“One, two, three, one, two, three, drink. Throw 'em back, till I lose count”
L’alcool n’est pas la solution à nos problèmes. C’est habituellement ce que je dis, sauf que de temps en temps boire pour oublier c’est bien aussi, non ? Et pourtant ce n’était pas spécialement le but de ma soirée avec Jules. On ne s’est pas dit qu’on allait se retrouver pour boire et oublier nos emmerdes du quotidien. Même si en ce moment, des problèmes on en a pas mal tous les deux. J’ai toujours l’esprit occupé à quelque chose et je passe mon temps à me demander si je ne suis pas en train de faire une connerie en pardonnant tout à Alex. Elle n’est plus là depuis quelques jours, elle a quitté Brisbane pour partir à Londres. Problèmes familiaux, c’est ce qu’elle m’a dit. Il n’y a pas de raisons que ce soit un mensonge, non ? Elle va revenir cette fois, elle ne me ferait pas deux fois la même chose. Enfin j’en sais rien. Si elle pourrait très bien le refaire, je le sais et c’est bien ça le vrai fond du problème, c’est pour ça que je n’arrive plus à lui faire confiance. Tout ce que je sais c’est que depuis son arrivée à Londres il y a quelques jours je n’ai plus de nouvelles de sa part. Ce qui n’est pas vraiment rassurant pour moi. Mais j’essaie de rester positif et de me dire qu’elle est sûrement trop occupée pour regarder son portable. Ou pas. En fait l’idée de me dire que je me suis potentiellement fait avoir par la même fille, pour la deuxième fois me panique un peu. Et je sais que c’est plausible. Elle est déjà partie une fois alors pourquoi elle ne le referait pas ? Comme je le fais depuis plusieurs mois, j’essaie de m’occuper un maximum l’esprit alors ce matin j’ai été courir. Bon, j’ai surtout essayé de courir. Parce que je me suis mis au sport depuis quelques semaines mais mon endurance est plus que catastrophique, je vous jure ça fait pitié. Je suis à peine capable de courir pendant dix minutes sans avoir eu l’impression d’avoir couru le marathon de New-York. Après ma tentative de jogging du matin j’ai été travaillé et une fois le service de midi terminé j’ai dû enchainer avec un rendez-vous avec les fournisseurs et le comptable. Et je peux vous assurer qu’après une journée comme ça je suis assez soulagé de savoir que je ne travaille pas ce soir. Et c'est sur la route pour rentrer au loft que j'ai appelé Juliana pour lui demander si elle été libre pour passer chez moi. Et c’est donc comme ça qu'elle s'est retrouvée chez moi ce soir.
Je pose mon verre vide sur la table basse du salon. On en est déjà tous le deux à notre troisième verre d’alcool. Mais comment est-ce qu’on en est arrivés là sérieusement ? Au début on était juste censé boire un verre. Un seul. Et puis après je lui en ai proposé un deuxième, et un troisième. « Bon par contre si on continue à boire comme ça, il vaut mieux qu’on mange un truc parce que j’ai le ventre vide, j’ai rien avalé depuis 11h. Alors je risque de finir bourré. Très vite. » Je lui avoue. Avant de prendre mon service ce midi j’ai mangé une petite salade c’est tout ce que j’ai mangé de la journée. Pour un cuisinier je ne mange pas énormément. Pourtant j’adore manger je vous assure. Je préfère faire à manger aux autres que pour moi-même. Mais là, maintenant, tout de suite je n’ai vraiment pas envie de cuisiner – oui, oui ça arrive. – Je passe au travail mes journées entières à cuisiner alors quand je quitte mon restaurant en général j’ai besoin m’éloigner un peu des fourneaux pour ne pas me dégoûter de la cuisine, qui avant d’être mon métier reste ma première passion. Sauf que depuis que ma sœur a emménagé chez moi j’aime lui préparer des repas, simplement pour lui faire plaisir. Je me lève pour partir dans la cuisine ouvrant le frigo et les placards. « Y a des restes de ce que j’avais préparé pour ma sœur. Un peu de lasagnes ça te tente ? » Je me retourne vers elle. Et vu le peu de choses que j’ai mangées aujourd’hui autant vous dire que j’ai vraiment faim. « Ou bien je nous commande des pizzas. Comme tu veux. » Boire en ayant le ventre vide c’est une grosse erreur et le meilleur moyen de finir bourré vraiment très vite. Et normalement c’était pas spécialement le but de cette soirée avec Juliana. Je voulais juste qu’on puisse parler, parce que je sais qu’elle a elle aussi beaucoup de choses en tête en ce moment et depuis notre conversation au restaurant nous n’avons pas réellement eu l’occasion de se parler sérieusement. Tout ce que je sais c’est que sa discussion avec Alfie ne s’est pas déroulée comme elle l’aurait voulu et moi, depuis notre week-end en mer tout un tas de choses se sont passées dans ma vie. Et bien sûr seulement des événements qui ne sont que moyennement positifs. Apprendre qu’on a un fils de huit ans c’est positif ou négatif ? Mais je ne sais pas où il est, il a certainement été adopté, il a un père un vrai qui l’élève alors non, ce n’est pas la meilleure nouvelle qui puisse exister. « Mais en tout cas je pense qu’on a besoin d’un autre verre. » Moi du moins, j’en ai besoin. Elle, je ne sais pas. Mais elle semblait avoir besoin de se vider la tête, c’est sûrement pour ça qu’elle a accepté les premiers verres que je lui ai proposé. Boire juste pour boire, ce n’est clairement pas quelque chose que je fais régulièrement mais je nous sers tout de même un nouveau verre et je me retourne vers elle. « Je propose qu’on trinque à nos problèmes ! » Qu’est-ce que c’est déprimant. Mais pourtant… À nos problèmes, à nos vies de merde. Enfin, à ma vie de merde du moins qui ne semble pas aller en s’améliorant malheureusement.
