| | | (#)Jeu 17 Oct 2019 - 21:08 | |
| 10h45. Il arrive toujours à l’avance, Joseph – et c’est peut-être parce qu’il a beaucoup trop de temps à tuer. En ce début de journée, il zigzague entre les rangées de la pharmacie, se laissant moindrement divertir par les indications affichées sur chaque paquet de Gravol ou d’Advil. Il essaye de ne pas trop penser au malaise qu’il y aura entre lui et celle qui lui a donné rendez-vous ce matin pour se rendre dans leur ancienne maison, celle qui sera bientôt vendue. Joseph aurait probablement refusé l’invitation de sa sœur (parce que, disons-le tout de suite, il n’a pas envie de revoir les quatre murs qui l’avaient emprisonné dans une jeunesse désastreuse) mais, au fond, il a toujours ressenti le besoin de la voir. Ce n’est pas pour rien qu’il se rendait toujours à cette pharmacie pour s’acheter une nouvelle brosse à dents ou une boîte de capotes – et ça, c’était simplement pour faire réagir Lily derrière le comptoir, parce qu’il lui tendait la boîte avec un énorme sourire planté dans le visage, celui que possède un frère quand il est sur le point de jouer un sale coup à sa sœur, celui que possède un frère juste avant de balancer une grenouille vivante dans le nez de sa sœur. C’est lorsqu’il est concentré à lire la liste d’ingrédients d’une boîte de vitamines qu’une jeune femme l’interroge, cherchant à savoir s’il désir un peu d’aide dans ses recherches. Il redresse les yeux vers la conseillère et comprend à son regard qu’elle ne le reconnait évidemment pas. Lily aurait pu être fière de son frère et le présenter à tous ses collègues, mais elle n’était pas comme ça. Joseph s’était toujours douté que personne dans cette pharmacie ne savait qu’il possédait le même nom de famille que la représentante pharmaceutique. « Non, merci, je regarde. » qu’il marmonne en retournant à ses occupations bien ennuyantes. Au moins, il sait dorénavant que cette marque n’utilise aucune saveur artificielle d’orange. 11h. Il jette un coup d’œil à son portable pour s’assurer qu’il n’a pas reçu de message. 11h15. Il le regarde une nouvelle fois, cette fois-ci perdu dans la rangée des pansements. Il ouvre sa conversation avec Lily pour s’assurer qu’il n’a pas omis de regarder une précision qu’elle lui aurait fournie, mais rien du tout. Elle lui a bel et bien donné rendez-vous ici il y a de ça quinze minutes. Le jeune homme soupire et continue son exploration improvisées des lieux, remarquant du coin de l’œil que certains conseillers se sont mis à l’épier comme des vautours. C’est qu’un client qui reste aussi longtemps dans une pharmacie sans but précis, c’est assez louche. 11h30. « Pardon, monsieur, est-ce que je peux vous aider ? » que demande un garçon un peu plus jeune que lui. Joseph se passe la main dans la barbe en grommelant un juron et il secoue la tête avant de mentir : « J’attends Lily, elle est moi on a un rancard. » Petite revanche pour plus tard, quand les collègues de sa sœur l’interrogeront quant à cet homme mal habillé et mal coiffé avec lequel elle avait pris rendez-vous. Il faut bien qu’il lui fasse regretter un peu son retard. « Lily ne travaille pas le week-end. » L’ex taulard hausse mollement les épaules et se remet à la contemplation des paquets de bandages, démontrant explicitement au garçon qu’il n’a pas l’intention de bouger d’ici même si on pourrait un peu trop facilement le méprendre pour un voleur. 11h45. Il envoie un message à la retardataire. Je sais que t’aimes bien me faire chier, mais ça fait une heure que je t’attends. Tu fais exprès ? Pas de réponse. Et c’est seulement à midi que l’attendue fait enfin son apparition dans la pharmacie. Les yeux noirs, Joseph va à sa rencontre et omet – volontairement – de la saluer pour directement lui lancer : « Putain, t’es allée à Londres entre temps ? Je te rappelle que c’était à 11h, pas à midi. » Et il la contourne pour directement se rendre à la sortie de cette pharmacie qu’il connait maintenant par cœur. |
| | | | (#)Sam 19 Oct 2019 - 22:56 | |
| La vérité c’est qu’elle avait prévu d’arriver à 11h15, ce qui sonne presque comme arriver en avance pour Lily. Elle et le retard ne font qu’un et elle a naïvement cru que son frère s’en serait rappelé, mais c’était en oubliant le fait qu’elle avait développé cette tendance à l’aube de l’âge adulte c’est à dire quand ils avaient déjà coupé tous liens. Dans les faits, elle a eu un entretien d’embauche pour un autre travail à un échelon un peu plus élevé et elle ne pouvait décemment pas se plaindre du retard pris par son peut être futur patron. Et en plus son téléphone n’avait plus de batteries mais elle doit bien avouer qu’il n’y a rien de curieux là dedans vu qu’elle oublie régulièrement ou est son téléphone et/ou son chargeur. En somme, elle a passé sa matinée à courir de partout et la voilà qui arrive sur son lieu de travail / lieu de rendez vous avec une magnifique heure de retard. Joseph ne manquera pas de le lui rappeler, elle s’en doute bien. Ses escarpins et sa jupe un peu trop serrée ne lui permettent pas de se presser davantage mais heureusement qu’elle n’a pas oublié de remplir son sac à main de deux sandwichs au bacon et au fromage, tous deux amoureusement placés dans du cellophane (pour ne pas que son cv ne soit reconnu à son odeur). A peine a-t-elle mis un orteil dans l’arrière boutique qu’un des employés la prévient que son “rancard” l’attend devant les préservatifs et il ne se fait pas prier pour agrémenter le tout d’un clin d’oeil, amenant l’incompréhension de Lily à son paroxysme. Ne répondant rien, la jeune femme se contente de passer une tête indiscrète sur la boutique elle même et de souffler longuement, rassurée, quand elle reconnaît la silhouette de son rancard.
“Londres c’est surcôté, je suis allée chercher le fromage à Rome. C’est pour ça que j’arrive à midi et pas midi trente.” La petite soeur ne se laisse pas abattre même si ces douces paroles ne rimeront pas avec un câlin de retrouvailles apparemment. Elle aurait préféré l’enlacer plutôt que de brandir les sandwich comme seule défense pour appuyer ses propos alors que son frère a déjà tourné les talons. Lily sait qu’il n’est même pas pressé de retrouver leur maison, il joue seulement au plus con et il gagne haut la main encore une fois. La clochette de la porte tinte derrière eux mais la brune ne semble pas décidée à abandonner l’idée d’au moins avoir un salut de son frère. Surtout après tout ce temps. “Comment tu vas Lily ? Tu n’as pas eu de problèmes pour être si en retard ?” “Oh ça va bien Joseph, merci, juste quelques broutilles mais rien de quoi t’inquiéter.” “Ahh, d’accord, tant mieux alors, je me faisais un sang d’encre et je n’ai pas du tout importuné les employés pour m’occuper !” C’était peut être une mauvaise idée que d’inscrire Lily à ces cours de théâtre quand elle était jeune, les séquelles restent un peu trop présentes. La jeune femme continue de chercher son grand frère des yeux alors qu’il avance d’un pas décidé vers la voiture - le rouge ne pas vraiment pas aperçu dans le quartier. Elle marmonne derrière lui, éternelle retardataire, éternelle boulet avec un sac trop encombrant pour elle et des pas pas aussi grands que ceux de son aîné. Certaines choses ne changeront jamais. "Tu pourrais au moins me prendre par le bras pour que ton rôle soit crédible." Elle râle, peste, souffle, mais au fond c'est une simple demande qu'elle vient de lui faire et qu'elle aimerait seulement qu'il accepte. Ils auront bien le temps d'oublier ce moment car si on en croit les statistiques il se passera encore une année jusqu'à ce qu'ils se retrouvent.
