"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ Rosalie fait la moue. Elle ne semble pas d’accord avec les théories sur l’argent que j’avance, ou tout du moins, elle est dubitative. Et je peux le comprendre, car cet univers plein de paillettes dans lequel on se retrouve ce soir, il fait rêver. Quand je les regarde, tous ces trous du cul insouciants, qui se droguent et qui se marrent en se fichant éperdument de ce qui peut leur arriver, ou de quoi leurs lendemains seront faits, je les envie carrément. J’aimerai avoir la chance de ne pas m’en faire pour les jours à venir, j’aimerais pouvoir affirmer avec certitude que j’aurai encore un toit sur la tête et quelque chose dans mon assiette (ouais, on reste sur les besoins primaires et basiques, je ne vais pas m’amuser à trop rêver jusqu’à penser pouvoir avoir des choses à moi), j’aimerai pouvoir avoir le culot de penser que je ne dois rien à personne et que ma vie sera telle que je l’entends… J’aimerai. Mais je ne peux pas. Et je ne peux pas non seulement parce que je n’ai pas de fric, mais avant tout et surtout parce que je n’ai pas de famille. Faut pas s’leurrer, l’argent ça n’achète pas les sentiments. L’argent ça n’achète pas le soutien. Certains s’en servent pour déculpabiliser un peu, donnent à des associations pour se donner bonne conscience tout en faisant bien attention de ne manquer de rien et de gâter les enfants à Noël et aux anniversaires. N’est-ce pas là foutrement égoïste en réalité ? Je pars du principe que c’est lorsqu’on a rien qu’on est libre de faire ce que l’on veut. Et ma liberté, je ne la vendrais à aucun prix et l’appât des petits billets verts ne fonctionne pas avec moi. Ce n’est pas le cas de Rosalie, et elle l’exprime. – J’sais pas. Y’as des gens qui disent que l’argent ça fait pas le bonheur mais moi je suis pas d’accord. J’ai jamais eu beaucoup d’argent et je suis pas sûre que j’ai déjà été vraiment heureuse alors je me dis qu’un compte en banque plein à craquer m’aiderait peut-être à l’être. Peut-être que ça soulage l’esprit, oui. Peut-être qu’on se sent rassuré quand on ne manque de rien. Et peut-être qu’on s’enferme dans cette richesse qui n’a d’égale que la pauvreté des relations qu’on entretient avec les autres. Tout dans le paraître, dans les convenances… Aucun intérêt pour moi. – T’as qu’à trouver un mec qu’a du fric alors. Y’en a quelques-uns ici après tout… Et là encore, être dépendant d’un autre ou d’une relation, ça ne me fait pas rêver. Au final, j’suis seul depuis quelques années maintenant et je préfère. C’est moi qui décide pour moi, moi qui contrôle et moi qui merde. Je ne peux en vouloir à personne, et ça, c’est ce qui soulage ma conscience. Car en vouloir à ma mère me brise chaque jour un peu plus. La détester alors que je l’ai tant aimé m’anéantit. Et je ne sais faire autrement. Cette rancœur bousille mon cœur, c’est un gouffre sans fin de douleur. – Tu crois que ça existe vraiment ça ? Des mecs gentils, respectueux envers les femmes, avec des principes et des valeurs qu’ils sont prêts à défendre ? Je pouffe un peu bêtement en l’entendant et hausse les épaules – Hey, on a l’droit de rêver après tout non ? C’est pas encore interdit ça. En foyer, on vit dans un monde d’interdictions : tu ne peux pas sortir après telle heure, tu ne peux pas fumer où tu veux, tu ne peux pas manger à l’heure que tu veux, tu ne peux pas prendre une douche quand tu le désires, tu ne peux pas… Alors rêver, ouais, ça semble être un luxe parfois. Un luxe que je chéris plus que tout, et je les note mes rêves dans mes carnets, planqués sous le matelas dans ma piaule. Parlant d’expression et de besoin de se livrer, Rosalie évoque les tatouages. Outre le fait qu’elle trouve cela sexy, nous nous accordons sur le sens, primordial selon moi, lorsqu’on veut graver à jamais quelque chose sur sa peau. Ce sont tes coups qui sont gravés sur la mienne, tes coups et les brûlures de tes cigarettes… - Je sais pas encore trop… mais je veux pas faire des tatouages juste pour suivre la mode tu vois ? je veux qu’ils aient une signification particulière pour moi, sinon je vois pas l’intérêt. A nouveau, plutôt d’accord, j’hoche la tête. – Normal, ça fait con d’avoir des tatouages qui n’ont pas de sens. La soirée se poursuit, je vends un peu et la discussion continue. J’ignore comment nous en sommes venus à parler de nos familles, mais c’est le cas et bien que mal à l’aise, je n’essaie pas d’esquiver. Ouais, j’ai un petit-frère, Lonnie et je ne le vois presque plus. Il vaut mieux en même temps, il ne traîne pas dans les mêmes trafics que moi et je ne veux pas le tirer vers le bas. C’est tout ce que je réussirais à faire, non ? L’embarquer vers la déconne, les mauvaises fréquentations, l’échec scolaire… Hors de question que cette responsabilité m’incombe alors je m’éloigne. Il sera bien mieux sans moi, Lonnie, je n’ai aucun doute là-dessus. Peut-être que notre famille est juste bien mieux les uns sans les autres. – Tu le vois jamais ? – Pas souvent… J’évite. Il n’est… pas encore foutu lui. Je soupire, cherche mes mots. L’exercice n’est ni plaisant, ni aisé. Je dois m’écorcher le palet pour réussir à donner un semblant d’explications à Rose. – La famille d’accueil lui convient, il est bien accepté là-bas et tout se passe bien pour lui alors… J’ai pas envie de tout foutre en l’air tu vois ? Pas envie qu’il me voit comme le grand-frère dont il faut suivre l’exemple. J’suis pas un exemple. Et je préfère lui briser le cœur maintenant, pour ne pas avoir à le faire plus tard, lotsqu’il sera trop tard… Pour changer un peu de conversation et revenir vers quelque chose de plus léger, je la provoque Rose, sans savoir que ma petite provocation la ferait réagir aussi vite et dans l’excès. Lorsqu’elle engloutit le shot de vodka, je ris – surtout alors qu’elle devient légèrement rouge et qu’elle grimace de dégoût. – J’suis pas une petite joueuse ! Hilare, je réponds – Ah bah oui, je vois ça ! Je secoue la tête, tire sur mon joint et m’étale un peu sur le plan de travail. – C’est moi où il fait super chaud ? Provocateur, je rétorque – Tu devrais boire un peu plus, tu me sembles fortement déshydratée surtout. Je m’amuse de la voir se murger, conscient que je suis responsable d’elle ce soir et que je la ramènerai très certainement au foyer en la portant sur mes épaules.
L’argent est au centre de l’attention de nos jours, tout le monde en veut plus, même ceux qui sont plein aux as. Et je peux pas vraiment les critiquer parce que pour le coup moi je suis pareil. Je me demande ce que ça fait d’avoir tellement de fric qu’on a même pas à s’en inquiéter, ça doit être le pied quand même vous pensez pas ? L’argent c’est la liberté et le bonheur. La liberté parce qu’on peut faire tout ce qu’on veut – dans la limite du raisonnable et du légal bien sûr. – J’ai envie de voyager moi plus tard, être sur la route et découvrir le monde mais je suis censée faire comment si j’ai pas un rond ? C’est pas possible. Il faut avoir de l’argent pour ça. C’est déprimant. Et la liberté nous aide à être heureux non ? Du moins moi c’est comme ça que je vois les choses. J’ai jamais vraiment été libre. Et je sais que j’ai jamais été heureuse non plus. Comment on est censés être heureux quand on a pas de famille comme moi ? Quand on vit dans des foyers, entourée de gosses tous aussi perdus l’un que l’autre je pense que le bonheur c’est difficile à connaître. Et puis de toute façon c’est une notion complètement subjective, non ? Pour moi le bonheur ça serait me barrer de Brisbane, être riche, libre et faire quelque chose de ma vie qui me passionne. Peut-être que je suis idéaliste et que je ne connaîtrai jamais ce sentiment, après tout c’est aussi tout à fait plausible. « T’as qu’à trouver un mec qu’a du fric alors. Y’en a quelques-uns ici après tout… » J’observe plusieurs garçons avec attention. Certains ne sont pas si moches que ça je l’avoue. Mais ils ne m’attirent pas comme si quelque chose manque. Je repose mon regard quelques secondes sur le garçon tatouée et j’hausse les épaules avant de regarder Harvey. « Ouais mais eux c’est des fils à maman c’est pas vraiment attirant. Moi je veux un mec, un vrai. Un avec qui je me sentirai en sécurité. » Et là pour le coup je parle pas de la sécurité de l’argent. Je n’ai que quinze ans, j’ai jamais eu de copain, j’ai même jamais embrassé un garçon de ma vie et je suis déjà très sélective et difficile. Je crois que je vais finir seule toute ma vie avec trente chats. « Hey, on a l’droit de rêver après tout non ? C’est pas encore interdit ça. » Il y a des moments où j’ai envie de rêver et de me dire que je vais réussir à m’en sortir dans la vie, que je vais réussir à trouver le bonheur, un jour, quelque part. Mais quelque fois je préfère être réaliste et j’ai beaucoup de mal à me dire que je vais avoir la chance de croiser le chemin de gentils garçons qui m’aimeront et me respecteront. Parce que la vie ne m’a vraiment pas souri jusqu’ici alors pourquoi est-ce que ça changerait ? Je préfère être réaliste. Je suis destinée à vivre une vie de merde, c’est pas grave je me suis faite à cette idée. « Je sais pas. Tu crois vraiment que les garçons ou les filles bien s’intéresseraient à nous ? On est des gamins paumés. Je ferais tâche dans le décor. » Je soupire en passant une main dans mes cheveux. Moi j’ai décidé d’arrêter de trop rêver parce qu’après quand je suis de retour dans la réalité c’est dur. Parce que putain, la réalité elle est si dure. Vie de merde, famille de merde, foyer de merde, mère de merde, père absent de merde. Avant j’étais une rêveuse. Je me disais que la vie finirait par changer pour moi, qu’un matin je me réveillerai pour arrêter de me sentir aussi nulle. Aussi faible. Aussi triste. Tout le temps. Je me sens déprimée mais j’accepte ce sentiment néfaste qui m’envahi toujours un peu plus. Je commence à en avoir l’habitude. C’est pas grave. Y’en a qui sont destinés à vivre une vie incroyable, et d’autres qui vont devoir se débrouiller pour survivre. Moi je fais partie de la deuxième catégorie. « Normal, ça fait con d’avoir des tatouages qui n’ont pas de sens. » Au moins là-dessus on est d’accord. Et même si je suis pas sûre que les nombreux tatouages de ce garçon que j’ai repéré tout à l’heure ont tous une signification particulière, c’est pas bien grave parce que ça le rend super sexy. À mes yeux du moins. Et c’est là-dessus qu’on est pas d’accord tous les deux. J’en apprends un peu plus sur lui, il me parle de son petit frère, Lonnie. C’est la