Je n’arrive pas à croire que je suis là, dans cet appartement qui est si loin de ressembler au mien, à me préparer à emménager avec l’une des personnes les plus importantes de ma vie mais aussi l’une de celles que je pourrais le plus blesser s’il devait apprendre tout ce que je lui cache. Je sais bien que cette cohabitation est dangereuse car je croiserais mon frère beaucoup trop de fois par jour pour que mes agissements puissent paraitre discrets mais puisque les clients ne sont plus à l’ordre du jour, ou en tout cas pas ceux susceptibles de venir chez moi, je me dis que ça peut fonctionner. Rendre mon appartement et vendre tous les meubles qu’il contenait est la seule solution que j’ai trouvée pour rembourser la dette énorme que j’avais envers Raelyn et même si dire adieu à mon indépendance me fend le cœur, l’idée de me rapprocher de Caleb après la conversation que nous avons eu me parait excellente. J’adore mon frère et ça fait pourtant des années que nous sommes incapables de nous parler, faute de savoir nous comprendre, je veux remédier à ça. L’un comme l’autre avons envie de faire preuve de bonne volonté pour renouer ces liens familiaux si chers à notre cœur et j’espère sincèrement que nous avons encore une chance, malgré tous les non-dits. Il sait que j’ai quitté mon travail au club – même s’il ignore pourquoi et que je me suis bien gardée de lui parler de l’agression – j’ai attendu que les marques sur mon corps s’estompent suffisamment pour que le maquillage suffise à les dissimuler. Pendant ce laps de temps, j’ai tenu comme j’ai pu finances et me suis évertuée à trouver un acheteur pour chaque meuble se trouvant dans mon appartement, allant même jusqu’à proposer mes ustensiles de cuisine et mes porte-savons parce qu’après tout, il n’y a pas de petit profit. Finalement, j’ai recontacté mon frère, j’ai pris mon courage à deux mains pour lui demander si cette proposition, qui me paraissait complètement folle il y a seulement quelques mois, tenait toujours. Me voilà maintenant, trois énormes valises pleines à craquer et deux gros sacs supplémentaires contenant toute ma vie, déposés dans l’entrée en attendant de trouver une place attitrée quelque part dans le sublime appartement dans lequel je vais certainement mettre du temps à me trouver à ma place.
Mes sacs ne pouvaient pas tous loger dans ma voiture à l’agonie, aussi Caleb est-il venu me prêter main forte, contemplant avec moi le néant de mon appartement désormais vidé de tout ce qui pouvait lui donner vie. Certes, ce petit studio n’était pas des plus agréable, mal situé, peu pratique, ne laissant aucune intimité du fait du vis-à-vis très présent, mais je crois qu’il va me manquer. Je suis nostalgique de devoir dire adieu à ma proximité avec Yoko, à tous les souvenirs que nous avons créé ici, aux nuits passées avec Joey qui pouvait débarquer quand il voulait sans que ça pose un problème à qui que ce soit. L’avantage de faire croire à Romy que je sors avec lui est certainement que je vais pouvoir continuer à le voir chez Caleb, mais ça ne sera pas pareil. Il ne pourra pas avoir les clés de chez moi, sortir à poil de la douche en critiquant mon savon et en me vannant sur un sujet de son choix. Et puis il y a Abel, ce garçon qui n’arrive pas à me sortir de la tête mais à qui j’ai tellement peur de faire une place, j’ai également caché son existence à Caleb et je n’ai pas trop envie de lui en parler, sûrement par peur de rendre mon attachement pour lui trop réel. Il y a également Alex, cette fille sortie de nulle part qui a été une tornade dans ma vie et qui semble avoir tant de haine envers moi. Je sais qu’elle connait ma famille et la peur qu’elle débarque un jour et balance tout ce qu’elle sait à mon sujet me noue littéralement l’estomac. Je pourrais citer des tonnes d’autres raisons pour lesquelles cette colocation a des risques de ne pas marcher mais aujourd’hui, au moins, j’ai vraiment très envie d’y croire et je ne laisserais rien ni personne venir gâcher ce premier jour d’emménagement. Caleb a même accepté de se tenir éloigné du restaurant pour m’aider avec mes affaires et me faire une place chez lui ce qui constitue un véritable exploit. Il ne me restera plus qu’à retourner une dernière fois dans mon appartement pour le rendre officiellement à ma propriétaire et j’en aurais terminé avec cette partie de ma vie. Je ne suis pas sûre encore d’éprouver du soulagement mais je sais que toute ma famille approuve mon choix de me rapprocher de mon brillant grand-frère et je suis la première à être ravie de passer plus de temps avec lui.
L’enthousiasme est donc le sentiment qui prédomine aujourd’hui malgré mes bras en compote et mes doigts rougies par les lanières des sacs que j’ai dû porter jusqu’ici. J’y suis, ça y est, et je ne réalise pas vraiment ce qui est en train de se produire. « Voilà, tout est là. » Toute ma vie est désormais posée dans cet appartement, une page se tourne et une nouvelle commence, une certainement plus belle même si elle est nécessairement bien plus dangereuse. « C’est vraiment sympa chez toi, j’ai l’impression de ne pas y avoir mis les pieds depuis une éternité. » Je m’avance doucement au milieu du salon, tentant de trouver mes marques et de me dire que ce salon est désormais mon salon, également. « Tu as refait toute la déco toi-même ? Je ne savais pas que tu avais autant de talent caché. » Enfin caché, plus ou moins, je n’ai jamais ignoré que si quelqu’un avait du talent dans notre famille et ce, quel que soit le domaine, c’était forcément mon frère et bien que cette constatation soit un peu rageante et a été une source de jalousie permanente durant notre enfance, j’ai appris à vivre avec et à simplement m’enthousiasmer pour ses réussites. Après avoir parcouru le salon du regard, je me tourne désormais vers Caleb, redevenant soudainement plus sérieuse. « Je te remercie encore de me laisser vivre ici, j’espère que tu ne te sens pas obligé de le faire. Si jamais tu as envie que je m’en aille un jour, n’hésite pas à le dire, je te promets de ne pas être fâchée, c’est déjà tellement gentil de ta part de me proposer un toit. » Il ne réalise certainement pas l’ampleur que ce changement représente pour moi, ça signifie regagner la confiance de Raelyn, faire éventuellement place nette pour mon entrée au Club si Mitchell accepte de me donner ma chance et peut-être avoir moins de galères financières bien qu’il est évident que je contribuerais à la vie de ce nouveau foyer. « J’imagine qu’il va falloir établir des règles pour que tout se passe bien. » Je ne veux surtout pas être trop envahissante mais je veux aussi m’assurer que l’instinct protecteur de mon frère ne le rende pas trop intrusif. Pour que ça marche, on va devoir tous les deux y mettre du nôtre mais ça marchera, j’en suis persuadée.
Aujourd’hui n’est pas une journée comme les autres. Il y a plusieurs mois j’avais proposé à ma sœur de venir occuper la chambre libre de mon appartement. C’est une manière comme une autre de pouvoir me rapprocher d’elle, de passer un peu plus de temps avec elle. Je pense que la journée que nous avons passé la dernière fois à trier les affaires de LV nous a plutôt pas mal aidée. Nous avons parlé de son travail de strip-teaseuse et croyez-moi que pour nous c’est un exploit complètement incroyable – elle m’a d’ailleurs récemment annoncé qu’elle avait quitté ce travail, ce qui est une merveilleuse chose si vous voulez mon avis. – Notre relation est principalement basée sur des non-dits et ça depuis de bien trop longues années. J’ai réussi à plus ou moins lui expliquer ce qui me dérangeait dans son travail, et elle m’a à peu près exposé son point de vue. Nous avons également bien entendu parlé de LV. Et l’entendre me dire toutes ces choses ne m’a pas laissé insensible. Après cette journée je n’ai pas arrêté d’y réfléchir et je sais qu’elle avait raison sur toute la ligne, je ne vivais plus depuis la mort de ma fiancée. Et elle m’a fait comprendre que me voir comme ça lui faisait mal. Alors je l’ai écouté, je me suis autorisé à vivre à nouveau. Pas sûr que j’ai réellement fait le meilleur des choix pour ça par contre. J’ai passé beaucoup trop de temps avec mon ex. Et comme Jules l’avait prédit, passer beaucoup de temps avec elle a très vite fait remonter de vieux sentiments que je pensais enterrés depuis longtemps. Je suis très vite retombé amoureux d’elle, parce que la Alex la vraie Alex je la connais et elle correspond à tout ce dont j’ai besoin en ce moment. On a repassé une nuit ensemble et deux semaines plus tard elle m’a avoué qu’il y a huit ans quand elle est partie, elle était enceinte. Et ça, ça a du mal à passer. Je veux bien être gentil, généreux tolérant et lui pardonner de m’avoir brisé le cœur une première fois. J’étais même prêt à lui pardonner tout ça pour repartir à zéro avec elle. Mais là on parle d’un bébé dont elle m’a caché l’existence et qu’elle a abandonné à des inconnus. Tout ça sans rien me dire. Donc oui je veux bien être gentil mais je n’aime pas qu’on me prenne pour un con. Et c’est la désagréable impression que j’ai quand je pense à tout ça.
Et aujourd’hui ma sœur emménage chez moi. Je lui laisse cette chambre vide qui avait fini par devenir un petit dépotoir au fur et à mesure des années. J’ai dû faire un tri de tout ça et tout ranger pour lui laisser toute la place dont elle allait avoir besoin. Et je veux absolument qu’elle se sente chez elle, et pas seulement chez moi. À partir de ce jour c’est notre chez nous et plus simplement chez moi. Ça me fait plaisir de la voir s’installer chez moi. Non seulement parce que la solitude commençait très sérieusement à me peser mais aussi parce que ça veut dire que nous allons maintenant nous voir quotidiennement et je pense que ça ne peut être que du bénéfique pour notre relation. Je me doute que pour elle abandonner son studio et donc son indépendance n’a pas dû être une chose facile. D’ailleurs je me demande pourquoi elle a pris cette décision si soudainement ? Elle ne semblait pas avoir envie de quitter son studio, elle avait l’air bien là-bas. À l’occasion je lui poserai cette question. Mais je ne veux pas qu’elle soit mal interprétée et qu’elle se mette à penser que je lui demande ça parce que je n’ai pas envie qu’elle emménage avec moi. Parce que c’est tout le contraire. Elle avait deux grosses valises et deux énormes sacs à transporter. Elle a combien de fringues sérieusement ? Venant d’elle ça ne m’étonne pas mais quand même… Je sais qu’elle aime les vêtements, les sacs-à-main et toutes ces choses-là. C’est d’ailleurs pour ça que je suis persuadé qu’elle adorerait Paris. Peut-être que je pourrais l’y emmener un jour, à défaut de ne pas avoir pu le faire pour mon mariage qui n’a finalement jamais eu lieu.
C’est en fin de journée que toutes ses affaires sont installées dans sa chambre. « Voilà, tout est là. C’est vraiment sympa chez toi, j’ai l’impression de ne pas y avoir mis les pieds depuis une éternité. » Tout simplement parce que la seule période plus ou moins récente où nous avons passé beaucoup de temps ensemble c’est à la mort de LV, et à ce moment-là j’étais encore dans l’appartement dans lequel je vivais avec elle quand elle était encore vivante. Mais au final, le fait qu’elle soit venue si peu de temps ici c’est plutôt triste. Voilà un aperçu de ce à quoi ressemble notre relation à ma sœur et moi et je suis motivé à bien changer ça. « Tu as refait toute la déco toi-même ? Je ne savais pas que tu avais autant de talent caché. » Je m’avance avec elle dans le salon et je me mets à regarder la décoration de cette pièce. « Ouais enfin j’ai pas tout fait tout seul j’ai eu un peu d’aide. » D’ailleurs j’espère que la décoration lui plaît il faut qu’elle s’y sente à l’aise après tout elle va vivre ici pendant un moment. « D’ailleurs si t’as des idées de déco à ajouter hésite pas. Je veux que tu te sentes chez toi aussi. » Il me semble important de lui préciser tout ça. « Et pour ta chambre, au niveau de la déco des murs et tout ça t’en fais ce que tu veux. » Encore une fois, ça parait logique mais je préfère lui dire. Parce que sa chambre n’a aucune réelle décoration vu qu’il y a encore vingt-quatre heures il s’agissait encore d’une pièce inhabitée. Elle se retourne vers moi et son air me semble bien trop sérieux. « Je te remercie encore de me laisser vivre ici, j’espère que tu ne te sens pas obligé de le faire. Si jamais tu as envie que je m’en aille un jour, n’hésite pas à le dire, je te promets de ne pas être fâchée, c’est déjà tellement gentil de ta part de me proposer un toit. » Non ce n’est pas gentil, c’est tout à fait normal. Et je ne me sens pas obligée, comme je lui ai dit la dernière fois je ferais tout pour elle ou pour l’aider. Et si l’accueillir chez moi peut l’aider moi je le fais avec plaisir. « T’as pas à me remercier Prim c’est normal et je suis vraiment content que tu sois devenue ma super-colocataire. » Je lui dis en souriant. Ça nous fera un peu penser au bon vieux temps quand on était obligés de partager cette petite chambre tous les deux à la ferme. Même si ça pouvait être pesant par moment je pense que le fait que nous dormions dans la même chambre nous a forcément rapprochés. « J’imagine qu’il va falloir établir des règles pour que tout se passe bien. » Je lâche un léger rire à sa réflexion. Elle a raison. C’est la base de toute collocation, instaurer des règles. Même quand le colocataire n’est nul autre que sa petite sœur. « Ouais, maintenant que t’en parle je t’interdis de ramener des garçons ici. » Je la regarde, essayant de rester sérieux. Mais je ne veux pas qu’elle se braque, alors j’enchaîne. « Non je rigole t’en fais pas. Tu ramènes qui tu veux. » Je lui dis, amusé. Enfin qui elle veut dans les limites du raisonnable tout de même. Je ne suis pas contre le fait qu’elle ramène un petit-ami mais pour ça encore faut-il qu’elle en ait un.