|
| | | | (#)Jeu 24 Oct 2019 - 19:53 | |
| Il aurait pu l’accueillir à bras ouverts malgré son retard qu’il avait jugé volontaire – parce que sa sœur s’est toujours obstinée à l’éviter et, si elle pense que Joseph n’a jamais remarqué son comportement, lui l’a constaté dès le moment où elle l’a vu se transformer en délinquant. Elle avait réagi comme tout le monde, en fait. Personne n’a envie de se retrouver dans sa situation, surtout pas une femme épanouie, diplômée, forte. Il la connait bien, sa sœur, même s’ils ne se sont pas côtoyés pendant des années : Brisbane l’a accueillie alors que la ville a rejeté le plus vieux dès qu’il a été assez naïf pour penser qu’il trouverait une meilleure vie là où les édifices grattent le ciel. Un mur de briques séparait leurs univers : l’ange au plumage noir, l’ange au plumage blanc. Malgré la tentative de Lily de faire un peu de sarcasme à son tour, Joseph ne réagit pas et continue dans sa lancée, convaincu que la journée se passera mieux s’ils ne tardent pas trop à la terminer. « Il te faut encore un peu de boulot pour perfectionner tes excuses merdiques, Lily. » qu’il balance vers l’avant, conscient que ses paroles se sont peut être faites emporter par le vent sans rejoindre les tympans de la personne concernée. Les talons de sa sœur claquent derrière lui à un rythme rapide et ça arrache un sourire satisfait à l’aîné qui se réjouit de la faire courir un peu sur ces échasses. Il faut bien qu’il se venge un peu, c’est ce que fait un frère pour taquiner sa sœur. Il se retourne sur lui-même pour marcher à reculons en haussant les épaules : « C’est eux qui m’importunaient. J'leur ai rien demandé. Quinze minutes de plus et ils me sortaient d'la pharmacie en m'traînant par le col. » Il se retourne, pour éviter de trébucher dans une chaîne de trottoir inattendue et il pose son dévolu sur la seule voiture rouge dans le parking. Avec un peu de chance, Lily n’a pas changé de modèle de bagnole depuis leur dernière rencontre. « Quel rôle ? Le rancard ? » Il ricane en sortant ses mains de ses poches pour serrer la poignée du côté passager de la voiture. « J’suis pas un romantique. » Il arbore un large faux sourire avant de lui faire signe de la tête pour débarrer la portière et, quand un clic retenti, il se glisse dans l’habitacle en écrasant les déchets dans le fond de la bagnole avec ses chaussures. Plusieurs gobelets de café vides et des emballages de produits de fast food craquent sous ses semelles mais il fait mine de ne pas les voir. « T’as les sandwichs ? » Il demande, en lorgnant la conductrice qui lui tend sa part qui contient supposément du fromage de Rome. Il n’attend pas bien longtemps avant de croquer dans son casse-croûte, émettant une sorte de ronronnement de satisfaction. C’est bien meilleur que les merdes qu’il achète dans les dépanneurs. Le moteur grogne sous ses fesses et il se laisse conduire par la cadette, l’observant du coin de l’œil à plusieurs reprises, curieux de voir si quelque chose a changé chez elle depuis la dernière fois. Elle n’a pas pris une ride, mais ses cheveux sont légèrement plus longs. Ses iris clairs reflètent toujours autant les rayons du soleil australien qui traversent le pare-brise. Les yeux bleus sont probablement la seule chose qui uni les deux opposés. Lorsque Lily pivote la tête quand ils se font arrêter par les feux de circulations lents, il repose immédiatement son regard vers l’avant en faisant mine d’être soudainement très intéressé par cette mémé qui traverse la rue à la vitesse d’Odie. « Rassure-moi, c’est pas un prank ? Y’a pas les parents qui attendent dans l'salon, prêts à me crucifier sur la table d'la cuisine ? » |
| | | | (#)Mar 29 Oct 2019 - 13:23 | |
| Les hostilités sont lancées. Aux yeux de Lily, c’est son frère qui vient à nouveau de tout gâcher en parlant de ses “excuses de merde” alors qu’aux yeux de Joseph elle avait déjà tâté le terrain en arrivant en retard et en jouant de ses nerfs. Chacun rejette la faute sur l’autre avec une facilité déconcertante, un jeu qu’ils ont appris à manier à la perfection avec le temps. La jeune femme n’a peut être pas clairement entendu chacun des mots prononcés par son aîné, mais elle reconnaît bien l’attitude de ce dernier qui ne cherche même pas à cacher son exaspération. Elle n’a pas le temps de souffler qu’il est déjà bien loin devant et elle fait de son mieux pour conserver les apparences en tentant de lui prouver que non, bien sûr que non il n’avance pas trop vite et non, bien sûr que non elle ne manque pas de sa casser la cheville à chacun de ses pas avec ses talons bien trop hauts pour elle. Il finit même par la narguer en marchant à l’envers et le dos de la jeune femme se redresse aussitôt dans l’optique d’essayer de conserver les apparences. ”Ca t’étonne vraiment ?” Lily l’aime vraiment son frère mais elle ne peut pas nier ce qui est flagrant. Il a tout de quelqu’un qui ne serait pas fréquentable, qui traînerait dans des affaires illégales, qui vivrait de choses qui le sont tout autant. Il a tout de cela parce que c’est ce qu’il a été pendant un temps et ce qu’il continue d’être aux yeux apeurés de la jeune femme et du reste du monde. Son frère n’en a jamais rien eu à faire de savoir pour qui il passait et elle sait bien tous les scénarios qui se sont subitement créés dans la tête des employés de la pharmacie ; elle est passée par là, elle aussi. ”Comme quoi il faut toujours avoir une soeur pour se sauver des pires situations.” La voilà qui essaye de se rattraper après avoir elle même empiré la situation en toutes connaissances de causes.
Il s’engouffre en premier dans l’habitacle du véhicule mais Lily attend une seconde de plus, une simple seconde de plus durant laquelle elle se permet de souffler et de se rappeler qu’il sera toujours temps de l’abandonner sur le bas côté s’il devient véritablement insupportable. Si elle fait ça, elle se promet d’au moins lui donner les deux sandwichs. Tel un enfant, il quémande son sandwich à peine est-il assis et elle le sort de son sac à main comme s’il s’agissait du véritable Saint Graal. “Jo” a été écrit sur le cellophane parce qu’elle a fait attention à rajouter un supplément d’à peu près tout dans son sandwich à lui, si bien qu’elle a eu beaucoup de mal à le fermer. Tout ça, bien sûr, il n’a pas besoin de le savoir. ”J’ai précisé ton nom seulement parce y’a un supplément mort aux rats dans le tien.” Telle devient son excuse, peu crédible à cause du sourire de petite soeur aimante qu’elle lui tend. Au moins la suite du trajet se fait sans menaces de mort, seulement ponctuée par les grésillements du poste de radio de Lily et les mastications de son frère. Leur duo se complète. ”Ils ont déjà fait leur sacrifice pour le mois, t’as rien à craindre Jo.” Qu’elle aurait aimé raccourcir par un “t’as rien à craindre, Jo” parce qu’entre frères et sœurs ils devraient se faire confiance. Ils devraient pouvoir déposer leur vie dans les mains de l’autre sans peur et ne pas craindre un mauvais stratagème de la part de l’autre. ”Maman demande de tes nouvelles le dimanche, je lui réponds que tu vas bien. Je te préviens au cas où tu tombes sur elle … je ne sais où.” Leur mère et Joseph semblent appartenir à deux mondes et elle sait qu’ils ne se rencontreront pas à moins de le décider, ceci dit. Il mérite quand même d’être prévenu de ce qu’il se dit dans la famille à son propos, surtout quand il s’agit de demander s’il se porte bien.
Les bruits de moteur s’arrêtent dans l’allée graveleuse de la maison et Lily peine à avancer sur un tel terrain avec ses nouveaux talons. Elle va chercher la clé sous le pot de fleurs, ouvre doucement la porte d’entrée comme s’il s’agissait de la première fois. Elle n’est pas retournée à la maison depuis ses dix huit ans et cela remonte à plus longtemps encore pour son frère. Le temps passe trop vite. ”Tu m'accompagnes dans ma chambre ? C'est parce que j'ai des cartons lourds. Et je ne te suis pas partout en retour, j'ai passé l'âge de te coller." Elle questionne sans oser avancer davantage dans la maison. Les souvenirs sont bons comme mauvais, ici, et elle n'a pas envie de tout revivre seule. Elle n'a pas non plus envie que ce soit le cas de son frère.
|
| | | | (#)Ven 1 Nov 2019 - 21:48 | |
| La guerre a commencé. Comment savoir qui sort vainqueur de la bataille ? Le premier qui fait preuve d’affection perd. C’est aussi facile que ça. Alors, même si Lily fait partie des quelques personnes que Joseph aime, jamais il n’ouvrira ses bras pour l’accueillir contre lui, jamais il ne replacera l’une de ses mèches, jamais il ne la regardera trop longtemps dans les yeux. De toute façon, il se noierait dans son regard : il est tellement bleu, tellement profond. C’est tout l’océan atlantique qui resplendit dans ses iris. « Ça t’étonne vraiment ? » Il lève les yeux au ciel en tournant de nouveau les talons pour faire face à sa destination. « Ce qui m’étonne c’est qu’ils ne savent pas qu’on porte le même nom. » Elle ne parle de lui à personne – et lui non plus, revanche silencieuse. À moins que ce soit elle qui se venge parce que lui ne parle pas d’elle. Ils sont bien coincés dans un cercle vicieux, les deux têtus. Il n’y a que leurs cartes d’identités qui savent qu’ils sont nés sous une pluie de cris d’une seule et même femme. « Une sœur qui arrive à la bonne heure ce serait encore mieux. » La discussion est close lorsqu’il ferme fermement sa portière après s’être mollement laissé tomber sur le siège du côté passager.
Pour rapidement combler le vide qu’apporte la conduite de Lily, Joseph propose de déguster tout de suite les sandwichs : au moins, ils auront une bonne raison de ne pas discuter pendant le trajet, bien qu’il ne se gêne que très rarement pour parler la bouche pleine. Lorsque ses yeux se posent sur son propre prénom inscrit sur le papier d’emballage du plat maison, il hausse un sourcil et sa sœur n’attend pas une seconde avant de préciser la raison de cette inscription. « Génial. J’tiendrai pas jusqu’à l’arrivée, ça m’évitera de poser les pieds en Enfer. » C’est ce que la maison de campagne représente à ses yeux. Un endroit où chaque sourire était tût et remplacé par un tressaillement. À côté de la maison de campagne, la prison est paradisiaque. Sans s’inquiéter un seul instant, le garçon mord une seconde fois à pleines dents dans le sandwich et le déguste comme s’il s’agissait d’une assiette de charcuteries et fromages. Il n’a pas besoin de la remercier pour ce casse-croûte qu’elle lui a préparé. Il lui suffit de tendre l’oreille pour entendre sa respiration coupée par chaque bouchée prise rapidement, signe qu’il apprécie un peu trop ce pain moelleux, ce jambon salé, ce fromage légèrement corsé et cette laitue croustillante.
