i have always imagined that paradise will be a kind of library.
"Allez, Maman, dis moi où on va !" s'impatientait Julie en ne cessant pas de barrer la route à sa mère dans l'espoir de capter son attention et espérer obtenir un indice sur la destination prévue. Depuis quelques années, Norah n'avait pas organisé de journées spécialement pour Julie, ou pour Aidan. Ils faisaient des activités ensemble, là n'était pas le problème, mais il y avait des sorties qui intéressaient plus Julie qu'Aidan et inversement et leur mère se sentait désolée que l'un ou l'autre s'ennuie. Alors cette fois-ci, la journée était à passer avec son aînée. Son fils ne semblait vraiment pas mécontent de rester avec son parrain et Anwar ne pouvait que se montrer satisfait de constater que Norah se délestait d'une charge pour la journée. Ce n'était peut-être pas ce qu'il attendait de sa part non plus, mais tout se faisait par étape, n'est-ce pas ? Du moins, le petit oubliait très rapidement la présence de sa mère une fois qu'il avait mis le pied chez Anwar. Elle n'avait pas vraiment de soucis à se faire pour eux deux. "Je te l'ai dit, c'est une surprise." Norah n'allait certainement pas céder, Julie devait pourtant le savoir, à force. Car, tout en approchant ses dix, elle avait la même force de caractère que sa mère. Calme, mais particulièrement solide. "Juste un indice, allez! " insista-t-elle. Esquissant un sourire satisfait, Norah secouait négativement la tête et continuait sa marche comme si de rien n'était. Déçue de ne pas avoir réussi à lui avoir tiré les vers du nez, Julie souffla, mais ne tarda pas à venir saisir la main de sa maman tout en continuant la marche jusqu'à destination. Les yeux de la fillette s'arrondirent lorsqu'elle remarquait que l'on s'approchait de la bibliothèque. "Pour de vrai ?" dit-elle, le regard lumineux. Norah haussait vaguement les épaules. "Ca faisait un petit moment que tu te plaignais d'avoir fait le tour de la bibliothèque de l'école, alors... Autant se rendre dans une plus grande pour la suite." répondit-elle avec un sourire attendri. Norah n'avait jamais véritablement songé à l'emmener ici, et elle ne pouvait que s'en prendre à elle-même. Julie rêvait d'avoir sa propre bibliothèque et jusqu'ici sa mère préférait lui acheter les livres qu'elle désirait dans la limite du raisonnable. Se rendre dans ce type de lieu public ne lui était venu à l'esprit que lorsqu'Alfie avait gentiment proposé d'en toucher un mot à sa petite amie, qui, comme par hasard, était apparemment spécialisée pour les romans adaptées aux enfants ayant l'âge de Julie. Un sacré concours de circonstances, qui tombait plutôt bien. Et puis, Norah n'envisageait pas d'embarquer son fils dans un endroit pareil. Du haut de ses quatre ans, il serait bien capable de renverser toutes les bibliothèques de la salle – et Alfie en serait certainement très fier aussi. "Mais ce n'est pas tout." ajouta Norah tout en glissant sa main dans les cheveux de sa fille, qui elle la regardait d'un air interrogatif. "Comment ça ?" "Eh bien, parmi tous ceux qui y travaillent, il y a une bibliothécaire qui adore les livres de ta tranche d'âge, et elle a accepté de passer du temps avec toi pour t'aider à trouver ton bonheur. En plus, tu as toute l'après-midi pour choisir." Car quand Julie se perdait dans la lecture de ses livres, elle en avait pendant plusieurs heures. C'était d'ailleurs Aidan qui venait souvent vers elle en lui demandant de jouer avec lui. "Pour de vrai ?" s'enthousiasma-t-elle, se répétant sans même s'en rendre compte, un large sourire sur ses lèvres. "Si je te le dis." Norah lâchait un léger rire, touchée par la surexcitation soudaine de la fillette, qui grimpait déjà les quelques marches qui devançaient la bibliothèque. Une fois qu'elles trouvaient au niveau de l'accueil, Norah ressortait son téléphone portable, relisant le message que lui avait envoyé Alfie, où il avait donné les coordonnées de la bibliothèque ainsi que le nom complet de sa moitié. Elle demandait où est-ce que l'on pouvait trouvé l'aile de la bibliothèque dans laquelle Juliana se trouvait. Sans faire de détour, les Lindley se rendirent à l'endroit indiqué, non sans une certaine appréhension pour Norah. C'était difficile à décrire, mais, en entrant dans cette bibliothèque, elle avait l'impression d'entrer dans la sphère privée d'Alfie. C'était... bizarre. Elle se sentirait presque comme une intrus. "Excusez-moi." dit Norah en trouvant enfin une silhouette féminine qui ressemblait beaucoup à la description que son ami en avait faite. "Vous êtes bien Juliana ?" demanda-t-elle tout de même afin d'être sûre de s'adresser à la bonne personne. "Bonjour." Un léger sourire s'afficha sur son visage. "Je suis Norah. Je viens pour ma fille, Julie." Curieux d'ailleurs à quel point le prénom de sa fille et celle de la bibliothécaire étaient proches. "Si vous préférez finir ce que vous êtes en train de faire, je peux faire un tour avec elle à côté. Elle ne sera pas trop difficile à occuper, en attendant." Un air amusé s'affichait sur son visage, faisant référence aux milliers de livres jeunesse qui les entouraient. Julie était déjà un peu plus loin, à lire la tranche des livres soigneusement rangées, à chercher un titre qui l'interpellait plus qu'un autre.
Je ne devrais sans doute pas être nerveuse à l’idée d’aider une enfant à choisir des livres. Après tout, c’est ce que je fais tous les jours et je crois que je le fais bien, en tout cas les parents ne viennent pas se plaindre des choix que je fais pour leurs enfants. Malgré tout, il s’agit cette fois d’aider non pas une de mes amies mais celle d’Alfie et sachant que c’est lui qui m’a recommandée, j’ai l’impression qu’échouer reviendrait à le décevoir une fois de plus. Parce que je l’ai déçu, j’en suis sûre, sinon je ne vois pas pourquoi il se comporterait comme ça avec moi. J’estime donc que notre couple va assez mal comme ça pour que je ne sois pas de nouveau une source de déception et je me mets une pression que je n’ai probablement jamais ressentie auparavant dans le cadre de mon travail ou alors pendant les deux ou trois premières semaines suivant mon embauche au sein de la bibliothèque. Au fond de moi, je sais que c’est complètement stupide, que ce n’est pas un livre qui changera les choses et que faire plaisir à Julie est le seul enjeu de mes recherches du jour. Malgré tout, je n’arrive pas à me sortir de la tête que c’est plus important que ça, sûrement parce que je me sens impuissante et que j’ai enfin l’impression de pouvoir faire quelque chose de concret et d’utile, pour une fois. Je me suis donc un peu renseignée sur la fameuse Julie sans pour autant en demander trop afin qu’elle puisse s’exprimer et me donner elle-même ses préférences. Je sais donc que la petite fille est véritablement passionnée par les livres ce qui est une information capitale car savoir que je n’aurais pas à la trainer dans les rayons en faisant preuve d’assez d’enthousiasme pour deux pour susciter un semblant d’intérêt est un véritable soulagement et qu’elle va sur ses dix ans ce qui m’a permis de sélectionner les ouvrages adaptés à sa tranche d’âge. Pour le reste, ça va être à elle de m’éclairer et, pour cette partie du travail, au moins, j’avoue être plutôt impatiente. Découvrir les univers de chaque enfant que je rencontre est quelque chose que j’adore, ils sont toujours créatifs et leur imagination débordante dans laquelle je peux retrouver une innocence évidente est particulièrement touchante. J’oscille donc entre angoisse et impatience et jette des coups d’œil bien trop nombreux à la grande horloge surplombant les rayons comme si le simple fait de la regarder régulièrement pouvait aider à faire s’écouler le temps un peu plus rapidement que d’habitude. Je ne sais même pas à quelle heure la jeune femme a prévu de venir, en réalité, et plus la journée avance et plus je commence à douter d’avoir bien compris le jour ou le service que je devais rendre à cette jeune femme dont je ne connais absolument rien. L’idée d’envoyer un texto à Alfie pour lui demander confirmation me traverse l’esprit mais je l’abandonne rapidement, désireuse qu’il ne réalise pas l’angoisse dans laquelle je me trouve. J’ai la certitude qu’il est capable de percevoir mes émotions à travers un simple texto – même en ce temps de guerre que nous traversons – et je préfère éviter qu’il réalise à quel point je suis pathétique.
Les pensées défilent à une vitesse folle dans ma tête et je sursaute presque lorsqu’une voix retentit derrière moi. Je fais volte-face pour me trouver devant une jeune femme accompagnée d’une enfant qui lui ressemble, ou en tout cas j’en ai l’impression. Elle est plutôt jolie, d’ailleurs, fine mais pas trop, les traits bien dessiné et un air fatigué masqué par un sourire qui éclaircit largement son visage. J’aimerais bien qu’Alfie s’entoure de personnes un peu plus moches parfois, parce qu’entre Harvey, Ariane et celle que j’identifie désormais comme étant Norah, je ne suis pas très bien servie. Ai-je le droit d’exiger de mon petit-ami qu’il ne s’entoure que de personnes de plus quatre-vingts ans ? J’en doute mais ce serait pourtant une excellente solution pour que je n’ai pas envie de dévisager toutes les personnes qu’il me présente avec un air plus que suspicieux. Si je n’ai jamais douté de la confiance que je pouvais avoir en lui, le reste du monde m’a prouvé qu’il n’était pas toujours digne de confiance et faute de savoir à qui me fier, j’ai tendance à espérer que les proches d’Alfie prennent soudainement quarante kilos, perdent leurs cheveux et leurs dents et fassent de l’acné tardif. Très mature, Jules. « Bonjour. » Un sourire vient s’afficher sur mon visage, chassant toute jalousie mal placée qui aurait pu me traverser l’esprit alors que je fais la connaissance de la fameuse Norah. « Oui, c’est bien moi. Je vous attendais. » Je me tourne ensuite vers la principale intéressée, désireuse de ne pas la mettre de côté alors que c’est justement l’élément central de la venue de la jeune femme. « Salut Julie, je suis très heureuse de te rencontrer. » Et c’est le cas, car toute l’appréhension que j’ai pu avoir c’est envolé dès que je l’ai aperçue, parce qu’elle est une enfant comme les autres et que je suis certaine qu’en dialoguant, nous finirons par trouver son bonheur. « Oh non, ne vous inquiétez pas, je suis tout à fait disponible. » Est-ce que je lui dis que je les ai attendu toute la journée à moitié paniquée et que je n’ai pratiquement rien fait de ma journée ? Je crois qu’il vaut mieux que je m’abstienne au risque de passer pour une véritable folle. « On pourrait peut-être commencer par se tutoyer, ce serait un bon début ? » Outre le fait que lorsqu’on me vouvoie, j’ai l’impression de prendre vingt ans, je trouve bizarre qu’une amie d’Alfie se montre aussi formelle en s’adressant à moi. « On va aller se mettre sur une table du fond, on sera plus tranquille. » J’ai déjà tout préparé pour leur arrivée en bonne control freak qui se respecte et je les dirige donc naturellement vers une table sur laquelle se trouve une pile d’une cinquantaine de livres en tous genres que j’ai bien l’intention de faire découvrir à la lectrice du jour. « J’ai déjà fait une petite sélection des livres qui seraient susceptibles de te plaire, il y en a beaucoup mais tu vas me dire ce que tu préfères et on pourra choisir les meilleurs de la pile. » Je les invite à prendre place autour de la table, prête à commencer mon exposé. Je suis dans mon élément et contre toute attente, je me sens parfaitement à l’aise. Julie repartira avec le sourire, je m’en fais la promesse.
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S'il y avait bien quelque chose que Norah ignorait, c'était la façon dont Alfie avait pu la décrire à sa petite amie. Déjà eux peinait à classifier leur amitié et marchaient encore sur des oeufs quand ils se voyaient en dehors des murs de l'hôpital, alors comment avait-il pu l'expliquer à sa moitié ? Il parlait régulièrement de Juliana et il était évident qu'il était fou amoureux d'elle, à n'en pas douter. La brune retrouvait aisément dans ses paroles ce qu'elle avait pu ressentir pour son feu mari. Et rien que d'y penser, elle en avait un petit pincement au coeur. Que l'univers ait pu lui retirer la personne qu'elle aimait le plus au monde sans raison alors que d'autres pouvaient continuer à vivre leur idylle dans la plus belle des insouciances. Elle ne les jalousait pas, loin d'elle cette idée. Seulement, elle savait combien ils pouvaient être chanceux qu'ils ne devaient pas se laisser abattre par les disputes et autres aléas du quotidien. "Enchantée." répondit l'infirmière avec un sourire sincère. En tout cas, l'on pouvait dire qu'Alfie avait d'excellents goût pour la gente féminine, car Juliana ne manquait pas de beauté. Elle comprenait qu'il avait pu très facilement tomber sous son charme. Et inversement également. La bibliothécaire se focalisait rapidement sur la principale intéressée de cette visite. Julie tenait encore la main de sa mère, le regard émerveillé par l'immensité de la bibliothèque. Sa mère, quant à elle, ne savait pas vraiment comment amorcer la conversation avec la petite amie d'Alfie. Norah se sentait invasive, le pas en avant de trop dans la course pour mieux se connaître. Elles n'avaient été introduites l'une à l'autre que par les paroles d'Alfie, de la manière dont ils les décrivaient, dont il les voyait. Une vision des plus subjectives, pas pour autant faussées, mais qui ne correspondraient sûrement pas à l'avis que se faisaient les deux brunes à ce moment précis, alors que leur regard se croisait de temps à autre. "Ca me va." convint Norah avec un nouveau rictus, concernant le tutoiement instauré d'entrée de jeu. L'infirmière s'attendait peut-être à plus de méfiance et de distance de la part de Juliana. A moins que ce ne soit qu'une idée reçue qu'elle s'était faite toute seule. On n'aimait jamais vraiment que le conjoint ou compagnon avait des amis du sexe opposé. Un brin de jalousie et de possessivité, une petite perte d'assurance et la crainte de voir sa moitié être éloigné de soi en se rapprochant de quelqu'un d'autre. Bien que Norah avait une confiance totale envers Frank, mais elle montrait quelque peu les dents quand une autre femme se plaisait à le draguer. Avant de suivre Juliana, la Laidley miniature lançait un regard enthousiaste à sa mère et lâchait sa main pour suivre l'employée de près. Norah prenait un peu plus de temps pour déambuler entre les livres soigneusement rangés. Sur la table indiquée par Juliana se trouvait une immense pile de livres. Emerveillée, sa fille s'installait au plus près de celle-ci. "J'aime presque tout lire." assura Julie en prenant le livre au plus de la pile pour en lire le résumé. "Sauf les trucs où c'est que des histoires d'amour, là. C'est d'un ennui." souffla-t-elle ensuite, levant les yeux au ciel et ne comprenant décidément pas pourquoi certaines de ses copines passaient leur temps à lire ce genre de bouquins. Norah arqua un sourcil mi-surpris, amusé des nombreuses similitudes qu'elles partageaient. Telle mère, telle fille, comme on disait. "Je préfère quand il y a des aventures dedans. Ou des enquêtes, ce genre de trucs, tu vois ?" Apparemment, la fillette de dix ans n'avait aucun problème pour se plier à la règle de tutoiement. "Julie. Je crois que Juliana voulait te présenter les livres qu'elle a choisis pour toi." La belle bibliothécaire avait du prendre un temps pour sélectionner ces romans adaptés à l'âge de Julie. "Oups, pardon." dit la petite en posant délicatement le livre sur la table, lançant un sourire à la fois gêné et impatient, pendue aux lèvres de Juliana. "Quoi que tu lui proposes, je pense qu'elle sera charmée par tes suggestions." dit alors Norah, finalement très vite accoutumée au tutoiement. "Et heureusement que le nombre de livres qu'on peut emprunter et limiter parce que si ça ne tenait qu'à elle, elle prendrait tout." dit-elle non sans amusement. "C'est d'ailleurs la menace ultime si elle ne veut vraiment pas faire ses devoirs. Pas droit au temps de lecture avant de se coucher si elle n'a pas tout fait. Ca marche même mieux que la télé." Pourtant, de nos jours, les enfants étaient bien plus attirés par les écrans qu'autre chose. Entendant cette explication, Julie fronçait légèrement les sourcils. Non, elle ne permettrait jamais qu'on lui retire son temps de lecture le soir, c'était hors de questions. C'est pourquoi elle se ruait toujours vers ses cahiers après le goûter. Norah se doutait bien que cette menace ultime ne fonctionnera absolument pas sur son fils le jour où elle devrait galérer avec lui pour lui faire faire ses devoirs le soir. "Mais Maman, si je peux pas tout emprunter tous les livres qui me plaisent là d'un coup, tu crois que je pourrais revenir pour en emprunter d'autres une autre fois ?" "Ce n'est pas à moi qu'il faut le demander." répondit Norah en faisant un signe de tête en direction de Juliana. Sans poser davantage de questions, les yeux clairs de la fillette fixèrent la bibliothécaire, dans l'attente d'une réponse qu'elle adorerait entendre. "Tu penses que je peux ? Parce que peut-être que absolument tous ces livres vont me plaire, qui sait. Et alors là, on ferait quoi ?" argumenta-t-elle en haussant ses sourcils et en hochant sa tête de manière exagérée. Norah, juste à côté, posait son coude sur la table et son menton dans le creux de la paume de sa main, regardant d'un air attendri sa fille qui tentait d'amadouer et de charmer Juliana, en utilisant tous ses atouts.
