♫ Dansa min docka, medan du är unger,
när du blir gammal, blir du så tunger. ♫

Ça a été une mauvaise idée.
Ça a été une putain de mauvaise idée.

Freya se trouve à regretter l'espèce humaine. Celle d'avant les morts vivants, l'apocalypse et toutes ces conneries. Si elle a clamé plusieurs fois que l'Homme était menacé, c'était surtout par sa connerie. Pas à cause de larves sur pattes cadavériques qui réclament du cerveau. No need to say that she didn't see that coming.

Bordel mais comment elle est arrivée là ? Tout est flou dans sa tête. Elle a l'impression de devenir folle, vraiment tarée. La ligne entre le bien et le mal, entre la raison et la folie se fait de plus en plus fine chaque jour qui passe. Freya essaie de résister mais ses instincts animaliers finissent toujours par prendre le dessus. Elle vous dira que c'est l'instinct de survie. Parce que dans ce monde peuplé par la mort, seule la survie compte.

Putain qu'elle a mal.

Doherty lève ses mains remplies de sang pour tâter son visage. Une jolie cicatrice s'y trouve en plein milieu. Elle grimace avant de piocher dans son sac. Il lui reste un fond d'alcool. Fais chier. Elle va devoir s'en trouver quelque part avant d'être en manque. Franchement, de longues minutes de réflexion s'écroulent. Est ce qu'elle boit ou elle se soigne ?

Question conne.
Freya porte la fiole aux lèvres.

Sa blessure pourra attendre. C'est surtout sa tête qui veut oublier. Si sa tête est anesthésiée, elle ne ressentira plus rien. Ni la souffrance, ni la douleur et surtout, ni la peur. Ses réflexes primaires remonteront à la surface et alors là, elle pourra être efficace.

(Si t'aimes croire que ton addiction t’apporte du positive, t'es vraiment la première des connes.)
Shut the fuck up.

Freya tape sa tête avant de jeter la fiole en verre à travers l'habitacle. Merde, ça aussi, c'est une mauvaise idée. Non mais sérieux, qui se cache puis fait un boucan monstre ? Autant montrer sa gueule et se laisser bouffer le cerveau tout de suite.

Mais ça, Freya ne s'y est pas encore résolue.

Parce qu'elle n'a retrouvé aucun de ses proches jusqu'à maintenant. Des mois se sont écoulés – ou des années ? Franchement, elle l’ignore. Sa montre n’a plus de pile depuis longtemps et le téléphone… Est-ce que c’est vraiment utile de rappeler que le monde moderne n’est plus ? Les cellulaires, les outils de communication, la technologie, c’est fini, tout ça. On se retrouve seul avec soi-même, à se battre pour un minuscule morceau de damper, même rassis, même pourri.

Freya n’a eu plus de contact avec un être humain depuis qu’elle a dû foutre une de ses broches dans le crâne de celle qui l’accompagnait. Instinct de survie, cette carcasse sera son repas, die, bitch. Au moins, on ne la foutrait pas en taule pour céder à ses pulsions. C’était presque réconfortant.

En attendant, elle a trouvé refuge dans un parking d’école, plus précisément dans un bus scolaire. Tapie entre deux sièges, le souffle coupé, elle prie que ces putains de trucs l’aient oublié. Calme plat, silence pesant. Doherty n’entend plus que son cœur battre dans ses oreilles, le manque, le froid ou le stress la faisant de plus en plus tremblée. Elle passe sa main sur le visage une nouvelle fois, grimaçant parce qu’elle a déjà oublié. Oublié qu’elle est marquée à vie, sur chaque parcelle de peau. Ses cicatrices auto-infligées de ses avants bras sont oubliées. Chacun porte ses stigmates de cette nouvelle vie que personne à demander.

On tape à l’arrière du véhicule.
Elle sursaute, main sur la bouche.

L’autre main agrippe fermement sa dernière arme de fortune (une longue broche que des campeurs ont dû abandonnés at some point). Elle dégage une mèche de cheveux et se fout à quatre pattes pour jeter un œil dans l’allée. On tape une nouvelle fois, plus fort. L’odeur de décomposition lui donne le tournis. Bordel, ressaisis-toi, ma fille.

Alors qu’elle tourne la tête, Freya sursaute une nouvelle fois alors que le carreau derrière elle explose. Dans un cri de rage, elle lève sa broche pour l’enfoncer dans la gorge de cette créature abjecte qui s’apprêtait à sauter sur elle. « Die, you fucking skitstövel ! » Elle se replie, elle recule et la masse tombe à ses pieds, ses yeux vitreux posés sur elle. Freya est dégoûtée. Elle se relève précipitamment et enfonce sa broche dans cette créature immonde. Encore et encore et encore. Parce que ça ne sait pas crever, ces trucs-là. Elle finit par asséner un coup brutal sur la tête, prenant presque un malin plaisir à perforer ce crâne qui va bien finir par exploser.

Un autre bruit la réveille de sa transe, venant du devant de l’engin. Elle souffle sur cette putain de mèche qui lui barre sa vision tout en mettant la main sur la fine dague qu’elle a utilisé pour accrocher ses cheveux. Elle a l’air complètement démentiel, des tâches de sang partout sur son visage et ses vêtements.  

La porte grince et elle se prépare.
Elle allait bouffer du zombies quoiqu’il arrive.

Elle ne compte pas mourir maintenant ni comme ça. Le démon en elle s'est réveillé, Hadès rugit de satisfaction dans les abîmes de son enfer. Elle l'entend et elle le vénère. Elle se battra parce qu'elle le peut, et parce qu'elle aime ça.

Mais quelle putain d’idée merdique que de s’être réfugiée dans un bus, aussi.

