Gâteaux pourris. Conserves éventrées. Bouteille vides jonchant le sol. Canettes de bières ? Toutes emportées. Les hommes avaient décidément de drôles de priorités. Dans ce supermarché vide, je me dépêchais de faire tomber tout ce qui me tombait sous la main dans mon sac. Je survivais, seul. C'était mieux ainsi. Seul, depuis que le petit groupe avec qui j'avais voyagé quelques temps était tombé. Tombé, non pas à cause des zombies, mais à cause des autres hommes. A cause de leur ego surdimensionné de petits chefs qui voulaient régner sur les groupes de survivants. Une société qui, pour sûr, n'avait pas lieu d'être. Nous faisions tous partie du même bateau appelé 'survie'. Mais certains avaient décidé que eux, ils seraient les capitaines du navire. Et vogue la galère, peu importait de quelle manière. S'il fallait passer du monde par dessus bord, ce n'était pas très grave.

Moi, j'avais choisi de partir. Je n'avais averti personne. J'avais pris la ration que l'on autorisait encore à prendre - sous le joug de nos tyrans, les rations n'étaient réduites - et j'étais partis pour le sud de la ville. Je savais que je n'étais plus le bienvenue en ville. Les chefs autoproclamés l'avaient dit : 'si vous choisissez de partir, partez, et que l'on ne vous revoie plus en ville'. Je fouillais donc les supermarchés dans l'espoir d'y trouver encore de quoi manger. Boire, surtout. Des pansements, pourquoi pas, mais j'avais peu d'espoir. Même si on nous avait confisqué nos armes - enfin, leurs termes à eux étaient 'mettre à la consigne, pour que tout le monde y ait accès' - j'avais toujours gardé un glock dans une planque. Une arme de poing plutôt efficace. Eviter les zombies ne relevait pas de la plus grande des épreuves. Eviter les hommes, en revanche, c'était une tâche plus ardue.

Alors que je fourrais dans mon sac noir un sachet de TUC périmés depuis des lustres, j'entendis quelque chose tomber au sol. Dans ce monde, on ne pouvait pas dire que c'était le vent. Rien n'était plus dû au vent. Il fallait se méfier de tout. Mon palpitant s'emballa dangereusement. Je remis doucement mon sac sur mes épaules, silencieusement, et braquai mon arme en direction du bruit. Je détestais les armes. Depuis quelques mois, j'étais contraint d'en porter une constamment. Les munitions étaient rares, précieuses. Je ne les écoulais qu'en ultime recours. Parfois, le simple fait de montrer une arme suffisait à dissuader ceux qui s'approchaient de trop. Je serpentai à travers les rayons, l'oreille aux aguets. Une tignasse brune apparut soudain. Plus grand que moi, l'homme me faisait dos. Je braquai mon arme sur lui, tentai de maîtriser ma respiration. « Décline ton identité. » Ma voix était vraiment moins assurée que prévu. Je tentai de reprendre contenance, appuyai lentement mon pouce sur le chien, qui émit un 'clic' sonore. Mon index gauche effleurait doucement la détente. J'étais prêt à faire feu, le cœur au bord des lèvres, terrorisé à l'idée de crever la gueule ouverte en plein milieu d'un supermarché.

Cela faisait des jours désormais que Wren n'avait plus de vivres, des jours qu'il errait discrètement aux quatre coins de la ville pour trouver de quoi se sustenter. Rien à l'horizon, que des débris, des cris et des pleurs alors que ces êtres assoiffés de sang avaient l'air de ne jamais en avoir fini avec l'humanité. Parfois, Doherty rêvait qu'il se faisait enfin découper en morceaux par ces bêtes mais il se réveillait en sueur, constatant qu'il avait encore tous ces membres accrochés à son corps et quelque part, il connaissait la déception. Le concept d'être vivant au beau milieu de cette solitude, sans avoir aucun moyen d'échapper à cette détresse, c'était peut être trop pour l'ancien pompier. Encore une fois, il ne pouvait que chercher dans les décombres, la faim lui tiraillant le ventre pour ne rien trouver du tout. Il était beaucoup moins discret et subtil dans ce contexte, faisant tomber une vieille boîte de conserve qui laissa échapper un bruit sourd au milieu du silence environnant. Wren aurait encore été totalement sain d'esprit, il aurait couru loin d'ici parce que le bruit était le premier facteur de décès dans la région.Les zombies avaient beau être écervelés, ils avaient un radar à bruit suffisamment développé pour venir quérir l'âme stupide qui avait osé déranger la quiétude ambiante. Il sentit une présence derrière lui et Wren ne put que se relever pour lever les bras en l'air, espérant sincèrement que ce n'était pas un zombie qui viendrait mettre un terme à son existence à cause d'une erreur de débutant. Une erreur stupide. Soudain, des mots. Les zombies n'étaient capables que de sons gutturaux très loin d'avoir un langage développé, Wren comprit qu'il était en face d'un humain tout ce qu'il y avait de plus normal... Si on pouvait encore utiliser ce terme dans leur univers. "Wren. Je suis Wren et comme tu peux le voir, je suis encore humain. Pas la peine de tirer, alors." Il se retourna effectivement pour voir que le jeune homme face à lui avait une arme dans la main. A croire que Doherty avait toujours le don de tomber sur les gens agréables et qui ne menaçaient pas de le tuer toutes les dix secondes.

