Ginny était enceinte. C’était la seule chose qui roulait en boucle dans ma tête depuis le début de la semaine. Je repassais tout, absolument tout, du plus petit élément au plus évident, des détails que j’aurais jamais pu voir, jamais pu contrecarrer aux trucs tellement clairs et limpides que je m’en voudrais probablement toute ma vie de ne pas les avoir aperçus en temps et en heure. Ginny était enceinte, Ezra était le père, ils étaient ensemble dans mon dos depuis presqu’un an. Il fallait que j’arrête de me le répéter, il fallait que j’arrête de jouer au con à repasser en boucle le moment où ma sœur m’a dit, l’instant où elle est passée dans l’embrasure de la porte de ma chambre, où elle s’est posée au ralenti sur mon lit, où ses yeux se sont plongés avec un courage que je ne lui aurais jamais connu dans les miens. Fallait que j’arrête, parce que je les sentais mes jointures qui se serraient, mes poings qui se refermaient sur eux-mêmes, la rage qui remontait et la gueule de merde d’Ezra que j’avais pas défoncée assez à mon goût quand j’étais allé le retrouver à peine quelques heures plus tôt.
Dans la chambre à côté, j’entends Jill qui râle, qui rogne, qui fout quand même toutes ses fringues dans ses valises, mais qui pourrait pas le faire plus bruyamment même si elle essayait. Du côté de Gin, c’était le silence le plus complet, pur et dur. Maman la lâchait pas d’une semelle, et quand elle manquait à la tâche, je prenais le relais. Ma benjamine qui ne disait plus un seul mot depuis qu’elle en avait déjà dit tellement, sa silhouette qui écorchait les coins de murs, mes yeux qui la lâchaient pas. On part demain, Ginny. On part d’ici demain, on va aller te construire une vie comme tu la mérites ailleurs, promis, y’a que du beau qui s’en vient, y’a que le meilleur qui est à venir pour toi. Loin d’Ezra. Loin du gars qui pourra jamais avoir les épaules assez solides pour être père. Du gars qui pourra jamais te rendre heureuse, qui pourra jamais t’offrir une famille à ta hauteur.
Et je sursaute quand par la fenêtre, ça grince. Sa silhouette qui était passée par là des tonnes de fois avant, et une dernière fois aujourd’hui apparemment. Je tourne pas tout de suite mon regard vers Allie, parce que je dois prendre le temps de ramasser mes mots, parce que je dois être plus fort que ça, plus fort que tout. Et lorsque mes iris trouvent enfin les siens, il faut même pas 5 secondes pour que je réduise les quelques centimètres entre nous pour la prendre dans mes bras. Elle sait qu’on part. Elle sait que j’ai cassé la gueule d’Ezra. Elle sait que ma petite sœur à peine adulte est enceinte, elle sait tout ça. « T’es venue. » et elle sait aussi que je suis qu’un gros con qui statue l’évidence, et qui la remercie comme ça, qui clame haut et fort à sa façon, que sans elle dans les parages, j’en mène pas large.
Elle se répète qu’elle est seule, comme si cette association de termes ferait disparaître l’être qui s’était logé en elle. Elle l’imagine déjà, à quoi il ressemblera. Elle a des images de mômes, amalgame d’elle et de Matt. Elle a des images d’avenir, de conditionnel, de possibilités, quand vraiment, tout se brise déjà. Elle se juge malsaine, mais se complait dans ses travers. Elle ne parle à personne de cette grossesse alors qu’elle y songe constamment, que les symptômes se font de plus en plus présents mais, dieu merci, demeurent discrets. Son esprit tourbillonne de scénarios, à la recherche de quel acte poser. Doit-elle en parler à Matt ? Doit-elle gérer cela seule ? Doit-elle attendre - le peut-elle ? Elle reconnaît qu’il est en droit de savoir, elle est convaincu qu’il doit le savoir. Pourtant, quand il n’a que Ginny et sa fureur de devenir un oncle beaucoup trop tôt à son goût à la bouche, elle est incapable de lui formuler les mots lui faisant comprendre qu’il risque fortement d’être père avant l’heure également. Quand il parle de sa soeur, elle a l’impression qu’elle a été souillée, cassée, infortunée. Elle refuse qu’il la regarde comment il fixe avec pitié sa cadette. Elle refuse qu’il se dénigre comme il méprise Ezra.
Elle inspire profondément. Son secret qu’elle couve autant qu’elle l’aime, elle renonce à mêler qui que ce soit à la danse, de peur se de faire influencer. Elle ne veut pas partager, non plus, parce que c’est son choix, son histoire, et tout est beaucoup trop difficile, trop abstrait pour sa logique, sa volonté de raisonner scientifiquement quand le destin l’a prodigieusement déstabilisée. Un coup du maître. Elle n'aurait pas dû tomber enceinte. Pourtant, elle l’était. Les tests sanguins le clamaient, le taux d’hormone de grossesse explosant presque le plafond à ses yeux, en toute insolence. Son organisme est all in, son mental peine juste à suivre. Mais elle l’explique, elle sait où elle a fauté - où ils ont baissé leur garde. Et elle calcule les jours les séparant tous les deux, tous les trois, encore et encore.
Elle se glisse dans l’embrasure de la fenêtre, discrète. Elle contemple le dos du McGrath, se fait mal à penser que bientôt, elle le verrait peut-être pour la dernière fois, que ce serait l’ultime vision qu’elle aurait de son être. Elle déglutit, chasse le chagrin, lève les yeux quand il se précipite vers elle pour la serrer dans ses bras, heurter une poitrine stupidement déjà douloureuse mais qui ne la fait nullement grimacer dans les circonstances. Elle hume inaudiblement son odeur, maintient sa chaleur. « T’es venue. » Elle ne le rejoint pas à statuer l’évidence, plutôt, elle le décrypte de manière à mieux éviter son regard. Ses doigts glissent dans sa main, porte ses jointures explosées à ses lèvres. « C’est quoi le plan, maintenant ? » Elle interroge, son timbre invitant presque à défoncer davantage le Beauregard. Néanmoins, elle ne voit que sa gigantesque et intransigeante valise qui menace de lui briser le cœur en arrière-plan, la détresse de Matt qui l’empêche de lui en vouloir de suivre ses parents quand il aurait l’âge de rester avec elle. Quand il aurait pu, égoïstement, décider de garder sa vie ici, continuer de la bâtir, loin de sa famille. Elle ne pourrait jamais lui formuler la demande de rester à ses côtés, toutefois, seulement l’espérer au creux d’un silence inavouable. Il va tant lui manquer, elle n’en sortira pas indemne.
