Sept ans. Sept longues années que ma mère est hospitalisée en psychiatrie. Sept ans que je suis ici, dans ce putain de foyer. Encore trois ans à tenir avant que je puisse quitter cet enfer. Mais trois ans c’est long, c’est même beaucoup trop long. Je ne sais pas si je vais tenir si longtemps. Hier c’était mon anniversaire, maintenant j’ai quinze ans. Tu sais, qu’est-ce que ça change à ta vie d’avoir quinze ans. Rien du tout. On me regarde toujours comme si j’étais une gamine, je suis toujours sous l’autorité de ces éducateurs et je ne peux officiellement pas faire tout ce que je veux. Enfin, officiellement. Parce qu’ils peuvent me dire ce qu’ils veulent je ne les écoute pas. Il n’y a que ma mère qui peut m’engueuler ou même me donner des ordres, parce que c’est ma mère tout simplement. Je sais que je ne suis pas facile à vivre au foyer. Je ne parle pas beaucoup, mais quand je l’ouvre ce n’est généralement pas pour leur dire des mots d’amour. Je suis chiante, je le sais et je l’assume. J’ai mon petit caractère et honnêtement même si j’ai bien trop de fierté pour le dire à voix haute, les éducateurs arrivent pourtant à me supporter et rien que pour ça, ils ont beaucoup de mérite. Hier matin, j’ai été rendre visite à ma mère ça s’est plus ou moins bien passé. Elle était souriante. Mais j’ai l’impression que rester dans cet hôpital ne l’aide pas. Au contraire. Si j’en crois les cernes qu’elle avait sous les yeux, elle n’a pas l’air de dormir beaucoup. Je ne sais pas si c’est un effet de sa maladie ou de ses médicaments. Mais elle semblait vraiment contente de me voir, elle m’a même acheté un livre pour mon anniversaire. Un livre qui retrace l’histoire et les grandes dates de Queen. J’étais contente je vous assure, mais elle ne se souvenait pas qu’elle me l’avait déjà acheté pour Noël. J’ai préféré faire comme si je découvrais ce livre, parce que je n’ai pas envie de la décevoir. Elle fait de son mieux je le sais et c’est la maladie qui la rend comme ça. Au moins elle s’est souvenu de mon anniversaire, ce qui est déjà un exploit quand on voit à quel point elle délire complètement. Hier elle m’expliquait qu’elle était persuadée qu’un des infirmiers était un reptilien. Mais oui bien sûr… Et pour essayer de me convaincre elle m’a dressé une liste énormes de ce qu’elle considérait comme étant des preuves. Là comme ça, d’un regard extérieur je suis sûre que vous trouvez la situation drôle. Mais je vous assure que ça ne l’est pas du tout. Pas quand la personne en question n’est nulle autre que votre mère. Ça me fait mal de la voir comme ça. Vraiment. J’aimerais pouvoir avoir une mère normale, saine d’esprit comme toutes les autres. En plus de ne pas avoir de père, il fallait que ma mère soit malade. Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter tout ça. Mais je sais que je ne peux pas me plaindre. Moi au moins j’ai encore ma mère. La plupart des enfants qui sont ici sont seuls, orphelins, parents morts. Alors même si ma mère est complètement folle je m’estime heureuse d’en avoir encore une.
Il est presque onze heures du matin et depuis que je suis réveillée je ne suis sortie de ma chambre que pour prendre ma douche. Je suis allongée dans mon lit, j’écoute de la musique tout en lisant pour la dixième fois ce fameux livre sur Queen. Je le connais par cœur, mais je ne m’en lasse pas. Ce groupe me passionne, cet homme me passionne. Freddie Mercury. La plupart des jeunes de mon âge n’écoutent pas ce genre de musique, Queen étant considéré comme un « vieux groupe ». On me dit souvent que leurs chansons ne sont pas de mon âge, que je devrais moi aussi écouter les chansons qui passent à la radio comme toutes les filles de mon âge. Mais être comme tout le monde moi ça m’intéresse pas. Et surtout ça ne me ressemble pas. Un des éducateurs toque à ma porte et me demande de baisser le volume de ma musique. Je soupire et dans un acte de provocation, je me lève et je monte un peu plus le son. Qu’il me lâche punaise. Il peut s’estimer heureux que j’ai des bons goûts musicaux. Parce que ça va, entendre The show must go on à fond, il y a pire comme supplice. Je me lève à nouveau et j’entre-ouvre la porte pour vérifier s’il était encore derrière à attendre que je daigne baisser le son de ma musique. Mais il n’est plus là. Très bien. Il a compris que j’avais envie d’être seule et surtout qu’on me laisse tranquille. Je ferme mon livre que je pose sur mon lit et j’arrête ma musique. J’ai envie de prendre l’air, alors je referme la porte de ma chambre derrière moi et je dévale les escaliers pour me rendre dans le petit jardin. Je glisse mes mains dans les poches de mon gilet tout en observant les alentours. L’extérieur semble assez vide. Tant mieux, je n’ai pas franchement envie d’avoir à trop me mêler aux gens aujourd’hui. Mais mon attention se centre sur Harvey que j’aperçois un peu plus loin. Je m’avance vers lui. « Hartwell ! » Je lui souris doucement avant de m’asseoir sur l’herbe à ses côtés. « Je t’ai pas vu hier soir. J’espère que t’étais parti me chercher un super cadeau d’anniversaire. » Mon sourire s’agrandit. Bon, bien évidemment que je ne suis pas sérieuse. Je ne lui demanderais pas un cadeau, et d’ailleurs j’en demande jamais à personne. « J’rigole, détends toi. » Je lui dis amusée, tout en le poussant amicalement. Etre dans ce foyer me paraît beaucoup moins désagréable depuis qu’il est arrivé. Je l’aime bien. Il est pas très bavard mais en même temps ça me dérange pas plus que ça. Je le vois comme un véritable point de repère ici et vous ne pouvez pas imaginer à quel point j’en avais besoin. Parce qu’ici, je me sens seule au monde. Seule contre tout le monde. Je baisse le menton sur l’herbe que je suis en train de maltraiter en l’arrachant. « J’en ai marre d’être ici. Tu penses qu’on pourrait essayer de partir ? » Pour aller où, je n’en sais rien. Pour faire quoi, je ne sais pas non plus. Pour combien de temps ? Toujours la même réponse ; je ne sais pas. Pas pour toujours malheureusement. Pourtant croyez-moi si je vous dis que j’aimerais bien moi, partir d’ici et ne plus jamais revenir.
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→Trois coups secs sont frappés contre la porte branlante de ma misérable chambre au foyer, suivis par la fameuse injonction « Hartwell ! Lève-toi ! Le petit-déj c’est jusqu’à 9h après t’attendra midi. » Putain de règles, putain d’éducateurs casse-couilles, putain de vie… Tous les matins, c’est la même rengaine dans ce foyer de merde. Depuis que j’ai débarqué, je me fais sermonner car je traîne la patte comme tout adolescent normalement constitué, et parce que je ne participe pas à la ‘vie du foyer’ et leurs activités de merde. Pour ce que j’en ai à foutre en réalité ! Ils font ça pour s’donner bonne conscience, pour éviter de se dire qu’ils font un boulot de merde qui sert à rien et qu’ils ne peuvent strictement rien pour nous. Car c’est le cas. Nous sommes les grands abandonnés de l’histoire, ceux dont personne ne veut, ceux dont on préfère oublier l’existence, ceux qui n’ont rien, ne sont rien et ne feront probablement rien de leur vie. Des erreurs, des putains d’erreurs parqués dans des établissements austères à qui on demande constamment de faire des efforts sans aucun but précis, sans aucune solution à la clé. Se lever les matins, pour quoi faire sinon errer connement dans le foyer ? Pas de permission de sortie avant 13h, alors à quoi bon ? Je grogne, tire le drap fin sur mon torse nu et enfonce davantage mon visage dans l’oreiller en espérant que l’éducateur ne se sente pas obligé de faire du zèle et lâche l’affaire simplement. Et pour mon grand plaisir, c’est ce qu’il fait, ce qui me permet de gagner presque 1h de sommeil en plus. Hier soir, je suis rentré tard après avoir fugué en début d’après-midi et j’étais complètement stone. Après avoir passé la journée à squatter en ville avec les mecs, à dealer un peu à droite et à gauche mais surtout à glander et à fumer de la weed, j’ai enchaîné avec la soirée, fait une course pour rendre service et je suis rentré vers 5h du matin pour me pieuter. Alors, il ne vaut mieux pas trop m’faire chier ce matin. Mais ça, c’est trop demander quand on vit en foyer d’urgence. Car elles ne tardent pas à claquer sèchement les portes. Et les cris suivent inévitablement alors que se joue encore une fois l’affrontement perpétuel entre les adolescents meurtris et les adultes désœuvrés, tous obligés de cohabiter dans cette ambiance électrique, lourde et insoutenable. Je soupire fortement, frotte mon visage et m’étire en râlant. Finie la courte nuit. J’enfile rapidement un t-shirt et un bas de jogging par-dessus mon caleçon avant de rejoindre la salle commune qui sert aussi de réfectoire aux heures des repas.
Les yeux encore presque collés, alors que dans la cour se déroule l’une des nombreuses scènes typiques d’ici, je m’accole à la porte coulissante de la cuisine et frappe doucement contre celle-ci. J’ai l’habitude de venir quémander aux cuisinières un petit café en-dehors des heures autorisées, aussi lorsqu’elle entrouvre prudemment la porte et m’aperçois, Olivia lève les yeux au ciel en comprenant ma demande silencieuse. Quelques minutes après, me voilà dans le jardin, muni d’une tasse remplie d’un liquide brunâtre fumant et j’allume ma clope en profitant du temps clément de l’hiver bien entamé. Pas de cours en ce moment, et je déteste les périodes de vacances, elles sont propices aux conneries et aux emmerdes. Deux choses que j’essaye d’éloigner difficilement de moi. A croire que je les attire, ou peut-être que je les cherche. Y’a pas de logique de toute façon, c’est une vie de merde. La fumée s’échappe en larges volutes d’entre mes lèvres lorsque je suis rejoint par l’une de mes camarades d’infortune. « Hartwell ! » J’arque simplement les sourcils en tournant mon visage vers Rose et je la dévisage alors qu’elle s’assoit dans l’herbe à mes côtés. Elle sent le gel douche et le shampoing, Rose, elle a dû prendre sa douche. Ça m’fait penser que je devrais probablement prendre aussi la mienne avant midi. Je tire sur ma clope, blasé et boit une gorgée de café tout en l’écoutant. « Je t’ai pas vu hier soir. J’espère que t’étais partie me chercher un super cadeau d’anniversaire. » J’apprends que c’était son anniversaire, et loin d’être gêné d’avoir manqué la fête – que j’imagine absolument folle entre ses murs semblables à une prison – je m’enquiers simplement – ça te fait quel âge du coup ? Je souffle la fumée de la cigarette en l’observant. Comme ça, je dirais 16 ou 17 ans, pas plus. « J’rigole, détends toi. » Je souris, lui tends mon paquet de cigarettes complètement défoncé avec les sèches écrasées à l’intérieur. – Tiens, pour m’faire pardonner d’avoir loupé cet événement exceptionnel. Je souligne l’ironie, car dans nos situations respectives, un anniversaire c’est pas grand-chose. Comment tu peux vouloir fêter ta naissance lorsque tu n’as personne pour te dire que ce jour-là a compté, d’une façon ou d’une autre, hein ? - T’as eu l’droit à quoi alors ? Ils t’ont filé du fric ? T’ont fait un repas spécial ? Avec des bougies et tout ? J’écrase ma clope dans l’herbe et pose mes deux mains autour de la tasse chaude tout en fixant le petit jardin qui s’étale devant nous. – Tout ça pour t’faire chier avec ta zic ce matin. Je suis fatigué de cette ambiance, de cette fausse compassion qu’on nous balance à la gueule dans l’idée de réussir à mieux nous contrôler. Bêtes et disciplinés, ce n’est assurément pas nous. On l’emmerde cette société qui aimerait nous voir disparaître. « J’en ai marre d’être ici. Tu penses qu’on pourrait essayer de partir ? » Un petit sourire apparaît sur mes lèvres. Je la sens avide d’expériences Rose, mais pas forcément des bonnes. – T’as une idée d’où t’as envie d’aller ? Partir d’ici peut avoir tellement de significations, et j’ignore ce qui la fait kiffer Rose en vérité. Si elle parle de partir pour toujours, je vois difficilement comment cela peut être réalisable. Mais si elle parle de fuguer quelques heures, je n’y vois pas vraiment de problèmes. C’est simple : suffit de prendre la porte et d’envoyer se faire foutre les éducs. – Y’a un truc qui t’ferait kiffer pour ton anniv’ ? Qu’on essaie de rattraper ça dignement !
