Norah a parfaitement raison, je suis une passionnée, j’aime les livres et tout ce qui s’y rattache et j’ai la chance d’avoir pu mêler profession et passion ce qui n’est pas donné à tout le monde. Je suis heureuse qu’elle se rende compte de mon amour pour les livres et surtout qu’elle ne s’en amuse pas, j’ai pris l’habitude dans mon adolescence qu’on me prenne pour une utopiste ou pour l’intello constamment plongée dans ses bouquins comme si la lecture avait toujours été synonyme d’introversion de d’une certaine incapacité à fuir toute vie sociale. Norah ne le voit pas comme ça, certainement parce que les années ont passé, mais je lui en suis reconnaissante malgré tout. « C’était important pour moi de le faire, j’ai eu la chance de tomber sur quelqu’un qui a pris du temps pour moi lorsque j’avais l’âge de Julie et ça m’a beaucoup apportée, alors si je peux faire quelque chose de bien à mon tour, c’est avec plaisir. » J’ai eu la chance de pouvoir faire de ma bibliothèque ma deuxième maison, le lieu où je pouvais oublier ce drame familial qui avait ravagé notre quotidien et supprimé toute bonne humeur de notre foyer. J’ai aimé trouver du réconfort auprès de la bibliothécaire qui m’a toujours traitée avec une bienveillance que j’avais du mal à trouver ailleurs ou à laquelle j’étais indifférente lorsqu’elle était motivée par une compassion forcée par la situation. Alors, certes, Julie n’est pas moi et heureusement pour elle sa mère a l’air de surmonter cette épreuve avec bien plus de force que la mienne mais si je peux lui apporter quelque chose en plus en l’aidant à vivre au mieux sa passion, alors mon travail aura été une réussite. « Parfois, ce n’est pas une mauvaise chose de se laisser influencer, ça peut éviter de commettre des erreurs. » Je suis bien d’accord que conserver son libre arbitre est important mais dans certains cas obtenir de l’aide d’une personne qui a un peu plus de recul sur les événements est une bonne chose. Je commence presque à comprendre pourquoi certains patients se confient à Norah plutôt qu’à leurs proches en cas de problème, peut-être que c’est plus facile de ne pas s’exposer aux jugements des personnes qui se sentiraient trop impliquées. En tout cas, ils ont de la chance s’ils obtiennent ses conseils, elle a l’air d’être une bonne personne et l’amour qu’elle porte à sa fille le prouve. « Je suis sûre qu’elle le sera. » Je vois mal comment une petite fille aussi bien entourée que Julie pourrait ne pas devenir une femme épanouie à l’avenir. J’espère qu’elle se rendra compte de la chance qu’elle a et de la force que ce petit cocon lui donne. J’ai l’impression qu’elle en a parfaitement conscience, elle a l’air d’avoir une grande maturité pour son jeune âge mais elle l’a peut-être obtenue par la force des choses comme moi plusieurs années auparavant lorsque j’ai dû porter sur mes épaules un fardeau qu’un enfant ne devrait jamais avoir. « Ce serait bien la première fois que ma place est convoitée. » Je plaisante, songeant à tous les rêves d’enfants qui se tournent la plupart du temps vers chevalier, princesse, licorne ou astronaute plutôt que vers une profession comme la mienne. Malgré tout, je trouverais ça génial que mon métier puisse soit assez bien pour être considéré comme un rêve de gamin. En tout cas, c’était mon rêve à moi, ou presque, mais ça ne m’a pas forcément donné l’indépendance dont semble si fière Norah. J’ai du mal à m’imaginer seule alors que je l’ai pourtant été pendant longtemps et bien que je sois consciente d’être parfaitement capable de subvenir à mes besoins. « Je comprends, c’est toujours rassurant de se dire qu’on a besoin de personne, même si ce n’est jamais vrai. » Tout le monde a besoin d’être entouré et ça ne veut pas dire qu’elle n’est pas capable de subvenir seule à ses besoins et à ses enfants. Elle a la chance d’avoir une ou plusieurs épaules sur lesquelles se reposer et elle a raison d’en profiter. « Ce n’est pas faire preuve de faiblesse que de reconnaitre que ça fait du bien d’avoir un peu de soutien. » Norah a l’air de tout sauf d’une femme faible, de toute façon, et quiconque dirait le contraire aurait de sérieux problèmes. J’espère qu’elle n’est pas trop dure avec elle-même lorsque la fatigue est trop grande et que sa patience est mise à rude épreuve, elle est incroyable et je suis certaine qu’elle ne s’en rend absolument pas compte. Sa force de caractère ne m’étonne pas, entourée de tous ces frères, elle a dû affirmer son caractère pour ne pas se faire écraser. « Vous êtes une grande famille. » Je remarque, retrouvant forcément des similitudes avec ma propre fratrie qui était elle aussi plutôt conséquente. « Quand j’étais plus jeune, je rêvais d’avoir un grand-frère ou une grande-sœur moi aussi, et j’avais du mal à comprendre pourquoi ce n’était pas possible. » Je souris à l’évocation de ce souvenir et des longues discussions tenues avec mes parents à ce sujet. Pourtant, encore aujourd’hui, je me dis que les choses auraient été différentes si j’avais vraiment eu un frère, ou une sœur, plus âgé que moi parce que je n’aurais pas eu à porter seule le poids de ma famille. Les choses auraient été différentes et je ne sais pas vraiment où j’en serais aujourd’hui. « C’est génial et ça doit vous prouver que vous