Je ne sais pas si c’est parce qu’elle est maman ou si c’est juste une impression générale mais Norah m’inspire confiance et je suis rapidement à l’aise avec elle ce qui me rassure énormément. Je déteste avoir la pression, surtout lorsqu’il s’agit de ma passion parce que je sais pertinemment qu’en associant une émotion négative à quelque chose de positif, on peut justement le rendre un peu moins positif. En l’occurrence, il ne s’agit que de chercher des livres adaptés à une fillette de dix ans, ce qui est l’activité la plus basique associée à mon métier, je n’aurais donc dû pas autant angoisser, mais je sais que ce n’est pas l’idée de devoir aider cette petite fille qui m’inquiète mais celle de ne pas décevoir Alfie en n’étant pas aussi douée que je le devrais pour venir en aide à une de ses amies. Je détesterais que Norah vienne lui rapporter que finalement, elle a dû faire appel à quelqu’un d’autre parce que je n’étais pas à la hauteur, il est impératif pour moi de montrer que je suis faite pour ça et que je suis la plus apte à aider Julie. Heureusement, devant une jeune femme aussi agréable de prime abord et une enfant qui l’est tout autant, je me détends instantanément, oubliant presque toutes les idées farfelues qui ont généré tout ce stress. « De même. » Sourire aux lèvres, j’amorce ce moment que nous allons passer ensemble avec un optimiste dont je ne me serais pas cru capable. Les minutes s’écoulent et m’apprennent rapidement que Julie est presque une mini-moi à son âge, passionnée de lecture, prête à dévorer tous les livres qui me tombaient sous la main, allant presque jusqu’à m’amuser à déchiffrer le manuel d’utilisation de la télévision familiale lorsque je commençais tout juste à savoir lire une phrase complète. Julie a dépassé ce stade, bien sûr, elle a appris à lire il y a plusieurs années et elle doit avoir assez d’entrainement désormais pour maitriser un vocabulaire que beaucoup de jeunes de son âge n’ont pas à leur disposition, faute de s’intéresser suffisamment à la littérature. « Tu as totalement raison, j’adorais les romans policiers aussi quand j’avais ton âge et je les aime toujours autant maintenant. » J’aime tout, en réalité, mais là où nous ne sommes pas forcément d’accord, c’est justement que j’adore les romans d’amour, tout simplement parce que – malgré un réalisme tout à fait relatif – ils me font rêver et me transportent dans des univers que je trouve plaisant à imaginer. « Pour mes neuf ans, mon père m’avait offert le premier tome du Clan des Sept, ça te dit quelque chose ? Si tu ne les as pas déjà lus, je suis sûre que tu adorerais. » Généralement, ces livres sont conseillés pour les enfants ayant entre neuf et douze ans, je pense que c’est totalement à sa portée. « Il y a quinze tomes alors ça devrait t’occuper un petit moment. » Mais je ne sous-estime pas la concentration et l’enthousiasme dont peut faire preuve une enfant de presque dix ans et je sais pertinemment que là où un adulte aura tendance à être raisonnable – bien qu’il m’arrive encore de passer une nuit blanche pour finir un roman passionnant – un enfant n’aura pas forcément cette capacité et préférera largement finir ce qu’il a commencé avant de passer à autre chose. « Dans le même registre, je peux te conseiller le Club des Cinq, ce sont des livres d’enquête eux aussi, et je crois qu’il y en a vingt-un, c’est un sacré challenge mais je suis sûre que tu serais capable de le relever. » Même si Julie et moi n’avons en commun qu’une passion et peut-être un prénom à la sonorité très similaire, je ne peux m’empêcher de me voir petite lorsque je la regarde et je sais et parce qu’elle a l’air d’avoir les mêmes goûts que moi à son âge, je sens que cette sélection va être encore plus facile que prévu. Attablées devant la pile que j’ai sélectionnée, je regarde la petite fille s’approprier directement un des ouvrages, vite reprise par sa mère ce qui me fait sourire. « Oh ne t’inquiètes pas, tu peux les feuilleter, ils sont là pour ça. » Son impatience fait plaisir à voir et je suis étonnée par son apparente maturité et la manière dont elle dévore des yeux les livres qui se trouvent devant elle. Il est rare de voir des gamins aussi passionnés, même s’il m’arrive évidemment d’en croiser. Norah a de la chance, elle n’aura pas à pousser sa fille à s’intéresser à eux et je suis certaine qu’elle ressortira grandie de cet apprentissage que beaucoup de personnes minimisent. La remarque de la jeune femme me fait d’ailleurs rire parce qu’une fois de plus, je me revois très bien à son âge, arpentant les rayons en me demandant comment je pouvais faire pour emmener toute l’étagère. « Pour Noël, j’avais demandé si je pouvais avoir une brouette pour transporter plus de livres, il y a quelques années. » Je plaisante, avant de me tourner de nouveau vers Julie. « Mais ce n’est pas une bonne idée. » J’affirme, désireuse de ne pas donner à la petite fille des idées que sa maman n’aurait pas forcément envie de suivre. « Tu as de la chance, la plupart des parents qui viennent ici ont dû menacer leurs enfants pour les décoller de l’écran. Tu as un fils aussi, c’est ça ? Il aime aussi beaucoup la lecture ? » Je ne connais pas bien Norah, mais je sais au moins ce qu’elle fait dans la vie et qu’elle a deux enfants grâce aux questions que j’ai posé à Alfie plus par curiosité que pour véritablement préparer ce rendez-vous. « Bien sûr que tu pourras revenir ! Si tu veux, quand tu auras choisi, on ira chercher ta propre carte de bibliothèque. Avec cette carte, tu auras le droit d’emprunter dix livres à la fois pour une durée de trois semaines maximums. » Je ne sais pas si Norah avait l’intention de venir souvent ici ni si elle vit loin et je ne veux pas la mettre dans l’embarras. « Elle est valable dans toutes les bibliothèques municipales, donc si celle-ci est trop loin de chez vous, vous pouvez en choisir une autre. » Et elle est gratuite, ce qui ne gâche rien. La ville de Brisbane veut favoriser le développement culturel et donner libre accès à la lecture fait évidemment partie des idées mises en place pour parvenir à cet objectif. « Je pourrais aussi vous donner les plannings d’activités de la semaine, certaines vous intéresseront peut-être. » Notamment l’atelier lecture du mercredi après-midi. Je me rends compte que je parle trop mais lorsqu’il s’agit de mon métier, il est difficile de m’arrêter, malheureusement et Norah et sa fille en font les frais. « Bon, on va peut-être commencer. » Je désigne d’un geste de tête la pile de livres. « La pile du milieu, ce sont les romans d’aventure, celle de droite ce sont les romans d’amour alors on va peut-être les mettre de côté, à gauche je t’ai mis des bandes-dessinées, je ne savais pas si tu aimais ça et encore un peu plus à droite, je t’ai mis des contes et légendes. Je te laisse regarder ça ? En fonction de ce qui te plait, on pourra aller en voir d’autres. » Julie a l’air concentrée et je ne la quitte pas des yeux alors qu’elle se plonge dans mes trouvailles, l’air tellement concentré qu’elle semble avoir oublié tout le monde autour d’elle.
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Quand Frank était encore vivant, il adorait lire des histoires à Julie. Il était un excellent conteur et c'était à chaque fois pour lui un moment précieux, ces fois où il ne manquait pas l'heure du coucher car sa journée de travail s'était involontairement prolongée. Norah en avait encore le souvenir très net, à les voir tous les deux au fond du canapé, un plaid sur les genoux de la petite, qui elle suçait encore son pouce en écoutant avec attention son père lui racontait une histoire. Elle se souvenait très bien de la douceur de la voix de son époux, ponctué par des exclamations afin de marquer les divers rebondissements du récit. Une des nombreuses images des plus attendrissantes qu'elle gardait précieusement, avec la crainte constant que les lignes qui dessinaient leur silhouette deviennent plus floues, que les couleurs paraissent plus fades, jusqu'à ce que tout finisse par disparaître. Norah avait peur que ces souvenirs, certainement idéalisés au possible, ne finissent par s'effacer sans qu'elle puisse en faire quoi que ce soit. C'était certainement grâce à lui que Julie s'était tant passionnée de lecture. Sa mère aimait lire, mais elle ne dévorait pas autant les romans que la petite. Après les premiers échanges, la tension palpable entre Juliana et Norah semblaient rapidement prendre fin. Elles appréhendaient toutes les deux cette rencontre, qui avait pour chacune une importance. La principale concernait restait avant tout la petite Leckie, qui leur sauvait la mise car Norah ne savait pas vraiment ce qu'elle pouvait dire à la belle brune. Le sentiment d'étrangeté régnait, celui de ne pas trop avoir sa place ici bas, à la bibliothèque, là où elle travaillait. Alfie avait-il ressenti la même chose quand il avait franchi le seuil de sa maison quand elle l'avait invité à goûter chez elle ? C'était de trop ? Bien qu'elle suivait la conversation entre la bibliothécaire et l'écolière, Norah ne l'écoutait que d'une oreille distraite. Julie écoutait avec la plus grande attention, et d'un air émerveillé et admiratif. Elle semblait faire connaissance avec un idéal. "Je connais pas le Clan des Sept, non." dit-elle après quelques secondes de réflexion. "Mais le Club des Cinq, oui ! Il y en a quelques livres à la bibliothèque de l'école, mais je ne me souviens plus des numéros de tome. Mais j'avais beaucoup aimé !" répondit Julie avec enthousiasme. Elle semblait un peu contrariée de ne pas se souvenir avec exactitude de ceux qu'elle avait lu. Mais ayant une bonne mémoire photographique, elle allait certainement reconnaître la couverture des livres s'ils étaient dansla pile que Juliana avait minutieusement préparé. Après avoir eu l'aval de la bibliothécaire, la fillette se permettait de regarder les titres des livres exposés devant elle un après l'autre, en regardant avec grande attention l'illustration de la couverture avant de lire le résumé. Elle avait déjà commencé à faire trois piles distinctes : les livres qui lui avaient tapé dans l'oeil, ceux qui pourraient être sympathiques à lire, et ceux qui ne l'intéressaient absolument pas. Autant dire que la dernière pile mentionnée n'était pour le moment pas bien haute comparée aux deux autres. "Pour mon anniversaire, j'ai demandé à Maman si je pouvais avoir une nouvelle bibliothèque dans ma chambre. Celle que j'ai est toute petite et je n'ai plus de place." Norah esquissait un sourire, ayant enregistré sa demande depuis un bout de temps déjà. Elle en avait même déjà repéré une qui lui semblait parfaite (et qui allait surtout recouvrir la quasi totalité d'un des murs de sa chambre, autant voir gros dès le début). "Ils ne sont pas non plus interdits de télé, mais depuis le début, avec mon mari, nous avions convenu qu'ils ne devaient pas la regarder trop souvent, et c'est finalement rentré dans leurs habitudes." Norah n'était pas non plus drastique au point d'imposer des horaires précis. Elle punissait plus facilement ses enfants en les interdisant à aller dehors s'il faisait beau ou à confisquer les livres et les jouets préférés. Et puis, elle aimait bien faire quelques soirées télé avec eux, avec du pop corn. Norah avait répondut oui d'un signe de tête quand Juliana lui avait demandé si elle avait un fils. "Il a quatre ans. Je suis obligée d'imposer avec lui un temps calme avant de dormir, sinon la nuit est compliquée." reconnut-elle d'un ton nerveux. "Les histoires de pirates semblent le passionner. Ca avait pris du temps, de trouver des histoires qui le font rester en place et qui le laisse attentif. Il ne tient pas vraiment en place, sinon." Ca ne l'empêchait pas d'être particulièrement câlin et au fil du temps, Norah avait trouvé les moments opportuns pour imposers un moment où il reste calme. Il fallait faire preuve d'autorité et de sacrés arguments, mais la recette fonctionnait plutôt bien. "Mais à choisir, il préférerait jouer avec ses petites voitures ou à passer une journée entière dehors plutôt que de se pencher sur un bouquin. Quoi qu'il adore quand Julie lui raconte une histoire." La fillette prenait très au sérieux son rôle de grande soeur, tout autant qu'elle aimait avoir ses moments rien que pour elle. Mais elle veillait, ayant déjà même proposé à sa mère de le surveiller une soirée si jamais Norah voulait sortir un peu. Encore un peu trop petite pour ce genre de responsabilités. "... Maman ?" demanda timidement Julie, après avoir écouté la bibliothécaire. "Je peux avoir une carte de bibliothèque ? Ca peut même être mon cadeau de Noël, déjà !" Norah surveillait de près son compte en banque et doutait bien qu'une carte de bibliothèque ne soit pas l'élément qui viendrait la ruiner. "Non, pas pour Noël quand même." souffla Norah. "On va prendre la carte, juste comme ça. A condition que tu me laisses emprunter de temps en temps des livres aussi." Le regard de la fillette s'illumina et elle venait ensuite enlacer on ne peut plus chaleureusement sa mère, accompagné d'une bonne dizaines de mercis. Norah savait d'avance que ce serait très rapidement rentabilisé. "Je pense qu'elle préférera écumer tous les livres d'ici avant d'attaquer une autre bibliothèque." Le détour n'était pas non plus monstrueux pour se rendre jusqu'ici. "Les activités plairont sûrement à Julie." dit Norah en regardant la première concernée se lancer déjà dans sa lecture en ayant ouvert un livre qui semblait vraiment l'intéresser. "Mon planning change tout le temps, mais je devrais pouvoir m'arranger avec mon frère pour qu'il l'y emmène." Tant que ce n'était pas des livres Disney, Caelan devrait apprécier passer une telle après-midi avec sa filleule. La petite Lindley continuait à faire le tri dans les livres qui l'intéressaient. "C'est vraiment gentil, d'avoir accepté de consacrer un peu de ton temps pour faire le bonheur de Julie." Norah se sentait déjà extrêmement reconnaissante, autant envers Juliana qu'envers Alfie, qui avait lancé l'idée. "L'idée ne m'était pas venue à l'esprit, de l'emmener dans une bibliothèque. Alors que ça aurait pu être évident pour d'autres. J'ai pas mal la tête dans le guidon et son petit frère n'est pas tenable pour l'emmener dans une bibliothèque." dit-elle avec un rire, tout en passant ses doigts dans ses cheveux pour mettre quelques mèches en arrière. "Et quand je suis de repos et qu'ils n'ont pas école, on favorise les sorties à l'extérieur." Norah aimait traîner dehors. Dans le jardin, au parc, à la plage. Tout ce qui lui permettait de prendre l'air, en dehors d'un quotidien qui finissait par l'épuiser à petit feu.