première fois que j’entends parler de lui mais en même temps Harvey, c’est pas le mec le plus bavard du monde. « Pas souvent… J’évite. Il n’est… La famille d’accueil lui convient, il est bien accepté là-bas et tout se passe bien pour lui alors… J’ai pas envie de tout foutre en l’air tu vois ? Pas envie qu’il me voit comme le grand-frère dont il faut suivre l’exemple. J’suis pas un exemple. » Je comprends ce qu’il veut dire même si je suis pas forcément d’accord avec ce qu’il dit. Je le trouve dur avec lui-même. Il a peur de briser l’équilibre de son frère, je peux le comprendre, si j’avais une petite sœur qui semble mieux s’en sortir que moi je suis sûre que j’agirais de la même manière que lui. Mais je suis pas non plus un exemple, moi je prends que les mauvaises décisions. Je suis la meilleure pour faire des erreurs, m’enfin, en même temps mon existence en elle-même c’est une putain d’erreur. « J’peux comprendre. Mais il a besoin de toi, t’es son grand frère. Même s’il te le dit pas, je suis sûre qu’il aimerait bien te voir plus souvent. » Parce que je suppose que ça marche comme ça entre frères et sœurs. On s’aime mais on se le dit pas. j’en sais rien moi je suis toute seule c’est juste des suppositions. « T’as pas peur qu’il t’en veuille si tu le lâches ? » Peut-être que suis trop curieuse ou trop intrusive, si c’est le cas il peut me le dire et je le prendrais pas mal. Je suis comme ça moi, j’aime bien poser des questions pour mieux comprendre la situation des gens. Il me provoque en me disant que je suis une petite joueuse et il est hors de question que je le laisse penser ça. Je finis mon verre et je descends dans la foulée un shot de vodka. Je fais tout ça, je me rends pas compte que je risque de finir bourrée très vite parce que j’ai pas l’habitude de boire, et je le vois qui se marre. Au moins je le fais rire, c’est déjà ça. « Tu devrais boire un peu plus, tu me sembles fortement déshydratée surtout. » Il me teste, je le sais mais ça m’amuse. Alors je hoche la tête, tirant sur mon joint avant de me servir un deuxième verre, dosé presque de la même manière que le premier. Je bois plusieurs grandes gorgées. Je commence à me faire au goût hyper fort de la boisson et ça m’arrache de moins en moins la gueule. « T’as raison. » Je me retourne vers lui. Wow. J’ai la tête qui tourne. Et je m’avance vers le plan de travail, je manque de tomber. Je prie pour qu’il n’ait pas vu ça et je reprends ma place assise sur le plan de travail. Je meurs de chaud et j’ai faim. Je prends une autre part de pizza tout en continuant à boire bien plus rapidement ce deuxième verre. « Dis, t’as déjà embrassé une fille ? » Pourquoi est-ce que je lui pose cette question ? Je crois que l’alcool commence déjà à me monter à la tête. « Moi j’ai jamais embrassé personne. Tu crois que c’est parce que les mecs me trouvent pas belle ? » Encore une fois, je sais pas pourquoi je lui dis tout ça. Je pose mon verre à côté de moi et tire sur mon joint. Je me sens détendue, ça faisait tellement du bien.
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ C’est ouf d’arriver à avoir une conversation profonde au beau milieu d’une soirée de gosses de riches où on vend de la beuh et des cachetons pour faire planer. C’est plutôt plaisant en fait. Rosalie me fait sourire, Rosalie dit des conneries et ne réfléchit pas vraiment, Rosalie est candide et insouciante mais Rosalie est d’une compagnie plaisante et j’arrive à passer un bon moment, aussi curieux que cela puisse être. On court après l’argent, on court après le temps, on court après tout ce qu’on n’a pas et qu’on ne peut pas saisir… On court, sans grande conviction, parce qu’on n’a pas appris à faire autrement. J’fais la même chose que tout le monde, évidemment, j’suis pas plus doué qu’un autre, ni plus con. C’est juste que la façon dont est pensé le monde par nos dirigeants nous pousse à amasser toujours plus, en marche vers l’avarice, en marche vers l’égoïsme, en marche vers l’opportunisme. Et ça me répugne dans l’fond. Mais j’suis qu’un gosse et j’vais rien changer au monde putain ! A quoi bon en plus ? Il part en friche depuis trop longtemps pour que je puisse y faire quoi que ce soit. Alors, j’assiste à la déchéance du genre humain, l’air las, en tentant de donner du sens à mes actions. – Moi je veux un mec, un vrai. Un avec qui je me sentirai en sécurité. Et là, je tique. Ça veut dire quoi : un vrai ? Je frotte un peu mes lèvres, grimace alors que la conversation me fait légèrement tourner la tête. – Comment ça un « vrai ». Y’a des faux mecs maintenant ? C’est quoi un mec qui te fasse sentir en sécurité ? Juste un qui a de la thune ou quelqu’un qu’est capable de te comprendre et de t’aimer à ta juste valeur ? J’avoue ne pas trop comprendre le délire. C’est bien un truc de nana ça, de compter sur les mecs pour assurer leur « sécurité ». Mais quelle sécurité exactement ? Affective ? Financière ? Matérielle ? Tout ça m’échappe, et je me félicite d’être gay alors. Aucun mec viendra me faire chier avec ses conneries de sécurité, j’en suis sûr. D’ailleurs, pas besoin d’être en sécurité, j’suis pas un faible ouais. Non, décidément, je ne la comprends pas par moment Rose et elle m’échappe totalement. Mais c’est aussi ce qui est drôle finalement ce soir, car nos opinions opposées se sont face sans aucune animosité. On expose simplement nos points de vue, sans émettre de jugement, en se découvrant tranquillement et avec un certain amusement. Ouais, j’suis pas d’accord avec tout ce qu’elle dit, mais c’est pas grave. Elle est libre de penser comme elle veut et j’vais pas la juger ou la blâmer pour les choix qu’elle fait. On traîne nos casseroles au cul, on fait ce qu’on peut avec nos idéaux et ce qu’on est c’est tout. – Tu crois vraiment que les garçons ou les filles biens s’intéresseraient à nous ? On est des gamins paumés. Je ferais tâche dans le décor. Une fois de plus, j’ignore sur quoi elle se base pour me poser une question pareille. Mais je comprends ce qu’elle veut dire. – Tu lis trop de magasines de meufs, Rose. Ça te fous d’la merde plein le crâne. C’est pas parce que t’es en foyer que tu vaux moins qu’une autre. Toi, t’as le mérite de t’en sortir avec une vie de merde, t’as le mérite de te battre tous les jours pour juste exister. Eux, ils font quoi pour vivre ? Ils quémandent à papa et maman ? Ils pleurnichent ? Font des caprices ? Tu vaux mieux que toutes ces meufs pleines aux as qui chialent dès qu’on leur fait une sale remarque. Arrête de te dévaluer, Rose. Tu fais pas tâche, c’est leur décor qu’est à chier. On l’emmerde leur décor ok ? On pisse dessus tiens ! Car ouais, la vie est injuste et la vie c’est de la merde. On ne naît pas tous égaux, ça c’est de la pure connerie. On revendique l’égalité quand on vieillit, quand on acquiert le droit de se battre pour ses droits, mais personne ne naît égaux et chaque combat est différent. Je lance un regard haineux et envieux sur la foule autour de moi. Parce que tous ces petits cons insouciants ne savent pas la chance qu’ils ont en réalité, mais j’peux même pas leur en vouloir. C’est le tout-puissant de mes deux là-haut qu’a décidé pour nous tous. Toi, vie de merde. Toi, vie tranquille. Toi, vie entre les deux. Et ainsi de suite… Comme une distribution de cartes, une fois qu’on les a dans les mains faut bien jouer avec, c’est tout.
La donne n’est pas toujours la bonne, je ne dirais pas le contraire. L’histoire des Hartwell est glauque et a alimenté la rubrique faits divers de trop nombreuses semaines à mon goût. Elle a fini par s’estomper avec les années, par s’oublier dans le temps et je m’en sens soulagé. Plus besoin d’éviter les questions, plus besoin de sortir les poings pour dissuader des connards de m’attaquer sur le sujet, plus besoin de péter des câbles, de sortir de mes gongs… Plus besoin de me rendre à la prison… - Il a besoin de toi, t’es son grand frère. Même s’il te le dit pas, je suis sûre qu’il aimerait bien te voir plus souvent. T’as pas peur qu’il t’en veuille si tu le lâches ? J’hausse les épaules et réponds, d’une voix lasse. – Il m’en voudra quoique je fasse. A un moment ou à un autre, je le décevrai car j’suis pas comme lui. Et puis, en vrai, il m’en veut déjà. Je vide le verre dans mon gosier, avec la volonté d’oublier les pensées qui me nouent la gorge et commencent à légèrement embuer mon regard. J’ai pas pu le sauver lui, j’ai pas pu la sauver elle… Le désastre de mon impuissance m’accable chaque jour davantage alors, je préfère m’en éloigner. Contempler constamment mon échec, ce n’est pas vivable. Ma famille a éclaté le jour où ma mère a trouvé le bide de son mari à l’aide d’un vieux six-coups pourri. On ne devrait pas conserver d’armes chez soi, ça rends les gens fous et ça fait commettre des actes irréversible. La discussion se meurt dans l’abus de boisson et tant mieux. Car c’est un peu trop lourd pour la soirée, un peu trop lourd pour qu’on puisse s’amuser, un peu trop lourd alors que tout ici est léger. Et elle boit, Rose, elle s’enfile les shots à toute vitesse, ce qui me fait rire. Mon joint coincé entre les lèvres, je l’observe en souriant quand elle me pose une question surprenante – Dis, t’as déjà embrassé une fille ? Et sans me laisser le temps de répondre, elle enchaîne : - Moi j’ai jamais embrassé personne. Tu crois que c’est parce que les mecs me trouvent pas belle ? J’ouvre la bouche, la referme. J’ouvre la bouche à nouveau, puis la referme. J’ai l’air d’un putain de poisson en manque d’air là. Ferme ta bouche Hart ! Embêté, gêné par la question, je jette un œil autour de moi pour vérifier que personne ne voit mon embarras et je glisse une main nerveuse dans ma chevelure de blondinet. – Bah… euh… non, faut pas dire ça… j’sais pas moi… Et non, j’ai pas embrassé de fille, jamais… Et je n’en ai pas envie. Absolument pas ! Ça ne doit pas beaucoup changer d’un mec, j’en sais rien mais tout de même ! – J’suis gay en fait. Donc j’ai embrassé des mecs par contre. Je me suis presque senti obligé de rajouter cela, rapidement, afin de ne pas passer pour un mec sans expérience (ce que je ne suis pas, assurément). – T’as envie qu’un mec t’embrasse ? Je demande, un peu circonspect. Puis, je me tords les lèvres et hausse les épaules – Et pourquoi c’est pas toi qui te lance ? T’as envie d’embrasser un mec ce soir ? Choisis ta cible et vas-y. Pourquoi ce serait aux autres de décider des choses dont nous avons envie hein ? Il faut savoir prendre en main les choses pour obtenir ce que l’on désire, pas vrai ?
