L'air libre. L'espoir. La vie. Trois notions qui n'avaient plus vraiment de sens et pourtant, ils respiraient encore après ce combat acharné. Wren sortait du conduit avec du sang plein la gueule mais avec aucun regret dans la poitrine. Il s'en fichait pas mal s'il devait être plus violent que ces satanés bestioles, c'était la loi de la jungle, la loi du plus fort et tout ce qui comptait, c'était la survie. Tant que Wren n'aurait pas la preuve que sa soeur était bel et bien morte, il n'abandonnerait pas le combat. Il ferait tout pour sauvegarder le nom des Doherty, mais c'était tout bonnement impossible si Freya n'était plus là. En attendant, il faisait comme il pouvait, s'en sortant plus ou moins bien, le sang séché en témoin des multiples carnages dont il était l'instigateur. Sur ce toit, à l'abri monde en bas, Wren pouvait respirer à nouveau, voyant le regard de Léo se porter vers les silhouettes également. Ils avaient survécu à une horde d'importance, ce qui relevait du miracle mais la prochaine fois, le karma serait-il aussi clément avec eux? Doherty préférait ne pas y penser parce qu'il connaissait d'ores et déjà la réponse, elle était négative. Il n'y aurait plus de chance, plus de hasard, seulement la mort au bout du chemin. "Alors qu'elle est putain de morte, ouais." Plus que des âmes errantes. Autrement, le silence. Et les grognements caractéristiques des morts vivants. Adieu les bruits du monde vivant, les klaxons des voitures et le hurlement des passants. Plus rien de tout cela ne reviendrait jamais, il fallait s'y habituer. "J'traîne dans les hauteurs habituellement, mais ouais, va falloir attendre que ces salauds se tirent de toute manière donc, pas le choix de rester dans le coin. T'aurais dû les buter ces connards, si tu veux mon avis." C'était bien connu, les criminels vivaient plus longtemps, il en était la preuve vivante. "J'ai pas une réserve de fou mais après ce qu'on vient de vivre, je pense qu'on peut faire un bout de chemin ensemble et partager les gains. Aussi faibles soient-ils." Wren s'assit à terre, déballant les restes qu'il avait encore, la faim le tiraillant le ventre, mais peut être pas autant que la solitude. Ce soir, il pensait pour deux et c'était un cadeau essentiel à sa survie.

Elle était presque belle, cette ville déserte. Cette étendue de béton silencieuse, parfois déchirée d'un hurlement précédent une mort douloureuse ou d'un grognement guttural de mort-vivant. Je lâchai au sol mon sac et la tension qui m'habitait depuis que nous avions quitté l'intérieur du supermarché. Les zombies n'étaient probablement pas assez intelligents pour grimper jusque là, de toute manière. « Alors qu'elle est putain de morte, ouais. » « Pessimiste. » marmonnai-je en contemplant le jour qui commençait déjà à décliner.

« J'traîne dans les hauteurs habituellement, mais ouais, va falloir attendre que ces salauds se tirent de toute manière donc, pas le choix de rester dans le coin. T'aurais dû les buter ces connards, si tu veux mon avis. » Je détournai les yeux vers mon interlocuteur. Moi, je ne savais pas trop où traîner. Probablement pas en plein cœur de la ville. J'avais peu envie de subir la peine de mort appliquée par le groupe que j'avais quitté. « J'ai pas une réserve de fou mais après ce qu'on vient de vivre, je pense qu'on peut faire un bout de chemin ensemble et partager les gains. Aussi faibles soient-ils. » Je m'approchai de mon acolyte, poussant mon sac du pied. Une fois assis devant lui, je déballai ce que j'avais réussi à voler durant ces derniers jours. Une autre de mes trouvailles était un lecteur de cassettes portable - et ses quelques cassettes - que je posai devant Wren. « J'écoute ça quand la nuit fait trop flipper. » J'en disais probablement un peu trop sur moi, mais qui pouvait m'en vouloir ? En ouvrant une conserve de maïs avec un couteau, je perdis mon regard derrière mon interlocuteur, sur la colonne de fumée qui s'élevait au loin. « De là où je me suis enfui, ils pratiquent un truc qu'ils appellent 'la peine de Prométhée'. Ils attachent le condamné à un poteau au milieu d'une cour, et puis ils laissent les zombies se servir. Tout le monde assiste perché sur les bâtiments autour. Ça sert à dissuader les fuyards potentiels. » Je frissonnai au souvenir de cette jeune fille, qui ne devait pas avoir la vingtaine et qui avait subit la terrible peine pour avoir tenté de se faire la malle. « Quand j'ai pu partir je suis parti. J'ai pas cherché à tuer. C'aurait été un risque de trop. » Et puis, je n'étais pas sûr d'être capable de tuer tant d'êtres humains non-infectés que cela.