faites du bon travail. » J’imagine que voir les patients en bonne santé et ayant repris une vie heureuse après les avoir vus très mal doit être extrêmement réconfortant et d’une grande aide pour affronter un quotidien parfois difficile. Malgré tout, je ne connais rien au métier d’infirmière et l’idée que je m’en fais est sûrement bourrée de clichés plus ou moins réalistes. « C’est sans doute plus difficile de ne pas se lier avec les habitués. » Je rétorque, sur le ton de la plaisanterie alors qu’elle m’avoue qu’Alfie est le seul patient avec lequel elle s’est véritablement liée. En revanche, je fronce les sourcils lorsqu’elle poursuit, expliquant la difficulté qu’elle a eu à instaurer cette amitié avec mon petit-ami. J’hésite, pendant un instant, à demander davantage de précisions mais parce que je me suis déjà montrée trop intrusive par le passé en posant des questions auxquelles il aurait dû avoir le droit de me répondre en priorité, je m’abstiens, laissant en suspens toutes les interrogations que je pourrais avoir. « Je vois, j’imagine que c’est bien plus simple de se confier à quelqu’un dont c’est le métier et qui s’y connait réellement sur le sujet. » D’autant plus qu’il doit y avoir des choses trop intimes ou trop effrayantes pour qu’on ait envie d’en informer nos proches. Je n’ai jamais été dans cette situation, par chance, mais je crois que moi aussi j’aurais besoin de me reposer sur le corps médical si j’étais dans un état de détresse lié au traumatisme que j’avais vécu. « Tu te fais souvent draguer sur ton lieu de travail ? » J’imagine que ça doit arriver dans toutes les professions mais encore plus dans celles où les stéréotypes ont la vie dure. Je trouve ça déplorable, bien sûr, mais on ne peut malheureusement pas changer les gens. En revanche, moi, je peux essayer de changer mon avenir en essayant de faire renaitre cette passion que j’ai mis au placard pendant trop longtemps. « Merci, ça me touche beaucoup. » L’intérêt de Norah pour mon travail et son envie d’être là pour moi et de me venir en aide alors que nous venons à peine de nous rencontrer me va droit au cœur. Le monde serait bien plus beau avec plus de personnes avec un aussi grand cœur. « La littérature jeunesse m’attire plus que les romans pour adultes parce que je m’y connais davantage, mais je viserais sûrement une tranche d’âge pas trop basse pour que l’écriture ait tout de même une place importante. Les livres pour les très jeunes enfants ont surtout besoin de bons illustrateurs plutôt que de bons écrivains. » Non pas que je sois douée pour ça mais si je dois rédiger un livre, j’aimerais que ce soit mon travail et pas celui d’un excellent dessinateur qui rendrait très peu importante ma plume. « Je sais que j’aurais le courage de me lancer un jour. Bientôt. » J’ai mes idées, il me suffit de les écrire sur le papier et c’est là que ça devient compliqué parce que concrétiser une simple idée n’est jamais aussi simple qu’on l’imagine. Malgré tout, je commence réellement à croire en moi et à mes capacités. J’y arriverais.
i have always imagined that paradise will be a kind of library.
Peut-être que Julie et Juliana, en plus des deux premières syllabes de leur prénom, partageaient bien plus de points communs que Norah n'aurait pu l'imaginer. Si bien que la bibliothécaire s'identifiait sans trop de difficultés à la fillette. Plongée dans les livres à se créer son propre monde. Mais Norah ne pensait pas qu'elle se protégeait du quotidien. Peut-être avait-elle, mais elle avait surtout un manque à combler suite à la disparition de Frank, et c'était dans les livres qu'elle s'était plongée pour y palier. Sa mère n'allait certainement pas l'en empêcher. Au contraire, elle adorait la voir s'y retrouver dans un hobby qui devenait une véritable passion. Elle pouvait dévorer des livres en quelques jours seulement. Et Juliana semblait ressentir une certaine fierté à pouvoir épauler la petite dans cette voie, à faire la rencontre d'une mini-elle qui était au moins aussi intéressée qu'elle par les histoires inventées par cette foule d'auteurs. "Tu fais quelque chose de bien, là." lui assura l'infirmière avec un sourire véritablement sincère. "Ce n'est pour toi peut-être qu'un premier jet de livres que tu lui proposes pour mieux cerner ce qu'elle préfère – et tu as apparemment vu juste en un essai –, mais je peux déjà te dire que ça lui apporte énormément." La concentration évidente de Julie en disait long. Si elle était désintéressée, elle se serait manifestée depuis bien longtemps (et pas toujours de la manière la plus délicate qui soit, mais Norah travaillait dur pour corriger ses petites dérives de vocabulaire). "Je pense que tu viens de lui offrir sa propre notion du paradis." Un air amusé apparaissait quelques secondes sur son visage. Celui-ci n'était pas totalement hermétique aux émotions ressenties par la jeune femme, mais elle n'avait jamais été des plus expressives. Elle avait toujours un excellent contrôle de soi, même si elle s'approchait dangereusement de ses propres limites. Elle n'avait jamais été trop évasive quant à la perte de Frank, mais ses proches savaient combien elle en souffrait, même si on la voyait exprimer son chagrin que bien trop souvent. Coincée dans son deuil, elle préférait se