Je tremblais, devant ce type. Je m'en rendis compte alors que l'aide à la visée de mon glock s'agitait nerveusement au milieu du front de l'homme qui se tenait devant moi. Le type, qui s'était doucement relevé, me faisait maintenant face, mains en l'air. Mon index, tétanisé sur la détente, semblait pouvoir fusionner avec cette dernière. De toute façon, comme on me l'avait si bien répété, on a beau se préparer à tirer sur un homme, on était jamais vraiment prêt. Et si l'on était pas prêt, il était inutile de se balader avec une arme à la ceinture. Il fallait être prêt. C'était devenue autre chose qu'un simple caprice, qu'une opposition morale fondamentale ou qu'un truc de société. Là, il en allait de ma survie. L'homme ne semblait pas armé. Je déglutis après avoir prononcé les mots qui venaient de passer fébrilement mes lèvres. La bouche sèche, je fixais le brun qui venait de se relever avec prudence. Il ne pouvait pas encore voir que je tremblais comme une feuille. « Wren. Je suis Wren et comme tu peux le voir, je suis encore humain. Pas la peine de tirer, alors. »

'Encore humain'. Ça voulait dire quoi, ça ? Qu'il était déjà infecté, mais que sa conscience régnait encore sur sa propre maison ? Trop tard, il s'était tourné, et l'illusion - si illusion il y avait - ne faisait probablement plus effet. Maintenant, il pouvait probablement voir mes yeux grands ouverts, mes yeux pleins de terreur. L'air semblait s'être évaporé de mes poumons. « Comment je peux savoir si t'es pas déjà infecté ? Si dans deux jours tu vas pas te mettre à bouffer des types paumés dans les supermarchés ? » Pourtant, mon arme s'était un peu abaissée. « T'es tout seul ? Y'a personne d'autre avec toi ? » S'il n'était pas seul, j'étais foutu. Tout doucement, je reculais d'un pas pour me positionner de trois quart face aux deux bouts de l'allée vide. S'il n'était pas tout seul, on devait déjà nous avoir repéré. « Où il est, ton groupe ? » Son visage ne me disait rien. Il n'était probablement pas de ceux dont j'avais fui le troupeau. Parce que c'était ça, au fond. Un troupeau de mouton qui se croyait à l'abri dans la bergerie. Sauf que les loups étaient aussi planqués parmi eux.

Il était devenu une âme errante, une âme en peine, toujours seul, perdu dans un monde qui n'avait plus aucun sens. Wren aurait dû se plaire dans ce genre de contextes parce qu'il était solitaire, il l'avait toujours été mais ce n'était peut être plus autant le cas pour être honnête. Après bien des semaines sans croiser une âme qui vive, il s'avérait qu'il était fatigué de cette lutte perpétuelle pour sa propre survie. Voilà qu'il devait encore combattre pour ne pas finir avec une balle entre les deux yeux. Le type devant lui n'avait pas l'air à l'aise avec une arme à la main, Doherty le sentait et c'était très clairement une aubaine. Non, il ne tirerait pas. Pas s'il tremblait autant avec le doigts sur la gâchette. Alors, l'ancien pompier le toisa en essayant de se justifier, si on pouvait dire cela puisque, en réalité, il se contentait de lui dire qu'il était humain. Cela n'expliquait rien à sa présence ici et ce n'était pas certain que l'inconnu daigne baisser son arme avec une si piètre excuse. "Tu peux pas savoir. C'est juste une question de confiance. Je peux juste te dire que je suis pas touché par ces saloperies parce que je peux pas te donner d'autres preuves après tout, si?" Si l'infection était présente en lui, il n'y avait aucun moyen de prouver quoique ce fut. Seul le temps pourrait le dire, seulement le temps oui. Alors, Wren se contenta de baisser les bras en gardant son regard bien ancrée sur la silhouette du type en face de lui. "J'ai pas de groupe. Je suis tout seul. Je l'ai toujours été. Et toi, qu'est-ce que tu fous tout seul? T'as pas l'air d'être un fou de la gâchette." C'était le seul fait qu'il pouvait dire avec certitude, en espérant qu'il avait raison parce que Wren avait tout de même envie de vivre... Encore un peu, simplement.