♫ Danse, ma poupée, tant que tu es jeune,
Quand tu seras vieille, tu seras plus lourde.♫

Voir le jour se lever une nouvelle fois et rêver. Oui, rêver que ce jour-là, toutes ces satanées bestioles auraient fait leurs adieux à leur feu douce planète. Wren n'était pas du genre optimiste alors il s'accordait simplement ces deux minutes de fantasme lorsqu'il se retrouvait en haut de sa colline à observer la ville à quelques mètres en dessous de son lieu de repos. Parfois, il entendait les râles rauques des zombies, d'autres fois, il s'agissait de cris mais dans tous les cas, il n'y avait rien de plus que tristesse et désolation. Lui était seul depuis des semaines, son voyage aux côtés de la race humaine s'étant stoppée abruptement après la terrible mise à mort de quelques compagnons trouvés sur les routes. Entre temps, il avait fait un petit bout de chemin avec Nea, avant qu'elle ne parte à la recherche de son entourage. Wren aurait été tenté de la suivre mais il savait qu'il survivait bien plus efficacement lorsqu'il n'avait à s'inquiéter de personne, juste de sa propre carcasse. Enfin, l'idée le démangeait toutefois quand il y pensait: où était son frère? Sa soeur? Il avait cherché leurs traces certains jours avant de se raviser de peur de découvrir la réponse à ses questions. Et s'ils faisaient partie des monstres à la quête de chair fraîche? Non, le jeune Doherty ne voulait pas se confronter à cette réalité alors, il redescendait en ville uniquement lorsqu'il était en quête de vivres, remontant bien vite vers les hauteurs pour ne pas se faire attraper par des morts vivants. Ce jour-là, il était descendu dans cette optique, entendant du bruit à quelques mètres de lui. Il était prêt à continuer son chemin, éviter les zombies était toujours la meilleure solution mais c'était sans compter sur des mots suédois qui brisèrent le silence. Wren se détourna bien vite, hache à la main pour s'approcher du vieux bus jaune. Au devant, trois zombies qui s'attroupèrent, un mourut rapidement et les deux autres, Wren leur coupa la tête sans plus de cérémonie avant de courir vers l'entrée de l'autocar. Là, le silence. Au fond, la silhouette frêle de Freya, visage en colère le toisait. Il courut vers elle et s'enfonça dans ses bras, s'accrochant à elle en espérant qu'elle ne fut pas un mirage, qu'il ne fut pas totalement tombé dans la folie. Elle, sa soeur adorée.

Un mirage. 
Voilà à quoi elle pense quand elle voit ce qui ressemble être son frère lui tomber dans les bras. 

Un putain de mirage qui arrive comme un boulet de cannon sur elle. Tellement vite qu'elle a à peine le temps de réagir. La distinction avec la folie s'amenuisait de jour en jour. L'apparition soudaine de Wren ne serait pas surprenante si c'est sa tête qui lui joue des tours. Repousse le. C'est trop beau pour être vrai. Nan, t'es pas réel, rien n'est réel hormis l'odeur de putréfaction du bus. Il y a beau avoir des éclaircis de soleil, leur monde n'est plus qu'un ramassis de douleur et de survis. Se battre tous les jours pour voir le lendemain. Un combat qu'elle menait déjà avant et qu'elle continuera à mener jusqu'au bout. 

A part si c'est un putain de zombie qui est sur elle et qu'elle, pauvre conne, s'imagine que c'est son grand frère. 

Freya le repousse violemment parce qu'elle pense que c'est la meilleure chose à faire. Parce que Wren n'est pas là, qu'il n'est qu'une fichue illusion et qu'elle se laisserait pas influencer. 

Et parce que c'est sûrement la deuxième chose la plus logique à faire, Freya fout sa lame la plus petite sous la pomme d’Adam de son interlocuteur.

Illusion, mirage.
Illusion, mirage. 

Mais elle ne lui coupe pas la tête. Elle ne l'embroche pas, elle ne lui plante pas un peu entre les deux yeux. Elle a un doute. Il a l'air tellement réel. « Si t'es le fruit de mon imagination, ne penses pas qu'il te suffit de me montrer Wren pour que j'me fous en l'air dans la seconde qui suit.  »

Irrationnelle, la main tremblante, les yeux qui lui sortent des orbites, dû au manque de sommeil cumulé. Doherty est à fleur de peau et elle est en manque. En manque d'affection humaine. Et de booze. Beaucoup de booze. Pour soigner tous les maux, il n'y a pas mieux. 

Jamais elle n'aurait pensé que les êtres humains lui manqueraient tant.

Il n'arrivait pas à croire, sa petite soeur adorée, vivante? La folie s'était emparée de lui, il ne voyait que cela au moment de sauter dans la gueule du loup, bouche ouverte. Wren avait tout simplement arrêté de réfléchir, ce qui était souvent le cas lorsqu'il était question de Freya. Son instinct de survie tombait déjà à zéro avant l'invasion des zombies quand elle était en danger de quelque façon que ce fut, ce n'était pas maintenant que le jeune Doherty allait changer de mode opératoire. Elle était si importante à ses yeux et il avait cru l'avoir perdue pour toujours. Après tout, cela faisait des semaines qu'il arpentait les quatre coins de la ville pour trouver des vivres et il n'y avait jamais eu aucune trace d'une suédoise énergique qui aurait pu passer ce chemin avant lui. Sa belle petite soeur avait été rayée de la carte, c'était du moins ce que s'était dit l'ancien pompier, résigné à survivre malgré la disparition des autres Doherty. Voilà que le destin s'amusait de lui car elle était devant lui, en chair et en os, et il perdait totalement pied. Il ne put que se jeter dans ses bras, sans faire attention au sang qui ornait leurs deux corps, sans faire attention à la haine qui se lisait encore sur ses traits habituellement si doux. Forcément, elle le repoussa avec vigueur et osa même le menacer de son arme blanche. Wren leva doucement les mains en l'air, les yeux brillants d'une émotion humaine. "Tu crois qu'un zombie aurait attendu deux minutes pour te dévorer le cerveau? Soeurette, c'est ton grand dadais de frère, tu sais l'idiot qui t'a élevé et qui t'a appris à jongler avec des ballons de baudruche... Il y en a pas deux des comme lui, pas deux qui pourraient te dire jag älskar dig..." Si elle avait besoin d'entendre quelques bribes de suédois pour être rassurée sur son identité, Wren le lui donnait. Aisément. Il avait envie de crier de joie, de pleurer son soulagement mais il restait un Doherty et cette race si particulière se devait de rester froide, surtout en ces temps si particuliers. En attendant, Wren espérait que ce serait suffisant pour convaincre sa soeur qu'il était là à nouveau et que cette fois, il ne la lâcherait plus jamais.