Est-ce qu’abandonner mon petit-ami en pleine convalescence et avec un moral légèrement vacillant pour aller picoler avec mon meilleur ami est une attitude de garce ? Oui, très probablement. Est-ce qu’avoir la réponse à cette question m’a incitée à ne pas le délaisser pour y aller quand même ? Non, absolument pas et même si le sentiment de culpabilité me noue l’estomac alors que je monte quatre à quatre les escaliers pour me rendre au loft de Caleb, je dois dire que je suis heureuse de pouvoir sortir un peu et de revoir enfin le jeune homme en tête à tête. Si nous ne nous sommes pas revus avant, c’est de ma faute, parce que j’ai un peu évité d’avoir une conversation avec lui pour ne pas avoir à lui rapporter une discussion que je n’arrivais pas à digérer mais je m’en veux un peu de l’avoir laissé de côté alors qu’il s’était montré à l’écoute et de bon conseil avec moi. J’aurais aimé avoir plus de temps pour lui en parler la dernière fois que nous nous sommes vus, mais Stephen était là et je ne voulais surtout pas trop en dire devant lui pour qu’il n’ait pas à prendre parti alors que je connais son attachement envers Alfie. Même s’il m’apprécie – enfin je crois – et c’est réciproque, je sais que son amitié et sa loyauté iront toujours vers mon petit-ami et c’est bien légitime, alors je pèse mes mots et me garde de m’embarquer dans des confidences qui pourraient me desservir ou le mettre dans une position un peu délicate. En revanche, s’agissant de Caleb, je n’ai pas les mêmes filtres à avoir, au contraire, c’est à lui que je me confie – en règle générale – et je suis toujours heureuse de pouvoir appliquer les conseils qu’il me donne et qui s’avèrent toujours bénéfiques. Alors forcément, lorsqu’il m’a appelé pour me demander de le rejoindre, je n’ai pas hésité très longtemps avant d’accepter, m’assurant tout de même au préalable qu’Alfie soit en capacité de s’auto-gérer ce soir, ce qu’il m’a assuré, prétextant devoir aller rattraper ses heures de sports manquées. C’est donc mi excitée et mi culpabilisante que je me rends chez moi ami, persuadée que je vais passer une bonne soirée, ou à défaut que nous allons pouvoir tous les deux vider notre sac et quelque chose me dit qu’il doit en avoir besoin, lui aussi, puisque l’idée du bateau n’était pas uniquement l’idée de Stephen et pour que Caleb ait besoin de fuir son restaurant, il lui en faut vraiment beaucoup. Arrivée sur le seuil de l’appartement, bouteille de vin récupérer dans une superette sur le chemin, à la main, je tambourine sans délicatesse à la porte qui ne tarde pas à s’ouvrir sur un Caleb a l’air fatigué mais de bonne humeur. Je le serre brièvement dans mes bras avant de franchir le seuil de cet appartement que je connais bien désormais et que je suis toujours étonnée de trouver si bien entretenu compte tenu du fait que son occupant possède un chromosome Y. C’est un peu sexiste de ma part, j’en conviens, mais tellement réaliste qu’il est facile de faire une généralité.
Trois verres plus tard, j’ai la tête qui tourne et l’esprit embrumé ce qui me ressemble bien compte tenu de mon incapacité à tenir l’alcool et de la bonne descente que nous avons depuis le début de la soirée. Caleb pose son verre vide sur la table et je me hâte de terminer le mien pour l’imiter et ne pas me laisser distancer dans cette beuverie improvisée. Ce n’était pas prévu comme ça, nous devions boire juste un verre en pleurnichant sur notre pauvre sort et au lieu de ça, c’est en échangeant des banalités que nous avons descendus de longues gorgées sans trop nous rendre compte que nous étions déjà en train d’abuser. Toutefois, je reste lucide et je me rends bien compte qu’il a raison lorsqu’il dit qu’il ferait mieux de manger et si j’ai eu la chance d’avaler un déjeuner un peu plus tard que lui, je n’ai pas diné moi non plus et être à jeun risque de précipiter notre chute. « Je te suis, je ne tiens pas à finir la tête dans la cuvette de tes toilettes, j’ai passé l’âge pour ses conneries. » J’acquiesce, avec un sourire, honteuse d’imaginer que je puisse me mettre dans une pareille position. Certes, il s’agit de Caleb et je suis certaine qu’il prendrait soin de moi si je devais me mettre dans un état pareil mais ça ne me ressemble absolument pas et ce n’est pas l’image de moi que j’ai envie de renvoyer. « Rectification, je nous commande des pizzas. » Je rétorque, insistant sur le fait que j’ai bien l’intention de passer cette commande puisque outre ma pauvre bouteille de vin qui n’a pas coûté une fortune, je ne contribue pas du tout à cette soirée pour le moment. Je tiens à rendre les choses équitables. Je sors donc mon téléphone portable, dégainant l’application de livraison adaptée. « En plus, je me sentirais mal de piquer de la nourriture destinée à ta sœur, je crois que je pourrais tuer pour un vol de nourriture si c’était à moi que ça arrivait. » Enfin, ça dépend du repas préparé par Alfie, bien sûr, certains de ses élans de créativités auraient dû rester abstraits, mais la plupart du temps, il s’en sort très bien et je n’ai pas la prétention de l’égaler, raison pour laquelle je suis toujours très heureuse de se servir dans les réserves qu’il fait pour moi. Il peut même m’arriver d’affronter une journée difficile en pensant simplement à ce qui m’attend de bon pour le soir alors si je devais rentrer en me rendant compte que mon repas a été mangé, ça me mettrait dans une rage folle. « Tu veux quoi ? On en prend deux et on partage ? La végétarienne est en promotion. » Je pose mon téléphone sur la table pour le laisser regarder les pizzas au menu et j’acquiesce vigoureusement lorsqu’il affirme que nous avons besoin d’un autre verre. En effet, quitte à boire, autant ne pas le faire à moitié – enfin raisonnablement malgré tout mais suffisamment pour rendre cette soirée confession qui s’annonce plus agréable que larmoyante – et je ne suis bien décidée à ne pas en rester là. « Plein d’autres verres. » Et je prends mon verre de nouveau rempli pour trinquer avec lui. « A nos problèmes ! » J’avaler une grande gorgée avant de poser de nouveau le verre sur la table pour poser la question qui va amorcer la partie moins fun de cette soirée. « Ça veut dire que tu te sens prêt pour te lancer dans le récapitulatif détaillé de ta liste de problèmes ? Je suis tout ouïe. » Je veux savoir ce qui le met aussi mal pour qu’il m’ait appelée ce soir et que nous nous retrouvions là à nous saouler comme deux adolescents. Je clique pour envoyer la commande auprès de la pizzeria et commente. « On a un temps d’attente de vingt minutes pour la livraison, d’ici-là il faut qu’on arrive à se montrer raisonnable si on veut réussir à aller ouvrir la porte sans tituber. » Ralentir la cadence me semble une bonne idée pendant que j’ai encore la lucidité de le faire mais quelque chose me dit que plus on va parler et plus on aura envie de boire.