concentrer sur le futur de ses enfants plutôt que du sien. Leur avenir était bien plus brillant que le sien, à ses yeux. C'est pourquoi elle donnait tout pour les guider au mieux, qu'ils puissent chacun embrasser leur propre personnalité malgré les difficultés. Peut-être qu'il deviendra un jour compliqué pour Aidan d'être aussi actif ; elle serait là pour l'apaiser. Peut-être que Julie paniquera à l'idée de ne pas trouver le métier de ses rêves ; elle serait là pour l'aiguiller. La bibliothécaire, quant à elle, était presque surprise que son interlocutrice envisage que sa fille ne finisse par exercer le même métier. Norah lâchait un léger rire. "Tu riras peut-être moins le jour où elle se pointera avec une convention de stage qu'elle viendra te mettre sous le nez." agrémentait-elle, sachant très bien que ce n'était impossible que ça se passe comme ça. Julie était déjà très mature pour son âge, sa mère ne serait pas surprise de savoir qu'elle ait déjà sérieusement songé à son avenir, malgré son jeune âge et la naïveté qu'on associait avec. Elle voulait certainement avoir autant de self-control que sa mère, faire preuve de la même indépendance, de la même capacité à savoir tout gérer. Ce besoin de savoir se débrouiller seule, Juliana semblait le comprendre. Norah avait toujours aimé son autonomie, et reconnaître qu'elle avait besoin d'aide lui faisait presque ressentir un sentiment d'échec. Elle cherchait la faille, là où ça avait cloché afin de comprendre pourquoi elle n'y était pas parvenue seule. Juliana tentait de la faire relativiser par quelques mots. Lui faire entendre qu'il n'y avait aucune honte à cela. "Ca me coûte quand même encore beaucoup de l'admettre." reconnut-elle avec un sourire nerveux, parvenant néanmoins à soutenir le regard de la belle brune. "Je veux pas être celle qui dérange." admit-elle. "J'ai bien conscience que chacun a sa propre barque à mener, avec ses propres problèmes, ses propres impératifs. Je veux finir par devenir un boulet plus qu'autre chose à leurs yeux." Parce qu'elle en voyait des personnes qui sursollicitaient leur famille jusqu'à l'épuisement, jusqu'à ne plus parvenir à l'apprécier tant elle en demandait toujours plus. S'il y avait quelque chose que Norah avait développé, c'était la peur de l'abandon. Qu'il s'agisse d'une perte définitive ou de proches qui s'éloignaient d'elle pour une raison pour une autre. Il y avait des moments cela générait même une véritable hantise. Mais Norah était bien entourée, elle avait des frères qui l'aimaient et qu'elle aimait tout autant. Elle avait des amis sur qui elle pouvait compter et pour qui elle était dévouée dès qu'on avait besoin d'elle. Qu'il s'agisse de discussions, d'activités pour se changer les idées, ou de bobologie, elle répondait présente. "La grande famille n'était pas trop prévue. Mes parents voulaient un troisième enfant, j'ose pas imaginer leur réaction quand on leur avait annoncé qu'ils en auraient quatre." dit-elle avec amusement. Peut-être qu'il lui serait arrivé la même chose si elle était tombée une nouvelle fois enceinte, qui sait. "Etre la seule fille de la fratrie, c'est quelque chose." C'était un rôle qu'elle adorait néanmoins. Les frangins s'étaient mis d'accord pour la protéger à tout prix au début, ensuite à se défendre pour qu'elle ne se laisse pas faire, pour ensuite devenir la tête pensante et la confidente; celle qui donnait de bons conseils. "Donc pas de grand frère et de grande soeur, mais tu en as des plus jeunes que toi ?" lui demanda-t-elle finalement, histoire de faire un peu plus connaissance. "C'est vrai que ce genre de questionnement quand on est jeune nous semble tellement fondamental, d'une importance capitale. Et une fois qu'on a compris pourquoi..." Il fallait faire avec. Tout comme Norah faisait avec les moyens qu'elle avait à sa disposition pour entrer en communication avec ses patients et savoir les gérer comme elle le faisait. La principal clé de son succès était certainement sa très grande patience et son seuil de tolérance extrêmement haut. Il était évident que Juliana s'intéressait beaucoup au métier de l'amie de son petit ami, et ça se voyait un peu qu'elle avait toute une foule de questions qui lui brûlait les lèvres. Peut-être des questions concernant Alfie, ou des choses qui incomberaient le secret professionnel et que, sur le principe, Norah n'était pas autorisée à divulguer. "Ils ne se confient pas seulement sur le ressenti par rapport au motif de leur hospitalisation." expliquait-elle. "Parfois ce sont des sujets qui n'ont absolument rien à voir. Mais si ce dont ils ont envie de parler..." Norah haussait ses épaules en guise de point à sa phrase. Elle s'adaptait, rebondissait, argumentait. Elle pouvait passer beaucoup de temps avec certains de ses patients. Certains profitaient de cette occasion pour faire des avances, d'ailleurs. "Ca m'arrive encore, oui." A voir si c'était flatteur ou non. "Et parfois par du rentre-dedans vraiment relou, j'avoue que je prends un malin plaisir à les rembarrer." Avec leurs jeux de mots bien vaseaux, les insinuations peu délicates et les sourirs plus flippants que charmeurs. "Le mythe des dessous sexy sous les tenues, ou de ne rien porter du tout d'ailleurs, en est parfois la cause." Et à croire