Un faux gloussement soulève la poitrine du frère lorsque la sœur le rassure en utilisant du sarcasme. Il ne répond rien et se contente de fixer le ruban de route qui défile sous le capot de la voiture. Il déteste reconnaître les environs, parce que sa mémoire ne lui a jamais laissé un peu de répit. Il se souvient de chaque arbre, chaque boîte aux lettres et chaque nid de poule qui creuse la rue. C’est d’ailleurs étonnant que, en vingt ans, pas une seule personne n’a jugé bon de réparer cette route campagnarde. « Maman demande de tes nouvelles le dimanche, je lui réponds que tu vas bien. Je te préviens au cas où tu tombes sur elle … je ne sais où. » Son premier réflexe est de se racler la gorge. Il essaye d’ignorer ses paroles, se secoue les pouces, et contourne le sujet : « Alors tu vas encore à l’Église une fois par semaine. J’espère que t’as au moins compris que ce sont des conneries. » Il pivote la tête vers elle et l’interroge du regard, bien que sa concentration soit posée sur sa conduite. La situation lui permet de l’observer encore plus en détail, une seconde fois, et il se rend compte que son visage ressemble de plus en plus à celui de leur mère. C’est une bonne chose, en un sens. Elle n’a pas hérité des traits grognons de Cyril. Perdu dans sa contemplation, il ne remarque pas qu’ils arrivent à destination. C’est seulement lorsque la route devient graveleuse qu’il écarquille les yeux en les posant sur la façade extérieure de leur ancienne maison. Son cœur cesse de battre dans sa poitrine et il oublie de respirer assez longtemps pour devenir blême. Une fois la voiture garée, il reste bien assis, sentant son sandwich se révolter dans son estomac. Il expire difficilement et c’est seulement lorsque Lily claque sa portière qu’il se réveille. Il rassemble assez de courage pour détacher sa ceinture et pour sortir de la voiture qui semblait si bien le protéger de la réalité. Il suit lentement sa sœur, laissant quelques mètres les séparer, et son intérêt se porte naturellement vers l’enclos de ses vaches. Un enclos vide, mort, l’herbe jaunie par le temps et le manque de soin tapisse l’entièreté du terrain. Pourtant, la clôture de bois n’a pas bougé d’un centimètre. Il la frôle du bout du doigt en se dirigeant vers l’entrée de la maison, espérant qu’une écharde se glisse dans sa peau (ça lui donnera une bonne raison de faire semblant d’être trop blessé pour continuer le chemin).« Tu m'accompagnes dans ma chambre ? C'est parce que j'ai des cartons lourds. Et je ne te suis pas partout en retour, j'ai passé l'âge de te coller. » Sa voix le ramène sur Terre et le fait concevoir les faits : il est dans le hall d’entrée et c’est la même odeur qu’il déteste qui se fraie un chemin jusqu’à ses narines. Il déglutit avant de forcer un sourire pour cacher son malaise. « Yep. » Il n’a pas envie de parler davantage parce qu’il a peur que sa voix se casse. Il fait signe de la tête à Lily, l’invitant à continuer son chemin, et il s’efforce de ne pas laisser la curiosité prendre le dessus : il fixe le plancher sur toute la durée du trajet jusqu’à la chambre de sa sœur. La première chose qu’il aperçoit est un ourson en peluche posé sur son oreiller poussiéreux. Il hausse un sourcil, intrigué : « J’n’ai jamais vu ce doudou. Tu l’as eu pour le jour de ton dix-huitième anniversaire ? » qu’il plaisante, sur un ton agaçant, en prenant le petit ourson pour l’observer de plus près. C’est aussitôt qu’il se met à le faire parler d’une voix aigüe, en le balançant devant les yeux de Lily. « Tu m’as abandonné dans les vieux draps ! Pourquoi tu m’as fait ça ?! » Il l’agite, l’utilise comme une marionnette, juste devant le nez de la jeune femme. |
| | | | (#)Mar 5 Nov 2019 - 13:51 | |
| Organiser cette journée n’était peut être pas une si bonne idée que ça, finalement. Lily arrive à vivre avec sa culpabilité depuis toujours mais elle devient bien plus délicate à contrôler quand son frère est à ses côtés. Les souvenirs des rires et des pleurs reviennent, le tout mêlé à toutes ces heures passées ensemble sans qu’aucun ne prononce un seul mot. Lily la bavarde, Joseph l’effronté ; tous les deux se taisaient. Ils ne craignent plus les punissements désormais mais les rancœurs restent vivaces, les erreurs trop nombreuses. « Ce qui m’étonne c’est qu’ils ne savent pas qu’on porte le même nom. » Il la connaît malheureusement trop bien pour savoir quels sont ses secrets et quels sont les mensonges qu’elle déblatère à longueur de journée. L’impatient qu’il est ne se fait pas attendre avant de les lui renvoyer à la figure, jouant d’ironie. Elle l’a cherché pourtant, il ne fait que répliquer ; mais une fois encore ce sera bien plus facile de lui faire reposer toute la faute dessus. “Ce n’est qu’un nom.” Comme s’il ne s’agissait que de ça, comme si elle ne savait pas pertinemment qu’il s’agit de tout sauf seulement un nom. Comme s’ils n’avaient pas passé une vie ensemble, comme si elle ne courait pas derrière lui sur le chemin de l’école, comme si elle ne se vantait pas auprès des garçons qui l’embêtaient qu’elle avait le frère le plus fort de tout le village, comme si elle avait réellement cessé de l’aimer depuis ce fameux jour lequel elle a enfin réussi à prononcer son prénom “‘zef”. Dommage que ce fût dans une autre vie. « Une sœur qui arrive à la bonne heure ce serait encore mieux. » La brune souffle derrière lui, lève les yeux au ciel, marmonne pour elle même “c’était pas compris dans le pack” alors qu’il est déjà trop tard. Le ton de la journée était donné.
La tentative pour aborder délicatement le sujet de leur mère est avortée par Joseph. Le cœur de la brune se sert un instant mais elle ne peut pas dire qu’elle ne s’y attendait. Cela fait parti du jeu que de faire croire qu’il n’entend que la moitié de ses mots, qu’il ne retient que les arguments qu’il peut utiliser contre elle à son tour. Leur mère ne lui a jamais fait de mal, pourtant, mais elle était une spectatrice silencieuse tout comme sa fille ; n’importe qui donnerait raison à Joseph de leur en vouloir. Même Lily lui donne raison, au fond, sans qu’elle puisse le lui avouer. « Alors tu vas encore à l’Église une fois par semaine. J’espère que t’as au moins compris que ce sont des conneries. » Le sujet qui fâche, encore et toujours, trente ans plus tard. A son tour, Lily ne répond qu'à la moitié de la phrase.“Ça leur fait plaisir d’au moins voir un de nous deux.” Ses yeux ne quittent pas la route qu’elle connaît pourtant par cœur à force de l’emprunter chaque jour saint. Elle pourrait poser son regard bleuté dans le sien si elle le voulait, elle pourrait même esquisser un sourire et lui demander si le sandwich était bon, elle qui a tant hésité entre deux sortes de fromage pour en arriver à la parfaite combinaison. Elle pourrait faire beaucoup de choses pour lui comme il en a fait pour elle dans le temps mais ce ne serait pas eux, ce serait trop facile et par dessus tout ça reviendrait à faire cesser cette guerre froide et silencieuse qui fait rage depuis toujours. Si elle parle il pourrait revenir dans sa vie et c’est ce qui l’effraye le plus.
D’un commun accord silencieux, elle devient celle qui marche en tête pour ouvrir la maison et inaugurer les lieux - repérer s’il n’y a aucun cadavre oublié dans le coin, aussi. Elle se rend bien compte que le bruit de ses pas sur le gravier est lent et qu’il s’arrête même à un moment mais elle ne s’autorise pas à tourner la tête pour vérifier qu’il aille bien ; de toute façon elle l’aurait entendu s’il s’était évanoui. Tant que le pire n’est pas arrivé, elle ne bougera pas le petit doigt. Il va assez bien pour rentrer à son tour, arriver à prononcer un simple mot et la suivre jusque dans la chambre de la cadette, adjacente à celle de son aîné pour qu’elle puisse encore mieux entre le cuir de ceinture claquer à la nuit tombée. « J’n’ai jamais vu ce doudou. Tu l’as eu pour le jour de ton dix-huitième anniversaire ? » Surprise, son regard se pose d’abord sur son aîné avant de suivre la direction de ses yeux et de ses mains. Il se moque, encore, mais elle est bien trop sentimentale pour le laisser passer alors que sa bouche forme un “o” tant surprise qu’outré et que ses mains malicieuses viennent attraper le coussin pour lui jeter au visage et détourner son attention. Joseph fait parler la peluche marquée par le temps un instant avant que cette dernière se retrouve entre les mains de la jeune femme qui se laisse tomber sur le lit tout en caressant doucement le petit objet inanimé. “Je pensais l’avoir perdu.” Sans doute qu’un de ses parents (voire les deux) lui avaient perdu à sa place, estimant qu’elle avait passé l’âge d’avoir ce genre d’objets. “C’est un ami qui me l’avait offert.” Alfie. Ce n’était pas un ami, c’était le meilleur ami de Joseph, le meilleur à qui Lily pouvait tirer les cheveux sans qu’il ne cafte à ses parents. C’était un monde à lui seul, Alfie. Avant, dans une autre vie. “Il y a longtemps.” Quand tu es parti et que tu m’as laissé seule sans aucun repère.” Ses grands yeux bleus se redressent vers les siens, accusateurs. Ce n’est pas elle qui a abandonné la peluche, c’est Joseph qui a abandonné sa soeur cadette. Ils le savent tous les deux. Hein, qu’ils le savent tous les deux ? Tout est toujours de sa faute à lui. “Ce n’est qu’une peluche et de toute façon j’ai passé l’âge.” Lily se reprend, se souvient qu’elle ne doit rien montrer, déglutit lentement alors qu’elle n’a toujours pas le courage d’écarter ce souvenir du passé de son cœur. “T’en as fait quoi, toi, de la peluche que j’avais laissé tomber dans ton sac quand t’es parti ? Tu l’as abandonné dans de vieux draps aussi ?” La même peluche qu’elle avait tout sauf laissé tomber, qu’elle avait soigneusement rangée au fond pour ne pas qu’il s’en rende compte, qu’elle avait choisi avec goût parmi ses deux préférées, à laquelle elle avait fait ses adieux en lui demandant de bien prendre soin de son frère même si elle le détestait de s’en aller. Ses doigts se resserrent autour du corps duveteux de l'ourson.