“One, two, three, one, two, three, drink. Throw 'em back, till I lose count”
En demandant à Juliana de passer la soirée avec moi je savais très bien que je ne le regretterai pas. Elle fait certainement partie des personnes que j’aime le plus en partie parce que je sais qu’avec elle je peux être moi-même et qu’elle ne me jugera pas. On se comprend sur pas mal de points et j’ai l’impression qu’on a tous les deux la même vision du monde, de l’avenir et du futur qu’on aimerait avoir. Et je sais que je peux compter sur elle comme elle peut compter sur moi. On se l’est prouvé il n’y a pas encore si longtemps que ça quand elle m’a parlé de ses problèmes avec Alfie, et quand moi je venais tout juste de revoir Alex pour la première fois depuis huit ans. Depuis on ne s’est revus qu’une fois pendant ce weekend complètement improvisé. Sauf qu’on se s’est pas vraiment reparlés depuis, on passe tous les deux une période un peu compliquée et je m’en veux beaucoup de ne pas pouvoir être plus présent pour elle. Raison pour laquelle je lui ai demandé de venir chez moi. Je pense qu’on a pas mal de choses à se dire elle et moi. La dernière fois au restaurant je lui avais assuré que je n’avais plus de sentiment pour mon ex et je ne lui ai pas menti parce que c’était vraiment le cas à ce moment-là. Je n’avais plus le moindre sentiment pour elle à part peut-être encore un peu de rancœur, et quand on sait les raisons de notre séparation c’est plutôt compréhensible, non ? Normalement on était censé boire un verre tout en rattrapant un peu le temps perdu. Mais nous venons tous les deux de finir notre troisième verre et partis comme on est autant continuer sur la même lancée, non ? « Je te suis, je ne tiens pas à finir la tête dans la cuvette de tes toilettes, j’ai passé l’âge pour ses conneries. » Je lâche un petit rire, amusé par sa réflexion et ce qui me fait réaliser que je n’ai jamais vu Jules abuser de l’alcool. Tout comme elle ne m’a jamais vu bourré elle non plus. « Oh c’est pas grave, au pire je te tiendrai les cheveux. » La dernière fois que je me suis retrouvé à être tellement bourré que j’en ai vomis c’était il y a vraiment très longtemps. Avec Alex d’ailleurs. Parce que quand on s’est rencontrés, moi j’étais ce garçon sage, assez sérieux et ne sortait et ne buvait pas beaucoup. Et elle c’était mon contraire sur tous les points. Elle sortait et buvait beaucoup, elle était tout sauf une fille sage. Et il lui arrivait quelque fois de me traîner dans ses soirées dans lesquelles je n’étais d’ailleurs pas franchement à l’aise. « Rectification, je nous commande des pizzas. » Je n’insiste pas parce que je sais que si elle a vraiment nous commander des pizzas je ne pourrais pas la faire changer d’avis. Et puis tant que je peux manger pour m’éviter d’être complètement bourré dans une heure, tout me va. « En plus, je me sentirais mal de piquer de la nourriture destinée à ta sœur, je crois que je pourrais tuer pour un vol de nourriture si c’était à moi que ça arrivait. » Tuer pour de la nourriture honnêtement je ne peux que la comprendre. Comme tout cuisinier qui se respecte, j’aime la nourriture. La préparer surtout oui mais aussi la manger. « Les choses qu’on serait capable de faire pour de la nourriture…» Je me souviens que LV me disait souvent qu’elle pourrait tuer n’importe quelle personne qui l’empêcherait de manger un plat que je lui avais préparé. Souvent je lui cuisinais ses repas préférés pour qu’elle puisse les emporter au travail et les manger à midi. Et je ne sais même pas pourquoi je pense à ça. Pourquoi est-ce que je dois toujours penser à elle même dans des situations qui ne s’y prêtent pas ? Une autre raison qui expliquer certainement mon envie de boire ce soir. « Tu veux quoi ? On en prend deux et on partage ? La végétarienne est en promotion. » Je prends son portable pour faire défiler les pizzas présentes au menu. Honnêtement je ne suis pas très difficile, je peux manger de tout alors je sélectionne la première qui me tente un peu plus que les autres et lui rends son portable. « Ouaip, deux et on partage. J’ai pris une Reine mais si t’en préfères une autre, prends ce que tu veux je suis vraiment pas difficile. » Et puis en lui c’est elle qui a insisté pour payer alors au fond, elle peut prendre tout ce qu’elle veut. Moi tant que ça se mange, tout me va.
En attendant que nos pizzas arrivent on décide de trinquer à nos problèmes. Enfin c’est moi qui le décide mais Jules ne semble pas contre cette idée. Je l’imite en buvant une grande gorgée de mon verre et je reprends place à côté d’elle sur le canapé. « Ça veut dire que tu te sens prêt pour te lancer dans le récapitulatif détaillé de ta liste de problèmes ? Je suis tout ouïe. » Elle veut vraiment un récapitulatif de mes problèmes ? Ça risque d’être long, et déprimant. Ce dernier mot résume parfaitement ma vie depuis quelque temps ; déprimante. Ce qui est vraiment triste – histoire de ne pas redire déprimant. – « On a un temps d’attente de vingt minutes pour la livraison, d’ici-là il faut qu’on arrive à se montrer raisonnable si on veut réussir à aller ouvrir la porte sans tituber. » J’acquiesce d’un signe de tête. Bon j’ai donc vingt minutes pour lui expliquer à quel point je n’arrive plus à maîtriser quoique ce soit dans ma vie – ce qui me rend complètement fou parce que je déteste ne pas pouvoir tout gérer. – Je me racle le gorge et je prends mon portable pour regarder l’heure, et je constate d’ailleurs que je n’ai toujours aucun signe de vie d’Alex depuis son départ si brutal à Londres. Je soupire et je pose mon portable sur la table du salon. « Ok très bien, alors je me plains jusqu’à ce que le livreur arrive mais après ça sera ton tour. » Je la préviens, parce que je sais qu’elle aussi elle a des choses à me dire. Je ne sais même pas par où commencer, alors je passe une main dans mes cheveux comme si ce geste m’aiderait à remettre mes idées en place. « Tu te souviens quand tu m’as dit que passer du temps avec mon ex serait certainement une mauvaise idée ? Tu m’avais dit qu’il y avait toujours le risque qu’une tonne de vieux sentiments remontent à la surface ? » Je la regarde, attendant sa réponse. Jusqu’ici rien de bien dramatique, je viens simplement de lui dire que j’avais de nouveau des sentiments pour Alex. Même si Jules ne l’a jamais rencontrée je connais son avis sur elle et je me doute qu’elle ne sera certainement pas enchantée d’apprendre que je suis retombé amoureux de celle qui m’avait tant fait souffrir en me manquant de respect il y a plusieurs années. « T’avais complètement raison sur toute la ligne. Et je ne suis pas sûr que ça soit une bonne chose. » Bien qu’il y a quelques semaines j’ai assuré à Alex que je lui pardonnais. Oui je lui pardonne de m’avoir menti et surtout de m’avoir caché l’existence de mon fils qu’elle a lassé à l’adoption. Je dois être sacrément con pour être capable de lui pardonner une chose pareille mais au moins je m’en rends compte c’est déjà ça. « Sauf que c’est super compliqué et même si j’en ai envie je ne suis même pas sûr qu’on pourra un jour se remettre ensemble. » Tout simplement parce que je ne lui fais plus confiance et je ne sais pas si un jour je vais être en mesure de lui refaire confiance comme avant. J’ai peur de souffrir encore et avec elle je sais qu’il y a des grandes possibilités que ça arrive.