qu'ils aimaient les femmes qui avaient un peu de répondant. Elle préférait encore supporter le Alfie qu'elle avait rencontré six mois supplémentaires plutôt que d'avoir un patient aussi indélicat que certains qui avaient tenté leur chance auprès d'elle durant une même période. Au moins lui avait une bonne répartie et pas des répliques à deux balles qu'il sortait à toutes les sauces. "Mais dans la plupart des cas, ils ne font pas vraiment les malins selon la raison de leur hospitalisation, donc ils ne s'essaient pas trop à ce genre d'initiatives." Elle riait doucement, amusée par quelques situations qui lui revenaient en mémoire. "Certains restent quand même bien fixés sur toutes les idées reçues sur les infirmières. Je suppose que tu dois aussi avoir ton lot d'idées reçues en étant bibliothécaire." Mais au-delà d'être une passionnée de livres, Juliana rêvait d'en écrire un à son tour. Qui sait, peut-être que d'ici peu de temps, la fille de Norah tombera par hasard sur le roman qu'elle aurait écrit en librairie. Juliana ne devait peut-être s'attendre à avoir autant de soutien d'une personne dont elle venait tout juste de faire la connaissance, et dont elle n'en connaissait pendant longtemps que le nom et le métier par le biais d'Alfie. "Et un livre pour des enfant de l'âge de Julie ? Ce serait un juste milieu entre ta passion pour les livres jeunesse et ton envie d'écrire ?" songeait Norah. "Je suis loin d'être une pro en la matière, mais en voyant les livres que Julie sélectionne qui corresponde à son âge, ce sont parfois déjà de sacrés romans. Un truc qui colle à la pré-adolescence et l'adolescence." Elle avait l'impression que c'était également l'âge où on apprenait tout l'intérêt d'un livre, où les passions se réveillaient. L'infirmière avait encore souvenir de certains titres de bouquins qu'elle avait lu quand elle avait l'âge de sa propre fille. "JK Rowling a bien réussi à faire quelque chose, pourquoi pas toi ?" dit-elle d'un ton évident. Qu'est-ce que l'auteure d'Harry Potter avait de plus que Juliana avant qu'elle ne connaisse le succès. Pas grand chose, aux yeux de Norah. Un sourire satisfait étirait discrètement ses lèvres lors que Juliana lui assura qu'elle s'y mettrait bientôt. "Bientôt, du style tu planches tes idées dès que Julie et moi serons partie ? Ou bientôt, du style, j'ai encore besoin d'y réfléchir encore avant de véritablement me lancer là-dedans ?" demandait-elle. Qu'importe la réponse, Norah comprendrait. Certaines personnalités avaient plus besoin de réfléchir, de réaliser tout un processus avant de se lancer alors que d'autres y allaient les yeux fermés. "Alfie le sait, que c'est que tu rêves de faire ?" finit-elle par lui demander. Norah avait un peu l'impression de marcher sur des oeufs quand elle parlait de lui. Toujours un peu perturbée d'être entrée dans une sphère particulièrement privée en rencontrant sa petite amie, elle ne se permettrait pas de parler de lui comme si elles étaient les meilleures amies du monde, mais elle était bien curieuse de savoir ce que le brun pensait des convictions de sa dulcinée. "Il t'y encourage ?" Ce n'était pas une curiosité malsaine, loin de là. Norah trouvait qu'ils formaient un beau couple bien qu'elle n'ait pas eu l'occasion de les voir ensemble et les voir interagir, mais la sincérité de leur sentiment était plus qu'évidente. Et elle savait que son soutien à elle ne serait pas suffisant pour l'encourager dans cette voie, que Juliana avait besoin de celui avec qui elle partageait sa vie au quotidien.
J’aurais aimé avoir les aptitudes nécessaires pour exercer un métier permettant de sauver des vies comme celui de pompier, médecin, infirmier, policier, mais cette jolie liste n’était pas faite pour moi et c’est finalement vers les livres que je me suis tournée en étant persuadée que c’était ma vocation et que j’étais née pour ça. Alors forcément, lorsque Norah me dit que je sers à quelque chose, ça me touche, parce que même si pour moi les livres sont plus qu’un passe-temps destiné à tromper l’ennui, beaucoup de gens n’arrivent pas à voir au-delà. Voir Julie aussi concentrée me fait chaud au cœur et je suis persuadée qu’elle n’écoute plus rien de la conversation que nous avons actuellement tant elle est préoccupée par le choix cornélien qu’elle va devoir faire dans les minutes à venir. « On a la même notion du paradis, alors. » Je souris en regardant le visage de Julie qui s’illumine à chaque nouvelle lecture de quatrième de couverture. Cet endroit, c’est mon paradis à moi et même si parfois, comme tout le monde, je n’ai pas forcément envie d’aller travailler, je me sens toujours bien quand je franchis les grandes portes menant aux étagères de livres que j’affectionne tant. Pouvoir mêler passion et profession est une chance et je savoure celle que j’ai. « Tu plaisantes, j’adorerais ! J’aurais quelqu’un avec qui partager ma passion, ce serait génial ! » Je le pense sincèrement, parce que je suis certaine que, comme moi, Julie serait intarissable sur le sujet et suffisamment motiver pour ne pas trainer les pieds dans les rayons en attendant qu’il soit l’heure de partir. Travailler avec quelqu’un comme elle ne pourrait me faire plus plaisir, mais je sais aussi qu’il est encore tôt et qu’elle a largement