Hier c’était mon anniversaire. J’aurais aimé le fêter comme n’importe quelle autre fille de mon âge, sortir au cinéma avec ses copines et ensuite les inviter chez moi pour manger un gâteau d’anniversaire que ma mère m’aurait cuisiné avec amour. Mon père serait rentré du travail vers dix-huit heures et ils m’offriraient tous les deux le cadeau de mes rêves. Mais rien de tout ça ne s’est passé. Ma mère est toujours internée dans cet hôpital psychiatrique et mon père ? Je ne le connais même pas, je ne sais pas qui il est et je n’ai aucune information sur lui qui pourrait m’aider à le retrouver un jour. Hier c’était presque une journée comme une autre. J’ai eu le droit à une heure de visite à ma mère, elle était toujours aussi perchée et puis après j’ai passé une journée des plus banales dans ma chambre, toute seule. Rien d’une journée exceptionnelle. Dans trois ans je pourrais me casser d’ici, envoyer chier chaque personne de ce foyer et ne plus jamais y remettre les pieds. Et je n’attends que ça. Cet endroit est déprimant. Je suis entourée de personnes ayant tous une vie de merde comme moi, des parents incapables de s’occuper de leurs enfants, des orphelins, des gosses perdus. Je me demande à quelle catégorie j’appartiens. Je crois que je suis un peu dans la première et dans la dernière catégorie. Ma mère n’est pas capable de s’occuper de moi. Et je me sens perdue depuis que je suis ici. Perdue et en colère. Ma vie n’a pas super bien commencé, peut-être qu’une fois que j’aurais quitté cet endroit de merde, la chance va enfin me sourire, non ? J’ai le droit d’y croire. Juste un peu. Je pense que j’ai le droit à un peu de bonheur. Ici on y a tous le droit. « Ça te fait quel âge du coup ? » Je suis encore malheureusement bien trop jeune pour prendre mon indépendance. « J’sais pas, tu me donnerais quel âge ? » Je lui demande en arquant un sourcil. Parce que sa réponse m’intéresse vraiment. Je sais qu’on me dit souvent que je fais plus vieille que mon âge, mais je le prends pas mal au contraire. Il me sourit et me tend son paquet de cigarettes tout en me répondant. « Tiens, pour m’faire pardonner d’avoir loupé cet événement exceptionnel. » Je remarque bien évidemment l’ironie dans sa voix. Parce qu’on sait tous les deux que nos anniversaires sont bien loin d’être des événements exceptionnels en grande partie parce que personne ne s’intéresse au jour de notre naissance ici. Enfin, les éducateurs font généralement un effort et nous achète un gâteau ou un tarte et nous donnent de l’argent. C’est mieux que rien. Mais on mérite bien plus que ça.
Je prends une cigarette dans son paquet et lui demande son briquet. Une fois allumée, je tire une première fois sur ma clope, en silence, fermant les yeux un court instant. « T’as eu l’droit à quoi alors ? Ils t’ont filé du fric ? T’ont fait un repas spécial ? Avec des bougies et tout ? » Un repas spécial. Ça fait bien longtemps que personne n’a fait un repas spécial pour moi. C’est con, mais c’est ça aussi la vie au foyer. « J’ai eu droit à un gâteau au chocolat et un peu de fric. » Je hausse les épaules. « Il était même pas bon leur gâteau. » Je râle tout le temps, je me plains. C’est comme ça que je fonctionne. Je tire sur ma clope et mon regard se perd dans le vide. « Ils m’ont emmené voir ma mère pendant une heure dans l’après-midi. » C’était génial, je me suis amusée comme une folle. Je lève les yeux au ciel. Fait chier. Vie de merde. Foyer de merde. Éducateurs de merde. « Enfin bref, la super journée quoi. C’était trop cool. » Moi aussi, on sent l’ironie dans ma voix. Hier, je n’ai pas passé la journée que j’aurais voulu. Je sais qu’ils essayaient de faire de leur mieux. Vraiment, je le sais. Mais j’en ai rien à foutre parce que c’est pas assez. C’est pas ça que j’ai demandé moi. Je voulais une vie normale avec une mère normale. C’était trop demandé ? « Tout ça pour t’faire chier avec ta zic ce matin. » Hier ils étaient tous sympas avec moi, parce que c’était mon anniversaire, et aujourd’hui ils ont décidé de me faire chier parce que j’écoutais soi-disant ma musique à un volume trop élevé. « C’est que des putains de faux-cul de toute façon. Ils ont pas d’ordre à me donner. C’est pas eux mes parents. » Oui je sais vous me trouvez trop dure avec eux ? Pas sympa ? Je m’en fous. Je suis pas là pour les ménager, pour faire attention à leurs sentiments. Si je les blesse, ça me fait ni chaud ni froid. J’ai jamais demandé à être ici moi. Je tire sur ma cigarette avant de lui faire part de mon envie de partir. Même si c’est que pour quelques heures, une soirée, une nuit. Quitter ce foyer de merde. J’en rêve. Je le vois sourire. « T’as une idée d’où t’as envie d’aller ? » Je hausse les épaules et je réfléchis. En fait j’en sais rien. « Je sais pas… Tant que c’est loin d’ici. » Je lui réponds d’un air déterminé avant de porter la cigarette entre mes lèvres. « Y’a un truc qui t’ferait kiffer pour ton anniv’ ? Qu’on essaie de rattraper ça dignement ! » C’est à mon tour de sourire. Ce sourire qui commence à se faire de plus en plus rare sur mon visage. Parce que je ne suis pas bien ici, et je ne sais même pas si j’ai déjà été heureuse une fois dans ma vie. Quand j’étais avec ma mère j’étais bien oui, mais est-ce qu’on peut parler de bonheur ? Je sais pas. « J’ai envie de sortir et de boire toute la nuit. C’est ça que j’ai envie de faire pour fêter mon anniversaire. » Je lui assure. Je regarde autour de nous dans le jardin ; aucun éducateur en vue. En même temps si l’un d’eux me voyait fumer, je passerais un sale quart d’heure. « T’as déjà été complètement bourré toi ? » Je lui demande, sincèrement intéressée par sa réponse. Je dirais que oui, il a déjà dû se réveiller avec un mal de crâne pas possible parce qu’il a abusé de la vodka la vieille, mais je ne peux pas en être sûre. Moi ça ne m’est jamais arrivé. Mais j’aimerais bien essayer une fois, ça peut être drôle. Et si ça peut me permettre d’oublier cette vie de merde que je vis ; je suis pour.
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ Assis dans l’herbe, je suis interrompu dans ma méditation matinale par une Rosalie impétueuse et taquine, ce qui me fait doucement sourire. De tous ceux qui trainent dans ce foyer de merde, elle fait partie des rares que je supporte. Et même si parfois elle braille et se démène contre les éducs pour leur pourrir leur existence, de manière générale elle est plutôt cool et fais pas chier. Pas comme l’autre conne de Stephie qu’est sur mon cul et qui me donne envie de la frapper à chaque fois qu’elle ouvre sa grande gueule de merde. Y’en a tu les plains et tu te dis que la vie n’a vraiment pas été juste avec eux ; et puis y’en a d’autres tu te demandes pourquoi ils respirent encore ces trous du cul, parce qu’à part faire chier le monde, ils ne servent juste à rien. Perdus pour l’humanité, ils finiront dans un fossé ou en taule ces abrutis. Faut dire qu’à force d’arpenter les longs couloirs sordides des foyers de la protection de l’enfance, la lassitude survient face aux nombres d’énergumènes louches qu’on y croise. Je tire sur ma clope en plissant le regard, feignant de réfléchir intensément lorsqu’elle me demande l’âge que je lui donnerai. Et je lâche, dans un nuage de fumée – J’sais pas… 16 ou 17. Mais j’suis nul pour deviner l’âge des gens alors j’me plante sûrement. Je suis nul avec les gens tout court. Je ne comprends rien aux relations sociales, j’ai l’impression de dire de la merde dès que j’ouvre la bouche et j’évite d’ailleurs de trop parler pour ne pas passer pour un teubé inadapté. Puis, quand tu te fais discret, on te fait moins chier c’est un fait. J’évite de me faire remarquer, je préfère trafiquer dans l’ombre et dans mon coin, ça m’rends plus efficace en général. Je ris aux blagues des autres, les laisse faire les fanfarons et souvent quand j’suis avec les mecs, je les observe en me demandant comment ils font pour paraître aussi à l’aise, eux. Je tends mon paquet défoncé à Rose et je l’écoute me raconter sa journée merdique d’anniversaire. Pour certains, c’est tellement important les anniversaires. Je suppose que quand t’as une famille aimante, que t’es entouré de plein de gens cools qui te veulent du bien, un anniversaire c’est sympa. Mais dans l’fond, j’en sais rien, je n’ai jamais expérimenté la chose. Et mes souvenirs sont entachés par les cris et les coups, la vaisselle qui se brise au sol et les hurlements, la peur qui fait vriller les entrailles et noue la gorge. J’sais pas ce que c’est une ‘famille aimante’, c’est un putain de concept qui m’échappe. Comme à tous ceux qui sont ici d’ailleurs, et lorsque Rose me dit qu’elle a été voir sa mère, je serre les dents instinctivement et mon regard devient plus dur. Il se perd dans les couloirs sombres et l’ambiance hostile de la prison, dans cette salle glaciale dépourvue de tout et surtout de vie, dans cette tenue unie qui est la sienne pour toute la vie désormais. J’inspire profondément, chasse mes pensées obscures et demande simplement – Elle est où déjà ta mère ? Je pose la question, mais elle n’est pas obligée de me répondre. J’comprendrais mieux que personne qu’elle n’en ait pas envie d’ailleurs ; moi je parle très peu de ma daronne ou de Lonnie, ce sont des sujets bien trop douloureux pour que je les évoque de façon oisive. Heureusement, le ton ne s’aggrave pas et nous nous éloignons des discussions douloureuses en nous rabattant sur notre haine des éducs. Faut dire qu’ils cassent grave les couilles pour rien ceux-là. Je pouffe en portant la tasse à mes lèvres et en l’entendant, approuvant totalement. – On les emmerde. Toute façon, ils peuvent rien faire alors t’sais. J’hausse les épaules. C’est bien connu qu’ils n’ont pas le droit de nous insulter ou de nous frapper alors je m’en tape. J’écrase ma clope dans l’herbe, enterre à moitié le mégot avant de demander à Rose ce qui la ferait kiffer. Autant rattraper la journée de merde qu’elle a vécu la veille, si tenté que cela soit possible – ce dont, honnêtement, je doute malgré tout. – J’ai envie de sortir et de boire toute la nuit. C’est ça que j’ai envie de faire pour fêter mon anniversaire. Je rigole en l’entendant, un peu bêtement. Néanmoins, ce plan là, il me plait bien. Faire la fête, tout oublier le temps d’une nuit et s’en remettre un peu au destin, c’est plutôt cool. De toute façon, c’est les vacances alors il faut bien en profiter un peu, non ? – T’as déjà été complètement bourré toi ? La question me surprends, alors j’hausse les épaules en faisant une petite moue tout en réfléchissant à mes dernières murges. – Genre à vomir et à ne plus se rappeler de c’que t’as fait ? Je poursuis ma réflexion, mais d’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais dépassé le stade de la conscience alors je secoue la tête négativement. – Non, jamais. C’est c’que tu veux faire ? Te bourrer la gueule jusqu’à ne plus te souvenir d’comment tu t’appelles ? La proposition est alléchante, moi ça me plait bien d’aller faire la fête. Mais faut pas oublier qu’on n’a pas une thune et que vu mes fugues quotidiennes, je peux m’assoir sur l’argent de poche que je suis censé avoir. – Faut qu’on s’incruste dans une soirée de bourge. C’est la seule solution qu’on a si on veut boire autant qu’on veut sans frais. Et comme je ne suis pas un mec sans ressources, ça devrait être assez simple de trouver au final. – C’est le weekend, ça n’devrait pas être difficile à trouver. T’es opé ?