« Jag älskar dig.  » Un déclic se fait dans la tête débloquée de Freya. Comme si quelque chose se remet à tourner à l’endroit. Comme une évidence que finalement, elle n’est pas si tarée que ça. Jag älskar dig. Il a les mains levées et il marque un point ; un zombie n’attendrait pas plus que ça pour venir lui dévorer son cerveau. A part s’il peut sentir à quel point il doit être pourri.

Mais pendant quelques secondes, Freya oublie complètement son environnement.
Son frère aîné, Wren, qu’elle adore plus que tout et qu’elle pensait mort et dévoré (parce que penser dans l’optimisme n’est pas le genre de la maison), se tenait vraiment devant elle.

Alors elle craque.
Elle s’effondre littéralement dans les bras de son frère, lâchant prise de ses armes qui atterrissent dans un bruit certain sur le sol. Que ça alerte les zombies, tiens. Qu’ils viennent. Elle s’en fiche, elle est de nouveau réunie avec son frère. Son grand frère qui n’a pas l’air dans un meilleur état qu’elle. Elle n’y croyait plus. Et pourtant, Doherty entend le cœur de Wren battre contre son torse, preuve qu’il est bel et bien vivant.

« Putain, Wren, je… J’sais même pas comment j’ai pu douter que tu te laisserais pas abattre aussi facilement. » Freya se redresse et pose ses mains sur chaque côté du visage de son frère. Il était en sang, mais elle aussi. On pouvait presque dire qu’ils sont dans leur élément. La famille bestiale aux instincts primaires qu’ils sont ne peut que se réjouir d’un monde où couper des têtes est devenu vital. Elle lui caresse les joues de ses pouces, observant chaque parcelle de la figure de son frère, juste pour vérifier qu'il va bien. Au moins physiquement. « T’es pas blessé ? T’étais passé où ? J’suis allée à ton appart mais t’y étais pas. »

Un vent de panique l’avait envahi quand elle a vu l’appartement de son frère complètement sans dessus dessous. Après tout, retrouver son frère a été le premier réflexe qu’elle a eut quand l’infection a commencé à prendre de l’ampleur.

Un moment de répit, une seconde de pause dans ce nouvel univers qui leur demande d’être aux aguets en alerte plus que jamais. Freya a l’impression de retrouver un second souffle, une nouvelle force. Et tout ça, juste parce que son frère se trouve devant elle, vivant et visiblement pas prêt à se laisser abattre aussi facilement.

Le suédois revenait vite dans un contexte aussi dramatique. Wren ne savait pas si sa soeur serait capable d'accepter sa présence: après tout, la folie était monnaie courante depuis que les zombies avaient envahi leur monde. Peut être avait-elle sombré, à moins que ce ne fut lui qui ait sombré. Il n'y avait plus de moyens de le dire, les choses changeaient à grande vitesse, les dieux les avaient abandonnés depuis bien longtemps désormais, mais Wren était encore capable de dire à sa petite soeur qu'il l'aimait. Dans un langage pur. Le seul qu'il puisse utiliser pour lui faire comprendre qu'il était encore bel et bien vivant et pas un zombie atroce qui viendrait lui manger la cervelle en usant de ruses. Non, l'aîné des Doherty était encore en un seul morceau, malgré le sang qui tapissait ses vêtements décharnés, malgré la douleur qui happait son âme depuis qu'il traînait seul dans les rues hantées de cette ville. Freya était là. Freya avait compris le message et Freya se jetait dans ses bras en laissant ses armes mourir au sol. Que d'autres zombies viennent les détruire ne les intéressait pas le moins du monde, Wren, en tout cas, n'en avait plus rien à faire au moment de répondre à l'étreinte de sa petite soeur. Il la soulevait même de terre sans forcément s'en rendre compte parce qu'il était heureux, tellement heureux de l'avoir contre lui après tout ce temps sans elle. "Tu me connais pourtant, je suis increvable." Elle aussi, elle l'était car elle était une Doherty. Pourtant, Wren l'avait cru disparue également. Voilà ce que leur nouvel univers provoquait chez eux des doutes, la mort dans l'âme, ce vide intersidéral mais il était désormais comblé parce que Wren ne lâcherait plus jamais Freya. Pas même de ses bras. "Non, je vais bien, c'est que du sang de saloperie... J'ai dû partir, ouais, des zombies ont essayé de me taillader en pièces alors j'ai fui vers la colline avant de retourner te chercher mais t'étais pas là." Lui aussi avait attendu des jours et des semaines pour retrouver Freya mais ils n'avaient jamais pu se croiser. Wren touchait son visage également, il vérifiait qu'elle était en parfaite forme, même si c'était une notion toute relative désormais. "Qu'est-ce qui s'est passé pour toi durant tout ce temps?" Il avait besoin de savoir. C'était sa soeur, son tout et il avait été si inquiet pour elle. Non, il avait été presque mort à l'intérieur, sans elle.

Jusqu’à maintenant, elle a erré comme une âme en peine dans sa ville natale complètement ravagée par la mort et la putréfaction. Des images d’horreur de corps décapités, de cadavres dépouillés de leurs boyaux, de leurs cœurs, de leurs cerveaux. C’est le genre de monde qu’on a pensé mille et une fois que ça arriverait, qu’on rigolait en voyant à la télévision mais qu’au final, est devenu bien réel. Des rêves brisés, une population qui agonit et l’être humain qui s’évapore.