L’idée que qui que ce soit puisse être obligé de me tenir les cheveux pendant que je viderais le contenu de mon estomac dans les toilettes est fortement déplaisante et je grimace en entendant Caleb faire une pareille suggestion, même je sais qu’il plaisante, évidemment. « Quelle horreur, je crois que je n’arriverais plus jamais à me regarder dans un miroir après ça. » Je rétorque, imaginant sans mal l’état lamentable dans lequel je me retrouverais le lendemain matin et mon incapacité à affronter mon propre jugement et encore moins celui de Caleb qui aura assisté à ma déchéance. Non, définitivement, ce genre de comportement ne me ressemble pas et je ne tiens pas à en faire l’expérience même si je fais aveuglément confiance à mon meilleur ami et que je sais très bien qu’il s’occupera parfaitement de moi et ne me laissera pas tomber. « Je pense que manger reste notre meilleure option, parce que si tu es trop mal pour me tenir les cheveux, ça risque d’être compliqué. » Caleb a l’air d’avoir une capacité à tenir l’alcool aussi exceptionnelle que la mienne ce qui me prouve qu’il vaut mieux faire attention. Je suis persuadée que nous pourrions tous les deux nous entrainer dans une série de mauvais choix que nous pourrions regretter amèrement une fois que nous en prendrions conscience. C’est d’autant plus vrai que nous nous trouvons tous les deux dans un état de déprime avancé qui risque de rendre une surconsommation d’alcool bien plus dramatique qu’en temps normal. Nous avons donc trouvé une très bonne excuse pour manger – même si nous n’avons pas vraiment besoin d’excuse – et c’est tout naturellement que j’impose à Caleb de payer pour cette fabuleuse commande de pizza que nous nous apprêtons à faire. « Puisque tu prends une classique, je vais opter pour une Hawaïenne, tu n’as rien contre l’ananas dans les pizzas, si ? » Loin de moi l’idée de vouloir lancer un débat animé mais à mon sens, il n’y a rien de meilleur que l’ananas cuit qu’il soit sur une pizza ou non et j’espère bien que mon ami a les mêmes goûts que moi à ce sujet. De toute façon, nous avons toujours eu pour habitude de ne pas nous prendre la tête et nous nous adaptons assez facilement l’un à l’autre, certainement parce que la similarité de nos caractères et de nos goûts nous le permet d’habitude. Parfois, je me surprends à penser que j’aimerais que les choses deviennent aussi faciles avec Alfie qu’elles le sont avec Caleb, qu’il n’y ait pas tout ce flou autour de lui qui rend notre relation plus compliquée qu’elle devrait l’être et notre avenir plus qu’incertain. Les mois s’écoulent sans que nous arrivions à solutionner nos problèmes et même si la situation n’empire pas vraiment, elle ne s’améliore pas non plus et nous savons tous les deux qu’elle n’est pas viable sur le long terme. En tout cas, j’espère qu’il le sait, parce que les cartes sont entre ses mains et je n’attends qu’un signal de sa part pour faire en sorte que tout aille mieux entre nous. J’ai ma part de responsabilité dans tout ça, je le sais, mais je ne suis pas réfractaire au dialogue et je ne peux pas toujours en dire autant venant de lui.
Heureusement, ce n’est pas à moi de lancer cette conversation complètement déprimante puisque je laisse l’opportunité à Caleb d’être le premier à se lamenter sur son sort. J’ignore si je pourrais l’aider, j’ignore même s’il veut être aidé, mais parler pourrait lui faire du bien et je suis tout à fait disposée à l’écouter pleurnicher pendant des heures s’il en a besoin. Je connais suffisamment Caleb pour savoir qu’il n’est pas du tout du genre à se plaindre s’il n’a pas de motif suffisant pour le faire, il est plutôt un acharné du travail avec une volonté de fer et une capacité à rebondir en toutes circonstances. Même après la mort de l’amour de sa vie, il ne s’est pas laissé dépérir et je suis admirative de la façon dont il a géré son deuil même si l’absence de sa future femme reste encore aujourd’hui compliquée à accepter pour lui. « Deal. » Pour ce qui est de me plaindre, j’ai presque un discours tout préparé à lui ressortir, il n’a pas d’inquiétude à avoir à ce sujet. Il ne se fait pas prier pour commencer, cependant, et ses premières paroles suffisent à capter mon attention. Bien sûr que j’ai le souvenir de cette conversation tenue quelques semaines auparavant dans son restaurant. Il avait l’air perturbé par le retour de cette ex qui lui avait fait tant de mal et quelque chose me dit qu’il n’a pas suivi mes conseils concernant cette mystérieuse jeune femme. « Evidemment, je m’en souviens très bien. » Et j’aimerais lui dire que je ne suis pas étonnée d’avoir eu raison vu qu’il en parlait déjà avec des cœurs dans les yeux il y a peu de temps, mais je m’abstiens de faire tout commentaire, je ne pense pas qu’il ait besoin d’être enfoncé. Il retombe amoureux de son ex et s’est mis dans une situation déplorable, c’était plutôt attendu et j’aurais eu du mal à le croire s’il m’avait annoncé le contraire. « Je vois. » Je commence, pas certaine du discours que je devrais tenir et pas certaine de savoir dans quel pétrin il s’est fourré avec cette ex que je ne connais que très brièvement et pas personnellement. Je suis d’ailleurs persuadée que Caleb ne sait pas lui-même ce qu’il veut et ce n’est pas à moi de lui indiquer le chemin à prendre mais bien à lui de le trouver tout seul. En revanche, je peux tenter de lui faire ouvrir les yeux sur la complexité de la solution et l’aider à trouver lui-même la solution qui sera la meilleure pour lui. « Tu veux m’expliquer ce qui est si compliqué pour que tu te donnes quand même la peine d’essayer mais que tu ne veuilles pas te remettre avec elle alors que tu en as envie ? » Je repose mon verre après avoir avalé une gorgée supplémentaire et poursuis mon discours. « Il n’y a que deux solutions finalement, soit tu renonces et dans ces cas-là tu t’éloignes d’elle définitivement, soit tu penses que ça en vaut la peine et tu te lances, rester dans un entre-deux bizarre ne risque pas de te rendre heureux. » Je suis sûrement un peu trop tranchée dans mes opinions et je ne sais pas si c’est l’alcool qui rend mon jugement un peu moins nuancé ou simplement l’adolescente que j’étais qui refait surface pour voir le monde en noir et blanc. « J’espère que tu ne vas pas trop souffrir. » Cette fille lui a brisé le cœur une fois, et il n’a vraiment pas besoin d’une énième déception amoureuse en ce moment.
“One, two, three, one, two, three, drink. Throw 'em back, till I lose count”
Devoir m’occuper de mes amis bourrés, c’est quelque chose que j’ai fait plus d’une fois. Même si en l’occurrence, c’est surtout m’occuper d’Alex bourrée que j’ai eu à faire. Quand on était ensemble il y a plusieurs années elle sortait beaucoup, un peu trop peut-être mais ça ne me dérangeait pas. « Quelle horreur, je crois que je n’arriverais plus jamais à me regarder dans un miroir après ça. » De toute façon si elle termine la tête dans la cuvette des toilettes je me promets à moi-même de ne pas la juger, ni même de me foutre de sa gueule. Parce que ça serait mal placé de ma part, se prendre une cuite je l’ai déjà fait, pas beaucoup de fois, mais ça m’est déjà arrivé. « Ouais enfin, tu t’es déjà pris une cuite, non ? Dans tous les cas, promis je te jugerai pas. » Et puis de toute façon, on est pas en train de boire dans le but de se retrouver dans un état déplorable demain matin. Moi, je suis censé travailler pour le service de midi et je me vois mal arriver au restaurant avec une gueule de bois. « Je pense que manger reste notre meilleure option, parce que si tu es trop mal pour me tenir les cheveux, ça risque d’être compliqué. » Sa réflexion m’arrache un rire. Je ne tiens pas très bien l’alcool moi non plus mais je pense que le plus triste c’est que je me suis vraiment amélioré à ce niveau-là. Il y a dix ans je ne pouvais pas boire plus de trois verres de peur de finir complètement bourré, pour vous montrer à quel point ma capacité à tenir l’alcool était catastrophique. « Manger c’est toujours la meilleure option dans n’importe quelle situation. » Parce que comme tout cuisinier qui se respecte, j’aime autant préparer des plats que les manger. Mais de toute façon comme tout le monde le sait, manger c’est la règle d’or quand on se met à boire. Surtout si on ne veut pas se retrouver complètement déchirer en un laps de temps record. En même temps, je sais qu’en ce moment les choses ne sont pas simples pour nous deux et j’ai l’impression que sortir de son quotidien lui fait du bien ce soir. Et à moi aussi. Alors oui ; boire me semble être une très bonne option, mais manger aussi. « Puisque tu prends une classique, je vais opter pour une Hawaïenne, tu n’as rien contre l’ananas dans les pizzas, si ? » Lors de mon stage de cuisine en Italie je me souviens avoir eu ce fameux débat avec un Italien qui était présent. Lui était outré et strictement contre les ananas sur les pizzas et moi j’essayais de le convaincre du contraire. « Non, j’adore l’ananas sur les pizzas. » Est-ce que c’est réellement étonnant ? Non pas vraiment. Les ressemblances entre Juliana et moi sont tellement nombreuses qu’elles pourraient presque en être flippantes. On a les mêmes goûts, les mêmes idées, la même vision de voir le monde, on a les mêmes objectifs et les mêmes rêves pour le futur. On se ressemble énormément, et on se comprend facilement. C’est certainement pour ça que me confier à elle me semble toujours facile. Parce que je sais qu’elle ne me jugera pas, je sais qu’elle pourra me comprendre, ou du moins essayer de me comprendre.
