fonce dans la liberté si t’en es capable, oisillon ivre, mais pour le moment, la seule cage dangereuse, c’est l’alcool. Autant s’assurer qu’elle pourrait décuver en toute sécurité, ayant frotté ses yeux de ce mauvais rêve. Promis, il disparaitrait juste après. Il n'était pas indispensable, il ne l'avait jamais été, c'était comme ça.
- Spoiler:
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| | | | (#)Ven 26 Juil 2019 - 15:38 | |
| « Ça vaaa, pas la peine d’être désagréable… » Si elle était en état de lever son poing, Freya lui aurait remis les idées en place illico presto. Cet air ahuri complètement débile la rend encore plus hargneuse qu’elle ne l’est déjà. Elle a envie de leur hurler qu’ils auraient pu bouger leurs culs plus rapidement, qu’ils auraient pu aider plus tôt, au lieu d’aller dieu seul sait où. Elle a envie de leur rentrer dedans pour lui avoir fait subir cette confrontation qu’elle n’avait pas souhaité. Emprisonnée dehors par des putains d’abrutis, voilà pourquoi elle est comme ça, teigne et vilaine.
C’est de leur faute. C’est toujours de la faute des autres. Jamais de la sienne.
Freya ne prendra jamais ses responsabilités. Si elle était responsable, elle ne se foutrait pas en l’air comme elle s’y prend ci bien à le faire tous les jours. Si elle était responsable, elle ne se serait pas jetée sur les lèvres de Stephen, aussi tentantes qu’elles ont toujours été. Si elle était responsable, elle ne serait jamais venue à cette fête, et elle ne se serait jamais trouvée sur ce putain de balcon.
Mais la vérité veut qu’elle soit irresponsable, qu’elle n’en fasse qu’à sa tête, qu’elle n’écoute personne. Petit électron libre, volant dans la nature sans savoir vraiment où aller ni où se poser. Alors ça vole, ça frétille, ça se pose puis ça repart. Et c’est exactement à l’image de la vie de Freya. Ne jamais s’arrêter au même endroit trop longtemps, vivre au jour le jour, ne pas regarder trop loin dans l’avenir. Pas qu’elle ait peur de l’avenir, mais tout simplement parce qu’elle sait que ça peut s’arrêter demain, sans prévenir.
Voir le verre à moitié vide même quand il est plein à ras-le-bord.
« J’appelle un taxi ou tu préfères rester ici ? » Doherty regarde ses pieds. Absence soudaine. Moment de doute. Puis elle fronce les sourcils en relevant la tête vers Stephen. Elle a presque oublié sa présence. Comme si rien ne s’est passé (après tout, il n’y a rien qui mérite d’être dit). Pas de gêne, pas de la malaise. Freya a la sensation d’avoir réussi à clôturer un chapitre de sa vie de la meilleure façon qui soit. La dernière page a été tourné, le livre est clôt, au suivant.
Mais pourtant, est-ce que c’est vraiment le cas ? Pire, est-ce qu’elle s’en souviendrait ?
Oui, oui, sois sûre de moi, je m’en rappellerai. Je me souviendrai qu’il a gardé cette fichue habitude de fumer autant que moi de boire. Que ses yeux sont toujours un vaste océan dans lequel on perd pieds d’une facilité déconcertante. Le goût de cigarette sur ses lèvres tentatrices qui ont exécuté une danse qu’ils connaissaient par coeur. Comme si ces bouches ne s’étaient jamais quittées. C’est gravé là-haut. Je m’en souviendrai. (Mais elle ne se souvient jamais.)
Tout comme elle ne se rappelle déjà pas si elle est venue seule ou accompagnée. Peut-être avec Romy… Ou non, plutôt Charlie, ou Ariel ? Non, non, leurs chevelures se verraient sinon à travers les pièces sombres et brumeuses de fumée en tout genre. Aors Freya hausse mollement les épaules tout en passant les bras autour de sa propre taille. Grande enfant qui semble être soudainement abattue, presque terrifiée. Par quoi ? L’avenir, sûrement.
« J’connais personne ici. J’peux rentrer toute seule. » Elle n’est sûrement pas en état de marcher. Mais elle l’a déjà fait, plusieurs fois. Il lui est arrivé de se perdre en cours de route et de finir sa nuit sur un banc. Oui, elle sait, les rues de la nuit peuvent être dangereuses pour une fille seule et soûle. Mais qui aurait envie de se frotter à une teigne comme elle ?