Je respirais difficilement. C'était le bordel, dans ma tête. Une vraie réunion au sommet digne de l'ONU. D'un côté, j'avais très envie de déglinguer ce type. Je voyais dans ses yeux qu'il savait très pertinemment que je n'allais pas tirer. C'en était presque grotesque. Et puisque je n'allais pas tirer, il allait évidemment vouloir me prendre mon arme. Je déglutis. D'un autre côté, je pouvais baisser mon flingue. Tenter de la jouer ami-ami avec ce type, qui ne semblait pas infecté. Semblait. Peut-être s'était-il fait mordre et ne voulait pas me le dire non plus. Peut-être la folie avait-elle déjà commencé à gagner son cerveau, faisant petit à petit éclater tout ce qui le rapprochait un minimum de la race humaine. Le monde était fou. Il l'avait toujours été, mais c'était impressionnant de constater à quelle vitesse ce dernier avait sombré. La société s'était effondrée comme un château de cartes à cause d'une brise estivale.

« Tu peux pas savoir. C'est juste une question de confiance. Je peux juste te dire que je suis pas touché par ces saloperies parce que je peux pas te donner d'autres preuves après tout, si ? » Tout juste, monsieur le philosophe, que j'avais envie de lui répliquer. Je ne baissais pas mon arme pour autant. Jouer sur la confiance, ça c'était un truc de mec pensant. De mec pensant, mais savait-il se défendre ? Parce qu'au fond, les philosophes, ils étaient un peu comme les talons aiguilles : sympas... mais on n'allait pas bien loin avec. Qu'étais-je devenu, à faire des analogies à propos des philosophes et des talons aiguilles au beau milieu d'un supermarché glauque à en crever ? « J'ai pas de groupe. Je suis tout seul. Je l'ai toujours été. Et toi, qu'est-ce que tu fous tout seul? T'as pas l'air d'être un fou de la gâchette. » Je me crispai sur le manche du glock à sa dernière phrase. Il le savait, que je n'étais pas un fou de la gâchette. Et en plus, il se targuait de me le balancer sous le nez. « J'ai pas de groupe. », lançai-je d'une voix trop forte. « J'ai pas de groupe. Ils sont partis. Enfin, c'est moi qui suis partis. Ils... C'étaient des connards. » Mais des connards qui allaient probablement survivre. Ou pas. Mais les chiens ne se bouffaient pas entre eux. « C'est quand, la dernière fois que t'as croisé des humains ? Des humains vivants. » précisai-je. Pour me rassurer, je tentais de tenir le compte d'humains en bonne santé que je croisais de temps à autres, de près ou de loin. « M-Moi c'est Léo. » Le canon de mon arme s'abaissa tout doucement, je le tenais encore braqué au niveau du bas ventre de mon interlocuteur. « Pourquoi t'es pas parti ? T'as de la famille, ici ? » Parler de son histoire rendait humain. J'en étais persuadé. Et tant que l'on parlait, le dénommé Wren ne me bondissait pas à la gorge.

Se défendre, il pourrait y penser mais Wren était bien trop usé pour oser se montrer digne de sa réputation d'homme à abattre. Il n'était plus ce type là parce que les zombies bouffaient les cervelles de ses congénères et malheureusement pour lui, il n'avait pas d'autocuiseur pour leur faire exploser la tête en retour. Non, aucun moyen de calmer la folie ambiante, pas le temps de finasser non plus, mais Wren avait encore l'espoir putatif que tout irait bien. Foutaises. Les experts de la bactériothérapie n'avaient toujours pas trouvé le remède et on voyait encore de manière constante des zombies unijambistes à la vésicule dégoulinante se pointer dans le coin, bien plus souvent qu'une misérable apparition quadrimestrielle. Tout cela n'avait plus l'air de grand chose, même pas d'une économie kholkozienne, ce n'était pas d'un brumisateur contre la chaleur que Doherty avait besoin, mais d'un bon flingue pour calmer les ardeurs des morts vivants qui passaient. Ou bien de celles du jeune homme face à lui. Il n'avait pas l'air d'avoir envie de lui régler son compte tout de suite alors, il parlait, peut être pour noyer le poisson ou bien pour lui faire comprendre qu'il ne serait pas sauf, quoiqu'il arrive. Ils étaient en face à face, seuls contre tous et Wren ne pouvait qu'attendre que son arme s'abaisse. "T'as mis combien de temps à capter que c'était des connards? Dans les moments comme ceux-là, c'est forcé que l'être humain est une salope." Lui n'avait jamais eu de groupes, c'était mieux ainsi. De toute façon, il était bien incapable de supporter qui que ce fut, trop terre à terre pour supporter toutes ces conneries. "Plusieurs jours. P'tet une semaine. La notion de temps est inutile maintenant. Je suis Wren." L'arme s'était baissée mais elle n'était pas encore à terre alors, l'ancien pompier jouait le jeu, question de survie. "J'ai une petite soeur quelque part, je peux pas me barrer. Et toi, pourquoi tu t'es pas tiré de ce pays de malheur?" Tant qu'il n'avait pas la confirmation que Freya était morte, Wren n'irait nulle part. Fact.