Ici toutes les journées se ressemblent. On nous impose cette routine des plus désagréables ; on a jusqu’à neuf heures pour le petit déjeuner, on se démerde pour s’occuper jusqu’à l’heure du midi pour manger, on passe notre après-midi à se faire chier, le dîner est servi à dix-neuf heures et le couvre-feu de vingt-deux heures nous oblige à nous coucher beaucoup trop tôt. Vous comprenez mieux pourquoi je déteste cet endroit. Et toutes les personnes qui sont avec moi ici. Enfin presque toutes. Il y a quand même certaines personnes que j’apprécie – même si elles ne sont pas nombreuses – et Harvey en fait partie. Il est toujours là, présent, quelque part. Pourtant on ne se connait pas depuis si longtemps que ça mais j’ai l’impression qu’il est dans ce foyer depuis des années. Je lui demande de deviner mon âge. Tant qu’il me donne pas moins de quinze ans, moi ça me va. « J’sais pas… 16 ou 17. Mais j’suis nul pour deviner l’âge des gens alors j’me plante sûrement. » Donc je fais plus vieille que mon âge, sa réponse me fait sourire légèrement. « J’ai quinze ans, tu vois t’es pas si nul que ça soit pas si pessimiste. » Moi, la reine du pessimisme je viens vraiment de lui demander d’être plus optimiste ? C’est l’hôpital qui se fou de la charité. Je prends une clope dans son paquet, croyez-le ou non mais pour mon anniversaire je préfère largement qu’on m’offre une cigarette plutôt qu’on m’offre un gâteau dégueulasse acheté dans le supermarché du coin. Mais de toute façon mon anniversaire passe souvent inaperçu. Même quand je vivais avec ma mère il lui arrivait souvent d’oublier. Mais je peux pas lui en vouloir, elle est malade. C’est sa maladie qui la rend comme ça. « Elle est où déjà ta mère ? » Je tire sur ma clope. Où elle est ma mère ? Elle est en train de se laisser mourir dans un hôpital pour les fous. Et quand elle sera morte je serai officiellement orpheline. De toute façon c’est comme si je l’étais déjà. Vous devez vous dire que je suis une connasse de dire ça alors que ma mère est encore vivante. Mais son corps est vivant oui, mais dans sa tête, y’a plus personne. Son état ne s’arrange pas, j’ai même l’impression qu’à chaque fois que je la vois elle est dans un moins bon état. Elle est dans un délire permanent. Avant il y avait quand même des périodes où elle allait bien. Enfin plus ou moins bien on va dire. « En hôpital psychiatrique. Elle est schizophrène. Y’a sept ans elle a arrêté de prendre ses médicaments, elle a fait une décompensation et elle délire complètement depuis. » Je lui dis tout ça comme si tout le monde s’y connaissait. Enfin pour moi, schizophrénie, traitements, décompensation, délire, ça me connait. Je baigne dans tout ça depuis que je suis née. Ma mère elle est malade depuis ses dix-huit ans. C’est pas facile tous les jours. Mais encore une fois, je peux pas vraiment me plaindre. Personne ne peut comprendre mon ressenti sur ce point-là. Par contre s’il y a bien une chose qu’Harvey peut comprendre c’est ma haine envers ces éducs de merde qui se croient tout permis. « On les emmerde. Toute façon, ils peuvent rien faire alors t’sais. » C’est vrai. Je les emmerde tous. J’emmerde tout le monde. En fait, j’en ai marre. Je suis fatiguée de ma vie ici. De ces éducateurs qui sont toujours sur notre dos. Qu’ils nous laissent tranquilles putain. « Au pire ils peuvent nous priver de dessert. Qu’est-ce qu’on en a à foutre de leurs yaourts natures et de leurs glaces à l’eau ? » La menace ultime. Nous priver de dessert. Ça m’amuse. Je tire sur ma clope, fermant les yeux quelques secondes. Harvey finit par me demander ce qui me plairait pour mon anniversaire. Alors là, on parle de quelque chose qui me plaît. J’aimerais bien fêter mon anniversaire. Je l’ai jamais vraiment fait. Alors oui ça me plairait carrément. C’est ce que je lui dis ; je veux sortir, faire la fête, boire, pour m’amuser un peu. Pour me vider la tête et me permettre de penser à autre chose qu’à ma putain de vie de merde. Et il rit. Je pense que mon plan lui plait. Juste après je lui pose une question – qui peut sembler un peu bizarre – je lui demande s’il a déjà été bien bourré. « Genre à vomir et à ne plus se rappeler de c’que t’as fait ? » J’acquiesce d’un signe de tête en tirant une dernière fois sur la cigarette pour l’écraser dans l’herbe. « Non, jamais. C’est c’que tu veux faire ? Te bourrer la gueule jusqu’à ne plus te souvenir d’comment tu t’appelles ? » Il a tout compris. Un sourire s’étire sur mes lèvres. J’ai eu quinze ans et j’ai envie de pouvoir fêter ça comme il se doit, à ma manière. « Ouais c’est ça que je veux faire. » J’avoue sans aucune honte. « J’ai jamais pris de cuite, ça doit être cool, non ? S’amuser, se vider la tête et pouvoir tout oublier. » Et j’ai l’impression qu’il n’y a qu’avec l’alcool que je pourrais réussir à oublier ma vie de merde. Vous pensez que c’est triste penser comme ça à mon âge ? Je connais pas mon père, ma mère est folle et complètement incapable de s’occuper de moi, j’ai personne, je suis seule. J’en ai marre de la solitude. Je suis sûre que si je venais à partir d’ici personne ne le remarquerait de toute façon. Alors oui, j’ai envie de boire pour oublier tout ça. « Faut qu’on s’incruste dans une soirée de bourge. » Harvey sait comment me parler. Une soirée remplie de jeunes riches ? Ça me plait bien cette idée. J’arque un sourcil en le regardant. « Tu connais des bourges chez qui on peut s’incruster ? » Je connais pas les gens riches moi. En général ces personnes-là ne se mélangent pas aux autres. Ils restent entre eux dans leur bulle et dans leur magnifique vie dans laquelle ils peuvent obtenir tout ce qu’ils veulent en un claquement de doigts. « C’est le weekend, ça n’devrait pas être difficile à trouver. T’es opé ? » Si je suis opée ? Bien sûr que je le suis ! « Carrément ! » Je lui dis en souriant. « Si t’arrives à me faire passer une bonne soirée je t’en serais éternellement reconnaissante. J’en peux plus de devoir rester ici j’ai juste envie d’oublier tout ça. » D’oublier tout ça, d’oublier ma mère, d’oublier l’inexistence de mon père, d’oublier ce foyer, d’oublier ma misérable existence sans importance, d’oublier ma vie tout simplement. « Bon, on fait comment alors pour partir ? Et pour trouver une bonne soirée où taper l’incruste ? » Je lui fais confiance. Entièrement. Et je sais qu’il ne va pas me décevoir.
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ Elle n’a que 15 ans, Rose… Je l’ai vieillie mais elle prend ça bien. Faut dire qu’à nos âges, c’est un atout de paraître plus vieux pour ne pas avoir à sortir sa carte d’identité à tout bout de champ. Ça confirme par contre que je ne suis pas doué pour deviner l’âge des gens. On s’en tape en réalité car peu importe son âge à vrai dire, elle a juste eu un anniversaire minable car elle a dû le passer ici. Tout ça à cause de parents ingrats qui n’ont pas réussi à l’élever correctement ou pire qui l’ont lâchement et délibérément abandonnée. Les enfoirés incapables ! Orphelins, ignorés, gosses esseulés et oubliés, nous sommes tous regroupés sous cet amas de briques en béton austère et coupés du monde, nous les rebus de la société, pour éviter de faire tâche dans cette société édulcorée. Trop moches pour être montrés, trop fracassés pour être soutenus, trop foutus pour qu’on y croie encore… Génération de gosses élevés par des étrangers dont les parents éreintés n’ont jamais compris les besoins… Parce qu’ils n’ont jamais écouté, ces parents, parce que la vie était trop fatigante, trop harassante, parce que la société leur en a trop demandé et à vouloir être sur tous les fronts, on oublie l’essentiel. Putain de société de merde ! Putain de parents de merde ! Putain de vie de merde! Elle est où ta mère, Rose, hein ? Elle est où celle qui t’a délaissé, abandonné, qui ne se soucie pas de toi ? –En hôpital psychiatrique. Elle est schizophrène. Y’a sept ans elle a arrêté de prendre ses médicaments, elle a fait une décompensation et elle délire complètement depuis. Ah… Mon emportement remonte en faisant face à la vérité. Elle a des problèmes plein la tête sa mère et c’est ça son excuse. Peut-être que c’est la meilleure des excuses au final : avoir la tête trop embrouillée, trop bordélique, trop bousillée. J’y connais rien moi, aux maladies mentales et à tout ce qui s’y rapporte. J’y connais rien et je m’en tape en vérité, d’autres s’en chargent, c’est pas mon problème. C’est celui de Rose au quotidien en tout cas, et ça me touche en quelque part de savoir ça. Rose la discrète, Rose qui s'entête, Rose qui est là tout comme moi et qui subit sa vie elle-aussi. On parle des éducateurs, de leurs méthodes punitives qui ne fonctionnent pas, de leurs manques de moyens face à des gosses désabusés qui n'attendent rien de la vie. En règle générale, la peur est intrinsèquement liée à la perte ; hors vu que nous n'avons rien, comment pourrions-nous avoir peur ? Je l'observe Rose, ses petites lèvres pincées qui entourent le bâtonnet fumant, son regard qui fixe droit devant elle, déterminé et perdu à la fois, ses longs cheveux qui se déroulent dans son dos en ondulant, je l'observe et je fais le même constat à chaque fois : c'est désolant toute cette jeunesse gâchée. Alors, je lui demande si elle souhaite sortir, si elle a des envies particulières pour son anniversaire et peut-être, qui sait, peut-être que je vais pouvoir l'aider ? Elle parle de boire jusqu'à oublier qui on est, la gamine tourmentée, elle parler de boire pour ne plus penser et ce programme me plait. - Ouais c'est ça que je veux faire. J'ai jamais pris de cuite, ça doit être cool, non ? S'amuser, se vider la tête et pouvoir tout oublier. - J'sais pas si c'est cool, mais ça peut se faire en tout cas. Si c'est ce que tu veux. J'hausse les épaules, nonchalant. Bien que l'idée de faire la fête soit tout à fait séduisante, je garde un enthousiasme modéré car je sais ce qu'incruster une soirée de bourge signifie. Il me faut de la cam. Et là, on parle de business très sérieux pour le coup. - Tu connais des bourges chez qui on peut s'incruster ? Mes doigts se serrent autour de la tasse fumante, mes lèvres s'étirent en un petit sourire énigmatique - Pas vraiment... Mais je sais ce qu'ils aiment et comment ils dépensent le fric de papa et maman. Ne t'en fais pas pour les détails, Rose, tu n'as pas besoin de tout savoir. Du moment que tu passes la soirée désirée, tu n'as qu'à fermer les yeux sur tout ce qu'il y a autour. La fin justifie les moyens dira-t-on ! - Bon, on fait comment alors pour partir ? Et pour trouver une bonne soirée où taper l'incruste ? Coudes posés sur mes genoux, je tourne mon visage vers Rose et lui sourit. - Occupe-toi juste de te préparer pour la soirée. Rendez-vous dans 1h dans le hall. Et je la laisse là, me levant rapidement pour m’activer et me préparer de mon côté. J’ai un plan, Rose, laisse-toi guider.
Ça fait bien vingt bonnes minutes que j’attends Rose dans la cour, et je subis le discours relativement chiant et rébarbatif de l’éducateur en service qui a bien pigé que j’allais me faire la malle. Je me contente de ne pas l’écouter, de répondre au pif ou à côté de la plaque, de shooter dans des cailloux pour montrer mon impatience et de fumer des clopes que je roule sous mes doigts sales. Lorsque Rose apparaît enfin, je ne peux pas m’empêcher de lâcher un - Putain, tu foutais quoi ? Alors certes, nous n’avons pas de rendez-vous, ni d’obligations, mais je déteste traîner dans ce foyer de merde (et clairement à part pour y pioncer quelques heures et manger de temps à autres, je n’y reste jamais longtemps). L’éduc’ tente de négocier mais c’est peine perdu, j’enroule mon bras autour des maigres épaules de Rose et l’entraîne, protecteur éphémère, sale gosse éternel, au nez et à la barbe de ce dernier dont le discours nous effleure à peine. Notre avenir ? Foutu pour foutu, pour ce qu’on en a à foutre ! C’est la liberté qui nous appelle là, la liberté et rien d’autre. Au diable les discours, au diable les conséquences et que l’alcool coule à flot ! Sitôt passés le coin de la rue, je me détache de Rose et allume une clope - T’as du fric ? Que je demande aussitôt, histoire de faire les comptes et de prendre les décisions adéquates par la suite. - – L’idée c’est d’aller récupérer un paquet pour le livrer aux gosses de riches et nous offrir ainsi l’accès à leur baraque et leur alcool. T’es chaude pour ça ? Bien sûr qu’elle est chaude, Rose, elle a eu 15ans. Terminé l’innocence, envolée la pureté et l’insouciance et bienvenue au monde trépidant de la nuit et de l’interdit.