Je sais qu’elle est là, je l’entends monter, j’entends la structure craquer, la fenêtre glisser avant qu’elle ne s’y engouffre. Je sais aussi que c’est pas comme les autres fois, que c’est pas une autre soirée où elle s’impose, où je demande que ça. Je sais que c’est probablement l’un des seuls moments qu’il nous reste avant qu’on parte tous pour Londres, avant qu’Allie reste ici, qu’on y passe quelques mois le temps que Gin retombe sur ses pattes, qu’Ezra comprenne le message. Là, à l’instant, j’ignore ce qui se dit au salon, j’ignore les décisions qui se prennent entre mes parents et les parents Fitzgerald, à quel point Isaïah et Marianne sont en train de planifier toute la vie de ma soeur, sont en train de lui tracer un chemin linéaire et obligatoire qu’elle aura jamais la possibilité de fuir à la seconde où on posera le pied au manoir familial. Ça, je le sais pas, et encore heureux, je veux pas le savoir. Je le saurai bien assez vite, je serai impliqué dans toute cette histoire bien trop creux pour le réaliser à temps.
Ça a jamais servi à rien de jouer les cool kids avec Allie, de faire comme si sa présence me donnait pas envie d’être près d’elle, le plus possible. De garder des distances qui me font chier, de mettre des barrières quand elles sont pas nécessaires. Je m’en fous, complètement, d’avoir l’air désespéré quand je finis par passer mes bras autour de sa taille, par rapprocher sa silhouette de la mienne dans une étreinte qui a un goût vraiment très (trop) amer en bouche. Elle est calme la brune, elle vient trouver ma main, elle embrasse mes jointures, y’a du sang séché qui tâche ses lèvres, j’efface d’un baiser volé en la gardant encore le plus égoïstement du monde contre moi le temps qu’il faut. « C’est quoi le plan, maintenant ? » un rire beaucoup trop triste, beaucoup trop blasé, beaucoup trop épuisé qui se casse sur mes lèvres quand mes yeux s’accrochent aux siens, qu’ils les lâcheraient pas pour rien au monde. « Le plan maintenant, c’est d’espérer qu’il ait le culot de revenir dans le coin pour que je termine ce que j’ai commencé. » Ez qui était tellement mal en point quand je l’ai lâché, quand Deklan nous a séparé, quand ils ont filé tous les deux pendant que je vociférais à leur intention. Mes menaces auront jamais l’effet d’une conclusion autant que mes poings sur sa gueule. « Tu y crois toi? Une vie entière qui entre dans une seule valise? » le soupir qui suit, le coup d’oeil que je me fais violence d’arracher de ses prunelles pour filer par-dessus mon épaule, pour pointer mes affaires d’un geste dédaigneux du menton.
« On part vendredi. » mes iris qui retrouvent ceux d’Allie. Et la demande qui sera jamais assez odieuse pour être clamée à voix haute. Le double-sens qui fait étrange sur ma langue. “On”. Elle viendrait pas, je lui demanderai jamais. Ce serait con même d’y penser, encore plus de l’affirmer. Elle mérite mieux que d’être aux premières loges de mes drames familiaux, elle a pas à y être impliquée. Et de toute façon, quand tout sera réglé, on reviendra ici, on reprendra nos vies, tout se replacera comme il le faut. C’est sûr. Ce sont pas des adieux.
Leurs lèvres se rejoignent pour un énième baiser volé mais aussi, horriblement, possiblement un des derniers. Elle a le sentiment de faire face à un compte à rebours cruel, qu’elle fuit tant bien que mal, se consacrant au moment présent en feignant d’être si atteinte par l’imminent. « Le plan maintenant, c’est d’espérer qu’il ait le culot de revenir dans le coin pour que je termine ce que j’ai commencé. » Elle croise son regard, dubitative. Les questions gravitent au fond de son être mais elle s’interdit de s’investir dans ce sujet-là. Elle ne connaît pas Ezra, peu Ginny - cela justifie à son sens son incompréhension devant l’intense mépris que Matt voue à l’égard du blond, et elle sait que le jeune homme a ses raisons et les respecte. Mais surtout, la vérité demeure en le fait qu’elle ne s’intéresse pas au milieu du McGrath, elle ne veut pas se mêler des affaires de ses proches. Seul lui l’éprend. Elle l’aime tant qu’elle n’a plus d’attention disponible pour les autres.
« Tu y crois toi? Une vie entière qui entre dans une seule valise? » Ses iris se posent sur l’inconcevable, l’odieux éléphant dans la chambre à coucher qui fait plonge dans la pénombre tous ses espoirs. Elle pose sa main sur le torse de Matt, assure : « C’est pas ta vie, ça. » Elle pourrait tant dire. C’est pas sa vie de partir comme ça, de la laisser derrière lui. C’est pas sa vie de suivre ses parents quand il aurait tant à faire à Brisbane. C’est pas sa vie de changer de lieu quand elle lui cache une potentielle paternité. Mais surtout : « C’est que du matos. Toute ta vie est là... » Sa paume se positionne contre son cœur. « Et ici. » Les doigts de sa main libre viennent tapoter doucement, avec jeu, la tempe du garçon. Un sourire tendre et amusé embellit son minois, elle ne se compte pas dans le lot.
« On part vendredi. » Le couperet qui s’abat, l’abominable compteur à rebours qu’il lui balance en plein visage, la gifle. Elle sent une pierre tomber lourdement dans son estomac. La vérité qu’il statut, qu’elle connaît, mais à laquelle elle est incapable de se résoudre. Elle déglutit difficilement et acquiesce. Elle baisse les yeux, se distance de lui, s’approche de la fenêtre, virevolte, hésite. « Et si j’te tatouais ? » Pour pas qu’il l’oublie.
15 minutes à vider mes tiroirs, 10 à faire la même chose avec mes placards. À peine une pour aller dans la salle de bain ramasser mes conneries qui traînaient sur le comptoir, le reste serait apparemment posté à Londres au fil des mois qui suivraient. Ils avaient tout planifié les parents, bien plus que ce que je pensais, ils avaient tout écrit et tout dressé, ils avaient une sortie prête, toute tracée, on faisait que suivre complètement aveuglés sans poser de questions. Jill avait essayé d’élucider ça la veille, Jill qui remettait toujours tout en tort, qui avait grandi ainsi, qui critiquait, s’entraînait furieusement jour après jour à ne jamais croire quiconque, à toujours ne faire confiance qu’à soi-même. Mais papa l’avait remballée si violemment et si vite qu’elle s’était tu de suite. C’était agressif, ça avait fait mal, y’avait eu un silence de mort après. Et Gin, pauvre Gin. Elle prenait tout sur ses frêles épaules, elle évitait nos regards, elle était juste une ombre ma sœur, elle me brisait le cœur un peu plus chaque jour. Calme Matt. Ezra souffre dans son sang et dans ses os cassés là, respire, pense à autre chose. Mes bras qui se resserrent un peu plus autour d’Allie, qui la rapprochent presque de force sous l’impulsion, quand elle initie aucun mouvement de recul. Passer une impulsion pour autre chose, noyer mon envie de tuer Ezra en gardant contre moi la seule personne qui arrive à me faire oublier une seconde juste une toute cette histoire.