Et même si je baissais mon arme, la tension ne disparaissais pas pour autant. Elles enflait, même, me semblait-il. Parce que désormais, je n'étais plus le plus fort de l'histoire. Il avait percé mon jeu à jour. Même avec une arme, j'étais le faible des deux. Sans même m'avoir touché, Wren m'avait déjà désarmé. C'était foutu pour moi, de toute façon. Je n'avais plus personne. Mes seuls espoirs se trouvaient dans l'isolement le plus complet. Je projetais d'attendre que les choses ne se calment, comme si tout allait retrouver sa place habituelle. De toute évidence, je n'avais pas eu le temps de faire un pas. Dans la nature, j'allais être bouffé tout cru. Même pas par les zombies bouffeurs de tripes, mais par les autres êtres humains, qui n'avaient définitivement rien dans le cerveau. Ou dont, justement, la nature était trop mauvaise pour ne pas vriller complètement. On pouvait philosopher longtemps, sur le devenir de notre société. Ou comment, en quelques jours, tout le monde retournait à l'état le plus primitif. Comment notre instinct que l'on croyait perdu, ou inexistant, nous forçait à détruire l'autre, dans le but de sauver sa propre peau.

« T'as mis combien de temps à capter que c'était des connards? Dans les moments comme ceux-là, c'est forcé que l'être humain est une salope. » Sa réplique m'arracha un sourire. Le premier vrai sourire depuis je ne savais combien de temps. Pourtant, il n'y avait rien de vraiment drôle à cela. « C'est un peu une tautologie, de dire que l'être humain est une salope dans ces moments là. Y'a une théorie qui explique ça, comme quoi c'est évident qu'en trois jours, tous les êtres humains pourraient retourner à l'état sauvage. C'est dans notre nature, d'être une salope dans ces moments là. C'est évident. » Je parlais pour me sauver, sans m'en rendre compte. Il y avait trop longtemps que je n'avais pas adressé la parole à un être humain. Trop longtemps que mon cerveau n'avait pas tourné à plein régime comme il le faisait là. « Je m'en suis rendu compte tout de suite. Quand ils ont commencé à confisquer les armes, pour soit disant 'la sécurité'. Y'a plus de sécurité, on va tous crever. J'ai donné mon Desert Eagle, mais pas mon glock. » J'en connaissais un rayon, sur les armes. Pourtant, avant tout ça, je n'en avais jamais tenu une seule de ma vie.

Je l'interrogeais sur sa rencontre avec d'autres êtres humains. « Plusieurs jours. P'tet une semaine. La notion de temps est inutile maintenant. Je suis Wren. » J'inspirais un grand coup. Mon arme se baissa un peu plus. Elle restait chargée, opérationnelle, le chien encore enclenché et l'indicateur de sécurité me montrait qu'une balle était prête à partir. « J'ai une petite sœur quelque part, je peux pas me barrer. Et toi, pourquoi tu t'es pas tiré de ce pays de malheur? » Les larmes me montèrent aux yeux. « J'ai plus personne. Mes parents sont pas dans le pays, j'ai pas de famille ici. J'ai plus eu de nouvelles de mes amis et... Je suis seul. » Au diable la concentration. J'étalais du poignet les larmes qui ruisselaient de mes yeux. Il ne fallait pas craquer. Craquer, c'était crever. « Tu... J'ai des conserves en trop, si tu veux. On pourrait- » Et le pire vint alors. Un grondement guttural nous indiqua que nous n'étions soudain plus si seuls.

