Au pays de Candy

@Roxanne Tremblay & Léonie Tremblay

Enfin... je prends ma revanche ! D'habitude, c'est moi qu'elle traîne dans des événements ou soirée qui ne me bottent absolument pas, et qui tire une tronche horrible, qui bonde tout le temps.
Aujourd'hui, j'ai réussi à amener Roxanne faire un tour à la Gay Pride. Elle traîne des pieds depuis que nous sommes arrivées au village Arc-en-ciel. Je ne sais pas si c'est parce qu'elle ne se sent pas dans son élément ou si c'est parce qu'elle ne voulait pas sortir. Hmm... non. Roxanne, ne pas vouloir sortir ? Ce serait trop bizarre. Je pense plutôt que ça la dérange !
Personnellement, je m'y sens bien ! J'y vois plein de personne qui assument fièrement ce qu'elles sont. Je les envie quand même un peu. J'aimerais bien, moi aussi, pouvoir me promener en mode Dominatrice dans les rues, comme si de rien n'était. Sans récolter de regards suspicieux, de jugements, d'injures ou de menaces.

Avec Roxanne, nous nous promenons depuis le début de l'après-midi. Je commence à avoir faim. Du coup, je tire Roxanne par le bras et l'amène du côté des stands de bouffe.
Quand on avait traversé le coin repas tout à l'heure, j'avais vu un stand appétissant. Alors j'ai bien envie d'une pause à ce stand. J'aime bien son nom : "Au pays de Candy". Il est rose, comme mon donjon ! Dans les vitrines réfrigérées, se trouvent une montagne de magnifiques cupcakes arborant les couleurs de la Gay Pride... et pour servir tout ça, une créature en robe roses et aux longues jambes. Sur sa robe, un écusson avec un nom : Candy. Et à en juger par sa pomme d'Adam, Candy est un mec. Pourquoi les mecs qui se travestissent ont-ils généralement des jambes aussi belles ! Merde, quoi ! Je suis une nana et je ne suis pas fichue d'en avoir d'aussi longues ! Je suis JA.LOU.SE !
Tant pis, je vais me consoler avec à manger.
"Candy ?" interpellai-je en agitant une main. "Bonjour, deux cupcakes Pride et deux eaux gazeuses, s'il vous plait".
La serveuse me répond poliment avec une voix rauque et enraillée. Elle me sert, je la paye et je rejoins Roxanne que j'ai planté à une table.

Je pose un cupcake et une boisson devant elle. Je m'installe et commence à manger mon gâteau. "J'ai le monopole de la tête de ronchon, alors fais pas cette tronche et mange !" lui dis-je en fronçant les sourcils. "Tu m'as dit que tu n'avais rien de prévu aujourd'hui, de toute façon. Et si tu voulais vraiment pas venir, tu n'avais qu'à pas venir !"

Au pays de Candy

@Roxanne Tremblay & Léonie Tremblay

Je souris. Je l'ai piégé en beauté ! Je sais qu'elle déteste les festivals où il faut marcher, marcher et encore marcher. Mademoiselle Roxy préfère faire du surplace dans les boites de nuit. Désolée, créature nocturne. Je te fais marcher de jours. Elle m'agace à s'enfermer dans ces clubs surpeuplés ! C'est mal fréquenté. Je sais qu'on n'a pas la même définition du mot "fête". Mais pour moi, se dandiner un verre d'alcool à la main, crier pour se faire entendre de ses amis, se faire reluquer par des mecs comme un morceau de viande... ce n'est pas s'amuser. En tout cas, pas pour moi ! Je préfère encore une soirée confortable avec deux trois amis autour de jeux et d'un repas fait maison. Se voir pour parler entre nous, de nous. Ou pour critiquer les autres, c'est pas mal non plus... C'est ça, de l'amusement pour moi. C'est ça, du temps utiliser judicieusement. Je l'aime, ma Roxanne. Mais quand elle fait sa jet-setteuse, elle me court sur le haricot !
"Tu n'es pas un vampire, que je sache. Tu n'as pas besoin de t'enfermer dans un night club. Un festival de jour ne te tuera pas. Il n'y a pas qu'en boite qu'on peut s'amuser. D'ailleurs, en boite, tu bois et tu dragues. Tu ne t'amuses pas vraiment. Mange ton cupcake... il n'était pas gratuit et pas donné !"

