La subtilité, ce n'est pas quelque chose de naturel chez Freya. Avoir du tact, savoir arrondir les angles, se faire discrète, tous ces trucs-là ne lui sont qu'étrangers au mieux, insurmontables au pire. Et pourtant.
Quand il s'agit de prendre ce qu'elle veut là elle veut parce qu'elle a juste envie, la suédoise sait manier ses doigts avec agilité et se faire plus petite qu’une fourmi.

Ce jour-là, Freya se trouvait par hasard (ou presque) au centre commercial. Sans raison ni but précis. Comme à chaque fois. Elle n'est pas du genre à planifier ses journées. Ça pourrait lui donner l'idée que demain sera plus claire qu'aujourd'hui et ça, ce n'est pas possible. Elle aime et surtout connaît que trop bien la noirceur de son univers. Elle y baigne depuis gamine, c'est sa zone de confort. Et puis, depuis qu'elle a été virée de son job, à part s'occuper du cimetière, elle n'a plus grand chose à foutre de ses journées.

Doherty se tient dans le hall principal, au premier étage. Accoudée contre le balcon qui donne une vue imprenable sur le rez de chaussée, ses yeux parcourent la foule qui défile, d'un pas pressé ou d'un pas flâneur. Le centre commercial, c'est un bon lieu de chasse. Tout le monde et n'importe quoi peut devenir sa proie. Il y a la jolie rouquine, qui traîne son copain qui a l'air blasé, sac grand ouvert sans qu'elle prenne attention. Il y a une jeune maman, poussette devant elle, et un petit vieux, ses cadis derrière. Mais ce sont des proies trop faciles. Freya a plus d'ambition que ça, quand même.

Alors elle soupire et se retourne pour regarder les magasins qui s'offrent à elle. Boutique de bric à brac, on passe. Une bijouterie ? Elle n'est pas suicidaire non plus. Un magasin de sacs ne lui convient pas non plus. Son téléphone vibre dans sa poche et c'est en le sortant tout en grommelant d’un sur qui peut l'emmerder et de deux qu'il est vraiment pourri, ce téléphone tout cabossé, qu'elle a un flash. Comme une petite lumière qui s'illumine au-dessus de la tête, vous voyez le genre ?

Finalement, c'est dans une papeterie qu'elle pose son dévolue. Limite elle peut en profiter pour se réapprovisionner en matériel de dessins. Une pierre, deux coups, jackpot. Freya redresse son sac sur son épaule, y attrape une sucette qui doit traîner depuis un moment et entre dans le magasin. Bonbon au bec, elle parcourt les étals de la partie Art parce que sérieux, y a des trucs intéressants. Mais elle ne roule pas sur l'or donc les feutres à plus de 7$ l'unité, on se tiendra aux images en noir et blanc.

Une demi-heure après, la suédoise avait eu vite fait de repérer sa proie et d'attendre le moment d'inattention qui lui suffira pour attaquer. Ce qu'elle fit. La technique du "merde quelle maladroite je fais" fonctionne toujours à merveille. Butin en poche, tapoté allègrement par une Freya satisfaite, elle se dirige vers la sortie avant de se faire barrer le passage par le vigile du magasin. « Excusez-moi, miss, je peux voir vos poches ? » Et merde. Doherty ne se laisse pas démonter pour autant.

« Et moi, j'peux voir votre crâne pour m'assurer qu'y a un cerveau ? » Abord, abord, abord the mission!
Au pire, elle courra.
Mais franchement, elle espère que non.

Spoiler:

« Hey mon cœur je te cherchais ! »
Pardon ? Une main s’accroche à sa taille et un bisou se plante sur sa joue et elle a l’impression que sa tête va exploser. Réalité améliorée, caméra cachée, on est en train de se foutre d’elle derrière son dos ? En tout cas, elle n’aime pas, Doherty. Elle n’est pas tactile avec les inconnus et elle est sur le point de réprimander la jeune femme qui vient de débarquer à ses côtés avant de croiser son regard. Joue le jeu, souris, tais-toi. « J'ai pas trouvé le papier que je cherchais on devrait partir. » Okay, la poisse. Une inconnue qui vient lui sauver le cul face à un vigile un peu trop insistant, c’est bien sa veine.
« C’est pas grave, sont pourris ici t’façon. » Et ça, franchement, c’est le seul truc honnête qui ressortira de cette conversation. Ce n’est pas ici qu’elle viendra chercher son futur potentiel matériel à dessin, ça c’est sûr. Et puis, Freya ne veut plus revoir ce vigile. Jamais. Parce qu’il ne baisse pas les bras, il persiste et l’inconnue doit jouer la carte de la féministe en puissance pour qu’il se mette à bredouiller. Attouchement, porte plainte, elle n’y va pas sur le dos de la cuillère.