Plus j’observe Julie évoluer dans cet univers que j’aime tant et plus j’ai l’impression de me revoir petite fille, avec cette passion dévorante qui m’anime toujours à présent mais que je contrôle de mieux en mieux. Les nuits blanches à avaler page après page sans que la lassitude ou le sommeil ne viennent m’interrompre se font rares désormais mais l’enthousiasme que j’éprouve à chaque fois que je dois me plonger dans un nouveau roman ou poursuivre une lecture déjà entamée est intact et j’espère pour Julie que ça ne s’effacera pas pour elle non plus. Trop nombreux sont les gens qui ne se donnent pas la peine de se poser devant un livre et je suis certaine que s’ils agissaient de la sorte, ils pourraient voir bien plus que des mots écrits l’un à la suite des autres pour former des phrases qui ne les intéressent pas. Les enfants représentent l’avenir et lorsque je vois ceux qui, comme Julie, trouvent dans les livres ce que beaucoup d’adultes ne parviennent pas à voir, je retrouve un peu l’espoir que la bibliothèque survive à tous ces loisirs virtuels qui sont venus la mettre à mal. « Je pense que tu aimeras les autres tomes si tu as déjà apprécié ceux que tu as lu. Je ne dois pas tous les avoir ici, mais je pourrais les commander, si ça t’intéresse. » Je crois que si ça ne tenait qu’à moi, je voudrais bien lui faire lire la moitié des livres qui se trouvent ici, tant j’ai envie de lui faire découvrir toutes les belles choses qui peuvent se cacher au sein d’une bibliothèque. Son enthousiasme me donne envie de me dépasser et d’être plus créative que je peux l’être en temps normal. J’ai presque oublié sa mère à ses côtés jusqu’à ce qu’elle la mentionne et me rappelle son existence. « C’est une super idée de cadeau. » J’ai vraiment l’impression de m’entendre parler au même âge, je ne voulais que des livres, tout le temps et je pouvais passer des heures cachée derrière les pages d’un livre. Heureusement, j’avais aussi la natation et l’école pour me pousser à sortir un peu et à voir du monde, sinon j’aurais sûrement pu passer des semaines chez moi sans chercher à voir la lumière du jour. Avoir une immense bibliothèque dans ma chambre était un de mes plus grands rêves mais je l’ai abandonné lorsque mon père est décédé parce que j’avais une maison à tenir et plus vraiment tant de temps que ça pour rêver. Malgré tout, mon amour des livres est resté intact et c’est justement à la bibliothèque que je trouvais refuge pour oublier ma douleur. Peut-être que cette petite Julie vit exactement la même chose que moi et que c’est pour cette raison que cette sortie est aussi importante pour elle. En tout cas, pour le moment, c’est une véritable réussite, elle a l’air enchantée d’être ici et sa mère s’est nettement détendue ce qui rend la conversation plus facile et allège l’atmosphère légèrement alourdie par cette gêne normale ressentie lors d’une première rencontre. « Si tous les parents étaient comme toi, ce serait bien plus facile, mais je suis mal placée pour juger. » L’écran étant à l’origine de nombreux cas d’autisme infantile, je ne peux que déconseiller de laisser les enfants rivés devant la télévision à longueur de journée. Cependant, n’étant pas maman, je sais qu’il serait malvenu de ma part de donner des conseils sur la parentalité. Malgré tout, je trouve étonnant que certains ne voient pas des choses qui crèvent pourtant les yeux. Pas plus tard qu’hier, le petit Louis, dix ans, est resté les yeux rivés sur le téléphone portable de sa mère sur lequel il jouait pendant qu’elle choisissait les livres à emprunter à sa place. Ce sont contre des anecdotes comme celle-ci que j’essaye de lutter et ce sont des mamans comme Norah et des enfants comme Julie qui me redonnent doucement espoir. « Oh je vois, il a l’air très différent de Julie, au moins tu ne t’ennuies pas. » Ma mère me répétait souvent que le deuxième enfant était plus difficile que le premier. Je ne sais pas vraiment si c’est quelque chose qui se vérifie car, là encore, je n’y connais absolument rien, mais Norah a l’air de parler de son fils avec fierté tout en laissant transparaitre un épuisement évident. « Et les pirates sont un très bon choix, la filleule d’Alfie les adore aussi et je lui ai trouvé plein de livres sur le sujet, si ça t’intéresse, je pourrais te donner la liste, ça vous permettra de varier les histoires. » Anabel, le petit rayon de soleil de la vie de Stephen et de toute la famille, d’ailleurs. J’adore cette petite fille, elle est pétillante et pleine de vie alors qu’elle a vécu des choses bien trop difficiles pour une gamine de son âge. Je suis persuadée que si Stephen a réussi à surmonter le décès de sa femme, c’est aussi parce que son combat pour rester aux côtés de celle qu’il considère comme sa fille était bien trop important pour qu’il se laisse sombrer. Je crois que je ne lui ai jamais dit à quel point il m’avait impressionné et pourtant, c’est évidemment le cas. « C’est une carte gratuite. » Je me hâte de préciser, pour achever de convaincre Norah qui semble devoir gérer ses finances avec une précision militaire pour réussir à rentrer dans les clous. Je ne veux surtout pas la mettre dans une situation embarrassante. « Elle le sera jusqu’aux quinze ans de Julie si elle est à son nom et après, tu pourras la mettre au nom de ton fils pour qu’elle le reste. » Brisbane veut encourager les jeunes lectures à consommer des livres sans modération, d’où cette gratuité que je trouve vraiment bienvenue si on exclut le fait que le peu de communication effectué à ce sujet a pour conséquence que beaucoup de gens ignorent son existence, y compris une passionnée de livres telle que Julie. « Si jamais tu ne peux pas te déplacer, la boite aux lettres à l’extérieur permet de rendre les livres dans les délais impartis et il est possible de réserver les livres que l’on souhaite emprunter sur notre site internet et de venir simplement les récupérer lorsqu’ils sont prêts. Tu peux également inscrire Julie aux activités qui l’intéresse sur le site, elles sont souvent gratuites pour les enfants, notamment les groupes de lecture du mercredi après-midi. » C’est un des moments que je préfère, parce que j’ai souvent la possibilité de me mettre dans la peau du personnage que j’anime pour raconter l’histoire que j’ai sélectionné. Voir toutes ces paires d’yeux braqués sur moi, attendant de connaitre la chute de l’histoire avec une grande impatience, c’est quelque chose dont j’aurais vraiment du mal à me passer à présent. Au début, je trouvais pourtant que la littérature jeunesse n’était pas la plus simple car elle me renvoyait à une période difficile de ma vie et que j’avais du mal à me comporter correctement avec les enfants, en adoptant un vocabulaire compréhensible par eux, par exemple, mais avec le temps, j’ai vraiment progressé de ce côté-là et j’en suis ravie. « Tu sais, il y a plein de moyens d’intéresser ton fils à la lecture si ça te tient à cœur, il y a les livres musicaux, les livres à énigmes, les livres où le lecteur influe lui-même sur le cours de l’histoire. Peut-être qu’il aimerait mieux si on lui faisait découvrir la lecture autrement. » Les auteurs regorgent d’imagination pour tenter d’intéresser le plus grand nombre et ça marche en général très bien. Je suis sûre que ce petit bonhomme ne fera pas exception à la règle. « Et je crois que personne ne peut te blâmer de ne pas avoir le temps de penser à tout, tu n’es pas surhumaine, personne ne l’est. » Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elle a vraiment l’air à bout. Elle semble pourtant bien entourée mais ça ne semble pas suffire et c’est très compréhensible. Je ne suis pas sûre de pouvoir faire grand-chose pour l’aider, mais j’aurais au moins aidé Julie et j’imagine que c’est un bon début.
i have always imagined that paradise will be a kind of library.
La belle bibliothécaire avait rapidement réussi à connaître les thématiques que Julie préférait en terme de lecture. Bien qu'elle n'aimait pas les romans à l'eau de rose pour le moment, sa mère se doutait bien qu'il viendrait un jour où elle se plongerait là-dedans sans trop de peine. Julie était une fillette curieuse. Elle avait des idées reçues, comme tout le monde, et elle se permettrait certainement un jour de bouquiner un de ces romans d'amour. Ce n'était pas Norah qui allait l'en empêcher, tout du moins. "Je vais déjà lire ce que vous avez." lui assura la petite, ne voulant pas fournir davantage de travail à Juliana en l'imposant de faire une commande de livres en plus de ce qu'elle avait déjà à faire au quotidien. "Et puis, il y a plein d'autres trucs chouettes à lire à côté de ça." dit-elle alors qu'elle mettait, sur une nouvelle pile, les livres qu'elle comptait emporter avec elle le jour même. En même temps, elle trouvait bien son aise pour discuter avec la brune, allant d'un sujet à un autre, dont le cadeau de Noël. L'infirmière n'était pas gênée d'être un peu occultée par leur conversation. Elle prenait même plutôt plaisir à voir sa fille s'animer ainsi d'excitation, à discuter de sa passion avec une femme qui était tout aussi passionnée qu'elle. Elle gardait sur elle un oeil attendri, se permettant parfois de décrocher quelques secondes. Elle ne revenait à la réalité que lorsqu'elle était surprise de ne pas être sollicitée d'une manière ou d'une autre. Quelques secondes de répit, en suspend. Ca ne lui permettait pas de faire le vide non plus, car au fond, ça la terrorisait de devoir être confrontée à sa propre solitude. Mais ça lui permettait une fraction de repos. Ce n'était pas grand chose, mais elle restait preneuse malgré tout. La bibliothécaire l'invitait à rejoindre un petit peu la conversation. "Je ne trouve pas ça mal placé." dit Norah avec sourire franc. Elle savait qu'Alfie et elle n'avaient pas d'enfants. Pourtant, le bel homme avait un très bon contact avec les enfants. Elle le savait proche de sa filleul et quand il avait eu l'opportunité de faire la connaissance de Julie et Aidan, c'était comme s'ils se connaissaient depuis des années. Le courant était très vite passé et les enfants s'y étaient déjà beaucoup attachés. "Je sais que c'est une chance d'avoir des enfants loin des écrans et on m'a déjà qualifiée de trop dure et trop stricte pour ça." Des remarques qui n'avaient pas atteints Norah, pas le moins du monde. Et ni Frank non plus, à l'époque. Ils avaient leur principe et il s'y étaient tenus, même si ce n'était pas facile tous les jours. "Je pense que s'ils prennent le pli quand ils sont petits, c'est plus simple par la suite. Ils sont toujours attirés par les écrans, mais par exemple, Aidan finit par s'en lasser tellement il ne tient pas en place. Et Julie, en général, à la fin de son film ou de son dessin animé, elle quitte l'écran d'elle-même." Il y avait ces quelques fois où l'extinction de la télévision était forcée pour certaines raisons. Et même si Julie approchait l'âge où l'on cherchait leur limite et celles de ses parents, elle n'avait jamais eu vraiment envie d'énerver sa mère. "Très différent, effectivement." confirma-t-elle lorsque Juliana parlait d'Aidan. En effet, leur personnalité n'avait que peu de points similaires, ce qui n'empêchaient apparemment pas de bien s'entendre. "J'adorerais avoir une petite réserve d'histoires sur les pirates." s'enthousiasma-t-elle. Curieux qu'Anabel et Aidan partagent ce même point d'intérêt. Cela amusait beaucoup Norah. "Il est encore un peu jeune pour que je le fasse regarder Pirates des Caraïbes, mais je le ferai passer par la case là, et il pourra compter sur moi pour regarder les films avec lui." L'infirmière laissa échapper un léger rire. A ses yeux, ces films (les trois premiers seulement, elle avait totalement occulté ceux qui avaient suivi) ne vieillissaient pas, elle ne se lassait pas de les regarder quand elle en avait l'occasion. Autant dire que cela faisait des années qu'elle ne les avait pas visionné en bonnue et due forme. Un emploi du temps chargé,un esprit tout aussi lourd de pensées que Juliana avait sensiblement allégé en précisant que la carte de la bibliothèque n'allait rien lui coûter. Dans un monde étant loin d'être gratuit dernièrement, c'était quasi inespéré. "C'est vraiment..." Norah ne trouvait pas les mots tant cela était un soulagement pour elle. "Génial." finit-elle par souffler avec un rire nerveux. "Je ferai en sorte quand même de l'emmener ici autant que possible, même si vous avez mis en place des moyens pour faciliter les vie des personnes qui viennent. Ca nous fera, à Julie et moi, une sortie, toutes les deux." Car c'était quelque chose que Norah tenait à faire, de temps en temps, autant pour Julie que pour Aidan. Des activités qui leur correspondent, leur permettant d'avoir un moment privilégié avec l'unique parent qui leur restait. "Maman, tu crois qu'on pourra venir à l'une des activités du mercredi ? Genre, si t'es du matin, on peut y aller quand tu as fini de travailler ? Ou je peux demander à Caelan de m'emmener, tu crois pas ?" L'infirmière passait ses doigts dans la chevelure douce de sa fille, la regardant avec affection. "Je me débrouillerais pour pouvoir t'y emmener." Au moins la première fois. Julie semblait déjà beaucoup tenir à ces activités et Norah avait la ferme intention de tout mettre en oeuvre pour que ça puisse coller à un quotidien déjà bien surchargé. Par on ne sait quelle raison (peut-être sa passion pour son travail), Juliana semblait s'être fixée comme objectif de trouver des ouvrages qui puissent convenir à Aidan, cette énergumène de quatre ans hyperactif, passionné de grandes aventures qu'il adorait s'imaginer quand il jouait dans le jardin. "J'avoue que je n'ai jamais vraiment cherché à l'intéresser aux livres, malgré son jeune âge. Depuis le début, il est plutôt du genre intrépide, à pointer son nez dehors qu'importe le temps qu'il puisse faire. Mais c'est vrai que les livres qui changent de ce qu'on peut voir d'habitude pourraient l'intéresser. Il a son propre monde imaginaire, je ne suis pas contre l'étoffer un peu par une histoire où il déciderait de son dénouement." Il était encore dans un âge où tous les rêves étaient possibles, où le Père Noël et la Tooth Fairy existaient encore. Certains parents préféraient les faire revenir à la réalité le plus tôt possible, dans l'espoir que la chute soit moins rude. Norah était plutôt du genre à stimuler cette fibre, se disant qu'il découvrirait de par lui-même la vérité le moment venu sans pour autant entacher les fabuleux souvenirs qu'il avait pu s'en faire. A Noël, l'infirmière s'amusait bien à imiter des traces de pattes de rennes à l'aide d'un pochoir et de paillettes afin de feindre du passage du Père de Noël et Rudolph de la nuit du 24 au 25 décembre. "Je pourrais l'amener la prochaine fois que nous viendrons ici. Tu ne devrais pas avoir trop de mal à capter son attention si tu viens avec des histoires de pirates ou des histoires d'aventures." dit-elle avec un léger rire. "D'habitude, il perd vite patience et se déconcentre vite quand une histoire le désintéresse, mais quand on met le doigt sur quelque chose qui l'intéresse, il est happé tout du long." Norah avait plutôt l'intention de l'inscrire à un sport dès qu'il était en âge d'en intégrer une. Elle avait beaucoup approfondi ses recherches dernièrement, dans l'espoir de trouver l'activité qui lui ressemblerait le plus, qui lui ferait à la fois plaisir et qui permettrait à cette petite pile électrique de se défouler en bonne et due forme. Les temps calmes seraient toujours de rigueur. "Des activités sont aussi proposées pour son âge ?" demanda-t-elle afin de se renseigner, se demander déjà comment elle pouvait s'organiser si cela était possible. Par cette conversation, Norah avait l'impression de s'ouvrir au monde, ou plutôt, d'en découvrir des aspects qui auraient pu l'aider depuis des années. Malgré l'impression persistante de trop empiéter dans la vie privée d'Alfie, elle appréciait cette sortie, en dehors du cercle infernal dans lequel elle tournait en rond depuis plus de trois ans.