Je ne sais pas pourquoi mais je me sens d’humeur philosophique ce soir. J’ai envie de réfléchir à tout, de tout analyser alors que je devrais plutôt m’amuser et profiter de la soirée qu’Harvey a réussi à m’offrir. On peut dire que c’est ça son cadeau d’anniversaire pour moi, non ? Si c’est le cas je pense que c’est le meilleur cadeau qu’on ne m’ait jamais fait. Un peu triste et déprimant quand on y réfléchit un peu. Le meilleur cadeau qu’on ne m’ait jamais fait c’est de s’incruster à une soirée dans une maison remplie d’enfants de riche. Putain. Ma vie est triste. Mais c’est pas grave, je m’y suis fait maintenant. « Comment ça un « vrai ». Y’a des faux mecs maintenant ? C’est quoi un mec qui te fasse sentir en sécurité ? Juste un qui a de la thune ou quelqu’un qu’est capable de te comprendre et de t’aimer à ta juste valeur ? » Je sens qu’il ne me comprend pas et en même temps je peux pas vraiment lui en vouloir parce que je ne suis pas sûre de comprendre ce que je veux moi-même. J’hausse les épaules tout en apportant mon verre à mes lèvres avant de lui répondre. « Non j’sais pas… Un mec qui puisse m’aider et me protéger de ce monde de merde. Et ouais quelqu’un qui m’aime à ma juste valeur mais de toute façon je vaux pas grand-chose alors ça devrait pas être très dur à trouver. » Au fond, je ne suis qu’une bonne à rien et je suis vraiment pas sûre d’avoir vraiment un bel avenir qui m’attend. Et puis au fond, est-ce que la vie mérite vraiment la peine d’être vécue ? J’ai déjà la réponse à cette question et j’ai bien peur qu’elle soit négative. Ma vie a été vouée à l’échec à la seconde même où je suis née c’est une idée qui est bien ancrée quand mon esprit et même si habituellement j’essaie de faire bonne impression devant tout le monde ce soir c’est différent. Ce soir tout est différent parce que je n’ai pas envie de faire comme si je croyais en la vie et un potentiel avenir brillant. Et malheureusement pour Harvey c’est lui qui est avec moi ce soir alors c’est lui qui va devoir me supporter. Au final, je me sens découragée et assez triste ce soir. Je sais pas vraiment pourquoi. Peut-être que c’est l’alcool ? Peut-être que j’ai l’alcool triste ? Ou bien c’est l’alcool qui m’aide à parler à cœur ouvert et à dire que je suis pas heureuse, que j’aime pas ma vie, et que je me pose déjà tout un tas de questions sur la mort et tout ce qui s’en suit. Enfin ça je ne lui dis pas, mais j’y pense beaucoup. Et putain ça me fait tellement peur. « Tu lis trop de magasines de meufs, Rose. Ça te fous d’la merde plein le crâne. C’est pas parce que t’es en foyer que tu vaux moins qu’une autre. Toi, t’as le mérite de t’en sortir avec une vie de merde, t’as le mérite de te battre tous les jours pour juste exister. Eux, ils font quoi pour vivre ? Ils quémandent à papa et maman ? Ils pleurnichent ? Font des caprices ? Tu vaux mieux que toutes ces meufs pleines aux as qui chialent dès qu’on leur fait une sale remarque. Arrête de te dévaluer, Rose. Tu fais pas tâche, c’est leur décor qu’est à chier. On l’emmerde leur décor ok ? On pisse dessus tiens ! » Je l’écoute parler et je sais qu’il n’a pas tort sur tous les points. Sauf que finalement est-ce qu’on peut vraiment dire que je me bats pour exister ? Je pense plus que je me laisse couler, ou du moins que je devrais me laisser couler. Vu ce que le monde a à m’offrir. « J’aimerais bien avoir ta force. » Peut-être que ces gamins parmi qui on réussit à s’incruster ce soir ils n’ont pas à se battre pour avancer dans la vie tous les jours mais eux au moins ils ont des parents, une famille, de l’argent, des amis et un avenir. Nous qu’est-ce qu’on a exactement ? Des parents ? Non. Une famille ? Non plus. De l’argent ? Encore moins. Des amis ? Peut-être oui, Harvey moi je le considère comme un ami. Et puis il y a Jet aussi. Oui j’ai peut-être des amis. Un avenir ? J’en doute fort. Moi j’aurais voulu avoir plus que ça. Beaucoup plus. Je les regarde s’amuser ils ont l’air heureux, eux. Pas de soucis, pas de problèmes plein la tête comme nous. Je suis sûre que la plupart d’entre eux ne tiendraient même pas une semaine dans notre peau. Et Harvey me parle de son frère, dont je viens d’apprendre l’existence. Au moins il a quelqu’un sur qui il pourra toujours compter. C’est comme ça que ça fonctionne entre les frères et les sœurs, non ? Quoiqu’il arrive ils seront là l’un pour l’autre ? Moi c’est comme ça que je vois les choses mais si j’en crois ses dires ça n’a pas l’air si simple. « Il m’en voudra quoique je fasse. A un moment ou à un autre, je le décevrai car j’suis pas comme lui. Et puis, en vrai, il m’en veut déjà. » Une petite moue déçue se dessine sur mon visage avant que je ne vide mon verre. C’est dommage qu’il ne s’entende pas avec son frère je suis sûre que les choses finiront par s’arranger entre eux. « Tu devrais pas dire que tu finiras toujours par le décevoir, là c’est toi qui te dévalorise. » Un petit sourie s’étire sur mon visage alors que je lui donne un petit coup d’épaule amical un peu comme pour dédramatiser la situation. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé exactement avec son frère et de toute façon ça ne me regarde pas vraiment. Alors je laisse ma curiosité de côté et je me contente de boire. Encore et encore. Je descends quelques shots et je tire une nouvelle fois sur mon joint je mets fin à cette conversation beaucoup trop sérieuse et trop lourde pour cette soirée. On est censés s’amuser alors je lui pose une question. Peut-être étrange, je lui demande s’il a déjà embrassé une fille. Je suis curieuse, peut-être un peu trop et il pourrait très bien m’envoyer chier je ne lui en voudrais pas. Il semble un peu gêné et en attendant sa réponse je me sers un nouveau verre. « Bah… euh… non, faut pas dire ça… j’sais pas moi… Et non, j’ai pas embrassé de fille, jamais… » Ah ? Je suis étonnée de sa réponse. Harvey, il est pas moche et je suis sûre que c’est le genre de mec sur qui beaucoup de meufs se retournent. Moi c’est mon pote alors je le regarde pas de cette manière. « J’suis gay en fait. Donc j’ai embrassé des mecs par contre. » Oh. En soit qu’il aime les mecs ou les filles on s’en fout, non ? « Bah je suppose qu’embrasser une fille ou un garçon c’est la même chose. » J’hausse les épaules. Embrasser une fille ça me dérangerait pas non plus. Y’a même de meufs hyper canons ici ce soir. « T’as envie qu’un mec t’embrasse ? » Je me contente d’hocher la tête en guise de réponse cachant mon sourire un peu gêné dans mon verre. « Et pourquoi c’est pas toi qui te lance ? T’as envie d’embrasser un mec ce soir ? Choisis ta cible et vas-y. » Oulah. Et si je me prends un râteau ? La honte. J’avale un peu d’alcool de travers quand il me dit ça. Je le regarde les yeux arrondis quelques secondes. Mais il n’a pas tort. J’ai quoi à perdre ? Je les verrais plus jamais de toute façon. « T’as raison. » Je lui réponds, simplement. Je finis mon verre d’une traite, le pose sur le plan de travail sur lequel j’étais encore assise il y a une demi-seconde. Pour me donner un peu de courage je tire une dernière fois sur mon joint que je confie à Harvey et je m’approche d’un garçon. Ce garçon qui a lancé notre débat sur les tatouages tout à l’heure. Autant que mon premier baiser – s’il ne me repousse pas – soit avec un garçon qui me plaît vraiment, non ? Je profite du fait qu’il soit seul, parce qu’honnêtement je ne me vois pas faire ça devant sa bande de potes. On échange quelques banalités. Je souris sûrement bêtement et je pouffe de rire à chacune de ses paroles – ou presque – Je me sens un peu bête mais mes sourires sont sincères et instinctifs, je crois qu’il me plaît vraiment. Et dans un court élan de courage je me mets sur la pointe des pieds pour passer ma main sur sa nuque et mes lèvres rencontrent les siennes. Au départ assez hésitante, le baiser devient bien plus agréable et plus langoureux par la suite. Je ne sais pas combien de temps ça dure mais je finis par me détacher de lui et c’est avec un sourire sûrement un peu niais que je rejoins Harvey. Je me sers un nouveau verre et me mords la lèvre inférieure, restant silencieuse un moment. « Il embrasse bien en tout cas. » Je finis par dire sans que mon sourire ne quitte mes lèvres. « Enfin je crois j’ai pas vraiment d’éléments de comparaison. » Mais pour que je sois en train de sourire comme un idiote c’est qu’il devait être plutôt doué, non ?