« C’est pas ta vie, ça. » la voix d’Allie qui résonne dans la chambre, et son doigt qui rôde sur mon cœur, « C’est que du matos. Toute ta vie est là… » sur ma tempe. « Et ici. » elle essaie de relativiser, elle a raison le pire, j’aurais tant aimé être capable de le lui dire. « Depuis quand t’es la plus sage de nous deux? » mais à la place je laisse un énième sourire d’idiot apparaître sur mes lèvres, retient le soupir qui a presque réussi à se faufiler. Apparemment, c’est ma vie maintenant, de partir en catastrophe à l’autre bout du monde. Apparemment, c’est ma vie maintenant de participer à la cellule de protection de ma benjamine pour le meilleur et pour le pire. J’ai pas réfléchi plus loin, j’ai pas voulu non plus. Parce que si j’y avais pensé deux minutes de plus, j’aurais probablement réalisé à quel point c’était la pire idée de l’univers, de nous éloigner à ce point, de rejouer les années 40 all over again. Si j’avais arrêté d’être un stupide grand frère protecteur de merde, j’aurais bien vu que ça se faisait pas de la déraciner quand elle est à ce point à terre. Mais c’est l’instinct de survie qui avait pris le dessus. C’est tout sauf la raison qui justifiait les actions, c’était juste la seule option pour la protéger. De quoi? J’osais pas penser à quoi que ce soit d’autre qu’au putain d’Ezra.
Et Allie s’esquive de mes bras, je le réalise juste quand il y a un coup de vent qui passe à travers la fenêtre, que j’ai stupidement froid l’instant d’après. « Et si j’te tatouais ? » « Et depuis quand tu demandes? » je rétorque, le sourcil qui se hausse, les iris qui suivent sa silhouette sans penser à faire quoique ce soit d’autre. Ma peau qui gardait ses souvenirs, ses essais, ses horreurs, ses réussites. Y’avaient des nuits de beuverie qui s’étaient terminées avec ses tentatives éparpillées sur des endroits qu’elle jugeait relativement cachés, d’autres fiestas qui s’étaient couronnés des tatouages impeccables vu la quantité d'alcool dans notre sang, que je l’avais encouragés à faire rien que parce que c’était comme ça qu’on fonctionnait tous les deux. If only for the story – et son histoire à elle, notre histoire à nous, je la gardais autant sur mon épiderme que dans ma tête, mon cœur. Pourquoi tu parles au passé Matt?
« Doit rester un de tes marqueurs à quelque part… » je pense à voix haute, la laissant errer autour de la fenêtre pour jeter un coup d’œil sur mon bureau, dans mon bordel le moindrement épuré, la valise qui se charge du reste. Toutes ses affaires que j’avais pas réussi à toucher, à classer, à mettre de côté, toutes ses affaires qui vivaient ici, qu’elle avait laissées, je l’encourageais à le faire et qui devraient finir par revenir en sa possession à un moment ou un autre. Mais je pense pas à ça – presque – occupé à chercher de quoi tracer la base, de quoi marquer ma peau en attendant qu’elle y tatoue ce qu’elle veut.
Elle hume discrètement son parfum, ses doigts se sont immiscés dans son cou qu'elle cajole délicatement. Elle invite son visage à se rapprocher du sien, rêve de ses lèvres à nouveau contre son épiderme. Il lui manque déjà, elle ne pense qu'à son départ, peine à savourer les derniers instants en sa compagnie. Elle ne veut plus le lâcher, son cœur bat si fort contre sa poitrine qu'elle est convaincue que Matt le ressent, que son tambour se heurte à lui. Ses mains parcourent son cœur, ses tempes. Ses prunelles voguent contre ses traits, sa paume se pose sur son épaule, presse les muscles qui l'ont serrée tant et si bien auparavant. « Depuis quand t’es la plus sage de nous deux? » « Depuis que je te connais. » Un sourire en coin étire délicieusement ses lippes, son regard pétille d’espièglerie. Le connaître rimait à procurer une palette magnifique d'innombrables couleurs dans son existence. Il lui a appris à s'aimer, à avoir confiance en elle, à connaître sa valeur, à poursuivre ses rêves, à clamer ce qu'elle désirait et nécessitait. Il lui a appris à être, tout simplement. Et depuis, elle vit, elle vole, elle l'aime.
Sa main court de son épaule à ses doigts. Elle joue avec eux, les malmène un peu, force des alliances, initie des étreintes, chérit ses phalanges, poursuit ses blessures. Puis Allie se glisse de ses bras, impose une distance entre eux deux, apaise ses maux. « Et si j’te tatouais ? » Elle veut le marquer, lui laisser d'elle, encore, irréfutablement. Elle a besoin qu'il ne l'oublie jamais, qu'elle demeure gravée en lui même si sa mémoire défaille un jour. Elle désire que jamais il ne l'oublie, car lui, il est tout en elle, jusqu'à la vie qu'il a fait germer sous son nombril. Elle a déjà laissé sa trace sur son épiderme, mais ce soir, ce sera particulier, unique - vital. « Et depuis quand tu demandes? » Elle songe, établit déjà mentalement des dessins, envisage son chef d'oeuvre favoris. Le plus important de tous. « Doit rester un de tes marqueurs à quelque part… » Il s'active, il lui fait subir inconsciemment une énième visite de sa chambre à coucher par ses mouvements plus ou moins stratégiques. Allie refuse de fixer l'odieuse valise, elle feint d'apercevoir ses propres affaires dont elle devrait le déposséder. Ses ongles soulèvent toutefois une chaîne de pacotille qu'il lui avait offerte, gagnée en échange de quelques dollars australiens. Elle n'a jamais voulu de fleurs, ni de peluche. Elle l'a menacé férocement s'il dépensait de l'oseille dans de telles futilités. Elle favorisait ce qui vivait ou restait. Inconsciemment, sa main se pose sur son ventre, puis glisse vers son bas. « Trouvé. » Elle ment, le feutre était dans sa poche, mais elle n'en peut plus d'attendre, elle est tannée de sa mascarade à essayer de dompter son innommable pagaille.