Finalement, ce moment se passe à merveille et tout le stress que j’avais pu ressentir avant l’arrivée de Norah et Julie s’est finalement envolé pour laisser place à mon habituel enthousiasme lorsque la conversation tourne autour des livres. Cette passion ne m’a jamais quitté depuis l’enfance et je suis toujours très heureuse de pouvoir la partager, d’autant plus avec une fillette qui la partage et souhaite la développer au maximum. Je la laisse inspecter minutieusement la sélection de livre que j’ai préalablement effectuée pour elle tout en discutant avec sa mère que je commence réellement à apprécier. « C’est dommage de critiquer des mères qui font ce choix alors que les médecins mettent en garde tous les parents sur les dangers des écrans pour le développement de leurs enfants. » Encore une fois, n’étant pas maman moi-même, je ne peux pas critiquer les personnes qui ne parviennent pas à tenir leur progéniture loin des écrans parce que je ne peux qu’imaginer les difficultés du travail de parent, travail duquel on ne peut pas démissionner et qui n’autorise que rarement un jour de congé. Toutefois, je trouve sincèrement dommage que Norah soit critiquée pour ses choix alors que ceux-ci doivent justement lui demander de faire preuve de peut-être davantage de volonté que pour les personnes qui cèdent plus facilement. « J’imagine qu’il y a aussi des enfants qui sont plus attirés que d’autres par les écrans. Quand nous recevons des classes, on s’en rend vite compte, les enfants sont tous tellement différents. » Je repère toujours assez facilement les enfants qui sont facilement distraits, beaucoup moins concentrés, à relever la tête dès qu’ils perçoivent un mouvement ou entendent un murmure alors que d’autres pourraient rester plongés dans les pages qu’ils parcourent même si Brisbane était victime d’un tremblement de terre. Il y a aussi ceux qui préfèrent les bandes-dessinées, ceux qui sont attirés par les mangas, ceux qui ne choisissent un roman que parce que la couverture est attirante sans même lire la quatrième de couverture. Tous les enfants sont extrêmement différents et j’imagine que c’est aussi pour cela qu’il est impossible de juger une éducation parentale parce que même si nous pensons que nous n’aurions pas forcément fait pareil que telle ou telle personne, nous ne connaissons rien de ce que ces gens vivent au quotidien. J’imagine que je verrais bien ce que c’est le jour où ça m’arrivera, si ça m’arrive, bien entendu. Norah, elle, a l’air de savoir très bien ce que c’est que cette différence puisque son fils a l’air d’être à l’exacte opposé de Julie, la si passionnée et concentrée fillette qui n’a pas bougé d’un millimètre, semblant ne même pas entendre la discussion qui se déroule à quelques centimètres de ses oreilles. « Je peux te trouver ça. » Je suis incollable sur les histoires de pirates, merci Anabel, et si je peux de nouveau venir en aide à cette touchante famille, j’en serais ravie. Rendre service fait partie des valeurs que mon père a essayé de m’inculquer pendant les onze premières années de ma vie et ça me tient à cœur. Dans le cas présent, il s’agit en plus d’aider une personne à laquelle Alfie tient ce qui est encore plus important. « Ce sera une bonne excuse pour revoir les films, même si on n’a pas vraiment besoin d’excuse, ils sont tellement géniaux ! » Le fait que j’apprécie ces films ne veut en réalité rien dire sur leur qualité, je suis très bon public – Leonardo peut en témoigner – et je crois qu’il est difficile de me faire avoir une opinion négative sur un film, même s’il s’agit du pire navet. Heureusement pour moi, je suis nettement plus douée pour tout ce qui concerne la bibliothèque que pour les critiques cinématographiques et je suis ravie de pouvoir orienter Norah et Julie pour qu’elle découvre tout ce que ce lieu peut avoir à leur offrir. La jeune femme a l’air infiniment soulagée d’apprendre la gratuité de l’inscription qui est, en effet, une initiative plutôt intelligente de la part de la ville. « C’est une super idée de sortie. » Je confirme, avec un sourire, heureuse de pouvoir les aider à se retrouver un peu toutes les deux. Je n’ignore pas le drame qu’elles ont traversé et qu’elles traversent encore et je les trouve, l’une comme l’autre, particulièrement fortes. J’ai été à la place de Julie quelques années auparavant et si je me suis efforcée de garder les pieds sur terre, d’aller de l’avant et de conserver un sourire sur mes lèvres, j’ai infiniment souffert du décès de mon père. J’ai donc une affection particulière pour cette petite fille et si ce qui m’a aidé à l’époque peut lui venir en aide à elle aussi, alors c’est avec plaisir que je l’aide à prendre ce chemin. « Il y a différents horaires pour les activités et les inscriptions se font par séance et non pas de manière mensuelle ou annuelle, ça devrait vous permettre de vous organiser plus facilement. » L’inconvénient de cette pratique est qu’il est nécessaire de s’inscrire pour chaque session et un oubli peut priver quelqu’un d’une place pourtant convoitée. Beaucoup de nos adhérents ont déjà critiqué cette méthode, mais elle permet de s’adapter à ceux dont le planning n’est pas figé et je trouve donc cette méthode idéale pour le plus grand nombre. « Peut-être que ça ne l’intéressera pas, mais si tu veux tenter de le faire apprécier la lecture, ça vaut le coup d’essayer. » Je peux parfaitement concevoir que la lecture ne soit pas une passion universelle, mais les enfants sont curieux et intéressés par tout du moment qu’on prend la peine d’adapter l’activité à leur personnalité, je ne veux pas que Norah passe à côté de ça pour son fils, d’autant plus que, scolairement parlant, ça sera certainement bénéfique pour lui. « Capter son attention sera donc ma prochaine mission. » Que j’essaierais de relever brillamment bien que la tâche va certainement s’avérer compliquée. Le petit garçon a l’air plutôt réfractaire et je ne le connais pas du tout alors j’ignore comment je vais m’y prendre pour l’intéresser mais les informations données par Norah fournissent déjà une assez bonne base à exploiter. « On propose des activités à tous les enfants par tranche d’âge, à partir de six mois. On commence par les comptines et on évolue au fil des années pour s’adapter à leur développement. » J’ai toujours eu l’impression que les activités proposées plaisaient aux parents, j’espère que ce sera le cas aussi pour Norah, elle a l’air fatiguée et même si je n’ose évidemment pas aborder le sujet, j’espère pouvoir alléger un peu son quotidien en lui proposant mon aide.
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Pour les Lindley, les enfants n'étaient pas une évidence immédiate. Norah en voulait. Ayant grandi dans une fratrie nombreuse dans une atmosphère des plus aimantes et agréables, elle désirait être également être mère un jour. Elle ne savait pas quand, car elle voulait tout autant de profiter pleinement de sa vie de couple au maximum avant de se consacrer corps et âmes à des petits êtres dont Frank et elle auraient l'entière responsabilité. Frank était en revanche un tantinet plus frileux à ce sujet. De par ses horaires, ses impératifs, son quotidien. Il faisait partie de ces catégories d'hommes qui se révélait avoir des dons de paternité dès lors que la première grossesse de Norah fut annoncée, et confirmée lorsqu'il avait tenu sa fille dans les bras pour la première fois. Là, il n'avait plus aucun doute sur ses convictions et s'était trouvé presque stupide d'avoir autant de ceci. Juliana était également désireuse de devenir mère un jour, mais dans un futur indéterminé. De ses souvenirs, l'infirmière n'avait jamais entendu Alfie parler de ce genre de sujets. Ce n'était pas ce dont ils discutaient ensemble. Il avait pourtant un excellent contact avec ses enfants, mais cela ne signifiait pas pour autant qu'il désirait en avoir un avec qui il partagerait la moitié de sa génétique. Devinant une légère tension pour ce sujet, Norah échangeait un sourire sincère avec la bibliothèque, concluant alors ce sujet de conversation sans générer trop de malaise. Juliana se sentait bien plus dans son élément lorsqu'il s'agissait de discuter des activités de la bibliothèque dans laquelle elle travaillait. "Si jamais il y a un jour des séances qui tournent autour d'écrits médicaux ou des histoires de fantômes, c'est moi qui serais preneuse." admit Norah avec un sourire amusé. Deux sujets qui étaient aux extrêmes car le soin demandait à être très cartésien alors que croire aux fantômes faisait admettre qu'il y avait une part de magie en ce bas monde. Pourtant, c'est bien à l'hôpital que Norah avait entendu des histoires intéressantes. Aussi s'intéressait-elle beaucoup à son enrichissement professionnel, en terme de connaissances et d'actualisations du savoir qu'elle avait déjà acquis au fil des années. C'était ainsi que la pratique évoluait à ses yeux et elle jugeait les personnes qui se cantonnaient à leur savoir-faire sans se questionner. Les changements d'habitude étaient difficiles. Ayant noté la fascination qu'avait Julie pour les livres qui lui avaient été présentés, Juliana se permit de lancer une petite plaisanterie qui fit sourire son interlocutrice. "Ne lui donne pas ce genre d'idées, parce qu'elle serait la première à être partante sans même se poser de questions." précisa Norah. Julie commençait doucement à maîtriser le deuxième degré, en voulant adopter des attitudes des plus grands, mais elle conservait encore la naïveté d'une fillette de dix ans malgré tout. Parlant du loup, la petite lâchait un long soupir d'agacement en plaçant pour une énième fois une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille. Elle n'aimait pas être déconcentrée par quoi que ce soit dans ses lectures. Juliana acceptait elle volontiers le challenge de gagner l'intérêt d'Aidan, ce petit bonhomme de quatre ans qui ne manquait jamais d'énergie. Elle ramenait rapidement un prospectus où étaient répertoriées toutes les dates d'activités organisés. "Merci beaucoup. Vraiment." répétait Norah pour une énième fois, toujours avec cette même sincère reconnaissance, alors que la belle brune faisait tout son possible pour lui simplifier les formalités à réaliser. Norah ignorait dans quelles mesures Alfie l'avait informé sur son cas, ce qu'elle savait, ne savait pas, sur quels détails il avait préféré se pencher afin d'éviter le moindre faux pas. A dire vrai, elle n'avait aucune idée de comment il était dans ce cas-là. Songeant à cela, Norah se trouvait presque encore plus comme une intruse dans sa vie privée, bien qu'elle devait en savoir bien plus sur lui et lui bien plus sur elle que la plupart des personnes qui composaient leur entourage respectif. Leur bonne entente balayait peu à peu les appréhensions vraisemblablement partagées. Il suffisait de discuter de la passion évidente de Juliana pour dénouer leur nervosité. Elle jonglait également avec une sorte d'admiration de la relation que les mère et fille Lindley entretenaient au quotidien. "Nous le sommes." lui confirma Norah avec un sourire. "On l'était déjà avant..." tout ça. La belle brune n'avait jamais aimé terminer les phrases qui faisaient allusion à la disparition de Frank. Juliana devait bien le savoir. "Et ça nous a d'autant plus rapproché, je suppose." Norah ne s'était jamais posée de question à ce sujet, à évaluer à quelle point la relation avec ses enfants avaient changé. Il y avait des hauts et des bas, mais globalement, les Lindley restaient soudés. Les petits étaient faciles à vivre aussi. Etre seule adulte à la tête d'une famille n'avait rien de facile et si Norah laissait parler ce sentiment de solitude qui la hantait nuit et jour, elle aurait abandonné depuis bien longtemps. Comme pour tout le reste de son deuil, elle l'avait enfermé dans un coin de sa tête pour ne jamais laisser son mental l'occasion de gérer cette souffrance. Le retour du boomerang allait être invivable, parce que ça allait lui revenir en pleine face, c'était évident. La question, c'était quand. A se demander comment elle tenait le coup. "Rien ne t'empêche de renouer avec tes rêves." répondit Norah, après avoir appris que Juliana avait initialement ses ambitions placées ailleurs. "Ca ne te tenterait pas ?" lui demandait-elle, par curiosité. Peut-être qu'elle ne le voulait plus, peut-être qu'elle ne pouvait plus. Elle devait certainement s'identifier un petit peu en voyant Julie plongée dans ses livres, imperturbable. "Si jamais elle veut suivre cette voie, promis, je te tiens au courant pour un stage éventuel. Je pense que si elle vient régulièrement aux activités et venir chercher de nouveaux livres, tu n'auras même pas besoin de lui faire visiter les locaux tant elle les connaîtra déjà par coeur." dit-elle avec un léger rire. "Je suis pas certaine qu'elle ait déjà trouvé sa voie, mais elle a encore un peu de temps pour qu'elle trouve ce qui lui plaira le plus." Norah n'était vraiment pas du genre à imposer des filières dans laquelle elle voulait engager ses enfants. A ses yeux, ils avaient à établir eux-mêmes le projet professionnel et elle allait être là pour les guider dans la voie que chacun aura choisi. Elle avait particulièrement de voir dans quoi ils allaient s'intéresser, quoi qu'elle avait une certaine appréhension que l'un des deux désire suivre le même tracé que leur père. Elle ne supporterait pas perdre quelques d'autre dans les mêmes conditions que Frank. Songeuse, elle prit un certain temps à assimiler la dernière question que Juliana venait de lui poser. Elle avait eu une brève absence et esquissait un sourire avant de lui répondre. "Je suis infirmière." Il serait presque étonnant qu'Alfie ne l'ait pas précisé. "En service de réanimation. Mais je fais aussi pas mal de remplacements aux urgences en plus." Norah abusait-elle en terme d'heures supplémentaires les dernières semaines ? La réponse est oui. Est-ce qu'on a déjà essayé de le lui faire remarquer qu'elle ferait mieux de ralentire ou pas ? Réponse positive, là aussi. Mais elle n'écoutait pas, persuadée qu'elle était capable de tenir le coup malgré une fatigue qui se lisait de plus en plus sur son visage. Julie coupa leur conversation en venant demander. "Maman, tu veux bien me faire une natte s'il te plaît ? Mes cheveux me gêne, c'est ch... embêtant." Oui, la petite allait dire c'est chiant, sachant bien qu'elle devait faire des efforts sur son langage. Elle apprenait de bien drôles de mots à l'école dernièrement et Norah veillait à ce qu'elle les raye de son vocabulaire. Elle récupérait au fond de son sac un élastique qu'elle gardait habituellement pour elle et répondait à la demande de sa fille avec des gestes fluides, largement habituée à ce genre de pratique. Julie voulait gardait les cheveux longs, comme Maman. Pendant ce temps, Norah reprit la parole. "J'ai toujours aimé mon boulot, oui. D'autant que je me souvienne, j'ai toujours voulu devenir infirmière. Les conditions ne sont pas toujours faciles mais je travaille avec la même équipe depuis des années et ça tourne plutôt bien. Ce n'est pas le genre de service où l'on s'ennuie. Les types de pathologie que nous y traitons sont variés." On y accueillait des patients en phase aiguë ou étant en train de décompenser et qui nécessitaient des soins pointus et une surveillance constante. Le genre de prise en charge impossible d'un service où les soignants devaient gérer plusieurs dizaines de patients. Norah finissait par nouer l'élastique au bout de la tresse qu'elle venait de terminer et Julie n'attendait pas plus longtemps pour reprendre ses lectures. "Je ne me vois pas faire autre chose." concéda-t-elle. "Certains m'ont déjà sortis "Norah, tu devrais faire cadre", "Nono, deviens médecin". Oh que non. Très peu pour moi. J'en ai pas envie, et je n'ai de toute façon pas le temps pour reprendre des études." Elle secouait négativement la tête avec un léger rire. A force de discuter avec elle, Norah trouvait que Juliana avait un tempérament bien différent de son compagnon. Ils devaient se compléter, d'une façon ou d'une autre, c'était certain. Peut-être que Juliana était la personne qui parvenait à l'apaiser, peut-être qu'Alfie était la personne qui lui transmettait une partie de son énergie folle, peut-être les deux. Elle ne se doutait pas que leur couple battait de l'aile. Encore une fois, ce n'était pas le genre de sujets que Norah et Alfie abordaient. Peut-être par malaise, peut-être parce que le beau brun ne voulait pas lui faire rappeler, d'une façon ou d'une autre, l'amour qu'elle avait quand Frank était encore en vie, et qu'elle avait désormais perdu. "Mais toi, rien ne t'empêche de recommencer l'écriture, si ?" souleva Norah une nouvelle fois. "Tu devrais réessayer." suggéra-t-elle avec un sourire encourageant.