Je lui parle de ma mère parce qu’il me demande où elle est. Alors je lui explique tout. Ma mère elle est internée chez les fous parce qu’elle a complètement disjoncté il y a sept ans et que depuis elle est même plus capable de s’occuper d’elle-même. Alors prendre soin de sa famille c’est beaucoup lui demander vous devez vous en douter. Ma mère elle a plus toute sa tête c’est pour ça que je suis ici. À chaque fois que je lui rends visite elle a un nouveau délire et j’en ai marre. Parce que j’ai l’impression que ma mère je suis en train de la perdre. Ça me fait mal. Ça me fait peur parce que ça veut dire que je suis officiellement seule. J’ai plus personne. J’ai pas de famille. Enfin si j’ai plus ou moins ma mère. Mais tu parles, elle passe son temps à me dire que si je fais pas attention à moi je vais me faire enlever par des extraterrestres. Je sais que vous avez envie de rire mais c’est pas drôle. Pas du tout. J’ai envie de lui gueuler qu’on est pas dans un épisode de x-files et qu’il faut qu’elle arrête de se prendre pour l’agent Mulder, mais je ferme ma gueule parce que je sais que c’est la maladie qui parle. En attendant je suis pas plus à plaindre que les autres gosses de ce foyer. On est tous des enfants perdus. Harvey lui aussi il est seul. Comme moi et comme tout le monde ici. Mais c’est pas pour autant qu’il faut toujours s’en plaindre. Moi ma mère, j’en parle pas beaucoup. Parce qu’il y a pas grand-chose à dire et surtout parce que je sais que je peux pas me plaindre parce qu’au moins moi ma mère elle est pas morte. Elle est vivante, même si elle est complètement tarée. Je suis soulagée de constater qu’Harvey ne me pose pas plus de questions sur ma mère il préfère me demander ce que je voudrais faire pour fêter mon anniversaire. Je préfère parler de ça. Ça fait si longtemps que j’ai pas vraiment pu fêter mon anniversaire. Et là on parle pas d’une après-midi entre copines que ma mère avait pu m’organiser quand j’étais qu’une gosse, on parle de vraiment faire la fête. Et ça, ça me plaît. Je lui dis que j’ai envie de boire de l’alcool. Beaucoup d’alcool. Pas qu’un verre ou deux. « J'sais pas si c'est cool, mais ça peut se faire en tout cas. Si c'est ce que tu veux. » Je hoche la tête. Ça ferait bien chier les éducateurs de nous voir quitter le foyer pour la soirée et une bonne partie de la nuit. Et en tant qu’emmerdeuse professionnelle, tout ce qui fait chier les éducs moi ça me plait. « C’est ce que je veux. » Je lui assure. J’ai déjà hâte de sortir et pouvoir montrer aux éducateurs qu’ils n’en auront pas fini avec moi. Je compte continuer à les faire chier jusqu’à ce que j’ai enfin l’âge légal pour me casser loin d’ici. Harvey me dit qu’on pourrait s’incruster dans une soirée remplie de bourgeois. Moi j’ai rien contre mais encore faut-il savoir comment y parvenir. Et pour ça je compte entièrement sur lui. « Occupe-toi juste de te préparer pour la soirée. Rendez-vous dans 1h dans le hall. » Je lui offre un petit sourire pour le remercier et puis il s’en va. Ce sourire qui commence à se faire de plus en plus rare sur mon visage. Mais ce soir on va s’amuser et je compte bien sourire, rire, boire et profiter.
C’est à mon tour de m’éclipser dans ma chambre. Il faut que je me prépare pour sortir. Comment est-ce qu’on s’habille pour une soirée chez des bourges ? J’en sais rien, j’ai jamais été en soirée. Et je connais pas les riches, moi. Je vais devoir faire au feeling, du coup. J’ouvre mon placard et je lâche un long soupir, me rendant compte que je n’ai pas grand-chose à me mettre. Fait chier. J’envie ces putains de filles qui arrivent à passer des heures et des heures dans leur dressing ne sachant pas quoi porter tellement elles croulent sous les robes. Moi c’est pas le cas. En même temps quand on a pas de famille qu’on vit dans un foyer, on a rarement un dressing plein à craquer. J’opte pour une robe ni trop courte ni trop longue mais par contre je me rends vite compte que je n’ai qu’une seule paire de chaussures ; des baskets. Bon tant pis ça fera l’affaire en même temps c’est pas non plus comme si j’avais vraiment le choix. En me maquillant je remets en marche ma musique mais je ne baisse pas pour autant le son ça ferait bien trop plaisir aux éducs’. Avant de partir j’enfile ma veste en cuir noir (c’est du faux cuir, n’allait pas croire que j’ai l’argent pour m’acheter du vrai) et je pense que j’ai été plus longue que ce que je pensais parce qu’Harvey avait l’air de m’attendre depuis un bon moment. « Putain, tu foutais quoi ? » Je relève les yeux vers lui avant de me tourner vers l’éducateur qui semble essayer de le convaincre de ne pas partir. Je lève les yeux au ciel avant de faire à nouveau face à mon ami. « Désolée j’étais en train de me préparer. » Et apparemment j’ai été longue. Trop longue. Et c’est donc sans plus attendre qu'on se tourne tous les deux le dos à l’éducateur. Il nous dit qu’on devrait pas gâcher notre avenir. Non mais mon pote, c’est pas parce qu’on décide de sortir ce soir que notre avenir est fichu. Il est con lui ou bien ? Et puis même, il nous a regardé sérieusement ? Notre avenir il est déjà foutu. J’ai pas d’avenir moi, je vais pas me faire des idées je suis honnête avec moi-même. Et dès qu’on arrive au coin de la rue, j’ai déjà envie de sourire parce qu’on vient de se caser juste devant le nez de cet éduc’ qui ne pouvait rien faire pour nous stopper. « T’as du fric ? » Je passe une main dans mes longs cheveux bruns et je sors une liasse de billets. Enfin une bien maigre liasse de billets, pas les gros paquets de fric qu’on voit dans les séries américaines. « Ouais j’ai pris tout ce que j’avais. » Je range mon argent dans mon porte-monnaie et mes mains dans les poches de ma veste je le regarde, et j’attends. J’attends qu’il m’explique son plan, son idée. Ce qu’il ne tarde pas à faire. « L’idée c’est d’aller récupérer un paquet pour le livrer aux gosses de riches et nous offrir ainsi l’accès à leur baraque et leur alcool. T’es chaude pour ça ? » Un grand sourire s’étire sur mon visage à l’instant même où il mentionne les mots « baraque » et « alcool ». « J’suis opée pour tout moi. Je veux être libre ce soir. Je veux tenter des nouvelles expériences ! » J’ai quinze ans et j’ai envie de fêter mon entrer dans cet horrible monde qu’est l’adolescence. « Je te fais confiance. » C’est avec lui que j’ai décidé de vivre cette nouvelle aventure après tout. Je crois les bras sur ma poitrine tout en fronçant légèrement les sourcils. « Par contre t’entends quoi par « récupérer un paquet » ? Comment on peut faire ça ? Et tu crois vraiment qu'ils vont nous laisser entrer chez eux après ? Ils nous connaissent pas. » Moi je suis encore une novice dans ce genre de chose, je me suis jamais incrustée chez des inconnus. Je le bombarde de questions, le pauvre. J’espère qu’on tombera pas sur des psychopathes. Et puis au pire si c’est le cas on se démerdera. J’ai pas envie d’être raisonnable ce soir, j’ai plus envie d’être raisonnable en fait. J’ai envie de vivre et d’être libre.
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ S’inviter à une soirée de bourge, pour nous autres raclures de la société placées sur le banc de touche, ça n’a rien d’une mince affaire. La façon la plus facile de s’intégrer à ce milieu-là, c’est de leur fournir ce que leurs chers darons ne peuvent pas leur procurer sciemment : de la drogue évidemment. Je baigne dans le trafic depuis un petit moment déjà, et même si mes activités sont limitées à faire la mule ou le guet, il m’arrive, plus rarement, de dealer de petites quantités de came. Ça m’permet d’avoir un peu de thune principalement, car je n’ai pas de parents pour m’offrir de jolies choses, que ce soit des vêtements ou d’autres trucs qui pourraient me plaire, et ce ne sont pas les rares fois où les éducateurs cèdent et me filent mon fric qui me permettent d’obtenir légalement ce dont j’ai envie. Et ce qui, pour un gosse vivant au sein d’une famille normale, semble presque de l’ordre du dû me paraît, à moi gosse des rues, une folie que je n’aurai jamais le droit d’avoir. C’est surement un peu différent quand on vit en famille d’accueil, je le vois d’ailleurs avec Lonnie. Il est plus conforme aussi, moins rebelle ou borderline et la stabilité que lui offre la famille dans laquelle il se trouve lui fait du bien. Jamais je n’aurai pu intégrer une autre famille que la nôtre. Remplacer papa et maman, même s’ils étaient les pires, j’aurai eu l’impression de les trahir. Ne t’ont-ils pas trahi, eux ? Peut-être mais je suisdifférent. Mon chemin sera différent ! Je ne prends peut-être pas la voie la plus conventionnelle mais c’est celle que je choisis et je me débrouille plutôt pas mal finalement. Qui plus est, tout ce que je fais pour un peu de fric n’est pas forcément illégal et il m’arrive aussi de rendre service et de me démerder à droite et à gauche. Je suis du genre débrouillard. Je fais aussi quelques extras dans un garage récemment, et le patron me glisse quelques billets en récompense du travail fourni ; principalement des trucs de maintenance et de rangement, pourtant je ne désespère pas de pouvoir travailler bientôt sur des bécanes ou des voitures car il me l’a promis. Et j’ai hâte d’apprendre. La mécanique, c’est un truc qui m’absorbe et me passionne. Je rêve d’avoir un jour ma propre moto et de pouvoir m’évader sur les routes avec… J’amasse aussi du fric pour pouvoir me payer le permis car c’est pas franchement donné. Rien n’est gratuit dans ce putain de monde, rien…
Lorsque Rose daigne enfin montrer le bout de son nez, j’expulse l’air de mes poumons, soulagé de la voir enfin car cela signifie que je vais pouvoir m’éloigner de la lourde pesanteur qui m’envahit lorsque je me retrouve au foyer. Je déteste ces endroits impersonnels, remplis de vide ; ils sont vides de sens, vides de promesses, vides de tout… La forte impression désagréable d’être parqué en un endroit, avec tous ceux dont on ne sait pas quoi faire, m’irrite de plus en plus. Alors les fugues s’enchaînent, le discours éducatif glisse sur mes épaules, écho lointain d’une vie à laquelle je n’appartiens pas, et les mauvaises fréquentations s’entassent, l’engrenage vers lequel je fonce n’a pas d’issue positive, je le sais bien. Pourtant, je ne renonce pas à faire quelque chose de ma vie et je continue de suivre mes cours le plus assidûment possible même si mes activités extra-scolaires sont de plus en plus prenantes. Sitôt éloignés du centre d’accueil, je questionne Rose sur ses ressources et elle me montre une maigre liasse de billets qui constitue toute sa fortune pour la journée. – Ok, cool. Faut qu’on s’achète des clopes. Les marques chinoises ne te dérangent pas ? Ne manquant pas de ressources, je sais évidemment où me procurer des cigarettes moins chères. L’illégalité a pour attrait d’être bien plus accessible que le reste lorsqu’on est dans le besoin. J’explique rapidement le plan de la soirée à Rose tout en tirant sur ma clope et en avançant vers le centre-ville à grandes enjambées. – J’suis opée pour tout moi. Je veux être libre ce soir. Je veux tenter des nouvelles expériences ! Je te fais confiance. Elle me fait confiance, Rose et peut-être qu’elle ne devrait pas, peut-être qu’elle devrait se méfier de moi et des milieux hostiles dans lesquels je traîne, peut-être que cette soirée ne ressemblera absolument pas à ce qu’elle s’imagine… Mais je ne suis pas responsable des espoirs qu’elle nourrit et dont je ne connais rien. J’lui ai promis la cuite de sa vie, je vais m’efforcer de tenir parole. – Ok, cool. Reste avec moi alors, t’éloigne pas trop. Parce que c’est une jolie plante, Rose, et que même si elle ne me fait aucun effet à moi, je n’ai pas d’mal à imaginer les pensées de mes camarades en la voyant. Je rallume une clope sur le chemin et tire dessus, souriant davantage en l’entendant.– Par contre t’entends quoi par « récupérer un paquet » ? Comment on peut faire ça ? Et tu crois vraiment qu’ils vont nous laisser entrer chez eux après ? Ils nous connaissent pas. Oh Rose, ne me dis pas que tu n’as vraiment aucune idée de ce que ça veut dire, hein ? Si c’est le cas, je ne sais pas si je dois être attendri ou me moquer de ta naïveté. Et dans l’ignorance, je préfère lui expliquer, pour qu’elle se prépare mentalement à l’après-midi qu’elle risque de passer en ma compagnie. – On va aller récupérer quelque chose qui nous assure un laisser-passer à leur soirée, et ce même s’ils ne nous connaissent pas. Je me penche vers elle et murmure, au plus proche de son oreille – On va chercher de la dope à vendre, Rose. Lorsque je me redresse, c’est pour lui adresser un clin d’œil furtif qui signifie : t’inquiète, je gère.