Elle se rapproche de son amant, le pousse avec douceur et jeu pour qu'il s’assit sur son matelas. Sourire en coin, elle s'installe à califourchon sur lui, dépose nonchalamment ses avant-bras contre ses épaules. Ses mèches virevoltent sous l'impulsion de la brise et viennent taquiner son portrait. « Tu le veux où ? » Et sans lui laisser le temps de répondre, elle craque à nouveau. Ses doigts fins glissent amoureusement sur son visage, chérissent ses traits, choient sa mâchoire. Ses doigts effleurent ses joues rêches d'une barbe rasée avec trop de véhémence ou précipitation. Elle se plonge dans son regard, s'y perd le temps d'un souffle, et irrésistiblement, pose brièvement ses lèvres sur les siennes. « Et tu veux quoi ? » Elle se redresse, ses mains sont sur ses épaules désormais. La droite y reste que quelques secondes avant qu'Allie ne se conforte à glisser ses doigts dans les cheveux situés sur la nuque du garçon. « Profite, pour une fois que j'te donne le choix. »
« Trouvé. » « Dans mon bordel? » et ça m’arrange pas nécessairement qu’Allie ait l’œil plus expert que le mien, parce que j’avais besoin d’une poignée de minutes à me concentrer à faire n’importe quoi d’autre, un truc tellement insignifiant qu’il sert à rien, mais tellement nécessaire qu’il me fait du bien. J’inspire, je soupire, mais quand je finis par tourner la tête et qu’elle est proche, qu’elle me force avec toute la douceur du monde à m’installer sur le lit, ça va un peu mieux, c’est un peu moins chaotique dans ma tête de con, d’aveugle, d’enragé, de grand frère. « C’est tout à ton honneur. »
Et ses mains s’égarent sur moi, elles papillonnent, autant que ses coups d’œil, ses mots à travers. « Tu le veux où? » j’ai pas le temps de répondre que les lèvres d’Allie reviennent sur les miennes, restent assez longtemps pour que je puisse couver sa nuque de ma paume, mais pas suffisamment pour que je n’expire pas, assurément déçu, lorsqu'elle se détache. « Où est-ce que je risque de le voir le plus? » mes sourcils que je fronce, faussement réfléchi, laissant ses doigts jouer avec les pans de mon t-shirt, les miens rattraper ses mèches qui s’ébouriffent d’elles-mêmes. Et j’ai mieux à faire que de réfléchir, et j’ai pas envie de penser là, ni à ça, ni à rien d’autre, quand ma tête finit par se lover contre son visage, quand mes baisers finissent par tracer une ligne invisible le long de sa mâchoire.
« Et tu veux quoi? » elle s'éloigne encore un peu trop, j’en râlerais presque. « Profite, pour une fois que j'te donne le choix. » si elle ne laissait pas l’une de ses paumes venir se loger dans mon cou, si mes iris ne trouvaient pas de suite les siens sans même avoir besoin de les chercher. « J’aime mieux quand tu décides de tout. » que je finis par statuer, un sourire en coin qui tente de se faire une place sur mes lèvres, qui doit être forcé, mais qui arrive le moindrement à se creuser une place maintenant que je réalise que j’ai probablement pas sourit, ou tenter de, depuis des jours. « Ça me fait encore plus penser à toi comme ça. » j’ai envie, là, de poser mon front contre le sien, de fermer les yeux, d'y rester le temps qu’il faut. Mais ça serait du temps de perdu à pas la regarder, à pas voir qu’elle est là, et pas nulle part ailleurs. Pas à l’autre bout du monde, du mien. Alors je bouge pas, j’attends, je fixe, j’observe, je mémorise. J’enregistre tout.
Elle s'est installée à califourchon sur les cuisses du garçon, ses genoux s'enfoncent mollement dans le matelas de son lit simple. Son regard azuré ne le quitte plus, il le couve chèrement, accompagne ses doigts délicats qui parcourent pour une énième fois, amoureusement, ses traits, son grain de peau. Ses lèvres viennent rencontrer les siennes, doucement, dans un baiser regorgeant de bonté, de bienveillance, d'espoir. Elle milite perpétuellement contre le constat brutal que ses heures avec le garçon qui fait tant battre son cœur soient comptées. Elle ne veut plus y songer, elle savoure chaque seconde aspirant à l'éternel, chaque parcelle de son corps qui épouse naturellement le sien, chaque regard complice qu'il pose sur elle, chaque sentiment et émotion doté de l'unique qu'il lui transmet sans filtre aucun. Elle inspire profondément, hume son parfum, glisse les doigts d'une de ses mains dans ses cheveux soyeux. Comment la destinée peut-elle être si odieuse, si cruelle, si terrible, pour les séparer ? Elle y croit, à leur idylle, leur utopie, leur euphorie. Elle coule de source selon elle, elle est inexorable. Tout comme l'être qui croît en elle, la vie qu'ils ont fondée, coupables de s'aimer si fort.
« Où est-ce que je risque de le voir le plus? » Un sourire aussi amusé qu'insolent étire ses lippes. « Sur ton front. » Elle décapuchonne le marqueur, menace d'inscrire de premières lignes sur le visage du garçon. Il fronce les sourcils, conserve son rictus ; elle ferme de nouveau le stylo et le cale dans ses cheveux bouclés. Les mains d'Allie recherchent tendrement la chaleur du corps de Matt, elles se glissent subtilement sous son t-shirt alors que le minois de son amant se love contre son cou, trace un sillon de baisers le long de sa mâchoire féminine.
L'idée de dessiner son épiderme une nouvelle fois n'en est nulement altérée, toutefois. Elle relance, réitère, glisse des mains câlines derrière son cou. « J’aime mieux quand tu décides de tout. » « Je t'ai tant habitué à la soumission que voilà que tu ne sais plus décider par toi-même, » elle taquine, à s'en heurter le cœur : elle ne jouit malheureusement pas de tant de pouvoir, puisqu'il s'en va. Elle désirerait tant lui prier de rester, mais jamais ne s'adonnerait-elle à la pratique d'influencer ses choix de vie ni la priorisation de ses valeurs. Autant elle souffre que sa famille passe avant elle, autant elle s'évertue à le respecter. Elle est tombée amoureuse de Matt pour qui il est, défauts comme qualités, erreurs comme failles, triomphes comme forces. Il compose son oeuvre favorite, inachevée, brute, authentique.