Le vigile finit par marmonner quelque chose comme « ça va, ça va, vous pouvez sortir » et l’ajout d’un « bande de féministes à la con » qui aurait pu lui en valoir une si l’inconnue n’a pas capté de nouveau l’attention de Freya. « Salut ! Moi c'est Jill McGrath ! Très impressionnante ta technique de vol, mais on ne t'a jamais dit que c'était mieux de voler à deux pour assurer tes arrières ? » Double shit. What the fuck ? Doherty la regarde tout en l’entrainant rapidement ailleurs, plus loin, pour se perdre un peu dans le centre commercial avant que la personne volée ne remarque quelque chose.
« Et toi, t’as rien trouvé d’mieux que d’te faire passer pour ma meuf pour m’sauver d’là ? Franchement, un bisou ? T’en fais souvent aux gens qu’tu connais pas ? » Elle finit par s’arrêter en dessous d’un escalator tout en tenant fermement le portable dans sa poche. « Tu fais parti des flics ou quoi pour m’observer comme ça ? »

Cette fille débarque de nul part, elle se présente et en plus, elle l’a vu volé. Jill McGrath, ça lui fait une belle jambe de savoir comment elle s’appelle. Elle pourrait être une bonne sœur que le résultat serait le même. Une Doherty paniquée parce que quelqu’un l’a vu. « Tu m’as vu donc. Comment on fait ? J’t’égorge dans un coin et tu laisses faire ou j’dois employer les grands moyens ? »
Elle est à peine sérieuse quand elle dit ça. La dénommée Jill va sûrement lui faire du chantage ou quelque chose dans ce goût là. Enfin, elle serait à sa place, c’est ce qu’elle ferrait. Mais franchement, elle espère que ce n’est pas le cas. Parce qu’elle n’a pas envie d’avoir une épée de Damoclès qui tangue au dessus sa tête.

Même si sa technique de vol l’a visiblement impressionnée, Freya n’est pas prête à faire confiance à une parfaite inconnue.

« Donc t'es en train de me dire que t'aurais préféré que ce soit un flic qui vienne te faire un bisou ? T'es peut-être plus branchée menottes que liberté ? » Freya passe sa main sur son visage. Elle marque un point, la Jill. Ce n’était pas prévu dans son emploi du temps de se faire surprendre de la sorte. Visiblement, c’est quand même la deuxième fois qu’on la coince après un vol, à croire qu’elle cherche véritablement les ennuis. « Okay, ça va, j’ai compris. Mais sois chanceuse que j’t’en colle quand même pas une. » Parce qu’il faut bien garder un minimum de contenance, surtout face à une inconnue.

Décidément, Freya est tombée sur une rigolote mais qui ne la fait pas vraiment rire. La blonde regarde furtivement autour d’elle, comme si elle avait la flippe de voir le vigile réapparaître, accompagné de la personne qu’elle vient de voler. Et franchement, elle n’a vraiment pas envie d’avoir un boulet à son pied pour la ralentir.
« Tu n'étais pas très discrète, j'ai compris que tu préparais un mauvais coup quand t'observer les gens un peu trop intensément à mon goût accoudée à cette rambarde, je voulais juste savoir quelle activité illégale était ta spécialité. » Doherty arque un sourcil. « Ma spécialité ? Y a pas d’diplôme ni de récompense et encore moins un prix nobel. Tout c'qu'on y gagne c'est une bonne amende voire de la taule dans le pire des cas. C’est pas vraiment c’que j’appelle une spécialité. » Non, Freya vole parce qu’elle voit une opportunité d’arrondir les fins de mois qui peuvent être compliqués. Quand on a un jumeau qui glande que dalle à part être de l’autre côté de la ligne, qui passe son temps à se plaindre et en plus qui ne rapporte rien sur la table à la fin du mois, il faut savoir faire preuve d’originalité et mettre les mains dans le cambouis.