Muni d'une cuillère en métal usé, je m'enfilai déjà une partie de ma conserve au maïs assurément OGM, mais qui avait le mérite de me rappeler que je n'étais pas encore mort. « Alors c'est ça le plan ? On attend qu'ils se tirent et puis on- » On. J'arrêtai un instant de manger. « -peut faire un bout de chemin ensemble. Comme t'as dit. Y'a des types corrompus partout. Si tu veux retrouver quelqu'un, je sais peut-être où on peut aller chercher. » Leçon numéro 1 de la survie en équipe : se montrer absolument indispensable. Ne pas admettre la possibilité d'être mis de côté. Je connaissais un barman qui échangeait des trucs contre des renseignements. Enfin, ancien barman. Son bar était aujourd'hui une forteresse où régnait une trêve toute relative. « On pourra y aller demain. » Maigre pause. J'avalais une autre cuillère de maïs. « C'était comment, ta vie, avant ? » Les gens n'aimaient pas forcément en parler. Mais parfois, parler de la vie 'normale', avant que le monde ne devienne fou, ça donnait un peu de carburant pour continuer d'avancer.

Chienne de vie, tiens. Par moments, Wren avait juste envie d'en finir avec tout ce bordel, ces râles gutturaux qu'il entendait au moins dix fois par jour et qui l'obligeait à changer de cachette toutes les deux heures quand il osait se traîner en ville. A coup sûr, il allait finir en ermite en haut de sa colline et il crèverait la dalle là haut parce qu'il n'y avait plus une bête sauvage à béqueter depuis un moment. Les zombies avaient tout bousillé sur leur passage, détruit les bâtiments, décimé des familles entières et les pauvres idiots qui restaient n'étaient pas bien mieux dans leur genre. Doherty avait toujours tout fait pour éviter ce genre de groupes de toute manière, déjà parce qu'il n'aimait pas spécialement les gens et qu'avec son tact légendaire, il aurait certainement cramé le premier casse-bonbons qui auraient le regarder de trop près et franchement, pas de temps à perdre avec ce genre de conneries. Cela dit, Léo n'avait pas l'air de faire partie de cette catégorie de personnes, il le regardait juste en le traitant de pessimiste mais dans un tel univers, on finissait tous par l'être, non? Wren en avait bien trop vu en tout cas et il avait du mal à saisir que le gamin ne soit pas dans le même état que lui. Non, là, il avait encore la force de sortir les vivres qu'il avait après que Wren en ait fait de même, les deux paumés s'asseyant sur le toit de fortune à regarder la vie qui passait. Manger tout et n'importe quoi, c'était tout ce qu'ils pouvaient encore faire, Doherty s'exécutant sans même regarder ce qu'il avalait, de la merde en boîte mais l'important, c'était de se remplir le bide au maximum. "Putain, un lecteur de cassettes, so vintage, j'adore. Au moins, t'entends pas tout ce merdier là." Il aurait aimé avoir quelque chose comme cela pour ne pas être perdu dans ses pensées morbides la plupart du temps mais Wren se contentait du pire. Mieux que rien, me direz-vous. "'Sont sympas tes anciens potes, dis moi. Du coup, t'es en train de me dire que s'ils te chopent, tu finiras sur un pilori à te faire bouffer par des trucs sans cervelle? Quelle belle fin, vieux." Il réussit à lui sourire, il l'aimait bien ce môme, il en avait dans le ventre, c'était un fait, peut être même plus que lui mais bon, Wren n'avait plus rien à prouver depuis un moment, lui, l'âme solitaire et renfrogné. "C'est ça, on est patients. Et on ira voir ton contact si t'as, ouais. Tu cherches qui, toi?" C'était toujours dur de demander mais Wren, lui voulait sa soeur, fait indéniable. "Avant? C'était pas mieux mais c'était pas pire. Je suis le fils d'un pyromane qui a cramé ma mère. Ma soeur est bipolaire et mon frère est un délinquant, je serais même pas étonnant que ce soit le chef de ta bande de flingués là. Mais j'étais pompier et je faisais ce que je pouvais pour me sortir de ce bourbier. Et toi, tu rêvais avant?" Il devait sûrement avoir des choses plus positives à raconter parce que Doherty, lui, était un cas désespérant dans son genre mais il s'y était fait. Il vivait avec, encore.