Il se demandait bien ce qu'il pouvait encore foutre ici. Les semaines passaient, les monstres gagnaient, qu'ils fussent des zombies ou des soi disant humains. Pour être honnête, il n'y avait plus réellement d'humanité, juste des bribes d'une civilisation perdue depuis longtemps maintenant. Quelques personnes valaient encore le coup parce qu'elles avaient décidé de ne pas devenir individualistes mais cette poignée de gens étaient les premiers tués. Il n'y avait pas vraiment de place pour la bonté dans un monde comme celui-là. C'était tuer ou se faire tuer, point barre. Wren préférait faire partie de la première catégorie, mais s'il pouvait éviter de buter tous les tocards qui passaient devant lui, c'était tout de même un soulagement. Ces derniers temps, de toute manière, il ne croisait pas une âme qui vive. Il se contentait de faire son petit bonhomme de chemin, passant d'épicerie en supermarché et inversement, sans jamais trouver quoique ce fut d'intéressant puisque, même les conserves n'étaient pas franchement comestibles. Tant pis. Il fallait ce qu'il fallait pour survivre et bientôt, il n'y aurait plus que le cannibalisme pour subsister, autant dire que Doherty n'était pas pressé d'en arriver là. "La philosophie veut qu'on soit des animaux, ouais. On est pires que les morts vivants, maintenant." Au moins, eux avaient une excuse parce qu'ils n'avaient plus de cerveau en état de marche. La seule chose qu'ils connaissaient, c'était la faim. Les vivants, eux, la douleur et la solitude. Apparemment, c'était un point commun que les deux hommes en face à face avaient. "La solitude, c'est mieux que rien. C'est mieux qu'être ces machins... Ouais, on peut imaginer qu'on pourrait part-..." Non, ils n'avaient pas le temps pour faire le compte de ce qu'ils avaient en leur possession puisque les zombies faisaient leur apparition, et en nombre, à l'entrée du magasin. Les affronter ou courir? La deuxième solution semblait la plus réaliste alors que Wren se tapissait dans une allée, invitant son camarade à en faire de même d'un signe de la main. "Faut se tirer de là. T'as pu voir s'il y avait une autre sortie que celle là?" Il avait murmuré ces quelques mots mais Wren espérait sincèrement qu'il y avait une issue de secours. Sinon, ils étaient morts.

Au final, mon index se détendit doucement de la détente. Je respirai un peu mieux. Si ce type me voulait du mal, il serait déjà en train de m'arracher la gorge, non ? Ou une balle de mon propre flingue se serait déjà logée dans mon occipital, non ? Et oui, nous étions pire que les maudits zombies, qui eux, de toute manière, n'avaient plus que ce but là dans la vie. Comment nous, créatures évoluées, avions-nous pu tomber si bas ? Comment n'avions nous pas réagi, lorsqu'il en était encore temps ? Comment étions nous restés passifs, sans rien faire, alors que le monde se décomposait autour de nous ? Je voulais rejeter la faute sur le monde entier. J'oubliais pourtant que j'en faisais aussi partie, de cette masse vrombissante qui n'avait rien su faire d'autre que de paniquer. De paniquer avec une telle intensité, que nous en étions là. « La solitude, c'est mieux que rien. C'est mieux qu'être ces machins... Ouais, on peut imaginer qu'on pourrait part-... » Et les bruits arrivèrent. Les zombies affluaient par l'entrée principale du magasin. Mon cœur bondit contre mes lèvres, alors que mon acolyte de fortune se jeta au sol. Mes doigts aux jointures blanches lâchèrent enfin un peu prise sur mon arme et j'exécutai les mêmes mouvements que Wren.

« Faut se tirer de là. T'as pu voir s'il y avait une autre sortie que celle là? » Je réfléchis à toute vitesse. Ne pas paniquer. Ne pas craquer. Craquer, c'était être mort. C'était se laisser submerger. Il fallait être plus fort. Par où étais-je rentré ? Il y avait des vitres, mais elles se situaient uniquement d'un côté du magasin. Et les zombies devaient être devant ces dernières. L'arrière boutique. Il y avait l'arrière boutique ! Je réajustai mon sac sur mes épaules. « Y'a l'arrière boutique. Amène toi. » J'avais retrouvé un peu de ma contenance. Nous serpentions dans les allées à toute vitesse. Avec un peu de chance, les zombies n'avaient pas encore détecté notre position. Et ils ne semblaient pas très nombreux. Ils constituaient probablement un groupe isolé. Je nous emmenai du côté de l'arrière boutique. Un rideau de fer nous barré la route. Heureusement, il était forcé par le bas. Les gens avaient dû l'abîmer lorsqu'ils étaient venus chercher de quoi manger. J'invitais mon interlocuteur à se glisser par le trou, silencieusement. « Généralement, c'est fermé par derrière, mais si c'est forcé là c'est que- » Et j'entendis un grognement. Juste là, dans l'angle, se trouvaient une de ces affreuses créatures mangeuses de cerveaux. Elle terminait de dévorer un corps. Je ne voulais pas en voir plus. Le souffle court, le cœur au bord des lèvres, je pointai mon arme sur l'amas de chair putréfiée. Le zombie hébété se mouvait lentement, accompagné d'affreux bruits de sussions. « W-wren, il- » On allait crever. C'était sûr, on allait crever là, pour de bon. Au moins, j'étais content de ne pas crever seul.