|
| | | | (#)Jeu 7 Nov 2019 - 4:09 | |
| « Ce n’est qu’un nom. » C’est exactement la répartie qu’il aurait utilisé s’il se trouvait dans ses chaussures. Il faut croire qu’ils ne partage pas seulement le même nom et les même yeux bleus : leurs neurones ont été entraînés de la même façon et tous les deux ont adopté le sarcasme, un langage qui permet à quiconque l’utilise correctement de cacher ses réelles émotions. Et ils sont tous les deux des experts en la matière : c’est pour cette raison qu’ils n’ont jamais cessé de jouer à ce petit jeu malgré les dizaines d’années qui se sont écoulées. Comme le fossile au plus profond du roc, le temps ne les affecte pas. Deux pendules sans piles au milieu du grenier d’une vieille dame qui a oublié de se débarrasser de tous ses objets cassés qui amassent maintenant toiles d’araignée et poussière.
« Ça leur fait plaisir d’au moins voir un de nous deux. » Joseph ne peut contenir un énorme soufflement de mécontentement mélangé à de la moquerie. Il n’avale pas ses mensonges alors il continue de se bourrer la gueule avec son sandwich un peu trop bon (beaucoup trop bon) pour finalement répondre la bouche pleine : « C’est cha, ouais. Comme ch’ils avaient envie d’me voir. » Il rigole sèchement en mordant encore et encore dans son casse-croûte. « Arrête tes menchonges, cha ne te colle pas au teint. » Il se cache derrière le sandwich, se protège des prochaines réparties avec comme seul bouclier l’action de manger. Ça le rassure d’avoir quelque chose à faire de ses mains lorsque le sujet de ses parents est amené : ça empêche Lily de voir ses muscles crispés et la veine saillante sur sa tempe semble provenir de la contraction de sa mâchoire sur le pain. Vingt ans. Cela fait vingt ans qu’il ne les a pas vus mais leur visage est encore imprégné dans le fond de son crâne. Il les reconnaîtrait même sous une montagne de rides et il les fuira tant qu’il vivra. Il aimerait pouvoir rassurer Lily et enfin lui dire qu’il ne lui en a jamais voulu de ne pas avoir intercepté les coups qu’il recevait : elle était bien trop petite et fragile pour le protéger. Pourtant, il n’y arrive pas parce qu’il craint de réparer les liens qui se sont cassés le jour où il a quitté la campagne en plein milieu de la nuit. Le passé lui fait trop peur et Lily en fait partie. Elle est la relique qu’il déteste détester.
La maison est froide, comme avant. Bien que les souvenirs lui brûlent la peau, il garde les yeux rivés vers le sol le plus possible pour éviter de réveiller la peur qui dort au fond de lui. L’endroit semble plus petit, mais c’est parce qu’il a gagné beaucoup de centimètres en vingt-ans. Il la suit, sa sœur, parce qu’il ne veut pas se retrouver seul entre les quatre murs qui l’ont toujours hanté. Il se colle à elle, comme un petit chien de poche qui craint de trop s’éloigner de son maître. Une fois dans sa chambre, il évite de repenser à toutes les fois où il l’a rejoint passé minuit parce qu’il ne supportait plus la douleur dans son dos. Il se secoue la tête, expire tout l’air de ses poumons et ravale sa nausée en déviant toute son attention vers une peluche qu’il n’a jamais vue et qui ne lui ramène donc aucun mauvais souvenir. « Je pensais l’avoir perdu. » Intrigué, Joseph observe Lily tandis qu’elle se laisse tomber sur son matelas. Le lit couine, exactement comme avant, et un frisson parcourt l’échine du plus vieux. Il tente de chasser l’écho dans sa tête en se concentrant sur ce que lui raconte sa sœur à propos de l’ourson. « Un ami, uh ? T’avais pas beaucoup d’amis pourtant. » Il hausse les épaules en arborant un air moqueur mais il retrouve rapidement son sérieux en sentant la tapisserie se moquer de lui. Lui non plus il n’en avait pas beaucoup. Il est seulement allé voir Alfie le jour où il est parti vivre une meilleure vie en ville. « Ce n’est qu’une peluche et de toute façon j’ai passé l’âge. » Joseph n’est pas dénué d’empathie. Il voit les yeux troublés de sa sœur et il sait qu’il les porte aussi. Tous les deux sont rongés par des regrets mais aucun n’arrive à les crier. Il aimerait avoir le courage de lui demander ce qu’il ne va pas mais la petite voix au fond de lui se tait comme toujours. Il a peut-être grandi, pris des rides, sculpté ses muscles et assombri son teint, son cerveau est resté aussi jeune que la première pomme d’automne. Et puis elle pose la question fatidique, celle qu’il aurait préféré qu’elle range dans le fond d’un tiroir pour l’oublier à jamais. « Je ne l’ai plus. » Qu’il répond, simplement, mal à l’aise de ne pas pouvoir expliquer la raison de sa disparition. Il l’a jetée, la peluche qu’elle lui avait donnée. Elle lui rappelait la maison et c’est exactement ce qu’il a voulu fuir à quinze ans. « Impulsivité d’un adolescent en pleine crise. » qu’il ajoute en tentant de se justifier derrière de mauvaises excuses. Et il reprend les mots de Lily : « De toute façon, j’avais passé l’âge. » Il tente de laisser un sourire étirer ses lèvres mais il n’y arrive pas. Il croise ses bras sur sa poitrine en recherche de réconfort et son regard glisse naturellement vers l’autre côté du corridor, où il entrevoit le lit qui l’a accueilli pendant toute son enfance. Il avale de travers en sentant ses yeux s’humidifier et il secoue vivement la tête, soudainement colérique : « Bon, on les sort, tes foutues boîtes ? J’ai pas qu’ça à faire. Quelle idée d’merde d’venir ici, putain. » Il s’agite, son visage se crispe, parce qu’il a l’impression que la douleur se réveille au niveau des coupures cicatrisées depuis longtemps dans son dos. « Elles sont où ? Les boîtes. Elles sont où les boîtes ? » Ces stupides boîtes que Lily a utilisé en guise d’excuse pour que Joseph la suive dans la maison.
|
| | | | (#)Dim 10 Nov 2019 - 13:10 | |
| Il a ce don inné pour toujours tout gâcher, Joseph - notamment parce qu’il le fait exprès. Cette fois ci pourtant, la brune est bien trop heureuse et émue de retrouver cette petite peluche de son passé qu’elle ne trouve rien de cinglant à lui rétorquer. Il a raison, de toutes façons, elle n’a jamais eu beaucoup d’amis. Trop sage, trop parfaite, préférée des adultes plutôt que de ceux de son âge. Elle n’en avait pas conscience à l’époque mais aujourd’hui c’est une vérité quelque peu douloureuse à encaisser. ”Ceux que j’avais me suffisaient.” Dans tous ses amis, elle avait Joseph. Il se suffisait à lui même du temps où il était encore là. Joseph ainsi que son ombre Alfie, cet ami qu’elle préférait passer son temps à détester. Que ce soit l’un ou l’autre, ils font désormais tous deux parti des figures du passé. Ils ont provoqué le destin pour que cela se passe ainsi, en tout cas.
La question est renvoyée ; la réponse loin d’être celle espérée. ”Je vois.” Il l’a abandonné elle aussi ainsi que cet objet qui la représentait. Il les abandonné tous les deux comme il a abandonné tout son passé. Le pire dans tout cela c’est qu’au fond elle ne peut que comprendre. Sans doute qu’à sa place elle aurait agit de la même manière mais une grande part d’elle est heureuse de savoir qu’ils n’auront jamais le fin mot de l’histoire. Son frère pourra toujours rester celui sur qui elle rejettera tous les torts. « De toute façon, j’avais passé l’âge. » La pharmacienne renifle et lève ses yeux vers lui un instant, amusée. Il ne lui vient même plus à l’idée de lancer le prochain coup pour une fois. C’est sûrement la chose la plus attendrissante que son frère lui ait dit ces dernières années.
Une seconde de calme et ils redeviennent eux mêmes rapidement. La peluche retourne dans un carton au hasard et son frère recommence leur jeu de celui qui fera le plus de mal à l’autre. « Bon, on les sort, tes foutues boîtes ? J’ai pas qu’ça à faire. Quelle idée d’merde d’venir ici, putain. » Lily relève ses grands yeux inquiets vers lui sans ne rien dire. Ils savent ce qu’il se passe. Il étouffe déjà dans cette maison où il n’a jamais été chez lui, cette même maison qui porte encore la même odeur qu’autrefois, là où personne n’a jamais jugé bon de changer la décoration. Ils ont fait un saut dans le temps, trente longues années en arrière. « Elles sont où ? Les boîtes. Elles sont où les boîtes ? » Le ton monte, il s’énerve seul, piétine sur place. Les mains de la brune s’agrippent aux draps du lit à défaut d’avoir le droit de calmer son aîné. ”Elles sont là, juste là …” Qu’elle finit par avouer doucement, pointant le haut de son armoire du bout du menton. Les cartons marrons y sont entassés dans l’indifférence la plus totale. ”J’ai dit à maman de tout mettre dedans alors fais attention, je ne sais pas où sont les objets fragiles.” Le sujet de maman revient une seconde fois sur le devant de la scène sans qu’elle n’ose encore aller au bout de ses idées. Ses doigts effleurent l’avant bras de son frère alors qu’elle lui tend une chaise pour qu’il lui passe les cartons emplis de souvenirs. Elle n’en a rien à faire de ces cartons, de tous ces souvenirs qu’elle a à son tour été bien heureuse de quitter une fois la majorité venue. Cette maison ne représente rien de bon pour aucun des deux, quoi qu’ils puissent raconter à leur entourage ou même laisser paraître. L’annonce du déménagement des parents a été un réel soulagement pour la brune. Les nouvelles se sont enchaînées et finalement elle a à son tour réussi à convaincre Joseph de la suivre dans cette nouvelle mésaventure.
