Il ne l’autorise pas à s’inquiéter pour lui ni même à parler d’Alfie. Aucun doute : il n’a absolument pas changé. Joseph, fidèle à lui même et ce même au travers des décennies. La brune n’a rien à redire à cela et elle aussi est fidèle à ses principes consistant à ne pas faire de zèle. Au fil de leurs aventures, ils deviennent une équipe de baseball d’un jour. Ils ne sont pas réellement doués, à vrai dire, entre Lily qui manque de se casser le poignet à chacun de ses gestes et Joseph qui ne touche même pas la balle-assiette … ils n’iront jamais bien loin. Le plus friable reste encore le lien qui les relie, certes réparé pour aujourd’hui mais rien ne leur dit qu’il en sera de même pour le lendemain. Sans doute que dès que le soleil se lèvera à nouveau ce sera un retour à la case départ. Comme toujours.

« La tasse, prends la tasse ! » Elle sursaute alors que ses mains étaient plongées dans le carton à la recherche de la pièce rare. Enfant fière et débrouillarde détestant qu’on lui dicte quoi faire, elle lance un regard noir à son aîné en même temps qu’il manque de lui mettre un coup de batte. Finalement conciliante, elle l’extirpe doucement de dessous les autres pièces avant que son frère ne change d’avis. Elle n’est même pas étonnée à vrai dire, seulement agacée qu’il trouve toujours le moyen de la mettre sur les nerfs quelle que soit la situation.

« Oh, non, attends, attends ! Ce truc-là, le petit bol rose avec des fleurs. » Cette fois-ci elle arrête tout son cinéma consistant à souffler toujours plus fort et être toujours moins délicate avec les objets pour montrer son mécontentement. Accroupie devant la boîte, elle prend désormais tout son temps pour attraper l’objet. Entre ses mains, il a tout du Saint Graal personnifié ; elle en prend soin comme si tel état le cas. L’observant sous toutes ses coutures, elle laisse ses doigts courir sur les fleurs dessinées à la main, celles là même qui ne sont ni belles ni hideuses. Pourtant, ils savent tous les deux que ce ne sont pas les fleurs qui ont poussé Joseph à vouloir faire de cette tasse sa prochaine victime. Elle laisse ses yeux bleus remonter jusqu’au sien. Lily arbore un visage fermé et des traits tirés, elle paraît avoir soudainement pris plusieurs années en une fraction de seconde. Tout son corps crie ’sûr ?’ à son frère sans qu’elle n’ose réellement prononcer ces mots de peur de rendre réel leur passé par la même occasion. Si on n’en parle pas, ça n’existe pas. C’est la règle. ”T’as raison, c’est hideux ce truc, j’en voudrai jamais chez moi de toute façon.” Tout ce qu’ils ne casseront pas aujourd’hui finira dans la première décharge venue de toute façon alors autant lier l’utile à l’agréable.

La brune se place à nouveau pour lui lancer cette foutue tasse à la figure avec le plus de précision qu’elle peut. L’objet suit une trajectoire en cuillère pour se retrouver propulsé par la batte en bois, aussi loin d’eux que possible, là où ils n’iront jamais rechercher ce souvenir de malheur. "Bon débarras."

Les mains de Lily semblent tellement douces et frêles autour de l’objet qui alimente la haine de Joseph. Ce petit bol sur lequel ont été peintes des fleurs ne représente qu’un mauvais souvenir pour lui et devrait représenter la même chose pour sa sœur qui, au contraire, le traite comme s’il valait tout l’or du monde. Pantois, il l’observe analyser l’objet en sentant son poing se serrer de plus en plus fort autour du manche de la batte alors que ses jointures deviennent blanches comme la neige. La jeune femme, légèrement ébranlée, relève la tête pour interroger son frère du regard et il lui suffit d’hocher la tête sans dire un mot pour la convaincre de balancer ce foutu bol qui ne mérite que de disparaître une bonne fois pour toute. « T’as raison, c’est hideux ce truc, j’en voudrai jamais chez moi de toute façon. » Le garçon se pince les lèvres en avalant sa salive, rassuré de voir que Lily ne se laisse pas appâter par la nostalgie. S’il les a conduits près de cette petite rivière, c’est bien pour briser le passé et le laisser couler au fond de l’eau jusqu’à ce que le temps fasse son œuvre. « Je suis prêt. » Il dit, en calant ses deux pieds nus dans la boue, adoptant une seconde fois la position d’un joueur de baseball. Le petit bol se sépare enfin des mains de Lily et franchit quelques mètres avant d’exploser contre l’extrémité de la batte. Aussitôt, Joseph couvre son visage avec son bras pour se protéger des éclats de porcelaine, étonnamment surpris d’avoir cette fois-ci visé en plein dans le mile. Quelques morceaux gisent au sol, au milieu d’eux des brins d’herbe tendent leur tête vers le ciel pour couvrir davantage le souvenir de ce bocal qui n’aura servi que de serviette pour essuyer les larmes de deux enfants innocents. « Bon débarras. » La respiration de Joseph retrouve un rythme normal : il redresse la tête et un mince sourire de satisfaction étire ses lèvres. Il acquiesce et, dans un mouvement volontairement désintéressé, il laisse tomber sa batte dans la rivière et le courant ne l’emporte que de quelques mètres avant qu’elle ne se coince entre les rochers couverts de mousse à l’aspect gluant. C’est en récupérant ses chaussures qu’il marmonne à l’intention de Lily : « Viens, on rentre. Je te laisse conduire cette fois. »