L’oeil distrait, Freya hausse les épaules. « T’inquiètes, j’suis une meuf avec pleins de ressources. Y a pleins de façon différente de faire disparaître quelqu’un. » Elle claque de la langue. Mais Doherty n’est pas encore assez folle pour mettre sa menace à exécution. Surtout qu’elles sont en plein jour et au milieu d’un centre commercial, for godsake. « Détends toi, je fais dans les activités illégales depuis que j'ai 11 ans, je vais pas te balancer. » Et ben, il y en a qui s’amusent à compter les années de carrière, apparemment. « Le vol et le pick pocket ça a toujours été mon point faible contrairement à toi apparemment, mais tu devrais éteindre le téléphone avant qu'ils arrivent à le géolocaliser non ? »
Freya soupire légèrement. « J’suis pas stupide. Déjà, le temps qu’ils le géolocalisent, ça peut prendre plus de temps qu’on pense. Et j’ai un brouilleur de gps sur moi. » Elle regarde Jill d’un air blasé. « Comme tu l’dis, j’suis pas une débutante. »

« Tu veux pas qu'on sorte ? Histoire de pas se faire chopper ? » Ma foi, il y a peut-être quelque chose à tirer de cette inconnue qui se tape l’incruste dans le bazar des autres. De toute façon, Freya n’a pas le temps de répliquer qu’elle est déjà dehors. « Apprends moi quelques trucs pour que je puisse être meilleure en vol et je te laisse tranquille avec ton super téléphone volé. » Doherty fronce des sourcils tout en pressant un peu le pas. « Déjà, on évite de parler d’ça à voix haute et quand y a du monde autour. » Pour elle, ça lui semble évident mais pas pour Jill, visiblement. « Et deuzio… Pourquoi t’aurais envie d’apprendre ? C’est un peu con d’ajouter ce genre de choses à son arc quand même. »

Parce que Freya fait ça depuis tellement longtemps que c’est instinctif.
Mais vouloir se plonger dedans, volontairement et de son plein gré ?
Incompréhensible.

« Et d'ailleurs... C'est quoi, tes talents à toi? » On ne sait jamais, si elle peut apprendre quelque chose aujourd'hui, ça peut être donnant donnant.

Ah, l’horreur des bureaux. Freya coincée dans un immeuble de cinquante étages, à devoir sourire à une vingtaine de collègues dès le matin, à jouer la fille ravie de brasser du papier toute la journée. Elle a bien déjà fait un ou deux jobs où il fallait qu’elle soit derrière un comptoir ou un bureau – mais elle n’avait jamais tenu très longtemps. Elle ne comprend pas comment certaines personnes peuvent se faire subir ça. Elle, elle préfère encore l’adrénaline de l’illégalité, sachant qu’elle peut toujours (plus ou moins) compter sur son meilleur ami qui est chez les flics pour la sortir de la merde. Mais elle n’ignore pas que ça doit être confortable et rassurant d’avoir un salaire qui tombe tous les mois.
Freya avait encore un job fixe il y a quelques jours. Mais maintenant, elle voit la fin du mois déjà arrivé et ça la panique un peu plus qu’elle veut le faire croire. Parce que se montrer défaitiste ou même abattue face au monde et surtout son jumeau, plutôt crever que de laisser ça arriver. « J’le fais plus par nécessité que par envie, puis elle hausse les épaules, même si y a quelque chose de gratifiant de pas s’faire prendre, c’est sûr. »

« Ok j'ai carrément à faire à une professionnelle, j'aurais jamais pensé à ça. » Freya hausse les sourcils tout en lui faisant comprendre ‘qu’est-ce tu croyais ?’ en un seul regard. Certes, son brouilleur lui sert aussi et surtout pour ne pas être emmerdé par les gens dans la rue qui hurlent dans leurs téléphones à longueur de journée. Tout ça, ça l’épuise, la Doherty. « Les seules fois où j'ai décidé de voler seule, j'ai fini par me faire choper donc je dois avoir des choses à apprendre, et en plus j'aime le vol, c'est risqué, quoi de mieux pour une accro à l'adrénaline ? » Freya ignore quoi penser mais elle sait quoi faire : marcher, sans s’arrêter, pas même pour balancer un regard à sa partenaire qui semble bien trop amusée et excitée par la situation. « Ouais enfin, d’habitude, on m’voit pas faire. J’dois être rouillée car c’est pas la première fois qu’ça arrive. J’dois commencer à rouiller, visiblement. » Elle se remémore Soheila et secoue la tête pour chasser le visage de la dame métisse de sa propre tête.