Les premiers cartons redescendent de leur armoire et les deux adultes les acheminent en silence vers la voiture. Tout est coordonné, presque robotique. Lily ne laisse transparaître aucune émotion à l’idée de quitter définitivement ce lieu qui l’a vu grandir - bien qu’elle n’y ait pas remis les pieds depuis quinze ans. Cette fois ci ils ne pourront plus revenir dans ce lieu que Joseph a si bien surnommé l’Enfer. La petite soeur n’avait rien dit à ce sujet mais elle n’en pense pas moins. Les souvenirs joyeux sont rapidement noyés sous l’amas de tous les autres, les mauvais, les horribles. ”Jo …” Elle s'éclaircit la gorge, tente de retrouver ses yeux alors qu’il est bien trop occupé à serrer les cartons entre eux - avec sûrement l’espoir fou qu’ils pourront fusionner s’il y met assez de force. Finalement ce jeu là l’agace, le masque tombe pour une simple seconde et elle vient s’assoir dans le coffre de sa voiture, lui bloquant ainsi l’accès aux cartons et ainsi à sa seule distraction possible. Elle veut avoir une discussion sérieuse, la première depuis deux décennies. Juste un instant, c’est tout ce qu’elle demande. ”C’est … maman. Elle est malade. Elle a un cancer, Jo. J’y ait dit que je me chargeais de t’annoncer la nouvelle mais … ça lui ferait plaisir si tu l’appelais, au moins.” Parce qu’elle n’y était pour rien dans tout ça.
|
| | | | (#)Ven 22 Nov 2019 - 19:19 | |
| Il la remarque, la lueur d’amusement qui traverse les iris clairs de sa sœur. Il ne pense pas avoir dit quelque chose de bien marrant mais la réaction de Lily l’attendrit légèrement, jusqu’à ce qu’il se mette à sourire doucement à son tour sans réaliser que ce moment rallumera un malaise chez lui. Derrière son visage masqué par la nostalgie, un sentiment parasite atteint sa conscience et il perd rapidement son sourire en réalisant une seconde fois qu’il se trouve dans une pièce qu’il a toujours détestée. Une pièce dans laquelle il se rendait la tête basse et la queue entre les jambes à chaque fois qu’il n’avait pas les bras assez longs pour panser ses propres blessures nouvelles. Il avait toujours eu honte de son incapacité à défier leur père mais, quel enfant aurait pu garder le dos droit devant une figure paternelle aussi imposante ? Aucun, probablement, mais Joseph continue à croire qu’il avait été faible et que le geste le plus fort qu’il a commis a été de fermer la porte de la maison à quatre heures du matin, sans un bruit, sans réveiller une souris ou une fourmi sous le perron de la maison de campagne dans laquelle il pensait ne plus jamais mettre les pieds. Pourtant, le voilà, aujourd’hui, entouré de souvenirs poignants et de murs qui lui soufflent des insultes et qui lui rappellent qu’il n’était personne lorsqu’il habitait encore ici. Alors ses poings se serrent, parce qu’il s’en veut d’avoir accepté l’offre de Lily, celle de retourner ici une dernière fois avant que les lieux ne soient achetés par une prochaine famille folle. « Elles sont là, juste là… » Il redresse la tête, suivant la direction que lui pointe le doigt de Lily, et un grognement de satisfaction s’échappe de sa gorge lorsque sa sœur lui tend une chaise. Bien, il suffit de porter les boîtes à la voiture et la mésaventure sera terminée, la page sera tournée et il pourra boire assez de vodka pour oublier ce qu’il veut oublier – même si sa mémoire prend plaisir à ne jamais s’effacer, comme une malédiction ou une bénédiction, tout dépend de la situation. En silence, il s’attarde à la tâche, distribuant boîte après boîte à sa sœur qui les pose ensuite sur le lit et, une fois qu’elles sont toutes descendues, il s’empresse à les traîner le plus rapidement possible vers la voiture, s’efforçant de ne pas jeter de coup d’œil à leur contenu, craignant de réveiller davantage de mauvais souvenirs. Inconsciemment, il les transporte prudemment, comme si la demande de Lily s’était imprégnée dans sa tête sans qu’il ne le veuille. S’en suit après une partie de Tetris dans la voiture de sa sœur : il tente d’emboîter les cartons comme s’ils s’agissaient de pièces parfaitement cubiques qui se glisseront facilement l’une entre elles. C’est la voix de la jeune femme qui le sort de sa concentration maladive, et il pivote la tête vers elle, l’air désintéressé, s’emparant d’une énième boîte qu’il ne peut malheureusement pas transporter jusqu’à destination parce que Lily se place entre lui et la montagne qu’il créait quelques secondes plus tôt. « Quoi ? » qu’il demande, les dents serrées, s’attendant à devoir affronter quelque chose de plus lourd que le poids du carton qu’il est contraint à garder dans ses bras le temps que sa sœur lui explique la raison de cet arrêt soudain. « C’est … maman. Elle est malade. Elle a un cancer, Jo. J’y ait dit que je me chargeais de t’annoncer la nouvelle mais … ça lui ferait plaisir si tu l’appelais, au moins. » Il avale de travers, s’étouffe avec l’air pourtant pur et il perd sa prise : le carton s’étale sur le gravier dans un fracas dérangeant. C’est une lampe en céramique qui prend le plus cher, explosant en dizaines de morceaux coupants. Pourtant, Joseph ne bouge pas d’un centimètre, ressentant une certaine satisfaction à admirer l’objet détruit sur le sol, mais il relève bien rapidement la tête vers sa sœur pour immédiatement jouer la comédie : « Pour lui dire quoi ? Repose en paix ? » Il glousse, cachant derrière la moquerie la véritable graine de peine qui se plante dans son cœur. La maladie s’est attaquée à la personne innocente, comme d’habitude. Pendant ce temps, Cyril s’en tirera sans égratignures, comme si le ciel avait décidé de le pardonner de tous les méfaits qu’il a commis. « C’est pour ça qu’ils déménagent ? » C’est une technique discrète pour récolter un peu plus d’informations sur l’état de Marie. S’ils se sont rapprochés de la ville, ça veut dire qu’ils font confiance à la chimiothérapie, ou que leur mère nécessite de soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la campagne ne pouvant subvenir à ses besoins. Il ne suffit pas que de la foi pour survivre à une telle maladie.
|
| | | | (#)Dim 24 Nov 2019 - 17:18 | |
| Les yeux relevés vers son roc et son exemple d’une vie passée, elle n’a pas l’occasion de voir ses mains se raidir pour finalement laisser tomber le carton rempli de souvenirs. Lily peut cependant voir son visage se figer, et observer peu à peu apparaître cette expression qu’elle déteste tant lui reconnaître. Il ne dira rien mais ils savent tous deux de quoi il en retourne. Il est touché. Il va dire n’importe quoi, tout nier, faire l’imbécile pour détourner l’attention et tout ceci fonctionnera à merveille parce que c’est toujours le cas. Lily elle même croira à son petit jeu et après avoir fait un pas en avant pour essayer de se comprendre, ils en feront deux en arrière et se prépareront à tirer de nouvelles balles. Aucun des deux ne s’occupe de ramasser les bouts de céramique se mêlant aux graviers sur le sol. Joseph les regarde un instant avant de redevenir ce personnage qu’elle prend tant au coeur de détester. « Pour lui dire quoi ? Repose en paix ? » Il brise le lien qu’ils avaient recommencé à tisser patiemment, sa cadette a les sourcils froncés et une horrible boule qui se forme dans sa gorge. Il la rend malade, à avoir de tels propos sur leur mère. La réaction de la jeune femme, bien qu’inhabituelle, ne se fait pas attendre. Elle a toujours ses yeux ancrés dans les siens mais sa propre main vient s’ajouter à la scène. Le bout de ses phalanges s’abbat sur sa mâchoire sans que cela ne fasse aucune bruit, sans que cela ne brûle aucun de leur épiderme. Elle n’est pas leur père. Elle ne veut pas lui faire de mal ; jamais - mais parfois elle le déteste réellement. Quand il joue ce jeu là, elle le haït encore plus, parce qu’il a toujours su quoi dire pour faire le plus de mal.