C’est dans ce genre de moment qu’on se rend compte que l’Homme n’est qu’une espèce bestiale de plus. Que seul sa capacité à réfléchir et résonner le différencie des autres espèces. Mais dans un monde où l’instinct de survie domine, la réflexion, la raison, la logique, tout s’envole. Il n’y a plus que la volonté de vouloir survivre, de vouloir se battre chaque jour pour un morceau de viande trouvé. Son estomac grouille de nourriture pourrie, d’alcool qui a mal tourné, d’eau dégueulasse.

Freya a mis du temps avant que son corps accepte ce régime sec, brutal et amer. Prends ça, tu n’auras rien d’autre, contente-toi de ce que tu as. Elle qui n’a jamais grandi dans le luxe ni l’opulence, de toute façon, elle n’ignore pas ce que c’est que de se taire et d’accepter les choses comme ils lui viennent. C’est son enfance, ce père dont elle avait tant peur qui se réveille. Et s’il s’était échappé de prison ? Après tout, les prisons ne tiennent plus, tout le monde commet des crimes tout le temps, au nom de la légitime défense.

Un frisson lui parcourt l’échine ; se retrouver face à son père serait encore plus terrifiant qu’une horde de zombies.
Les priorités peuvent vite dériver quand le cerveau est las et fatigué.
(Et meurtri, assoiffé, terrorisé… Même son corps continue à trembler alors ne crois pas que des ailes te sont poussées dans le dos, ce n’est qu’une illusion, ma grande.)

« Evidemment qu’t’ai increvable. T’es un p’tin de Doherty, murmure-t-elle dans le cou de son frère. » Croire qu’il avait pu succomber, franchement, quelle idiote. Elle le salissait encore plus, sa cicatrice à la figure la rappelant à l’ordre au contact de Wren. Fucking shit que ça fait mal. Fais chier, alors. Freya recule alors légèrement en écoutant son frère lui raconter ces derniers jours – semaines ? Mois ? Quand il lui demande à son tour, Freya hausse les épaules.

« J’ai trainé avec un groupe pendant… Un moment et j’ai tué, elle semble réaliser ce détail que maintenant. C'est la première fois qu'elle l'affirme à haute voix. J’ai tué beaucoup. » Elle regarde son frère, un visage presque apeuré au visage. Non, elle n’a pas peur de dire qu’elle est devenue une meurtrière. Qui en réclame toujours plus. Qui prend presque plaisir à mettre fin à la vie. Mais elle est complètement pétrifiée face à la réaction possible de Wren. « J’ai tué, Wren. Des zombies et des humains. J’ai tué pour manger et j’ai tué pour… » Freya finit par repousser son aîné alors qu’elle sent les larmes monter. « Putain, Wren, j’deviens folle car j’ai l’impression d’aimer ça ! » Freya a toujours eu la flippe de ce voile fin entre le bien et le mal, surtout en ayant vu avec quelle facilité son père avait pu le franchir. Elle a passé des années pour accepter qu’elle ne soit pas son père, qu’on a le choix, que ce n’est pas dans son sang d’être quelqu’un de mauvais. Un pyromane. Une tueuse. Quelle est la différence ?

Freya passe les mains sur ses yeux ; non, elle ne veut pas pleurer. Elle ne doit pas pleurer. Elle doit se reprendre, se ressaisir. Wren est là. Il est là, il est vivant, il respire. Putain, ça ne te suffit pas pour reprendre tes esprits ?

Non parce que Wren lui ramène leur famille dans la tronche et il lui rappelle d’où ils viennent. Que la ligne est fine et qu’ils peuvent plonger à tout instant du mauvais côté. « Est-ce que ça fait d’moi une mauvaise personne, brother ? » Elle a besoin qu’il la rassure. Il faut qu’il la rassure.

Elle en oublierait presque les bruits rauques environnants.
Presque. Car son pied cherche déjà une de ses armes pour la glisser vers elle.
Instinct de survie.

Avoir peur pour Freya était sa nature première, il n'y avait rien qui pouvait passer avant elle. Jamais. Wren aurait vendu père, mère et frère pour la voir en vie et la serrer contre lui une nouvelle fois. Il ne pensait pas avoir ce privilège à nouveau, pas avec les zombies qui étaient partout autour de lui depuis des semaines. Plus les jours passaient, plus cette population de corps fiévreux augmentait et les espoirs de survie, eux, s'amenuisaient fortement. Doherty ne comptait pas sur une survie encore bien longue d'ailleurs puisqu'il croisait au moins un groupe de zombies par jour désormais, auparavant, il pouvait en croiser une fois par semaine tout juste. Les chose s'accéléraient et Freya n'avait pas été aperçue durant ce laps de temps. Pourtant, l'ancien pompier avait cherché à tous les coins de rue, demandé à tous les groupes d'humains qu'il avait pu rencontrer mais personne n'avait parlé. Sa cadette avait simplement disparu et Wren avait commencé à croire qu'elle avait fini en charpie ou bien, dans une horde de morts vivants. Dans les deux cas, cette pensée le tuait gentiment alors le jeune homme avait fini par enterrer la moindre idée, préférant continuant à survivre en se disant que le destin choisirait ce qu'il voulait faire de lui. Au final, celui-là l'avait récompensé en le mettant sur la route de sa très chère petite soeur, vivante, en chair et en os et à peu près en un seul morceau,même si Wren apercevait quelques cicatrices ici et là. Il avait les mêmes de toute manière, c'était tout bonnement impossible de vivre dans un tel monde sans écoper d'une ou deux blessures. Il eut un petit rire lorsque Freya lui murmura qu'effectivement, les Doherty étaient une espèce éternelle, il n'aurait pas pu dire mieux. Ils n'étaient pas faciles à abattre, toujours prêts à prendre les armes pour faire leur fête à des cadavres sur patte. En effet, Freya lui annonça qu'elle avait tué. Zombies. Humains. Tout ce qu'elle avait pu et dans un autre contexte, Wren l'aurait remise à sa place parce qu'elle n'était pas comme cela, elle était douce sa Freya. Dans un univers apocalyptique, sa réponse était très différente, bien sûr. "Eh, on a tous tué. Toi, moi, le facteur, la petite vieille... On a tous dû passer par là, c'est le prix à payer pour survivre. Alors, non, c'est pas grave, ce sera comme ça maintenant, jusqu'à la fin. Que t'aimes ça, c'est pas le plus important, ce qui compte, c'est que tu restes en vie, d'accord?" Wren s'en fichait radicalement qu'elle ait pu manger des êtres humains ou massacrer des camarades de son groupe même. Tout ce qui lui importait, c'était sa survie. "J'ai mis le feu, Freya. J'ai sombré. Pour survivre. J'ai aimé ça. Est-ce que tu m'en veux que je te dise ça?" Elle avait toujours eu peur de ce côté là chez lui et Wren ne pouvait pas lui mentir maintenant que le monde ne tournait plus rond, que les zombies étaient partout et que Doherty les entendait grogner dehors. Pour cette raison, il invita Freya à se calfeutrer entre les sièges du fond du bus parce que leur conversation n'était pas finie et qu'ils n'avaient pas encore été vus par les cadavres ambulants. Que cet instant dure encore, c'était tout ce que Wren désirait en attrapant la main de sa soeur pour la serrer dans la sienne. Eux deux contre le reste du monde, les Doherty réunis, les tueurs les plus machiavéliques de la région mais ils survivaient, oui, ils survivaient.