Et effectivement, je gère. Après avoir trainé Rose un peu partout en ville pour récupérer la fameuse dope qui nous permettra de participer à l’une des meilleures fêtes de l’année, nous voilà en train d’arpenter les rues parfaitement entretenues des beaux quartiers. Je n’ai pas réellement fait d’effort vestimentaire pour ma part, persuadé que ça ne servirait strictement à rien (et puis considérant ma garde-robe ridicule, je n’ai pas le luxe de pouvoir arborer une tenue particulière pour l’occasion) : des chaussures montantes sur un jean délavé, un t-shirt ample par-dessus lequel j’ajoute un sweat à capuche noir. Classique, sobre, passe-partout. Rose, je la sens un peu nerveuse et je lui fais presser le pas alors que nous approchons de l’immense baraque. Impossible de se tromper vu le tapage que provoque l’attroupement de jeunes dans la rue. Dans ma tête, je pense surtout au profit que je vais pouvoir me faire, plus qu’au fait de réellement profiter de la soirée. De toute façon, je n’en profiterai qu’une fois après avoir tout vendu, c’est impossible autrement. Je m’arrête et me tourne alors vers Rose que je dévisage, jolie poupée un peu perdue dans un milieu qui n’est pas le sien – Bon écoute, tu me suis pour l’instant. J’vais aller trouver celui qui organise la soirée pour pouvoir entrer sans problème. Une fois à l’intérieur, si t’as envie de t’éclater, y’a pas de soucis. Moi j’vends la dope d’abord, ok ? Le business avant tout. Je jette ma cigarette terminée sur le trottoir et passe une main dans mes cheveux pour rabattre les mèches plus longues vers l’arrière, avant de donner l’impulsion d’un signe de tête. Sans hésiter, je me dirige vers l’entrée et me fait arrêter par deux petits cons déjà bien éméchés. – Yo, t’es qui toi ? Sa main posée sur mon torse m’irrite mais je conserve mon sang-froid et le jauge du regard alors qu’il poursuit en se penchant vers son pote, moqueur : - Téma le style de pouilleux sérieux… T’es bien accompagné par contre l’bouseux. J’inspire lentement l’air chargé en électricité et alcool autour de moi, avant de demander simplement. – Appelle Brandon, il sait pourquoi j’suis là. Le petit con me regarde d’un air étrange, les sourcils qui se froncent, un peu interdit alors j’insiste – T’as du mal à entendre ? Ton oreille de bourge est trop délicate pour ma voix de bouseux, c’est ça ? Il réagit alors, énervé et se tourne vers son pote en disant – Brandon est dans la cuisine, va le chercher. Un petit sourire victorieux sur les lèvres, je sors une clope de ma veste et me l’allume tranquillement tandis qu’il mate ouvertement Rose à mes côtés. Je ne suis pas persuadé que cela lui plaise énormément, vu la tête de vainqueur du débile face à nous.
Hier c’était mon anniversaire, une journée qui est censée être unique et hyper géniale mais pour moi c’était une journée complètement banale qui n’a fait que me rappeler quelque chose que je savais déjà : je suis seule, j’ai personne, j’ai pas de famille et je fête mes quinze ans avec des éducateurs qui sont tous aussi casse couille les uns que les autres. C’est super déprimant et j’aimerais tellement pouvoir changer de vie, me mettre à la place de ces gosses qui ont notre âge mais qui ont des parents aimants et présents. Des parents qui aiment leurs enfants, des vieux friqués qui pourraient m’offrir les meilleurs cadeaux. Mais ça c’est un rêve, un putain de rêve parce que ça m’arrivera jamais. Je suis née sans père et avec une mère qui entend des voix qui lui font croire que je vais me faire enlever par des extra-terrestres. Tu parles d’une vie. On est tous voués à l’échec ici. Vous croyez vraiment que parmi nous se trouve des futurs grands médecins ? Des futurs avocats de renommée ? Des architectes ? Pour faire de grandes études il faut de l’argent et ça nous on en a pas. C’est triste mais je suis réaliste et je préfère me dire que je vais avoir une vie de merde jusqu’à ma mort plutôt que croire sincèrement que je vais réussir ma vie et être un jour la bourge qui organise des soirées chics. À défaut de pouvoir être une fille issue d’une famille pleine aux as, avec Harvey on va s’incruster dans une soirée de bourge pour fêter mon anniversaire. « Ok, cool. Faut qu’on s’achète des clopes. Les marques chinoises ne te dérangent pas ? » Oh, les marques de clopes peuvent être chinoises, japonaises, françaises ou australiennes moi ça m’est complètement égal. Je secoue la tête. « Non, je m’en fous. » Je lui affirme, avant de sortir à mon tour une cigarette pour l’allumer. Je lui fais confiance, je sais que grâce à lui je vais oublier ma journée catastrophique d’hier et que je vais encore pouvoir fêter mon anniversaire comme il se doit. Il connait tout ça mieux que moi, lui. Il a l’habitude de devoir se démerder tout seul. Moi pour l’instant, même si je suis étiquetée comme étant le petit diable aux yeux des éducateurs, je me contente de les faire chier eux, simplement. J’ai jamais encore eu le courage de partir à l’aventure comme je le fais aujourd’hui. Et je sais qu’avec Harvey je suis entre de bonnes mains. Enfin j’espère. Du moins disons qu’il sait ce qu’il fait. « Ok, cool. Reste avec moi alors, t’éloigne pas trop. » Je tire sur ma clope. J’acquiesce d’un signe de tête et instinctivement, je me rapproche tout de suite de lui alors qu’on est encore en train de marcher dans la rue. Et puis je lui demande des précisions sur ses plans pour qu’on puisse entrer dans cette fameuse soirée. « On va aller récupérer quelque chose qui nous assure un laisser-passer à leur soirée, et ce même s’ils ne nous connaissent pas. » Oui, oui, d’accord, ça je l’ai bien compris. Je tire sur ma cigarette alors qu’il s’approche au plus proche de mon oreille pour me murmurer. « On va chercher de la dope à vendre, Rose. »Oh. Je me doutais bien que ça serait quelque chose de ce genre de là. Il se redresse et me fait un clin d’œil alors qu’un petit sourire s’étire sur mes lèvres. « Ouais c’est bien ce que je croyais. Enfin j’avais compris quoi, je voulais juste que tu me le confirmes. » Parce que j’ai pas envie qu’il me pense naïve. Enfin pas vraiment. J’avais compris. Ou du moins j’avais une vague idée de ce qu’il avait derrière la tête.
J’ai jamais fait ça, et tous ces trucs-là c’est nouveau pour moi. Alors j’avoue que je me sens assez nerveuse. Parce que je sais pas sur qui on va tomber, peut-être que la soirée va être nulle, peut-être qu’ils vont nous foutre dehors. Peut-être même que son plan va pas fonctionner. Mais non tout à l’heure je lui ai dit que je lui faisais confiance et c’est encore le cas alors je le suis, j’essaie de cacher ma nervosité un maximum et je marche d’un pas décidé à ses côtés. On est dans un quartier de la ville que je connais pas, les maisons sont classes. Je me suis toujours demandée quelle gueule ce genre de baraque a de l’intérieur. Et je devrais pas tarder à le savoir. « Bon écoute, tu me suis pour l’instant. J’vais aller trouver celui qui organise la soirée pour pouvoir entrer sans problème. Une fois à l’intérieur, si t’as envie de t’éclater, y’a pas de soucis. Moi j’vends la dope d’abord, ok ? » Je l’écoute me donner ses instructions sans broncher et je hoche la tête, replaçant mes cheveux sur le côté de mon épaule. « Mais moi aussi je peux en vendre, suffit que je t’observe faire une ou deux fois et je pourrai essayer, non ? Ça doit pas être bien compliqué à faire de toute façon. » J’ai envie de participer. Je veux m’amuser, oui mais si on est là ce soir c’est de base parce que je lui ai demandé une super fête pour que je puisse me prendre la cuite de ma vie. Et puis j’ai envie de tester des nouvelles choses et vendre de la dope moi, je suis pas contre. C’est pas ma faute si ces cons sont prêts à dépenser une fortune pour ces merdes-là. J’avance à ses côtés jusqu’à l’entrée bien gardée par deux mecs qui semblent déjà bien défoncés. « Yo, t’es qui toi ? Téma le style de pouilleux sérieux… T’es bien accompagné par contre l’bouseux. » C’est de moi qu’il parle ce con ? Je pense bien oui parce qu’il prononce sa dernière phrase en me regardant. J’arque un sourcil et le regarde de haut en bas. « C’est clair que c’est pas un mec comme toi qui sera accompagné d’une jolie fille un jour. » Non parce que vu sa tête de trou du cul je doute d’une fille saine d’esprit puisse avoir envie de sortir avec lui. Faudrait être sacrément désespérée. Ou complètement bourrée. Je sais pas, mais quelque chose me dit que même bourrée je ne regarderais pas ce mec. « Appelle Brandon, il sait pourquoi j’suis là. T’as du mal à entendre ? Ton oreille de bourge est trop délicate pour ma voix de bouseux, c’est ça ? » Je reste en retrait et je le laisse faire. Il a l’habitude de faire ça, Harvey ça se voit. Je suis presque admirative de le voir si calme face à un connard pareil. D’ailleurs, ce connard reprend la parole en parlant à connard numéro deux. « Brandon est dans la cuisine, va le chercher. » Et son acolyte se casse alors que le trou du cul se met à me mater ouvertement, sans même essayer de se cacher. Il me prend pour un bout de viande cet enfoiré ? Voilà pourquoi j’aime pas les gens. Les mecs. Les mecs de mon âge, ou d’un ou deux ans de plus que moi. Mais je ne baisse pas le regard pour autant. « Regarde ailleurs, connard. » Mon ton est froid, mais ce mec me fait pas peur. « T’es au courant que c’est pas en regardant une fille comme ça que tu vas réussir à pécho un jour ? De toute façon vu ta gueule j’doute que t’y parviennes. » Bon, peut-être que je devrais pas faire la maligne parce que ce mec je le connais pas. C’est peut-être un fou dangereux psychopathe qui va sortir un couteau de je ne sais où et nous planter juste à l’entrée de cette maison de bourge. Je lâche un léger soupir, croisant mes bras sur ma poitrine lançant un bref regard à Harvey. J’espère que ce fameux Brandon ne va pas tarder à arriver et qu’il va nous laisser entrer.