« Ça me fait encore plus penser à toi comme ça. » Elle conserve son sourire, son affection pour lui fait tant briller ses yeux qu'on aurait pu croire qu'il y a imposé le reflet du firmament. « Bonne réponse, Casanova. » Elle réfléchit, envisage le canevas qu'elle connaît pourtant par cœur. Puis, elle lui ôte son t-shirt, observe : « Il fait pas si chaud que ça, à Londres, n'est-ce pas ? » Puisqu'elle ne veut pas lui attirer d'ennui et favorise leur intime complicité, elle opte pour la zone sous son épaule. D'un poignet qui se veut costaud, la Oakheart incite son compagnon à s'allonger sur le lit pour qu'elle dispose de tout l'appui nécessaire à teinter sa chaire. Elle se positionne de manière à étreindre son flanc, la peau de son ventre brûlant contre son bras, contre sa main. Il ne bat pas encore, ce cœur-là. Pourra-t-il prendre le relais du mien quand tu partiras ? « Tu vas m'écrire ? » Elle questionne alors, entame le sujet maudit, tabou assassin. Vas-tu m'oublier ? Puis, elle démontre du menton la planche de surf appuyée contre le mur opposé au lit, son attention rivée sur son ouvrage artistique. « Tu prends ta planche avec toi ? »
Allie qui est proche et pourtant elle l’est pas assez. Depuis qu’elle est entrée dans ma chambre que j’ai l’impression qu’elle est pas assez là, qu’elle le sera plus jamais convenablement. La sensation que je déteste parce que je sais qu’elle a rien de prémonitoire, qu’elle est justement tangible, trop, que ce sont des adieux qu’on essaie de rendre un peu moins lourds de sens, mais qui font foutument mal quand même. « Je t'ai tant habitué à la soumission que voilà que tu ne sais plus décider par toi-même, » elle râle et je ri, y’a des baisers qui se perdent, d’autres qui perdurent, mes lèvres qui sourient contre les siennes aussi, surtout. « Fais pas genre t’aimes pas ça. »
Et je charme comme un idiot, comme avec elle j’en ressens toujours le besoin. « Bonne réponse, Casanova. » « Et en plus tu m’encourages dans ma connerie. T’es la pire. » mon sourire en coin qui s’agrandit doucement, tristement. Parce que je sais qu’elle peut filer, qu’elle va filer, parce que je sais que c’est juste une minute de plus qu’elle m’accorde, un moment volé qu’elle reprendra probablement au moment où elle, elle l’aura décidé. Ça me va le pire, ça me va parce que c’est elle et que c’est personne d’autre et que c'est déjà ça. Ses mains qui parcourent les possibilités, mon t-shirt qui est superflu, son souffle qui se casse sur ma peau et elle entame la réflexion Allie, se concentre. Elle est tellement belle à voir quand elle assume son art, quand elle laisse ce côté-là prendre le dessus sur tout le reste. J’ai presque l’air déçu qu’elle me dégage aussi, qu’elle prenne tout ça au sérieux, qu’elle le prenne au sérieux pour nous deux. « Il fait pas si chaud que ça, à Londres, n'est-ce pas ? » « J’ai pas encore regardé la météo. Si tu veux on ajoute ça au planning de ce soir. » que je relance sur le même ton qu’elle, laissant Allie décider d’où et de comment elle me tatouera, beaucoup trop occupé à l’observer dans l’angle le plus chiant et le moins confortable ever. Le planning de ce soir qui pourrait être juste de rester comme ça jusqu’à pas d’heure, de rester avec la Oakheart à rien foutre juste à être avec elle me serait suffisant. Elle le sait, j’ose croire qu’elle le sait.
« Tu vas m'écrire ? » je sens les traits qu’elle trace, l’ironie de l’encre qu’elle me dédie quand elle demande si moi, je lui en dédierai. « Tu répondrais? » l’idée est pas mauvaise même si je suis persuadé qu’elle rendrait la situation encore plus difficile qu’elle ne l’est déjà. Les lettres envoyées sous le coup de la rage, de la peine, de l’amour qui étouffe. Les réponses qui se feraient attendre, la rancœur qui en naîtrait. J’aurais des tas de choses à lui dire à elle et à elle seule, mais je doute que ce soit la même de son côté, j’ai pas la prétention de croire que sa vie arrêtera de tourner parce que la mienne a été shippée à l’autre bout du monde. « Tu prends ta planche avec toi ? » ma tête que je détourne vers la dite planche, brisant le momentum et probablement une ou deux lignes au passage, son tracé que je bousille avant même qu’elle n’ait officiellement commencé. « Je connais pas leur météo, mais je connais l’absence de vagues décentes là-bas. » que je souffle dépité. « Si j’te la laisse, faut que tu promettes de t’en occuper comme la prunelle de tes yeux. » je tente d’attraper ses iris des miens, c’est pas facile, faut que je me torde, mais j’y arrive je pense, suffisamment du moins.
Elle se rend progressivement compte à quel point ses lèvres brûlent contre ses baisers, à quel point sa bouche perpétue cet engouement à caresser sa chaire. Son parfum l'envoûte, elle l'hume à s'en meurtrir les poumons tant que son cœur continue, buté, de battre, sans faille aucune, pour lui. Ses cheveux coulent entre ses doigts, les détails la transcendent et autant elle se fait du mal à arpenter une énième fois tout ce qui compose celle pour qui elle voue l’entièreté de son amour, autant elle s'inflige à corps perdu ces maux, ce tort. Même si son existence s'exténue sous le couperet de son départ, elle jouira de ces instants où elle a vécu pleinement, sans retenue aucune, sa passion pour lui. « Fais pas genre t’aimes pas ça. » J'aime tout, chez toi, elle songe, lui hurle par un regard brillant d'émotions orchestrées par son affection. Se doute-il d'à quel point elle l'aime ? Les gestes qu'elle a posés en son honneur ont-il suffit pour refléter toute l'affection qu'elle lui dédie ?
Il charme, elle réplique, sourire espiègle aux lippes qui s'étire lorsqu'elle le gronde faussement. Ses doigts chérissent sa bouche, ce rictus en coin significatif, frôlant sa marque de fabrique. Les prunelles de l'étudiante le fixent, insatiablement, avant que ses mains ne se faufilent sur les pans du t-shirt du jeune homme dans le but de le lui ôter. Elle s'élance dans son art, prie pour qu'il lui soit salutaire dès que Matt ne sera plus là pour demeurer son ancre comme ériger ses ailes, à un escient que lui seul sait maîtriser si bien qu'il en est devenu son élixir du bonheur. Elle propage sa passion sur sa chaire, comme si la répétition de ces gestes le ramènera indéniablement à lui, comme si tatouer et dessiner composeront son échappatoire, son inaltérable vortex inavouable vers le McGrath. Rhétorique, elle questionne sur la météo, il l'invite à ajouter cette prise d'informations aux plans de la soirée. « Je préfère me fier aux stéréotypes que j'ai du temps londonien. Surtout que j'ai d'autres plans pour nous, ce soir. T'as inscrit de quoi à notre planning, toi ? » Ses pupilles se dérobent de son épaule pour couler jusqu'à son minois. Elle résiste péniblement à l'affubler d'un nouveau baiser, se laisser aller lovée entre ses bras, favorise se concentrer sur cette oeuvre qui, elle l'espère, les sauvera.