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ Y’a rien de facile à vivre en ayant été cruellement abandonné par ceux qui étaient sensés vous soutenir et vous donner les armes pour combattre. On parle d’ailleurs plus de survie que de vie à ce stade, pour nous les pauvres gosses errants trimbalés d’un établissement à l’autre et plongés au cœur d’un système défaillant et obsolète qui n’apporte plus aucune sécurité ni illusion. Faut chercher la rage en soi, faut s’appuyer sur la colère et sur tous les sentiments violents qui nous écrasent, il faut les nourrir pour mieux se construire et pouvoir affronter la dureté de la vie à laquelle nous ferons forcément face. Nous sommes habitués à lutter seuls qui plus est, alors je peux comprendre qu’elle recherche la sécurité auprès d’un ‘vrai’ mec, Rose, même si je ne peux m’empêcher de questionner le sens de cette appellation. – Non j’sais pas… Un mec qui puisse m’aider et me protéger de ce monde de merde. Et ouais quelqu’un qui m’aime à ma juste valeur mais de toute façon je vaux pas grand-chose alors ça devrait pas être très dur à trouver. Je lève les yeux vers le plafond en l’entendant se rabaisser et passe nerveusement ma langue sur mes lèvres en grimaçant. Elle ne devrait pas penser ainsi, Rose, ne devrait pas laisser cette putain de société la faire se sentir aussi mal dans ses chaussures. C’est pas sa faute à elle si sa mère n’est pas en capacité de l’élever, pas sa faute si son putain de père n’assure pas son rôle, pas sa faute si elle est née dans la mauvaise famille, celle qui n’a pas su la protéger comme elle aurait dû. Ça n’a rien à voir avec elle, et ça m’révolte à l’intérieur tout ça ! Nous sommes plus que les erreurs de nos parents, non ? J’ai envie d’y croire, ouais. J’ai envie de penser que nous sommes plus que ça, que malgré nos valises pleines de merde, nous allons réussir à nous affranchir de leurs jougs, réussir à nous libérer de tous ces fantômes qui nous hantent chaque jour et nous écrasent, nous immobilisent, nous harassent et nous épuisent. Ça m’agace vraiment, alors je lui dis à Rose qu’elle a autant le droit de vivre que n’importe qui, et qu’elle a surement plus de mérite que les autres à le faire par ailleurs. Elle n’a personne pour la protéger, et c’est son plus grand souhait d’ailleurs, elle vient de l’exprimer : avoir quelqu’un qui puisse la protéger de ce monde de merde. Elle n’a personne, Rose… Elle est seule et elle traîne sa peine chaque jour comme nous tous, sans pouvoir la confier, sans pouvoir s’en libérer, sans pouvoir être écoutée ou comprise… Alors non, elle ne vaut pas rien, je refuse d’aller dans ce sens, je refuse de penser qu’on est rien quand on lutte avec acharnement jour après jour. – J’aimerai bien avoir ta force. Elle me répond et je ne sais pas vraiment quoi en penser, surpris et décontenancé par sa vision si éloignée de la mienne. Avoir ma force, qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Je ne me considère pas vraiment comme ‘fort’, j’essaie juste de m’en sortir dans un monde qui ne semble pas vraiment vouloir de moi, obligé de lutter depuis de longues années, considéré comme une charge depuis mon plus jeune âge ; c’est la colère et la rage qui me maintiennent en vie avec l’espoir qu’autre chose m’attend, quelque part… - Dis pas d’conneries, Rose. La force tu l’as, preuve en est que t’es là et qu’on fête ton anniversaire ce soir. T’abandonne pas, tu n’as pas laissé tomber, tu vis encore, tu respires et tu souffres. – Toi aussi, t’es forte. Et tu ne vaux pas rien. La clope s’insère entre mes lippes sèches, et d’un regard désabusé j’observe la foule autour de nous et la soirée qui se déroule tranquillement. J’essaie d’imaginer le quotidien des jeunes qu’on côtoie ce soir : qu’est-ce que ça fait de se réveiller dans une aussi grande maison avec des parents aimants ? Je ne sais pas… Sur le plan de travail où j’ai étalé ma marchandise qui s’écoule peu à peu, doivent se trouver au petit matin des pancakes, des jus à l’intention du chanceux qui vit ici. Les mères font ça, non ? Elles préparent à manger pour leurs enfants, elles les gâtent comme ça, en remplissant leurs ventres et en émerveillant leurs papilles gustatives… Des souvenirs d’enfance remontent à la surface, mais je les chasse rapidement, ne souhaitant pas m’y attarder. Parler de Lonnie m’est suffisamment douloureux comme ça, je n’ai pas envie de passer ma nuit à ressasser un passé qui m’a flingué, et qui malgré tout me manque atrocement… Je lui en veux tellement à elle… Elle nous a abandonné, dans sa quête de vengeance, dans sa folie meurtrière, elle nous a oublié, et nous devons faire sans elle maintenant. Plus de pancakes, plus de plats qui mijotent durant des heures le weekend, plus de baisers sur le front réconfortants les soirs d’orage… l n’y a plus rien, depuis cinq ans maintenant. Rien d’autre que le vide où s’entassent les amers regrets et la colère. – Tu devrais pas dire que tu finiras toujours par le décevoir, là c’est toi qui te dévalorise. J’inspire profondément en l’entendant, et hausse les épaules d’un air détaché en détournant toutefois le regard. Peut-être que je me dévalorise, oui, je n’en sais rien. En réalité, je n’ai pas l’impression de valoir quoi que ce soit non plus et sur ce point, je la retrouve Rose. Peut-être que finalement, on se ressemble plus que ce que je ne pense. Je n’ai pas une haute estime de moi-même et cette discussion pourrait me foutre en l’air, mais l’alcool qui se trouve tout autour de nous arrive à nous divertir malgré tout. Je laisse aux lendemains solitaires mes pensées et ma peine pour tenter de sauver ce qu’il reste de la soirée. Un joint coincé entre les lèvres, j’écoute les confessions de Rose sur ses déboires affectifs et la conseille maladroitement sur le sujet. Ni une, ni deux, l’alcool aidant surement, la voilà qui se lève et rejoins le gosse de riche qui lui a tapé dans l’œil précédemment. Je souris, bêtement et continue de vendre jusqu’à l’écoulement total du stock. J’ai une bonne liasse de billets dans les mains et je les plaque dans la poche intérieure de ma veste, enfilée par-dessus mon sweat. Il n’y a plus qu’à profiter de la soirée maintenant, et de saisir les opportunités que la nuit a à offrir. Un regard vers Rose et je la vois les lèvres collées au type qu’elle convoitait, ce qui me fait sourire comme un idiot. Elle a eu ce qu’elle voulait finalement ! Un baiser pour un anniversaire, c’est plutôt cool non ? Et vu son air tout timide et radieux en revenant vers moi, elle a l’air d’avoir passé un bon moment – ce qui me fait d’autant plus sourire. – Il embrasse bien en tout cas. Enfin je crois j’ai pas vraiment d’éléments de comparaison.Ah. Je secoue la tête, amusé et lève les yeux au ciel. – Il a l’air d’un parfait crétin, mais s’il embrasse bien, bon… Je ris devant l’air timide et affreusement mignon de Rose et passe mon bras autour de ses épaules, pour l’entraîner dans la maison en lui expliquant – Maintenant qu’on a vendu toute la dope, on a le droit de s’éclater jusqu’au petit matin sans trêve alors… T’as envie de danser ? De prendre un bain de minuit ? J’ai entendu parler de la piscine à l’arrière dans l’jardin. Ça te tente ? Je n’oublie pas que j’ai une veste remplie de billets sur laquelle je dois veiller, mais Rose elle, n’a aucune obligation ce soir et le but, c’est de s’éclater, de tout oublier et de lâcher prise alors je l’entraîne à travers la fête qui bat son plein à présent. On traverse un salon bondé avec des haut-parleurs qui crachent une musique électro-pop sur laquelle tout l’monde danse à des rythmes effrénés, des petits groupes d’amis sont rassemblés çà et là et ça rigolent, ça boit et ça s’embrouille aussi, mais surtout, surtout ça vit. Les gens vivent en se fichant de ce qu’il se passera demain, en se fichant ce qu’il se passe aussi maintenant, ils vivent juste l’instant présent avec un effroyable aplomb que je leur envie. Je m’arrête aux abords du jardin, plusieurs jeux se déroulent un peu partout, des jeux d’alcools surtout, des actions et vérités, des ‘je n’ai jamais’, des jeux futiles où la parole se libère et les vérités éclatent créant une effervescence malsaine qui amuse, excite ou énerve. – Alors, Rose… C’est quoi le programme maintenant ? Une main dans la poche, l’autre qui tient le joint quasiment terminé, j’attends sa décision, me faisant son humble serviteur (et protecteur) pour la soirée.