Voilà des semaines que Freya déambulait sur le fil du rasoir. Un rien la paniquait, un bruit la faisait sursauter et la peur, la crainte, l’angoisse la suivait partout où elle allait. Elle était en alerte, toujours sur qui vive, en permanence à croire que quelqu’un va surgir soudainement derrière elle. La main sur l’épaule, elle la tranchera sans réfléchir à deux fois. Plutôt crever que de se laisser tripoter par autrui. Le vertige de cette sensation la rend encore plus dangereuse, encore plus violente, encore plus inconsciente. Elle ne répond qu’à son instinct primaire et c’est de détruire, d’anéantir, de déchiqueter, de tuer. Les humains qu’elle a croisé sur sa route en sont la preuve – vivante ? On ne peut guère le dire. Dans ces moments là, il faut savoir se la jouer solo, oublier les attaches, se montrer froid et distant face aux besoins des autres. Il faut être égoiste pour sa propre survie, ne penser qu’à sa gueule parce qu’il y en a jamais pour deux.

Mais c’est avant de croiser Wren.
Avant de voir que non, elle n’est pas toute seule. Qu’un de ses proches, littéralement la prunelle de ses yeux, est encore en vie pourrait lui donner un souffle nouveau. Une force insoupçonnée qu’elle puise dans des réserves qu’elle ignorait qu’elle possède. Même s’il ne ressemble à rien, même s’il est dans un piteux état, même s’il amène encore plus de sang sur ses fringues et sur sa peau, Freya se raccroche à lui aussi fort qu’elle le peut.

Si elle devait en finir aujourd’hui, elle ne sera pas seule.

Wren finit par lui répondre et évidemment, ses mots ont un effet boomerang. C’est normal. Elle est normal. Ce n’est pas important. C’est pour survivre. Merci, Wren. Quand il lui dit qu’il a mit le feu, Freya ne bronche pas. Elle ne cille pas. Les flammes ont fait parti de son quotidien malgré elle. Les feux de camp improvisés, les torches de chaleur, il y a même quelqu’un qui l’a aussi utilisé pour brûler du mort vivant. Alors Freya secoue la tête tout en baissant les yeux. « Nan, bien sûr que nan puisque t’es vivant. » S’il a fallu que son frère vende son âme au diable pour garder le coeur palpitant, alors elle est prête à l’accepter.

Tout comme elle est prête à accepter qu’elle puisse sombrer peu à peu dans une folie qui la guettait de toute façon depuis des années. Fille digne de sa mère, on pourrait dire. Si les hommes avaient un penchant pour le feu, les femmes Doherty avaient toutes un truc qui débloquaient dans leurs cerveaux. Quelque chose de plus profond, de plus caché mais de tout aussi brutal.

Tapie entre les sièges du fond du bus, Freya se laisse prendre la main par son frère sans y faire gaffe. Ses oreilles sont déjà en alerte, ses veines sont palpitants et elle tremble, tout en frissonnant d’envie. Envie d’action, envie d’adrénaline (Elias serait fier d’elle sûrement), envie de massacrer. Elle regarde son frère, lui murmure un faible « jag älskar dig » avant de se lever, de se faufiler par les sièges derrière eux pour passer son frère et tout ça, le plus rapidement possible pour que Wren ne la retient pas et le plus silencieusement possible pour garder un train d’avance sur ces putains de morts vivants.

Hors de question de rester dissimuler dans le noir. Courbée dans l’allée, Freya pousse sur le côté le cadavre du zombie qu’elle a précédemment massacré avant de ramasser sa deuxième arme. Poings serrés sur ses broches, elle finit par se redresser en arrivant vers le début du bus. « Big bro… En parlant d’feu, t’en aurais pas un peu sur toi ? Y aurait un gros barbec’ à s'faire, là. » Ils sont en masse, marchant comme au ralenti avec leurs têtes dégueulasses vers là où les Doherty se planquent. Des anciennes connaissances se tiennent peut-être dans le lot. Impossible à savoir tellement que la transformation marque la tronche et le corps.

Et pas que ça émeut Freya plus que ça de toute façon.
Une fois passé de l’autre côté, vous êtes enterré pour elle.