Je fronce les sourcils et pousse le gâteau vers elle. Si elle a la bouche pleine, elle n’enchaînera pas sur le sujet épineux qu'elle vient d'évoquer. Qu'est-ce qu'elle vient me parler de maman et de quand je compte lui dire la vérité à mon sujet. Je ne me sens pas prête à lui dire. Qu'est-ce qu'elle va penser, dire et faire ? J'ai pas envie de croiser son regard accusateur au détour d'un couloir dans la maison. Si elle accepte de me garder dans notre maison de famille. Je ne veux pas la quitter, cette maison ! C'est tout ce qui me reste de papa.
"Je sais qu'elle est pire que moi quand elle est en rogne. Et c'est ce qui me fait peur. T'imagine si elle me met dehors. Et toi aussi ? Car tu es ma complice, finalement. Tu sais et tu n'as rien dit..."
C'est vrai, ça ! Roxanne est ma complice ! Elle est dans la confidence et n'a rien dit à maman. Je marquerai pas un point, là ? Je devrais le lui rappeler quand elle me pique mes fringues...

Je fais un clin d’œil à Roxanne et ajoute : "Alors, complice... tu as une idée de comment le dire à maman ? J'en ai parlé avec Noa, tu sais, ma pote qui habite pas loin de chez nous. Elle sait aussi depuis peu. Et elle me conseille de le faire cool autour d'un café. T'en penses quoi ? Donne moi un bon conseil et j'accepte de décoller de cette chaise !"

J'offre à Roxanne mon plus beau sourire sournois.

Au pays de Candy

@Roxanne Tremblay & Léonie Tremblay

Je n'imagine pas Patel croiser le chemin de maman. C'est impossible qu'il l'aborde pour se présenter. Il ne l'a jamais vu. A part Noa, qu'il a croisé par hasard, et Roxanne, que j'ai été contrainte de lui présenter, Patel ne connait personne d'autre de mon cercle proche. Je rassure donc Roxanne. "C'est pas possible que Patel vienne voir maman. Il ne l'a jamais vu. Ni de près, ni de loin. Il ne connait que toi. Puisque tu m'as forcé à te le présenter." Le pauvre ! Il en a bavé ce jour-là. Je l'ai senti plus mal qu'avec moi. "Et il a croisé furtivement Noa. Mais ça s'arrête là."

Quant au fait d'être mise dehors, c'est vrai que nous ne craignons rien. Dans ce genre de scénario, maman est celle qui a le plus à perdre. Car elle perdrait ses deux filles. Elle a plus à gagner en me faisant la tête. J’acquiesce  donc à la remarque de Roxanne. C'est peut-être pas si mal de faire ainsi. "Noa m'a suggéré que tu fasses semblant de ne pas savoir quand je l'annonce. Pour que maman ne se sente pas seule en voyant qu'elle est la dernière au courant. Tu te sentirais capable de me refaire devant maman le même cinéma que tu m'as fait quand... question stupide... évidemment que tu en es capable !"

Roxanne finit la dernière bouchée de son gateau. J'ai l'impression qu'elle s'est forcée et cela me met en joie de voir cette expression nauséeuse sur son visage. C'est une petite vengeance douce et sucrée pour la comédie qu'elle me fait depuis le début de notre promenade sur la Gay Pride.
"Lève ton popotin, je te conduis voir Patel. Je l'ai mis au défi de défiler en costume de Wonder Woman. Mais défense de lui parler ou de lui faire signe. Nous allons nous planquer sur le point de passage que je lui ai indiqué et je vais le filmer. Le photographier aussi. Je trouverai bien un truc dingue à faire avec ces preuves de son ridicule."

Je me lève et fais signe à Roxanne de me suivre. Nous allons nous faufiler dans le défiler de la Gay Pride et nous poster dans un coin que j'ai repéré la semaine dernière.

Au pays de Candy

@Roxanne Tremblay & Léonie Tremblay

Roxanne n'a pas tord. Maman sent les mensonges de ma cousine à des kilomètres. Elle n'a pas mon don pour cacher les choses. Elle n'a pas le pouvoir du "poker face". Mais ce ne sont pas les idées qui me manquent pour intégrer Roxanne dans mon plan pour tout révéler à maman. Je ne sais pas encore comment cela va se faire. Comment je vais amener la révélation sur le tapis. Mais une chose est certaine, Roxanne sera dans les parages. Je ne peux pas le faire seule avec maman. Il me faudra une tiers personnes.
J'ai beau réfléchir, je me sens toujours dans le flou. Le plus simple serait encore de tout arrêter. Comme ça, pas de risque de se faire prendre. Plus de secret frais à révéler. Mais d'un autre côté, cela me manque quand je n'ai pas de séance de domination depuis un moment. Du moins, avec certaine personne. Voire avec une en particulier. D'ailleurs, voilà cette personne qui passe devant nous en costume de Wonder Woman.
Il n'a pas honte ! Il me fait rire ! Je souris jusqu'aux oreilles en le regardant passer. Il l'a fait ! Il s'est déguisé ! J'en oublie presque de prendre la photo. Heureusement que Roxanne est là pour me le rappeler en faisant un caprice pour se faire remarquer de Patel.