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ Elle ne manque pas d’aplomb, Rose et ça me fait doucement sourire la façon dont elle se comporte de manière générale. Par moment, j’ai l’impression d’entrevoir une façade un peu moins assurée, un peu plus peureuse, bien vite contrée par une assurance débordante et une confiance en soi illimitée. Est-ce que toi aussi, tu te caches derrière un masque, Rose ? Toi aussi, t’as compris que c’était le mieux à faire pour éviter d’être déçu ou blessé à nouveau ? Toi aussi, t’as eu beaucoup trop mal pour te laisser faire désormais ? Je comprends ça… Je le comprends et je le respecte. Dans ce putain de monde, il vaut mieux mordre avant d’être mordu et éviter de tendre la main à tout va. Car ceux qui gagnent, ce ne sont pas les honnêtes gens, non. Ce sont les fourbes, ceux qui attaquent sournoisement, qui te font miroiter quelque chose pour brusquement te l’enlever, les machiavels, les hypocrites. Ce sont eux qui gagnent, qu’on se le dise. Et la loi est avec eux de toute façon. Ils sont intouchables. Alors, autant les imiter pour survivre. Le menton relevé, la démarche insolente, c’est ainsi que nous marchons vers la soirée huppée des lycéens du quartier, pour profiter des quelques heures d’insouciance à venir. Je garde en tête néanmoins qu’il faudra écouler la came pour satisfaire celui qui nous l’a refilé, nous permettant ainsi d’obtenir un billet d’échange pour cette soirée. – Mais moi aussi je peux en vendre, suffit que je t’observe faire une ou deux fois et je pourrai essayer non ? Ça doit pas être bien compliqué à faire de toute façon. Je souris, légèrement attendri par son air candide et son innocence. Je secoue alors la tête, refusant sa proposition – Ce n’est pas si compliqué, en effet mais… c’est moi qui vend et pas toi. Je lui fais un clin d’œil, peu enclin à lui expliquer toutes les raisons qui entraînent cette décision raisonnable. – T’inquiète pas, tu ne vas pas t’emmerder pour autant hein. Devrait y avoir suffisamment fort à faire là-bas. Je la rassure sur le contenu de la soirée à venir, persuadé que nous trouverons de quoi satisfaire nos envies de boissons. Arrêtés dans l’allée principale par deux abrutis de la pire espèce, nous attendons que Brandon se décide à bouger son cul pour nous laisser passer. Bon, ses deux vigiles ne sont pas impressionnants et hormis leur bêtise qui elle, atteint des sommets, ils ne semblent pas si téméraires finalement. Je pouffe en entendant Rose remettre à sa place le lycée boutonneux face à nous. Ce dernier, piqué au vif, s’apprête à répondre une remarque cinglante, le regard plein de mépris pour nous quand Brandon débarque, ce qui aplanit instantanément la discussion. – Hart, c’est ça ? Me demande-t-il avec curiosité. J’hoche la tête, simplement et tends la main vers lui pour la serrer brièvement. – Ok, c’est cool vous pouvez entrer. Le mieux c’est d’vous mettre dans la cuisine pour écumer tout ça. Suivez-moi. Brandon jette un regard à Rose, qui glisse sur tout son corps moulé dans sa petite robe et, dans un élan de protection, je balance mon bras autour de ses épaules et la ramène contre moi. Je le fais pour dissuader tous ces connards de l’emmerder, pour bien signifier qu’elle est avec moi et qu’elle est donc sous ma protection. Gamin des rues, habitué aux codes silencieux et aux attitudes menaçantes, je suis le dit Brandon – un adolescent plutôt grand et mince, des cheveux soyeux qu’il replace constamment vers l’arrière et un minois de premier de la classe à en faire baver plus d’une. Je ne sais pas si c’est le type de Rose, mais elle a eu l’air de bien lui plaire. Vu que je ne suis tout de même pas très doué pour tout ça, je ne me prends pas plus la tête et me contente d’avancer en gardant ma prise autour de Rose, défiant ainsi tous les gros lourds de l’endroit. De la musique électro-pop crache dans les haut-parleurs sitôt qu’on entre dans l’immense baraque, et une foule entassée de jeunes bourges hilares pollue l’endroit. On doit se frayer un chemin difficilement jusqu’à la cuisine, jouant un peu des coudes et évitant soigneusement les verres trop pleins de bière bon-marché qui se vident sur le sol et les vêtements plutôt que dans les gosiers. Je me penche vers Rose pour lui dire – Ils sont tous déjà bien faits ! Je souris, et entre dans la cuisine. Sur le bar se trouvent un étalage de boissons et de bouteilles vides ainsi que des verres à moitié remplis, signe que la soirée a commencé depuis un moment. Brandon nous entraîne derrière le plan de travail et se tourne vers nous – File-moi en pour 100$ déjà, les autres viendront après. J’écarte les cartons de pizzas qui traînent et sort de ma poche de jean deux petits sachets d’herbe, calculant la bonne dose rapidement. Les billets atterrissent dans ma main, les sachets dans la sienne, troc équitable qui vient justifier ma présence ici ce soir. Brandon claque sur mon épaule pour me remercier, puis son regard effleure à nouveau Rose et il lâche – Si vous voulez vous faire plaisir, vous gênez pas. Tu peux nous rejoindre si tu veux, aussi. Un petit clin d’œil implicite, et le voilà reparti dans la foule. Je soupire doucement et sourit à Rose en disant – Je crois que t’as fait une touche. Je pose mes avant-bras sur le plan de travail et d’un coup d’œil circulaire, observe la foule gravement, avant de désigner les bouteilles et les verres. – Tiens, vas-y sers-toi. Que la soirée commence ! Maintenant qu’on est entrés, installés, la soirée peut commencer. Je glisse une sèche entre mes lèvres et l’allume, tirant une large bouffée de fumée dessus qui se relâche dans un souffle. Je ne sais pas si c’est ce qu’elle s’imaginait, Rose, mais je ne suis pas trop déçu du résultat. ça aurait pu être bien pire !
Je suis partagée entre plusieurs sentiments, le premier étant la joie. Je suis contente d’avoir quitté ce foyer, même si c’est seulement pour quelques heures, c’est déjà ça. Contente également de pouvoir fêter mon anniversaire comme il se doit. Ça compte ou pas pour vous, mas sachez que c’est la première fois que je vais vraiment fêter mon anniversaire. J’ai quinze ans et je l’avais jamais fêté avant, ça craint quand même. Mais c’est toute ma vie, c’est l’histoire de ma vie tout ça. La solitude, tout le monde en a rien à foutre de savoir que j’ai pris une année de plus hier. En même temps j’ai pas de famille, et je suis pas sûre de pouvoir dire que j’ai énormément d’amis non plus mais ça en même temps je m’en plains pas plus que ça. Je suis bien toute seule et au moins le peu de personnes qui m’entourent, je sais que je peux leur faire confiance. Et oui même Harvey je lui fais confiance, même s’il est en train de m’entraîner dans ce qui est certainement un plan foireux, c’est moi qui lui ai demandé ça alors je ne peux pas lui en vouloir il ne fait que respecter mes demandes. Je lui propose de l’aider à vendre cette drogue, parce que je sais que j’en suis capable et si on le fait à deux on liquidera notre stock deux fois plus vite. Il sourit, et secoue la tête. Oh, ça veut dire non ça ? « Ce n’est pas si compliqué, en effet mais… c’est moi qui vend et pas toi. T’inquiète pas, tu ne vas pas t’emmerder pour autant hein. Devrait y avoir suffisamment fort à faire là-bas. » Je le regarde une moue déçue au visage. Pourquoi j’ai pas le droit d’en vendre moi aussi ? Parce que je suis une fille ? Parce qu’il pense que je suis trop jeune pour ça ? Dans tous les cas je suis pas d’accord mais je ne dis plus rien. Je vais d’abord voir comment il s’organise pour se débarrasser de la dope et après je vais essayer de le convaincre de me laisser à en vendre au moins une fois. Après tout c’est mon anniversaire, non ? On arrive devant cette immense maison gardée par ces deux zigottos et je préfère rester en retrait pour laisser Harvey gérer la partie la plus importante : nous laisser entrer. Et il se débrouille plutôt bien puisque l’un des deux mecs part chercher celui qui semble être « le maître des lieux » en attendant je me gêne pas pour remettre celui qui est resté pour monter la garde. Je l’aime pas, il a une tête de con et le plus triste c’est qu’il en a pas l’air conscient. Et le fameux Brandon arrive enfin. Comme tout à l’heure, je ne dis rien et je laisse Harvey gérer. Et d’ailleurs il gère puisqu’on nous laisse entrer. Brandon me regarde de haut en bas, encore une fois, pas une manière très classe de regarder une fille. Et moi je le regarde, fronçant légèrement es sourcils. J’ai seulement quinze ans et j’ai l’impression d’être déjà dégoûtée par les mecs, c’est normal ? Harvey passe son bras autour de mes épaules et me ramène contre lui. Et je me sens déjà beaucoup plus en sécurité comme ça surtout quand on pénètre enfin à l’intérieur de la maison. Le son de la musique est élevé et tous les jeunes ont l’air de vivre leur meilleure vie. « Ils sont tous déjà bien faits ! » Je souris et alors que je m’apprête à lui répondre on arrive dans la cuisine qui ressemble surtout à un dépotoir. Des bouteilles d’alcool, des verres et des cartons de pizzas, y en a partout ici. C’est exactement comme ça que je voyais les choses. J’observe la pièce et je m’imprègne de l’ambiance pendant que Brandon et Harvey concluent un premier deal. Et je me retourne vers eux, regardant les billets dans la main de mon ami les yeux arrondis trahissant mon étonnement. Waw, tout le fric qu’on peut se faire comme ça, si facilement. « Si vous voulez vous faire plaisir, vous gênez pas. Tu peux nous rejoindre si tu veux, aussi. » Je regarde Brandon et me contente de lui sourire – un sourire forcé ça se voit – mais une fois qu’il a le dos tourné mon sourire se transforme en grimace. J’aurais pu lui faire une remarque désagréable, lui foutre méchamment un râteau mais il nous a laissé entrer alors je sais que pour le coup il vaut mieux que je me taise. « Je crois que t’as fait une touche. »Oh. Oh. Oui mais non. Je regarde Harvey et je ris doucement. « Oui mais lui il me plait pas. Il a une tête de premier de la classe, c’est pas amusant. Pas mon genre. » Je hausse les épaules. Mais c’est quoi mon genre, en fait ? J’en sais rien. Je sais vraiment pas. Mais Brandon ne m’a pas l’air d’être un méchant garçon et pourtant il ne m’attire clairement pas. Pourtant je suis sûre que la plupart des filles sont complètement folles de lui. Je dois pas avoir les mêmes goûts que les filles de mon âge. Harvey me donne le feu vert pour commencer à boire – comme si j’avais besoin de son autorisation – mais j’acquiesce d’un signe de tête et je m’avance vers les bouteilles d’alcool. Bon. Je m’y connais pas beaucoup alors je pars sur quelque chose d’assez classique, je prends la bouteille de vodka et une fois un verre propre trouvé je verse un peu d’alcool dedans. En fait je crois que j’en ai mis de trop. Beaucoup de trop parce qu’il y a presque plus de vodka que de jus d’orange dans mon verre mais en même temps je sais pas comment je suis censée doser tout ça, moi. « Tu veux que je te serve quelque chose ? » Je lui demande en relevant la tête vers lui. Vaut mieux qu’il dise non, ou bien qu’il me guide parce que sinon il va se retrouver avec un verre peut-être un peu trop alcoolisé. Je m’assieds sur le plan de travail à côté d’Harvey et je bois pour la première fois quelques gorgées de mon verre. Ouch. C’est fort. C’est très, très fort. Je me mets à tousser et par la suite je grimace. C’est officiel : j’ai mal dosé l’alcool dans mon verre. D’un geste hésitant je reporte mon verre jusqu’à mes lèvres pour en boire une plus petite gorgée. « J’aime bien, mais je crois que j’ai mis trop d’alcool dedans. » Je lui avoue, en me mordant la lèvre inférieure, et je ris doucement. « Ou bien c’est parce que j’ai pas l’habitude du goût, je sais pas. » Je hausse les épaules et je bois une nouvelle gorgée. J’y prends goût. J’aime bien. Même si ça m’arrache un peu la gorge. Après il faut quand même se rappeler que c’est la première fois de ma vie que je bois de l’alcool fort comme ça. Je regarde un peu la foule autour de nous jusqu’à ce que mon regard se pose sur un garçon au milieu des gens. Il est grand, brun, je peux voir quelques tatouages sur ses bras. Je me penche sur Harvey pour lui dire doucement. « Tu vois à la limite, je préfère les mecs comme ça que les Brandon. » Je désigne le mec du regard et je souris avant de me prendre une part de pizza dans l’un des nombreux cartons autour de nous. On y est, on a réussi à entrer dans cette maison et la soirée ne fait que commencer. « Au fait, merci Harvey. » Ça a l’air de rien comme ça, mais il a écouté ce que je voulais pour me faire passer une bonne soirée, pour me faire oublier la journée de merde que j’ai passée hier et il me semble normal et même important de le remercier.