Avec Harvey, on est pas toujours sur la même longueur d’onde, on se comprend pas toujours mais à chaque fois qu’il parle, je l’écoute avec attention et je respecte toujours son point de vue, même quand il est vraiment différent du mien. Mais c’est peut-être même ça qui rend notre amitié si intéressante. On parle beaucoup, on expose tous les deux notre point de vue et bien souvent on se rend compte qu’on est pas d’accord. Mais c’est pas grave. J’ai besoin de quelqu’un comme Harvey dans ma vie. Même si je suis sûre qu’il ne le sait pas, il m’aide beaucoup parce que j’ai pas confiance en moi. Sur tous les points. Mon physique ou la personne que je suis. Mais au fond, je ne suis pas heureuse et je l’ai jamais été. Et quand je vois comme ma vie est partie je commence à croire que le bonheur, je suis pas prête à le connaître. Alors petit à petit je me fais à cette idée, je me dis qu’il va falloir que je trouve un moyen, une solution qui m’aidera à avancer chaque jour, quelque chose qui me motive assez pour que je puisse me lever tous les matins. Je me sens faible et nulle aussi. Tellement nulle. Tellement faible. Aucune perspective d’avenir, rien. Contrairement à tous ces gosses de riche chez qui on s’est incrustés ce soir. Eux leur avenir est tout tracé. Jean-Charles, le grand blond à la chevelure soyeuse va faire une école d’ingénieur. Son meilleur ami Arthur va lui devenir un grand avocat de renommée et Louis sera neurochirurgien. À peu de choses près je suis sûre d’avoir raison pour tous les jeunes qui sont en train de boire, de rire, danser et se défouler parmi nous ce soir. Et moi ? C’est quoi mon avenir ? J’en sais rien. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression qu’Harvey lui il a plus de force que moi. Peut-être parce qu’il croit un peu plus en l’avenir que moi ? « Dis pas d’conneries, Rose. La force tu l’as, preuve en est que t’es là et qu’on fête ton anniversaire ce soir. » Peut-être même qu’il a assez de force pour nous deux, c’est ce que je me dis en l’écoutant me dire ça. « Toi aussi, t’es forte. Et tu ne vaux pas rien. » Est-ce qu’il a raison ? Est-ce que je ne vaux vraiment pas rien ? En tout cas ce qui est sûr c’est que j’ai vraiment très peu de valeur. À mes yeux déjà, et je suis sûre que c’est la même chose aux yeux de ma mère et sûrement aux yeux du reste du monde aussi. J’hausse doucement les épaules. Il est gentil, il dit certainement ça pour me remonter le moral. « C’est grâce à toi que je fête mon anniversaire. C’est quand le tien ? » Même si pour lui c’est pas grand-chose, il m’a offert un super cadeau d’anniversaire avec cette soirée et si je peux lui rendre la pareille en lui faisant oublier sa vie de merde pour son anniversaire c’est avec grand plaisir que je le ferai. Malheureusement la conversation qui suit n’en est pas moins déprimante, je sens bien que pour Harvey parler de son frère c’est vraiment pas facile mais il le fait quand même. Certainement parce qu’au fond il doit avoir besoin d’en parler à quelqu’un. Tout garder pour soi c’est jamais bon. Oui je sais moi qui dis ça c’est assez ironique sachant que j’enfouis mes sentiments et mes pensées pour moi et que je n’en parle jamais. Ou presque jamais. En tout cas je ne me gêne pas pour lui faire une confession : je n’ai jamais embrassé quelqu’un et je compte bien changer ça ce soir. Je ne sais pas pourquoi je lui dis tout ça et comment j’ai réussi à trouver le courage mais me voilà en train d’avancer vers le beau garçon tatoué sur qui j’ai flashé un peu plus tôt dans la soirée. Je crois que j’ai trop bu. Enfin en soit non, je n’ai pas bu tant que ça. Trois verres ? Et quelques shots ? Si je me souviens bien. Mais c’est la toute première fois de ma vie que je bois de l’alcool fort alors tout me monte très vite à la tête. Quand je reviens vers Harvey je constate qu’il semble avoir vendu tout son stock, mais je ne fais aucune remarque là-dessus, j’ai la tête dans les nuages et je souris comme une idiote. Il m’a embrassé. Et c’était bien. Vraiment très bien. J’ai envie de recommencer encore et encore et encore… « Il a l’air d’un parfait crétin, mais s’il embrasse bien, bon… » Je sens mes joues chauffer, je pose mes mains dessus comme une idiote et mon sourire ne quitte pas mes lèvres. Oh oui il embrasse bien j’en ai encore des papillons dans le ventre. « Il a pas l’air d’un crétin d’abord. » Je réponds d’un air presque boudeur mais tellement peu crédible puisque je suis encore en train de sourire comme une conne. « Et il est encore plus beau quand on est à quelques centimètres de lui. On voit mieux ses beaux yeux. » N’importe quoi. C’est officiel, je raconte n’importe quoi et je ne sais pas si c’est sous les effets de l’alcool ou si je suis encore sur mon petit nuage de bisounours – qui ne me ressemble pas – depuis ce magnifique baiser. Il m’entraîne avec lui dans la maison, je le suis sans broncher. « Maintenant qu’on a vendu toute la dope, on a le droit de s’éclater jusqu’au petit matin sans trêve alors… T’as envie de danser ? De prendre un bain de minuit ? J’ai entendu parler de la piscine à l’arrière dans l’jardin. Ça te tente ? » Danser ? Oui, non ça me tente moyennement. Par contre mon visage s’illumine quand je l’entends parler d’une piscine. « Oooooh !!! » Je m’arrête en plein milieu de ce salon bondé de monde tout en tapant dans mes mains d’un air un peu trop enthousiaste. « Ils ont une piscine c’est vrai ?! » Je pense que je cris un peu trop fort, même si le son de la musique est fort je suis pas obligée de gueuler comme ça. Mais je pense que je suis un peu bourrée – et j’ai fumé un joint donc est-ce que ça veut dire que je suis défoncée aussi ? – donc, je commence à faire des choses que je ne contrôle pas ou du moins, des choses qui ne me ressemblent pas. Je le suis jusqu’à la porte menant au jardin. J’y jette un rapide coup d’œil, les jeunes s’amusent, rient, et ouuh certains sont même en train de se peloter au bord de la piscine. J'observe un groupe d'amis s'amuser tout en écoutant Harvey reprendre la parole. « Alors, Rose… C’est quoi le programme maintenant ? » Je me mords la lèvre, un petit sourire en coin et je quitte le jardin du regard pour poser mes yeux sur mon ami. « SUIS-MOI. » Une nouvelle fois je cris presque et je lui attrape la main pour le tirer avec moi dehors. Il y a un peu moins de bruit, toujours un peu de musique mais le volume est bien moins irritant qu’à l’intérieur de la maison. Je lâche un long soupir et retire mes chaussures me retrouvant pieds nus dans l’herbe. « On peut jouer à action ou vérité ? » J’avance vers une table pas très loin d’un barbecue – ils auraient pu nous faire un bon barbecue d’ailleurs, je suis déçue – et nous attrape deux verres qui semblent propres. « Et si on refuse une action ou de répondre à une question on doit boire cul sec ! » Je me retourne vers lui et fièrement je lui tends un verre rempli d’alcool. « Je vais m’asseoir au bord de la piscine ! » Information inutile, mais je parle beaucoup. Déjà que je suis assez bavarde habituellement mais je pense qu’alcoolisée je le suis encore plus. Je tourne les talons pour m’avancer d’un pas rapide vers la piscine, je m’assieds au bord de celle-ci laissant mes pieds retomber dans l’eau fraiche. J’avais chaud alors ça devrait m’aider à me refroidir un peu, non ?
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ - C’est grâce à toi que je fête mon anniversaire. C’est quand le tien ? Oh Rose… J’aimerai avoir conservé cette innocence et cette naïveté qui te caractérisent et j’ai peur qu’elles te soient enlevés brutalement, en même temps que ton cœur si tu te décides de le céder à l’un de ses parfaits connards qui nous entourent. C’est inévitable, n’est-ce pas ? De souffrir à cause de l’amour. C’est la cause de tous les tourments ce sentiment merdique, n’est-ce pas ? C’est ce qui nourrit l’âme des poètes, ce qui déchire le cœur des écrivains, des peintres et des musiciens… L’amour, c’est ce qui nous aveugle et nous pousse à commettre des actes désespérés. – Le 1er février. Je réponds avec nonchalance tandis que la conversation prend une tournure bien fade et triste. Nos existences sont-elles vouées à la tristesse et à la souffrance ? Parfois, j’aime penser que ce n’est pas le cas, que quelque part dans ce monde un autre destin bien moins sombre nous attend ailleurs. J’ai envie de croire que nous pouvons devenir les maîtres de notre propre destinée, affronter toutes les tempêtes et les batailles pour un peu de répit, des lendemains plus légers et qui sait ? Peut-être que le bonheur croisera notre route un jour. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Il faut se contenter de survivre, de ne pas laisser cette chienne de vie nous abattre avant d’avoir réussi à respirer correctement, garder la tête hors de l’eau et flotter à la surface, voir où le courant va nous porter. Et c’est ce que nous faisons ce soir, finalement. Rose prends sa première cuite et je veille sur sa sécurité de loin, observant son ‘premier baiser’ avec un regard désabusé. Ils te briseront le cœur, ces garçons, ils te feront mal à l’âme, ils se joueront de toi et tu n’auras plus que tes yeux pour pleurer toutes les larmes de ton corps… Triste destin que celui de la jeune fille pleine d’espoir, qui les yeux brillants, revient auprès de son ami moqueur. – Il a pas l’air d’un crétin d’abord. C’est qu’elle serait presque adorable avec sa petite moue boudeuse, Rose, mais la voir si extatique devant ce branleur est légèrement pathétique. – Et il est encore plus beau quand on est à quelques centimètres de lui. On voit mieux ses beaux yeux. Je pouffe, ne pouvant me retenir face à ses dires. – Et de quelle couleur ils sont ? T’as pas fermé les yeux pour profiter des sensations ! Tss Tss, Rose… Je la taquine, l’embête un peu et la soirée prends des airs plus légers et frivoles. Ma dope écoulée, je décide de changer de pièce et de naviguer un petit peu dans la maisonnée pour trouver de quoi nous amuser désormais. C’est ce qu’on a gagné, à vendre toute cette merde, une entrée gratuite et quelques billets. Et pour nous deux, gosses désenchantés, c’est bien assez ! – SUIS MOI. Je ris alors qu’elle me tire par la main au-dehors, Rose, après avoir entendu le mot ‘piscine’ comme si ce dernier avait un effet magique. Sitôt prononcé, elle est devenue joyeuse et heureuse ce qui me laisse à penser qu’elle aime l’eau – tout comme moi, même si je ne sais pas nager. Je n’ai jamais pu me payer un cours de natation et j’ai toujours observé en rêvant les surfeurs qui domptent les vagues avec une facilité déconcertante sur nos plages. – On peut jouer à action ou vérité ? Dit-elle, en enlevant ses chaussures pour marcher pieds nus dans l’herbe. J’hausse les épaules, peu convaincu par le jeu proposé, mais je commence à être stone alors je réponds simplement un –S’tu veux, ouais. C’est le moment où ma concentration se fait la malle et où je me contente d’errer sans conviction ni volonté, ça m’arrive souvent après avoir écoulé de la came, et même si je reste sur mes gardes, je ne suis plus celui qui décide à présent. Alors nonchalamment, j’hoche la tête en essayant de retenir toutes les informations distillées par Rose qui semble toute excitée brusquement – alors que je suis carrément au ralenti. Je tire férocement sur mon choix en récupérant mon verre et je le porte sous mon nez pour le renifler et déterminer ce qu’il y a dedans. Comme ça ne m’inspire pas, et vu que je ne l’ai pas rempli moi-même, par mesure de précaution je le vide par terre et prends celui de la demoiselle pour le vider à son tour dans l’herbe d’un geste brusque. – On contrôle ce qu’on boit mademoiselle fo-folle ! Qui te dit qu’il n’y a pas de la drogue dans ce verre, hein ? Alors va t’assoir au bord de la piscine, moi j’vais chercher une bouteille qui n’a pas encore été ouverte, hum ? Je roule des yeux, comme si cette mesure de prévention était évidente – et ça l’est, mais Rose a encore beaucoup à apprendre sur ce genre de soirée. Je pénètre à nouveau à l’intérieur de la baraque et me munit d’une bouteille de vodka bon marché que je ramène au-dehors avec deux gobelets en plastique. Le joint toujours coincé entre les lèvres, j’avance au radar et m’approche de la piscine lentement en essayant de retrouver ma coéquipière de soirée. Mais elle n’est plus là, Rose. Elle a disparu et je n’ai absolument aucune idée d’où elle a pu aller. – Rose ? Et c’est un vent de panique silencieux qui enfle en moi alors qu’une multitude de films passe dans ma tête. Si elle s’est faite kidnappé ? Si elle a suivi un mec à l’étage ? Si elle est partie ? Putain mais Rose tu me fais quoi là ? La tension monte d’un cran et je gueule, bien plus fort cette fois : - ROSE ? Bordel mais t’es où ? Une bande de nanas se tourne vers moi, et m’observe de la tête aux pieds avant de ricaner. Il est clair que je n’ai pas l’allure d’un gosse de riche et il n’est pas difficile de me reconnaître comme le squatteur de soirée que je suis, mais je n’y prête aucune attention pour le moment car c’est la peur qui m’envahit. Pitié, qu’elle ne soit pas à l’étage avec des mecs ! Pitié que ce soit une blague tout ça !