le temps avant de prendre ce genre de décision. Je sais juste que si ça devait arriver un jour, je serais absolument ravie de l’accueillir. D’autant plus que si la fille devient aussi géniale que sa mère en grandissant, ça pourrait m’apprendre beaucoup à moi aussi. Depuis que j’ai commencé à discuter avec Norah, je réalise à quel point elle est forte et indépendante et je suis évidemment admirative de la manière dont elle gère la situation pas facile dans laquelle elle se trouve. « Tu ne t’es jamais dit que ça leur faisait tout simplement plaisir d’être là pour toi ? S’ils te proposent leur aide, c’est que tu ne les déranges pas et certes, ils te soutiennent mais ça ne veut pas dire que tu ne fais rien pour eux en retour, loin de là. » Je ne suis pas dans sa situation alors je me doute bien que ça doit être compliqué pour elle, mais je suis sûre d’une chose, si les personnes qui l’épaulent au quotidien sont encore là aujourd’hui, c’est par envie et non pas par devoir et ce serait bien qu’elle s’en rende compte. « Je suis d’accord avec toi, on a tous une vie à construire, mais on a besoin des autres pour ça et je suis sûre que les personnes qui t’aiment ont besoin de toi autant que tu as besoin d’eux. » Je me suis occupée de mes frères et sœurs pendant toute mon adolescence, laissant ma propre vie de côté pour subvenir à mes besoins mais il ne me viendrait pas à l’idée de le leur reprocher parce que j’ai agi de la sorte par choix et non pas par devoir, enfin, c’est ce que je me suis toujours dit. Je suis certaine que pour Norah, c’est pareil, si elle peut compter sur sa famille, c’est génial parce que la famille est essentielle dans la vie. La jeune femme a l’air vraiment très attachée à sa famille, je pense que c’est réciproque, et c’est quelque chose que nous partageons. « J’imagine que ça a dû leur demander un petit temps d’adaptation. » Je plaisante, essayant d’imaginer leur réaction en voyant les deux bébés apparaitre sur un écran. Je ne sais pas comment se passaient les échographies à ce moment-là, les technologies évoluent tellement vite qu’ils ont peut-être découvert la vérité alors que plusieurs mois s’étaient déjà écoulés, et effectivement, ça a dû leur faire un sacré choc. « J’ai deux petits frères et deux petites sœurs, oui. Famille nombreuse pour moi aussi. » J’ai eu beaucoup de chance de grandir dans cette fratrie soudée dont les liens se sont encore renforcés après l’annonce de la maladie. Certes, les choses n’ont pas toujours été faciles entre nous, mais nous tâchons de nous épauler du mieux que nous pouvons. « Je vois ce que tu veux dire, tant que ça reste bon enfant, ça va, mais c’est quand ils insistent que ça doit commencer à devenir pesant. » Les infirmières n’ont pas beaucoup de chance quant à la perception que peut avoir leur métier. Je ne sais pas d’où vient cette stupide croyance mais il n’est pas étonnant que de sombres crétins s’en amusent même dans le cadre de leur propre hospitalisation. Les bibliothécaires ont plus de chance, finalement, certes, on a notre lot d’idées reçues, mais rien qui ne me fasse subir un tel harcèlement, ou en tout cas, moins fréquemment. Est-ce que ce serait différent si je réussissais à devenir réellement écrivain ? Je l’ignore, c’est un monde que je côtoie de loin, pour le moment, parce que je n’ai pas eu le courage de me lancer jusque-là. « C’est exactement ça, je pensais écrire pour des enfant de dix ans, ou entre huit et onze ans, je pense, parce que ça reste dans mon domaine de compétences mais que ça me permet d’être un peu plus créative que si j’écrivais un livre pour enfant en très bas âge. » J’imagine que ça doit être tout aussi intéressant, mais finalement l’artiste a plus de poids dans la rédaction que l’écrivain en lui-même. « La comparaison est flatteuse mais attends de voir ce que j’écris avant de croire en moi, ça vaut mieux. » J’aimerais avoir tant de talent et de chance que J.K. Rowling, parce qu’on ne va pas se mentir, c’est bien l’association des deux qui lui a permis de s’accomplir en tant qu’écrivain. L’enthousiasme de Norah me va droit au cœur et j’espère réussir à mener ce projet à bien. « J’ai déjà commencé à y réfléchir, à dire vrai et j’ai quelques idées depuis un moment, il faut juste que je me lance. » Toutes les conditions sont réunies pour me permettre de rédiger ce livre, mais j’ai tellement peur de me décevoir et de décevoir tous ceux qui croient en moi qu’il m’est encore difficile de vraiment me lancer. « Oh, oui, Alfie le sait. » Je ne compte plus le nombre de fois où je l’ai assommé avec mes rêves d’écrivain en herbe, mais je me garde de préciser qu’à chaque fois que nous avons évoqué le sujet, c’était sans projet concret et sans intention de me remettre à l’écriture dans un futur proche. Je sais qu’il m’y encouragerait s’il en avait connaissance, nous n’avons simplement pas eu l’occasion d’avoir cette conversation encore. « Je crois qu’il m’encouragerait même si je lui annonçais que j’ai prévu de faire le tour du monde à la nage. » Et mon regard qui pétille soudainement, à l’évocation du soutien sans faille qu’il est capable de m’apporter dans mes projets, ne trompe pas, oui je sais que j’ai de la chance d’avoir à mes côtés quelqu’un qui m’a toujours aidé à m’accomplir sans juger mes choix mais ça me renvoie une fois de plus à l’idée que je ne suis peut-être pas aussi tolérante avec lui qu’il peut l’être avec moi et c’est bien ça le problème.