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ S’il y a bien une règle à respecter dans ce business, c’est que celui à qui on a confié la came est celui qui doit l’écouler. Multiplier les mains, c’est multiplier le risque de se faire choper, et ça c’est mort. N’en déplaise à Rose, je n’ai aucune envie de lui faire porter ce genre de responsabilité, surtout en ayant connaissance du but de la soirée pour elle. Alors tant pis pour son regard plein de déception, elle devra faire avec et accepter car je resterai intransigeant sur le sujet. Une fois à l’intérieur de la baraque pleine de fils de bourge déjà cramés par l’alcool, on suit le mec jusqu’à la cuisine, le spot là où on va écouler tranquillement notre stock. – Oui mais lui il me plait pas. Il a une tête de premier de la classe, c’est pas amusant. Pas mon genre. Je jette un coup d’œil vers le mec en question qui s’éloigne, son dos et son cul principalement et j’hausse les épaules. Pour une nuit, je ne suis pas très regardant en réalité. – C’est quoi ton genre alors ? Que je demande, curieux de savoir sur quel genre de mec Rose s’arrête. Est-ce que, comme toutes les nanas un peu clichés, elle n’a d’yeux que pour le bad-boy qui va lui briser le cœur ? Calant une clope entre mes lippes je l’observe doser n’importe comment sa vodka et je pouffe un peu, sans grande inquiétude. Après tout, elle a dit qu’elle voulait s’prendre une murge ? Fast way is the best way ! – Tu veux que je te serve quelque chose ? J’hoche la tête, grimpe sur le plan de travail pour m’y assoir et réponds simplement – Yep, le même dosage ça m’ira très bien. Et je lui fais un clin d’œil, car je sais très bien qu’elle n’a rien dosé du tout la première fois. Le verre en main, le regard sillonnant la foule et la clope fumante coincée entre les doigts, je profite de ces quelques secondes de silence pour mesurer la chance que j’ai ce soir. Il fait chaud dans cette maison, je ne suis pas en train de traîner misérablement au-dehors avec les gars, ni en train de me bastonner avec qui que ce soit ou de chercher comment occuper ma nuit… Pour une fois, le programme semble être décidé à l’avance et je n’ai qu’à me laisser porter par les événements. Ça m’aide à relâcher la pression un peu, même si je suis toujours sur le qui-vive, même si je ne respire jamais vraiment, même si les inquiétudes me rongent à l’intérieur… Ce soir, la vie semble plus douce et plus cool. – J’aime bien, mais je crois que j’ai mis trop d’alcool dedans. Ou bien c’est parce que j’ai pas l’habitude du goût, je sais pas. Tournant mon regard vers Rose qui a manqué s’étrangler avec son verre, je souris et porte le verre à mes lèvres pour en boire une gorgée à mon tour. En effet, le dosage est foooort ! Je me racle la gorge, évite de tousser de justesse et pouffe un peu. – Ouais, t’as un peu trop levé le coude sur la bouteille mais ça passe… Au pire tu rajoutes du jus au fur et à mesure, ça adoucira le mélange. Je me redresse en voyant débarquer trois mecs pour récupérer un peu d’herbe et descend du plan de travail pour préparer la ‘commande’. La transaction s’effectue rapidement, sans problème. Les tarifs sont clairs, et les gosses de riches ne marchandent pas, ils ont toujours la thune qu’il faut pour s’payer un petit tour dans les nuages. – Tu vois à la limite, je préfère les mecs comme ça que les Brandon. – Hein ? Je relève la tête, range les billets dans mon froc et tourne mon regard vers le mec qu’elle me désigne. Grand, brun, tatoué. Je fais une grimace et lui rétorque – T’aime les mecs mortels quoi. Ceux qui feignent l’indifférence et qui s’pensent rebelles car ils se sont fait tatouer. Tu sais qu’il a sûrement chialé tout du long hein ? Alors quoi, il t’inspire la virilité ? Est-ce que ses bras tatoués font de lui un mec sécurisant ? Moi j’dis que c’est inquiétant à son âge, les tatouages c’est… pas toujours une bonne idée. Je pense que je ne me ferais jamais de tatouage de toute ma vie. Mon corps est déjà marqué, les coups furieux de mon père se lisent sur mon dos et sur mon torse, je n’ai pas besoin d’ajouter quoi que ce soit sur ma peau. – Au fait, merci Harvey. – Mais de rien, princesse. Tout ce que tu veux. C’est ton anniversaire ! Allez, j’suis grand seigneur : j’t’en roule un ? J’agite devant elle le petit paquet d’herbe que j’ai décidé de me garder pour la soirée et je n’attends pas son approbation pour dérouler une feuille vierge et ouvrir une clope en deux pour en récupérer le tabac. Rouler des joints, je sais faire ça vite, aussi en deux temps trois mouvements, je le porte à mes lèvres et l’allume à coups de grosses bouffées. Mélanger alcool et herbe, c’est pas forcément la meilleure chose à faire, mais je m’en tape. J’ai envie de m’amuser ce soir, et étrangement dans cette baraque qui pourrait m’inspirer du dégoût, de l’horreur ou même de l’envie, je me sens bien. – T’as des frères et sœurs, Rose ? Ou t’es seule ? J’ignore pourquoi je ressens le besoin de poser cette question. Peut-être parce que me retrouver au milieu d’une cuisine, dans une baraque familiale, me fait inévitablement penser à Lonnie et à tous mes regrets. Peut-être que je me sens lâche et bête, comme toujours. Peut-être que j’aimerai que tout soit différent. Mais rien ne l’est, non…
Ça y est on y est. J’ai du mal à croire qu’on a vraiment réussi à s’incruster dans une soirée de petits riches coincés du cul. Peut-être qu’ils n’ont pas tous un balai dans le cul au final parce qu’ils semblent déjà tous bien bourrés et assez intéressés par l’herbe que nous sommes là pour revendre. Enfin l’herbe qu’Harvey est censé revendre parce que j’ai bien compris qu’il ne me laissera pas essayer au moins une fois. Pourtant je ne vois pas pourquoi il refuse ça me semble assez simple à faire et je pense pas vraiment que ça soit dangereux. C’est pas grave, je tenterai à nouveau un peu plus tard. « C’est quoi ton genre alors ? » Alors ça c’est une bonne question. En fait je me suis jamais vraiment posé la question parce qu’avant ce soir j’avais pas réellement conscience que je pouvais potentiellement plaire aux garçons. Je hausse doucement les épaules. « Je sais pas. Un mec avec qui je me sente en sécurité. Beau, grand, brun, indépendant. Je veux qu’il ait de l’argent aussi, c’est important. J’veux pas pour autant vivre à ses crochets. Mais je sais pas, un homme qui a de l’argent c’est attirant, tu trouves pas ? » Ou une femme pour lui. Ou ce qu’il veut, je m’en fous. J’ai l’impression que ma réponse n’a aucun sens mais en même temps je ne suis pas sûre de savoir par quel genre de mec je pourrais être attirée. De toute façon on est pas ici pour débattre sur quel genre de garçon est fait pour moi, ou pas. Je suis ici pour boire et fêter mes quinze ans. Je me sers un premier verre sans vraiment savoir si je dose correctement l’alcool avec le jus mais j’entends Harvey pouffer un peu alors je suppose que je m’y suis pas très bien pris. Mais tant pis. Je lui propose de le servir parce que oui, je peux être gentille et agréable de temps en temps. Pas avec tout le monde, mais avec Harvey je le suis la plupart du temps. Et ne demandez pas pourquoi il a trouvé grâce à mes yeux. C’est sûrement parce qu’il est pas con agaçant et ennuyant à mourir comme les autres personnes de ce putain de foyer. « Yep, le même dosage ça m’ira très bien. » Je grimace légèrement en fixant mon verre plein. Merde, mais moi j’ai rempli mon verre du feeling tout à l’heure. Mais je relève la tête vers lui et lui offre un petit sourire ne laissant rien paraître. Je fais comme si je gérais alors que pas du tout. Je lui sers un verre qui je pense, correspond plus ou moins au même dosage que le mien et je m’installe sur le plan de travail à ses côtés. Je ne tarde pas avant de goûter un peu mon super mélange. Confiante, je bois quelques gorgées dès le début mais je le regrette très vite ; ça brûle et je suis à deux doigts de mourir étranglée. « Ouais, t’as un peu trop levé le coude sur la bouteille mais ça passe… Au pire tu rajoutes du jus au fur et à mesure, ça adoucira le mélange » J’ouvre ma bouche en forme de « O ». Remplir mon verre petit à petit avec du jus, c’est pas bête ça. Je me penche pour attraper la bouteille de soft et je la pose à côté de moi, comme pour être sûre que personne ne s’en aille avec. Cette bouteille va être ma meilleure amie. Je bois encore une gorgée, je grimace mais je ne tousse plus. C’est vraiment fort ce trucs-là. Mais j’aime bien le goût. Trois mecs s’avancent vers nous et j’observe Harvey faire, il sort la quantité d’herbe nécessaire, les gars lui donnent le l’argent et en échange il leur tend la drogue. Bah voilà c’est vraiment pas compliqué je peux le faire moi aussi mais j’ai tout de même une question qui me trotte dans la tête. « Comment tu fais pour savoir la quantité d’herbe à leur donner selon l’argent qu’ils te passent ? » Je suis un bébé dans un monde que je ne connais pas et j’ai tout un tas de questions à lui poser. Je peux être chiante quand je m’y mets et quand je le veux je peux poser une dizaine de questions à la minute. J’apporte mon verre à mes lèvres et je bois une gorgée. Le liquide me brûle toujours la gorge mais j’apprécie de plus en plus le goût de la vodka. Mon regard se perd dans la foule et je repère un garçon, que je trouve particulièrement attirant Voire même carrément sexy ce qui fait écho à notre conversation de tout à l’heure. « T’aime les mecs mortels quoi. Ceux qui feignent l’indifférence et qui s’pensent rebelles car ils se sont fait tatouer. Tu sais qu’il a sûrement chialé tout du long hein ? Alors quoi, il t’inspire la virilité ? Est-ce que ses bras tatoués font de lui un mec sécurisant ? Moi j’dis que c’est inquiétant à son âge, les tatouages c’est… pas toujours une bonne idée. » Je l’écoute et une moue déçue se dessine sur mon visage alors que je regarde toujours ce même mec. Il est plus vieux que moi c’est sûr, je dirais qu’il a dix-sept ans à peu près ? Mais il est beau, je le vois sourire et…waw il est encore plus beau comme ça. « Les tatouages c’est super sexy tu trouves pas ? Et oui, moi je trouve que ça lui donne un air viril et j’suis sûre qu’on se sent en sécurité quand on est avec lui. » C’est typique, caquer sur un mec aux airs de bad boy, typique des filles de mon âge et être comme tout le monde me déçoit énormément. « Je veux avoir des tatouages moi plus tard. Pour moi c’est un art et une belle manière de raconter ton histoire ou de se démarquer des autres. » Mais si j’en crois qu’il m’a dit je ne suis pas sûre qu’il soit d’accord avec moi. Je bois une gorgée plus grande, toujours en grimaçant légèrement et je décide de suivre ses conseils, j’ajoute un peu de jus dans mon verre avant de le remercier pour cette soirée. « Mais de rien, princesse. Tout ce que tu veux. C’est ton anniversaire ! Allez, j’suis grand seigneur : j’t’en roule un ? » Mes yeux se posent sur le paquet d’herbe qu’il agite sous mes yeux. J’ai jamais fumé ça moi, mais comme je lui ai dit je suis toujours partante pour que nouvelles expériences alors j’acquiesce d’un signe de tête un demi-sourire aux lèvres. « Yep je veux bien ! » Je ne lui dis pas volontairement qu’il s’agira de mon premier joint ce soir. Je l’observe faire, il a l’air de bien savoir faire ça, c’est clairement pas la première fois qu’il roule un joint. Je lui souris quand il me tend le mien et je le cale entre mes lèvres tout en l’allumant tirant une première fois dessus. « T’as des frères et sœurs, Rose ? Ou t’es seule ? » Je secoue la tête. « Non, y a juste moi. J’ai passé ma vie toute seule. » Je parle comme si j’avais déjà trente ans alors que j’en ai que la moitié. « Mais vu l’état de ma mère je pense que c’est mieux comme ça. » Oui parce qu’avoir une mère qui délire tout le temps c’est pas vraiment marrant. « Et toi ? » On traîne ensemble de temps en temps au foyer mais je connais pas grand-chose de lui, il parle pas beaucoup, Harvey.