Premier février. J’essaie de retenir sa date de naissance même si je suis persuadée que c’est peine perdue déjà parce que j’ai pas une mémoire à date mais aussi parce que j’ai sûrement trop bu pour me rappeler du jour de son anniversaire. J’hoche doucement la tête. De toute façon pour des gosses comme nous un anniversaire ça ne vaut pas grand-chose. J’aurais pu aimer fêter mon anniversaire. Je pense que si j’étais une gamine comme les autres c’est quelque chose que j’adorerais. Quand on est dans une famille aimante, quand on a une mère un père, des frères et sœurs à faire chier et des vrais amis on organise une fête, on nous offre des cadeaux. Et c’est surtout ça qui me manque je pense. Des cadeaux. Des vrais. Quinze ans d’existence. Quinze années à essayer de s’en sortir, je survie. Je ne vis pas ma vie comme que j’ai toujours rêvée mais en même temps je pense avoir arrêter de vivre depuis bien trop longtemps. Dès que ma mère a commencé à me répéter tous les jours en boucle les signes majeurs pour détecter une invasion d’extra-terrestres j’ai compris que ma mère était complètement tarée et que je n’allais pas avoir la meilleure des vies. Mais je fais avec et aussi déprimant que cela puisse paraître je pense qu’il y a pire que moi et que je n’ai pas le droit de me plaindre. Alors pour oublier cette vie de merde que je trimballe avec difficulté derrière moi ce soir j’ai envie d’oublier et apparemment avec l’alcool c’est assez facile à faire. Il suffit que je boive encore et encore sans m’arrêter, non ? Et boire comme ça me fait faire des choses que je n’aurais jamais pu faire sans alcool. Je me décide à aller voir ce beau mec pour qu’il m’embrasse. Et j’y arrive ! Quelques minutes plus tard mes lèvres sont contre les siennes et sa langue dans ma bouche – pour la première fois de ma vie ! – Embrasser ça provoque tout un tas de sensations dont je n'imaginais pas l’existence. « Et de quelle couleur ils sont ? T’as pas fermé les yeux pour profiter des sensations ! Tss Tss, Rose… » Je fronce les sourcils et pose un doigt sur mes lèvres, je réfléchis. Ils étaient de quelle couleur ses yeux déjà ? Merde alors. Ah oui ! Je sais ! Je me souviens ! « Noirs ! » Je cris presque comme si je venais d’avoir une révélation. « Il a les yeux noirs ! Ça lui donne un côté mystérieux. » N’importe quoi. Je dis n’importe quoi et je crois que c’est la preuve que je suis complètement bourrée. On quitte assez vite la cuisine et Harvey me parle d’une piscine et je saute presque de joie en entendant ce simple mot. Je meurs d’envie de sauter dedans alors que je ne l’ai même pas encore vue. Sans plus attendre j’entraîne Harvey à l’extérieur avec moi en le tirant par la main. Je lui propose un action ou vérité – un peu au hasard honnêtement parce que je n’ai pas beaucoup d’idées – et je me retrouve maintenant à pieds nus dans l’herbe parce que merde, on est beaucoup mieux comme ça. « S’tu veux, ouais. » Oui je veux. Je souris soudainement un peu trop excitée par l’idée de ce nouveau jeu et je lui balance quelques règles de merde il ne dit rien alors je suppose qu’il accepte. Je trouve des verres déjà remplis et ça me va très bien, alors je lui donne le sien pour garder le mien pour moi. Harvey sent son verre, je fronce légèrement les sourcils et mon incompréhension est d’autant plus palpable quand il en vide son contenu dans l’herbe et répète son geste avec le mien. Je le regarde légèrement choquée, la bouche un peu ouverte – je dois avoir l’air ridicule – « On contrôle ce qu’on boit mademoiselle fo-folle ! Qui te dit qu’il n’y a pas de la drogue dans ce verre, hein ? Alors va t’assoir au bord de la piscine, moi j’vais chercher une bouteille qui n’a pas encore été ouverte, hum ? »Oh. Il a raison. Heureusement qu’il est là. J’hoche la tête de haut en bas. « T’as raison. Désolée. Je crois que je suis un peu bourrée je fais n’importe quoi. » Mais il ne peut pas m’en vouloir, c’est pas de ma faute c’est à cause de l’alcool. Je m’éloigne de lui pour prendre la direction de la piscine au bord de laquelle je m’assieds les pieds trempant dans l’eau tiède. Le regard perdu fixant un point imaginaire dans l’eau j’attends Harvey. Sagement. Comme il me l’a demandé. Jusqu’à ce qu’une voix que je connais un peu me sorte de mes pensées. « Hey. Ça va ma belle ? » Je tourne la tête pour me retrouver en tête avec monsieur tatouages. Je souris tout en replaçant une mèche de cheveux derrière on oreille. « Ça va. J’attends Harvey. Il est parti nous chercher à boire. » Je lui dis, comme s’il connaissait Harvey. Je le vois froncer les sourcils. « C’est qui Harvey ? Ton copain ? » Là je ne peux pas m’empêcher de rire doucement. Je secoue la tête. « Non, c’est juste un pote. » Et en plus il est gay, Harvey. Ça je viens de l’apprendre, mais je garde cette information pour moi. De toute façon il ne connait pas Harvey. Je sens ses doigts se poser sur mon épaule qu’il commence à caresser doucement. « Tout à l’heure tu m’as dit que t’étais musicienne non ? Tu veux que j’te montre mes guitares ? Elles sont dans ma chambre. J’suis sûr que tu vas les aimer. J’peux même te laisser les essayer. » Mon regard se pose sur sa main. Je suis moyennement à l’aise avec ce contact physique et je sais que ça peut paraître étrange parce qu’il y a dix minutes ce mec m’a roulé une pelle mais là les circonstances sont différentes. « Je sais pas… J’aimerais bien mais Harvey va revenir. Il est juste parti me chercher à boire. » Je lui répète. Il me tend son verre et je suis à deux doigts de le prendre pour boire mais je me souviens des mots d’Harvey juste avant qu’on se sépare et je secoue la tête pour refuser sa boisson. « On monte et si on l’voit sur le chemin tu lui diras que tu t’absentes un peu ? » Il s’est levé et il me propose sa main pour m’aider à faire de même, mais je me relève seule refusant son aide. J’ai pas besoin qu’on m’aide à me lever, je suis pas encore aussi bourrée. « Non. Si je le trouve pas je monte pas. » Je le sens agacé mais il accepte et on s’éloigne de la piscine. Il m’emmène plus loin dans le jardin en prétextant que mon ami serait peut-être là. Mais personne. « ROSE ? » J’entends sa voix au loin et je me retourne presque immédiatement. « C’est lui ! » Je dis à ce mec qui commence à beaucoup trop me coller. Il m’énerve. Il ne me connait pas et il ne sait pas encore qu’il vaut mieux éviter de me faire chier. J’essaie de me frayer un chemin parmi toutes les personnes qui me séparaient de là où j’ai cru entendre sa voix. Je lâche un soupir de soulagement en le voyant proche de la piscine et j’avance rapidement vers lui. « Harvey ! » Je sens les mains du mecs glisser sur le bas de mon dos. Ah non, là c’est trop. Je me retourne vers lui et je le regarde, furieuse. « Putain mais lâche-moi ! » Cette fois je cris, peut-être un peu trop. Je le pousse et je fais un pas en arrière me retrouvant cette fois à côté d’Harvey. Le trou du cul cogne un de ses amis et vide son verre sur la chemise du pauvre mec qu’il vient de bousculer. « Attends...c’est lui ton copain ? » Il dit ça d'un air moqueur tout en pointant Harvey du doigt. Je lève les yeux au ciel. Monsieur tatouages ne semble pas vouloir lâcher l’affaire et il s’avance encore un peu vers nous. Je crois qu’on est dans une sacrée merde par ma faute.