« Tu vas m'écrire ? » Elle se construit ses armes, aussi toxiques puissent-elles l'être. Le dessin prend doucement forme sur l'épiderme du garçon. « Tu répondrais? » Le stylo continue sa lancée, imperturbable. « Tu oses en douter ? » Munie de son sourire taquin malgré un ton faussement offensé, elle s'évertue à un chef d'oeuvre. « Je t'écrirais des pages et des pages, jusqu'à t'en esquinter les yeux. Des récits, des nouvelles, des dessins, peut-être même des poèmes si abstraits que seul toi les assimilerait. » Distraitement, inévitablement, elle se colle de plus en plus au flanc du jeune homme, laisse sa chaleur enveloppe son être, leur être.
Elle chasse l'avenir, revient au présent, futur odieusement imminent. Elle attire son attention sur sa valeureuse et précieuse planche de surf, elle a toujours désiré trouver un moyen pour dessiner dessus de manière indélébile. Mais peut-être devrait-elle cesser de mettre son grain d'art sur toutes les possessions de l'australien. Déjà qu'elle dispose de son corps, qu'elle se contente de luxure à défaut de gourmandise. Il déplore l'absence de vagues suffisantes pour donner suite à l'un de ses passe-temps favoris, puis parvient encore à la surprendre : « Si j’te la laisse, faut que tu promettes de t’en occuper comme la prunelle de tes yeux. » « Tu me la laisserais ? A moi ? » Elle répète, incrédule. Celle qui n'y connaît rien au surf que de la vue que la discipline lui prodigue de la plage. Celle qui n'est intéressée par sa planche seulement pour la décorer sans arriver à ses fins. Celle qui, manifestement, représente la prunelle de ses yeux.
« Tu vas m'écrire ? » « Tu répondrais? » « Tu oses en douter ? » « Tu en doutes bien, toi. » le dialogue de sourd dans lequel on se prélasse, dans lequel on oublie la vérité, on mise sur les futilités. Allie qui s’élance et qui se blottit, je sais jamais si je dois lui laisser tout l’air, tout l’espace du monde, ou si resserrer mes bras autour d’elle lui donnera ce dont elle a envie, besoin. Elle me fascinait par la liberté qu’elle exhibait, elle me terrifiait même parfois tellement elle n’avait besoin de rien sauf d’elle-même. Si forte, trop forte, bien plus que moi.
Et elle me chatouille, je grogne, elle fait pire. « Je t'écrirais des pages et des pages, jusqu'à t'en esquinter les yeux. Des récits, des nouvelles, des dessins, peut-être même des poèmes si abstraits que seul toi les assimilerait. » la chaleur de sa peau donne des frissons là où ses traits de crayons piquent, sa voix fait le pont, lie le reste, me fait même fermer les yeux une fois ou deux, le sourire en coin que je force même pas alors qu’une fois les paupières closes, j’aime pas du tout ce que je vois. « Ouais, ouais, de belles promesses. J’ai bien hâte de voir l’état de ma boîte aux lettres dans quelques semaines. » et celui de mon cœur, pareil. Parce que là, on s’en moque. Parce que là, on fait les cons, on fait les fiers. Mais qu’en bout de ligne y’a rien de sûr, y’a rien de vrai autre que la suite ; et elle augure mal. Le pressentiment qu’on part pas que pour une poignée de semaines, la rage de mes parents qui suggèrent un exil pour toujours et pas juste pour nous faire peur.
Son regard file vers ma planche, et jalousement je me redresse, l’attire un peu plus proche, veux ses yeux à elle sur moi et nulle part ailleurs. Égoïste, idiot, amoureux. « Tu me la laisserais ? A moi ? » je pouffe, de voir comment elle en doute, comment elle croit que l’option sort de nulle part aussi. Certains seraient froissés, avec Allie, j’avais appris à lire derrière des mimiques, à gratter sous ses mots. « Personne d’autre lui ferait assez honneur. » que je clame, convaincu, avant de me hisser à la hauteur de son oreille pour y murmurer, faussement autoritaire, terriblement à chier dans le rôle du gars qui fait des menaces – quand c’était pas Ezra devant moi, on s’entend. « Mais si tu la brises par contre, t’es morte Oakheart. » mes lèvres se perdent sur sa nuque, mes bras la rapprochent à outrance, j’en ai rien à faire, je doute qu’elle également. « Trucidée. »
Elle inspire doucement, distraitement, profondément, l'odeur de l'encre de son crayon se mêlant au parfum de cèdre de son amant. Elle colle précautionneusement son corps au sien, manie avec délicatesse une poitrine qu'elle se sait soupçonner démesurée par sa mentalité s'imaginant rejeter mille signaux qu'une vie, le résultat de leur amour si fort, germe sous ce ventre plat qu'elle réchauffe contre le flanc du garçon. Elle ne cille pas, l'océan de ses iris imperturbable sous tous les coups de crayon qu'elle assène à la chaire. Les promesses fusent, l'humour tragique devenant anesthésiant risible de leur imminente, inévitable, déchirante, séparation. « Ouais, ouais, de belles promesses. J’ai bien hâte de voir l’état de ma boîte aux lettres dans quelques semaines. » Allie ne répond pas de suite, bien que ses sourcils se froncent sans retenue. Le stylo poursuit sa danse sur l'épiderme du McGrath et finalement, elle se redresse, s'assit à califourchon sur les cuisses de l'australien qui pourrait bien vite être contaminé par l'accent british.
« Je n'apprécie pas comment tu parles de ma parole, McGrath. T'ai-je déjà trahi ? » Son minois est dur, le courroux bien qu'artificiel capable d'être jugé véridique. Puis, une once de catastrophe l'envahit au terme d'une flopée de secondes. Elle la réprime péniblement au fond de son être, elle se malmène à retenir de l'afficher sur ses traits fins. Soudainement, elle se rend compte que présentement, et depuis des semaines, elle le trahit. Elle lui ment, par omission de vérité. Elle le prive de sa paternité, de la connaissance de l'oeuvre à laquelle il a contribuée quasiment autant qu'elle, si on enlève le fait qu'elle se tape quand même à jouer au fourneau. Elle cligne des yeux, ravale l'acidité de ce sinistre constat, éponge gauchement les dégâts semés par le cocktail explosif de sentiments qui la tiraille jusqu'au fond de ses entrailles : colère, chagrin, injustice, trahison.