Le lecteur de cassettes, je ne m'en servais que dans les moments de crise intenses. C'était pas forcément très futé de se balader avec ce truc sur les oreilles, ça coupait des bruits qui nous prévenaient d'une mort absolument certaine. Mais c'était pratique pour chasser les terreurs de la nuit, quand le besoin s'en faisait vraiment ressentir. « Putain, un lecteur de cassettes, so vintage, j'adore. Au moins, t'entends pas tout ce merdier là. » Je hochais la tête, le poussai devant mon compagnon de galère. « Tu peux t'en servir, si tu veux. La musique c'est rare par les temps qui courent. » Les cassettes étaient toutes pleines de musiques d'une autre ère. Celle que j'écoutais le plus était Laughing on the outside de Bernadette Caroll. Elle représentait bien mon état d'esprit depuis la catastrophe.

« 'Sont sympas tes anciens potes, dis moi. Du coup, t'es en train de me dire que s'ils te chopent, tu finiras sur un pilori à te faire bouffer par des trucs sans cervelle? Quelle belle fin, vieux. » J'opinai du chef. « Incroyable, hein ? Une mort sans gloire mais avec supplément 'douleur jusqu'à ce que mort s'en suive' en cadeau. » J'entendais ses cris dans mes oreilles, ceux de la dernière exécutée façon Prométhée. Elle appelait au secours, mais ne lui répondaient que les zombies aux cris gutturaux et la foule de spectateurs effarés au silence médusé.

Pour changer un peu de sujet - et avec l'appréhension de me faire envoyer balader - je proposai d'aller à la rencontre de ce type qui échangeait renseignements contre tout ce que l'on pouvait posséder de valeur. « C'est ça, on est patients. Et on ira voir ton contact si t'as, ouais. Tu cherches qui, toi? » « Charlie. Ma meilleure amie. » Je déglutis, le regard fixé sur mon maïs en conserve. « J'ai pas eu de ses nouvelles depuis que c'est arrivé. J'ai aucune idée de l'endroit où elle se trouve. » Je priai pour que ma grande perche rousse se trouve quelque part dans le monde, consciente, loin de la population et de ses villes que la folie des hommes gangrenaient. « Avant? C'était pas mieux mais c'était pas pire. Je suis le fils d'un pyromane qui a cramé ma mère. Ma sœur est bipolaire et mon frère est un délinquant, je serais même pas étonnant que ce soit le chef de ta bande de flingués là. Mais j'étais pompier et je faisais ce que je pouvais pour me sortir de ce bourbier. Et toi, tu rêvais avant? » Sacrée histoire. « Je faisais des études de psychopathologie. Et du violon. Je rêvais de galeries d'art, de recevoir des leçons des plus grands. » Qu'était devenu Auden ? A coup sûr, personne n'avait eu sa peau. « Je crois que tout ça a légèrement bouleversé mes plans de carrière. Pas sûr que les zombies aient besoin de se faire étudier psychologiquement ou que le monde ait besoin d'artistes. A moins de peindre avec le sang de ces trucs, bien sûr. » Je désignai ma joue. « T'en a sur la joue. Tu veux des lingettes ? J'en ai piqué au rayon des trucs pour les gosses. »