L’appartement de Caleb est bien plus agréable que le petit studio que je viens de quitter, je ne peux que l’admettre mais l’idée de perdre mon indépendance m’effraie malgré tout, surtout que mon frère et moi avons encore souvent de gros désaccords qui brisent notre complicité si parfaite. Maintenant que mon travail a été abandonné, je sais qu’il est sûrement ravi que je sois revenu sur le droit chemin. Il ne s’imagine pas un seul instant que j’envisage désormais de travailler pour le Club, ni même que l’état de mes finances est si lamentable que j’ai dû ventre la totalité des meubles de mon appartement. J’ai préféré lui dire que j’avais mis cet argent de côté ce qui est loin d’être le cas, bien sûr. Des mensonges, encore des mensonges, je ne peux pas faire autrement. J’ai bien compris désormais qu’un premier mensonge en implique souvent un deuxième, plus un troisième et encore un autre jusqu’à tomber dans un engrenage sans fin si on n’est pas capable de dire stop. C’est bien ça le gros problème, je ne suis absolument pas capable de revenir en arrière de peur de gâcher ce que j’ai réussi à sauver dans ma relation avec Caleb. Je ne suis pas prête à tout perdre et certainement pas ma famille, alors je dissimule des mensonges derrière des mensonges encore plus gros, attendant patiemment que tout ceci finisse par m’exploser en pleine figure. Un jour ou l’autre, tout sera découvert, c’est une certitude, je ne me vois pas mourir en emportant mes secrets dans la tombe, pas alors qu’ils ont pris tellement de place dans ma vie que je ne peux pas faire un pas sans devoir réfléchir à comment faire le deuxième. Honnêtement, c’est épuisant, je suis épuisée et ma rencontre avec Abel n’a rien arrangé. Il essaie de se faire une place dans ma vie et j’aimerais tellement la lui donner sans pour autant en avoir vraiment le droit parce qu’il faudrait que je lui explique tellement de choses susceptibles de le faire fuir que je ne veux pas en prendre le risque. J’adorerais que ma vie soit un peu moins compliquée, par moment. Je sais que c’est moi qui ai choisi tout ça mais le poids qui pèse sur mes épaules ces dernières semaines me fait regretter bien plus qu’à n’importe quel moment de m’être embarquée dans quelque chose que je ne maitrise plus du tout actuellement. Finalement, Alex n’avait pas besoin de venir me menacer pour que j’avoue les risques encourus par mes choix, la vie s’est chargée elle-même de me montrer que l’argent facile avait un prix que je suis justement en train de payer. J’ai encore espoir que les problèmes disparaissent d’un simple coup de baguette magique pour que je reprenne une vie comme avant. Je sais désormais que je vais rembourser Raelyn, payer un loyer moins élevé et avoir une vie un peu différente de celle que je menais jusqu’à maintenant. Outre le danger que je sois découverte par mon frère maintenant que notre proximité géographique est très dangereuse, j’ai de nouvelles perspectives d’avenir qui me donnent un espoir que je n’avais plus depuis longtemps. Je sais, au fond, que je remplace un problème par un autre, mais ça n’a pas vraiment d’importance.
Je vais certainement mettre un peu de temps à me trouver à ma place ici, mais Caleb fait de son mieux pour me mettre à l’aise et j’apprécie ses efforts. « De l’aide ? De Romy ? » C’est sûrement un peu sexiste de penser que seule une femme peut venir en aide pour la partie décoration. En plus, compte tenu du sens artistique relativement inexistant de ma cousine – petit souvenir de sa rencontre avec branche d’arbre – il aurait peut-être été plus logique que je suggère une toute autre personne. Il est peu probable que Wylda ait un jour mis les pieds dans cet appartement compte tenu des relations tendu qu’elle entretient avec mon frère, raison pour laquelle je ne suggère pas son prénom. En réalité, le prénom de la personne qui lui est venu en aide n’a que peu d’importance, je ne veux pas commencer à me montrer intrusive dans sa vie alors que je m’attends à ce qu’il ne le fasse pas avec moi. « Tu sais, je crois que ce n’est pas trop mon domaine et puis je n’ai pas envie de m’imposer. » Cet appartement reste celui de Caleb, je ne serais qu’une locataire de passage, c’est comme ça que je vois les choses et même s’il a la gentillesse de vouloir partager équitablement, je ne veux surtout pas devenir un poids pour lui et révolutionner ce qu’il a réussi à construire. Mon frère n’a rien connu de sécurisant depuis la mort de LV, il a navigué dans le brouillard pendant deux ans et peine encore à se reconstruire. Mon retour dans sa vie fera des vagues, j’en suis persuadée alors je ne veux pas lui enlever le peu de stabilité qu’il possède encore, c’est vraiment important. « Je rajouterais des photos dans ma chambre, mais je n’ai besoin de rien de plus. » Les photos de ma famille et de mes amis me suivent partout, les regarder me pousse à être meilleure et à arrêter de trahir ceux que j’aime. J’ai fait tellement de mal autour de moi et perdu tellement de personnes que j’aimais parce que l’appât du gain a toujours été plus fort que tout. Les personnes qui restent à mes côtés aujourd’hui sont extrêmement précieuses et que je sais que je n’ai plus le droit à l’erreur. C’est pour cette raison que je remercie encore mon frère de son hébergement même si je pense que celui-ci ne peut être que provisoire. Nous sommes deux adultes désormais avec une vie à vivre séparément même si notre lien nous unira toujours. Je ne veux pas m’imposer dans son univers tout comme je ne peux pas lui faire une place dans le mien tant il est inadapté à un garçon aussi adorable et généreux que lui. Si j’avais été en train de boire un verre d’eau, je lui aurais certainement recraché en plein visage alors qu’il me dit que je ne peux pas me permettre de ramener un garçon chez lui. Mon étonnement doit être perceptible avant qu’il n’avoue qu’il s’agissait d’une blague et j’en suis évidemment soulagée. « Attends, venant de toi ça aurait pu être crédible, je suis sûre que tu m’aurais envoyé au couvent si papa et maman t’en avaient laissé la possibilité. » Mon frère a légèrement tendance à être un peu trop protecteur envers moi et même si ça a ses bons côtés parce que je suis sûre qu’il me répondrait à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit si je devais l’appeler en panique, ça a aussi de nombreux aspects négatifs. « Mais j’étais sérieuse pour les règles, c’est mieux si on fixe un cadre dès le début pour que ça se passe bien. » Je tiens réellement à préserver les liens si fragiles que nous avons réussi à maintenir malgré nos désaccords. Cet emménagement est aussi enthousiasmant qu’inquiétant et je ne veux surtout pas décevoir mon frère.
Je suis sûr que cette collocation avec ma sœur est une bonne chose pour nous. C’est sans aucun doute le meilleur moyen pour que nous puissions peut-être retrouver cette complicité que nous avons perdue il y a déjà bien trop longtemps. Même si beaucoup de choses nous séparent encore aujourd’hui. La différence c’est que la dernière fois que nous avons passé un moment tous les deux on a réussi à parler. Alors je ne dis pas que tout va s’arranger entre nous en un claquement de doigts. J’aimerais bien. Je vous assure. Parce qu’elle est ma sœur et que passer du temps avec elle me manque. Parce que j’aimerais pouvoir lui parler de mes problèmes, parce que dieu seul sait à quel point j’en ai en ce moment. Mais je ne sais pas pourquoi j’ai l’impression qu’il y a toujours une barrière entre nous qui nous empêchera de se confier l’un à l’autre. Pourtant on l’a fait la dernière fois. On a parlé, j’ai essayé de lui expliquer pourquoi je n’approuvais pas son travail et elle m’a exposé son point de vue. Parce qu’en ce moment je me sens seul, je suis complètement perdu et je ne sais pas quoi faire. Depuis qu’Alex est venue me dire qu’il y a huit ans, elle a accouché d’un petit garçon, qu’elle l’a laissé à l’adoption. Je suis perdu et j’espère que la présence quotidienne de ma sœur chez moi pourra peut-être rendre la chose un peu moins difficile. « De l’aide ? De Romy ? » J’essaye d’imaginer Romy en décoratrice d’intérieure et cette idée me fait presque immédiatement rire. « Je suis pas sûr qu’elle ait un talent particulier pour la décoration… » Et j’accompagne ma réponse d’un rire. M’en veux pas Romy, je t’aime quand même promis. Je réponds à sa question sans réellement y répondre au fond. Et d’ailleurs je me dis que passer une soirée ici avec ma sœur et ma cousine pourrait être une bonne idée. On ne s’est pas vu tous les trois depuis le dîner horriblement ennuyant chez nos parents il y a quelques mois de ça. Et je ne remercierais jamais assez notre cousine d’être arrivée pour mettre un peu plus de piment et pour rendre les conversations un peu plus intéressantes. « Tu sais, je crois que ce n’est pas trop mon domaine et puis je n’ai pas envie de m’imposer. » Si je lui propose c’est parce que j’ai envie qu’elle se sente chez elle, et je pense que ça serait peut-être plus simple pour elle de prendre ses marques ici si elle ajoutait un peu de sa touche personnelle à la décoration. « Tu t’imposes pas puisque c’est moi qui te le propose. Je veux juste être sûr que tu te sentes chez toi à l’aise ici. » Et puis elle ajoute juste après qu’elle se contentera de quelques photos dans sa chambre. Je hoche la tête/ Elle fait ce qu’elle veut, si elle n’a besoin que de ça. Mais au moins elle sait que si un jour elle se réveille avec la folle envie de repeindre les murs de sa chambre je ne m’y opposerai pas. Parce que c’est son espace et que toute façon il n’y a encore que quelques jours cette pièce me servait de dépotoir. Alors que les murs y soient blancs, rouges, roses ou bleus, franchement, ça m’est égal. « Tu l’as dit aux parents que t’emménageais ici ? » Je suis parfaitement conscient qu’elle n’a pas les meilleures relations du monde avec nos parents et c’est pour ça que je préfère lui poser la question avant de faire une gaffe et de leur dire par téléphone alors que Prim préfère peut-être garder le silence sur cette information pour le moment.
Instaurer des règles pour que la collocation se passe bien. Elle n’a pas tort, c’est plutôt inévitable si on veut être sûrs de réussir à préserver le peu d’équilibre qu’on a réussi à maintenir. Et je ne peux pas m’empêcher de lui dire que je refuse catégoriquement qu’elle amène des garçons ici. En soit, je ne suis pas sérieux parce que je n’ai pas mon mot à dire sur sa vie personnelle. Elle a vingt-cinq ans et elle n’est plus une petite fille maintenant. Même si je veux à tout prix la préserver de toute souffrance possible. Et les relations amoureuses, ça fait toujours souffrir à un moment donné. C’est beau, on est heureux mais on finit toujours par tomber de haut à un moment donné. C’est ce qu’il s’est passé pour moi. Je suis tombé amoureux d’Alex, elle est partie. Et puis après je suis tombé amoureux de LV, elle est morte. Et enfin je suis retombé amoureux de mon ex, et elle m’apprend la pire des nouvelles possibles. On finit toujours par s’en prendre plein la gueule alors de toute façon à quoi bon. « Attends, venant de toi ça aurait pu être crédible, je suis sûre que tu m’aurais envoyé au couvent si papa et maman t’en avaient laissé la possibilité. » Je laisse un rire s’échapper de mes lèvres, amusé par sa réflexion. Bon un couvent c’est peut-être un peu beaucoup exagéré mais dans l’idée elle a pas tort. « Non. Enfin je veux juste pas qu’un mec te fasse souffrir c’est tout. Parce que dans tous les cas on finit toujours par avoir mal à un moment donné, crois-moi. » À en entendre mon discours on dirait presque que je suis un vieux mec de cinquante ans blasé par l’amour. Mais en réalité j’ai en juste vingt ans de moins, et est-ce que je suis blasé par l’amour ? Franchement je ne sais pas. J’aimerais juste que la vie me laisse un peu de répit si ce n’est pas trop demander. « Mais j’étais sérieuse pour les règles, c’est mieux si on fixe un cadre dès le début pour que ça se passe bien. » Et elle a raison. Les liens que nous avons tous les deux sont si fragiles mais pourtant très importants à mes yeux. Même si je ne lui montre pas tout le temps. « T’as raison, c’est bon je vais rester sérieux. » Avant que nous commencions cette conversation qui risque d’être bien trop sérieuse je pars dans la cuisine pour ouvrir le frigo et me prendre une bière. « Tu veux boire un truc ? » Et je réfléchis aux règles que nous pourrions instaurer. J’espère que cette collocation se passera bien mais en même temps je me dis qu’il n’y a pas de raison que les choses se passent mal non ? Et je suis sûr qu’il s’agira d’un bon moyen pour peut-être renouer encore un peu plus tous les deux. Je m’installe sur le canapé et prend une première gorgée de ma bière. « Déjà, je veux pas que tu me donnes le moindre centime pour le loyer, j’en ai vraiment pas besoin. » J’espère qu’elle ne va pas protester. « Garde l’argent que t’as de côté, garde tout ça dans tes économies. » Moi j’ai un salaire, et avant qu’elle arrive je payais ce loyer tout seul sans difficulté, alors qu’elle occupe la chambre ou non ça ne change pas grand-chose. Je ne veux pas qu’elle touche à ses économies pour me payer un loyer alors que je n’en ai clairement pas besoin.