Elle se dérobe vers la planche, s'étonne qu'elle obtienne le droit de posséder un de ses biens les plus précieux, elle qui est totalement ignare en compétences de surf. « Personne d’autre lui ferait assez honneur. » Un fin sourire étire ses lippes, elle abaisse un regard ému sur ses courbes masculines, caresse doucement le torse nu du jeune homme qu'elle connaît par cœur pour l'avoir chéri à d'innombrables reprises. Puis il se redresse, elle raidit la courbe de son échine, sur une traditionnelle défensive. Sa bouche vient susurrer des menaces à son oreille, avant que ses lèvres ne s'évadent sur sa nuque, que ses bras annihilent la distance entre leurs deux corps épris, que son souffle chaud la plonge dans ce cocon qui lui est vital. « Trucidée. » « Et comment tu t'y prendrais ? Parce que je me laisserais certainement pas faire. » Ses mains fines remontent le long de ses bras, se posent sur ses épaules. Son regard se plonge dans le sien, accaparant toutes les nuances de ses iris et les méandres de son âme une fois de plus. Noies-y toi, Allie. Elle ne cessera jamais de l'aimer, il ne la lassera jamais. Il compose son tout, sa fierté, le beau de l'univers, si bien qu'elle se promet que cet enfant vivra, aussi dramatiques les circonstances puissent-elles être, aussi traître deviendra-t-elle, de l'élever sans lui.
Elle ne peut pas s'évertuer à une telle annonce. Elle ne peut pas risquer de l'ancrer ici quand sa famille passe avant tout - et non pas la famille qu'il fonderait avec elle. Elle ne peut pas ériger un chaos et une rupture issu d'un dilemme cornélien qui le heurterait. Elle l'aime trop pour le voir souffrir de ce rejet McGrathien. Elle sait à quel point Matt recherche l'approbation, le respect, de ses géniteurs - en particulier de son père. Elle ne peut pas ruiner cet accomplissement pour lui, sous prétexte qu'elle nourrit sa descendance.
Alors plutôt, Judas féminin, elle pose doucement ses lèvres rosées contre les siennes. Elle l'embrasse tendrement, amoureusement, avant de mordre avec jeu sa lippe inférieure. « J'ai beaucoup trop de mordant pour redouter tes menaces. » Elle enchérit, avant de soupirer à son oreille, ses doigts courant dans son cou. « J'ai fini. » Elle l'invite à observer, apprécier, dénigrer, le dessin qu'elle a inscrit sur son épiderme. Les trois volatiles de papier qui les représentent, tous autant qu'ils sont dans cette chambre d'adolescent - bien qu'il lui assure répétitivement qu'elle détient toutes les teintes du jeune adulte. La vague de ses rêves de surfeur, ornant l'océan qui les sépare mais aussi représentant l'immensité, le tumulte de leur histoire. Et ces fioritures particulières en cadre qu'elle qualifie telle une boussole qui, elle ose espérer, saura les ramener sur le même chemin une fois les saccages providentiels tassés. « Verdict ? » Elle réclame, estimant son avis essentiel depuis le début du chapitre favoris de son histoire.
J’ai espoir qu’elle s’y mette enfin, au surf. C’est pas faute d’avoir tenté de la convaincre, de lui avoir improvisé des leçons, d’avoir ramené le sujet de tous bords et de tous côtés en espérant l’initier. J’aurais voulu jouer au prof, je savais qu’elle aimerait, je savais que la liberté de se tenir seule contre un élément, de contrôler l’eau alors que tu contrôles vraiment absolument rien lui serait extatique. Je la connaissais assez – par cœur – pour savoir ça, et lui laisser ma planche ne faisait qu’ajouter un argument de plus à l’équation. « Et comment tu t'y prendrais ? Parce que je me laisserais certainement pas faire. » mais ma planche reste ma possession matérielle la plus précieuse. Et je lésine pas sur les menaces, le sourire qui n’en finit plus de grandir devant sa provocation.
« Alors ce sera de la torture. » je réitère, projette, étire le supplice quand elle en remet une couche, quand sa proximité me fait autant de bien que de mal. « On part vendredi. » que j’avais dit, tout à l’heure, que j’avais capitulé et à elle, et pour eux. « Un truc bien lent, j’prendrai tout mon temps. » ses caresses se mêlent aux miennes, son visage si proche que mes paumes réchauffent sans qu’elle en ait besoin. Elle mord, je grogne, elle rigole, j’en redemande. « J'ai beaucoup trop de mordant pour redouter tes menaces. » « Hey, c’est moi qui torture, pas toi. » ses doigts qui se perdent sur ma nuque partent trop vite, ses baisers s’arrêtent alors qu’ils font que commencer. J’ai la moue boudeuse d’un enfant de 4 ans quand elle se détache trop à mon goût alors que j'ai initié le mouvement, que mes bras tentent de la rattraper au vol.
« J'ai fini. » faut pas m’en vouloir, mais j’avais totalement oublié ce qu’elle faisait d’autre que d’être là. J’avais oublié le tatouage en préparation, j’avais oublié ses traits de crayons, je pensais qu’à elle et à elle seulement, comme bien trop de fois avant. Comme maintenant. « Verdict ? » « Al’… » j’allonge la nuque pour voir, je concentre mes yeux sur les lignes qu’elle m’a dédiées, et je laisse à peine une seconde passer avant de confirmer ce qu’elle sait déjà. Qu’elle a du talent, qu’elle est en infusée, qu’elle est tellement douée que les compliments servent à rien, qu’ils sont que des faits. « … tu vas avoir le temps de le tatouer pour vrai avant Londres? » avant qu’on parte qui reste en travers de ma gorge. Parce que parler de Londres ça me va. Mais reparler de partir, j’assume pas encore.
J’attends pas sa réponse avant de la rapprocher de moi, de forcer nos deux silhouettes à s’allonger sur les couvertures, mon bras autour de ses épaules et mes yeux qui n’en ont que pour elle. « T’es belle. » que je statue, parce que c’est vrai, parce que c’est qu’une millième piqure de rappel, parce qu’à chaque fois je lui dis, et qu’à chaque fois, je le pense davantage que la dernière fois si c’est possible. « Tu l’es tout le temps. Mais là encore plus. »
Matt esquisse les menaces, Allie en grossit les traits. Ses mains parcourent le corps masculin qu'elle a chérit d’innombrables fois, duquel elle ne se lassera jamais des courbes, des détails, du grain de peau, de la chaleur qui en émane. Matt compose son repère, son confort, sa maison ; et bientôt, il s'évaporera de l'autre côté d'un monde qui lui paraît beaucoup trop immense pour ne pas lui perforer le cœur et alourdir l'estomac d'un épouvantable sentiment de manque. Elle se sent déjà dépaysée sur sa propre terre natale, celui qu'elle juge tel son avenir aspirant à ne plus appartenir à son décor. Qu'adviendra-t-elle sans ses couleurs - sans son fil rouge ? Elle songe à cet enfant qui croît sous son nombril, qui représente, inavouablement, l'espoir qu'elle ne perde pas totalement le McGrath. Il est eux, la preuve de leur amour, le mélange de leurs deux entités. Il est ce qu'elle a fait de plus beau, ce qu'ils feront peut-être jamais de plus magnifique.