La vitre du pare brise se casse et Freya a le réflexe de reculer tout en déviant son visage de la trajectoire des débris. Si seulement elle avait prit la hache de son frère, elle aurait pu couper les mains qui se tendent vers elle. Affreuses, dégueulasses, impures, Freya est dégoûtée. « Wren, faut qu’on passe par derrière, y en a d'trop, là ! » A peine elle a fini de s’adresser à son frère qu’elle plante sa dague dans l’espèce de veine jugulaire d’un zombie qui pensait pouvoir l’atteindre. Elle ne cherche pas à viser, elle n’y connaît rien en anatomie de toute façon. Elle sait juste que ces putains de créature ne crèvent qu’en leur explosant la tête. Ou en la coupant, au choix.

Et il se trouve que son aîné possède une arme adéquate pour ça. « Wren ! » Dépêche toi, aide moi, trouve quelque chose! A vouloir trop jouer avec le feu – encore une fois, sans mauvais jeu de mot – voilà que Doherty se retrouve prise à parti par plusieurs paires de bras qu’elle essaie d’éloigner en piquant mais rien n’y fait. La porte s’ouvre et elle hurle de rage en planter son engin dans l’oeil du premier zombie qui veut monter. Il faut laisser à Wren le temps de trouver une solution de repli.

Ils sont deux, maintenant. Et ce n’est pas aujourd’hui qu’elle accueillera sa mort et encore moins celle de son frère.

Il n'y avait plus de raisons d'avoir peur, plus d'attente non plus parce que Freya était de nouveau là, à ses côtés. Sans elle, Wren n'était plus que l'ombre de lui-même, incapable de faire face à ses multiples faiblesses qui le poussaient vers les bas fonds. Faire le mal autour de lui était devenu une de ses spécialités, mais quand sa soeur s'approchait de lui, ce n'était plus une réalité palpable. Avec sa cadette, Wren était plus serein, moins enclin à laisser s'exprimer cette rage de vivre qui le caractérisait pourtant si bien. Avant l'apocalypse déjà, il avait tant de fois menacé d'imploser et se mettre à brûler la moindre tronche qui osait le défier mais il finissait toujours par se raviser, pas encore prêt à laisser le désespoir le gagner puis, le hanter. Maintenant que les zombies avaient conquis leur petit univers, Doherty n'avait plus réellement ce genre de considérations. Il traînait toujours avec un élément de feu dans ses poches ou son sac, que ce fut un quelconque briquet ou un bon gros chalumeau. Dans la plupart des cas, il en usait pour calmer des hordes d'assoiffés et s'il y avait quelques dommages collatéraux, ce n'était pas bien grave à son avis. Wren acceptait enfin cette part de lui, cette folie d'envergure qui était devenue lui, qui aurait toujours dû être sienne à vrai dire. Pourquoi lutter contre l'inévitable, contre l'évidence? Il n'avait rien à faire d'autre que cela. Que d'accepter le pardon de Freya maintenant qu'ils étaient main dans la main, dissimulés aux yeux des zombies. Terrés, vraiment? Pas pour longtemps vu que Freya se lança en plein milieu du combat, courant vers les morts vivants qui tentaient de l'attrapaient à travers la vitre du bus. Il entendit ses cris, les bruits d'une arme qui tailladait la chair décharnée mais Wren était concentré à fouiller dans son sac pour sortir une de ses armes de prédilection. "J'arrive, soeurette, j'arrive." Il s'arma et rejoignit bien vite Freya, actionnant son chalumeau pour cramer ses suppôts de Satan. Et sur son visage, on lisait cette victoire triomphante, le plaisir intense qu'il mit à l'oeuvre. Wren adorait cela, la vision du feu qui faisait disparaître les restes de peau, l'odeur de chair brûlée. La beauté incarnée. Pour autant, il vit rapidement qu'ils ne pouvaient pas rester là maintenant qu'ils avaient atterri une horde immense. Alors, Wren attrapa la main de sa petite soeur et se mit à courir hors du bus, jusqu'à la ruelle la plus isolée. Le souffle court, il regarda Freya pour vérifier qu'elle allait bien. "En un seul morceau? Tu te caches où d'habitude? On peut pas trop rester là, je dirais." Sans blague, les zombies étaient peut être encore à leurs trousses, mine de rien.

Putain de lumière aveuglante. Freya pourrait presque commencer à fredonner « light em up up up I'm on fire » à son frère si d’un, elle n’était pas occupée à protéger ses yeux, de deux s’ils n’étaient pas poursuivis par des putains de zombie et de trois si ce n’était pas pour lui sauver le cul. Wren a une maîtrise de son élément et elle recule, hypnotisé par le visage de son frère. Les flammes illuminent son visage d’une façon presque étrange et elle regrette de ne pas avoir un crayon et un bout de papier.

C’est bien la première fois qu’elle le voit comme ça.

Est-ce qu’il aurait les mêmes traits que leur géniteur à ce moment précis ? Est-ce que lui aussi rigolerait d’une façon maniaque en ouvrant le gaz de sa propre maison, où se trouvent femme et enfants ? Freya n’eut pas le temps de prolonger sa contemplation qu’elle se retourne brutalement pour foutre sa broche en vertical dans le crâne du mort vivant qui essaie de l’attraper par derrière. Crève, pourriture de cadavre, bordel, ils ne peuvent pas tous disparaître ? Si seulement un gant comme celui de Thanos existait, à ce moment précis, ça serait rudement utile.

Cependant, quand elle se relève, Wren en a finit avec le groupe et c’est une vision de cadavres fumants et calcinés qui s’étale devant leurs yeux. Si ce n’était pas pour son aîné qui lui attrape la main, Freya n’aurait sûrement pas bougé d’un poil, dans une transe à la fois pétrifiée et fascinée. Elle qui a toujours hurlé devant la moindre flamme, la voilà qui se rend compte que c’est ça qui vient de lui sauver le cul.

Mais… (Et s’il les tourne vers toi, ses flammes ? Si dans une crise de démence il te grille sur place ? T’as la frayeur, avoue. Tu peux pas t’en empêcher, même au milieu d’une apocalypse, même quand le monde arrive à sa fin, d’avoir la frousse. Pour lui, pour toi, pour vos âmes de toute façon déjà fichues. Pour tenter qu’y ait un paradis après cet d’enfer.)