J’ignore quels sont les talents de Romy en matière d’intérieur mais sa réponse ne me permet pas de savoir quelle est la personne qui l’a épaulé pour faire de cette pièce un environnement accueillant, loin des garçonnières typiques que j’ai pu voir durant ma carrière, si on peut appeler ça ainsi. Toutefois, puisque Caleb n’a pas souhaité développer le sujet, je m’abstiens de continuer dans cette voie bien que ma curiosité m’y pousse, déjà parce que je ne veux pas être lourde, mais aussi parce que pour cohabiter, il faut apprendre à respecter notre intimité et si c’est moi qui commence par vouloir être trop intrusive, je me doute bien que mon frère fera de même. Je me mords donc la langue pour ne pas renchérir, préférant poursuivre le sujet de mon récent emménagement aussi stressant qu’enthousiasmant puisque, je l’espère, il permettra à nos liens de devenir plus forts que jamais et d’oublier les éventuelles tensions entre nous. Le fait que j’ai quitté mon patron – ou plutôt que je me sois fait virer, mais Caleb n’a pas besoin de le savoir – est évidemment un plus car les tensions persistantes seront un peu apaisées et tant que j’arrive à lui dissimuler mon appartenance au Club – ou mon appartenance en devenir, si tout se passe comme prévu – il ne peut rien nous arriver de mal. C’est ce que je pense, en tout cas, mais je n’ai aucune certitude, bien entendu. « Je me sentirais bien ici, ne t’inquiètes pas pour moi. Tu as vu mon studio ? J’ai l’impression de venir vivre dans un palace. » Il est vrai que le placard sous les combles qui me servait d’appartement n’avait rien à voir avec le joli loft de Caleb. Son salon doit déjà faire à lui tout seul la taille de mon appartement, alors je ne vois pas du tout comment je ne pourrais pas apprécier ce changement de décor. Certes, je vais devoir m’habituer à ne plus retrouver ma solitude le soir en rentrant chez moi, à discuter même quand je n’en ai pas envie et à contrôler mes activités parce que je ne serais pas toute seule, mais ce n’est pas très grave et je suis sûre qu’après quelques semaines d’adaptation, je prendrais le pli et Caleb aussi. Nous allons nous soutenir mutuellement et c’est très important pour moi. Mon frère est l’une des personnes les plus importantes de ma vie – pour ne pas dire la plus importante – et puisque j’ai une chance de ne pas laisser notre relation sombrer définitivement, je compte déployer tous les efforts nécessaires pour retrouver cette période merveilleuse durant laquelle nos disputes et conflits n’existaient pas encore. « Je crois pas, ce n’est pas un secret mais on ne parle pas beaucoup alors j’ai peut-être un peu oublié ce détail. S’ils le savaient, ils auraient sûrement organisé une grande fête en ton honneur. » Je plaisante, ou en tout cas j’essaie, imaginant sans peine mes parents acclamer Caleb comme s’il était le sauveur de leur pauvre fille perdue. C’est injuste de ma part, je le sais, mais le peu de considération de mes parents à mon égard a toujours été un peu difficile à encaisser pour moi et malgré les années qui défilent, nos relations sont restées aussi tendues que depuis le premier jour où je leur ai appris ma nouvelle profession. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, leur réticence est plutôt normale puisque je me suis éloignée des aspirations qu’ils avaient pour moi, mais j’aurais aimé que leur amour soit plus fort que leur déception et ce n’est malheureusement pas le cas. « On leur dira au prochain déjeuner de famille, l’atmosphère sera meilleure que d’habitude. » Ce qui ne sera pas difficile puisque lorsque je mets les pieds dans mon ancienne maison, je le droit le plus souvent au silence gêné et au regard dur de mon père qui en dit long sur ce qu’il pense de la manière dont je mène ma vie. Mais encore une fois, Caleb n’a rien à voir là-dedans et s’il se comporte mieux avec moi que le fait le reste de ma famille, je sais aussi qu’il se range à l’avis de mes parents quand il s’agit de mon choix de profession. « Waw, c’est hyper joyeux, merci pour cette bonne humeur. » Je le charrie, avant de me rendre compte que ce n’est pas une question d’humeur mais plutôt une véritable tristesse qui semble l’envahir et qui m’a un peu échappée. « T’as eu un problème ? » Je demande, alors, sachant pertinemment que si souci il y a, il ne s’agit pas de Victoria. Il est loin le temps où il se lamentait sur la perte de la jeune femme et même si cette disparition reste douloureuse et le sera certainement pour des années encore, je sais que ce n’est pas pour autant qu’il a une vision négative de l’amour parce qu’il a aimé profondément cette femme et place leur histoire d’amour sur un piédestal. Ou alors peut-être est-il retombé sur une lettre de la jeune femme ? Ou il a rencontré quelqu’un qui a préféré ne pas poursuivre la relation ? Ou Romy a encore eu des problèmes et il a dû voler à son secours ? Les possibilités sont multiples mais voir mon frère aussi négatif et défaitiste me fait mal au cœur. « Dus jus d’orange, tu as ? » Je lance, alors que Caleb est parti vers la cuisine pour chercher à boire. Je vais éviter de commencer à m’alcooliser tout de suite, de peur de lâcher tout le stress que j’ai emmagasiné ces dernières semaines. Non, je ne peux pas lui parler de mon agression, non je n’ai pas le droit de mentionner le sujet Abel qui est pourtant au cœur de toutes mes pensées en ce moment, non je ne peux pas lui parler du fait que j’ai vendu tous mes meubles pour rembourser une dette… Bref, les sujets tabous sont nombreux et je sais qu’une bière ou deux suffiraient à me faire ouvrir des vannes que je dois absolument garder fermées. « Dans ce cas, je pourrais faire les courses ? Je ne te propose pas de faire à manger, je suis sûre que tu serais déçue, mais la partie courses, ça je sais faire et je peux aussi m’occuper du ménage. » Je suis plutôt organisée, en tout cas je l’étais chez moi – hors période de partiel ou même prendre une douche me paraissait être du temps perdu –. « Je veux contribuer un minimum. » Il me parait important de ne pas me faire entretenir par mon frère même si sa proposition est évidemment tentante car je pourrais utiliser l’argent que je gagne pour rembourser mes dettes et peut-être même commencer à mettre un peu de sous de côté. Je dois reprendre ma vie en main et Caleb a la gentillesse de m’y aider. Malgré tout, mes vues sur le Club sont à des années lumières de la petite vie rangée que j’envisage d’avoir mais je me voile la face, encore et encore, parce que je suis incapable de renoncer à cette envie de pouvoir, même pour l’amour que je porte à mon frère. Je réfléchirais à la question plus tard. « J’imagine que tu n’es pas souvent là le soir quand tu travailles ? » Nous risquons même d’avoir des horaires plutôt décalés mais je suis sûre qu’on va réussir à faire en sorte de se croiser au moins une fois ou deux dans la semaine, le contraire serait plutôt déprimant. Cette cohabitation va bien se passer, je le sens et je vais tout faire pour.
Recevoir ce message de ma sœur me demandant si mon offre de cohabitation tous les deux tenait toujours a été une grande surprise. Bien sûr que mon offre était sérieuse, je le pensais vraiment quand je lui avais proposé, mais je ne pensais pas qu’elle finirait pas accepter. Et pourtant elle est là, chez moi accompagnée de toutes ses affaires. Enfin de tous ses vêtements qui d’ailleurs, me semblent beaucoup trop nombreux. J’ai pas envie de tomber dans les stéréotypes sur les femmes, mais sa garde-robe était franchement bien fournie. Comme celle de LV. Pourquoi est-ce qu’il faut toujours que je ramène tout à elle ? Toujours, dans n’importe quelle situation, je finis toujours par penser à elle. Comme si j’étais incapable de l’oublier. Enfin en même temps, je ne suis franchement pas sûr que je puisse l’oublier un jour. Mais au moins faire en sorte qu’elle ne soit pas toujours là, dans un coin de mon esprit. J’aimerais bien en être capable. « Je me sentirais bien ici, ne t’inquiètes pas pour moi. Tu as vu mon studio ? J’ai l’impression de venir vivre dans un palace. » Elle n’a pas tort. Son appartement était vraiment petit. Enfin ce n’était même pas un appartement mais plutôt un studio, d’ailleurs. Mais dans tous les cas, je veux vraiment qu’elle se sente chez elle ici sinon cette nouvelle collocation ne pourra pas bien fonctionner. « Je crois pas, ce n’est pas un secret mais on ne parle pas beaucoup alors j’ai peut-être un peu oublié ce détail. S’ils le savaient, ils auraient sûrement organisé une grande fête en ton honneur. » Je sais que Prim se sent rejetait par nos parents, mais en même temps ils ne font rien pour l’intégrer comme il se doit à la famille. J’ai beau partager l’avis de nos parents sur les choix de vie de ma sœur, mais je ne la rejette pas pour autant. Elle reste ma sœur et quoiqu’elle fasse, elle le restera et je serai toujours là pour elle. Quoiqu’il arrive. « Mais non c’est pas vrai dis pas ça... » Et à contrario mes parents ont tendance à me voir plus parfait que je ne le suis vraiment. Ils me mettent sur un piédestal. Enfin je parle de mes parents mais ils ne sont pas les seuls à le faire. J’ai des défauts et comme tout le monde je suis bien loin de la perfection. Pourtant de nous tous je pense que c’est moi qui ai fait la plus grosse erreur. J’ai causé un accident de voiture dans lequel ma fiancée a perdu la vie, je pensais qu’après ça mes parents arrêteraient de m’idéaliser mais apparemment, ce n’est pas le cas. « On leur dira au prochain déjeuner de famille, l’atmosphère sera meilleure que d’habitude. » Sa réflexion me rappelle forcément le dernier repas de famille qui avait été terriblement ennuyeux et l’arrivée surprise de notre cousine nous avait sauvé la mise. « En tout cas je leur ai dit que tu m’avais aidé à vider le box la dernière fois, du coup je pense que s’ils comptent organiser une grande fête en l’honneur de quelqu’un, ça sera toi la star. » C’est elle qui avait dû prendre les choses en main la dernière fois, parce que j’étais vraiment incapable de prendre la moindre décision. « Parce que pour le coup sans toi je sais pas comment je m’en serais sorti. » J’aurais été incapable de m’occuper de tout, tout seul. Ça, c’est une certitude.
Et sans que je ne m’en rende compte la conversation dévie sur la vie sentimentale de ma sœur. Je ne me fais pas d’illusion, elle a vingt-cinq ans des copains, elle a déjà dû en avoir, et elle ne doit plus être une jeune fille toute innocente. Tout ce que je lui souhaite c’est qu’elle ne souffre jamais comme moi j’ai déjà pu souffert. « Waw, c’est hyper joyeux, merci pour cette bonne humeur. » Et je me rends compte seulement maintenant que je viens de complètement casser l’ambiance en une seule phrase. « T’as eu un problème ? » Je relève les yeux vers elle. Dire que j’ai eu un problème est un bien faible mot. Je ne sais pas quoi lui répondre. Je dois lui dire qu’elle est tata et que moi je suis apparemment papa depuis presque huit ans ? Et que je l’ai appris il n’y a que quelques jours ? Je ne suis pas sûre qu’elle pourrait encaisser le choc. Je ne l’ai moi-même toujours pas digéré. «Non pas vraiment... » Je ne suis même pas convaincu par ce que je dis, alors elle ne le sera pas elle non plus. « Enfin si. C’est un peu compliqué. On va dire que c’est une ex qui fout un peu la merde. » Une ex. J’en suis venu à parler d’elle sans être capable de citer son prénom. Elle m’a tellement déçu. Encore une fois. Elle m’a fait mal. Encore une fois. Je me suis fait avoir, comme un con. Encore une fois. « Elle a pas vraiment été honnête avec moi. » Je lui dis, sans la regarder. Parce que je sais qu’elle verra dans mes yeux que cette histoire m’affecte particulièrement, et je n’ai pas envie de lui montrer mes faiblesses. J’ai toujours été comme ça. Il ne me semble pas que Prim ait connue Alex à l’époque où je sortais avec elle. Quand je l’ai amenée à la ferme pour la présenter à nos parents, Prim avait quinze ans et elle était déjà au pensionnat depuis un petit moment. Je reste vague dans mes réponses. Pas que je n’ai pas envie de lui en dire plus. Mais je suis moi-même encore en train de digérer cette vérité. « Dus jus d’orange, tu as ? » J’acquiesce d’un signe de tête et je lui sers un verre de jus d’orange que je lui donne en venant m’installer à ses côtés. « Dans ce cas, je pourrais faire les courses ? Je ne te propose pas de faire à manger, je suis sûre que tu serais déçue, mais la partie courses, ça je sais faire et je peux aussi m’occuper du ménage. Je veux contribuer un minimum. » La laisser s’occuper des courses et moi du loyer me semble être un bon compromis. En plus, les courses c’est une véritable corvée dont je dois m’occuper pour le restaurant. Alors je ne peux qu’’accepter sa proposition. « Ouais ça me va comme ça. Par contre le ménage je vais pas te laisser tout te taper toute seule. On s’organisera chacun son tour. Et pour la cuisine je m’’en occuperai. J’pense que c’est mieux. » Je lui réponds d’un air amusé tout en buvant une gorgée de ma bière. En disant ça je me rends compte que je ne connais même pas le niveau en cuisine de ma sœur. Je sais qu’elle n’est pas une grande cuisinière mais peut-être qu’elle n’est pas si nulle que ça. « J’imagine que tu n’es pas souvent là le soir quand tu travailles ? » Je secoue négativement la tête. « Non. Enfin je rentre assez tard. Mais je vais essayer d’être là de temps en temps. D’ailleurs… » Elle me fait penser que je dois lui donner le double de mes clés. Je me lève pour aller les chercher sur le plan de travail de la cuisine et je lui remets. « Je te laisse le double de mes clés. » Autant vous dire qu’en la laissant emménager ici et en lui donnant le double de mes clés je dois vraiment avoir confiance en elle. « Au fait, tu devais pas trouver un cabinet dans lequel faire un stage ? » Je me souviens qu’elle m’en avait parlé il y a quelque temps mais je ne sais pas si elle a fini par trouver de son côté. Maintenant que ma sœur vit ici avec moi j’espère qu’Alex ne s’amènera plus complètement défoncée à trois heures du matin sans y être invitée.