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Ce n'était pas des bêtises, quand on disait que les enfants aidaient à la sociabilisation. Pas seulement parce que eux-mêmes avaient besoin d'échanger pour apprendre les mots, leur signification, les gestes que l'on pouvait associer afin de développer des interactions sociales que l'on jugerait normale. Mais au-delà de ça, ils permettaient de faire des rencontres avec des personnes dont Norah n'aurait jamais pensé avoir affaire. Un autre parent d'élève, l'autre Maman qui berçait le dernier né dans la poussette tout en gardant un oeil attentif sur l'aîné qui jouait sur l'aire de jeux, à la balançoire. Norah avait perdu le compte de conversations amorcés sur un banc en regardant ses enfants s'amuser. Des rencontres qui parfois n'aboutissaient à rien mais qui n'en étaient pas moins sympathiques, et d'autres qui s'annonçaient plus prometteuses. Comme avec Tommy, qu'elle croisait assez régulièrement quand même, et désormais Juliana. Car si Alfie restait le dénominateur commun de leur rencontre loin d'être hasardeuse, Julie en était désormais le catalyseur principal sans que la première concernée ne s'en rendre compte. La bibliothécaire s'identifiait totalement en regardant la petite Lindley s'émerveiller à chaque fois qu'elle bouquinait un ouvrage. Si bien qu'elle se montrait particulièrement enthousiaste à l'idée d'encadrer Julie un jour si l'envie lui prenait de faire un stage dans cette même bibliothèque. Cette idée amusait Norah autant que ça pouvait l'intéresser, ce pourquoi elle la gardait précieusement dans un coin de sa tête le jour où il faudra se pencher avec plus d'intérêt sur ce sujet là. "Ce n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde." répondait Norah avec un léger rire. La petite amie d'Alfie essayait ensuite de faire entendre raison à son interlocutrice quant à la présence et l'insistance de ses proches pour lui filer un coup de main dans son quotidien. Bien sûr qu'elle se doutait qu'ils ne faisaient pas ça par obligation, qu'ils l'appréciaient, qu'ils adoraient ses enfants et qu'ils estimaient qu'un peu de leur aide ne serait pas de trop. "Tu as sûrement raison." reconnut Norah en poussant un long soupir. Elle baissait les yeux quelques instants avant de reprendre. "C'est juste que... Je veux pas qu'à force de demander des service, ça devienne une habitude. Pour que ça se termine dans l'abust total. Pas qu'ils finissent par croire : elle, elle veut le beurre, l'argent du beurre, et la crémière qui va avec." C'était une de ses craintes principales. "Et je veux pas utiliser ma... condition, on va dire, comme excuse universelle, loin de là." Ce n'était pas le cas, d'ailleurs, elle faisait au mieux pour ne pas se laisser traîner sur cette pente là. La perte de son mari n'avait jamais été une excuse pour quoi que ce soit d'ailleurs. Si elle demandait un service, c'était vraiment en dernier recours, lorsqu'elle se rendait compte que c'était véritablement impossible qu'elle puisse gérer seule. Mais Norah n'avait jamais été véritablement seule; elle avait un frère jumeau. C'était sa moitié, avec qui elle avait partagé toute son enfance et dont elle ne pourrait jamais se passer (sauf qu'elle ne l'admettrait à personne). "Tu parles; ma mère était ravie de pouvoir enfin investir dans des vêtements pour filles. Robes et tenues mignonnes à gogo."[/color] racontait Norah en riant. Juliana était bien placée pour comprendre la dynamique d'une famille nombreuse étant donné qu'elle en avait une elle-même. On la questionnait ensuite sur les situations que Norah rencontrait au quotidien à l'hôpital, dont les patients qui cherchaient à la draguer. "Pour les plus insistants, j'avoue que je m'amusais à leur dire que j'avais un mari très beau, très grand, très musclé, et surtout qu'il était policier." Norah haussait naturellement les épaules. "Et en général, j'avais pas besoin d'en dire plus pour qu'ils se détendent et redeviennent des gentlemen." Rares étaient les fois où elle avait eu besoin de mentionner le boulot de son mari. Si Norah ne se permettait pas de voir un avenir, elle en voyait un très clairement pour la belle brune. La comparaison avec l'auteure d'Harry Potter était peut-être un peu exagérée, mais juste un tout petit peu. "Je sais pas, j'ai juste un bon pressentiment." dit-elle en tapotant le bout de son nez, en lui faisant ensuite un clin d'oeil. Le sixième sens de l'infirmière, admettrait certains médecins, bien qu'en général, ce sens là permettait de percevoir quand un patient allait être mal ou pas. Un sentiment étrange, inexplicable et viscéral, et qui, dans la très grande majorité des cas, était justifié. "Pour le peu que je te connais, je sais que tu en es largement capable." assura-t-elle d'un air un peu plus sérieux. "Et tu y as déjà réfléchi bien plus que tu ne veux l'admettre : tu sais déjà quel public tu vises et tu as déjà quelques idées. Je me doute bien que le plus difficile, ça va être de choisir laquelle tu as à exploiter. Mais tout est là." Tous les ingrédients pour que ça fonctionne. Il ne manquait plus