Cette fois ci elle n’a pas la force de soutenir son regard jusqu’à ce que mort s’ensuive et elle s’abaisse rapidement pour ramasser les morceaux de lampe éparpillés sur le sol. Finalement, cela l’arrange beaucoup qu’il ait fait tomber ce fichu carton - la porte de sortie est bien trop immense pour qu’elle ne s’en serve pas. Ses petites mains s’activent à tout rassembler à ses pieds sans qu’elle ne trouve quoi que ce soit à rétorquer à Joseph. Il est toujours bien plus compliqué pour elle d’arriver à accepter les remarques à propos de ses proches que sur elle-même. Surtout leur mère. « C’est pour ça qu’ils déménagent ? » Elle n’a plus ni le temps ni la force et encore moins l’envie de différencier le gravier du céramique (pourquoi a-t-il fallut qu’ils aient la même couleur, hein ?) alors Lily finit par faire un petit tas fait de tout et de rien. ”J’en sais rien.” Elle tranche sans user de délicatesse ni même prendre en compte le fait qu’il essaye de se rattraper. Ce n’est même pas un mensonge, de toute façon. Mère et fille continuent de se parler mais elles ne sont pas du genre à passer de longues minutes au téléphone. Se relevant rapidement, elle en profite pour s’éclipser un instant à l’intérieur de la maison pour en ressortir quelques secondes plus tard, un sac poubelle à la maison, pour enterrer toutes preuves de ce moment de maladresse. ”Elle est malade, pas mourante. Et tu sais qu’elle n’a toujours voulu que ton bien.” Ils ne parlent pas du passé ; jamais. Ca sera la seule allusion de Lily aux années qu’ils ont partagé. Elle peut se montrer très égoïste avec son frère mais elle a tout de même ses limites. Et parce qu’il s’agit de Joseph et qu’elle n’a désormais plus rien à faire pour s’occuper les mains, elle termine de faire rentrer le dernier carton par la force et referme le coffre de sa voiture sur lequel la brune vient ensuite s’appuyer. ”Les centres de soins sont concentrés à Brisbane. Ici, à part deux vaches et trois chevaux … enfin, tu le sais autant que moi.” Aussi horrible puisse-t-elle être avec lui, il lui est bien trop difficile de rester en colère. Ils se contentent toujours d’un juste milieu qui blesse sans jamais les tuer. ”Tu veux retourner voir quelque chose dans la maison ou tu lui dis aussi ‘repose en paix’ à elle aussi ?” Ce sera sûrement un autre jour qu'elle lui proposera d'aller rendre visite à leur mère à l'hôpital ensemble. Dans une autre vie, sans aucun doute.
|
| | | | (#)Jeu 28 Nov 2019 - 19:40 | |
| Il voit les flammes derrière les pupilles de verre de sa sœur. Elle est aussi bonne que lui pour cacher ses émotions et c’est exactement la raison pour laquelle Joseph comprend ce qu’elle cache au fond de son cœur. Elle est en colère contre lui et il le serait lui-même. Il collectionne les mauvaises réparties comme il respire. L’air qui gonfle ses poumons ressort sous la forme de méchanceté gratuite. Il n’arrive pas à confronter la réalité et il s’empêche de souffrir en renvoyant sa colère sur les autres et, ce matin, c’est Lily qui la reçoit en plein dans le visage. Incapable de seulement avaler ses paroles, elle redresse le poing et vient doucement frôler la mâchoire de son frère sans pour autant lui faire du mal. Il comprend le geste qui ressemble davantage à un « ferme ta gueule » muet et il détourne simplement le regard pour faire comprendre qu’il n’a plus l’intention d’avoir la mauvaise langue à propos de leur mère malade. Cependant, la curiosité de l’enfant prend le dessus sur lui et il ne peut s’empêcher d’interroger davantage sa sœur – et la seule personne qui pourra lui fournir les informations dont il a besoin pour comprendre l’étendue de la maladie qui a choisi Marie pour cible. « J’en sais rien. » Ah. Finalement, il ne pourra pas compter sur elle pour ça, du moins, pas pour le moment. Le garçon sait que Lily voit encore leurs parents quotidiennement et qu’elle et leur mère ont toujours entretenu une bonne relation. Les informations viendront plus tard si Joseph décide de vraiment prendre part à cette mésaventure. « Elle est malade, pas mourante. Et tu sais qu’elle n’a toujours voulu que ton bien. » Il ne réagit pas et se contente d’inspirer le plus d’air qu’il peut contenir dans sa cage thoracique. Elle a raison (elle a toujours raison) et ça le tuerait de l’admettre. Marie n’a jamais encouragé Cyril mais Joseph s’est trop souvent convaincu qu’une personne qui ne s’impose pas à l’injustice est aussi coupable que celui qui la commet. Et, au fil des années durant lesquelles il côtoyait des hommes violents et égoïstes, il s’est lui-même vu silencieux pendant viols et violence sordide. Les êtres humains n’interviennent pas lorsqu’ils craignent de perdre quelque chose qui leur est précieux. Marie ne voulait pas perdre son époux et Joseph craignait de retrouver la solitude qu’il a tant détestée avant d’être invité à rejoindre les manthas. Un gloussement discret s’échappe de la gorge du garçon lorsque Lily énumère la population entière de la campagne, composée que de bovins et chevaux et il hoche la tête, ne pouvant pas la contredire. Il est vrai que l’endroit est désertique mais ce silence apporte aussi un air remarquablement plus pur que celui de la ville – si on ignore l’odeur de bouse qui semble avoir imprégné chaque brin d’herbe et chaque tronc. Si le jeune homme n’avait pas que des mauvais souvenirs rattachés à cet endroit, il pourrait presque s’y plaire. «Tu veux retourner voir quelque chose dans la maison ou tu lui dis aussi ‘repose en paix’ à elle aussi ? » Il grimace en jetant un coup d’œil au tas de céramique et de graviers que Lily a fabriqué au sol (quelle artiste !). Sa tête se secoue machinalement de droite à gauche tandis qu’il essaye de se convaincre de ne pas se retourner pour foutre le feu à la maison et une idée lui traverse l’esprit. Il redresse son regard pour le plonger dans celui de sa sœur et la fixe un long moment avant de s’activer : il récupère la boîte qu’il a échappée et la balance lourdement dans le coffre de la voiture. Il tend ensuite sa main vers la jeune femme et l’incite du regard : « J’peux conduire ? » Inutile de préciser qu’il n’a pas le permis : sa sœur le sait, mais elle sait aussi qu’il peut tourner le volant et enfoncer la pédale sans problème. Il a appris à apprivoiser une voiture il y a de ça fort longtemps. « J’te promets de pas nous renverser dans un ravin. » Il tente un minuscule sourire qui se veut réconfortant et ne peut s’empêcher d’ajouter, incapable de garder son sérieux : « Et si on tombe sur des flics, tu fais semblant d’être en train d’accoucher. » |
| | | | (#)Mar 3 Déc 2019 - 15:16 | |
| « J’peux conduire ? » Elle lui en veut encore énormément, pour ses paroles d’aujourd’hui, celles d’hier et de demain (tout comme pour tous les maux de la terre) mais il reste son frère. Il a pris le temps de lui demander et lui tend littéralement la main … ce qui suffit à la faire flancher. Lily hésite pendant une seconde, faisant passer son regard des yeux bleus de son frère à sa main meurtrie par le temps ... Et elle ne lance pas les hostilités. Elle ne fait rien pour le contrer alors qu’au fond, la partie rationnelle d’elle même a des millions de raisons de lui refuser cette demande. La partie rationnelle d’elle lui fait défiler les règles qui régissent leur état, lui rappelle aussi qu’en conduisant cette voiture il aura leur vie à tous les deux entre ses mains de drogué - le jugement reste toujours présent. Aussi fou, insupportable, casse-cou et addict soit-il ; elle n’arrive pas à le remettre à sa place alors qu’il fait un pas en sa direction. « J’te promets de pas nous renverser dans un ravin. » Dans le langage de Joseph, cela sonne presque comme les plus grosses excuses de l’histoire des excuses. A défaut de rassurer Lily, cela la laisse au moins avec un sourire au coin des lèvres. ”Tu respecte les limitations de vitesse. Tu ne fais pas la course avec personne. Je reprends le volant quand on arrive en ville.” Incapable de simplement répondre par l’affirmative, la cadette se contente de sortir les clés de la voiture de son sac à main pour les laisser glisser dans la main de son aîné sans jamais le quitter des yeux. Ce simple geste constitue la plus grande preuve de confiance (la seule, certainement) qu’elle ait eu envers lui depuis des années.
« Et si on tombe sur des flics, tu fais semblant d’être en train d’accoucher. » Sa langue claque sur son palais, bien mieux qu’à l’époque lorsque son aîné le lui avait appris pour qu’elle puisse ensuite s’en vanter à l’école. Elle n’y arrivait jamais mais il faut croire qu’en devenant une grande personne vient aussi la faculté de faire claquer sa langue avec un regard de dédain absolu. Cette fois ci le dédain fait place à un rire (pour mieux cacher la tristesse et la douleur liées à ce sujet), suivi d’une tape sur l’épaule de son futur conducteur. ”Si on tombe sur les flics je dis que tu m’as kidnappé et que t’es le nouveau Charles Manson. Mon scénario est plus crédible.” Sans lui laisser le temps de répondre, elle s’installe côté passager, prenant ainsi la place qu’avait été celle de son frère.
Il jette des regards paniqués mais toujours discrets au levier de vitesse et la trentenaire ne peut s’empêcher de garder un petit rire pour elle même, se pinçant les lèvres pour se garder de dire quoi que ce soit. Joseph sait bien cacher ses sentiments et nul doute que personne n’aurait rien remarqué si cela n’avait pas été elle, s’il n’avait pas été à côté de celle qui l’a vu grandir pendant plus d’une décennie. Elle le connaît par coeur tout comme elle sait que son élan de bonne volonté n’avait pas pris en compte le fait que la voiture ait finalement l’air d’être une boite manuelle. ”Maman était heureuse quand j’ai enfin acheté une automatique. Elle en avait marre que je cale à chaque fois qu’il fallait changer de vitesse.” Paradoxalement, cela ne l’embête pas de parler de ses faiblesses à son frère lorsqu’il s’agit de le sortir de l’embarras, même si cela implique de créer des scénarios de toute pièce. Cela ne l’engage à rien, cela ne signifie rien. Plus tôt il aura démarré cette voiture et plus tôt ils n’auront plus à se supporter l’un l’autre, uh ?