Mais malheureusement on décide tous les deux que c’est à moi de commencer à lui raconter mes problèmes. Il s’agit de la suite de ce que j’avais pu lui raconter la dernière fois au restaurant. En gros, Jules m’avait conseillé de m’éloigner d’elle parce qu’elle pensait qu’Alex me fera souffrir à nouveau. Et elle a eu raison. Parce que c’est ce qu’il s’est passé. Mais malgré tout ce qu’il s’est passé entre nous je reste attiré par elle. Et ce n’est malheureusement pas une simple attirance physique, c’est bien plus que ça. J’ai vraiment essayé de suivre les conseils de Jules. Je vous assure que j’ai vraiment essayé, mais il faut croire que je suis incapable de rester loin de mon ex trop longtemps. « Tu veux m’expliquer ce qui est si compliqué pour que tu te donnes quand même la peine d’essayer mais que tu ne veuilles pas te remettre avec elle alors que tu en as envie ? Il n’y a que deux solutions finalement, soit tu renonces et dans ces cas-là tu t’éloignes d’elle définitivement, soit tu penses que ça en vaut la peine et tu te lances, rester dans un entre-deux bizarre ne risque pas de te rendre heureux. J’espère que tu ne vas pas trop souffrir.» Je l’écoute attentivement sans la couper tout en fixant mon verre encore quasiment plein. M’éloigner d’elle, je ne pense pas en être capable. Ni même le vouloir. Mais me remettre avec elle je ne suis pas non plus sûr que ce soit la bonne solution. Et c’est pour ça que je me sens complètement perdu. Mais je vais déjà commencer par tout lui expliquer, ce qui ne jouera clairement pas en la faveur d’Alex aux yeux de Jules. Je me penche vers la table basse pour attraper mon verre d’alcool, je le vide cul sec accompagnant mon geste d’une légère grimace. Et puis je me laisse retomber sur le dossier du canapé avant de reprendre la parole. « Déjà, je sais pourquoi elle est partie il y a huit ans. Elle était tombée enceinte elle a fait un déni de grossesse, quand elle l’a su elle en était au cinquième mois. Elle a paniqué alors…elle est partie. Et à l’accouchement, elle a laissé le bébé à l’adoption. » Je lui ai dit tout ça sans la regarder une seule fois. Parce que je sais très bien ce qu’elle va me dire. Elle va me dire qu’elle n’avait pas le droit de faire ça – ce qui est vrai – qu’elle ne mérite pas mon pardon – au fond de moi ça aussi je sais que c’est vrai – et elle va certainement me dire que je devrais m’éloigner d’elle – encore une fois, je sais que c’est vrai. – Je souffle légèrement et je finis enfin par la regarder. « Je sais déjà tout ce que tu vas me dire et crois-moi je comptais vraiment pas lui pardonner au début. Je l‘ai même détesté, tu peux pas t’imaginer à quel point. Je me suis laissé du temps pour digérer tout ça et après on a parlé et…elle a fait des erreurs, elle en a conscience et elle le regrette. J’ai essayé de rester loin d’elle et de me dire que je suis vraiment mieux sans elle mais le pire c’est que c’est même pas le cas. » C’est même tout le contraire. Je ne me sens bien que quand je suis avec elle. Mais pourtant je sais que lui pardonner une chose pareille c’est complètement fou de ma part. « Je sais pas…depuis Victoria, Alex c’est la seule qui a réussi à me faire voir que j’avais encore le droit d’être heureux, de retomber amoureux et surtout que je pouvais essayer de tourner le page, d’arrêter de vivre dans le passé. Elle me fait du bien. Vraiment. Et j’en ai besoin. Tu peux même pas t’imaginer à quel point. » Et il n’y a qu’avec elle que j’ai envie d’avancer, il n’y a qu’avec elle que j’ai envie de commencer à écrire un nouveau chapitre. « La dernière fois que je me suis engagé avec une femme, elle a fini par mourir. Et j’ai peur de m’investir avec Alex parce que j’ai tellement peur de souffrir à nouveau. J’ai peur qu’elle fui une deuxième fois. Elle l’a déjà fait une fois alors je vois pas pourquoi elle le ferait pas à nouveau. » Voilà. Elle voulait que je parle, alors j’ai parlé. Je ne pense pas qu’elle me jugera, même si je sais déjà qu’elle ne va pas comprendre le fait que je puisse lui pardonner une telle chose. Et même si j’ai déjà une petite idée de tout ce qu’elle s’apprête à me dire.
Les verres posés devant nous ont pour objectif de rendre la soirée plus enthousiasmante qu’elle risque de l’être lorsque nous aborderons à tour de rôle nos drames respectifs. Boire n’est jamais la solution pour oublier ses problèmes. Dans le meilleur des cas, la boisson permet d’oublier la réalité du monde qui nous entoure l’espace de quelques heures pour nous rendre encore plus mal qu’on ne l’était auparavant lorsqu’on reprend conscience. Dans le pire des cas, elle amplifie les difficultés qui paraissent alors insurmontables et suffisant à mettre n’importe quel individu normalement constitué dans un état lamentable. Je ne gère pas mes émotions quand je bois et encore moins mon débit de parole qui devient trop important et oublie souvent de passer au travers des filtres ordonnés par la bienséance. Les soirées durant lesquelles j’ai un peu abusé se sont souvent terminé avec un mal de tête épouvantable et des regrets liés aux propos que j’avais pu tenir. Je ne tiens donc pas à réitérer l’expérience ce soir, même si je suis certaine que Caleb se montrerait adorable avec moi et certainement très compréhensif. « Plus d’une, mais je n’en ai jamais été très fière alors si je pouvais éviter de t’infliger ça, ça m’arrange. » Il est nécessaire de mentionner le fait que mon Alfie-éclopé m’attend à la maison et même s’il a eu l’air ravi que je prenne un peu de temps pour moi en-dehors du boulot et de la maison, j’admets que l’infirmière en moi n’est pas sereine à l’idée de le savoir seul alors qu’il traverse une période de sa vie compliquée psychologiquement et physiquement. Certes, le temps fait des miracles et son visage retrouve petit-à-petit son apparence habituelle, mais je ne suis pas sûre que les blessures du cœur s’effacent aussi aisément, je dois donc garder les idées claires au cas-où mon téléphone se mettrait soudainement à vibrer pour me laisser entendre sa voix paniquée m’incitant à mettre un terme immédiatement à ce moment. Caleb comprendrait. Caleb comprend toujours tout. J’ai bien entendu l’intention de lui expliquer tout ça mais pour le moment, c’est la nourriture le sujet principal de notre conversation et il n’est pas étonnant que deux estomacs sur pattes tels que nous choisissent de commencer par penser à leur estomac. « Je savais que tu étais quelqu’un de bien. » Je plaisante, alors que je valide notre commande de pizzas qui ne m’aidera pas à perdre les deux ou trois kilos en trop dont je dois me débarrasser. Il faut dire que je ne fais pas trop d’effort pour cela, ayant toujours une bonne excuse pour remettre à plus tard l’idée d’avoir une alimentation saine et équilibrée. Heureusement, la natation est mon rythme de vie soutenus m’ont toujours permis de ne pas trop aggraver la situation, c’est donc en nageant que je prévois de déculpabiliser une fois que ces pizzas auront terminé leurs jours dans mon estomac. Evidemment, on aurait pu être plus raisonnables, mais j’ai vraiment faim et j’ai cette fâcheuse tendance à me laisser guider par mes impulsions du moment.