Le jour déclinait doucement. Je ne savais pas si les zombies étaient plus agressifs de nuit. On racontait qu'ils voyaient mieux dans la pénombre, mais je ne m'étais honnêtement pas penché sur leur acuité ni sur leurs capacités physiques. « Si on reste là pour ce soir, 'faut s'assurer que la bouche d'aération par laquelle on est passés est bien fermée. Tu veux qu'on fasse comment ? Des tours de garde ? » Je n'avais pas eu une bonne nuit depuis... impossible de me rappeler.

Ils étaient deux sur le toit du monde, du moins, c'était l'impression que Wren avait parce qu'ils étaient loin d'être en haut de l'Empire State Building. Non, c'était juste un toit quelconque avec une vue peu réjouissante. De toute manière, personne ici bas n'avait vu quelque chose de vraiment beau depuis l'invasion des zombies. Chaque jour était un nid à problèmes, parfois on crevait, d'autres fois on survivait et on se demandait comment. Un peu comme ce jour-là. Wren n'était plus tellement fringant maintenant qu'il se retrouvait à l'air libre en compagnie de Léo, du sang dégueulasse sur la face à sourire niaisement parce que le brun lui proposait d'écouter un morceau. Rien que ce fichu objet était devenu un luxe parce qu'on ne trouvait plus rien dans les boutiques: qu'elle paraissait loin cette minable société de consommation dont ils avaient fait partie depuis leur naissance. L'heure était aux économies et vu ce qu'ils essayaient d'avaler pour ne pas mourir de faim, ils étaient aussi très loin d'un restaurant gastronomique trois étoiles mais l'important n'était pas là. Ils étaient vivants, c'était tout ce qui comptait alors que Doherty actionnait la cassette et entendait quelques notes vibrer, de quoi le rendre heureux comme un gamin le soir de Noël. "T'inquiète, tu te feras pas choper tant qu'on est ensemble." Wren ne pouvait pas lui dire combien de temps cela durerait parce que la vie dans ce genre de contextes était abrupte et parfois, il fallait prendre des décisions radicales pour s'en sortir. De toute manière, tant qu'il n'avait pas retrouvé la trace de sa soeur, Doherty était parfaitement enclin à s'allier avec une âme en peine. En plus, vu l'épreuve qu'ils venaient de traverser ensemble, ils ne pouvaient qu'être proches. Ils avaient chacun des personnes à retrouver et Wren hocha la tête en entendant parler de la meilleure amie disparue de Léo. Ils en étaient tous là, à s'accrocher à un misérable espoir parce qu'il n'y avait que cela qui pouvait les sauver dans un univers aussi cruel que le leur. "On va les retrouver." Il n'y croyait pas forcément mais il était nécessaire de mentir pour le moral des troupes. En attendant, Doherty écouta attentivement le récit de l'artiste qu'il avait en face de lui. Clairement, les deux hommes ne venaient pas du même monde et si l'apocalypse n'était pas arrivé, ils ne se seraient jamais rencontrés, c'était ce qui était le plus surprenant dans cette histoire d'ailleurs, mais pas forcément mauvais, non. "Je crois que l'univers aura toujours besoin d'art alors, si tu trouves de quoi, fais toi plaisir... Oh, t'inquiète, je vais utiliser mon tee shirt, ça fera qu'une tâche de plus." Ils n'avaient plus de linges propres depuis des semaines de toute manière et ce n'était plus la priorité de personne. Là, il était plutôt question de passer une bonne nuit, voir à nouveau le soleil se lever. Et espérer. "T'inquiète, je garde le fort, j'ai pas sommeil alors si tu veux pioncer, hésite." Wren avait envie d'une bonne clope. Maintenant qu'il avait la musique, ne lui manquait plus que cela, sa drogue et la nuit serait belle, plus que la précédente en tout cas.