Non, mon frère n’est pas notre père.
Il ne retournera jamais ses flammes contre moi.

Et pourtant, quand ils finissent leur course dans une ruelle loin du parking, Freya ôte immédiatement (par réflexe) sa main de celle de son frère. Quand Wren lui demande où elle se planque, elle reste un moment inerte, interdite avant de secouer la tête et de commencer à faire les cents pas tout en rattachant sa plus petite broche dans ses cheveux en les levant dans un chignon las. « Je… J’ai pas de repère, Wren, je sais pas, je fais que marcher depuis des jours, ou des semaines ?, sans m’arrêter. Je m’arrête pas, je continue, je parcours, je... » Doherty finit par s’asseoir contre le mur, les jambes repliées et posant son front sur ses genoux. Elle est fatiguée, elle veut juste dormir et ne plus jamais se réveiller.

L’image de son frère et son lance flamme lui revient derrière ses paupières.
Elle se mord la lèvre, elle se pince la joue, elle replie sa langue. La ferme, je ne dirai rien, je m’y ferrai, c’est l’instinct de survie, c’est normal, c’est ton frère, putain.

« J’suis fatiguée, Wren, j’veux juste dormir. »
Même si c’est le mauvais endroit. Et le mauvais moment.

Glissant ses mains dans la racine de ses cheveux, Freya se force à repenser à la voix de sa mère.  Leur mère qui doit être morte à l’heure actuelle. Sa voix résonne dans sa tête, tentant d’effacer tout le reste. Une berceuse qu’elle se répète sans s’arrêter à mi voix tout en se balançant légèrement d’avant en arrière.

♫ Dansa min docka, medan du är unger,
när du blir gammal, blir du så tunger. ♫

Il allait trop loin, toujours, c'était sa marque de fabrique. Wren ne savait pas calmer ses ardeurs quand il s'agissait du feu. De la mort. De ce trop plein d'émotions qui l'assaillaient parce qu'il goûtait à la tragédie. Il savait que rien ne justifiait ces débordements mais, avec cette arrivée massive de zombies dans leur existence à tous, les limites n'étaient plus vraiment les mêmes. Alors, il s'était laissé dériver et c'était son côté sombre qui prenait le dessus. Si, au début, il essayait de le refréner, ce n'était plus vraiment le cas depuis quelques jours, le désespoir avait gagné la lutte, il ne pouvait plus s'en défaire. Le jeune Doherty était peu à peu devenu le monstre qu'il avait tant redouté par le passé et il n'y avait plus de retour en arrière possible. Seul choix qui lui restait encore, s'enfoncer encore plus dans cet enfer environnant ou s'en défaire en y passant. L'un ou l'autre n'étaient ni bien ni mal. Wren n'avait plus aucune notion de rien de toute manière et ce n'était franchement pas ce qui comptait à l'heure actuelle. Il avait sauvé Freya, sa douce soeur, qui avait dû se battre seule durant des semaines contre des meutes de zombies sanguinaires. Elle faisait preuve de force, c'était indéniable et lui n'avait pu que cramer la pile de monstres en fuyant à ses côtés. Maintenant, que pouvait-il lui dire? S'excuser, attendre qu'elle l'exécute? Wren savait que sa soeur méprisait ce côté de lui et il aurait aimé en faire autant mais c'était surtout cette part de lui qui lui permettait de rester en vie alors, autant l'approuver. "T'en fais pas, c'est pas grave. J'ai un endroit, moi." Sa soeur s'était écroulée à terre, Wren s'agenouilla devant elle, pas certain d'être en mesure de la laisser faire ce qu'elle désirait. Dormir. En pleine rue. Alors qu'il venait d'échapper à des zombies affamées. Alors, sans demander son reste, Wren attrapa Freya et la porta dans ses bras. Il marcherait pour deux lors des minutes à venir, si c'était ce qu'il fallait pour survivre. En duo. "T'en fais pas, soeurette, je suis là maintenant, tu peux te reposer." Il marcha, un pas puis un autre, jusqu'à grimper en haut de la colline, celle où il s'était replié après la catastrophe. Là haut, Wren se sentait vivant et en sécurité, avec sa soeur, ce serait mieux encore. Il retrouverait l'espoir, enfin.

Imbécile. Soeur ingrate. Déchet de la société. T’es juste conne. Toutes les lumières ne sont pas allumées à tous les étages et c’est encore pire dans un monde apocalyptique. Un univers froid et sombre, où les choses futiles deviennent des priorités. Comme se trouver un abri. Un toit. Il n’y a plus de notion de chez soi. Il n’y a plus d’appartenance à qui que ce soit. C’est la jungle, c’est la rue même dans les habitations. Cet univers fait ressortir le pire de l’espèce humaine. La convoitise, la jalousie, l’envie, la trahison. On tue sans réfléchir à deux fois parce qu’on peut le faire, parce que c’est légal. Il n’y a plus de justice, plus de hiérarchie, plus de limite. La seule loi qui prime, c’est celle de la survie.

Freya se maudit d’avoir ce sentiment de frayeur envers son aîné. « T'en fais pas, soeurette, je suis là maintenant, tu peux te reposer. » Putain qu’elle est faible. Même pas fichue de se porter toute seule. Finalement, elle enroule ses bras autour du cou de Wren et plonge sa tête dans le creux. Il n’a pas son odeur habituel, il sent la destruction, le brasier, le sang. Freya a l’impression d’être encore plus fragile dans ses bras, si grands contrairement à elle. Son aîné reste l’homme de sa vie, même si elle peut clamer le contraire.

Elle aura beau le détester parfois, être terrifiée de ces flammes qui dansent derrière ce regard durci avec le temps, elle l’aime. Elle l’aime, elle ne veut pas qu’il la lâche, ni maintenant, ni jamais. Elle serait capable de s’en laisser crever si le seul être qui compte plus que tout l’abandonne. Freya n’a jamais bien réagi à l’abandon, de toute façon. Mais quand ça concerne son frère, c’est encore pire.