Freya roule des yeux quand Jill retourne ses paroles contre elle avant de compléter son discours sur ses petites affaires personnelles. « Je fais dans plusieurs trucs, le deal et les arnaques c'est ce que je fais de mieux et ce qui me fait gagner le plus. » Doherty finit par s’arrêter et respirer quand elles ont enfin fini par s’isoler dans une ruelle quelconque. « Ca va t'es moins hargneuse maintenant qu'on est loin et qu'il y a moins de monde ? »

« J’aime pas le monde, j’aime pas les gens et j’aime encore moins quand on vient fouiner dans mes affaires. » Allez, fais un effort, ma grande. Freya passe la main dans ses cheveux. « Mais bon, tu m’as sauvé l’cul donc j’imagine que je t’en dois une. » Elle la fixe maintenant du regard. « Deal et arnaques, hein ? Tu dois sûrement connaître mon jumeau alors. Il trempe dans les mêmes trucs louches que toi. » Elle le sait parce qu’elle le voit. « J’ai rien à faire apprendre. J’ai pas de technique, j’y vais à l’instinct parce que j’ai toujours su faire. On va dire que c’est un de mes talents cachés. »

« Oui je te comprends, c'est même carrément trippant. » Franchement, de la bouche de quelque d’autre, c’est le genre de déclaration qui peut être entendu comme ironique voire carrément vexant. La personne s’en serait sûrement pris une et Freya aurait sûrement dû courir parce que c’est ce que font les gens raisonnables après avoir agressé physiquement quelqu’un. Mais Jill ne semble pas moqueuse. Non, elle est sincère et elle doit le penser. Et c’est étrange parce que ce n’est pas tous les jours qu’elle croise des personnes comme elle.
« C’est ça… C'est chelou quand quelqu'un trouve ça trippant. En général, les gens font des leçons de moral ou je ne sais quelle autre connerie. »

« Ça faisait longtemps que t'avais pas volé ? Je pense pas que tu sois rouillée, t'es peut-être un peu trop confiante ! » Freya se pose la même question du coup. La dernière fois ne remonte pas à si longtemps que ça, à vrai dire. Mais c’est clair qu’il faut qu’elle fasse plus attention parce que ça fait déjà deux fois en deux mois et c’est deux fois de trop. « J’suis pas trop confiante, crois moi. » La confiance, chez Freya, ce n’est qu’une façade, qu’un voile de fumée. Comme chez tous les Doherty, on roule des bras et on se croit invincible jusqu’au moment où on se rend compte qu’ils ne le sont pas et qu’ils sont même pire que ça.
Un putain trait de famille dont elle se serait bien passé. Mais elle ne peut pas être l’exception de la règle. Mais rien ne peut affirmer qu’elle est confiance. Après tout, il y a toujours un risque, tout le temps et elle le sait.

« La question est, pourquoi j'ai eu besoin de te sauver l'cul comme tu dis, qu'est ce que t'as fais comme conneries pour te faire choper par un vigile sans cervelle ? » Freya hausse les épaules. « J’pense pas avoir fait quoique ce soit. J’sais pas, tu veux qu’on y retourne pour lui demander ? » Elle pointe le doigt derrière elle, le ton ironique de ta phrase n’étant même pas dissimulé. « Faut dire que d’habitude, c’est pas le centre commercial mon terrain d’chasse. » Elle lève la main pour stopper Jill avant qu’elle puisse dire quoique ce soit. « Mon lieu d’travail. Avant, c’était mon lieu d’travail. »
Mais ça, c’était avant.