J’ai sûrement tort de penser que mes parents ont une si piètre opinion de moi, mais en réalité, en ce moment, je me trouve plus réaliste qu’autre chose. Caleb cherche à me rassurer mais je crois qu’il sait lui aussi que notre père me déteste et que je n’inspire à notre mère que du dégoût. Parfois, j’éprouve simplement de la colère envers ceux que je considère désormais plus comme des géniteurs que comme de véritables parents. Je leur en veux de ne pas faire preuve de plus de tolérance juste parce que je suis leur fille et qu’ils sont censés m’aimer de manière inconditionnelle. Cependant, à d’autres moments, je réalise que je suis cette fille ainée qui les a affreusement déçus, celle qui était censée être plus intelligente que les autres et qui a pourtant fait uniquement des mauvais choix. Si je n’étais pas aussi partagée, j’imagine que j’aurais réussi à couper les ponts depuis longtemps et que ce serait plus facile pour moi que d’imaginer des tonnes de stratagèmes visant à redorer mon image pourtant bien abimée depuis le temps. J’aime me dire qu’ils seront capables de me pardonner, mais je n’ai pas envie d’implorer leur pardon car ça signifierait avouer que je me suis mal comportée. Je n’ai pas envie de devoir m’excuser pour mes choix de vie. Nous sommes donc dans une impasse et toute la bonne volonté de Caleb ne suffit pas à faire tampon entre nous, malheureusement. « Tu sais très bien que c’est la vérité, mais ce n’est pas grave, je m’y suis faite. » C’est faux, je ne m’y suis pas faite et je ne m’y ferais jamais. Je crois qu’aucun enfant ne devrait avoir à vivre un rejet parental, c’est beaucoup trop douloureux. Malheureusement, moi je dois y faire face et maintenant que je retrouve mon frère, je me rends compte à quel point il m’a manqué et à quel point j’ai besoin de lui à mes côtés. J’aimerais que ce soit pareil pour mes parents et qu’un jour, comme Caleb, ils fassent un pas vers moi, pas pour accepter ce que je suis, non, mais au moins pour accepter que l’amour qui nous unit puisse dépasser les sentiments négatifs qui nous éloignent. En tout cas, mon frère semble faire des efforts pour provoquer cette réconciliation et même si je ne le lui dis pas directement pour ne pas avouer que mes parents me manquent, je lui en suis reconnaissante. « Tu leur as vraiment dit ça ? » Je suis véritablement surprise parce que je ne pensais pas que Caleb parlait encore beaucoup de LV avec nos parents. Il reste discret sur ses émotions en général depuis qu’il est sorti de la période sombre qu’il a traversé, mais j’imagine que pour leur confier la bague, il a dû aborder le sujet. De plus, j’imagine que pendant mon absence, il a dû se rapprocher du bout de famille restant pour rechercher un soutien dont il avait impérativement besoin et dont il a encore besoin aujourd’hui. « C’est normal, je suis ta sœur, je serais toujours là pour toi. » J’affirme avec sincérité. Il ne m’est redevable de rien du tout, c’est surtout moi qui dois rattraper le temps que nous avons perdu avec ce stupide conflit. J’adore mon frère et pour rien au monde je ne veux continuer à le voir souffrir de la sorte, alors si je dois être cette épaule sur laquelle il se repose pour aller lentement de l’avant, ça me convient très bien et je serais heureuse de l’être.
Malheureusement, Caleb n’a pas l’air d’avoir beaucoup de chance en amour ces derniers temps et l’amertume avec laquelle il mentionne son passé amoureux – ou son présent ? – veut tout dire et suffit à me mettre la puce à l’oreille. Quelle histoire lui est encore tombé dessus pour qu’il se montre si défaitiste ? Il y a encore quelques temps, il envisageait d’aller de l’avant et de laisser sa chance à une autre personne et voilà que maintenant il considère que l’amour craint. Sa réponse énigmatique n’a absolument rien de rassurant et s’il pense que je vais le laisser s’en sortir comme ça, il se trompe très fortement. « Une ex ? Quelle ex ? » Je demande en fronçant les sourcils parce que je n’aime pas trop l’idée qu’une femme sortie de nulle part vienne semer le trouble dans son esprit qui tente déjà de se remettre de la pire des souffrances qu’on puisse infliger à quelqu’un. Victoria lui manque affreusement et il n’a certainement pas besoin d’un autre fantôme du passé qui l’empêche d’avancer. « Tu ne peux pas la faire sortir de ta vie si elle t’a déçu ? Après tout, ce n’est qu’une ex, tu t’en fous maintenant, non ? » Je meurs d’envie de savoir qui est cette fille qui rend la vie dure à mon frère après le drame qu’il a vécu. Est-elle au courant de ce qu’il a traversé ? Essaie-t-elle de profiter de son évidente vulnérabilité pour le faire craquer de nouveau ? Si c’est une de ses ex, elle doit savoir à quel point il est gentil et adorable avec les autres, ça doit être facile pour n’importe quelle fille de craquer pour lui mais je ne veux pas que qui que ce soit brise le cœur de mon frère. Il mérite beaucoup mieux que ça. Je sais que je ne dois pas me montrer intrusive dans la vie de Caleb, surtout maintenant que nous nous apprêtons à partager le même toit et qu’il va falloir qu’on apprenne à cohabiter sans se marcher dessus. Malgré tout, j’estime que c’est lui qui a abordé le sujet – peut-être sans le vouloir mais le résultat est le même – et que maintenant qu’il a commencé, je ne peux que l’encourager à poursuivre. Mais nous avons aussi un emménagement à terminer et quelques détails pratiques à voir tous les deux. Je me rends vite compte que Caleb est bien décidé à ne pas me laisser trop assumer le quotidien sans pour autant entraver mes mouvements. J’aime sa manière de voir les choses, et je réalise qu’il ne va pas être trop difficile de faire accepter à l’autre nos choix respectifs. « Très bien, ça me va, mais si tu cuisines, je fais la vaisselle et les soirs où tu n’es pas là, je me préparerais un truc. » Qu’il cuisine pour moi quand nous mangeons ensemble ne peut que me faire plaisir, ses talents dans le domaine sont évidemment bien supérieurs aux miens, mais je ne veux pas qu’il devienne mon assistant, loin de là. « C’est officiel alors. » Dis-je en m’emparant du double des clés qu’il me tend. « Merci. » Je ne réalise pas que j’ai vraiment emménagé chez mon frère et pourtant c’est vraiment le cas. « Oui, je devais et je l’ai trouvé ! J’ai mis du temps, ça devient vraiment difficile, je crois que je me suis spécialisé dans un domaine beaucoup trop prisé, mais je m’accroche. » Evidemment, je me garde bien d’évoquer le Club, il n’a pas vraiment besoin de savoir que je compte m’embarquer de nouveau là-dedans. D’ailleurs, je me garde d’évoquer ma vie professionnelle dans sa globalité. « Et toi ? Tu as des projets ? » Le restaurant fonctionne bien, je le sais, mais je le connais assez pour savoir que sa vie professionnelle n’est pas l’unique chose qui lui tient à cœur. J’espère que ses problèmes d’ex ne vont pas lui faire faire trois pas en arrière, ce serait tellement dommage et tellement injuste. Maintenant que je suis enfin auprès de lui, je compte bien m’assurer qu’il nage dans le bonheur.
Personne n’est parfait, on fait tous des erreurs. Mes parents ont déjà dû en faire eux aussi, j’en suis persuadé. Peut-être qu’il serait bon de leur rappeler, histoire qu’ils se rendent compte que laisser leur fille de côté simplement parce qu’ils ne tolèrent pas ses choix de vie est complètement stupide. Moi non plus je ne suis pas d’accord avec la vie qu’elle a décidé de mener. Vraiment pas. J’aurais préféré qu’elle soit une simple étudiante en droit travaillant dans un fast food ou dans un restaurant pour se payer ses études. Mais elle a décidé d’être stripteaseuse. Croyez-moi quand je vous dis que je ne tolère pas ce choix. Je ne l’accepte pas et elle le sait. Elle connait bien le fond de ma pensée. Je ne comprends juste pas comment elle en est arrivée là. Mais ce n’est pas pour autant que je la juge ou que je lui tourne le dos. Primrose c’est ma sœur et pour moi ma famille passera toujours avant tout et avant tout le monde. Je serai toujours là pour elle quand elle aura besoin de moi. Parce que c’est mon rôle de grand frère, mais c’est aussi normalement le rôle de notre père. Du moins c’est ma vision des choses. « Tu sais très bien que c’est la vérité, mais ce n’est pas grave, je m’y suis faite. » Malheureusement elle a raison et c’est bel et bien la vérité. Nos parents l’ont quasiment renié le jour où ils ont appris la nature de son travail. Moi il m’a fallu du temps, mais j’ai tout de même refait un pas vers elle quand je me sentais prêt à passer au-dessus de cette histoire. « Tu t’y es vraiment fait ? » Je lui demande bien que je pense tout de même connaître la réponse. Non, elle ne s’y ait pas fait. On ne peut pas se faire à l’idée que ses parents semblent prendre un malin plaisir à nous rejeter constamment. Je n’aime pas savoir que Prim ne se sent pas à sa place au sein de notre famille. « T’auras toujours ta place dans la famille, Prim. Pour moi du moins, tu seras toujours à ta place. Ils finiront par se calmer. » J’aimerais avoir raison sur ce point-là, mais au final je ne suis même pas sûr que ce soit la vérité. Est-ce qu’ils vont vraiment finir par se calmer et lui redonner sa place initiale ? J’espère. Vraiment. Parce que certes, elle fait des mauvais choix mais elle reste leur fille. Elle reste ma sœur. Et la famille, c’est ce qu’il y a de plus important dans la vie. « Tu leur as vraiment dit ça ? » J’acquiesce d’un signe de tête. Oui je leur ai vraiment dit que son aide avait été précieuse, parce que c’est la vérité. Je ne la remercierais jamais assez pour son coup de main. « Oui, oui. J’ai été leur donner la bague de Victoria et j’en ai profité pour leur dire que tu m’avais beaucoup aidé. » Ils avaient tous les deux eu l’air très surpris de me voir leur demander de garder précieusement la bague de fiançailles. Même après ma journée avec Prim j’ai longuement hésité à garder la bague chez moi. Mais j’ai fini par définitivement me rendre compte que si je gardais cette bague avec moi, je n’arriverais jamais à tourner la page. Alors j’en suis revenu à l’idée évoquée par ma sœur. « C’est normal, je suis ta sœur, je serais toujours là pour toi. » Sa phrase me touche parce que je sais qu’elle est sincère. Et aussi parce que j’ai l’impression que sans notre conversation dans ce box nous n’aurions jamais été capables de se dire ce genre de chose. « Je serais toujours là pour toi aussi. À n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. » Et moi aussi je suis sincère. Même si je lui ai plus ou moins dit l’autre fois, j’ai envie de lui dire une deuxième fois.