Dernière édition par Norah Lindley le Jeu 3 Oct 2019 - 18:43, édité 1 fois
La question qui tue : est-ce que je voudrais avoir des enfants un jour ? La réponse semble tellement évidente et pourtant elle est devenue si compliquée désormais et j’ai l’impression que quoi que je puisse dire, ce ne sera jamais bien. Comment pourrais-je affirmer que c’est primordial pour moi devant une amie d’Alfie qui a peut-être conscience que c’est loin d’être une priorité pour lui ? Est-ce que je dois mentir en disant que ce n’est pas quelque chose qui me tient à cœur ? Ou est-ce que je suis censée faire preuve de désinvolture en lui faisant croire que ça ne m’importe pas tant que ça et que je verrais bien ce que l’avenir me réserve ? Aucune de ces possibilités ne me convient, à dire vrai, et le sujet d’une future famille est devenu presque tabou alors que c’est pourtant une priorité absolue pour moi. « Oui, peut-être, mais ce n’est pas prévu dans l’immédiat. » Je finis tout de même pas répondre, sourire aux lèvres, adoptant un ton neutre alors que me rappeler que ce n’est pas prévu me déchire le cœur plus que je ne voudrais bien l’admettre. Je ne veux pas y repenser, ça ne sert à rien à part à me faire plus de mal encore. Voir Julie entretenir ce lien fusionnel avec une mère qu’elle couve du regard, guettant son approbation à chacune de ses demandes, est quelque chose de fabuleux à voir et j’aimerais tellement un jour être cette maman-là. Il serait sûrement délicat d’envier la place de Norah qui a vécu son lot de drame et ne doit probablement pas vivre la meilleure période de sa vie, mais malgré tout, c’est bien une pointe de jalousie que je ressens à ce moment-là, en observant cette relation complice que je n’aurais peut-être jamais.
Je me concentre sur la tâche que je dois accomplir aujourd’hui, au lieu de ruminer de sombres pensées et je fais du mieux que je peux pour être à la hauteur et apporter les conseils qui leur manquent pour exploiter tout le potentiel de cette bibliothèque. « Tu verras, il y en a beaucoup, tu devrais trouver ton bonheur, enfin le bonheur de Julie. Certaines sont ponctuelles aussi, ça dépend de nos intervenants et de nos partenariats. » Je crois que ça fait partie des choses que j’aime le plus dans mon métier, j’ai la possibilité de montrer que les livres peuvent être une base propice au développement de nombreuses passions, ils éveillent la curiosité, permettent de se cultiver et ouvrent la voie vers de nouveaux domaines de compétences et de nouvelles compétences. J’aime que des professionnels viennent en vanter les mérites et mettent directement en application les savoirs qu’ils renferment devant les yeux émerveillés de groupes composés d’enfants mais aussi d’adultes qui sont encore capables de se laisser subjuguer. Je suis une utopiste, je l’ai toujours été et j’ai l’impression que plus ma vie amoureuse part en lambeaux et plus j’ai besoin à me raccrocher à tout ce qui reste positif autour de moi. Au moins, je sais que les livres ne seront jamais une source de déception. « Julie a l’air très curieuse, en effet, je peux vous installer une tente et un sac de couchage aussi. » Je plaisante, avant d’apporter une précision à la petite fille. « La curiosité peut être une très belle qualité, tu sais. » Les gens qui en font preuve uniquement pour obtenir des potins et cracher sur le dos des uns et des autres sont ceux qui en ont fait un défaut mais à l’origine, faire preuve de curiosité prouve une certaine ouverture d’esprit et une soif de connaissance ce qui est très loin d’être négatif. J’espère que Julie en a parfaitement conscience. Parler de ma passion avec elle est très facile et le sera sans doute plus qu’avec son frère, mais j’aime me dire que je peux réussir à intéresser les plus réfractaires parce que c’est là où se trouve le vrai challenge. « Ne t’inquiètes pas, je vais tout faire pour qu’il m’adore ! » Ou en tout cas pour qu’il adore mes livres même si je suis sûre que ce petit charmeur me mènera par le bout du nez. Tant qu’il sort de cette bibliothèque avec des étoiles dans les yeux, même si moi je suis sur les rotules, ça n’a absolument aucune importance. « C’est vrai qu’on a de la chance de pouvoir proposer autant d’activités, il ne manque plus qu’à se faire connaitre davantage parce que tu ne dois pas être la seule à ignorer toutes les possibilités qui sont offertes. » La publicité, c’est vraiment ce qui nous fait défaut et c’est bien dommage. « Je reviens. » Et en quelques minutes, je suis de retour avec le petit dépliant explicitant les différentes activités mises en place dès la rentrée scolaire, les horaires, les modalités d’inscription et les différentes personnes à contacter en cas de question. « Si jamais vous décidez de participer, n’hésite pas à m’envoyer un message directement, je m’assurerais que vous soyez bien enregistrés. » Je veux sincèrement aider cette famille et je tiens à mener à bien la mission que m’a confié Alfie, il ne doit surtout pas avoir des raisons supplémentaires de me faire des reproches.
J’ai de la chance, en plus, le courant passe bien entre Norah et moi et c’est tout naturellement que le dialogue s’est installé entre nous. Aussi, je ne suis pas surprise que notre conversation devienne un peu plus personnelle et que nous ne gardions pas seulement Julie et ses livres – qui commencent à être bien triés d’ailleurs – comme seule ligne directrice. « J’adore oui, c’est une vraie passion pur moi et j’ai la chance de pouvoir passer mes journées à la partager. » Je n’ai pas eu la malchance de devoir effectuer un travail un peu barbant simplement pour ramener des sous à la maison. D’ailleurs, je n’aurais sûrement pas ce niveau de vie avec mon seul salaire relativement peu élevé si je ne partageais pas ma vie avec Alfie. Je fais ce que j’aime et je n’ai pas trop à me soucier de l’argent, j’aurais sûrement tort de me plaindre. « Vous avez l’air très proches, Julie et toi. » Je lui fais remarquer, à défaut de pouvoir lui dire à voix haute que j’admire ce qu’elle fait pour ses enfants et la force et le courage dont elle fait preuve après avoir vécu un drame. Mes mots ne seraient pas légitimes compte tenu du fait que nous nous rencontrons à peine et pourtant, il m’a suffi de l’entendre parler cet après-midi pour me rendre compte qu’elle avait réussi à mettre sa tristesse de côté pour l’épanouissement de ces deux petits êtres. C’est admirable. « J’ai commencé à m’intéresser aux livres parce que mon père m’en offrait beaucoup, c’est vraiment devenu une passion pour moi vers onze ou douze ans et j’ai su que je voulais travailler dans un domaine littéraire, en revanche je n’avais pas le terme de bibliothécaire précisément en tête. » Le décès de mon père m’a obligée à me raccrocher à cette passion qui me permettait de tenir debout et de continuer à avancer mais ce n’est pas quelque chose que je peux véritablement expliquer devant une petite fille qui a quasiment le même âge et qui a connu le même traumatisme. « A dire vrai, je voulais être écrivain au départ. » Passion que j’ai laissé de côté en privilégiant ma relation amoureuse qui a pris énormément de place dans ma vie. Vu la manière dont ça s’est terminé et le mal que j’ai eu à remonter la pente, je sais que je dois faire en sorte de ne pas trop me projeter à présent mais c’est plus facile à dire qu’à faire. « Si jamais elle a besoin de faire un stage un jour et que la bibliothèque l’intéresse, n’hésite pas ! » Nous n’avons jamais eu des stagiaires de niveau collège ou moins et il est encore tôt pour que Julie découvre le monde professionnel, mais dans quelques années, elle partira à la découverte du monde professionnel et j’espère que je serais encore là pour lui montrer toute la joie qu’on peut trouver dans cette métier. « Et toi ? Tu aimes ton travail ? Qu’est-ce que tu fais exactement ? » Nous ressemblons désormais davantage à deux amies qui prennent un café qu’à deux inconnues qui viennent de se rencontrer et c’est définitivement très agréable.
Code by Sleepy
Spoiler:
PARDON, j'avais pas vu que tu m'avais répondu, j'aurais pu te répondre il y a 1000 ans, trop désolée.
i have always imagined that paradise will be a kind of library.