Caleb vient peut-être de trouver la solution à mon incapacité à contrôler mes envies de nourriture peu équilibrée puisque c’est lui qui commence à parler de ses ennuis, me coupant presque instantanément l’appétit alors qu’il me révèle sur un ton bien trop neutre à mon goût la présence d’un petit être humain partageant son ADN. Ma main se crispe sur mon verre que je porte à mes lèvres alors qu’il continue son explication sans que je me sente capable de prononcer le moindre mot. Je commence à avoir l’impression que Dieu se fout sérieusement de ma gueule – pardon mon Dieu – en me poussant à faire face à des femmes ayant eu la chance de porter la vie sans pour autant en éprouver le moindre désir. Cependant, contrairement à la situation de Leah, j’arrive bien plus rapidement à faire abstraction de mes propres émotions, réalisant évidemment que la situation de Caleb mérite que je mette mes problèmes de côté pour me concentrer sur lui. Il tente de m’expliquer qu’il n’avait pas envie de lui pardonner mais qu’il n’avait pas réussi à s’en éloigner et qu’elle regrette cette erreur. Alex est la seule personne qui a réussi à lui faire voir qu’il avait encore le droit d’être heureux. Et nous alors ? Tous ses proches qui avons été là pour le soutenir, pour le porter et l’encourager dans tous ses projets, pour lui montrer que la vie était belle et qu’elle méritait d’être vécue ? Je ne peux pas m’empêcher d’être blessée par sa remarque, et c’est une fois de plus dans mon verre que je trouve du réconfort, gardant le silence parce que j’ai peur que les mots ne dépassent ma pensée et que je n’ai jamais été très douée pour gérer mes réactions trop impulsives. Il a peur de s’engager et de s’investir dans cette relation et c’est sûrement la première fois que j’arrive un peu à comprendre son point de vue depuis qu’il m’a avoué la présence de cet enfant qu’il n’a vraisemblablement jamais connu. Il se tait et le silence s’installe entre nous, lourd et pesant, alors que je peine à trouver mes mots et que j’ignore ce que je vais bien pouvoir dire. « J’imagine que si tu es heureux avec elle, c’est le principal. » Ces mots sonnent affreusement faux dans ma bouche et il est inutile de dire que je ne les pense pas une seconde mais ce sont pourtant les seuls que j’arrive à prononcer, parce que la vérité me parait trop inconcevable pour qu’elle s’imprime réellement dans mon cerveau. Caleb mérite mieux que cette phrase toute faite que je lui offre, je suis son amie et je n’ai pas le droit de m’enfermer dans ma coquille sous prétexte que ce qu’il me dit ne me plait pas. Il a souffert de cette situation, ça se voit, et s’il a choisi de lui laisser une chance, c’est probablement parce que toutes les conversations qu’ils ont pu avoir les ont amené à la conclusion que c’était encore possible. Je ne peux pas juger mon ami pour ses choix, même si celui-là me parait bien plus insensé que tous ceux qu’il a pu faire auparavant. « J’aurais du mal à te dire que je comprends totalement ton choix ou que je le trouve justifié, mais j’imagine que si tu lui accordes ton pardon c’est que tu as de bonnes raisons de le faire. » Par contre, j’espère sincèrement qu’il a l’intention d’attendre au moins dix ans avant de me la présenter parce que je ne suis pas certaine d’être capable de faire aussi bonne figure devant elle. « Par contre, tu ne peux pas être bien dans une relation si tu as tout le temps peur qu’elle se termine. » C’est sûrement pour cette raison que j’ai mis si longtemps avant d’en être capable, parce que l’infidélité dont j’ai été témoin a été un véritable blocage que je n’arrivais pas à surmonter. « Mais c’est récent, alors tu as le droit de te laisser du temps avant de réussir à lui faire pleinement confiance. Vous en avez parlé ? J’imagine qu’elle doit se douter que ce n’est pas facile pour toi de te laisser aller. » Je ne parle pas de l’enfant parce que je n’en suis tout simplement pas capable mais je fais de mon mieux pour rester l’amie que je me dois d’être et apporter à Caleb l’aide nécessaire. J’espère qu’il ne va pas m’en vouloir, je fais vraiment de mon mieux.
“One, two, three, one, two, three, drink. Throw 'em back, till I lose count”
L’alcool n’a jamais été la bonne solution pour régler tous nos problèmes. Alors oui, quand on boit on se sent bien, on relativise et on oublie toutes les emmerdes du quotidien. Mais le lendemain on se réveille avec une gueule de bois horrible et un mal de crâne atroce alors au fond, est-ce que ça vaut vraiment le coup ? La réponse est toute trouvée ; non. Non ça n’en vaut pas la peine et c’est la raison pour laquelle boire ça n’a jamais été quelque chose que j’apprécie plus que ça. Une cuite pour une cuite à quoi ça sert ? Mais par contre, la cuite à cause du verre de trop c’est différent. « Plus d’une, mais je n’en ai jamais été très fière alors si je pouvais éviter de t’infliger ça, ça m’arrange. » Je dois quand même avouer que voir Juliana bourrée, ça doit être assez drôle. Au fond on ne se connait pas depuis si longtemps que ça, même si notre complicité peut faire penser le contraire. Même moi j’ai presque tendance à croire qu’on se connait depuis de très nombreuses années, parce que je la comprends facilement et j’ai l’impression de mieux la connaître que certaines personnes qui sont dans mon entourage depuis bien plus longtemps qu’elle. « Tu étais comment à l’Université ? J’ai beaucoup trop de mal à t’imaginer en grosse fêtarde. » Je lui avoue en riant doucement. Moi, j’étais tout sauf un fêtard. J’ai l’impression de toujours en revenir à elle mais c’est vraiment Alex qui m’a poussée à sortir plus. J’étais casanier et assez solitaire. Un peu comme aujourd’hui. Même si maintenant la solitude a tendance à être vraiment pesante. Être seul à vingt ans ou à trente c’est pas la même chose. À vingt ans on a encore toute la vie devant soi, mais aujourd’hui je me suis rendu compte que la vie était beaucoup trop courte. Peut-être que je suis destiné à mourir dans quelques mois voire même demain, et dans ce cas qu’est-ce que j’aurais accompli ? J’aurais ouvert un restaurant. Et c’est tout. C’est triste. Ah non, et j’aurais eu un seul enfant dont j’aurais appris l’existence quelques mois avant ma mort, un enfant de huit ans. Ok, donc ça c’est encore plus déprimant mais c’est à ça que se résume ma vie. « Je savais que tu étais quelqu’un de bien. » De toute façon je mange quasiment toutes les pizzas qui existent alors quand je vous dis que je ne suis pas difficile je suis sérieux. « Et il a fallu que je te dise que j’accepte l’ananas sur les pizzas pour que tu t’en rendes compte ? » Je lui réponds en arquant un sourcil. Moi qui me suis récemment mit au sport je ne suis pas sûr qu’une soirée alcool-pizzas soit le meilleur moyen de me maintenir en forme. Mais au pire, tant pis, le régime commencera demain.