Je ne sais pas pourquoi j’ai abordé le sujet de ma vie sentimentale. Je ne sais même plus comment j’en suis arrivé là. Mais nous y voilà. Je crois que la seule fois où je lui parlais de ma vie sentimentale c’était quand LV venait de me rejoindre définitivement à Brisbane. « Une ex ? Quelle ex ? » Je la connais et je sais qu’elle continuera à me poser des questions tant que je ne lui dis pas la vérité. « Alex. Je pense pas que tu l’aies connu. J’avais vingt ans quand on était ensemble. Le peu de fois où je l’ai emmenée chez les parents t’étais au pensionnat. » Elle comptait beaucoup pour moi à l’époque, Alex. Je n’aurais pourtant pas été contre l’idée qu’elle puisse rencontrer Prim. Mais elle m’a quitté avant que cette rencontre n’ait pu avoir lieu. Enfin non, elle ne m’a même pas quitté elle est juste partie sans plus jamais me donner signe de vie. « Tu ne peux pas la faire sortir de ta vie si elle t’a déçu ? Après tout, ce n’est qu’une ex, tu t’en fous maintenant, non ? » Je lève les yeux vers elle. Oh, si seulement les choses pouvaient être aussi simples je le ferais. Mais le problème c’est qu’elle est bien plus qu’une simple ex petite-amie. Je suis retombé amoureux d’elle, et après la nuit et la journée qu’on a passé juste tous les deux je me sentais prêt à la laisser reprendre la place dans ma vie qu’elle avait décidée d’abandonner il y a huit ans. « C’est pas si simple… C’est pas juste une ex. Je l’aime vraiment beaucoup et elle compte pour moi. » Pourtant j’aimerais tellement faire comme elle, partir et l’oublier. Comme elle a fait il y a huit ans. Elle est partie, elle m’a laissé derrière elle comme si notre histoire n’avait jamais eu aucune valeur à ses yeux. Elle m’avait tellement fait mal à l’époque. Et elle m’a encore fait mal il y a deux semaines quand elle m’a dit qu’elle regrettait cette nuit et cette journée passée ensemble. Et elle m’a encore fait mal quand elle m’a dit la vérité sur cet enfant qu’elle a abandonné il y a huit ans, cet enfant qui, apparemment est le mien. Elle passe son temps à me faire souffrir, et moi j’encaisse. Et comme un con, j’étais prêt à tout lui pardonner son départ. « Très bien, ça me va, mais si tu cuisines, je fais la vaisselle et les soirs où tu n’es pas là, je me préparerais un truc. » On arrive à trouver de bons compromis. J’aime cuisiner ; je ne pense pas qu’elle apprécie particulièrement ça, je déteste faire la vaisselle ; bon je ne suis pas sûr qu’elle aime spécialement faire la vaisselle par contre. Mais si elle se propose, je ne vais pas m’en plaindre. « Je te laisse t’occuper de la vaisselle avec plaisir, parce que je déteste ça. » En même temps je ne suis pas sûr que ce soit quelque chose qu’un grand nombre de personne aime faire. Et ce n’est seulement que quand je lui confie le double des clés que je me rends compte que Prim vient officiellement d’emménager chez moi. « Oui, je devais et je l’ai trouvé ! J’ai mis du temps, ça devient vraiment difficile, je crois que je me suis spécialisé dans un domaine beaucoup trop prisé, mais je m’accroche. » Je pense qu’elle n’a pas choisi les études les plus simples tout court. Elle a vingt-cinq ans et elle n’en a toujours pas fini, je ne sais pas comment elle fait pour ne pas arriver à saturation. « Mais ça te plait toujours autant ? » Quand on aime ce qu’on fait, les stages et les études nous paraissent beaucoup moins terribles. Moi j’aimais ce que j’apprenais alors même si mes premières semaines de stage dans les cuisines n’ont pas été faciles, je me suis accroché parce que je savais ce que je voulais. « Et toi ? Tu as des projets ? » Avec Alex, je recommençais à me dire que je pouvais peut-être avoir des nouveaux projets de vie, mais depuis qu’elle m’a dit toute la vérité j’ai l’impression d’être de retour à la case départ. « Je sais pas…honnêtement je suis un peu perdu en ce moment… » Je lui dis, tout en soupirant. J’ai l’impression que tous mes efforts de ces derniers temps n’ont pas servi à grand-chose. Je suis de nouveau blessé, et complètement paumé.
Non, je ne me suis pas faite au rejet de ma famille, j’aime me dire que c’est le cas, mais je ne crois pas qu’un individu normalement constitué puisse un jour accepter d’être renié par les personnes qui l’ont élevé et choyé pendant de longues années. J’ai fait mes premiers pas en leur présence, j’ai prononcé mes premiers mots également, j’ai appris les valeurs véhiculées par notre famille et j’ai aussi appris à devenir cette femme forte, indépendante avec son libre-arbitre la rendant capable de faire ses propres choix. Mes parents ont toujours mis un point d’honneur à nous donner toutes les clés pour que nous puissions nous épanouir dans la vie et non pas nous enfermer dans un chemin tout tracé. C’est ce que j’ai fait et malheureusement c’est la raison pour laquelle ils n’arrivent même pas à croiser mon regard lorsque je mets les pieds dans la demeure familiale. Caleb, lui, a fait le choix de me considérer comme sa sœur malgré les choix que je fais et je lui en suis infiniment reconnaissante. Être rejetée par les siens est quelque chose de douloureux, quoi que je puisse en dire. « J’essaie de m’en convaincre. » J’admets, parce que mentir aurait été stupide, il aurait été capable de se rendre compte que je ne disais pas la vérité et je prononce déjà beaucoup trop de mensonges en présence de mon frère pour faire l’erreur d’en ajouter un supplémentaire à cette liste impressionnante. « Mais je n’y arrive pas vraiment. » Parfois, lorsque la colère prend le dessus, j’arrive à me dire que je les déteste, qu’ils ne me méritent pas et qu’ils ne devraient pas faire partie de ma vie. Malgré tout, je sais que je ne le pense pas réellement et que c’est justement mon amour pour eux qui suscite cette colère que je n’arrive pas à réprimer quels que soient mes efforts. « Je l’espère. » Je souffle, sans pouvoir ajouter un mot de plus parce que mes yeux brillent plus que d’habitude et qu’une émotion inhabituelle menace de me submerger. Je n’ai pas pour habitude de flancher mais devant la douceur de mon frère et ses paroles réconfortantes, il m’est difficile de conserver mon aplomb habituel. C’est encore plus dur quand je constate les efforts que mon frère fait pour que je reste intégré dans notre famille. Rien ne l’obligeait à mentionner l’aide que j’avais pu lui apporter durant cette matinée de rangement et pourtant il a jugé bon de le faire, comme pour rappeler à mes parents que leur fille n’est pas simplement une stripteaseuse. « Tu n’étais pas obligé. Merci. » Les mots me manquent encore une fois pour exprimer la gratitude que je ressens réellement à l’égard de mon frère, pourtant elle est immense et je tiens à m’assurer qu’il sait qu’il peut compter sur mon soutien en toutes circonstances. Nous ne sommes pas des habitués de ce genre de déclaration mais quand Caleb me dit que je pourrais toujours compter sur lui, je me rends compte à quel point ses mots me touchent et à quel point j’avais besoin de les entendre.
Je crois que j’aurais préféré qu’on s’en tienne aux belles déclarations plutôt que d’entendre le prénom qui vient de sortir de la bouche de mon frère alors qu’il mentionne une ex avec qui sa relation est compliquée. Alex. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Il est évident que ça ne peut être qu’elle la garce qui est venue pourrir le moral de mon frère. Cette fille est une psychopathe et Caleb n’a absolument pas l’air de s’en rendre compte. Pendant un instant, je me sens affreusement mal-à-l’aise parce que je ne sais absolument pas quelle attitude je dois adopter, mais en fin de compte, la solution finit par s’imposer à moi parce que je sais pertinemment que je ne peux pas faire semblant, que je n’y arriverais pas et que je ne veux pas lui laisser une opportunité supplémentaire de prouver à Caleb qu’il ne peut pas me faire confiance. « Si, je la connais. » Je me hâte de préciser, le visage trop fermé pour que ça puisse être quelque chose de positif. « Enfin, je ne l’ai pas connu quand vous étiez ensemble, mais je l’ai rencontrée il y a quelques mois et j’ignorais que vous aviez repris contact. J’espérais que ce ne serait pas le cas. » C’est sans doute nase de ma part mais je préfère jouer cartes sur tables. Je sais que je ne peux pas raconter ce qu’il s’est passé entre nous sans que ça mette la puce à l’oreille de mon frère sur ce que je lui cache, mais je dois également lui en dire assez pour qu’il ne se pose pas davantage de questions et surtout pour qu’il ne pose pas lesdites question à cette imbécile d’Alex. « On s’est croisé dans un groupe de soutien pour addicts… Je ne me drogue pas, rassure-toi, je n’y suis allée qu’une fois, j’avais juste envie de parler avec des personnes qui n’ont pas toujours fait les bons choix, comme moi. » Inutile de mentionner l’addiction à l’argent que je traine depuis mon adolescence et qui justifie mon choix de profession. Caleb n’a pas besoin de savoir que sa sœur est pire que ce qu’il pense. « Alex m’a invitée à boire un café après la réunion et ça ne s’est pas vraiment bien passé entre nous. » Nos désaccords étaient tels que nous nous sommes braquées toutes les deux. Je crois qu’elle sera à jamais incapable de revenir sur la haine qu’elle me porte et pour ma part, je ne peux pas avoir de considération pour une personne qui est incapable de conserver son sang-froid face à une inconnue et n’hésite pas à se comporter d’une manière qui aurait dû l’envoyer directement en hôpital psychiatrique. « Je ne sais pas ce qui te plait tellement chez elle au point que tu acceptes qu’elle te fasse perdre foi en l’amour, mais j’espère que tu feras attention à toi, elle n’est pas nette cette fille. » Et moi, je manque cruellement d’objectivité mais ne vient-il pas de dire que l’amour fait forcément souffrir ? Je crois que ça suffit pour considérer que ce retour fracassant est inquiétant. Mon frère a beau avoir vécu des choses pas faciles avec la mort de Victoria, il est toujours resté positif et si c’est cette cruche qui doit lui enlever ce qui lui reste d’espoir, je vais vraiment finir par la détester. Finalement, parler de la répartition des tâches et de mon nouvel emménagement ne me semble plus aussi important finalement et c’est un peu distraite que j’acquiesce à la répartition des tâches. M’éterniser sur mes choix professionnels me semble également dérisoire mais je fais pourtant l’effort de m’y pencher sérieusement pour que Caleb ne pense pas que je néglige mon avenir. « Oui, bien sûr, ça me plait, je n’irais pas jusqu’à dire que c’est une vocation mais ça m’intéresse. » J’aurais aimé avoir la même passion que mon frère pour la cuisine. Malgré tout, même lorsqu’il s’agit de regarder vers l’avenir mon frère ne semble pas en être capable, et ça, ce n’est pas possible. « Elle t’a vraiment chamboulé tant que ça, Alex ? » J’insiste, mais c’est important, s’il remet tout en question à ce point c’est inquiétant, très inquiétant. Je ne laisserais personne faire replonger mon frère dans la tristesse dans laquelle il a été pendant près de deux ans. Il ne mérite pas ça.
Je fais tout ce que je peux pour aider Primrose à se sentir intégrée à la famille. Parce qu’elle en fait tout autant partie que moi et que les jumelles. Elle ne mérite pas ce rejet de la part de nos parents, après tout elle reste leur fille. Et je pensais que ce genre de lien pouvait résister à tout. Mais ils nous prouvent que non, apparemment. Prim a eu le malheur de ne pas suivre le chemin qu’ils auraient désiré pour elle et elle en paye les conséquences depuis déjà plusieurs années. Moi aussi j’aurais préféré qu’elle choisisse une voie plus sage parce que je pense sincèrement qu’elle vaut mieux et qu’elle vaut bien plus que ça. Mais elle a vingt-cinq ans et elle est libre de faire ses propres choix. Vingt-cinq ans. Je me souviens des premières années après sa naissance. J’étais tellement heureux d’avoir une petite sœur que je m’occupais tout le temps d’elle. Et ça m’amusait de jouer les super-grand frère, en faisant tout ça j’avais l’impression d’être le meilleur grand frère du monde. Bien plus que mon comportement avec elle ces dernières années. C’est pour ça que j’essaie de me rattraper, parce que j’ai fini par me rendre compte que quel que soit les choix qu’elle peut faire elle restera toujours ma petite sœur. « J’essaie de m’en convaincre. Mais je n’y arrive pas vraiment. » Je ne sais pas quoi lui dire qui pourrait potentiellement la rassurer. Je ne sais même pas si je pourrais la rassurer tout court. En même temps, est-ce qu’il y a réellement un moyen pour moi de la rassurer ? Je ne pense pas. Pourtant j’aimerais avoir le pouvoir de lui faire oublier le rejet de nos parents. Elle me dit qu’elle essaie de se convaincre qu’elle a enfin réussi à s’y faire. Mais je sais que c’est loin d’être le cas. Je la rassure comme je le peux en lui disant que nos parents finiront par se calmer et par la laisser redevenir simplement leur fille. « Je l’espère. » Je la regarde et je vois ses yeux briller, comme si elle retenait ses lares pour les empêcher de couler. Je déteste la voir comme ça. Surtout quand je sais qu’il s’agit de nos parents. « Dans tous les cas moi je suis là. Et puis…y a Romy aussi. Tu seras jamais seule. Et un jour ils se rendront compte qu’ils ont fait une connerie en te rejetant comme ça. » Je lui dis ça sans même être sûr d’avoir raison. Mais je suppose que oui, un jour ils se rendront compte de la connerie qu’ils ont faite et ils reviendront vers elle.