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ La sécurité : ce concept barbant derrière lequel on finit tous par se réfugier car la peur est ce qui nous rend, fondamentalement, humain ; la sécurité, c’est qu’on recherche tous. La peur de manquer, d’être blessé, de finir seul : ce sont ces peurs qui inscrivent en nous un fort besoin de sécurité et la dépendance à ce dernier. Elles nous poussent bien souvent au bord du précipice, provoquent la chute et impulsent l’échec. Alors pour contrer ces forces paralysantes, nous renforçons notre sécurité à chaque instant, par l’analyse et par l’intelligence, avec précaution et anticipation. C’est ce que je fais lorsque je subtilise le verre de Rose et le remplace par un vide, car nous avons beau être dans une belle baraque, entourés par des personnes ‘biens sous tous rapports’, personne ici ne m’inspire confiance pour la simple et bonne raison que tout peut arriver dans ce genre de soirée. Un mec qui fait une overdose, un autre qui tombe dans la piscine trop alcoolisé et qui se noie, des gars qui s'battent, des filles qui s'font abuser sans même s'en rendre compte parfois... L'alcool et la drogue circulent, en libre-service, dans les rangs et ces deux maux sont connus pour réveiller les pires instincts. Faut dire que j'en ai vu certains péter de sacrés câbles une fois sous leur emprise, et c'est pas beau à voir, ça non ! En foyer, y'a souvent des connards qui viennent gueuler dans l'couloir à des heures pas possibles et on peut assister à de sacrés scènes incroyables. Comme la fois où un jeune un peu cinglé s'est inventé paysagiste avec son éminceur de 35 centimètres et a ruiné tout le jardin en braillant comme un demeuré, et nous avions assistés à la scène en attendant les flics, impuissants et hilares, blasés et désintéressés par le coup de folie de notre camarade. Drogué, il l’était, et ça lui avait fumé le cerveau, si bien qu’on n’a pas eu l’occasion de le revoir par la suite… Qu’advient-il de ceux qui dérangent ? On ne le saura jamais vraiment, mais peu importe. Je fais toujours attention, habitué à surveiller mes arrières et à ne compter que sur moi-même. L’alcool avec modération, la fumette de même et jamais rien de plus fort car j’ai besoin d’un minimum de lucidité pour assurer ma sécurité – et celle de Rose ce soir, car je me considère comme responsable d’elle. A partir d’un moment, lorsque tu bois (ou que tu fumes), tu n’es plus en sécurité car tu perds le contrôle. Et là, t’as deux options : soit t’as confiance en celui qui t’accompagne (comme Rose a confiance en moi), soit tu te fiches éperdument de ce qui peut bien t’arriver et tu laisses le loisir aux autres de décider à ta place (et j’en suis pas encore là). Elle me dit « désolé » Rose, mais je n’ai rien à lui excuser. Elle n’a pas les codes encore et c’est bien normal, car c’est la première fois qu’elle met les pieds dans une fête comme celle-là. Et il est facile de perdre pied, de croire qu’on se fond dans le décor à merveille, qu’on est comme n’importe quel gamin jeune et insouciant qui s’amuse. C’est grisant de penser qu’on peut être comme tout l’monde, qu’on fait illusion. C’est grisant mais c’est faux, car on est repérés depuis longtemps, nous les deux adolescents mal fagotés de la soirée, nous qui portons dans nos regards tristes les stigmates d’une vie déjà trop difficile pour nos frêles épaules, nous dont les démarches semblent affaissés, attirées inexorablement vers le bas, nous qui suffoquons à chaque instant. La lutte est inscrite partout sur nous, et ici, au milieu de tous ces petits connards arrogants, elle pourrait aussi s’appeler « la honte ». Aussi, je ne suis pas étonné du manque de solidarité lorsque, la peur au ventre, je crie le prénom de Rose pour la retrouver. Il s’inquiète pour sa copine le paumé ? Il ne pourrait pas tenter de ne pas trop se faire remarquer, il fait tâche dans le décor. J’ai bien conscience de ce qu’ils peuvent penser, mais pour le moment, ça n’a aucune importance – à vrai dire, ça n’aura jamais aucune importance à mes yeux ; il faut à tout prix que je retrouve Rose. Et dans ces moments là, tout va très vite, les scenarii s’enchaînent à une vitesse folle mais s’arrêtent brusquement lorsque j’entends – Harvey ! Je me retourne alors et découvre une Rose agacée, en train de fuir son beau tatoué qui la colle d’un peu trop près… Il a de beaux yeux, il embrasse bien mais il a d’autres plans prévus en tête aussi. – Putain mais lâche-moi ! Elle le pousse et il s’étale sur ses potes avant de se redresser, désorienté et de cracher : - Attends… c’est lui ton copain ? Et nous y voilà, à la rupture, au moment où les différentes classes sociales se jaugent, se jugent, se méprisent et se dédaignent. Il n’y a plus rien à espérer de la soirée en ce qui nous concerne et je lève les yeux au ciel, passe un bras autour de Rose et déclare simplement – C’est bon, on s’taille. J’veux pas que ça finisse en bagarre, j’veux pas user mes poings sur ces connards, la fête est finie et on rentre au bercail. C’est ce qui devrait se passer, mais ce n’est pas ainsi que l’entends notre hôte. Sa main se plaque en travers de mon torse et me stoppe dans mon avancée. Je retiens difficilement la colère qui s’empare de moi et le rouge me monte aux joues. – T’as ramené ta coke et ta pute, faut nous laisser consommer maintenant. Mon regard se fige dans le sien. Affront. Silence angoissant. Les secondes défilent lentement, mais je détaille tout ce qui se trouve autour de nous. Le grillage, les bosquets, le mur d’enceinte de la baraque de bourge. – Elle fait pas partie du lot. Je gagne du temps, l’issue ne changera pas à présent. – Tu l’as ramené, c’est toi qu’a pris le risque. J’inspire profondément, ma main à la poigne ferme vient saisir le t-shirt du tatoué en face de moi. – L’argent fait pas tout connard. Et la chirurgie ne réparera pas ton nez. – Mon … quoi ? Je lève le genou, saisis le tatoué par les épaules et son visage s’explose sur mes os .Un craquement sonore suit l’action. Je le pousse brusquement et attrape le bras de Rose pour l’inciter à courir à présent. – SUIS-MOI ! VITE ! Il n’y a pas une minute à perdre, et tandis que les plus proches se rassemblent autour de la victime, d’autres commencent déjà à nous filer au train. Arrivés au fond du jardin, je fais la courte échelle à Rose pour grimper sur le muret et saute dessus à mon tour. Nous évitons de justesse une bouteille en redescendant dans la ruelle de l’autre côté et je lui attrape la main pour continuer de courir et nous tailler de là en vitesse. Ce n’est qu’après plusieurs pâtés de maison que je ralentis la course et m’arrête pour récupérer mon souffle, à moitié hilare. Je crache au sol, essuie ma bouche d’un revers de manche et observe Rose les yeux rieurs. – Et bah putain, il l’aura pas volé celui-là ! Je me relève, sors une clope de mon paquet et demande – ça va toi ? J’suis pas trop inquiet, même si Rose est une novice pour beaucoup de choses, je ne pense pas qu’elle se soit fait beaucoup d’illusions sur la soirée. – J’crois que j’ai un peu abîmé ton beau-gosse au fait. Mais je ne vais surement pas m’excuser pour ça, il le méritait.
Généralement avec Harvey je me sens en confiance et j’ai l’impression que rien ne peut m’arriver quand je suis avec lui. Mais sur un coup de tête, prise dans un élan de folie je m’éloigne un peu trop de lui alors qu’il est simplement parti nous chercher à boire. J’ai été un peu conne sur le coup je le sais c’est sûrement ce que vous êtes en train de vous dire d’ailleurs et vous avez raison. Mais je pars, je m’éloigne parce que le mec sur qui j’ai flashé tout à l’heure m’attire au fond du jardin et je le suis sans trop de me poser de questions parce que je ne vois pas vraiment ce qu’il pourrait m’arriver. Rien de bien grave, en tout cas c’est avec ça en tête que je suis mon beau tatoué. Sauf que plus les secondes, les minutes passent, plus il se montre lourd et insistant et j’ai beau lui faire comprendre qu’il me fait chier il continue. Les hommes me pensent qu’avec leur bite, j’aurais dû m’en souvenir mais pourtant j’ai été aveuglé par ses beaux yeux, ses tatouages et ce super baiser qu’on a échangé tout à l’heure. Dans tous les cas j’ai envie de partir, j’ai envie qu’il me lâche mais il ne comprend pas. Ou bien il s’en fiche tout simplement, je ne sais pas. Je regarde à droite, à gauche, je cherche Harvey, il n’est pas là je ne le vois pas et je commence presque à paniquer un peu. Je m’en veux je suis conne je n’aurais jamais dû m’éloigner à ce point de lui et maintenant me voilà seule dans ce milieu que je ne connais pas du tout. Ce mec qui semble un peu trop intéressé par moi. Le truc c’est que à moi aussi il me plaît, mais les choses vont bientôt trop vite pour moi. Il insiste pour me faire monter dans le but de soi-disant me montrer ses guitares mais c’est pas pour autant que je cède. Je lui dis que je ne montrerai pas avant d’avoir vu Harvey il est agacé mais il semble plus ou moins accepté et ce n’est que dans j’entends la voix d’Harvey que je commence à me sentir un peu soulagé, je m’avance à grands pas vers lui mais le beau tatoué ne me quitte pas d’une semelle et il est toujours en train de me coller. Il m’énerve, je le pousse et il tombe comme une merde sur ses potes j’aurais presque envie de rire mais j’en ai pas vraiment le temps parce qu’il commence à provoquer Harvey. « C’est bon, on s’taille » J’acquiesce les paroles d’Harvey et alors que je m’apprête à tourner les talons pour partir au plus vite monsieur tatouages nous stoppe dans notre élan en posant sa main sur le torse d’Harvey. « T’as ramené ta coke et ta pute, faut nous laisser consommer maintenant. » Ta quoi ? Ce trou du cul vient vraiment de me traiter de pute ? « La pute elle t’emmerde, connard. » Ça y est on en vient aux insultes ? Aux méchancetés ? Moi aussi je peux être méchante quand je le veux, j’ai même aucun mal à l’être, je peux être une vraie garce et appuyer là où ça fait mal je suis assez forte pour ça même. Mais Harvey ne parle pas, je ne sais pas ce qu’il fout mais il reste silencieux, je souffle tout en croisant mes bras sur ma poitrine ne baissant pas le regard. Non ce mec ne me fait pas peur et je compte bien le lui prouver. « Elle fait pas partie du lot. » Ah bah quand même. Je fixe le gros lourd devant moi, je ne dis rien je ne bouge plus et j’attends. Je ne sais pas ce que j’attends d’ailleurs, on ferait mieux de se casser avant que tout ne dégénère. « Tu l’as ramené, c’est toi qu’a pris le risque. » J’ai envie de lui en foutre une, et je ne sais vraiment pas ce qui me retient d’ailleurs. Mais Harvey s’en charge pour moi, il s’avance vers le type et le saisit par le t-shirt. « L’argent fait pas tout connard. Et la chirurgie ne réparera pas ton nez. » Un petit sourire, certainement assez provocateur se dessine sur mon visage alors que le tatoué commence à bégayer, il comprend rien à ce qui lui arrive, quel con. C’est presque amusant pour moi. Non en fait ça l’est carrément. Je lâche un petit rire amusé, ne cachant pas ma joie de le voir dans une situation merdique. Et le reste se passe beaucoup trop vite Harvey l’attrape par les épaules et le visage – pourtant si beau – du tatoué rencontre le genou de mon ami. C’est si plaisant à voir sauf que je n’ai pas le temps d’apprécier la scène et de le voir souffrir le martyr après cette altercation costaux puisqu’Harvey m’attrape le bras et nous sommes maintenant en train de courir. Je cours aussi vite que je le peux mais je me retourne un instant pour constater que celui qui me faisait craquer il y a encore vingt minutes était en train de pleurnicher devant ses amis tandis que d’autres nous courent déjà après. Harvey m’aide à monter par-dessus un muret et je pousse un petit cri quand une bouteille frôle le haut de mon crâne. Je cours vite, aussi vite que je le peux en tout cas mais je suis quand même derrière Harvey mais au bout d’un moment on finit par s’arrêter. Je suis tellement essoufflée que j’ai l’impression d’avoir couru pendant des heures et des heures. Je tousse plusieurs fois. Je meurs de chaud. « ça va toi ? » Je pose mes mains sur mes hanches pendant que je reprends petit à petit mon souffle, je lève un peu les épaules. « Ouais ouais ça va… J’me faisais pas vraiment d’illusions de toute façon. » De pouvoir passer une soirée tranquille ou bien qu’un beau mec comme ça s’intéresse à moi. Je prends l’élastique que j’avais laissé autour de mon poignet pour me faire une queue de cheval et sa réflexion m’arrache un rire. « J’crois que j’ai un peu abîmé ton beau-gosse au fait. » Bien fait pour lui. Ce mec était un connard. Les beaux mecs sont tous des connards de toute façon. « Au moins tu lui auras laissé un beau souvenir. » Je lui réponds un sourire aux lèvres. Le tatoué a sûrement son nez cassé mais de toute façon, il l’a bien cherché. Mon regard se baisse sur mes pieds qui sont encore nus. Merde. Jamais je n’aurais dû enlever mes chaussures pour marcher pieds nus dans l’herbe. Je grimace en relevant les yeux vers lui. « Mes chaussures… » Un petit moue se dessine sur mon visage alors que je lâche un long soupir désespéré. « J’ai trop la poisse. » Enfin bon je commence par avoir l’habitude de toute façon. « Merci de m’avoir aidé, t’es mon héros. J’avais aussi envie de le frapper mais j’suis pas sûre que j’aurais été aussi efficace que toi. » Ce qui me donne d’ailleurs envie de me lancer dans des cours de boxe ou à la limite de self décence. « J’pense qu’on a assez foutu la merde et qu’on devrait rentrer. » J’aurais pas eu la soirée d’anniversaire dont je rêvais mais au moins je me suis bien amusée même si j’aurais aimé une fin différente. Il a fait ce qu’il pouvait pour me faire oublier ma vie de merde le temps d’une soirée, et c’est déjà énorme.