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ Avec le bon matos entre les mains, intégrer la soirée s’est avéré bien plus facile que je ne le pensais. Ces fils de bourges ne sont pas très accès sur la sécurité et se fichent bien de savoir si je suis un dangereux criminel, un gars paumé ou un psychopathe dissimulé derrière des traits adolescents. Déplorable et pathétique, ça l’est. Ici, c’est l’orgie. Les parents doivent être de sortie et ils ont sûrement laissé leur baraque immense à leur progéniture qui ne pense qu’à se souler, s’injecter de la merde dans les veines et baiser dans tous les coins. Je ne donne pas cher de l’état des murs si on passe chaque pièce à la lumière noire suite à cette soirée, et cette idée est particulièrement repoussante. Alors que notre hôte s’éloigne, je demande à Rose quel est son genre de mec puisqu’elle ne semble pas intéressée plus que ça par le minet qu’il est. – Je sais pas. Un mec avec qui je me sente en sécurité. Beau, grand, brun, indépendant. Je veux qu’il ait de l’argent aussi, c’est important. J’veux pas pour autant vivre à ses crochets. Mais j’sais pas, un homme qui a de l’argent c’est attirant, tu trouves pas ? J’arque les sourcils, surpris de cette réponse à laquelle je ne m’attendais pas vraiment et je pouffe un peu en secouant la tête. – Non, absolument pas. Je décide de pousser un peu l’explication tout en sirotant mon verre. – L’argent, ça pourrit les cœurs. Dès qu’il y a de l’argent en jeu, les relations sont faussées, personne n’est honnête, personne n’est vrai. T’as ceux qui n’en ont pas et qui aimeraient en amasser le plus possible et t’as ceux qui en ont trop mais qui n’en sont pas plus satisfaits et qui ont peur d’en perdre… Y’a jamais de juste milieu avec le fric. Le fric c’est la pourriture de ce monde, et l’argent possède les hommes. Ouais, j’ai peut-être un peu trop maté Fight-Club, cela dit la philosophie du film me parle et j’suis plutôt d’accord avec sa morale. Et puis, du fric, je n’en ai pas et je n’en ai jamais eu alors… ça ne me fait pas rêver. J’suis conscient qu’il en faut et je fais ce qu’il faut pour en avoir suffisamment mais j’en suis principalement dégoûté quand je vois ce qu’il cause tout autour. – J’trouve qu’un mec qu’a des valeurs et des principes est plus attirant en tout cas. J’hausse les épaules avant de sauter à terre et de dealer un peu d’herbe. – Comment tu fais pour savoir la quantité d’herbe à leur donner selon l’argent qu’ils te passent ? J’arque un sourcil vers Rose, étonné de la voir autant intéressée par le sujet. Considérant que ça ne peut pas la mettre dans le pétrin que de lui répondre, j’explique simplement. – Y’a un tarif prédéfini suivant le gramme, les petits sachets sont tous remplis de la même manière. C’est 20 dollars l’un, il me suffit de faire le calcul ensuite en comptant les billets. Simple et efficace. – Pourquoi tu veux savoir ça ? Tu ne devrais pas t’y intéresser. Si je suis mal placé pour faire la morale ? Ouais, carrément. Pourtant ça ne m’empêche pas de la faire malgré tout, car si moi je me suis engagé dans ce système merdique, je sais aussi que je ne suis pas un exemple à suivre et je n’en ferais jamais la promotion. Je relève les yeux vers le mec que me désigne Rose et qui est apparemment plus ‘son genre’. J’avoue ne pas trop comprendre ce qui la pousse à le regarder, mais soit. Les tatouages n’ont jamais été mon truc. Du fric foutu en l’air, clairement. A moins de se les faire soi-même et dans ce cas-là, c’est moche. – Les tatouages c’est super sexy tu trouves pas ? Et oui, moi je trouve que ça lui donne un air viril et j’suis sûre qu’on se sent en sécurité quand on est avec lui. Est-ce que je trouve les tatouages sexy ? Peut-être, ouais… Mais je n’ai pas envie de l’avouer alors c’est un non radical qui sort de mes lèvres. – Je veux avoir des tatouages moi plus tard. Pour moi c’est un art et une belle manière de raconter ton histoire ou de se démarquer des autres. Ou alors, c’est un simple effet de mode… Mais je vais carrément à l’encontre du mouvement général pour le coup alors je me contente d’hausser les épaules et de tirer sur la clope que j’ai allumé. – Y’a des tas de façons différentes de raconter son histoire et de se démarquer. Tu voudrais quoi comme tatouage plus tard ? Je m’intéresse malgré tout, car même si je ne suis pas fan, je suis capable de comprendre que certaines personnes le sont. Tout l’monde est différent et tant mieux. Je roule un joint tranquillement, lui offre d’un fumer un aussi, ce qu’elle accepte, avant que je ne la questionne sur sa famille. L’effet doucereux de l’herbe se répand rapidement dans mon organisme et je me sens déjà plus apaise – bien que toujours sur mes gardes hein. – Non, y’a juste moi. J’ai passé ma vie toute seule. Mais vu l’état de ma mère je pense que c’est mieux comme ça. Je fais une petite moue, culpabilisant d’avoir posé la question vu que je ne vois absolument pas quoi répondre à ça en fin de compte. T’es con Harvey aussi, réfléchis un peu merde ! Apprendre à connaître les gens, c’est pas ton fort ! – Et toi ? Et voilà ! Inévitablement, ça se retourne contre toi, ducon ! J’inspire, hausse les épaules et croise les bras sur mon torse en m’appuyant sur le plan de travail, le regard qui se perd dans les corps qui se heurtent et dansent plus loin. – J’ai un petit-frère, ouais. Il est en famille d’accueil, on a 5 ans d’écart. Et je me rends compte que je n’ai pas envie d’en parler. Je soupire, tourne mon regard désabusé vers Rose et lui avoue – Je ne m’entends pas vraiment avec lui, on a des visions différentes de la vie tu vois ? Alors, j’suis un peu seul moi aussi finalement… J’observe le verre qu’elle tient dans ses mains et le désigne – C’est toujours ton premier ? Petite joueuse… Après tout, n’est-elle pas là pour prendre la cuite de sa vie ?
J’ai jamais vraiment eu beaucoup d’argent et vous devez sûrement vous dire qu’à mon âge ça n’a rien de dramatique. Et en soit vous avez raison. Mais ce que je veux dire par là, c’est que ma mère non plus n’avait pas énormément d’argent et on a jamais vraiment été heureuses toutes les deux. Bien sûr que oui je me sentais bien quand je vivais avec ma mère même si c’était pas facile tous les jours, mais j’ai jamais vraiment été heureuse, moi. Dans ma tête c’est l’argent qui nous aide à trouver le bonheur. Avec de l’argent on peut faire tout ce qu’on veut, on peut voyager, s’acheter tout ce qui nous ferait plaisir et personne ne pourra nous le reprocher. Je me demande ce que ça fait d’avoir tellement de fric qu’on ne sait pas quoi en faire. Eux ils le savent. Tous ces gosses qui nous entourent en ce moment. Leurs parents sont sûrement tous médecins, architectes, avocats, chefs d’entreprise ou une autre connerie comme ça. Moi aussi je veux bien gagner ma vie plus tard. Mais je suis censée faire quel métier pour ça ? J’ai pas envie de faire dix ans d’études pour devenir médecin. Je veux même pas être médecin, j’ai pas envie de sauver des vies moi, je m’en fous de sauver la vie d’inconnus. Je fais part à Harvey de mon objectif pour pouvoir me trouver un homme qui sera blindé et il ne semble pas franchement partager mes envies sur ce point-là. « Non, absolument pas. L’argent, ça pourrit les cœurs. Dès qu’il y a de l’argent en jeu, les relations sont faussées, personne n’est honnête, personne n’est vrai. T’as ceux qui n’en ont pas et qui aimeraient en amasser le plus possible et t’as ceux qui en ont trop mais qui n’en sont pas plus satisfaits et qui ont peur d’en perdre… Y’a jamais de juste milieu avec le fric. Le fric c’est la pourriture de ce monde, et l’argent possède les hommes. » J’écoute ses arguments tout en jouant avec mes lèvres, preuve de ma réflexion à ce sujet. Bon. Je comprends ses arguments et je sais qu’il n’a pas tort sur tous les points. Il a même certainement raison. Mais je reste coincée avec cette idée que si j’arrive à avoir autant d’argent que je le veux, je pourrais peut-être trouver mon bonheur, quelque part. « J’sais pas. Y’a des gens qui disent que l’argent ça fait pas le bonheur mais moi je suis pas d’accord. J’ai jamais eu beaucoup d’argent et je suis pas sûre que j’ai déjà été vraiment heureuse alors je me dis qu’un compte en banque plein à craquer m’aiderait peut-être à l’être. » Pourquoi est-ce que je lui dis tout ça, moi ? Je l’ai pris pour mon psy ou quoi ? C’est sûrement l’alcool qui me pousse à parler comme ça mais en même temps je pense sincèrement ce que je lui ai dit. Après tout je ne suis qu’une gamine de quinze ans déjà déprimée par le peu de vie que j’ai vécu, déprimée par les gens, le monde, la société, tout en général. Peut-être que c’est aussi un peu pour ça que j’ai envie de me prendre une putain de cuite ce soir. Pour oublier tout ça. « J’trouve qu’un mec qu’a des valeurs et des principes est plus attirant en tout cas. » Un mec qui a des principes et des valeurs. Oui peut-être que c’est attirant aussi, c’est pas faux. Mais c’est pas forcément le genre de mec qui pourrait me faire vibrer je pense. « Tu crois que ça existe vraiment ça ? Des mecs gentils, respectueux envers les femmes, avec des principes et des valeurs qu’ils sont prêts à défendre ? » J’ai l’impression que je me pose beaucoup trop de questions pour mon âge. Merde. Je n’ai que quinze ans. Quinze putains d’années et j’ai déjà perdue foi en l’humanité. C’est triste, non ? Au moins je m’en rends compte, c’est déjà ça. « Y’a un tarif prédéfini suivant le gramme, les petits sachets sont tous remplis de la même manière. C’est 20 dollars l’un, il me suffit de faire le calcul ensuite en comptant les billets. Pourquoi tu veux savoir ça ? Tu ne devrais pas t’y intéresser. » J’écoute ses explications avec un peu trop d’attention, tout en hochant la tête. Bah voilà je savais que c’était pas compliqué, donc peut-être qu’il pourrait me laisser m’occuper de la prochaine vente ? Mais si j’en crois sa question, il est pas prêt à me laisser m’en occuper. « Hé, je suis plus un bébé si j’ai envie de m’y intéresser tu peux pas m’en empêcher. Et puis t’es mal placé pour me faire la morale. » J’hausse les épaules. Mais c’est vrai de toute façon. J’ai quinze ans et si j’ai envie de savoir comment le deal de drogue fonctionne j’ai le droit, non ? J’apporte mon verre à mes lèvres pour en boire quelques gorgées. Et puis, d’après ce que je peux voir depuis tout à l’heure vendre de la drogue semble rapporter beaucoup d’argent. Ce qui pourrait encore une fois me pousser à réfléchir intérieurement sur l’argent et sa place inexistante dans ma vie, mais je suis beaucoup trop hypnotisée par ce garçon que je trouve un peu trop attirant. Et encore une fois, Harvey et moi, on est pas d’accord. J’aime les tatouages, et lui non. Je veux plein d’argent, lui pas forcément. « Y’a des tas de façons différentes de raconter son histoire et de se démarquer. Tu voudrais quoi comme tatouage plus tard ? » Il a raison sur ce point, les tatouages c’est pas le seul moyen de raconter son histoire. Pour ça moi j’ai la musique. J’écris des chansons, ou du moins j’essaie d’en écrire. C’est pas toujours fameux mais je fais de mon mieux et honnêtement j’ai l’impression que je m’améliore un peu avec les années qui passent. « Je sais pas encore trop… mais je veux pas faire des tatouages juste pour suivre la mode tu vois ? Je veux qu’ils aient une signification particulière pour moi, sinon je vois pas l’intérêt. » J’ai le temps d’y réfléchir après tout, j’ai que quinze ans. Je tire sur la clope, fermant les yeux quelques secondes m’imprégnant de l’ambiance, de la musique – qui laisse à désirer sérieusement, mais j’écoute pas la même musique que la plupart des gens de mon âge. – Et c’est sa voix qui me ramène à la réalité, j’ouvre les yeux et lui confie que je suis fille unique, mais vraiment ça me dérange pas plus que ça. Et j’en apprends un peu plus sur lui. « J’ai un petit-frère, ouais. Il est en famille d’accueil, on a 5 ans d’écart. Je ne m’entends pas vraiment avec lui, on a des visions différentes de la vie tu vois ? Alors, j’suis un peu seul moi aussi finalement… » Je fais une petite moue désolée, tirant une nouvelle fois sur ma clope. Il a un frère, mais il se sent seul. Je n’ai ni frère, ni sœur et je me suis toujours sentie seule. Comme quoi, la famille, ça vaut pas grand-chose. « Tu le vois jamais ? » Je lui demande. Je m’intéresse à lui, à son histoire, à sa famille. Ou du moins ce qui en reste. C’est dommage, il a un frère mais il ne s’’entend pas avec lui. On choisit pas sa famille. « C’est toujours ton premier ? Petite joueuse… » Petite joueuse ? Je prends un air choqué et descends du plan de travail. Je le regarde dans les yeux quelques secondes avant de finir ce qui restait de mon verre d’un coup. Je grimace, sentant le liquide me brûler la gorge. J’attrape un verre à shot pour le remplir de vodka et c’est sans plus attendre que je le vide. Oh putain. Je grimace à nouveau. La vodka pure, merde, c’est super fort. « J’suis pas une petite joueuse ! » Je lui dis, mais je ne sais pas si c’est lui ou moi que j’essaie de convaincre. Comme une vague de chaleur envahi mon corps et je commence à avoir la tête qui tourne. Juste un peu. Mais me jugez pas c’est la première fois que je bois de l’alcool comme ça, mon corps n’est pas encore habitué. Je prends un deuxième verre à shot que je rempli, je lui tends pour qu’il le vide à son tour. En attendant je tire une nouvelle fois sur la clope. « C’est moi ou il fait super chaud ? » Je lui demande en fronçant légèrement les sourcils.