Pour les Lindley, les enfants n'étaient pas une évidence immédiate. Norah en voulait. Ayant grandi dans une fratrie nombreuse dans une atmosphère des plus aimantes et agréables, elle désirait être également être mère un jour. Elle ne savait pas quand, car elle voulait tout autant de profiter pleinement de sa vie de couple au maximum avant de se consacrer corps et âmes à des petits êtres dont Frank et elle auraient l'entière responsabilité. Frank était en revanche un tantinet plus frileux à ce sujet. De par ses horaires, ses impératifs, son quotidien. Il faisait partie de ces catégories d'hommes qui se révélait avoir des dons de paternité dès lors que la première grossesse de Norah fut annoncée, et confirmée lorsqu'il avait tenu sa fille dans les bras pour la première fois. Là, il n'avait plus aucun doute sur ses convictions et s'était trouvé presque stupide d'avoir autant de ceci. Juliana était également désireuse de devenir mère un jour, mais dans un futur indéterminé. De ses souvenirs, l'infirmière n'avait jamais entendu Alfie parler de ce genre de sujets. Ce n'était pas ce dont ils discutaient ensemble. Il avait pourtant un excellent contact avec ses enfants, mais cela ne signifiait pas pour autant qu'il désirait en avoir un avec qui il partagerait la moitié de sa génétique. Devinant une légère tension pour ce sujet, Norah échangeait un sourire sincère avec la bibliothèque, concluant alors ce sujet de conversation sans générer trop de malaise. Juliana se sentait bien plus dans son élément lorsqu'il s'agissait de discuter des activités de la bibliothèque dans laquelle elle travaillait. "Si jamais il y a un jour des séances qui tournent autour d'écrits médicaux ou des histoires de fantômes, c'est moi qui serais preneuse." admit Norah avec un sourire amusé. Deux sujets qui étaient aux extrêmes car le soin demandait à être très cartésien alors que croire aux fantômes faisait admettre qu'il y avait une part de magie en ce bas monde. Pourtant, c'est bien à l'hôpital que Norah avait entendu des histoires intéressantes. Aussi s'intéressait-elle beaucoup à son enrichissement professionnel, en terme de connaissances et d'actualisations du savoir qu'elle avait déjà acquis au fil des années. C'était ainsi que la pratique évoluait à ses yeux et elle jugeait les personnes qui se cantonnaient à leur savoir-faire sans se questionner. Les changements d'habitude étaient difficiles. Ayant noté la fascination qu'avait Julie pour les livres qui lui avaient été présentés, Juliana se permit de lancer une petite plaisanterie qui fit sourire son interlocutrice. "Ne lui donne pas ce genre d'idées, parce qu'elle serait la première à être partante sans même se poser de questions." précisa Norah. Julie commençait doucement à maîtriser le deuxième degré, en voulant adopter des attitudes des plus grands, mais elle conservait encore la naïveté d'une fillette de dix ans malgré tout. Parlant du loup, la petite lâchait un long soupir d'agacement en plaçant pour une énième fois une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille. Elle n'aimait pas être déconcentrée par quoi que ce soit dans ses lectures. Juliana acceptait elle volontiers le challenge de gagner l'intérêt d'Aidan, ce petit bonhomme de quatre ans qui ne manquait jamais d'énergie. Elle ramenait rapidement un prospectus où étaient répertoriées toutes les dates d'activités organisés. "Merci beaucoup. Vraiment." répétait Norah pour une énième fois, toujours avec cette même sincère reconnaissance, alors que la belle brune faisait tout son possible pour lui simplifier les formalités à réaliser. Norah ignorait dans quelles mesures Alfie l'avait informé sur son cas, ce qu'elle savait, ne savait pas, sur quels détails il avait préféré se pencher afin d'éviter le moindre faux pas. A dire vrai, elle n'avait aucune idée de comment il était dans ce cas-là. Songeant à cela, Norah se trouvait presque encore plus comme une intruse dans sa vie privée, bien qu'elle devait en savoir bien plus sur lui et lui bien plus sur elle que la plupart des personnes qui composaient leur entourage respectif. Leur bonne entente balayait peu à peu les appréhensions vraisemblablement partagées. Il suffisait de discuter de la passion évidente de Juliana pour dénouer leur nervosité. Elle jonglait également avec une sorte d'admiration de la relation que les mère et fille Lindley entretenaient au quotidien. "Nous le sommes." lui confirma Norah avec un sourire. "On l'était déjà avant..." tout ça. La belle brune n'avait jamais aimé terminer les phrases qui faisaient allusion à la disparition de Frank. Juliana devait bien le savoir. "Et ça nous a d'autant plus rapproché, je suppose." Norah ne s'était jamais posée de question à ce sujet, à évaluer à quelle point la relation avec ses enfants avaient changé. Il y avait des hauts et des bas, mais globalement, les Lindley restaient soudés. Les petits étaient faciles à vivre aussi. Etre seule adulte à la tête d'une famille n'avait rien de facile et si Norah laissait parler ce sentiment de solitude qui la hantait nuit et jour, elle aurait abandonné depuis bien longtemps. Comme pour tout le reste de son deuil, elle l'avait enfermé dans un coin de sa tête pour ne jamais laisser son mental l'occasion de gérer cette souffrance. Le retour du boomerang allait être invivable, parce que ça allait lui revenir en pleine face, c'était évident. La question, c'était quand. A se demander comment elle tenait le coup. "Rien ne t'empêche de renouer avec tes rêves." répondit Norah, après avoir appris que Juliana avait initialement ses ambitions placées ailleurs. "Ca ne te tenterait pas ?" lui demandait-elle, par curiosité. Peut-être qu'elle ne le voulait plus, peut-être qu'elle ne pouvait plus. Elle devait certainement s'identifier un petit peu en voyant Julie plongée dans ses livres, imperturbable. "Si jamais elle veut suivre cette voie, promis, je te tiens au courant pour un stage éventuel. Je pense que si elle vient régulièrement aux activités et venir chercher de nouveaux livres, tu n'auras même pas besoin de lui faire visiter les locaux tant elle les connaîtra déjà par coeur." dit-elle avec un léger rire. "Je suis pas certaine qu'elle ait déjà trouvé sa voie, mais elle a encore un peu de temps pour qu'elle trouve ce qui lui plaira le plus." Norah n'était vraiment pas du genre à imposer des filières dans laquelle elle voulait engager ses enfants. A ses yeux, ils avaient à établir eux-mêmes le projet professionnel et elle allait être là pour les guider dans la voie que chacun aura choisi. Elle avait particulièrement de voir dans quoi ils allaient s'intéresser, quoi qu'elle avait une certaine appréhension que l'un des deux désire suivre le même tracé que leur père. Elle ne supporterait pas perdre quelques d'autre dans les mêmes conditions que Frank. Songeuse, elle prit un certain temps à assimiler la dernière question que Juliana venait de lui poser. Elle avait eu une brève absence et esquissait un sourire avant de lui répondre. "Je suis infirmière." Il serait presque étonnant qu'Alfie ne l'ait pas précisé. "En service de réanimation. Mais je fais aussi pas mal de remplacements aux urgences en plus." Norah abusait-elle en terme d'heures supplémentaires les dernières semaines ? La réponse est oui. Est-ce qu'on a déjà essayé de le lui faire remarquer qu'elle ferait mieux de ralentire ou pas ? Réponse positive, là aussi. Mais elle n'écoutait pas, persuadée qu'elle était capable de tenir le coup malgré une fatigue qui se lisait de plus en plus sur son visage. Julie coupa leur conversation en venant demander. "Maman, tu veux bien me faire une natte s'il te plaît ? Mes cheveux me gêne, c'est ch... embêtant." Oui, la petite allait dire c'est chiant, sachant bien qu'elle devait faire des efforts sur son langage. Elle apprenait de bien drôles de mots à l'école dernièrement et Norah veillait à ce qu'elle les raye de son vocabulaire. Elle récupérait au fond de son sac un élastique qu'elle gardait habituellement pour elle et répondait à la demande de sa fille avec des gestes fluides, largement habituée à ce genre de pratique. Julie voulait gardait les cheveux longs, comme Maman. Pendant ce temps, Norah reprit la parole. "J'ai toujours aimé mon boulot, oui. D'autant que je me souvienne, j'ai toujours voulu devenir infirmière. Les conditions ne sont pas toujours faciles mais je travaille avec la même équipe depuis des années et ça tourne plutôt bien. Ce n'est pas le genre de service où l'on s'ennuie. Les types de pathologie que nous y traitons sont variés." On y accueillait des patients en phase aiguë ou étant en train de décompenser et qui nécessitaient des soins pointus et une surveillance constante. Le genre de prise en charge impossible d'un service où les soignants devaient gérer plusieurs dizaines de patients. Norah finissait par nouer l'élastique au bout de la tresse qu'elle venait de terminer et Julie n'attendait pas plus longtemps pour reprendre ses lectures. "Je ne me vois pas faire autre chose." concéda-t-elle. "Certains m'ont déjà sortis "Norah, tu devrais faire cadre", "Nono, deviens médecin". Oh que non. Très peu pour moi. J'en ai pas envie, et je n'ai de toute façon pas le temps pour reprendre des études." Elle secouait négativement la tête avec un léger rire. A force de discuter avec elle, Norah trouvait que Juliana avait un tempérament bien différent de son compagnon. Ils devaient se compléter, d'une façon ou d'une autre, c'était certain. Peut-être que Juliana était la personne qui parvenait à l'apaiser, peut-être qu'Alfie était la personne qui lui transmettait une partie de son énergie folle, peut-être les deux. Elle ne se doutait pas que leur couple battait de l'aile. Encore une fois, ce n'était pas le genre de sujets que Norah et Alfie abordaient. Peut-être par malaise, peut-être parce que le beau brun ne voulait pas lui faire rappeler, d'une façon ou d'une autre, l'amour qu'elle avait quand Frank était encore en vie, et qu'elle avait désormais perdu. "Mais toi, rien ne t'empêche de recommencer l'écriture, si ?" souleva Norah une nouvelle fois. "Tu devrais réessayer." suggéra-t-elle avec un sourire encourageant.
Avoir la possibilité de passer des journées entière à partager ma passion est la raison pour laquelle j’apprécie autant mon travail et me retrouver en face de quelqu’un aussi réceptif que peuvent l’être Norah et sa fille rend ma journée encore plus agréable. Je crois les avoir convaincues que la bibliothèque pouvait leur offrir une source inépuisable de distractions et d’information et je suis certaine que cette visite ne sera pas la dernière. Je suis enthousiaste à l’idée de pouvoir aiguiller Julie dans cette passion si vaste qu’il est facile de s’y perdre et heureuse de pouvoir offrir à Norah un moment de détente dont elle semble avoir besoin si j’en crois ses traits tirés par une fatigue bien compréhensible. Son métier d’infirmière couplé à l’éducation de ses deux enfants qu’elle doit désormais gérer toute seule ne doivent pas lui permettre de passer beaucoup de temps à ne rien faire et je suis admirative de la joie de vivre qu’elle renvoie malgré les épreuves qu’elle traverse. Comme quoi, ce sont peut-être les personnes qui ont le plus de mauvais moments à passer qui arrivent le mieux à profiter des petits plaisirs de la vie parce qu’ils savent justement à quel point ils sont précieux. « C’est une bonne idée de sujet à traiter, je te laisserais participer en tant que professionnelle si on doit l’aborder un jour, je serais bien incapable de répondre aux questions qu’on pourrait poser. » J’ignore dans quelle branche exerce Norah, ni même si elle travaille exclusivement à l’hôpital, ou également en libéral, j’avoue ne pas avoir posé trop de questions sur le sujet à Alfie, mais nous avons l’habitude de laisser des experts présenter les sujets que nous ne maitrisons pas – et ils sont nombreux – et je suis certaine qu’elle ferait un carton si elle devait présenter son travail. Malgré tout, c’est sur le ton de la plaisanterie que je prononce ces mots car je sais qu’elle est déjà très occupée et je ne veux pas lui rajouter une charge supplémentaire en lui demandant son aide. Des infirmières ou des médecins avec un peu plus de temps libres et un quotidien moins lourd à gérer auront peut-être plus de possibilités qu’elle de se déplacer et je ne tiens pas à la mettre dans l’embarras.
C’est également la raison pour laquelle je ne parle pas du drame qu’elle a vécu. Si je suis au courant – dans les grandes lignes – de ce qu’elle a dû traverser, j’estime qu’il n’est pas nécessaire que j’aborde le sujet. Si j’avais eu à traverser cette épreuve, j’aurais sûrement eu envie qu’on me laisse tourner à la page à mon rythme au lieu d’aborder le sujet directement. D’ailleurs, la manière dont elle parle de son rapprochement avec ses enfants laisse entendre qu’elle n’a vraiment pas envie de se lancer là-dedans et je me félicite d’avoir su me taire au moment opportun. Je me contente donc de hocher la tête en souriant, touchée par la solidarité dont les trois membres restants de la famille Lindley ont su faire preuve. Egoïstement, j’aurais aimé que ma mère soit un peu plus comme Norah lorsque mon père nous a quittés au lieu de sombrer dans cette dépression dont elle n’est finalement jamais sortie. Si elle avait eu son courage, je n’aurais sûrement pas eu à gérer le quotidien et peut-être aurais-je eu le temps de traverser l’enfance et l’adolescence de la même manière que mes camarades et amis de l’époque. Je ne regrette pas celle que je suis devenue, je regrette seulement par moments d’être aussi incapable de lâcher prise parce que je ne me suis tellement pas autorisé à le faire plus jeune que je n’y arrive plus à présent. Je regrette d’avoir développé cette addiction pour le contrôle qui devient handicapante avec le temps parce qu’il n’est évidemment pas possible de tout contrôler et que je ne peux pas m’empêcher de vouloir le faire. Beaucoup d’actions qui pourraient sembler anodines pour le commun des mortels me demandent des efforts surhumains et si j’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un capable de m’apaiser et de m’épauler lorsque mes névroses deviennent trop contraignantes, je sais aussi que c’est un travail sur moi que je dois mener seule et qui va me demander encore beaucoup de temps et de patience. « Ils ont de la chance. » Je murmure, malgré tout, presque sans le vouloir mais avec beaucoup de sincérité. Ces enfants ont de la chance d’avoir une maman qui soit une battante, tout comme elle a de la chance d’être entouré par ces deux merveilles qui lui permettent de garder la tête hors de l’eau. J’imagine que ça ne doit pas être facile tous les jours mais elle s’en sort bien, vraiment très bien.
J’aimerais réussir à déployer une aussi grande énergie qu’elle pour mener ma vie. Parfois, je me rends compte que je laisse les choses se faire sans tenter d’influer sur ce que je considère comme étant mon destin. C’est nul de ma part parce que comme Norah le dit si bien, j’aurais pu renouer avec mes rêves depuis bien longtemps, je me suis simplement contentée de cette petite vie paisible qui me paraissait confortable à défaut d’être particulièrement enthousiasmante. Avoir Alfie à mes côtés semblait suffire à mon bonheur, mais je réalise de plus en plus que raisonner par rapport à quelqu’un d’autre plutôt que par moi-même est une erreur que je commets pour la deuxième fois. « Je ne sais pas vraiment. Ce serait excitant et effrayant à la fois. » Bien sûr que si ça me tenterait mais il y a tellement de paramètres à prendre en compte et une réflexion que je dois absolument avoir et que je n’ai pas vraiment envie d’exposer maintenant parce que ce serait beaucoup trop brouillon. Ma tête fourmille d’idées et, en vérité, mon projet est déjà en route, mais je ne me sens pas capable d’en parler maintenant avec Norah, j’aurais beaucoup trop peur du jugement que je pourrais recevoir en retour. J’espère qu’elle encouragera Julie à poursuivre ses rêves autant qu’elle m’y incite, moi, aujourd’hui. Beaucoup d’adultes recherchent la sécurité plutôt que le bonheur, j’en fais partie, et c’est sûrement un tort. J’espère que Julie s’autorisera à vivre ses rêves, quels qu’ils soient. « Elle est à l’âge où elle n’a pas encore ce choix crucial à faire, elle a de la chance de pouvoir en profiter. » Julie semble être une petite fille très intelligente et qui sait quelle direction elle doit prendre, j’espère malgré tout qu’elle va s’autoriser à faire des expériences diverses et variées pour trouver ce qui lui correspond le plus. Peut-être délaissera-t-elle les livres pour faire comme sa mère ? Norah a l’air d’être une passionnée et même si je connaissais déjà son domaine d’exercice, j’ignorais qu’elle travaillait en service de réanimation et ça ne doit pas être très facile tous les jours. « Tes horaires ne sont pas trop contraignants ? » Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours imaginé qu’être infirmière impliquait de se rendre disponible de jour comme de nuit ce qui doit être franchement épuisant. J’espère qu’elle prend du temps pour elle malgré tout mais ça n’a rien d’évident à mes yeux. « C’est un beau métier, je crois que j’aurais trop peur de trop m’attacher aux patients et de manquer d’objectivité. » Il faut avoir un mental d’acier, une bonne santé et une bonne forme physique et je suis admirative de la force qu’elle semble déployer pour gérer son activité. Je pense que sans en avoir la vocation, on ne peut pas être une bonne infirmière. « Ça ne t’est jamais arrivé, de te laisser un peu trop toucher ? » Est-ce une question indiscrète ? Je ne le pense pas, et j’espère ne pas me tromper. « Si tu es heureuse comme ça, tu n’as pas de raison de changer, de toute façon. » Et parce que je serais plus heureuse si je me remettais à écrire, je devrais sûrement y songer, moi aussi. « La peur, sans doute, mais tu as raison, rien ne m’en empêche. » Et au fond, je sais déjà quelle décision j’ai prise et j’ai bien l’intention de m’y tenir.