Quand Jill lui dit que ce n’est pas sûr qu’elle est dû croiser la route de Tobias, c’est Freya qui se la joue curieuse. Après tout, c’est donnant donnant, n’est-ce pas ? « Ah ouais ? Pourquoi ? Y a des différentes branches, j’suppose. C’est laquelle la tienne ? »

« Vois ça comme un entraînement ! Tu ne seras plus rouillée et en même temps j'apprends ! Comme tu dis, tu m'en dois une ! » Est-ce que Doherty a vraiment le choix ? Elle vient de se mettre dans la merde toute seule. Bon, après, la bonne nouvelle, c’est que Jill ne sait toujours pas comment elle s’appelle. Freya pourrait se tirer comme ça, dans un claquement de doigt, qu’elle ne la retrouverait pas.
Mais c’est en soupirant qu’elle réalise qu’un truc la retient. Et lui fait dire ses prochaines paroles. « Okay, très bien. Whatever. » Toujours de mauvaises grâces parce que c’est Freya et qu’elle a beau accepté la situation, il n’empêche qu’elle risque sûrement de passer du temps à se plaindre et à ne pas l’apprécier. « Pas d’coup foireux par derrière, hein. Oublie pas que j’sais comment tu t’appelles. D’ailleurs, ça, ça a été ta première erreur. T'es pas censée le savoir ça? »

Si Jill fait dans l’arnaque, elle sait qu’on ne se présente pas tout de suite, ni même jamais sous son vrai nom, ou au moins sans le nom de famille, si ?

« Je suis du genre complètement folle comme fille, je trouve ça réellement trippant, ça me fait me sentir vivante ! Je ne vois même pas réellement de mauvais côté à ça. » Finalement, peut-être que cette rencontre aussi surprenante et anodine qu’elle a été peut se révéler intéressante. Jill lui donne l’impression d’être sans filtre, intrépide, dangereuse et une vraie tête brûlée. Freya ne peut donc s’empêcher de sourire devant le ton banal, presque désespéré de la jeune femme. « Bienvenue au club des fous alors. » Peut-être qu’elles peuvent créer une association ou un groupe, non ? Des fous qui trempent dans des affaires louches ? Voilà qui serait marrant.
« Je parle pas de ce genre de confiance, peut-être que comme tu le dis, c'est tellement inné chez toi que tu prends même plus le temps d'évaluer les risques et tu y vas trop au feeling ? » Freya secoue la tête tout en haussant les épaules. « Mmh. J’ai pas l’temps d’évaluer les risques. Si on réfléchit trop, ça devient trop mécanique et là, tu peux t’faire encore plus griller. Mais j’suis sûre que ce vigile voulait juste tâter la marchandise. » C’est ça, utilise l’excuse de Jill pour te donner bonne conscience que t’as failli te faire prendre.

La blonde passe la main sur son visage tout en secouant la tête une nouvelle fois, par la négation avant que Jill ne lui pose une nouvelle question. « Donc tu as travaillé ! C'est à cause des vols que tu ne travailles plus là-bas ? » Touché. « Ouais. Parait que le boss aime pas qu’on pique dans sa réserve d’alcool. C’est pas comme si une ou deux bouteilles en moins allait lui ruiner son business, si ? » Et d’après le peu que Freya a vu de Jill, il n’y a pas de doute que la jeune femme va sûrement approuver ses propos. Et pour une fois, ça change. De pouvoir en parler librement. De ne pas avoir peur d’être jugée ou pire, balancée.

« Oh que oui, t'as les plus simple, genre les arnaques aux assurances à petite échelle, t'as les arnaques par ordinateur, mais faut être un sacré bon hacker pour ça, mais moi je fais dans l'arnaque aux hommes mariés, la séduction est la meilleur des arnaques, surtout quand tu filmes les ébats et que tu les menace de montrer la vidéo à toute la petite famille, mais y'a beaucoup d'autre genre d'arnaques. » Freya hoche la tête avec une moue appréciative. « J’apprécie le style. Et ça rapporte bien, tout ça ? Et ça te dérange pas de coucher comme ça, juste pour le fric ? Nan parce que même moi, j’arriverai pas, ça. » Déjà que les relations d’une nuit ont tendance à la miner plutôt qu’autre chose, alors coucher pour de l’argent, c’est limite une humiliation à ce stade. Même si elle ne porte aucune jugement sur le sujet.