La situation était critique, la mort proche d'eux comme jamais elle n'avait pu l'être. Dans ce monde de désolation, le destin avait voulu que Léo et Wren s'aident mutuellement pour se sortir de là. Rien n'était gagné d'avance avec une horde de zombies affamés qui rêvaient de leur chair fraîche. Ils avaient beau être tapis en espérant qu'ils fassent demi tour d'eux mêmes, Doherty ne comptait pas franchement là dessus. Ils n'avaient peut être plus de neurones en état de marche mais ils sentait les odeurs à merveille. Non, il fallait fuir, trouver une sortie à tout prix et prier pour que la fin du groupe ne se retrouve pas à l'extérieur, à encercler le bâtiment. Léo eut le temps de réfléchir pour confesser qu'il avait connaissance d'une seconde sortie dans l'arrière boutique, une aubaine qu'ils devaient saisir dès maintenant. Forcément, le karma n'était pas de leur côté puisque le passage était barré, ce qui prendrait plus de temps pour s'extirper dans l'arrière boutique sans encombre. Pire encore, un zombie terminait son repas en toute tranquillité dans un coin et ils étaient bien en vue. Il les voyait, c'était évident puisqu'il laissa sa fin de repas de côté en se tournant vers eux. Wren resta pantois une petite seconde avant de sortir son arme. Non, jusque là, il n'avait pas osé, se disant que Léo ne lui tirerait pas dessus de toute manière mais les circonstances avaient évolué depuis. "Vas y, tire toi en premier. Je retiens le monstre." Il allait sûrement crever si Léo n'allait pas très vite pour lui laisser une chance. Wren voulait jouer aux héros, mettant en joue la bestiole, utilisant ses dernières munitions pour son crâne dégarni. La fin était proche désormais car elle avançait encore, pantelante mais encore un peu vivant. Si c'était la mort qui venait e chercher maintenant, Doherty n'avait qu'à l'accepter, non?

On allait caner là, c'était sûr. Caner là à deux, bouffés par ce truc pantelant ou par la horde qui grattait du côté de l'issue de secours. La horde qui bientôt, allait s'engouffrer par le même trou duquel nous étions sortis. Cet endroit, c'était notre cercueil. Wren sortait une arme. S'il ne l'avait pas fait, je lui aurait filé la mienne. J'étais pas sûr d'être foutu de m'en servir, de toute manière. « Vas y, tire toi en premier. Je retiens le monstre. » Je hochai la tête - ou peut-être pas, j'étais dans une sorte de transe - en me retenant d'éclater en sanglots. Depuis l'intérieur, on entendait des ongles gratter la porte. Notre seule issue était déjà investie de bouffeurs de tripes. Acculé, je reculai en lançant des regards anxieux autour de moi. Le zombie hébété marchait lentement vers Wren, comme s'il était encore capable de le mettre au défi de tirer. Mes mains frôlèrent alors un renfoncement. Et alors que je prenais mon courage à deux mains pour me retourner, je remarquai que là se trouvaient les toilettes de service. « Wren ! », l'appelai-je d'une voix forte. La porte n'était pas fermée à clef et même si la lumière n'y fonctionnait plus, on distinguait qu'elle semblait être une voie sans issue.

Mes yeux se portèrent alors sur une bouche d'aération plutôt large, dans le fond de la pièce. Notre salut. J'appelai mon camarade une seconde fois. Ma voix claqua dans l'air comme un fouet, au milieu des grondements qui se firent de plus en plus pressants. Puisque j'étais trop petit pour arriver à la plaque vissée au mur, je grimpai sur un cabinet pour atteindre la paroi métallique barrée de stries horizontale. Une visse était déjà partie. Les autres ne semblaient pas tenir correctement. C'était la première fois de ma vie que j'étais heureux de me heurter à des aménagements vétustes. De mon sac, je sortais un tournevis, que j'étais très content d'avoir eu la présence d'esprit d'emporter. Avec patience, je tirais une à une les vis et laissait ensuite la plaque poussiéreuse tomber au sol. « Amène toi, Wren ! Ferme la porte ! On va sortir par là ! » J'étais plus excité qu'un gosse à noël.