Dans notre famille, nous ne sommes pas vraiment habitués aux grandes déclarations, on ne se dit jamais les choses et on est plutôt des grands adeptes des non-dits. Alors quand ma sœur me dit que je pourrai toujours compter sur elle, ça me touche. Parce que je sais qu’elle le pense sincèrement. Tout autant que moi quand je lui dis que je serai toujours là pour elle, n’importe quand. Mais on ne reste pas très longtemps dans les déclarations puisqu’elle a décidé d’en savoir plus que les raisons de mon pessimisme concernant ma vie sentimentale. Je maintiens ce que je lui ai dit il y a quelques minutes, on finit toujours par souffrir en amour. Et je commence à me demander si tout ça en vaut vraiment le coup. « Si, je la connais. Enfin, je ne l’ai pas connu quand vous étiez ensemble, mais je l’ai rencontrée il y a quelques mois et j’ignorais que vous aviez repris contact. J’espérais que ce ne serait pas le cas. » Quoi ? Alex connait ma sœur ? Pourquoi est-ce qu’elle ne me l’a jamais dit ? Comment est-ce qu’elle se sont rencontrées ? Je fronce les sourcils. Primrose n’a pas l’air de beaucoup aimer Alex. Je me demande pourquoi. Pourquoi est-ce qu’à chaque fois qu’elle croise le chemin d’un membre de ma famille il ne l’apprécie pas ? Mes parents, Wylda et maintenant ma sœur ? J’ai des millions de questions qui me traversent l’esprit mais je ne dis rien, je préfère la laisser m’expliquer les choses. Je l’écoute alors avec attention. Elles se sont rencontrées dans un groupe de soutiens pour addicts – heureusement qu’elle me précise qu’elle ne se drogue pas elle aussi – ça ne s’est apparemment pas très bien passé entre elles. « Je ne sais pas ce qui te plait tellement chez elle au point que tu acceptes qu’elle te fasse perdre foi en l’amour, mais j’espère que tu feras attention à toi, elle n’est pas nette cette fille. » Je relève les yeux vers elle pour la regarder. Pas très nette ? Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer entre elles pour qu’elle semble si radicales dans son opinion envers elle. Je lâche un long soupir avant de boire quelques gorgées de ma bière. « Pourquoi tu me dis tout ça ? Qu’est-ce qu’il s’est passé pour que tu aies une image aussi négative d’elle ? » Je lui demande. J’ai presque peur d’entendre la réponse qu’elle va m’apporter. Je ne sais même pas si j’ai envie de savoir en fait. Je baisse à nouveau les yeux et me pince les lèvres avant de reprendre. « Je sais qu’elle est loin d’être parfaite. Crois-moi je m’en rends bien compte. Je sais qu’elle a des défauts. » Et pas qu’un peu d’ailleurs. « Mais elle peut aussi être vraiment incroyable tu sais. Elle le montre juste pas à tout le monde. » Même si je suis en colère contre elle, même si j’ai encore l’impression qu’elle s’est foutue de ma gueule depuis qu’on s’est retrouvés, je trouve encore le moyen de la défendre, même si je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre ma sœur et elle pour qu’elle me dise qu’elle aurait préféré que je ne reprenne pas contact avec elle. En tout cas je remarque bien qu’Alex a bien évité de me dire qu’elle connaissait ma sœur. Je retiens et je garde cette information dans un coin de ma tête. Elle passe son temps à me décevoir. « Oui, bien sûr, ça me plait, je n’irais pas jusqu’à dire que c’est une vocation mais ça m’intéresse. » J’acquiesce d’un signe de tête. Tant qu’elle trouve quelque chose qui lui plait, moi, je suis content pour elle. Et je pense qu’elle a certainement un bel avenir devant elle. Un bien meilleur futur que le mien, du moins, ça je n’en doute pas. « Elle t’a vraiment chamboulé tant que ça, Alex ? » Dire qu’elle m’a chamboulé est un bien faible mot. Je hausse les épaules, toujours le regard un peu perdu dans le vide. « Tu peux même pas t’imaginer à quel point. » Je commence par lui dire. « Disons que… Ça fait quelques mois qu’on s’est revus, on a passé beaucoup de temps ensemble. Elle me laisse pas indifférent mais…c’est compliqué. Comme toujours avec elle. Mais de toute façon on ira pas plus loin cette fois elle et moi. » Parce qu’elle a été trop loin. Elle m’a fait beaucoup trop mal. Elle m’a fait croire qu’un « nous » était de nouveau possible, pour quelques jours plus tard me dire qu’elle regrettait ces moments passés ensemble. Et puis il y a cet enfant qui, apparemment est le mien, qu’elle a abandonné il y a huit ans. Là c’est trop.
Je déteste me mettre dans des états pareils pour des personnes qui n’en valent pas la peine. Mes parents sont importants pour moi, ce sont eux qui m’ont mis au monde alors oui leur rejet me touche plus que celui de n’importe qui d’autre. Malgré tout, ils ne méritent pas mes larmes, je m’en sors très bien toute seule et je ne veux pas montrer à qui que ce soit qu’ils parviennent à m’atteindre, même si je dois bien reconnaitre que c’est évidemment le cas. Heureusement pour moi, il s’agit de Caleb et comme d’habitude, il se montre compréhensif et rassurant. J’ai envie de le croire, vraiment envie, mais je sais ce qu’il en est au fond et j’ai parfaitement conscience que ça peut facilement devenir pire et difficilement s’arranger. Pour que la situation s’améliore, il faudrait déjà que j’arrête de mentir, mais si je mets un terme à ces mensonges, peut-être que je le perdrais lui aussi et c’est inconcevable. Nous venons tout juste de nous retrouver, je ne peux pas imaginer qu’il me tourne le dos. « Romy n’est pas au courant, peut-être qu’elle ne serait pas là si elle savait. » Et toi non plus d’ailleurs, parce que tu ne sais pas tout. Ce serait tellement facile à ajouter, ça me permettrait de me libérer un petit peu de ce fardeau si difficile à porter, mais je n’ose pas, je suis lâche, comme d’habitude, je repousse une échéance pourtant inévitable. Ça me tombera dessus à un moment donné, c’est une certitude, les secrets ne le restent jamais bien longtemps. « De toute façon, je n’ai pas grand-chose à faire à part attendre de voir s’ils arrivent à passer au-dessus de tout ça. » Malgré toute la colère que je peux avoir à leur encontre, je crois que je me raccroche toujours à cet espoir fou que les choses finiront par s’arranger et c’est cet espoir, finalement, qui est le plus douloureux parce que si je n’attendais plus rien, je n’aurais pas à supporter la déception.
D’habitude, j’arrive à éluder tous les sujets qui me rapprocheraient trop de la zone d’ombre que je tiens éloignée de mon frère. Malheureusement, aujourd’hui, c’est loin d’être le cas puisqu’il a fallu qu’Alex, la fille à qui j’ai tout déballé sans savoir qu’elle était liée à ma famille, s’invite dans l’équation. Parler d’elle me fait peur parce que j’ai peur d’aller trop loin et qu’elle décide aussi de parler par vengeance, mais je ne me vois pas me taire totalement parce que ce serait un énième mensonge prononcé contre mon frère et qu’en cas d’un aveu de sa part, je passerais sûrement pour la pire des deux. Caleb a l’air surpris d’apprendre qu’on se connait, elle ne lui a donc absolument rien dit sur moi et c’est à mon tour de choisir jusqu’où je peux aller en mesurant les représailles que je pourrais avoir en retour. Tout dire ? Se taire ? Rester vague ? J’ai opté pour la troisième option mais, il fallait s’y attendre, cette dernière est loin d’être suffisante pour mon frère qui attend ben plus de ma part. Pire que tout, il prend sa défense face à mon a priori qui est pourtant totalement justifié et j’aimerais pouvoir lui donner de vrais arguments pour le convaincre. « Disons qu’elle ne s’est pas montré très agréable avec moi, elle m’a fait tout un discours comme quoi je ne méritais pas d’avoir une famille comme la mienne, que j’avais de la chance d’avoir un frère aussi génial que toi mais que j’étais trop égoïste pour m’en rendre compte… Voilà. » Je n’ai pas passé un bon moment en sa compagnie, c’est le moins qu’on puisse dire, mais elle avait davantage de cartes en mains que Caleb pour pouvoir juger mes actes et je ne veux pas que mon frère la pousse à lui dire ce qu’elle a contre moi de peur qu’Alex lui révèle ce que j’ai pu lui dire d’affreux pendant cette conversation. « On s’est dit plein de trucs horribles parce qu’on n’arrivait pas à se comprendre et qu’on avait besoin de se blesser mutuellement, je me suis braquée, j’ai été aussi désagréable qu’elle et on s’est arrêté là. » Si seulement, mais je n’ai pas besoin de lui raconter l’épisode du club, pas encore, ni de lui expliquer qu’elle s’est jouée de moi en se faisant passer pour une inconnue alors même qu’elle connaissait très bien ma famille. Il y a des choses qu’il vaut mieux ignorer.
Compte tenu de tous ces événements, je dois bien l’admettre, j’ai du mal à considérer Alex comme quelqu’un d’incroyable mais je me garde d’en faire la remarque à haute voix à mon frère qui a apparemment ses propres arguments pour se tenir à bonne distance de la jeune femme. Caleb n’est pas quelqu’un de rancunier, il est sûrement facile à décevoir parce qu’il est difficile pour tout être normalement constitué d’être aussi parfait qu’il peut l’être. Je ne suis pas vraiment objective puisqu’il s’agit de mon frère, mais depuis ma naissance, je l’ai toujours vu être droit avec les personnes qu’il aime sans jamais qu’il fasse un pas de travers, il m’était donc difficile de l’égaler et impossible de faire mieux. Je me souviens avoir souhaité très fort en étant enfant qu’il commette des erreurs pour que les miennes passent inaperçues, mais ça ne m’est jamais arrivé, malheureusement. « J’ai du mal à comprendre… Pourquoi tu passes du temps avec elle si tu sais que ça ne pourra pas aller plus loin ? Et comment tu sais que ça ne pourra pas aller plus loin ? » Je ne vais pas dire que ça me dérange, j’aime l’idée qu’il ne souhaite pas lui faire une nouvelle place dans sa vie, ça m’embêterait sincèrement de devoir dormir avec un couteau de cuisine sous mon matelas si elle intègre la maison familiale pour les vacances. Malgré tout, je n’ai pas pour habitude de voir mon frère aussi désabusé et catégorique et ça m’intrigue autant que ça m’inquiète. « Ce serait bien que les choses ne soient pas aussi compliquées, parfois, mais peut-être que la solution est juste sous notre nez et qu’on ne la voit pas. » Evidemment, je ne peux m’empêcher de penser à Abel, encore, tout me ramène à lui ces derniers temps. Est-ce que céder serait ça ma solution ? Plus je le repousse et moins j’ai envie de le faire, c’est usant mais encore une fois, mes mensonges sont une entrave à toute forme de projets et de relations et j’ai bien peur que je ne parvienne jamais à y échapper. Caleb, de son côté, n’a pas de problème d’honnêteté, alors je me demande bien ce qui peut le bloquer à ce point et je suis bien décidée à le découvrir.
Quoiqu’il arrive ma sœur reste l’une des personnes les plus importantes dans ma vie, même si je ne suis pas forcément très démonstratif avec elle. Même si je ne comprends pas ses choix de vie, j’apprends à faire avec. Et puis c’est sa vie, pas la mienne et pour moi la famille passera toujours avant tout. Je pensais que pour mes parents c’était la même chose, je croyais sincèrement qu’ils feraient passer leurs enfants avant tout. Mais apparemment non. Au début, je peux comprendre qu’ils aient eu du mal à accepter les choix de Prim. Parce qu’ils étaient inattendus et surtout parce qu’elle mérite mieux. Elle peut faire tellement plus. Là-dessus je suis d’accord avec eux. Après tout peut-être qu’elle finira par ouvrir les yeux et se rendre compte qu’elle a fait des mauvais choix. Vous pensez peut-être que je suis un peu trop con, ou un peu trop optimiste. Et vous avez peut-être raison au final. Mais dans tous les cas je ne tournerai jamais le dos à ma sœur et je serai toujours là pour elle. « Romy n’est pas au courant, peut-être qu’elle ne serait pas là si elle savait. » J’ai beaucoup de mal à imaginer que Romy pourrait stopper tout contact avec Prim, même si elle apprenait qu’elle était strip-teaseuse. Elles ont toujours été inséparables toutes les deux et je pense sincèrement qu’il en faudrait beaucoup pour les séparer. « Même si elle savait je suis sûr que ça changerait rien entre vous. » Je commence par lui dire. « Enfin peut-être qu’au début elle aurait besoin d’un peu de temps pour digérer la nouvelle. Mais tu devrais lui en parler un jour, parce qu’elle finira forcément par l’apprendre. Tout finit toujours par se savoir. » Je ne sais même pas pourquoi je lui dis ça. Je le pense vraiment. Oui je pense qu’elle devrait en parler à Romy parce que la vérité finit toujours par éclater. Tout le temps. Et ma situation actuelle avec Alex le prouve bien. Quoique, si elle ne me l’avait pas dit je ne serais certainement toujours pas au courant… « De toute façon, je n’ai pas grand-chose à faire à part attendre de voir s’ils arrivent à passer au-dessus de tout ça. » Elle a raison. Même si j’aimerais lui dire qu’elle a tort, je ne peux pas. Et j’ai beau lui dire le contraire mais je ne suis même pas sûr qu’un jour nos parents arriveront à passer au-dessus. J’aimerais pouvoir l’aider mais je ne vois pas comment. Alors c’est par des petites réflexions que je lui apporte mon aide, comme par exemple en disant aux parents que Prim m’a beaucoup aidé à faire le tri dans les affaires de LV. Ça paraît peu, mais en leur disant ça je leur montre que leur fille n’est pas qu’une simple stripteaseuse et qu’elle est bien plus que ça. Que malgré tout elle reste leur fille. Et moi ma petite sœur.