« Si j'avais voulu te faire un coup foireux tu serais dans un commissariat actuellement, je suis du genre loyale, j'espère que toi aussi. » Mais c’est qu’elle a la confiance tranquille, la McGrath ! Elle donne sa loyauté à toutes les personnes qu’elle rencontre au détour d’un centre commercial ou Freya est juste tombée sur le ticket d’un loto qu’elle ignore avoir participé ? « Je ne donne jamais mon nom aux personnes que j'arnaque, mais ça tombe bien, je comptais pas t'arnaquer, et ça te prouve que tu peux me faire un minimum confiance. »
Voilà qui est un autre sujet. « La confiance, ça s’mérite, hein. » Mais Jill s’est montrée avenante et aidante dès le début, pas de peur ni de froid dans les yeux, ça se voit et ça se sent. « Freya. Et non, ce n’est pas un pseudo, j’le jures. » Elle aurait pu mentir et lui refouler son deuxième prénom mais non. Elle ne sait pas trop pourquoi mais qu’elle prenne cela pour un signe d’un début incertain de confiance. Mais pas de nom de famille parce qu’il ne faut pas pousser non plus.

« Bon, sinon, qu’est-ce que Jill McGrath fait d’autres à part arnaquer et espionner les gens ? »

Quand Jill lui annonce qu’elles devraient lancés un club, Freya eut un sourire à son tour en imaginant de potentiels futurs adhérents. « Tu m’étonnes. Ceci dit, j’ai déjà assez d’tarés dans mon environnement, j’ai pas très envie d’en rajouter d’autres pour le moment. » Jill finit par sortir un joint de sa poche et tout de suite, Freya se pince la lèvre, le visage soudainement un peu plus renfermé. Elle la regarde l’allumer, prendre une bouffée puis le lui tendre. « T'en veux ? » La question fatidique. Ce n’est pas la première fois, ça ne serait pas la dernière. Il faut toujours qu’elle tombe sur ce genre de personnes. Qui la poussent aux vices, à ses pires démons, à l’extrême.
Mais machinalement, Freya attrape le joint et le fourre entre ses lèvres avant d’expirer comme si c’est le meilleur souffle de sa misérable existence. Peut-être que ça l’est, au final, quand on reconsidère les choses. T’es misérable parce que tu le veux bien. Bordel, la ferme, je t’ai déjà dit. La fumée lui envahit le cerveau et elle espère que ça fera taire cette putain de voix qui la suit et la poursuit sans cesse, pire que tous les vigiles du monde réunis.

« Pour si peu d'alcool, mais qu'est ce que les gens peuvent être rabat joie sans déconner. » Jill détonne avec son franc parler et son honnêteté brutale. Franchement, Freya ne s’est pas attendue à rencontrer un tel personnage aujourd’hui mais elle ne peut pas dire que ça lui déplaît. Que quelqu’un semble la comprendre et même la suivre dans ses délires, pas une pour rattraper l’autre, sans jugement aucun, franchement, c’est fort plaisant. « J’te jures. Bon, j’ai p’t’être aussi fini un peu bourrée quelques fois sur mon lieu de taf mais pas de quoi fouetter un chat. » Puis elle hausse les épaules. « T’façon, ce taf, c’est pas comme si j’me projetais de la continuer dans dix ans, hein. ‘Fin, pour le peu que j’sois encore en vie dans dix ans. »
Doherty ou l’art de voir le verre à moitié plein à sa façon. « Tu travaillais où ? Moi je travail dans un club de strip-tease et c'est aussi super pratique pour dealer ! J'ai réussi à combiner. » Freya arque un sourcil. « J’taffais dans un casino secret, genre là où les grands portefeuilles se terrent pour cacher leurs vices du jeux de tous. » Elle lui sourit. « T’aurais fait ton beurre dans un endroit pareil, crois moi. » Puis elle lui retend son joint qu’elle a presque zappé qu’elle le tenait encore entre ses doigts. « Un club de strip ? C’est la deuxième fois que j’en entends parlé, va falloir que j’vienne faire un tour un de ces quatre visiblement. J’dois manquer quelque chose. »

« Mais je faisais ça surtout quand je suis partie à l'étranger pour financer les voyages. » C’est qu’elle a l’air d’apprécier ce qu’elle fait, en plus. Freya aimerait bien connaître son secret. Peut-être que l’idée de partir à l’étranger la motive sans cesse pour se trouver une source de revenus rapide et que Jill ne semble pas avoir de scrupule à faire ce qu’elle fait. Alors Freya lâche un léger sifflement d’admiration. « P’tin, j’vois que tu maîtrises bien ton propre sujet. Tu voyages beaucoup, alors ? Le plus loin que j’ai dû aller dans ma vie c’est la plage, à une heure d’ici. » Et elle ne rigole qu’à moitié en disant ça.
Les Doherty ont toujours été dans la misère. Si déjà ils avaient de quoi manger, c’était une victoire. Alors partir en voyage… Même une fois devenue adulte, Freya n’a jamais pu y songer.