C'était finalement dans un misérable magasin qu'il allait y passer, avec un quasi inconnu qui avait voulu le buter dix minutes auparavant. Avait-on déjà connu une fin aussi tragique? Wren était juste venu refaire son stock de nourriture et voilà qu'il se retrouvait dans un guet apens digne d'un fin stratège. Zombies à gauche, zombies à droite, il n'y avait plus aucune porte de sortie, lui semblait-il. Alors, tant pis, s'il devait agir en héros pour la seule et unique fois de son existence, autant que ce fut ici, à s'armer devant un mort vivant des plus coriaces. Intensément concentré sur sa tâche, Doherty constata bien vite qu'il n'avait plus de balles et il dût y aller avec le premier objet qui lui tomba sous la main. Oui, un balai pour finir un mort-vivant, technique de désespérés. Il frappa, frappa encore, sans faire attention à la disparition de Léo derrière lui. Son air enragé était encore bien présent au moment où il relâcha son arme de fortune, des traces de sang plein les vêtements mais il n'eut pas le temps de réfléchir à son côté psychopathe qui pointait le bout de son nez puisque Léo l'interpellait déjà. Il suivit sa voix pour le rejoindre dans les toilettes de service, grimpant à sa suite alors que les grognements augmentaient en intensité juste derrière eux. Wren évita de peu sa cheville de se faire happer par la mocheté qui venait d'entrer dans le sas et il put sortir en toute sérénité, pantelant face à Léo. "Bordel, dis moi que t'as un refuge en tête là, sinon on est morts." Pas la peine de commenter son état puisqu'il venait de fracasser un zombie en toute sérénité, et puis, des alertes s'annonçaient pour eux parce que les cadavres ambulants étaient encore tout proches. Il fallait partir, et vite.

Wren et moi nous engouffrions dans le conduit d'aération poussiéreux. Il était assez large pour que nous nous déplacions à tâtons. Enfin, pour moi, en tous cas. C'était là qu'être petit devenait un avantage notable. Mes épaules frôlaient à peine les parois du conduit métallique, qui émettait de drôle de grincement à mesure que nous nous enfoncions à l'intérieur. De la où nous venions, on pouvait entendre les infâmes gargouillis des zombies. « Bordel, dis moi que t'as un refuge en tête là, sinon on est morts. » « J'ai pas de refuge en tête mais on-... » Je venais juste de tourner la tête. Dans le clair-obscur brillaient du sang, partout sur mon acolyte. Je braquai mon regard bien devant moi, jusqu'à la première intersection que formait le conduit. « Les refuges, c'est des nids à merde. 'Faut pas aller là-bas. Maintenant, les gens pas infectés sont encore moins sains que les zombies. » J'inspirai un grand coup. On étouffait, dans ce conduit. Le bruits de sussions s'étaient tus. Peut-être passions nous juste au dessus de la masse grouillante de morts vivants. J'avais perdu mes repères, de toute manière. « Ces conduits donnent directement sur la rue. Mais avec un peu de chance, ça donne aussi sur les toits. Et vu comment c'est dense, les bâtiments autour, on pourra filer par là. »

Mes pensées filaient à toute vitesse. Au moins, cela me permettait d'oublier que les prochaines heures. « Ma plus grosse peur c'est de tomber sur des gens que je connais. Infectés. » Ce n'était arrivé qu'avec des gens que ne connaissais que de vue. Des visages plus ou moins familiers. Mais mes nuits étaient souvent hantées par le visage de Charlie, dont je n'avais plus de nouvelles. Charlie, contre qui je savais que je ne pourrais jamais retourner une arme. « Ça t'es jamais arrivé, à toi ? », lançai-je d'une voix plus forte, comme si je tentais de reprendre contenance. De m'éloigner de mes cauchemars. On sentait un peu plus d'air, depuis quelques secondes. On approchait sûrement d'une sortie.