Je déclare le bureau des plaintes ouvert, et c’est moi qui ouvre le bal. Je m’attends à tout un tas de reproches de sa part, parce que c’est ce que tout le monde fait à chaque fois que j’aborde le sujet Alex. Je merde dans les plus grandes largeurs en lui pardonnant ; oui je le sais. Je suis extrêmement con de lui accorder mon pardon ; oui, ça aussi je le sais. Et je me prépare à ce qu’elle me dise tout ça et en soit, je le mérite. Parce que je lui pardonne l’impardonnable, je dois être la seule personne sur terre à pouvoir passer l’éponge là-dessus. Mais j’ai besoin d’elle. Parce qu’elle m’apporte de l’amour, du bonheur, du bien-être, elle me fait sourire, elle me fait rire, elle me donne envie de tourner la page et de ne plus vivre dans le passé. Et il y a encore quelques mois je pensais que je ne serai plus jamais capable de ressentir tout ça. Et je pense que c’est pour ça que j’accepte de passer au-dessus de ça. « J’imagine que si tu es heureux avec elle, c’est le principal. » Ouch. Elle ne pense clairement pas ce qu’elle vient de dire, ça se voit, ça se sent tout de suite au ton qu’elle a employé. Mon regard se pose sur mon verre vide et je le fixe un petit instant avant de reprendre la parole. « Je suis pas avec elle. On est pas ensemble. » Je me sens obligé de lui préciser ça, comme si ça allait changer sa perception de voir les choses. Mais non je ne suis pas en couple avec elle, parce que je ne pense pas qu’on puisse se mettre avec quelqu’un quand on ne lui fait pas confiance. Et moi je n’ai plus aucune confiance en elle. « J’aurais du mal à te dire que je comprends totalement ton choix ou que je le trouve justifié, mais j’imagine que si tu lui accordes ton pardon c’est que tu as de bonnes raisons de le faire. » Est-ce que j’ai de bonnes raisons pour lui accorder mon pardon ? J’en sais rien. Pourquoi est-ce que j’ai décidé de lui pardonner déjà ? Hormis le fait que j’ai besoin d’elle ? Parce que malgré tout ça je suis retombé amoureux d’elle. Mais je vais passer pour un sacré con si je lui dis ça. Ou bien je risque aussi de passer pour un mec tellement désespéré à retrouver l’amour qu’il est prêt à pardonner les pires erreurs. « Tu la connais que par ses erreurs mais je t’assure qu’au fond c’est vraiment quelqu’un de bien. » Parce que Jules ne connait pas Alex, elle ne l’a jamais rencontré et les seules fois où son nom a été mentionné dans une conversation c’était clairement pas pour lui faire son éloge. « Par contre, tu ne peux pas être bien dans une relation si tu as tout le temps peur qu’elle se termine. Mais c’est récent, alors tu as le droit de te laisser du temps avant de réussir à lui faire pleinement confiance. Vous en avez parlé ? J’imagine qu’elle doit se douter que ce n’est pas facile pour toi de te laisser aller. » Cette soirée au restaurant quand on s’est revu pour la première fois depuis deux mois je lui avais dit que j’allais avoir besoin de temps pour lui faire confiance à nouveau et je lui ai expliqué mes peurs de la voir fuir à nouveau. Elle m’a promis qu’elle ne partirait plus, mais je n’arrive tout simplement pas à la croire. « Oui, oui on en a parlé de tout ça. » Mais en soit, la confiance n’est même pas le réel problème parce que je suppose qu’elle finira par revenir avec le temps. Je lâche un soupir fermant les yeux quelques secondes comme pour me remettre les idées en place. « C’est même pas ça le plus gros problème. C’est horrible parce que moi j’ai pas eu mon mot à dire sur la décision qu’elle a prise. Plus le temps passe et plus je me pose des questions sur cet enfant. J’ai envie de le connaître, j’ai envie de le voir et de m’assurer qu’il va bien, qu’on prend soin de lui et que ses parents l’aiment. J’aimerais juste savoir s’il est heureux ou pas. » Je me sers un nouveau verre et je suis maintenant complètement perdu dans mes pensées. Cette situation me fait encore mal, et jusqu’à ce soir je pensais qu’Alex et moi on avait réglé tous nos problèmes mais en fait, je n’en suis même pas si sûr. On a jamais reparlé de cet enfant, de notre enfant. Je suis presque sûr qu’elle ne partage pas mon envie de connaître notre fils et que si je lui en parle elle ne le comprendrait pas. Je suis complètement perdu.
Me replonger dans mes souvenirs universitaires pour pouvoir apporter une réponse cohérente à Caleb me fait sourire. J’ai aimé mes études, elles m’ont apporté quelque chose de bien différent de mon parcours de lycéenne, ne serait-ce qu’un peu plus de légèreté parce que mes frères et sœurs avaient grandi et me permettaient de me concentrer sur mon parcours plutôt que sur les tâches domestiques à accomplir. Malheureusement, l’université me renvoie aussi à cette rupture douloureuse que je ne digérerais sans doute jamais totalement, non pas parce que mon ex me manque, ce n’est évidemment pas le cas et je ne retournerais en arrière pour rien au monde, mais parce que je ne parviens pas à encaisser la trahison dont j’ai été victime. Je ne serais ni la première, ni la dernière à souffrir de l’infidélité de son conjoint, mais j’idéalisais tellement les relations amoureuses que j’avais réussi à me persuader que ce genre de choses ne pouvait pas m’arriver à moi. La vie m’a donnée tort et a pendant longtemps mis à mal la confiance que je pouvais donner aux personnes que je rencontrais. Seul Alfie a réussi à la faire la différence et je pense qu’il mériterait une médaille pour la patience dont il a réussi à faire preuve face au presque-glaçon que j’étais devenue à l’époque. Les choses sont différentes maintenant, je suis passée à autre chose et je n’ai pas de regret concernant mon passé parce que c’est grâce à lui que je peux vivre d’aussi belles choses dans le présent – même si ce n’est pas toujours simple en ce moment – mais je crois que j’aurais toujours un petit pincement au cœur en y repensant. « Hmmm… Je dirais que j’étais studieuse mais aussi toujours celle qui était bourrée la première parce qu’un verre suffisait à me faire tourner la tête. » C’est peut-être pathétique mais c’est malheureusement la vérité, j’imagine que mon petit gabarit n’aide pas, il doit y avoir une question de proportionnalité, là-dedans. Heureusement, j’ai toujours été suffisamment raisonnable pour ne pas me mettre dans des situations hautement inconfortables, et je pense que les soirées durant lesquelles j’ai vraiment eu honte de mon attitude peuvent se compter sur les doigts d’une main. « Je crois que j’étais juste une étudiante comme les autres, j’allais au cours qui m’intéressaient, j’avais un petit groupe d’amis avec lesquels je sortais régulièrement, toujours dans le même bar, il était devenu un peu notre QG et je ne m’en sortais pas trop mal pour les partiels. J’aurais aimé te dire que j’étais une punk habillée en cuire avec une crête rouge sur la tête, mais je crois que tu ne m’aurais pas crue. Je n’ai pas vraiment changé, finalement. » Je pense que j’ai changé malgré tout, parce que malgré ma vie d’étudiante banale, je sais que je restais enfermée dans mes névroses et dans les soucis du quotidien que je devais régler de temps à autres lorsque j’étais rappelée par mes responsabilités. « Estime-toi heureux que j’ai fini par le réaliser, ce n’est pas un statut facile à obtenir venant de moi. » C’est plutôt faux, j’ai tendance à considérer que tout le monde a un bon fond jusqu’à ce qu’on me prouve le contraire, ce qui n’est parfois pas vraiment une bonne idée.