« T'inquiète, tu te feras pas choper tant qu'on est ensemble. » J'eus un petit rire, soufflé entre mes lèvres. « Je veux pas être un poids non plus. » Si j'en devenais un, il allait me laisser de côté, pour sûr. Je crois qu'en cas de danger du type 'ma vie ou la sienne', c'est ce que je serais susceptible de faire. De toute manière, le monde ne laissait plus de place aux grands idéaux de sacrifice pour son prochain - auxquels je n'avais, par ailleurs, jamais cru. C'était probablement très égoïste, de penser ainsi. Mais le monde avait toujours été égoïste. L'invasion mortelle avait simplement révélé la véritable nature des hommes.

Nos chances de survie résidaient malgré tout dans la confiance que nous nous accordions mutuellement. Je ne comptais pas fausser compagnie à mon camarade de fortune, mais nous savions probablement tous deux qu'en cas de danger plus qu'imminent et s'il n'y avait pas de solution de repli ensemble, celui qui courrait le plus vite allait s'en sortir, et peu importe si le second avait du retard. Cynisme ? Non, réalisme. Et pourtant, j'évoquai avec espoir la possibilité de retrouver ma meilleure amie. Elle était assurément la personne que je voulais absolument retrouver, celle qui était la raison pour laquelle je ne quittais pas la ville. Je devais savoir. Était-elle vivante ? Morte ? Je ne pouvais pas partir m'isoler - ou essayer, du moins, de fuir la ville; ce qui n'était déjà pas une mince affaire - sans en apprendre plus à propos de ce qu'elle était devenue. « On va les retrouver. » Je hochai la tête. Morts ou vivants, nous partions avec l'objectif commun de retrouver les être chers. Et c'était peut-être la clef de la survie, d'aspirer à un objectif commun.

Nous parlions de nos objectifs d'avant. Je souris à la perspective de faire de l'art pour zombie et haussai les épaules. Wren déclinai également poliment ma proposition de lingettes. Quelle idée, de voler des lingettes. Certains trucs, comme l'hygiène n'avaient pas, chez moi, été abolis par l'invasion de zombie. Mes manies étaient peut-être le dernier bastion de ma personnalité, ce qui me raccrochait au bord d'un gouffre au fond du quel se trouvait la folie. Au fond duquel on manquait de tomber chaque jour. Il fallait prendre garde à rester bien accroché au bord, quel qu'en fut le prix. Je terminai la boîte de conserve jaune et verte avant de bailler un grand coup. Wren proposa de monter la garde et je ne cherchai pas à le contredire, trop à la recherche de quelques minutes de repos. La fatigue me tomba soudainement dessus, comme si elle avait attendu des semaines avant de le faire. De mon sac de randonné - piqué dans un magasin spécialisé - je sortis une couverture. J'avais piqué le tout dans un magasin de sport. Les gens avaient, bien sûr, chouré tous les sacs de couchage. Ne subsistait que cette couverture dont l'angle était teinté de rouge. Je ne voulais pas savoir pourquoi cette couverture semblait imbibée de sang dans un de ses coins, mais elle me tenait plutôt chaud et ne prenait pas beaucoup de place dans mon sac. Je me servis de ce dernier comme d'un oreiller. « Le walkman fonctionne à piles. S'il fonctionne plus sors les et frotte les un coup contre ton tee-shirt. Il est vieux, ce truc. Y'a des faux contacts. » dis-je en désignant le lecteur de cassettes que j'avais laissé à côté de lui. Ça aussi, il me sembla que c'était l'un des derniers bastions de l'humanité : l'amour de la musique.