Le chemin graveleux est pris dans le sens inverse et finalement il ne s’en sort pas si mal et on pourrait même dire qu’il conduit plutôt bien. ”Je te déposerai où, du coup, en rentrant ? Je peux t’amener chez toi si - … À GAUCHE. SERRE À GAUCHE ON VA SE PRENDRE LE RÉTRO - … viseur.” ouf. Tout va bien. Aucun rétroviseur n’a été violenté sur cette route décidément bien trop droite pour ne pas être dangereuse. ”Quel connard.” Celui qui conduisait trop près de la ligne blanche face à eux, bien sûr. Pas Joseph. Enfin, pas cette fois. |
| | | | (#)Jeu 5 Déc 2019 - 4:11 | |
| Il sait que sa sœur ne lui fait pas entièrement confiance et il n’hésitera pas à insister si elle refuse de lui tendre les clés de la voiture. Bien que Joseph n’ait jamais obtenu son permis, ce n’est pas pour autant qu’il ne sait pas conduire les bêtes métalliques. Il sait où se trouvent les pédales et le volant – ainsi que le klaxon, celui qui est fort utile lorsqu’il s’agit d’insulter un chauffeur qui s’est endormi à une lumière rouge. Ce sont les yeux d’un gamin surexcité que Lily peut voir lorsqu’elle donne l’autorisation à son frère de les reconduire jusqu’à Brisbane sans toutefois oublier de lui dicter une liste de règlements. Il hoche vaguement la tête, conscient qu’il n’a pas droit à la moindre erreur et il referme sa main autour du trousseau de clés, le regard fier et la stature droite. Avant de se diriger vers la portière du côté conducteur, il tente de rassurer une seconde fois sa sœur, proposant de faire passer une infraction pour l’empressement d’un accouchement. « Si on tombe sur les flics je dis que tu m’as kidnappée et que t’es le nouveau Charles Manson. Mon scénario est plus crédible. » Il répond par une grimace mélangée à une moue, refusant d’admettre qu’elle a complètement raison et qu’il possède davantage le faciès d’un criminel que d’un père en devenir. En se hissant derrière le volant, il s’assure que sa sœur le suit de près pour enfin glisser la clef dans le contact, s’humectant les lèvres d’impatience. « Prête ? » Il demande en l’interrogeant du regard tandis qu’elle boucle sa ceinture. Omettant de boucler la sienne – c’est étouffant ce truc – il se secoue les puces et baisse les yeux pour découvrir un levier de vitesse à l’apparence étrangère. Oh. Ne laissant rien paraître, il se fait craquer les jointures en faisant mine de se préparer pour la route et il se racle la gorge en replaçant le miroir au-dessus de sa tète afin d’avoir une meilleure vue en direction de l’arrière de la bagnole. Entre deux secondes, il étire le cou vers la droite puis vers la gauche comme pour s’assurer qu’il peut démarrer sans problème et il finit par poser la main sur le levier, tentant de le bouger d’une poigne timide, et il se pince les lèvres en constatant que cette voiture offre une fonction manuelle. C’est la voix de Lily qui vient le sortir de sa panique et il remarque au même moment les célèbres lettres à droite du levier, celles qui caractérisent la conduite automatique. En expirant tout l’air de ses poumons, il marmonne : « Yep, c’est une automatique, en effet. » Il positionne le levier à la lettre D et retire la pression qu’il exerce sur la pédale du frein, faisant rouler la voiture sur un premier mètre, puis un second, jusqu’à ce que Joseph apprivoise l’engin. Rapidement, ils se retrouvent sur la route principale de la campagne, presque seuls sur le ruban de goudron. Les habituelles imperfections dans la rue bercent la conduite sans que cela ne dérange Joseph qui retrouve rapidement ses aises, se permettant d’ouvrir une fenêtre pour en sortir la main. Attentifs, ses yeux observent les alentours comme s’ils étaient à la recherche d’un endroit précis. C’est lorsque le garçon trouve enfin la petite ruelle sculptée dans la terre que Lily reprend la parole pour terminer sa phrase dans un cri de détresse. Joseph redresse vivement le volant avec ses deux mains, les cheveux dressés sur la tête par la surprise, et il arrive de justesse à éviter le large Jeep qui se permettait d’empiéter un peu trop sur sa voie. « Putain, Lily, ne crie pas, j’ai du vomi qui m’a r’monté dans la bouche ! » Légère exagération. Après s’être assuré que leur voiture était de nouveau la seule occupante de la route, il ralenti progressivement pour pénétrer entre des hautes herbes qui couvrent partiellement l’ancienne ruelle de boue. Il s’aventure dans les boisés en sachant pertinemment ce qu’il recherche : la petite rivière dans laquelle lui et Lily attrapaient des grenouilles à l’aube, juste avant le petit déjeuner, les jambes enfoncées dans l’eau jusqu’aux genoux. Laissant sa sœur réaliser sa familiarité avec les lieux, Joseph conduit prudemment en gardant les deux yeux bien ouverts pour finalement apercevoir un reflet du soleil à la surface d’une eau ruisselante, à quelques mètres d’eux. Il gare la voiture sans plus attendre et pivote la tête vers Lily. « J’te promets que j’te balancerai pas une grenouille dans la figure. Pas cette fois. » Coupable d’un tel acte lorsqu’il était haut comme trois pommes, il hausse les épaules, le regard malin, puis il sort de la bagnole en faisant claquer la portière derrière lui. Il se dirige machinalement vers le coffre de la voiture qu’il ouvre dans un grand geste. Sentant les deux yeux de sa sœur qui l’épient, il ne tarde pas avant d’empoigner l’une des boites qu’ils venaient à peine d’empiler. « Vous êtes cordialement invitée à faire comme moi. » Il l’incite du regard à s’emparer elle aussi d’un des cubes encombrant et il se dirige à petits pas fragiles vers le bord de la rivière qui ressemble davantage à un ruisseau aujourd’hui. Les perspectives changent énormément en prenant de l’âge. Après avoir posé la boîte sur le sol, il se met à observer les alentours qu’il connaît par cœur, trouvant rapidement l’objet de ses désirs. Il retire ses souliers puis ses chaussettes et traverse le faible courant pour se retrouver de l’autre côté après seulement quelques pas. À côté d’un amas de planches de bois pourries et de clous rouillés, il s’abaisse et enfonce sa main dans un trou qui n’a pas perdu de volume depuis toutes ces années. Un sourire satisfait étire ses lèvres lorsque ses doigts s’enroulent autour du manche d’un objet qu’il pourrait distinguer parmi mile. Il retrouve rapidement sa sœur de l’autre côté du ruisseau et lui présente fièrement la batte de baseball en métal qu’il a retrouvée sous les débris. « J’te présente mon meilleur ami. » Avec l’objet en forme de bâton, il pointe la boîte en carton qui gît dans un tas terreux. « J’te laisse l’honneur ou tu préfères me regarder faire pour la première boîte ? » Il est évidemment question de faire une petite partie de destruction massive. |
| | | | (#)Lun 9 Déc 2019 - 18:26 | |
| Les pieds posés sur le tableau de bord, son coeur se calme et recommence peu à peu à battre normalement une fois la frayeur passée. Son frère use de tout son glamour pour lui détailler ce qu’il se passe dans son estomac et elle lève les yeux au ciel dans un souffle, ce genre de commentaires ne l’étonnant plus. Elle reste simplement persuadée que c’est son cri qui leur a évité la collision et le rétroviseur à devoir faire réparer. Lily ne porte rapidement plus aucun intérêt à ce que peut dire son frère et son attention se concentre sur le chemin de travers qu’ils sont en train de prendre, celui qui a bien changé depuis toutes ces années - celui là même qui est tout sauf la route à prendre pour le retour. Ses yeux se portent un instant sur son aîné pour s’assurer qu’il ne soit pas perdu mais ses yeux bleus sont bien trop concentrés sur la route pour que cela ne ressemble à un accident. Il sait où ils vont et, bien qu’elle ne l’admettra jamais à voix haute, elle a confiance en lui. Ils arpentent à nouveau les mêmes chemins que ceux de leur enfance, elle n’aurait jamais cru faire cela avec qui que ce soit. Surtout pas Joseph. « J’te promets que j’te balancerai pas une grenouille dans la figure. Pas cette fois. » ”Je sens encore ses pattes visqueuses se poser sur mes joues.” Qu’elle souffle, qu’elle râle, mais qu’elle se souvient avec mélancolie.
A contrario de son frère qui fait tout avec hâte, qui claque la porte, qui s’énerve sur le coffre, qui les gare au milieu de nulle part sans faire attention à quoi que ce soit ; Lily enroule délicatement ses doigts autour de la poignée de porte et a l’impression de redécouvrir les environs. Le bleu de ses yeux observe son aîné et tente d’anticiper ses prochains mouvements sans réellement y parvenir. « Vous êtes cordialement invitée à faire comme moi. » L’horrible petite soeur qu’elle est continue de le suivre dans ses aventures sans même en comprendre les tenants et aboutissants. Ses pas se pressent au niveau du coffre et elle imite Joseph, prenant soin de bien agripper le carton pour que rien ne lui glisse entre les mains. A la boite de son aîné s’ajoute la sienne avec un équilibre instable. ”Fais attention où tu marches.” Il enlève ses chaussures et les statistiques veulent qu’il a 100% de chances de marcher sur le culot de verre d’une bouteille éventrée. ”Hey mets pas ta main là dedans, tu sais pas ce qu’il peut y avoir …” Lily la sage, Lily qui écoutait un peu trop souvent les conseils plus ou moins avisés de ses parents. Elle aurait été la première à s’être vue recouvrir de boue si cela avait fait sens, mais mettre sa main n’importe où, ça, jamais. Ses paroles ne vont cependant pas plus loin puisqu’au fond, elle se souvient.