Apparemment Alex et Prim se connaissent. Je n’en avais aucune idée puisqu’Alex ne m’en a jamais parlé. Même quand je lui ai dit que ma sœur habitait avec moi elle ne m’a rien dit. Elle faisait comme si elle ne la connaissait pas. Et ça croyez-moi, c’est une information que je garde dans un coin de ma tête et je compte bien lui demander des explications. Même si je ne suis même pas sûr de vouloir la revoir un jour. « Disons qu’elle ne s’est pas montré très agréable avec moi, elle m’a fait tout un discours comme quoi je ne méritais pas d’avoir une famille comme la mienne, que j’avais de la chance d’avoir un frère aussi génial que toi mais que j’étais trop égoïste pour m’en rendre compte… Voilà. » Je l’écoute en fronçant les sourcils quand elle me parle du fait qu’Alex lui aurait fait la morale en lui disant qu’elle ne méritait pas sa famille, et qu’elle ne se rendait pas compte de la chance qu’elle avait de m’avoir en étant que frère. Je soupire. Elle m’énerve. Alex bien sûr. « De quels droits elle s’est permise de te dire ce genre de chose ? Notre famille elle l’a connait pas, et toi non plus elle te connait pas. » Enfin mes parents et les jumelles on peut plus ou moins dire qu’elle les connaît. Elle les a vu une ou deux fois quand on était ensemble. Mais c’était il y a dix ans. Dix longues années. Les choses changent. Et les gens aussi. Elle est pourtant bien placée pour le savoir. Imaginer Alex sortir tout un discours à Prim en la rabaissant m’énerve encore plus contre elle. Personne ne touche à ma famille. Personne ne touche à ma sœur. « On s’est dit plein de trucs horribles parce qu’on n’arrivait pas à se comprendre et qu’on avait besoin de se blesser mutuellement, je me suis braquée, j’ai été aussi désagréable qu’elle et on s’est arrêté là. » Je relève le menton vers Prim pour la regarder un instant, sans rien dire sans un premier temps. « Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? Elle t’a pas manqué de respect j’espère ? » Mon côté grand frère protecteur qui reprend toujours le dessus. Même quand on parle d’Alex. De toute façon je suis incapable de prendre sa défense maintenant. Pas maintenant. Pas après tout ce qu’elle m’a fait. Elle m’a manqué de respect. Elle m’a menti. Elle n’a pas été agréable avec ma sœur, sans aucune raison apparente si j’en crois les dires de Prim. Ça en fait des erreurs. Beaucoup trop de choses à pardonner. Et je ne suis pas sûr d’y arriver. Ni d’ne avoir envie d’ailleurs. « J’ai du mal à comprendre… Pourquoi tu passes du temps avec elle si tu sais que ça ne pourra pas aller plus loin ? Et comment tu sais que ça ne pourra pas aller plus loin ? » Oh si tu savais Prim, c’est tellement compliqué. Si elle savait qu’elle avait un neveu quelque part. Un neveu de bientôt huit ans. « C’est compliqué. » Je lui dis, baissant les yeux quelque instant. « C’est moi qui refuse d’aller plus loin avec elle. Parce qu’elle m’a menti sur les raisons de son départ il y a huit ans. Et elle m’a même jamais dit qu’elle te connaissait. Pourtant j’ai déjà mentionné ton nom plus d’une fois. » Je jette un coup d’œil rapide à ma sœur. « Et je suis même pas sûr d’être prêt pour… me remettre avec quelqu’un. » Me remettre avec quelqu’un qui n’est pas Victoria. Oui je sais, il faut que je passe à autre chose. Ça fait maintenant deux ans et demi. Il est temps que je tourne la page. Et je l’ai fait. Mais je ne veux pas aller trop vite. « Ce serait bien que les choses ne soient pas aussi compliquées, parfois, mais peut-être que la solution est juste sous notre nez et qu’on ne la voit pas. » Les choses sont toujours compliquées. Malheureusement. Mais cette réflexion me laisse penser qu’elle semble avoir elle aussi certaines choses en tête. Des choses qui semblent la perturber. « Qu’est-ce que tu veux dire par là ? » Je lui demande. Si je ne me fais pas des idées et qu’elle a vraiment des soucis, des doutes, ou des choses qui viennent la perturber, j’espère qu’elle oserait venir m’en parler. Parce que comme je lui ai déjà dit plusieurs fois, je serais toujours là pour elle.
Caleb fait son maximum pour me rassurer mais moi, tout ce que je vois dans notre conversation, c’est tout ce que je ne lui dis pas et qu’il a pourtant le droit de savoir. Il me soutient, il m’épaule, nous avons enfin réussi à retrouver cette relation que nous avons perdue après mon annonce qui a fait beaucoup de mal à ma famille et j’ai beaucoup trop peur de le perdre. Nous sommes passés à deux doigts de la catastrophe alors que je n’ai annoncé qu’une petite partie de mon activité, que se passera-t-il si je dévoile tout ce que je cache ? Est-ce qu’il me tournera le dos ? Est-ce qu’il me mettra dehors ? Est-ce qu’il arrêtera de me parler ? Je ne veux pas avoir de réponses à ces questions car il est fort probable qu’elles me brisent le cœur. « Je ne sais pas. » Je souffle finalement, alors que je sais pourtant qu’il a raison. « Maman ne veut pas que toute la famille soit au courant. » Je la comprends sans la comprendre, parce que d’un côté je me doute qu’elle n’a pas envie d’être jugée mais de l’autre, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elle a honte de sa propre fille et qu’elle cherche à préserver sa propre image en dissimulant celle que je suis devenue. « Je suis sûre que Romy ne dirait rien, mais ils me détestent déjà assez comme ça, je ne veux pas encore faire quelque chose qu’ils désapprouvent. » Je sais pertinemment que ce n’est pas la véritable raison de mon silence. Il est facile de se cacher derrière des interdictions parentales que je pourrais tout simplement ignorer comme je l’ai toujours fait. Je suis vraiment quelqu’un d’horrible, voilà la vérité, il n’y a pas d’autre explication valable à mon attitude. « Je ne suis pas comme toi, Caleb, je ne suis pas courageuse, j’ai peur de ce qu’elle pourrait penser. » Voilà qui est tout de même un peu plus honnête et ma gorge se noue rien qu’en prononçant ces mots parce que je déteste reconnaitre que je suis lâche alors que c’est pourtant vrai. Malheureusement, il a raison, tout finit toujours par se savoir et si je me fiche que certaines personnes apprennent mes agissements, il y en a d’autres que je tiens à préserver de la vérité, Caleb, Romy ou encore Abel en font évidemment parti. Un jour, je me retrouverais au pied du mur et ce jour-là, je regretterais de ne pas avoir pris les devants pour limiter la casse. « il faut que j’y réfléchisse. » Il y a tellement choses que j’ignore encore, comment lui dire ? Quoi lui dire ? A quel moment ? Ce n’est pas quelque chose dont on peut parler de manière spontanée à quelqu’un et si je dois prendre la décision de révéler la vérité avant que quelqu’un d’autre s’en charge à ma place, c’est pour faire les choses bien. Je sais que je pourrais compter sur le soutien de mon frère et c’est un soulagement, j’espère juste que Romy ne lui tiendra pas rigueur d’avoir gardé mon secret si longtemps.
Parler d’Alex était une erreur mais ne pas en parler en aurait été une aussi parce que j’aurais ajouté un mensonge à la longue liste de ceux que j’ai déjà prononcé devant mon frère qui ne les méritaient absolument pas. Caleb a le droit de savoir la vérité, mais je suis bloquée dans mes explications parce que si je voulais qu’il comprenne réellement le sujet de notre altercation, je serais obligée de lui révéler qui je suis réellement et je ne m’en sens absolument pas capable. « Je l’ai provoquée, je l’ai mise hors d’elle, je ne suis pas sûre qu’elle pensait réellement ce qu’elle a dit, mais elle était très en colère et je crois qu’elle voulait me faire réagir… Je ne cherche pas à l’excuser parce qu’elle a tenu des propos intolérables et que je ne pense pas pouvoir l’apprécier un jour ou même avoir envie de recroiser son chemin. Je n’ai pas eu une attitude exemplaire, moi non plus, tu ne me peux me croire, c’est qu’une grosse embrouille qui a mal tourné. » Par contre, je suis étonnée qu’il me dise qu’elle ne connait pas notre famille, ce n’était pas ce qui transparaissait dans ses propos, j’avais justement l’impression qu’elle la connaissait vraiment très bien et c’était affreusement déroutant. D’ailleurs, je suis encore plus étonnée de me rendre compte que mon frère est très surpris de tout ce que je lui dis ce qui signifie qu’elle ne lui a rien révélé alors qu’elle aurait pu décider de détruire notre relation. C’est pour cette raison, entre autres, que je ne peux pas me permettre de retourner Caleb contre elle parce qu’elle a eu assez de respect pour moi pour ne pas me faire perdre mon frère. Autant dire que je n’y croyais pas du tout. « Honnêtement, on s’est comporté comme deux grosses garces. » Bon, évidemment, dans mon esprit, je trouve qu’elle a été largement pire que moi, car c’était elle qui attaquait et je me suis contentée de me défendre, mais ça a été dur malgré tout d’autant plus que nous nous sommes servies des vérités prononcées dans le cadre du groupe de parole dans lequel les propos d’autrui auraient normalement dû être respectés et gardés secrets. En définitive, je crois que c’est la première fois que je réalise que les torts sont peut-être plus partagés que je n’aurais voulu l’imaginer. « Si tu sais que tu n’iras pas plus loin avec elle, pourquoi est-ce que tu t’infliges ça ? Tu n’as pas peur de te faire du mal en continuant à lui tourner autour si tu sais que ça ne mènera nulle part ? » Depuis quand est-ce que je me comporte comme la voix de la raison ? Ce n’est pas comme si j’étais un modèle en la matière. Je ne sais pas gérer mes relations amoureuses, alors je ne vois pas comment je pourrais gérer celles des autres. « Franchement Caleb, quitte à essayer de refaire ta vie avec quelqu’un, tu aurais pu t’assurer de tomber sur quelqu’un d’autre qu’une ex avec une histoire compliquée. » Cette Alex a quand même l’air sacrément dérangée et si leur histoire s’est si mal terminée huit auparavant, c’est peut-être une bonne raison pour ne pas réitérer l’expérience maintenant qu’il a enfin réussi à tourner la page. « Elle s’est expliquée sur les raisons de son mensonge ? Tu crois que tu pourras lui pardonner un jour ? » Si ce n’est pas le cas, j’imagine que ça suffit pour dire que cette histoire est une très mauvaise idée et il serait bon qu’il le réalise. « Je ne pense pas que tu auras un jour le déclic qui te permettra de dire que tu es prêt à te remettre avec quelqu’un, ça viendra au fur et à mesure avec le temps, parce que tu te laisseras porter par tes émotions et tes sentiments, mais je ne suis pas sûre que se lancer dans un truc difficile et compliqué soit le meilleur moyen d’aller de l’avant. » Ok, mon point de vue est biaisé par mon inimité envers cette fille que je ne veux pas voir entrer dans ma famille, mais malgré tout, il a l’air de dire lui-même que c’est une mauvaise idée, je ne fais donc que confirmer ce qu’il pense tout seul. En revanche, à force de parler, je finis par aborder ma propre vie sans trop m’en rendre compte et je soupire en réalisant que j’en ai sûrement trop dit et pas assez en même temps. « Je crois simplement que les relations, c’est pas trop mon truc. » Les relations saines, plus précisément, parce que coucher avec un acteur porno trois fois par semaine alors que nous ne nous aimons absolument pas, ça je sais faire, en revanche, avouer mes sentiments à un garçon qui compte réellement pour moi me parait totalement insurmontable. La vie amoureuse des Anderson est un véritable fiasco.
Je ne suis pas toujours d’accord avec les décisions que prend ma sœur –histoire de ne pas dire que je ne suis jamais d’accord avec ses choix – mais ce n’est pas pour autant que je la rejette complètement. Quand j’ai appris qu’elle travaillait en tant que strip-teaseuse je pense sincèrement que si LV n’avait pas été là pour me parler et raisonner j’aurais pu me montrer un peu trop méchant dans mes propos envers Primrose. Mais je l’accepte telle qu’elle est, même si ses choix de vie nous ont clairement éloignés. Mais on parvient tout de même à se parler mieux qu’avant, on arrive à mettre nos différents de côté. Parce qu’elle est ma sœur et je l’aime, même si je ne lui dis certainement pas assez souvent. Non en fait, je ne lui dis clairement pas assez souvent j’en suis sûr. Je ne sais pas pourquoi dans la famille on est comme ça, on ne se dit pas qu’on s’aime, on ne se prend pas dans nos bras. « Je ne sais pas. Maman ne veut pas que toute la famille soit au courant. » Certainement parce que notre mère n’a pas envie que le métier de sa fille ne salisse son image, elle a peur d’être jugée. Je peux plus ou moins la comprendre, mais en même temps je pense que Prim peut prendre ses propres décisions sans consulter notre mère. Elle a vingt-cinq ans, alors si elle a envie d’en parler à notre cousine – dont elle est en plus très proche – elle devrait le faire sans se soucier de ce que notre mère pourra bien penser. « Ouais mais toi, qu’est-ce que tu veux ? Si tu veux en parler à Romy maman a pas son mot à dire. C’est ta vie pas la sienne. » Sa relation avec nos parents est compliquée et en soit je peux tout à fait comprendre qu’elle ne veuille pas aller contre leur volonté. Mais en même temps, est-ce qu’elle pensait vraiment que nos parents lui sauteraient dans les bras en apprenant que leur fille gagne sa vie en dansant à moitié nue pour exciter des vieux pervers en manque de sexe ? Je comprends la déception de nos parents, mais moi j’essaie juste de mettre cette information de côté pour ne pas la laisser piétiner le lien que j’ai avec ma sœur. « Je suis sûre que Romy ne dirait rien, mais ils me détestent déjà assez comme ça, je ne veux pas encore faire quelque chose qu’ils désapprouvent. » Et ses paroles me confirment qu’elle garde le silence auprès de notre cousine pour aller dans le sens de nos parents. Sa situation est compliquée et je comprends vraiment qu’elle essaie de ne pas aggraver sa relation avec nos parents, mais je continue à penser qu’elle devrait pouvoir faire ce qu’elle veut sans se soucier d’eux. « Ils te détestent pas... » Je lui dis d’un ton qui se veut rassurant. Enfin je ne pense pas qu’ils la détestent. Je n’espère pas. Comment est-ce qu’on pourrait en venir à détester son propre enfant ? « Je ne suis pas comme toi, Caleb, je ne suis pas courageuse, j’ai peur de ce qu’elle pourrait penser. » Je ne me vois pas comme quelqu’un de spécialement courageux. Pas du tout même, je ne vois même pas pourquoi elle me dit ça. Mais je sens dans sa voix que la situation la touche vraiment et je pense que le moment serait parfait pour un petit geste d’affection de ma part. Chose qu’on ne fait que beaucoup trop rarement. « Elle te jugera pas, j’en suis sûr. » Mais je ne la prends pas dans mes bras comme j’aurais pu le faire pour lui montrer que dans tous les cas, moi je suis là et je ne la lâcherai pas. Je ne suis pas très démonstratif dans mes gestes alors j’espère l’être suffisamment dans mes mots. Elle me dit qu’elle y réfléchira et j’acquiesce d’un simple signe de tête. Mais au fond je ne sais pas si elle va vraiment y réfléchir ou si elle me dit ça juste me faire comprendre qu’elle préfère changer de changer, alors je n’insiste pas plus que ça.