Freya passe la pièce de son regard vitreux, plissant le front, avant de trouver son téléphone, perdu sur une table. Puis, en passant devant Stephen, elle lui tapote légèrement la joue. « C’était sympa d’te revoir. A la prochaine ? »
Comme s’il y aurait une prochaine fois. What a joke.
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| | | | (#)Sam 27 Juil 2019 - 19:56 | |
| Il ne peut pas s’empêcher de penser à quel point cette situation semble juste être un éternel recommencement de quelque chose qu’ils avaient déjà vécu — un disque rayé, un lion qui tourne dans sa cage, les métaphores étaient nombreuses et pourtant elles ne rendaient pas justice à cette désagréable sensation d’être bloqué par des forces qui ne dépendent de personne. Mêmes réactions, même incommunicabilité, mêmes manies, pour le meilleur et surtout, surtout pour le pire. A l’identique jusque dans leurs gestes. Mais au moins il pouvait se dire qu’il ne fumait que pour faire quelque chose de ses mains, lorsqu’elles n’étaient pas occupées à jouer du piano pour des gens qui s'en foutent ou à briser des êtres et des bonheurs. La cigarette ne le rendait pas hermétique au monde comme elle le devenait sous l’emprise de l’alcool. Et puis merde, chacun ses foutues habitudes. Huit ans, ça changeait rien, huit c’était une poussière, c’était du vent. Pas un pas de progrès. Huit ans ? Une fraction de seconde, oui. L’eau n’avait pas coulé sous les ponts, ou alors elle avait vachement stagné, c’était un bourbier, un marais, des sables mouvants. Pendant que l’information monte au cerveau vacillant de Freya, il prend l’initiative d’appeler ce foutu taxi, parce qu’elle ne peut pas mentir, pas comme ça, et parce que ça fera peut-être un retour sécurisé sur les nombreuses sorties de la jeune femme. Parce qu’évidemment, elle sort toujours autant. Statistiquement, ça devait arriver, puisque le monde tourne en rond, à court d’idées sur comment rendre la vie des gens insupportable, ressassant avec un cruel délice le même scénario — la même vague qui se brise en écume sur une plage stérile et froide. « J’connais personne ici. J’peux rentrer toute seule. » Tant pis. De toute façon, ce n’est pas aux gens alcoolisés d’évaluer leurs capacités. Il ne répond même pas. Ces mots ne sont pas neufs, ils ont huit ans d’âge au moins, ils sont teintés d’habitude, presque de fatalité. Sacrée pièce de théâtre. Comédie ou tragédie ? Un mélange drastiquement mal arrangé des deux. C’est ces deux jambes tremblantes qui vont gentiment accepter de coopérer et de te porter chez toi ? L’alcool est une belle couche de vernis sur des comportements pas franchement reluisants. « C’était sympa d’te revoir. A la prochaine ? » S'il lui fallait une preuve qu'elle n'était pas en condition de rentrer, la voilà. La prochaine ? Non. Absolument pas. Pas après cette scène absurde qu’il pouvait bien tourner et retourner de toutes les manières sans qu’elle ne fasse plus de sens qu’une tempête de neige en plein Sahara. Il voulait bien tout pardonner, même l’alcool, mais ça n’empêchait nullement le goût de l’échec de lui rester en travers de la gorge. Il avait tenté de substituer les mots aux maux ; mais il n’y a que leurs lèvres qui acceptent le dialogue. Qu’est-ce que ce serait, la prochaine fois ? La réciproque, elle lui balancerait aussi un verre, sauf qu’elle viserait mieux, qu’il en crèverait avec un peu de chance ? Si elle avait été sobre, peut-être qu’il aurait pu rayer proprement cette partie de sa vie, mais elle reste brouillonne, suturée à l’arrache. Il avait reconnu ses torts. Elle préférait s’emmurer pour ne rien entendre, garder l’épine plutôt que de l’arracher. Elle avait au moins autant de torts que lui. Il ne lui avait pas brisé le cœur comme elle l’avait si joliment dit. Il s’était fracassé à essayer de l’atteindre derrière sa muraille. A chaque fois qu’il en escaladait un, il en apparaissait un autre, plus haut encore, hostile et glissant. Il ne demande pas le pardon, il demande l’égalité — sauf qu’encore une fois, l’alcool place Freya sur un piédestal illusoire. Egalité de traitement, pour les actes, leurs conséquences, leurs mobiles. Mais si l’amour est aussi aveugle que la justice et son épée, sa balance à lui est complètement faussée par le poids des égos, des protections, des paranoïas. Et chaque jour après cet accès de violence qui l’horrifiait jusqu’au plus profond de sa mémoire, il s’était détaché un peu plus de sa capacité à construire quoi que ce soit. Ça lui plairait de le savoir. Mais il ne donnera pas un troisième bâton pour se faire battre.