"THE ICEBERG IS A REFLECTION OF YOU WHEN YOU RENEW YOUR VISION JUST THINK IF IT HAD SUNK TITANIC WHAT THE FUCK WOULD YOU DO TO A CRITIC ? YEAH YEAH TELL ME WHEN DOVES CRY DO YOU HEAR’EM LOVE ? DO YOU HEAR’EM ? AND IF MY SHIP GO DOWN TELL ME WHO WILL ABORT ? AND THEY WON’T LET ME LIVE EVEN WHEN WE MUSTARD THE GIFT WHEN IT GON’ REJOICE AND FORGIVE, TELL ME HOW I STAY POSITIVE WHEN THEY NEVER SEE GOOD IN ME EVEN THOUGH I GOT HOOD IN ME DONT MEAN HE WON’T REDEEM ME, LORD ► KENDRICK LAMAR, AUTUMN LEAVES"
→ Un nuage de fumée s’échappe de mes lèvres alors que j’observe Rose, pieds nus et les cheveux en bataille. Elle dégage quelque chose d’innocent et de dangereux ce soir, Rose et ce contraste est plutôt surprenant, comme si à tout moment elle pouvait basculer d’un côté ou de l’autre. Sommes-nous à un carrefour de nos vies, comme les adultes aiment nous le répéter constamment ? Quelle voie allons-nous emprunter ? Quelle sera la tienne, Rose ? – Ouais, ouais ça va… J’me faisais pas vraiment d’illusions de toute façon. J’hausse les épaules et réponds simplement – On ne fais pas partie du même monde qu’eux, et même si on le voudrait, on arriverait pas à leur ressembler. Tu sais, parfois je me dis qu’ils sont chanceux ces cons, que j’aimerai bien être à leur putain de place et ne pas m’en faire tout le temps… Mais faut avouer, ils savent pas se battre ces mecs, ils ont pas la rage comme toi et moi. C’est eux qui peuvent pas nous comprendre. Et je les emmerde. J’emmerde leurs baraques immenses, leur fric, leurs avantages, leurs manières et leurs conneries. Je les emmerde, parce que je préfère être libre finalement. Libre de courir au beau milieu de la nuit, libre de fuir, libre d’oublier, de me faire oublier, libre de tout et de rien à la fois. Je respire, je vis. – Au moins tu lui auras laissé un beau souvenir. Un nez cassé, ça laisse une marque à vie, en effet. C’était peut-être pas le plus intelligent à faire, et je risque de ne plus être convié à ce genre de soirées, mais peu importe. Fallait le remettre à sa place, ce petit con alors je lui ai secoué le cerveau. – Mes chaussures… J’ai trop la poisse. – Tu ne t’en rends compte que maintenant ? Je pouffe, amusé. L’adrénaline a dû lui faire pousser des ailes. Je me penche alors, m’accroupis au sol et lui dit – Allez, grimpe ! J’insiste alors qu’elle hésite, puis elle finit par prendre place sur mon dos et je marche tranquillement vers notre lieu de résidence, à présent pressé de retrouver mon lit. – Merci de m’avoir aidé, t’es mon héros. J’avais aussi envie de le frapper mais j’suis pas sûr que j’aurais été aussi efficace que toi. Je ris, légèrement. – Si tu veux frapper, ne retiens jamais tes coups. Si tu retiens, c’est toi qui te fais mal. A partir du moment où tu décides d’entrer dans la bagarre, faut y aller à fond. L’hésitation, c’est ce qui fait défaut à un bon nombre d’entre nous. Et je le sais pour me battre depuis un bon moment déjà. Quand on vit à moitié dans la rue, à moitié dans des foyers, on apprend très vite à se battre et à parler avec les poings. – J’pense qu’on a assez foutu la merde et qu’on devrait rentrer. J’hoche la tête, avance tranquillement tout en fumant ma clope en prenant la direction du foyer. – J’pensais pas sortir en boîte, t’inquiète. J’suis crevé en plus ! T’es contente de ton anniversaire j’espère ? Ça valait le coup au moins ? Puis j’ajoute, amusé – Puis même si c’était un con, t’as embrassé un mec pour la première fois ce soir et t’es presque totalement bourrée ! Presque ou totalement d’ailleurs ? Me vomis pas dessus hein ! J’ai trop la flemme de prendre une douche en rentrant là…
Même quand je suis censée passer une soirée incroyable elle se transforme en véritable catastrophe comme si l’univers prenait un malin plaisir à me faire un bras d’honneur histoire de me rappeler que je suis une grosse merde qui n’aura jamais droit à ne serait-ce qu’une soirée de répit. Apparemment c’est trop demander quelques petites heures de tranquillité. « On ne fais pas partie du même monde qu’eux, et même si on le voudrait, on arriverait pas à leur ressembler. Tu sais, parfois je me dis qu’ils sont chanceux ces cons, que j’aimerai bien être à leur putain de place et ne pas m’en faire tout le temps… Mais faut avouer, ils savent pas se battre ces mecs, ils ont pas la rage comme toi et moi. » Moi je rêve d’être à leur place. Vivre sans avoir à se soucier de quoique ce soit, se dire que quoiqu’il arrive tout se passera bien pour nous parce que nos parents ont l’argent pour nous payer de supers études. Ils ont de la chance ces cons. Tout est une question de chance. Et clairement en arrivant au monde avec une mère complètement tarée et un père inconnu au bataillon on peut dire que je partais mal dans la vie. C’est comme ça. C’est la vie. C’est injuste. J’ai la rage contre la vie que je mène mais pourtant je ne fais rien pour l’améliorer. « Pourquoi on se sent obligés de toujours mettre des gens dans des cases ? Les riches et les poisseux de l’autre côté ? On devrait pas faire de différence, on devrait tous être égaux. C’est pas juste. » Je ne réponds pas vraiment à ce qu’il vient de me dire et je relance un nouveau débat sûrement parce que je suis fatiguée, blasée, triste et un peu bourrée. Un peu beaucoup bourrée. Pour la première fois de ma vie j’ai bu ce soir. Et comme pour continuer la soirée de la poissé je me rends compte que j’ai laissé mes chaussures dans le jardin parmi tous ces gosses plein aux as. « Tu ne t’en rends compte que maintenant ? » Je lui réponds simplement en haussant les épaules tout en le regardant d’un air dépité. Mais cet air dépité laisse rapidement place à une légère incompréhension que je le vois se mettre accroupis au sol. Je fronce les sourcils et il me faut quand même une poignée de secondes pour comprendre qu’il m’invite à grimper sur son dos. « Allez, grimpe ! » Après avoir réfléchi quelques secondes je prends place sur son dos tout en riant légèrement. Je ris sans trop savoir pourquoi sûrement la preuve de mon taux d’alcoolémie un peu trop élevé. Mais je rigole quand même et c’est pas quelque chose qui arrive si régulièrement que ça alors ça me fait du bien. Parce que même si cette soirée ne s’est pas terminée comme prévue, ce soir je me sens plus légère et c’est en partie – complètement même – grâce à Harvey alors je le remercie laissant place à un petit instant émotion qui ne me ressemble pas du tout « Si tu veux frapper, ne retiens jamais tes coups. Si tu retiens, c’est toi qui te fais mal. A partir du moment où tu décides d’entrer dans la bagarre, faut y aller à fond. L’hésitation, c’est ce qui fait défaut à un bon nombre d’entre nous. » J’hoche la tête peut-être un peu trop énergiquement pour quelqu’un de bourrée et je m’en rends compte seulement après. Je fronce une nouvelle fois les sourcils tout en posant une main sur mon front et dès que je récupère totalement mes esprits je lui réponds. « Dis, t’accepterais de m’apprendre à me battre ? » Me montrer comment donner des coups, des vrais, ceux qui font mal. Comme il l’a fait à monsieur tatouages. Je veux savoir faire ça, je veux être capable de me défendre toute seule parce qu’Harvey ne sera pas toujours là pour moi et m’aider. « J’pensais pas sortir en boîte, t’inquiète. J’suis crevé en plus ! T’es contente de ton anniversaire j’espère ? Ça valait le coup au moins ? Puis même si c’était un con, t’as embrassé un mec pour la première fois ce soir et t’es presque totalement bourrée ! Presque ou totalement d’ailleurs ? Me vomis pas dessus hein ! J’ai trop la flemme de prendre une douche en rentrant là… » Oh sortir en boîte ! En voilà une bonne idée ! Pas pour ce soir mais il vient de me mettre une idée en tête pour notre prochaine sortie de la maison de la torture – le foyer quoi. – Et je vous assure que j’en fais pas trop en l’appelant comme ça. Je lâche un petit rire avant de me mordre la lèvre et j’ébouriffe ses cheveux juste pour l’emmerder. Chose que je n’aurais jamais fait si j’étais sobre, en général j’évite tout contact trop rapproché avec tout le monde. « Je crois que je suis un peu bourrée tout à l’heure j’ai hoché la tête trop vite et ça m’a foutu la nausée. » Et non je vous assure que sur le coup je ne me rends pas compte que ma phrase peut être un peu ridicule. « Mais promis je vais pas te vomir dessus ! » Promis je vais essayer de ne pas te vomir dessus aurait sûrement été plus approprié. « Mais oui j’ai passé une bonne soirée et j’ai trop aimé l’embrasser même si c’était un con il était quand même doué. Enfin je crois. Comment on sait qu’un mec est doué pour embrasser ? » Rosalie Lovegood la reine des questions cheloues et apparemment encore plus quand je suis bourrée. Mais au moins je ne me fatigue pas, je me laisse faire le chemin jusqu’au foyer et j’ai bien peur qu’on passe un sale quart d’heure demain matin d’ailleurs. Mais ça m’est égal. « Ça va je suis pas trop lourde ? » D’un naturel déjà assez bavarde j’ai peur d’être encore pire là-dessus quand je bois, au moins il le saura pour la prochaine fois. Oui parce qu’il y aura une prochaine fois c’est décidé.