Le chemin était encore parsemé d'embûches et Doherty n'était franchement pas certain de s'en sortir en un seul morceau cette fois là. D'habitude, il ne s'en inquiétait pas tellement parce qu'il considérait que ce n'était pas deux ou trois abrutis sans cervelle avec la peau qui tombait qui allaient l'abattre mais après une course effrénée contre la montre, Wren n'était plus vraiment à l'aise avec le concept à dire vrai. Il avait déjà failli y passer avec ce zombie sauvage qu'il avait dû terminer à coup de balais et voilà qu'il se baladait dans les chemins d'aération de la vieille boutique. Y avait-il un retour à la surface de prévu à un moment donné? L'ancien pompier l'espérait parce qu'il était très clairement à l'étroit dans ce genre d'endroits contrairement à son compatriote. Il voyait enfin les inconvénients à être trop grand, les murs l'encerclaient et sa respiration était plus difficile. Combien de temps encore? "T'es en train de me dire qu'on va voyager jusqu'au ciel dans ce machin là? Tu réalises que je fais plus d'un mètre quatre vingt dix et que c'est hyper serré là dedans? Quitte à crever cela dit... Prenons ça." Il le suivit sans rechigner après cela, même si dans son crâne voyageait des milliards de pensées, toutes plus noires les unes que les autres. Mourir dans un conduit d'aération, on lui filerait sûrement un Darwin Award pour cet exploit, tiens. Enfin, il n'y avait plus personne pour donner ce genre de récompenses puisqu'il n'y avait plus de systèmes. Quelle merveille, oui, quelle joie. "J'essaye de pas penser à ce genre de trucs, c'est ce qui te tue. Pas ces machins là. C'est de penser. Après, si, évidemment, si je croise ma soeur dans cet état un jour, je..." Il se mettrait une balle entre les deux yeux bien sûr mais il ne pouvait pas vraiment le dire. Wren continua donc sa route jusqu'à ce que la lumière du jour les rattrape. L'extérieur. La résurrection. "Espérons qu'y ait pas des centaines de connards là haut." Mais déjà, Wren se hissait en dehors des tuyaux. L'important, c'était d'y croire jusqu'au bout parce qu'ils n'avaient plus que cela, l'espoir.

« T'es en train de me dire qu'on va voyager jusqu'au ciel dans ce machin là? Tu réalises que je fais plus d'un mètre quatre vingt dix et que c'est hyper serré là dedans? Quitte à crever cela dit... Prenons ça. » Je haussai les épaules, résolu. C'était ça, ou se faire éventrer par les bouffeurs de tripes. Au choix. Je préférai crever étouffé par de la poussière ou des restes de cocaïne planqués là par des dealers louches. Ce que je préférai ne pas imaginer, aussi, c'était le vide qui se trouvait probablement sous nos pieds. On les voyait souvent, des conduits, au plafond des supermarchés. Et on se trouvait peut-être dans l'un d'eux. Voir ma chute amortie par un tas de chair en putréfaction, ce n'était étrangement pas trop mon truc. Fort heureusement, nous nous approchions de la sortie, en témoignait le léger filet d'air qui faisait valser les mèches sales sur ma tête. Et moi, comme un con, je parlais de ce dont il ne fallait pas parler. J'abordais, sans détour, le sujet des proches. « J'essaye de pas penser à ce genre de trucs, c'est ce qui te tue. Pas ces machins là. C'est de penser. Après, si, évidemment, si je croise ma soeur dans cet état un jour, je... » Ouais. Tout pareil.

Nous approchions de la lumière. La ville silencieuse, c'était quand même sacrément flippant. Wren passa sa tête hors du tuyau d'aération, après nous avoir prédit le pire. Tomber sur d'autres types, qui auraient pu avoir la même idée que nous. Fort heureusement, nous semblions seuls. Nous surplombions une petite partie du quartier. Je m'approchai du bord, les cheveux balayés par le vent. « On pourrait presque croire que la ville est endormie. » Ou morte. La seconde option était la plus probable. J'inspirai un grand coup et osai un regard vers le vide. En bas sortaient patiemment une horde de morts-vivants. Je reculai d'un pas, déglutis, dégoûté. Mon regard trouva une colonne de feu, au loin. C'était la position du campement que j'avais quitté. « Ils sont forts, là-bas. Y'a beaucoup de repris de justice, parmi eux. Des types qui sont sortis de leur prison parce que de toute façon, qui résoudra leur cas, maintenant ? Beaucoup attendront que leur affaire judiciaire soit résolue... pour l'éternité. » En fait, ils n'attendaient probablement plus. Mais c'était une autre histoire. Je braquai mes yeux dans ceux de mon compagnon de route. « Alors, hem... Wren... Tu... Tu comptes errer en ville un moment ?... » Non parce, je me sens bien avec toi, que je n'osais dire. Je me sentais en sécurité. « J-j'ai assez de conserve. On pourrait partager, pour ce soir. » Et pour le lendemain aussi, s'il en avait envie. Je ne devais pas me révéler être un poids, sinon c'en était fait de moi.