« C'est pour ça que j'ai dit un minimum, on vient du même monde, je ne donne pas non plus ma confiance à n'importe qui, les gens sont bien trop étranges. » Freya approuve d’un signe de la tête les sages propos. « On va dans un bar pour parler de tout ça ? » Inutile de penser que la blonde ait le temps de réagir que Jill l’entraîne déjà vers le premier bar d’angle qui apparaît dans leur champ de vision.

Une fois installées, au fond et au calme, leur commande passée, c’est Jill qui enchaîne la conversation. « Je voyage, je me tape pas mal de mecs, je sors beaucoup et j'adore être défoncée, et je fais du strip mais ça tu le sais déjà. » Freya ne sait même pas quoi faire de toutes ces informations. Est-ce qu’elle est impressionnée ou mal à l’aise ? Non, définitivement impressionnée. Elle a des frères qui dealent, un meilleur ami qui fait dans l’illégalité en même temps qu’être flic, des amis qui tournent autour de la fête, de la picole, voire plus. Elle a même une copine enceinte qu’en fait qu’à sa tronche au risque de sa propre santé et celle de son gosse.
Freya ne devrait être qu’à peine surprise par Jill et pourtant, elle l’est. « Et ben, tu m’as pas l’air de t’ennuyer en tout cas. »

« Et que fait Freya sans nom de famille à part se faire choper en train de voler dans les magasins ? » Leur commande arrive et Freya attrape sa pinte en souriant. « Elle traîne, elle rêve, elle dessine, elle essaie de faire tenir les quatre murs de son appart pourrie qu’elle partage avec son jumeau complètement con. » Parce que dans un autre monde, Freya a une vie meilleure, ose-t-elle imaginer. Même si elle a dû avoir des vies antérieures pourries parce que le karma semble vouloir s’acharner sur elle. « Mais elle sort pas mal et boit beaucoup trop selon le commun des mortels. »
Après tout, il faut bien vivre sa jeunesse un minimum, quand même.
« A notre future collaboration alors, jeune padawan. » Freya fait trinquer son verre contre celui de Jill avant d’avaler quelques gorgées cul sec. C’est que l’adrénaline, ça donne soif.

Freya a du mal à croire sur quelle personnalité elle est tombée aujourd’hui. Elle aurait pu se faire coincer, elle aurait pu se faire prendre, elle aurait pu être au poste de police à cette minute précise. Mais non, thanks to la personne en face d’elle. Un personnage étonnant et détonnant, qui fracasse les dictas de la société et qui la fait sourire plus qu’elle ne le voudrait. Parler de tarés intéressants et d’ivresse sur le lieu de travail, Freya a comme l’impression d’avoir trouvé quelqu’un qui parle le même langage qu’elle, qui la comprend sur des niveaux alors pourtant encore flous. Et franchement, ça lui plait bien, à Doherty, d’avoir quelqu’un qui la comprenne comme ça. Alors qu’elles viennent à peine de se rencontrer.

« Tu préférerais être en vie avec le même travail et une vie pourrie dans 10 ans, ou morte mais après t'être éclatée et avoir fait tout ce que tu voulais ? » Cette question, Freya ne l’a pas vu venir. Elle médite un moment dessus tout en regardant le fond de son verre. Non, il n’y a pas de feuille de thé au fond de ta bière, tu ne trouveras pas de bonne ou de mauvaise réponse dedans. L’avenir n’est pas écrit, tout est à faire et ça ne tient qu’à toi pour améliorer les choses. Ou t’enfoncer un peu plus dans ton monde crade et sombre dans lequel tu évolues depuis que t’as poussé ton premier cri. Doherty finit par lever les yeux. « Morte après m’être éclatée. J’ai 27 ans, ça aurait été l’âge parfait pour en finir. » La mort, elle y pense de trop pour quelqu’un de son âge. C’est plus fort qu’elle, elle ne contrôle pas ses pensées, aussi morbides qu’elles peuvent être. « Mais si on a un taf qu’on aime et qui dure toute la vie, ça peut faire une sacré longue existence, quand même. Ton cas ? » Après tout, d’après ce que la brune lui a dit, Jill a l’air de se satisfaire grandement de son travail.