Ils erraient ici quand les parents leur accordaient un peu de répit, revenaient les habits trempés et de la boue jusqu’aux cheveux. Lily rigolait toujours des morceaux qui restaient dans les sourcils de son frère, ceux là même qu’elle avait un mal fou à faire partir sans tout le lui arracher. ”Ton meilleur ami était plus mignon dans mes souvenirs mais faut croire que le temps n’aide personne.” Elle ne cite aucun nom, surtout pas celui d’Alfie, parce que la vérité est qu’elle ne sait même pas s’ils sont toujours meilleurs amis ou même tout simplement amis. Le temps n’aide réellement personne, la rancœur n’arrange rien.
« J’te laisse l’honneur ou tu préfères me regarder faire pour la première boîte ? » Ses yeux se posent tantôt sur Joseph, tantôt sur les cartons. Tout fait peu à peu sens dans un résultat final qui, lui, ne fait toujours pas sens. Elle reste sans rien dire un instant, la bouche entrouverte, hésitant entre redevenir elle-même ou garder érigée cette horrible barrière pour se protéger de lui. ”J’attends ce moment depuis des années.” Que ce soit de la porcelaine dans une boîte en carton ou le crâne de n’importe quel homme avec qui elle a eu le malheur de flirter ; c’est du pareil au même. Sa main, sûre d’elle, se tend vers Joseph alors qu’un sourire en coin apparaît peu à peu sur son visage. Il a compris que ces souvenirs lui faisaient plus de mal que de bien et elle ne le remerciera jamais assez d’être une telle tête à claque aussi observatrice.
Hors de question qu’elle lui laisse l’honneur de commencer même si tout ceci était son idée. La brune ouvre le premier carton et en découvre son contenu, ravie qu’il soit extrêmement fragile et extrêmement dénué de toute valeur sentimentale. Ils vont pouvoir s’en donner à coeur joie. Elle sort tout un lot d’assiettes et les dépose sur une table à moitié rongée par la moisissure avant d’écraser chacune d’elles pour les faire exploser. Tenant la batte imbibée d’eau de ses deux mains, elle utilise toute sa force dans cette entreprise. Toute sa rage, aussi.
Une pour papa. Une pour maman. Une pour ce village. Une pour Alfie. Une pour elle. Une pour Joseph. La dernière pour Joseph, toujours.
Si elle avait eu un millier d’assiettes, c’est un millier d’entre elles qu’elle aurait fait voler en éclats. Trop blanches, trop pures, trop simples, trop belles. Ces assiettes qui ont tout vu, tout entendu, mais qui n’en ont jamais été tâché. Elles sont simplement restées là des décennies durant, immobiles, impassibles. Comme elle.
”Je la garde. On a qu’à dire que c’est mon cadeau de Noël. Tu me laisseras l’emporter, hein ?” La faisant tourner dans tous les sens, elle prend enfin le temps d’en admirer le bois poli et ciré - d’ici cinq minutes elle se sera planté une écharpe dans la main, à n’en pas douter. En attendant qu’elle soit officiellement sienne, elle l’envoie une dernière fois à Jo pour qu’il puisse se défouler à son tour. Une assiette dans la main, elle la soupèse un instant et interroge son frère du regard pour savoir quand est ce qu’elle pourra la lancer et lui de la faire voler encore plus haut dans le ciel grâce à leur nouvel objet fétiche. Un travail d’équipe, une affaire de famille. ”Moi je t’offrirai des chaussettes de Noël, avec des pompons. Et du doré. Et de l’antidérapant dessous, parce que c’est fun.” Parce que ses chaussettes à lui sont tout sauf fun et qu’il faut bien débuter quelque part.
|
| | | | (#)Mar 17 Déc 2019 - 18:02 | |
| L’image de sa sœur qui combat mentalement une grenouille sans bouger étire un sourire sur ses lèvres. Il se souvient de sa position tendue, crispée, les deux bras vers l’avant, et le visage complètement tétanisé par la peur – et je vous rappelle qu’il s’agit seulement d’une petite grenouille aux pattes humides. Elle était complètement immobile, comme si la bête allait l’engloutir en une seule bouchée au moindre mouvement. Joseph observe Lily du coin de l’œil et sourit davantage (le sourire d’un frère fier de sa bêtise) alors qu’elle précise se rappeler encore de la sensation de l’amphibien sur sa joue. Bientôt, il sort de la bagnole garée à quelques mètres d’une rivière qui semble avoir perdu de son eau au fil des années. Alors qu’il traverse le filet frais, ses yeux sont attentifs aux alentours parce qu’il cherche des têtes de grenouilles flottant au-dessus des surfaces stagnantes dans lesquelles algues et mousses ont poussé grâce à la chaleur du soleil condensée dans la petite flaque. Il a écouté les conseils de sa sœur d’une seule oreille, bien qu’il s’assure instinctivement de ne pas poser le pied dans un endroit hasardeux. Il connait encore la rivière mais il ne sait pas ce qu’il a pu se passer avec elle dans les dernières vingt années. Arrivé à destination sans avoir vu de grenouilles et sans qu’un clou rouillé ne s’enfonce dans son pied, il se penche pour glisser sa main certaine en dessous d’un tas de planches de bois entre lesquelles pendent toiles d’araignées et proies desséchées. Il glousse en entendant Lily le prévenir d’un danger qui n’existe pas selon lui et il ressort fièrement sa batte de baseball, celle avec laquelle il s’est tant défoulé lorsqu’il était happé par l’injustice de leur père. « T’inquiète, j’sais ce que je fais, arrête de paniquer. » Il retrouve rapidement la jeune femme et lui tend le gros bâton légèrement grugé par l’humidité, le présentant comme son meilleur ami. « Ton meilleur ami était plus mignon dans mes souvenirs mais faut croire que le temps n’aide personne. » Un gloussement soulève sa poitrine mais il comprend rapidement de qui elle parle. Il détourne les yeux en esquissant une grimace de surprise – il n’aurait pas pensé qu’Alfie se glisserait si facilement dans leur conversation. Lui et Joseph ne sont pas en bons termes en ce moment : il a balancé une bombe dans son couple et est parti comme un meurtrier. « Disons que le temps s’attaque à certaines personnes et en laisse d’autres tranquille. » Conscient que ses propos sont aussi flous que la vision d’une taupe, il se contente de secouer la tête pour inconsciemment demander à sa sœur de changer de sujet.
Il présente finalement son plan diabolique : taper dans les boîtes, taper dans les mauvais souvenirs. L’enthousiasme de sa sœur quant à cette proposition le surprend premièrement mais il l’observe s’emparer de la batte avec joie et il se recule machinalement de quelques pas pour éviter de faire de cette expérience un massacre sanglant. Les assiettes, fragiles petites planches de porcelaines, sont étendues sur ce qu’il reste d’une table en bois et un sourire ravi éclaire le visage du frère lorsque le premier coup est envoyé. Des éclats de vaisselle s’éparpillent dans l’herbe boueuse et, bien que la vue du dégât devrait l’attiré davantage, il garde ses deux yeux rivés vers le visage de sa sœur pour noter sa réaction. Il voit au travers ses iris claires une lumière de délivrance et cette dernière brille de plus en plus au fil et à mesure que les assiettes éclatent en mille morceaux. La voir comme ça, à la fois forte et vulnérable, lui fait le plus grand bien. Comme s’il voyait enfin une faille dans l’âme parfaite de la préférée des parents. Il sort de ses rêveries lorsque la voix de la jeune femme s’élève pour s’approprier la fameuse batte. « Ouais, ouais. Elle te rappellera que ça fait du bien de briser des trucs, parfois. » Il faut briser les vestiges du passé pour bâtir un meilleur futur. C’est ce qu’il pensait faire en jetant aux ordures la peluche que Lily lui avait offert. Brandissant le bras vers l’avant pour attraper l’objet destructeur, il plante ses deux pieds nus dans la terre humide et porte toute son attention vers l’assiette dans la main dans sa sœur, prêt à la fracasser en plein vol. « On parlera de ces chaussettes plus tard, ou jamais. En fait, j’ai plutôt envie que tu les oublies. Allez, balance ! » Il désigne l’assiette d’un signe de la tête et il se positionne comme un véritable joueur de baseball. L’objet lancé, il projette toutes ses forces vers l’avant mais sa batte ne frôle même pas l’assiette qui vient plutôt se fracasser contre une pierre. « Fais comme si t’avais rien vu et recommence. » Il l’incite du regard alors qu’elle part à la recherche d’un autre objet fragile. « La tasse, prends la tasse ! » Il la pointe avec sa batte : cette fameuse tasse probablement encore tâchée de chocolat chaud décorée d’une crèche dans laquelle bovins et hommes surplombent le petit Jésus. La tasse dans laquelle Lily dégustait sa boisson chaude et sucrée en même temps que leur mère, au petit matin, quand Cyril dormait encore (flemmard) et quand Joseph préférait se cacher entre ses deux vaches pour leur raconter ses rêves de la nuit. « Oh, non, attends, attends ! » Il pivote la batte vers un autre objet : « Ce truc-là, le petit bol rose avec des fleurs. » Le seul et unique bol dans lequel Lily posait les mouchoirs souillés de sang avant de les jeter à la poubelle comme si jamais personne n’avait saigné après dix heures.
|
| | | | | | | |
| |