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S'il y avait bien une évidence qui avait sauté rapidement aux yeux de Norah, c'était bien de fonder une famille. Elle avait grandi dans une fratrie nombreuse, étant la seule représentation féminine des Leckie. Difficile pour elle d'imaginer comment était la vie d'un enfant unique et ne tenait pas vraiment à le savoir. La jeune femme n'envisageait pas non plus d'avoir de nombreux enfants, deux était son minimum syndical. Ce n'était pas de tout repos, loin de là, mais elle ne s'imaginait définitivement pas sa vie sans eux désormais. Elle aimait les appeler ses rayons de soleil. Il n'y avait pas un jour où ils lui souriaient et lui rappelaient qu'il était toujours possible d'être heureux en ce bas monde. L'énergie qui émanait de ces petits humains était plus que surprenante et leur mère avait su s'adapter à leurs besoins. Julie décuplait son imagination en restant plongée dans des romans divers et variés, Aidan avait le besoin constant de se dépenser et de construire son propre monde dans lequel il se voyait évoluer. Un jour il était le plus grands des pirates, un autre un astronaute qui visitait de nouvelles planètes, le suivant, il était ce cowboy intrépide à la conquête du Far West. La belle brune ne les empêchait pas d'être dans leur univers respectif, tant qu'ils respectaient les règles qu'elle imposait au quotidien. Elle n'était pas du genre à déterminer un chemin tout tracé qu'ils devaient impérativement suivre. Elle découvrait elle-même de nouvelles choses grâce à eux, tout comme la bibliothèque du quartier et les activités qui y étaient proposées. Selon les thèmes, cela pourrait même intéresser Norah elle-même. "J'ai quelques connaissances mais j'ai pas la prétention de me sentir capable de répondre aux questions qui peuvent être posées. Sauf si c'est exclusivement consacré aux soins infirmiers en tant que tel." répondit Norah, modeste. "On a un apport de connaissance théorique durant les études, et j'ai voulu faire une année supplémentaire pour me spécialiser. Mais, allez, 80% de ce qu'on sait, on l'apprend sur le tas. Les signes cliniques, ce pressentiment qu'on a quand un patient va se dégrader, etc." Pas que les infirmières devenaient peu à peu médecin, mais le développement de leurs connaissances et la proximité avec les soignés leur permettaient d'avoir une approche différente et essentielle à une prise en charge optimale. "Mais ce serait avec plaisir si je peux te filer un coup de main si jamais une des activités s'approche du secteur de la santé. Je te dois bien ça." répondit-elle, faisant référence à tous les services qu'elle proposait pour faire plaisir à Julie, et aussi pour décharger un peu Norah d'un quotidien pas toujours facile à organiser. Juliana semblait être particulièrement épanouie dans son métier bien que ce n'était pas son intention initiale. Elle avait l'air d'être le genre de jeunes femmes à avoir des rêves plein la tête. Depuis la mort de Frank, c'était une chose dont elle n'était plus capable et elle ressentait une certaine admiration aux personnes qui croisaient son chemin. La brune en faisait partie, et Norah lui proposait d'accorder une nouvelle chose à cette vocation. "Que tu penses que c'est effrayant montre, à mon sens, que tu as bien les pieds sur terre." Le sourire qu'avait Norah laissait comprendre que pour elle, c'était une bonne chose. "La seule chose que tu perdrais si tu te mettais à écrire, c'est ton temps. Tu as des revenus tous les mois grâce à un boulot qui te plaît, tu m'as l'air d'être bien entourée." Juliana ne risquait pas gros et elle avait pourtant toutes les chances de son côté pour être un jour peut-être publiée. "Pour ce que ça vaut, je te dirai directement de te lancer." Parce que la petite étincelle était toujours là, c'était évident. Ce qui l'empêchait de franchir le pas lui était inconnu. Souvent, c'était ne serait-ce que d'avoir une vie bien rangée, à perdre le côté fougueux et intrépide que l'on associait à une jeunesse encore innocente. Norah n'allait pas se risquer à le demander, cela pouvait être trop indiscret. Quoi qu'elle avait du mal à définir la limite entre les questions invasives et celles qui méritaient d'être posées. "Ca peut être un projet qui va durer des mois, des années. Mais si tu es convaincue que ça ne serait qu'une touche supplémentaire à ton épanouissement personnel, alors fonce." Elles ne pouvaient pas se considérer comme amie et si Juliana trouvait ses propos déplacés, la brune comprendrait et ne s'éterniserait pas dessus. La bibliothécaire espérait à côté de cela que Julie profite encore de sa jeunesse et de son innocence avant d'être confrontée au futur qu'elle allait devoir choisir. "Le jour où elle aura besoin d'aide pour l'aider à choisir sa voie, je pense qu'elle viendra d'elle-même en parler." La fillette était au moins aussi indépendante que sa mère. Elle n'aimait pas trop qu'on l'approche en étant persuadé qu'elle avait besoin d'aide, sinon le refus était systématique. C'était elle qui venait vers les autres quand elle le jugeait nécessaire. C'était subtil et pas toujours évident à jongler avec, mais sa mère avait fini par la comprendre. Celle-ci haussait les épaules en guise de première réponse à la question posée par la bibliothécaire. Si on n'aimait pas les horaires décalés, mieux vaut ne pas être infirmière. "Je m'y suis vite accommodée, ça ne me dérange pas plus que ça." lui répondit-elle. "Je peux pas dire que c'est ce qu'il y a de plus bénéfique pour une vie de famille, mais j'ai appris à palier avec. J'ai de la chance d'être bien entourée et d'avoir une nounou qui mériterait un trophée pour sa conciliation et la flexibilité de ses horaires." Sans elle, le quotidien de Norah n'en serait que plus compliqué. Déjà qu'elle se donnait beaucoup de mal pour garantir le meilleur pour ses enfants, quitte à mettre même sa propre santé de côté. "Et j'avais un mari qui était très mal placé pour faire des reproches sur les horaires étranges que je pouvais avoir à chaque fois parce que ce n'était pas franchement mieux de son côté. Mais je suppose que, d'un sens, le fait qu'on avait tous les deux des boulots avec des horaires décalés, ça avait permis d'avoir une sorte d'équilibre." Mais aussi surtout parce qu'ils s'aimaient éperdument et qu'ils préféraient largement surmonter ces difficultés ensemble plutôt que d'envisager une séparation. L'idée ne leur avait jamais effleuré l'esprit, d'ailleurs. "C'est sûr qu'il y a des patients qui m'ont touchés plus que d'autres. Ceux qui restent une éternité hospitalisés parce qu'ils enchaînent les complications, ceux qu'on revoit régulièrement et qui se dégradent de plus en plus." Bien que Norah avait souvent un visage neutre, voir las, elle n'était pas un robot. Certaines histoires l'atteignaient plus que d'autres, certaines affinités se créaient pour l'espace de quelques jours d'hospitalisation. Alfie était définitivement l'exception à la règle. Voilà quatre ans qu'ils se connaissaient par ce biais, mais c'était différent. "Je travaille en service de réanimation, on reçoit des patients dans des états graves. Suite à leur maladie, ou un accident. Des vies entières qui sont bouleversées en un claquement de doigts, alors forcément, il y a des situations qui ont fini par m'atteindre à en avoir la larme à l'oeil." Cela faisit partie du métier, qui faisait partie des plus humains de tous. "Pour ce qui est de l'objectivité... Disons que j'ai mon avis sur certaines choses, mais c'est pas moi qui vais faire la moral à ceux qui ne me rejoignent. Ils sont grands et plus ou moins vaccinés, à eux d'assumer derrière." Qu'ils fument, qu'ils se droguent, qu'ils aient un talent certain d'être la victime d'accidents improbables, Norah n'allait pas les juger pour ce qu'ils faisaient. Elle avait le devoir de faire de la prévention mais pour la plupart, ils avaient conscient des dangers de leurs pratiques. "Mon avis ne serait pas constructif pour eux. S'ils me le demandent, je le leur donne volontiers si ça les chante." Il lui était déjà arrivé d'avoir des débats des plus intéressants avec ses patients. "Mais s'il y a bien quelque chose qui me fait sortir de mes gonds, c'est bien quand on s'en prend physiquement ou verbalement à mes collègues. Ca c'est quelque chose qui ne passe pas et où je perds, sans états d'âme, mon objectivité." Mais certainement pas son sang-froid. Si la voix de Norah ne changeait que très rarement de volume et d'intonation, les mots parfois crues, mais respectueux, qu'elle pouvait employer en avait surpris plus d'un. Elle avait beau s'enflammer intérieurement, il n'y avait que l'éclat de son regard qui laissait deviner l'ampleur de sa contrariété. "Mais pour la plupart, je tire plutôt de belles expériences des patients avec qui je sympathise. Ils sont riches de leur vécu et c'est toujours très intéressant de confronter la réalité de certaines, de les comparer, de faire part d'expériences uniques. Ca m'apporte bien plus que ça ne peut me coûter. Toutes ces conversations... c'est une facette du métier que tout le monde a la fâcheuse tendance à oublier." admit-elle avec un sourire, aimant véritablement ces échanges avec ses patients. "Ils ont souvent plus de facilités à se confier à nous qu'à leur famille, pour plein de raisons différentes. Mais d'être une personne plus... externe à leur cercle habituel génère comme un canal facilité en terme de communication. C'est très enrichissant." Et une véritable relation se construisait autour de cela et rendait l'hospitalisation peut-être un peu plus agréable. Juliana avait gardé en tête la suggestion de Norah, que de reprendre l'écriture. L'idée semblait lui tarauder depuis plusieurs minutes déjà, car elle revint d'elle-même sur le sujet. "Est-ce que ça veut dire que tu vas t'y mettre ?" finit-elle par lui demander avec un sourire ravi. "Si jamais tu as besoin d'un premier avis, j'en connais une qui se porterait volontaire sans la moindre hésitation." ajouta-t-elle un peu plus bas en pointant discrètement sa fille du doigt, qui avait déjà commencé à lire le premier chapitre d'un des livres qu'elle avait sélectionné. "Je serai même prête à m'y mettre aussi si tu as besoin d'un avis plus... adulte." Norah laissait échapper un léger rire. Elle aimait aussi lire. Certainement pas autant que Julie, mais si lire quelques pages pour concilier la bibliothécaire dans sa décision de reprendre l'écriture, elle serait d'autant plus ravie de faire partie de ce chapitre là de sa vie.
Le temps passe mais Julie reste plongée dans les livres que j’ai présélectionnés, dévorant la quatrième de couverture avec une concentration qui me surprend pour son jeune âge mais qui me renvoie une nouvelle fois à la petite fille que j’étais à son âge. J’ai du mal à me souvenir si j’étais aussi assidue qu’elle mais j’arrive à me remémorer l’enthousiasme que je ressentais à chaque fois qu’on m’offrait un nouveau livre et que je pouvais découvrir le sujet dont il traitait par ce petit résumé qui me donnait envie de le dévorer en une nuit. D’ailleurs, pendant que beaucoup d’adolescents sortaient, faisaient la fête et s’amusaient, les seules nuits blanches que je m’autorisais étaient destinées à dévorer les nombreux livres dont je n’arrivais pas à décrocher malgré le manque de sommeil. J’aime me rendre compte que Norah aussi a l’air passionnée par son métier même si elle reste modeste en avouant ne pas tout savoir, j’imagine que c’est de toute façon impossible et que même en étant très investi dans son travail, avoir des connaissances poussées dans tous les domaines est impossible. « J’imagine que la théorie a des limites et pas uniquement dans le domaine médical mais ça donne de bonnes bases. » Ce n’est pas pour rien que les acquis d’expérience existent et qu’on a beaucoup à apprendre des personnes présentes à un poste depuis longtemps lorsqu’on débarque en tant que jeune recrue. J’imagine que, dans mon cas, le feeling est un peu moins important que dans le métier de Norah mais malgré tout, les études de textes et autres dissertations que j’ai pu avoir à rédiger durant toutes mes études me paraissent être un lointain souvenir et ne font pas du tout mon métier d’aujourd’hui. Malgré tout, tout ce travail m’a donné une manière d’appréhender les ouvrages que je dévore et une capacité d’analyse qui n’était pas aussi développée avant. « Tu ne me dois rien du tout, je te rassure, tu participeras seulement si ça te fait plaisir. » Bien sûr, je trouverais génial qu’elle puisse partager ses expériences, d’autant plus si elle le fait avant autant de cœur qu’à l’heure actuelle, mais j’ai bien conscience qu’elle a un emploi du temps chargé et je ne veux pas que Norah se sente redevable de quoi que ce soit. Je ne fais que mon métier et si je fais un peu plus de zèle que d’habitude c’est parce qu’il s’agit d’une amie d’Alfie et d’une petite fille à laquelle je n’ai aucun problème à m’identifier. Elle ne m’a rien demandé et je n’ai pas l’intention d’exiger quoi que ce soit en retour. En plus, elle m’aide déjà, finalement, en m’écoutant parler de mon désir d’écrire et en me poussant à faire ce qui m’a autrefois passionné. « Je pense que ce qui me fait le plus peur ce n’est pas de gaspiller du temps à écrire quelque chose qui tombera aux oubliettes mais plutôt de m’exposer à la critique et de me rendre compte que mon travail ne plait pas vraiment. Jusqu’ici, écrire était plutôt de l’ordre de l’utopie, je n’ai jamais eu à me demander si j’avais assez de talent pour le faire et je crois que je n’ai pas vraiment envie de savoir que ce n’est pas à ma portée. » C’est sûrement pour ça que me rêver écrivain est un fantasme qui devrait le rester, j’ai peur que ce rêve s’efface à tout jamais parce que je me rendrais compte que je ne peux pas l’accomplir, faute d’avoir les capacités nécessaires. En revanche, elle n’a pas tort, réussir à écrire quelque chose qui plait contribuerait nécessairement à mon épanouissement personnel en plus de me faire vraiment rebondir professionnellement. J’adore mon travail, mais il faut que j’aille de l’avant et que je ne me contente pas de faire la même chose toute ma vie, ce serait vraiment dommage. Malgré tout, je suis persuadée d’avoir trouvé ma voie et même si je ne peux pas écrire, ça ne m’empêchera pas de faire quelque chose qui me plait et heureusement ! J’espère que ce sera le cas aussi pour Julie mais elle a le temps de voir venir et Norah a l’air d’être sereine concernant les futurs choix professionnels de son ainée. « Tu sais ce que tu lui diras si elle devait vraiment venir te demander conseil ? J’imagine que c’est délicat d’avoir une opinion sur le sujet. » Evidemment, ça ne doit pas beaucoup la travailler parce que Julie est encore jeune mais je me demande quelle attitude j’aurais dans ce cas de figure. Doit-on faire preuve de soutien coûte que coûte concernant les choix de vie de son enfant ou faut-il être là pour tirer la sonnette d’alarme si besoin ? J’imagine que les deux sont importants et j’ai aucune chance d’être concernée par cette préoccupation alors je ne devrais pas trop me poser de questions. « C’est vrai que l’entourage doit être important et ça te permet d’être moins angoissée pour la gestion du quotidien, j’imagine que c’est un soulagement. » Rien de pire que d’avoir l’impression de devoir être constamment à deux endroits à la fois et je suis heureuse d’apprendre que Norah a pu compter sur les personnes importantes après l’événement qu’elle a vécu. Elle a certainement dû repenser toute son organisation différemment en plus de devoir rebondir psychologiquement. En plus, elle a pu continuer à exercer le métier qu’elle aime et ça, c’est admirable, beaucoup de femmes n’auraient pas supporté tous ces bouleversements et elle a l’air de gérer ça avec beaucoup de courage et une motivation sans limite. « Tu as des frères et sœurs ? » Je ne connais de Norah que ce qu’Alfie m’a dit à son sujet, à savoir comment ils se sont rencontrés, ce qu’elle fait dans la vie, qu’elle a deux enfants et qu’elle a perdu son mari, en revanche, au-delà de ça, elle reste une parfaite inconnue que je prends plaisir à découvrir comme le ferait n’importe quelle connaissance. Les liens se nouent facilement et maintenant que le dialogue est instauré il n’y a plus la moindre gêne entre nous. C’est vraiment un plaisir de l’entendre parler de son métier et de son expérience mais aussi de sa vie en générale, elle a une énergie que j’aimerais avoir moi aussi, peut-être que ça me pousserait à me dépasser davantage. « Tu es déjà restée en contact avec des patients après leur hospitalisation, du coup ? En dehors d’Alfie, je veux dire. Est-ce que tu arrives à prendre assez de recul pour les laisser partir quand ils s’en vont ou est-ce que parfois les liens que vous nouez sont assez forts pour que vous gardiez un lien ? » Je ne sais pas trop comment sa relation patient-soignant avec Alfie est devenue une relation amicale, je sais juste qu’il passe assez de temps à avoir des complications médicales pour faire pas mal d’allers et retours à l’hôpital – pour des broutilles très souvent, si on exclut certains cas dont je préfère ne pas me souvenir – et j’imagine qu’à force de se revoir, ça a suffi à créer une amitié. « C’est vrai que je ne me doutais pas que vous aviez de vraies conversations en-dehors du cadre médical, parce que c’est justement en parlant qu’on s’attache, ça doit être difficile de garder le recul nécessaire après avoir pris l’habitude de discuter longuement, non ? » Je ne sais pas pourquoi, je m’imaginais qu’il y avait une certaine distance entre l’infirmière et le patient et même entre le médecin et le patient, j’ai eu la chance de ne pas être confrontée à une situation me permettant de découvrir davantage le milieu médical et tant mieux pour moi. Cela dit, ce sont des choses qui m’intéressent et la manière dont Norah en parle est captivante. « Je comprends que les patients aient plus de facilité à se confier à vous, cela dit, ça fait parfois du bien de pouvoir libérer ce qu’on a sur le cœur en dehors de son entourage. » Cela dit, ça me ferait mal au cœur de savoir qu’un de mes proches préfère parler à un professionnel de santé plutôt qu’à moi. Est-ce que ça a été le cas d’Alfie ? Est-ce qu’il a profité de ses nombreuses hospitalisations pour dire les choses qu’il n’arrivait pas à me confier ? Je n’ai pas vraiment envie d’imaginer une chose pareille et j’ai bien conscience que poser la question à haute voix rendrait notre conversation très dérangeante, j’essaie donc de faire taire cette petite voix dans ma tête. Après tout, il n’y a rien de grave. Je préfère rebondir de nouveau sur mon futur livre encore hypothétique et tenter de me reconnecter avec la réalité. « A dire vrai, j’y pense déjà depuis un moment donc c’est probable et c’est très gentil, j’aurais besoin de plein d’avis et si Julie et toi êtes volontaires, ça me ferait plaisir de vous faire lire ce que j’écris lorsque j’aurais enfin fait quelque chose, en espérant que Julie n’ait pas gagné dix ans d’ici-là. » Il faut vraiment que je me bouge mais ce projet est tout en haut de ma to do liste alors ça devrait bien se passer. Je ressens une motivation que je n’avais jamais eu auparavant et le fait que je n’ai que des retours positifs à ce sujet me pousse encore plus à me lancer. Je rejoins Norah sur ce qu’elle disait précédemment, être bien entouré est essentiel et j’ai la chance de pouvoir compter sur mes proches.