Je ne savais pas combien de temps j'avais mis à m'endormir. Je ne dormais pas vraiment, en fait. Je somnolais simplement. C'était pourtant le meilleur temps de repos que j'avais eu en de nombreuses nuits. Je m'éveillai presque en sursaut lorsqu'un bruit se fit entendre. Des rires bruyants, en bas, dans la rue. Je cherchai mon acolyte du regard. « Wren ? » Même si le sommeil ne m'avait pas complètement gagné, ma vue était ensommeillée. « Wren je crois qu'ils sont nombreux. » Les pas se rapprochaient. Une milice, probablement. Pouvaient-ils nous repérer ? Allaient-ils entrer dans le supermarché et voir que nous étions passé par là à peine quelques heures plus tôt ? On les entendait déambuler, en bas, dans a rue. Les voix m'indiquaient qu'ils devaient être cinq, peut-être un peu plus. Et s'ils n'avaient pas peur de se promener de nuit en manquant de discrétion, ils devaient, alors, être armés jusqu'aux dents. Ou peut-être étaient-ils trop fous pour se soucier de la menace mortelle qui planait sur les environs.

[justify]Oublier durant quelques heures qu'ils allaient probablement tous y passer dans des circonstances terribles, c'était un rêve comme un autre même si, dans le monde actuel, on pouvait le considérer comme un fantasme de môme. Wren était loin de ce cliché pourtant. Il ne croyait pas en grand chose, sûrement pas en Dieu et tout ce qui lui permettait de poser un pied devant l'autre au quotidien, c'était sa force de caractère. Un Doherty n'aurait pas pu agir autrement, pas un vrai en tout cas car la survie valait plus que tout à leurs yeux. Il aurait pu se laisser crever, tant d'autres l'avaient fait de désespoir parce que tout leur entourage avait disparu ou était devenu des monstres sanguinaires. Wren préférait cramer tous ceux qui abandonnaient, il ne serait pas de ceux là. Il mourrait certainement en agonisant, se battre jusqu'au bout n'avait pas la même saveur que celle de l'abandon et il ne tenait pas à goûter à la seconde catégorie de défaite. Pour le moment, il profitait de la pureté de l'instant, cigarette au bec et de la bonne musique dans les oreilles. Le son grésillait mais il n'avait pas l'air d'y prendre garde, pas après toutes ces semaines passées à vivre avec ses pensées sans avoir la possibilité de les occulter par un quelconque bruit de fond. C'était ce dont il avait besoin mais c'était aussi parfaitement dangereux dans ce genre de situations, avec Léo qui pionçait quelques mètres plus loin et la lune au dessus de leur tête. L'ennemi n'était jamais loin, ramenant avec lui le danger et surtout la mort. Personne ne pouvait s'estimer rescapé, pas plus de quelques heures en tout cas et ce fut ce que capta Wren au moment où la silhouette de Léo sembla s'éveiller un peu plus loin. Il arrêta la musique qui empêchait ses tympans de fonctionner à plein régime et écouta à son tour les quelques bruits qui venaient d'en bas. Non, ils n'étaient pas seuls et en vue de leur sous effectif, il valait mieux faire profil bas. "Si on fait pas un bruit, on se fera pas choper. Y a aucune raison qu'ils se doutent que deux péquenots sont montés là haut, si? Sinon, on aura pas le choix... On devra sauter et pas sûr qu'on s'en sorte sans une jambe pétée, au mieux." Effectivement, le toit était suffisamment haut pour leur faire risquer une blessure risquée dans une telle apocalypse. Doherty invita Léo à ramasser leur barda et il se terra dans un coin, juste au cas où. Au fond, il n'avait pas peur. Dans le pire des cas, il crèverait en rendant coup sur coup et ça, il appréciait déjà.