« Je suis désolée, big bro, désolée désolée... » De quoi exactement ? D’être une sœur ingrate. De ne pas être à la hauteur. De ne pas pouvoir être plus forte. De le laisser tomber quand il aurait besoin qu’elle ait sa tête sur les épaules. Freya ne s’excuse jamais mais c’est Wren, c’est la fin du monde et elle est fatiguée. « Tu m’lâches pas, hein ? » Une vraie gamine. C’est ce qu’elle est. Surtout quand il la traite tel quel. Son grand frère qui a toujours tout fait pour qu’elle soit heureuse, qu’elle est toujours ce qu’il faut où il faut. Protecteur, ange gardien.

Elle ne le mérite pas.

Il avait tellement peur pour elle, constamment et cela avait été bien pire durant les dernières semaines. Ne pas savoir si elle était encore vivante, si elle allait bien, si elle était seule... Wren s'en était voulu d'avoir quitté son appartement aussi précipitamment mais il n'avait pas tellement eu le choix avec les hordes de zombies qui avaient choisi pour refuge sa cage d'escalier. Alors, il avait emballé deux ou trois affaires et avait pris la direction des collines avec ce fin espoir qu'il finirait par la retrouver. C'était enfin le cas, mais dans quel état était-elle? Exténuée. Vidée. Et lui, ce grand frère tant chéri la soulevait de terre pour l'emmener vers le repos tant attendu. Il marchait avec vivacité malgré sa propre fatigue, malgré les combats qu'il venait de vivre contre des morts vivants affamés. Wren avait suffisamment d'énergie pour deux, pour sa soeur, c'était toujours ainsi. S'il ne devait en rester qu'une, ce devait être Freya, tout simplement. Il grimpa plus doucement mais arriva finalement à destination, l'entendant s'excuser parce qu'elle s'était sentie faible. Comme si Wren était capable de lui en vouloir pour quoi que ce fut, elle était la prunelle de ses yeux. Elle le serait toujours. Jusqu'à sa mort. "T'as pas à être désolée. Tu sais que je t'aime. Ce sera toujours le cas." Il la déposa à terre, la regardant avec ces yeux tendres qu'il ne pouvait faire à personne d'autre. Wren était si heureux de la retrouver. A nouveau, il se sentait vivant. "Jamais. Je te lâcherai jamais." Les Doherty survivants vivraient désormais cette guerre ensemble, sans savoir s'ils y succomberaient ou s'en remettraient. Ce n'était désormais plus l'important... Non, ce qui comptait, c'était leurs retrouvailles.

Freya ne s’est pas rendue compte à quel point elle a poussé ses muscles et chaque parcelle de son corps à l’extrême ces derniers jours. Vivre pour survivre, se battre pour ne pas se laisser dominer, ne jamais relâcher la pression, toujours rester en alerte. Les mains tâchées de sang, la bouche qui pue les dernières liqueurs d’alcool qu’elle a pu trouver. Elle est en manque mais l’adrénaline lui a donné des ailes. Elle s’est sentie invincible, invulnérable, intouchable. Impossible à abattre, elle ne veut pas être la proie, elle veut être la chasseuse. Une putain de guerrière, digne des valkyries dont leur mère a pu leur conter les exploits quand ils étaient gamins. Elle était la combattante et le cheval ailé en même temps. Elle n’a aucune formation physique, ne sachant comment manier aucune arme.
(Finalement, il aurait été bon que Tim lui apprenne à tirer.)

Mais son instinct l’a sauvé, ce fichu instinct dohertyien qui leur rappelle à chaque fois quel sang coule dans leurs veines. Mi insane mi bloodthirsty. Comme s’ils peuvent oublier. « T'as pas à être désolée. Tu sais que je t'aime. Ce sera toujours le cas. » Et juste comme ça, en quelques mots, en un regard, Wren réussit à lui faire oublier cette pulsion qui a fait battre ses veines d’une énergie qu’elle ne possède finalement pas. « Jamais. Je te lâcherai jamais. »

Freya ne prend même pas la peine de regarder son environnement. Si son frère a décidé que c’est un bon endroit, alors elle s’y sent déjà en sécurité. De toute façon, tant qu’il est avec elle, tant qu’il ne la quitte pas, plus jamais, elle se sentira en sûreté. « Reste, reste. S’te plait. » Assise par terre, elle s’accroche à son bras, à sa main, la regardant comme l’enfant qu’elle est. Il ne va pas s’enfuir, il vient de le prouver, de te le dire. Mais elle ne peut pas s’en empêcher. Faut qu’elle arrête d’être comme ça. Faut qu’elle dorme, faut qu’elle reprenne des forces. En bouffe, en eau, en alcool, en esprit.

« Wren… Tu les as revu ? Maman, Tobias... » Est-ce qu’elle veut dire papa ? Ce mot qui reste coincé dans sa gorge depuis des années, elle n’a jamais prononcé depuis cette soirée d’août. Qui aurait cru qu’un incendie sera maintenant un détail anodin vu la situation actuelle du monde ? Son géniteur était crevé à ses yeux depuis longtemps. Mais s’il réapparaissait ? Ressurgissant d’un passé qu’elle ne veut pas revivre ? « J’devrai être avec lui, Wren… Tobias, j’devrai être avec lui. C’est mon jumeau et j’l’ai laissé tomber. Comme toi. J’aurai dû chercher plus fort, mieux. » Les jumeaux, c’est supposé avec un lien particulier. Et pourtant, elle a l’impression de l’avoir avec son aîné, et pas celui qui vient de la même poche qu’elle.

« P’tin, j’dis que des conneries, elle soupire tout en s’allongeant sur le dos. T'as croisé des gens avant moi? » Le sol est dur mais franchement, Freya a connu pire. Qu’importe où elle est, tant que Wren est là. Elle espère juste un peu de répis avant de devoir repartir à la chasse.