Quoique maintenant c’est moi qui aimerais bien qu’on change de sujet. Alex est arrivée dans notre conversation sans que je ne m’en rende réellement compte. Et j’apprends qu’elles se connaissent et ne s’apprécient pas du tout. Prim m’avoue avoir provoqué Alex et que celle-ci lui a dit des choses qui l’ont mises en colère et qui l’ont poussées à dire des choses qu’elle ne pensait certainement pas. Je fronce les sourcils me demandant ce qu’elles ont bien pu se dire de si horrible que ça. Elle ajoute également qu’elle ne pense pas pouvoir l’apprécier un jour ni même vouloir recroiser son chemin. Super. Je lâche un léger soupir. Il manquait plus que ça. J’ai presque envie de lui demander ce qu’elles se sont dit exactement mais je ne dis rien de plus. Parce que je ne suis pas sûr que connaître les détails de leur dispute soit vraiment une bonne idée ni même que ça me regarde réellement. « Honnêtement, on s’est comporté comme deux grosses garces. » Super, c’est rassurant. Cette situation me désespère, mais au moins ma sœur a été honnête avec moi et m’a dit qu’elle connaissait Alex. Ça en fait au moins une d’honnête sur les deux. « Ouais elle peut se comporter comme une belle garce quand elle le veut. » J’ai dit ça d’un ton extrêmement froid qui laisse monter la rancœur que j’éprouve encore envers elle. Elle s’est comportée comme une garce en quittant Brisbane sans un mot, en abandonnant notre enfant sans même m’en parler. Je la déteste et je me déteste. Je me déteste de l’avoir laissé entrer à nouveau dans ma vie avec tant de facilité. J’étais prêt à lui pardonner son départ sans même en connaitre les raisons. Qu’est-ce que je suis con putain. « Si tu sais que tu n’iras pas plus loin avec elle, pourquoi est-ce que tu t’infliges ça ? Tu n’as pas peur de te faire du mal en continuant à lui tourner autour si tu sais que ça ne mènera nulle part ? » Me faire du mal, ça s’est déjà fait. Et en lui laissant la possibilité d’avoir de nouveau une place dans ma vie je savais très bien que c’était une mauvaise idée. Mais j’ai foncé tête baissée. Je suis plus à quelques souffrances près de toute façon, au point où j’en suis. « Je crois que c’est juste parce que quand j’étais avec elle je me sentais enfin bien et elle arrivait à m’apaiser facilement. Mais de toute façon c’est fini, je la reverrai plus. » En fait, j’en sais rien. J’ai encore des millions de questions à lui poser. J’ai envie de savoir pourquoi elle a fait ça, pourquoi elle m’a tenu à l’écart de cette grossesse il y a huit ans. « Franchement Caleb, quitte à essayer de refaire ta vie avec quelqu’un, tu aurais pu t’assurer de tomber sur quelqu’un d’autre qu’une ex avec une histoire compliquée. » Elle a raison, c’est ça le pire donc je ne peux pas la contredire. Je me contente de baisser les yeux en faisant trembler nerveusement ma jambe. « Elle s’est expliquée sur les raisons de son mensonge ? Tu crois que tu pourras lui pardonner un jour ? » Je relève les yeux pour la regarder. Elle est si loin de s’imaginer qu’elle a un neveu qui aura bientôt huit ans dont j’ai appris l’existence il y a quelques jours. « Pas vraiment. Enfin c’est à cause de moi, je l’ai foutu à la porte avant qu’elle puisse vraiment s’expliquer. Et lui pardonner ça fait clairement pas partie de mes plans. » Sauf j’ai besoin de réponses à toutes ces questions que je me pose. Mais elle était beaucoup trop défoncée pour me fournir la moindre réponse. « Je ne pense pas que tu auras un jour le déclic qui te permettra de dire que tu es prêt à te remettre avec quelqu’un, ça viendra au fur et à mesure avec le temps, parce que tu te laisseras porter par tes émotions et tes sentiments, mais je ne suis pas sûre que se lancer dans un truc difficile et compliqué soit le meilleur moyen d’aller de l’avant. » Encore une fois je sais qu’elle a raison et que je devrais certainement faire un trait sur Alex et ne plus jamais la revoir. Et pour le moment je n’ai aucunement envie de lui pardonner et de ne remettre avec elle. Elle et moi, c’est fini, pour de bon. « De façon t’auras jamais à devoir l’apprécier ou à recroiser un jour son chemin, je compte pas la revoir. Alors t’en fais pas pour ça. » Et je le pense vraiment. Cette femme passe son temps à me décevoir et j’en ai marre de devoir toujours tout lui pardonner et faire comme si tout allait bien entre nous. « Je crois simplement que les relations, c’est pas trop mon truc. » Je fronce les sourcils. Je sens qu’elle ne me dit pas tout et je ne comprends pas bien où elle veut en venir en me disant ça. « Pourquoi tu dis ça ? T’as des problèmes en ce moment ? » J’ai beau être son grand frère peut-être un peu trop protecteur, mais si elle a des problèmes avec un garçon elle peut m’en parler. J’espère juste que personne ne l’a fait souffrir gratuitement, parce que ça je ne pourrais pas l’accepter sans rien faire.
Qu’est-ce que je veux ? C’est une très bonne question à laquelle je n’ai pas vraiment la réponse. Je me suis habituée à cette vie cachée que je dois garder pour moi par peur de décevoir encore plus les membres de ma famille qui sont certainement les seuls à compter encore un minimum à mes yeux. Malgré tout, je sais que cette solution n’est pas viable sur le long terme, je me suis déjà tellement embourbée dans mes mensonges qu’un retour en arrière me parait compliqué mais s’ils venaient à découvrir qui je suis réellement par hasard, alors ça serait une véritable catastrophe. Au moins, en prenant les choses en main et en dévoilant moi-même tout ce que je leur ai caché et tout ce sur quoi je n’ai pas été honnête pour réussir à leur expliquer les choses à ma façon et peut-être pouvoir sauver ce qui peut encore l’être. Evidemment, il y a toujours cette petite voix qui me souffle que rien ne peut être sauvé parce que je suis allée vraiment trop loin et que quoi que je puisse dire à présent, je vais recevoir un torrent de haine qui serait amplement mérité. « Je crois que j’aimerais qu’elle sache. » Je finis tout de même par admettre, parce que je sais que c’est la vérité au fond et que devoir encore prétendre Romy que je travaille dans un restaurant est très peu crédible, tout comme ma relation avec Joey. Je ne veux pas prendre ma cousine pour une imbécile, elle mérite mieux que ça. « J’aimerais juste être certaine que ça ne changera rien entre nous, mais évidemment je n’ai aucun moyen de le savoir à l’avance. » C’est malheureux mais c’est la vérité, je dois simplement me jeter dans le vide et tout lui raconter, ou en tout cas au moins la partie déjà connue par le reste de ma famille. Elle va m’en vouloir de m’être tue, elle va m’en vouloir d’être la dernière à être mise au courant et elle va m’en vouloir d’une manière plus générale de ne pas avoir basé notre relation sur l’honnêteté et la franchise. Bien sûr, elle aurait parfaitement raison mais l’idée de la perdre me fait vraiment beaucoup de mal. « Ils détestent ce que je fais de ma vie, ce n’est peut-être pas moi toute entière qu’ils détestent mais c’est une partie de moi et ils n’arrivent pas à en faire abstraction. » Caleb aussi déteste ce que je fais de ma vie, j’en ai bien conscience mais notre relation commence tout de même à passer au-dessus de ça et j’aurais aimé qu’il en soit de même avec mes parents. Je lui suis évidemment reconnaissante de faire tous ces efforts, même si je ne l’exprime pas vraiment, je suis certaine qu’il le sait. Caleb a raison, tôt ou tard, je vais devoir parler et le plus rapidement sera le mieux. J’appréhende déjà alors que je n’ai même pas fixé de date précise pour me montrer enfin un peu plus honnête, tout ce que je sais, c’est que j’ai déjà trop attendu et que quel que soit mon discours, je risque de vivre un moment extrêmement difficile et douloureux.
Caleb est amer lorsqu’il parle d’Alex et je m’en veux de dresser un portrait aussi négatif de la jeune femme alors qu’elle ne mérite pas du tout ça. J’ai essayé d’être la plus juste possible en précisant que même si elle n’avait pas été très agréable avec moi, je n’avais pas été beaucoup mieux avec elle, moi aussi, mais j’ai l’impression que mon frère ne veut retenir qu’une partie de l’information et non pas la totalité. Je suis attristée de me rendre compte qu’il a l’air encore plus déçu qu’il ne l’était déjà par son ex-copine et j’aurais aimé être celle qui lui apporte de bonnes nouvelles. Malgré tout, je ne peux pas faire semblant d’apprécier cette horrible garce sans cœur alors que tout mon être me crie de faire attention et de ne surtout pas laisser une fille aussi méchante et antipathique s’approcher de ma famille. Je sais que je manque d’objectivité et que je ne devrais pas porter un jugement aussi hâtif envers elle mais ses propos ont suffi à me braquer et le fait qu’elle débarquer au club comme une furie n’a pas arrangé son cas, loin de là. J’ai l’impression que nous ne réussirons jamais à nous comprendre et à nous parler et ma plus grande peur est qu’elle décide de tout révéler à mon frère et de gâcher définitivement ce qu’il reste de notre relation qui a déjà bien souffert de mon choix de profession. « On l’était toutes les deux, Caleb. » Je précise de nouveau, parce que je ne veux pas qu’il croit, malgré tout, que je l’enfonce alors que j’essaie de relater notre altercation de manière factuelle et neutre. Ce n’est pas un exercice facile, loin de là. « Je suis désolée mais j’ai vraiment du mal à te suivre, elle te fait du bien mais tu ne veux plus la revoir ? Comment elle peut te faire du bien en te faisant du mal ? » Je fronce les sourcils, cherchant sincèrement à comprendre le point de vue de mon frère alors que celui-ci semble décidé à rester vague, ne souhaitant pas exposer de détails trop intimes de sa vie de couple ce que je peux comprendre. Après tout, je suis sa petite sœur et il n’a peut-être pas envie d’ouvrir trop son cœur devant moi. Cependant, j’aimerais sincèrement l’aider et s’il continue à ne me donner que des bribes d’information, j’ai bien peur que nous ne parvenions jamais à discuter de tout ça. « Tu sais, ce n’est pas parce que je ne l’aime pas que tu dois me rassurer sur le fait que tu n’aies pas l’intention de la revoir. Tout ce que je veux c’est que tu sois heureux et je n’ai pas l’impression que ça t’enchante de la tenir à l’écart de ta vie. » Il parle de ne pas le revoir comme s’il essayait de se convaincre qu’il allait arriver à mettre de la distance entre eux alors qu’au fond il n’en a pas vraiment envie. J’ai l’impression qu’il mène un combat contre ses propres sentiments et ça doit être épuisant. « Peut-être que tu devrais commencer par lui laisser te donner l’explication que tu as refusé d’avoir ? Tu ne crois pas que ça changerait les choses ou au moins que ça te libérerait d’un poids ? » Je n’arrive pas à croire que je suis en train de lui conseiller de revenir vers elle. « Je ne dis pas qu’il faut nécessairement que tu lui laisses une chance, mais au moins que tu parviennes à évacuer ta colère. Tu ne pourras jamais tourner la page, sinon. » Il y a trop de non-dits entre eux, trop de choses qui n’ont pas été achevées et il est vraiment important pour la sérénité d’esprit de Caleb qu’il aille jusqu’au bout des choses pour pouvoir couper les ponts sans regret s’il l’estime nécessaire. Au fond, j’espère évidemment que c’est ce qu’il fera. Alex représente un danger pour moi et je ne veux pas la savoir rôdant autour de ma famille, ça me fait beaucoup trop peur. J’espère qu’elle se rendra compte que je ne suis pas son ennemie et qu’elle ne cherchera pas à détruire ma vie, ou du moins ce qu’il en reste. Mon quotidien est déjà un sacré bazar et c’est d’ailleurs ce que je ne peux qu’avouer à Caleb lorsqu’il me demande si j’ai des problèmes. « Oui, enfin non, c’est juste que j’ai rencontré un garçon à la fac et je crois que je l’aime vraiment bien mais c’est compliqué entre nous. Tout est toujours compliqué avec moi de toute façon. » Et le fait que je viens d’avouer à mon frère mon attirance pour Abel alors que Romy croit que je sors avec Joey n’est certainement pas une très bonne chose, mais je me rends compte que je ne me suis jamais confiée à qui que ce soit au sujet d’Abel et que j’aurais bien besoin d’une oreille attentive. Je sais que Caleb saura me venir en aide et je me sens à l’aise à l’idée d’en discuter avec lui. J’espère que je ne commets pas une terrible erreur.