Roxanne n'a pas tord, la photo serait encore meilleure. Soit ! J'ai une idée.
"Je vais me mettre un peu plus loin pour qu'il ne me voit pas avec toi. Sinon il pourrait chercher à contrôler sa réaction. Je vais me mettre à quelques pas de toi. Et je vais filmer. Ce sera mieux encore. Tu me dis quand tu penses pouvoir attirer son attention. Tu cries juste son nom et tu lui fais coucou. Mais ne le fais pas venir vers nous. Ok ? Je lancerai mon téléphone à ton signal."

Je m'éloigne de quelques pas et dégaine mon téléphone.

Au pays de Candy

@Roxanne Tremblay & Léonie Tremblay

Ho le jackpot ! J'ai gagné le gros lot en forçant Roxanne de m'accompagner ici. Elle m'a permis d'avoir une vidéo de fou ! Je vais ajouter ça à mon dossier sur Patel. J'ai du lourd, là. C'est génial ! Il était dépité, le pauvre choupinou. Il s'est décomposé en voyant Roxanne. J'A.DO.RE ! C'est le plus beau piège que j'ai pu lui faire. Je ne peux pas m'empêcher de ricaner. JE suis diabolique quand je m'y mets ! Je n'avais pas fait venir Roxanne pour ça, à la base. Mais l'occasion fait le larron.
J'espère juste que Patel ne m'a pas vu. Roxanne est revenu tellement vite vers moi. Il peut très bien l'avoir suivie du regard et me voir. Bon... au pire, il me suppliera d'être clémente. Au mieux, il me remerciera de ma présence.
Roxanne est pressée de rentrer. Elle n'aime vraiment pas les fêtes de jours. Au moins, je l'ai arraché un instant de son bureau. "Tu serais moins méchante avec lui, il saurait t'apprécier." Voilà, ça s'est dit, prend-toi ça dans les dents. Que je suis mauvaise !
Et c'est moi, la dominatrice, celle qui le tyrannise, qui dit ça ! Moui... mais moi, il me paye pour le faire. Donc il le veut bien.

Roxanne veut me parler d'un truc ? Au sujet de ses parents ! C'est donc ça qui la travaille depuis quelque temps ! Je voyais bien qu'un truc n'allait pas. Qu'elle se réfugiait dans le travail et sortait de façon déraisonné le soir. Au début, j'ai pensé qu'un mec se cachait derrière son comportement. Cela expliquerait les sorties trop nombreuses. Mais pas le nez dans le boulot H24. Ses parents, ça justifie davantage les choses !
"Il était temps que tu abordes le sujet, espèce de bourrique ! Je me demandais ce qui te turlupinait. C'est donc ça... Bon... allons à ma voiture, on rentre. Mais crache le morceau maintenant, avant qu'on arrive et que maman t'entende."

Au pays de Candy

@Roxanne Tremblay & Léonie Tremblay

J’écoute Roxanne me raconter ses soucis. Des soucis qu’elle se crée elle-même. Mais je ne peux pas lui en vouloir. Ce serait déplacé de ma part de lui reprocher de faire des recherches concernant ses parents alors que je cherche moi-même des réponses pour mon père.
Elle harcèle la police. J’ai choisi la voie du détective privé. Cela n’a mené à rien, puisque le bonhomme a disparu avant même d’enquêter. Peut-être aurais-je dû faire comme elle ? Passer par la police plutôt qu’un détective privé. Le hic, c’est que je ne veux pas mettre maman au parfum. Et j’ai toujours eu la crainte que la police le fasse.
Roxanne critique le policier. Mais elle oublie une chose… le meurtre de ses parents date. C’est il y a presque 27 ans. Le policier en charge de l’enquête est peut être retraité ? L’affaire a peut-être été classée ? Et ce n’est pas à Brisbane, mais à Adelaïde que ça s’est passé. Qui dit qu’avec la distance, le policier se moque complètement de la fille qui le harcèle. Roxanne n’est surement pas la première ni la dernière à faire ça.
J’ai de la peine pour elle et en même temps, de partage sa peine. Je la comprends et je la respecte. C’est pour ça que je garde pour moi mon sarcasme et toutes les petites choses moqueuses que mon esprit tordu serait capable de pondre. À la place, je me tais et me contente de déverrouillée la voiture, car nous voilà arrivée à ma magnifique Toyota Hybrid que j’ai acheté avec l’argent récolté par mes séances de domination. Ma belle voiture écolo ! Je toussote. Je dois me ressaisir. Ce n’est pas le moment de laisser mon esprit divaguer sur des futilités d’auto-congratulation.  Roro se confie à moi. Elle a besoin de moi.