Ses dents mordillent sa chaire, joueuse ; son parfum l'enveloppe, souverain. « Hey, c’est moi qui torture, pas toi. » Un léger rire file entre ses lippes rosées, ses doigts fins glissent contre ses cheveux courts et soyeux, sa bouche dépose un dernier baiser avant qu'elle ne se détache, qu'il tente de minimiser la distance qu'elle leur impose. Mais son oeuvre est achevée, elle en est satisfaite, bien que ses prunelles se plantent dans le regard de l'australien en quête de son propre verdict. Car il redéfinit tout, sans le savoir, sans le vouloir, Matt. Il a ce pouvoir-là, elle le lui prodigue, exclusif, intégral, via ce vecteur amoureux dont l'unique canal s'oriente vers lui. Comment parvient-elle à l'aimer si fort que ça lui fait si mal ?
« Al’… » Elle demeure impassible, ses émotions néanmoins en ébullition. Ses mains s'appuient sur les cuisses du surfeur, elle se penche en arrière de sorte à mieux absorber le portrait. « … tu vas avoir le temps de le tatouer pour vrai avant Londres? » Les sourcils de la Oakheart se froncent délicatement, brièvement. Les scénarii se dessinent : et s'ils se promettaient de le graver sur son épiderme lorsqu'ils se retrouveront ? Ça lui semble beaucoup trop pathétique et autoritaire pour être formulé. Elle ne cassera jamais les ailes du McGrath, elle refuse d'être son ancre, d'en faire un boomerang soumis à la loi intransigeante de revenir vers elle. « Faut juste le matos. » Elle indique ainsi. Le temps, ils le feront.
Ils ont en encore. Le sablier ne cesse de laisser filer des résidus d'histoire, mais son réservoir n'est pas si terrorisant. Ils ont encore en banque des heures de félicité.
Si bien qu'elle se laisse faire quand il l'attire de nouveau en position allongée sur ses couvertures. Elle se love instinctivement contre son flanc, le bras de Matt trouve spontanément sa place derrière ses épaules frêles tandis que ses yeux couvent sa silhouette. « T’es belle. » Il certifie, répète, réitère. Les yeux azur de l'australienne s'attachent aux siens, le narquois et la malice s'y invitent. « Tu l’es tout le temps. Mais là encore plus. » Elle caresse doucement sa joue, ne rompt en aucun cas le contact visuel. « T'es beau. »
Elle laisse quelques secondes se dérober à leur horloge. Elle les valorise, les sent si lourdes de sens comme de sentiments. Elle se les grave en mémoire, ces sensations d'être naturellement bien contre lui, malgré le monde qui tourbillonne tout autour. Puis, elle se redresse, son ventre contre le matelas, son visage le surplombant. « T'es tout le temps beau. » Même quand il ronfle comme un camion, quand il éternue comme une sirène, quand il crise comme un enfant ; parce qu'il l'aime, parce qu'elle l'aime, parce qu'ils s'aiment, dans tous ces détails, ce camaïeux de moments virant du bon au mauvais. « J't'aime, McGrath. » Elle rappelle, cœur gonflé, érigé en son nom. Puis elle pose ses lèvres contre les siennes, l'embrasse aussi tendrement qu'amoureusement, avant de lui reformuler cet aveu au creux de son oreille, ses paumes câlinant son torse.
« Faut juste le matos. » l'accord est pris, j'ignore pourquoi on en fait tout un plat, quand y'a des dessins qu'elle a tatoués le soir même, quand y'a des tas de détails, minimes, discrets, mais bel et bien là sur mon corps qu'elle a encrés sur un coup de tête, un simple éclat de rire de ma part qui confirmait la manoeuvre. Mais celui-là, il prend plus de temps, il prend plus aussi, il prend tout quand on le réalise. C'est pas le dernier, but it feels like it is, et ma main se presse un peu plus fort sur elle, la ramène, la garde, l'adore. C'est pas le dernier, but it feels like it is.
Et on s'allonge, et on replonge dans la routine qu'on a si bien travaillée, passer des après-midis, des nuits entières installés dans mon lit, à parler, à s'aimer, à se charrier, à être juste tous les deux. Finissait toujours par arriver un moment où elle s'éclipsait, où le devoir fraternel me gardait de profiter d'être avec elle aussi longtemps que je l'aurais voulu. N'en restait qu'Allie savait parfaitement trouver sa place dans mes bras, et qu'à mon tour je prévoyais pas la laisser à qui que ce soit d'autre de sitôt, cette place-là. « T'es beau. T'es tout le temps beau. » « Je sais. » faire comme si de rien n'était, faire comme si c'était juste une soirée comme une autre, comme si demain et les jours d'après on serait encore comme ça, juste comme ça.
Alors mes sourcils jouent de charmes, mon regard pétille, mon sourire de véritable idiot prend toute la place sur mon visage. « Non mais tu m’as regardé? Un prix de beauté, tout catégorie confondue. » et j'exagère, la voix trop sérieuse pour l'être, le rire que j'étouffe d'un autre commentaire bourré d'une assurance de merde qu'elle aurait tous les droits de ridiculiser. « Et cette mâchoire. » ma nuque que j'allonge, mon expression qui prend en gravité, et ma tête que je bouge de gauche à droite pour qu'elle observe avec superficialité. « T’as vu? La définition ici? Mes gènes sont impeccables! »
Mais apparemment, mes conneries ont encore une fois pas eu raison de son amour pour moi. C'était moins une, sachant à quel point je peux être lourd - et le pire, c'est que je le sais justement, la lourdeur est présente - au quotidien. « J't'aime, McGrath. » mes lèvres qui viennent trouver les siennes comme des tas de fois, qui restent, longtemps, qui l'aiment par le geste, avant de le lui dire à nouveau. « J’t’aime encore plus. » et il est là, le soupir désolé, la boule de connerie et d'impuissance qui reste en travers de ma gorge, qui fait mal, qui va probablement accompagner la nuit à venir. Man up Matt, man up. « Des lettres, alors? »