que l'encouragement de ses proches, et Norah ne se comptait pas dans ses proches. Elles venaient à peine de faire connaissance après tout. C'est pourquoi elle demandait si Alfie était d'un quelconque soutien. "Son optimisme débordant t'aidera au quotidien, tu verras. Quand tu douteras, quand tu auras un coup de mou, par exemple." Puisqu'il était désormais évident qu'elle allait s'y mettre tôt ou tard. Norah était bien placée pour savoir que le soutien de sa moitié était primordiale. Elle n'avait pas rencontré de difficultés particulières durant ses projets professionnels, si ce n'est de se décider à enchaîner pour une année d'études supplémentaires après avoir obtenu son diplôme pour se spécialiser. Elle avait hâte de pratiquer, de se lancer indépendamment dans le grain bain. Mais il le fallait, et Frank était durant ses coups de mou d'un soutien plus que nécessaire et qui lui avait fait le plus grand bien. Des encouragements qui seraient bien différents que ceux que pouvaient dire Maslow, mais tout aussi efficaces. "Si tu lui proposes vraiment le tour du monde à la nage, je pense pas seulement qu'il t'encouragerait, mais qu'il viendrait avec toi sans poser de questions." Elle savait qu'il aimait beaucoup voyager, qu'il aimait aussi prendre des risques (un peu trop à son goût). La manière dont les yeux de Juliana brillait à cet instant précis traduisait à eux seuls les sentiments qu'elle partageait avec lui. A les voir individuellement, à échanger avec eux, il était évident pour l'infirmière qu'ils étaient tout simplement meant to be together. Et c'était si sincère, d'une si grande authenticité que Norah en avait un léger pincement au coeur. Là, elle réalisait combien ça lui manquait. D'avoir les yeux qui pétillaient autant que ceux de Juliana, de ne pas parvenir à se défaire de son sourire dès que l'on pensait à l'être aimé, de se sentir capable de faire et d'accepter beaucoup trop de choses pour sa moitié. Quand Norah pensait à Frank, même s'il ne s'agissait que des plus beaux souvenirs, cela se terminait toujours avec beaucoup de chagrin et un léger sentiment d'injustice. "Tu as de la chance de l'avoir. Et il a beaucoup de chance de t'avoir aussi." dit-elle après une pause durant laquelle elle était longuement restée dans ses pensées. "Savoures-en chaque instant." Un conseil plus qu'autre chose, en toute bienveillance. "Surtout que si Alfie voit que tu prends vraiment plaisir à écrire, il n'en sera que plus ravi de continuer à te soutenir." Et le bonheur de l'un faisait indéniablement celui de l'autre, du moins c'était ce que Norah pensait, mais qui n'était probablement pas toujours très juste. Norah, bien malgré elle, restait agrippée à sa tristesse au fur et à mesure de ses réflexions. Elle pouvait avoir autant de self-control qu'elle le voulait (on savait qu'elle en avait), parfois, c'était juste difficile de prétendre que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Elle esquissait un sourire à la fois triste et désolé à Juliana, avant de s'éclaircir la gorge pour espérer reprendre un peu de contenance. "Je pense que Julie s'est enfin décidée pour sa première série de livres à bouquiner." dit-elle en constatant que la fillette semblait être prête à dévorer son choix dès qu'elle serait rentrée à la maison. De plus, se recentrer sur la petite permettait à la brune de chasser quelques sombres idées qui avaient l’intention de ternir son humeur. "Et je ne voudrais pas abuser davantage de ton temps." Parce que Juliana était installée avec elles depuis un bon moment déjà, et elle avait certainement bien d'autres choses à faire que de papoter avec Norah. Comme commencer à écrire son livre, par exemple.
Je comprends Norah parce que j’ai vécu la galère dans laquelle s’est retrouvée ma mère après le décès de son mari. Je l’ai vu tenter de garder la tête hors de l’eau alors que les responsabilités lui retombaient dessus sans qu’elle sache comment les gérer ou les prioriser. La différence, c’est qu’elle a fini par accepter qu’on l’aide parce qu’elle a craqué, elle n’a pas réussi à reprendre le dessus sur le chagrin qu’elle a ressenti et elle a fini par se reposer complètement sur les autres. Norah est loin d’être dans cette situation, au contraire, elle semble même décider à déranger le moins possible ses proches, mais j’espère quand même qu’elle sait envoyer un SOS lorsqu’elle en a vraiment besoin parce que ce n’est qu’en se préservant qu’elle parviendra à maintenir sa famille et c’est quelque chose que ma mère n’a pas réussi à faire. Je me suis retrouvée à la tête d’une famille à onze ans et même si je n’en tiens pas rigueur à celle qui était censée m’élever, je n’ai pas trouvé ça facile et je suis sûre qu’en creusant un peu, n’importe quel psychologue parviendrait à relier cet événement marquant de ma vie à ce désir d’enfant qui ne me quitte pas. « Le fait que tu te poses toutes ces questions prouve que tu n’es pas capable d’abuser de la gentillesse des autres, si c’était le cas tu n’en aurais rien à faire de trop leur en demander ou non, beaucoup de gens ont moins de scrupule et un quotidien pourtant beaucoup moins chargé. » Elle est adorable, Norah, mais pour le coup, elle a le même défaut qu’Alfie, à savoir de vouloir trop préserver les autres en prenant sur