i have always imagined that paradise will be a kind of library.
La bienveillance et la gentillesse de Juliana étaient d'une telle sincérité que Norah se disait que des personnes comme elle se faisait de plus en plus rare. Elle était adorable, abordable et d'une belle ouverture d'esprit. Toute une série de qualités que la brune appréciait beaucoup et qu'elle découvrait peu à peu au fil de leur conversation. Quelque part, Norah comprenait largement pourquoi Alfie en était follement amoureux, même s'il devait lui voir encore plus de qualités que son amie ne pourrait lui en deviner. Il était effectivement difficile de ne pas l'apprécier. "C'est exactement. Ce sont à mes yeux les éléments de base qui nous permettent de comprendre tout le reste. Comme un outil, en somme." Une vision peut-être un tantinet pragmatique et simpliste mais c'était ainsi qu'elle percevait les choses. Juliana lui avait proposé d'être l'actrice d'une intervention à la bibliothèque si elle relevait du domaine médical. Modestement, l'infirmière avait rappelé que ses connaissances médicales étaient un peu limitées comparé à un médecin ayant dépassé la décennie d'études supérieures. La bibliothécaire clarifiait rapidement les choses en lui précisant que Norah ne lui devait rien, qu'elle n'avait pas à se sentir obligée de donner quoi que ce soit en retour du temps qu'elle consacrait à Julie. Norah lui fit un énième sourire reconnaissant. Elle souhaitait malgré tout apporter un peu de son aide également, mais sur un tout autre aspect. Elle avait bien compris que Juliana avait un rêve enfoui qu'elle avait du laisser de côté pour mettre en avant sa vie d'adultes. Les responsabilités, ce genre de choses. Penser raisonnablement. "Tu es une passionnée. Ca crève les yeux." lui dit-elle avec un regard complice et pétillante. "Je veux dire, rien que là, tu t'es donnée corps et âme pour trouver des livres susceptibles de plaire à Julie. Tu t'es donnée du temps pour ça, beaucoup de temps. Je me doute bien que ça doit être d'un compliqué de sélectionner quelques dizaines de livres parmi des centaines. Et en voyant ça, je me dis que ce que ton ressenti vis-à-vis de l'écriture, ça doit être au centuple." Seulement, c'était refoulé, enfoui quelque part en elle, mais leur discussion avait permis à ce désir de refaire peu à peu surface. Du moins, désormais, l'idée semblait à nouveau la tarauder. Norah préférait laisser Juliana faire mûrir ce projet sur le point d'éclore d'elle-même. Comme une technique qu'elle avait employé avec Alfie alors qu'il était incontrôlable : elle le laissait se reconditionner toute seule, se calmer de lui-même. Elle avait juste poser les choses, rien de plus. Elle utilisait plutôt la même méthode avec sa moitié : elle implantait la graine et elle la regardait germer. Ca prenait ou ça ne prenait pas, ça, Norah le découvrirait plus tard. Pendant ce temps, Juliana se faisait particulièrement curieuse sur la manière dont Norah se comportait avec ses enfants, se penchant plus particulièrement sur le jour où Julie se tournerait vers elle pour discuter de son futur. "Je suis pas là pour donner mon opinion. Je veux pas chercher à influencer ses choix, parce que c'est ce qu'il se passe quand on donne son avis. Je ne le donne que lorsqu'on me le demande." Norah se permettait un temps de réflexion pour trouver les mots décrivant le fond de sa pensée. "Je lui dirai de se tourner vers le domaine qui lu plaît le plus. Je suis pas du genre à penser que l'argent doit être la motivation première quand on veut trouver sa voie. C'est pas mon cas, et comme Julie est, je doute que ça le soit. Je veux simplement qu'elle soit heureuse dans ce qu'elle fait, c'est tout. Pas qu'elle s'enferme dans un mal-être insupportable en se réveillant tous les jours, avoir la boule au ventre dès qu'elle songe à devoir y aller." Ce genre de spirales étaient infernales et il était difficile d'en sortir. Norah ne supporterait pas de voir ses enfants souffrir de cette façon. "Si un jour elle se pointe en me disant "Maman, je veux bibliothécaire comme Juliana.", je lui dirai que si c'est ce qu'elle a vraiment envie de faire, alors go, on y va. Et de deux, je serai même pas surprise qu'elle me dise ça dès qu'on aura mis le pied à l'extérieur tout à l'heure." dit-elle avec un rire amusé. "Je veux pas les conditionner à s'orienter dans un domaine particulier, sous prétexte que c'est un secteur qui embauche ou qui rapporte. Et j'aurai jamais la prétention de dire que je sais mieux que quiconque ce qui est le mieux pour eux. C'est avant tout eux qui le savent pour eux-mêmes. Sauf s'ils veulent devenir des cambrioleurs ou des terroristes, là, ils entendront clairement parler de moi." dit-elle avec une pointe d'exagération, se doutant bien qu'ils ne s'orienteraient pas cette voie-là (du moins, elle l'espérait). "Ca reste mon rôle de les aider, des les guider dans la voie qu'ils choisissent afin d'assurer qu'ils ne se cassent pas la binette en cours de route. Et si c'est le cas, c'est à moi de les aider à se relever." Norah avait sa propre vision en matière d'éducation. Globalement, elle l'avait partagé avec Frank même s'ils avaient quelques différends par moment. Dans ces cas-là, ils faisaient en sorte de régler leur compte loin de la vue et des oreilles de leurs enfants (et ça finissait régulièrement en réconciliation sur l'oreiller). Dans la prise en charge de ses enfants, Norah n'était pas seule. Elle était chanceuse. Beaucoup de mères célibataires se retrouvaient facilement isolées car il leur était difficile de joindre les deux bouts et de préserver des relations extérieures à son cadre familial. "Je suis quelqu'un qui aime savoir me débrouiller seule, ça m'a pris du temps d'accepter d'avoir de l'aide et de reconnaître que j'en avais besoin." Dans l'esprit de Norah, il fallait qu'elle arrive à se débrouiller seule. C'était toujours le cas et elle commençait à saturer sans qu'elle ne veuille l'accepter, ce qui allait finir par lui coûter particulièrement cher. Les personnes qui étaient le plus proches l'avaient bien remarqué mais ils savaient qu'ils feraient face à un mur si on lui faisait une remarque sauf si le sujet émanait initialement d'elle. "Que des frères." lui répondit-elle. "J'ai un frère jumeau, qui se vante d'être aussi un grand frère comme il est né avant moi, et deux frères aînés." Les Leckie n'avaient certainement pas prévu d'avoir des jumeaux pour clore la fratrie et ça n'avait pas été facile tous les jours, mais la famille n'en est ressortie que plus soudée. "C'est surtout mon jumeau qui m'aide, et l'ancien coéquipier de mon mari." Caelan réagissait au quart de tour quand sa soeur le sollicitait, et Anwar faisait également de son mieux pour se débrouiller de passer autant que possible afin s'assurer qu'elle ne se laisse pas dépérir au détriment des enfants. Norah ne se trouvait pas courageuse, ni meilleure que les autres. Elle faisait ce qu'elle avait à faire et ça s'arrêtait là. La belle brune était curieuse de savoir si elle avait d'autres affinités avec des patients, comme ce fut le cas avec Alfie. "Il y en a toujours qui reviennent faire un coucou quand ils sont remis de leurs blessures ou de leur maladie. Rien que pour nous dire qu'ils vont bien, ou venir ramener des gourmandises pour être sûrs qu'on ne finisse pas par mourir de faim." dit-elle avec un rire. "Je garde de bons souvenirs de ces personnes là. Je veux dire, ça fait toujours du bien de voir ... qu'ils vont bien. Une fois qu'ils ne sont plus dans un état critique, ils sont transférés dans un service plus léger et on a des nouvelles que très rarement." Leurs visites lui mettaient toujours du baume au coeur, cela ponctuait un quotidien pas toujours évident. Norah était toujours touchée de voir des patients débarquer sans avoir à être allongé dans un lit d'hôpital. Une action des plus humbles et humanisantes à ses yeux. "Alfie est l'exception à la règle." admit-elle. "Je n'ai pas pour habitude de me lier d'amitié avec les patients. Il est le seul, d'ailleurs." Pourtant, au tout début, rien ne laissait présager qu'ils allaient devenir proches. Il avait été un patient infâme et elle la soignante qui ne se laissait pas marcher sur les pieds alors qu'il la traitait de tous les noms d'oiseaux possibles et imaginables. "Et c'est mieux qu'il reste le seul que j'ai d'abord connu comme patient, puis comme ami. On met déjà assez de notre personne dans ce métier pour s'investir autant personnellement sur chaque personne qu'on rencontre." Ils perdaient déjà assez de plumes comme ça. Certains soignants voulaient tellement se protéger qu'ils pouvaient devenir froids, distants vis-à-vis des patients. Un des nombreux mécanismes que leur inconscient disposaient afin de ne pas perdre totalement la raison devant des traumatismes rencontrés au quotidien. Norah ne l'était pas avec ses patients mais il lui arrivait d'être moins tolérante vis-à-vis de l'incompétence de certains de ses collègues. Elle n'avait pas la prétention de dire qu'elle était meilleure qu'eux, mais elle savait qu'elle ne faisait pas d'erreurs aussi bêtes que ce qu'elle avait déjà vu en reprenant le flambeau du service. "Ca nous a pris un sacré bout de temps à... dire qu'on est amis." Norah pensait que même encore aujourd'hui, ils avaient encore du mal à se voir comme étant autre chose qu'un patient et une soignante qui s'entendaient extrêmement bien. Il y avait certaines sphères de leur vie privée qu'ils ne se permettraient pas d'envahir. Alfie ne se permettrait jamais de poser de questions sur Frank tout comme Norah n'aurait jamais fait sa trop curieuse au sujet de Juliana. Il s'avérait que les deux femmes aient enfin fait connaissance et qu'elles s'entendaient plutôt bien, durant cette première approche. "Après, ce ne sont pas forcément des sujets... trop personnels. Je veux dire, celui qui a besoin de parler de ses problèmes de famille en parlera, mais il ne s'épanchera jamais sur les détails et ne confiera pas tout non plus. Ils auront plus de facilités à discuter avec moi par exemple, au sujet de la maladie, de l'accident, de l'impact que ça aura sur leur vie. Ils parleront du regard des proches, du ressenti vécu vis-à-vis de leur attitude. Il arrive que ça les père bien plus que leur hospitalisation elle-même. Mais ils ne viendront jamais me parler de leur vie amoureuse dans le détail, sauf si c'est un Don Juan en puissance qui rêve de se faire une infirmière tant il s'est laissé charmer par tous les stéréotypes du métier et dans ces cas-là, je les envoie se faire paître en bonne et due forme." Des avances, Norah en avait eu. Certains étaient même particulièrement osés. Elle ne les qualifierait pas d'audacieux non plus, cela dit. Loin de là. Alfie ne lui avait parlé que très peu de sa vie amoureuse depuis qu'il était avec la belle brune. Norah connaissait son nom et le fait qu'il en était follement amoureux, mais rien de plus. Juliana semblait être restée sur l'idée de commencer à écrire son libre, pour la plus grande satisfactio de son interlocutrice. "Tu pourras compter sur nous sans problème." lui assura-t-elle avec un sourire confiant. "Et si tu as un coup de mou, tu sais vers qui te tourner si tu as besoin d'être un petit peu boostée." Elle se demandait quelle était la position d'Alfie à ce sujet aussi, ne parvenant pas à supposer ce qu'il en penserait. "Ce serait plutôt un roman pour les jeunes ? Pour les tout petits ou pour les plus grands ?" lui demanda-t-elle, curieuse de savoir si elle avait déjà une idée de ce qu'elle voudrait aborder, un thème, une envie, une source d'inspiration. "Que ce soit demain, la semaine prochaine ou dans dix ans comme tu dis, on restera volontaires pour lire les chapitres que tu nous laisseras lire." lui assura-t-elle. Juliana n'avait plus qu'à prendre son courage à deux mains et se lancer. Il devait y avoir l'appréhension de la page blanche, une perte d'espoir face au travail qui l'attendait, mais Norah restait persuadée qu'elle y parviendrait. Elles se connaissaient à peine, mais elle savait déjà que Juliana avait toute la détermination pour réaliser son rêve.
Dernière édition par Norah Lindley le Jeu 14 Nov 2019 - 11:24, édité 2 fois