« Une salle blindé riches qui veulent faire dans l'illégalité, c'est sûr que c'est l'endroit parfait pour mon business. » Ça, c’est clair qu’elle serait servie. « T’aurais plus qu’à t’servir, crois moi. Si j’te donne l’adresse, faudra pas dire que ça vient de moi. J’veux pas perdre une phalange, hein. » Parce que le patron, il ne rigole pas sur ce genre de choses. « L'ambiance est sympa et le patron aussi, mais je hais toutes mes collègues sans exception. » Freya arque un sourcil tout en penchant la tête. « Y a qu’des meufs là bas ? Nan parce que si c’est un repère pour les bonhommes en chaleur seulement, ça m’intéresse vachement moins, tout d’un coup. Et elles font quoi, ces nanas, pour que tu les déteste tant ? » Même si les courbes féminines peuvent lui taper dans l’œil malgré elle, il n’empêche que ce n’est toujours pas sa tasse de thé. Sans jugement aucune, juste une simple vérité.

« Oui j'ai beaucoup voyagé après avoir eu mon diplôme pour éviter ma famille, je n'avais pas d'autre moyen que de quitter Brisbane et même l'Australie. C'est toi qui as jamais voulu partir d'ici ? » Aux grands maux les grands moyens donc. Quelle chance qu’elle a eu, Jill, de pouvoir tout plaquer comme ça. Freya hausse les épaules. « Jamais voulu, nan. Disons que… Partir en vacances a jamais été vraiment possible chez nous. » Manque d’argent, cruellement et constamment. Et sans oublier une famille qui ne tenait plus qu’à bout d’épaules d’un gamin de seize ans à partir d’une certaine nuit d’août. « Il ne vaut mieux pas que je m'ennuie... » Jill prononce cette phrase dans un souffle presque comme si elle se parlait à elle-même. Mais ça ne manque pas d’intriguer Freya, qui hausse un sourcil. « Il se passe quoi, si tu t’ennuies ? »

« On sent l'amour familial ! Ça fait beaucoup de choses à porter sur tes épaules... » Freya hausse les épaules. « Question d’habitude. » Puis elle regarde Jill boire cul sec son verre tout en lui affirmant qu’elle sait dessiner. Voilà le seul sujet légal et sain qu’elles partagent, visiblement. Freya sourit à cette pensée. « Heureuse de faire parti de ce comité réduit alors. »
« Encore un point commun, mais moi tu peux rajouter se drogue certainement beaucoup trop à la liste. » Voilà un point qui fait déglutir Freya. Honteuse de se rappeler de son comportement d’une certaine soirée, elle passe un doigt sur son sourcil en souriant presque bêtement. « Ah. C’est marrant, mais on dira pas comme ça. » Doherty ne sait pas trop ce qu’elle veut dire par cette phrase, elle veut juste pas affirmer qu’elles ont aussi – peut-être, sûrement, non, ce n’était qu’une fois – ce point commun.
Comme Jill McGrath peut la pousser vers ce vice une nouvelle fois parce que c’est fun.
Et ça la terrifie.

« J'ai hâte de commencer mon apprentissage maitre Yoda. On commence quand ? » Freya boit quelques gorgées du liquide alcoolisé avant de sortir le téléphone de sa poche. « J’sais pas, ça dépendra si tu veux m’revoir tout de suite ou non. » Elle déverrouille l’écran, ses doigts pianotant joyeusement dessus. « C’est fou, tu pourrais penser que les gens sécuriseraient mieux leur tel mais non, va pour un bon vieux quatre zéro en guise de mot de passe. C’est affligeant la confiance qu’on peut accorder aux mortels. » Le portable a l’air dans un bon état et ça tombe bien, il faut qu’elle change le sien. Freya finit par éteindre son nouveau téléphone pour le glisser dans sa poche. « En tout cas, tu m’as l’air d’être un sacré perso à toi toute seule, Jill McGrath. »