Il repousse vivement la main — quelle ironie —, ne voulant pas assister plus longtemps au spectacle de ces mouvements rendus brumeux par l’ivresse. « Ce serait mieux que tu prennes un taxi. » Et puis il hausse les épaules. Bornée comme elle était à ne pas pouvoir croire qu’on voulait peut-être son bien, elle serait capable de se perdre volontairement par pur esprit de contradiction. « A quoi bon… » Notification. Il jette un coup d’œil sur son portable. L’application l’informe qu’une bagnole grise l’attend en bas. Il aurait bien voulu dire qu’il s’en foutait complètement qu’elle le prenne ou pas, mais il savait pertinemment qu’il s’en voudrait si elle n’arrivait pas à rentrer chez elle intacte. C’est payé, de toute façon. « Voiture grise. Bonne chance, » qu’il lâche précipitamment. C’est une grande fille, hein ? Alors elle trouvera bien le moyen d’ouvrir la portière et de ne pas se mettre le chauffeur à dos. Et si tu décides d’y aller à pied, regarde deux fois avant de traverser, attire pas l’attention, trace dans les petites rues. Adultes irresponsables et déprimants. Elle a pas l’air en pleine forme, mais lui est tout le contraire d’un héros. Il n’a fait que le prouver durant toute cette soirée. Il peut tendre la main, mais elle refuse de la voir. Il prend la tangente vers la porte. Sortir de cet asile, respirer l’air frais de la rue — comme s’il allait être différent de celui du balcon — et penser avec culpabilité à toutes les manières qu’avait Freya de crever sur la route de son domicile à cause de son ébriété. Il amorce le geste de sortir une clope. La boucle est (mal) bouclée. Il marche plus lentement qu’il ne le voudrait, un œil sur la caisse qui attend son passager, dans l’ombre des immeubles où ça continue sûrement de danser, pour l’éternité. Et ensuite, advienne que pourra. |
| | | | (#)Dim 28 Juil 2019 - 8:38 | |
| « Ce serait mieux que tu prennes un taxi. » Freya allait répliquer, le contredire, sûrement s’énerver mais ça retombe comme un soufflet alors que le jeune homme hausse les épaules. « Voiture grise. Bonne chance. » Un air interdit au visage, la jeune femme le regarde se sauver – parce que c’est littéralement la sensation que donne Stephen. De partir comme un voleur, comme s’il n’a pas été là et qu’il ne le sera plus jamais. Carapaté, l’animal, pris sur le fait d’un délit dont il ne veut pas se rendre coupable.
Freya ne lui en tient pas rigueur. Parce qu’il n’est qu’un filament dans sa vie. Que les dernières vingt minutes ne sont qu’une bride dont elle ne se rappellerait pas complètement le lendemain. Quand il s’échappe de sa vision, disparaissant tout bonnement de sa vie, la jeune femme reste un moment avant d’entendre un klaxon retentir au loin. Putain, il est casse couille, elle a dit qu’elle pouvait rentrer, bordel !
Elle regarde son téléphone pour constater qu’elle l’a bien abandonné toute la soirée. Des appels manqués, des messages non lus… Fais chier, ça attendra demain. Pour l’instant, elle veut juste retrouver son lit et dormir au moins quarante huit heures tellement que ses membres sont engourdis.
Freya met bien vingt minutes pour descendre les deux étages. Quasiment un miracle que la voiture se tient toujours là quand elle atterrit sur le trottoir. « Ça doit être vous, la demoiselle à ramasser. » Le chauffeur est sorti pour la faire rentrer dans son véhicule. Cette foutue sympathie australienne. Elle n’aime pas ça non plus. « J’vais lui en foutre des demoiselles à ramasser. » Elle grommelle, pas traînant mais finit par grimper.
Docile gamine quand elle le veut. Freya sent quand même que la marche lui aurait fait plus de bien. La voiture secoue son fort intérieur et elle prévoit déjà une visite dans la cuvette des toilettes dès son arrivée à l’appartement – en espérant pouvoir tenir jusqu'à là.
Fichue soirée pourrie que c’était, t’façon.
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| | | | (#)Dim 28 Juil 2019 - 8:39 | |
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