soi pour leur rendre la vie plus facile. Ce n’est pas parce qu’elle exprime le besoin d’être épaulée qu’elle devient un poids pour les gens qui l’aiment, bien au contraire, c’est quelque chose de normal et je suis sûre que sa famille prend le relai avec plaisir quand elle n’en peut plus, comme je serais heureuse d’avoir Julie avec moi à la bibliothèque pour lui permettre d’avoir un peu de temps libre. J’espère qu’un jour elle se rendra compte que compter sur les autres n’est pas un synonyme de faiblesse, bien au contraire. Si son excuse à elle n’est pas bonne, je ne vois pas ce qui peut l’être, elle a toutes les raisons du monde de faire appel à ses proches pour s’en sortir, contrairement à beaucoup d’autres. En plus, la jeune femme a l’air d’avoir une belle famille et je souris en l’entendant en parler. « Oh, tu veux dire que tu as eu le droit d’être habillée en rose pendant toute ton enfance et d’avoir des petits nœuds dans les cheveux ? » Je suis sûre qu’elle n’a pas été à plaindre loin de là, entourée par trois garçons certainement protecteurs et prêts à tout pour que leur petite sœur s’en sorte bien dans la vie. Elle s’en est bien sortie, en grandissant en plus, deux enfants, un travail qui lui plait et si elle a eu le malheur de perdre son mari, elle a su rester forte malgré tout ce qui renforce encore l’admiration que j’éprouve pour elle. Malgré tout, elle garde le sourire et va de l’avant, continuant à travailler d’arrache-pied dans une profession qui ne fait pourtant pas de cadeaux et ne laisse que peu de répit. « J’adore la répartie, je suis sûre qu’ils devaient se sentir trop mal après ça. » C’est sûr qu’un mari flic, ça calme tout de suite les petites frappes qui pensaient réussir à attirer l’infirmière avec leurs blagues de lourds. J’espère qu’elle continue à utiliser ce stratagème même en l’absence de son mari, après tout, ils ne sont pas obligés de savoir. Je ne sais pas comment elle fait pour tout mener de front dans sa vie mais j’aimerais être capable de la même chose. Elle semble avoir foi en moi, en plus, et je ne sais pas d’où lui vient cette confiance en mes capacités mais ça me fait chaud au cœur. « Le plus dur ce n’est pas d’avoir les idées, c’est de se décider à se lancer. » Mais je vais y arriver parce que je me sens prête et le jour où j’aurais vraiment avancé et mis en place un projet qui tient la route, j’en parlerais à Alfie. Norah ne comprendrait sûrement pas que je ne lui ai pas annoncé vouloir me remettre à écrire, mais en réalité, je ne veux pas qu’il gaspille son énergie pour être ce garçon optimiste qui me verra déjà écrivain de renommée mondiale. Elle a raison, pourtant, son soutien m’aide au quotidien, je veux juste réussir à faire quelque chose de bien sans avoir à me reposer sur quelqu’un d’autre que moi-même. « Je sais. » Je me contente de dire alors qu’elle loue les mérites d’Alfie que je connais parfaitement bien. Elle a raison sur toute la ligne, bien sûr, et je réalise très bien la chance que j’ai de l’avoir à mes côtés. Je devrais être heureuse de voir que quelqu’un d’autre que moi voit en lui autant de qualités que je peux lui donner, mais au fond, ça m’agace de constater l’estime qu’elle a pour lui, alors qu’elle n’a rien fait pour mériter mon énervement. Norah est attristée d’un seul coup et j’imagine que le bonheur des autres doit encore être difficile à gérer pour elle. J’acquiesce silencieusement lorsqu’elle me conseille de savourer chaque instant à ses côtés et parce que nous traversons une crise que je n’arrive pas vraiment à appréhender, je sais à quel point les instants heureux sont précieux et méritent d’être vécus à fond. Je me garde d’en dire plus, ne souhaitant pas accentuer sa tristesse ou la renvoyer à un bonheur qu’elle a désormais perdue et c’est finalement elle qui choisit de mettre un terme à ce moment alors que Julie semble avoir terminé sa sélection. Norah retrouve le sourire et sa bonne humeur en une fraction de seconde et j’inspecte la pile de livres de la petite fille. « Excellents choix, mademoiselle, je compte sur toi pour me faire un compte-rendu de tes lectures la prochaine fois que tu viendras. » Julie a l’air vraiment ravie de sa journée et moi je suis sincèrement heureuse d’avoir pu faire plus ample connaissance avec sa mère. « Tu n’abuses pas, rassure-toi, je suis contente d’avoir pu vous faire découvrir mon univers. » Je me lève et attrape les livres de Julie. « On va les enregistrer et tu pourras repartir avec. » J’attends qu’elles me suivent jusqu’à l’accueil pour gérer toutes les formalités administratives et le sourire de Julie me fait vraiment plaisir, elle a l’air sincèrement émerveillée et je me souviens avoir été exactement pareille à son âge. « Et surtout, vous n’hésitez pas à revenir quand vous voulez et à m’appeler si vous avez besoin d’un renseignement, promis ? » J’insiste parce que la discussion qu’on a eu m’a appris à quel point Norah n’avait pas l’habitude de se tourner vers les autres, mais en l’occurrence il s’agit de mon travail et je le fais avec plaisir, surtout pour une petite fille comme Julie. Elle a de la chance cette petite, malgré l’épreuve qu’elle a vécue, elle a une mère formidable et il est bien dommage que cette dernière n’en ait pas réellement conscience.