« Il est clair que maman va t’en vouloir. Elle va même te botter le train en te disant de tourner la page. » Comme elle a fait avec papa, j’ai envie de dire ! Et elle l’a fait à une vitesse et une facilité d’apparence déconcertante. C’est quelque chose qui me dérange beaucoup et qui nourrit de plus en plus ma volonté d’en savoir plus.
« Tu n’as pas songé à te déplacer pour voir si c’est bien le policier d’il y a 27 ans qui te répond au téléphone ? Peut-être que la personne qui te parle n’est pas cette personne ? Il n’est donc peut-être tout simplement pas au courant de l’affaire ? Est-elle encore ouverte, au moins ? » demandai-je en ouvrant la portière pour monter en voiture. Je fais signe à Roxanne de monter aussi. Je m’assoie et attache ma ceinture.
« Mets ta ceinture et connecte ton téléphone à ma voiture. On va l’appeler, ce flic. On risque d’être coincée dans la circulation. Autant mettre ce temps à profit ! Et tu vas lui demander si c’est bien lui le flic d’il y a 27 ans. Il doit être vieux… »

Au pays de Candy

@Roxanne Tremblay & Léonie Tremblay

Avec l’âge, notre vision des choses change. Le secondaire devient important et le primordial devient superflu. C’est ce qui nous arrive  à toutes les deux avec nos parents respectifs. Elle avec ses deux parents, moi juste avec mon père. Mais peut-être que nous n’aurons jamais de réponse. Et c’est comme ça, il faut faire avec. Je peux très bien me contenter de mon amitié avec Arthur, un ex de maman. Elle était avec lui quand Roxanne et moi avions 18 ans. J’ai gardé ce lien avec lui. Il m’a servi de figure paternelle, en quelque sorte.  Sauf que je n’arrive pas à me contenter de ça. Et c’est pareil pour Roxanne. Mon père et ma mère lui ont servis de figure parentale. Et pourtant elle a besoin de réponses.

Je hoche la tête de haut en bas quand Roxanne acquiesce ce que je disais plus tôt. Oui, les enquêteurs vont et viennent. Et les affaires s’ouvrent et se ferment. « Je veux que tu l’appelles car c’est moi qui vais lui parler. Et on va bien voir comment il va réagir. Tu me diras s’il me parle sur le même ton qu’à toi. Et s’il le faut, c’est d’accord pour moi. Je t’accompagnerais. »

Roxanne n’avait pas besoin de me faire les yeux doux ni de me faire du chantage. Il est hors de question que je la laisse y aller seule. Comment arriverait-elle à rentrer si elle y va et apprend une mauvaise nouvelle ou si elle est déçue ? Il faudra bien que quelqu’un conduise. Et puis, j’ai aussi envie d’aller fouiner à Adelaïde. Peut-être aurais-je des infos concernant l’agence immobilière que la famille avait là-bas. Peut-être pourrais-je trouver des anciens employés à mes parents. Peut-être ont-ils des infos sur sa disparition.
Mais avant tout, c’est l’histoire de Roxanne, qu’il faudra régler.

Au pays de Candy

@Roxanne Tremblay & Léonie Tremblay

Comment je fais pour ne pas perdre la tête avec l'histoire de mon père ? Ben je relativise au maximum. S'il est mort, ben j'aurais fini officiellement mon deuil. S'il est vivant, deux solutions s'offrent à moi. La première, je le tue. Comme ça il sera mort une bonne fois pour toute – c’est de l'humour mais pas que – et au moins, on vivra sans se poser de question. Je serai capable de le frapper presque à mort. La deuxième solution est tout aussi simple que l'autre : je fais comme s'il est mort. Je l'ignore, je refuse de le voir. Il y a peut-être une troisième solution. Ce serait faire de sa vie un enfer. Lui faire payer ce qu'il nous a fait vivre. Enfin... ce qu'il m'a fait vivre. Car maman n'a pas été si affectée qu'elle n'y parait. Je trouve.

Quand Roxanne parle de vide, je comprends ce qu'elle veut dire. Mais à elle de le combler. « Je me trouve de quoi combler ce vide » dis-je à Roxanne. « Mon sexfriend et mon business m’aident beaucoup. Je suis comblée là et là. » Ajoutai-je en pointant du doigt mon entrejambe et mon porte-monnaie posé sur le tableau de bord. « Et c’est suffisant pour moi actuellement. »

Je laisse Roxanne taper le numéro de téléphone du poste de police avec mon téléphone qui s'est connecté en bluetooth sur ma voiture. La ligne sonne un moment avant d'avoir quelqu'un au bout du fil. Je demande à parler au policier qui était en charge de l'affaire Tremblay.  Je tombe sur un homme avec de l’expérience. Ce n’est pas un bleu. Mais rien ne me dit que ce vieux grincheux est le flic en charge de l’affaire il y a 27 ans.

Quand je raccroche enfin, Roxanne me demande ce que j’en pense. C’est tout clair pour moi : « Prévois un jour de repos en même temps que moi. J’en pense qu’on va à Adelaïde. »