Caleb se rend bien compte que je ne suis pas vraiment sincère avec lui et la précision qu’il m’apporte ne résout rien, bien au contraire. Je ne comprends pas comment il peut se satisfaire d’une relation qui n’en est pas vraiment une avec une personne qui l’a fait affreusement souffrir. On peut agir comme ça à vingt ans, lorsqu’on est insouciant et qu’on n’a pas vraiment de projet d’avenir, mais je sais que ce n’est pas ce que veux Caleb et j’ai du mal avec l’idée qu’il accepte la situation pour les beaux yeux de cette Alex que je ne connais pas. Malgré tout, c’est justement parce que je ne la connais pas que je n’ai pas vraiment le droit de me prononcer sur leur histoire et sur la manière dont elle se comporte avec lui. Caleb est un grand garçon, il a sûrement beaucoup réfléchi à la situation et s’il persiste à croire qu’elle mérite une seconde chance, c’est certainement pour de bonnes raisons. Enfin, c’est ce dont je vais évidemment m’assurer, je suis son amie et mon rôle n’est pas de lui dire ce qu’il veut entendre mais ce que je pense réellement afin qu’il puisse prendre une décision en toute connaissance de cause. « Vous êtes quoi, alors ? » C’est sûrement mon côté psychorigide qui a du mal à accepter qu’une relation ne soit pas clairement définie. Dans ma tête, il y a des cases et les personnes qui partagent notre vie sont forcément rangées à l’intérieur de ces dites cases qui sont bien définies et doivent impérativement être correctement délimitées. Tant pis si je dois passer pour une dingue, parce que je sais, qu’au fond, Caleb est comme moi, organisé, avec des projets bien concrets et bien construits dans sa tête qui ont certes, été mis à mal lorsque le destin s’en est mêlé, mais qui restent malgré tout rangé au fin fond dans son esprit pour refaire surface au moment opportun. Je crois que je le connais depuis assez longtemps pour savoir que cette histoire ne peut pas lui convenir en l’état actuel des choses et je sais qu’il a tort d’accepter quelque chose qui ne lui suffit pas parce que cette fille le fait vibrer un peu plus que les autres. « Je ne doute pas qu’elle soit quelqu’un de bien, sinon tu ne perdrais pas ton temps avec elle, je pense simplement que compte tenu de votre passé, tu devrais te montrer prudent, rien de plus. » Je n’ai pas assisté à leur conversation, je n’ai pas entendu les excuses de la jeune femme et je ne peux absolument pas mesurer sa sincérité. Je pense que Caleb a dû vraiment la croire lorsqu’elle disait être désolé pour en être là, aujourd’hui, mais je reste un peu sceptique parce que je sais qu’il est capable de se mettre en retrait par pur gentillesse alors que lui aussi doit trouver son bonheur dans cette relation, c’est impératif. « Tu ne crois pas que ça risque de te faire plus de mal que de bien, tout ça ? » Je comprends tellement qu’il ait envie de connaitre son enfant, c’est une partie de lui, son sang coule dans ses veines, comment réussir à occulter que sur cette planète, il y a un être humain qui doit lui ressembler aussi bien physiquement qu’intellectuellement ? Impossible. A sa place, je pense que je voudrais savoir moi aussi, mais je ne suis pas sûre que l’idée soit bonne. « Si tu le vois et que tu te rends compte qu’il va bien, tu arriveras à passer à autre chose et à continuer ta vie sans te mêler de la sienne ? Et si tu te rends compte qu’il ne va pas si bien que ça, qu’est-ce que tu feras ? » Caleb a une décision extrêmement importante à prendre et je comprends qu’il soit perdu et malheureux. « Je ne peux pas trop te conseiller parce que je n’y connais pas grand-chose à tout ça, mais quelle que soit ta décision, tu peux compter sur moi pour te soutenir. » J’ignore quelle est la meilleure chose à faire ou quel est le chemin à prendre, mais tout ce que je sais c’est que je veux son bonheur et ce, peu importe le chemin qu’il choisira d’emprunter pour l’obtenir.
“One, two, three, one, two, three, drink. Throw 'em back, till I lose count”
Sans que je ne me souvienne pourquoi ni même comment on en est arrivés là j’en viens à me demander comment Jules était quand elle était étudiante. Je suppose qu’elle n’était pas très différente de la Juliana que je connais maintenant mais certainement en plus jeune plus innocente et forcément un peu plus naïve. « Hmmm… Je dirais que j’étais studieuse mais aussi toujours celle qui était bourrée la première parce qu’un verre suffisait à me faire tourner la tête. » J’ai assez vite des réponses à mes questions et je ne peux m’empêcher de rire un peu imaginant la jeune Juliana presque bourrée au bout de son premier verre d’alcool. « Ouais, je connais ça. J’étais aussi celui qui était bourré en premier parce que je ne tenais vraiment pas l’alcool. » En même temps je ne sortais quasiment pas quand j’étais plus jeune, voire même pas du tout. Je faisais partie de ceux qui pensaient qu’on avait pas besoin d’alcool pour s’amuser. Et puis j’ai rencontré Alex qui était elle, une grande fêtarde. Elle me poussait à sortir un peu plus, à boire plus et j’ai maintenant une bien meilleure résistance à l’alcool. « Je crois que j’étais juste une étudiante comme les autres, j’allais au cours qui m’intéressaient, j’avais un petit groupe d’amis avec lesquels je sortais régulièrement, toujours dans le même bar, il était devenu un peu notre QG et je ne m’en sortais pas trop mal pour les partiels. J’aurais aimé te dire que j’étais une punk habillée en cuire avec une crête rouge sur la tête, mais je crois que tu ne m’aurais pas crue. Je n’ai pas vraiment changé, finalement. » Je pense que sa vie étudiante a été plus passionnante que la mienne. Moi j’étais un étudiant studieux et assez sérieux dans ses études qui ne sortait pas très souvent. Et quand j’y pense je suis vraiment content d’avoir fait la connaissance d’Alex, c’est avec elle que je me suis pris ma première cuite – et aussi la pire – c’est avec elle que j’ai fumé ma première cigarette, c'est avec elle que j'ai profité de ma jeunesse en fait. « Bah, déjà tu sembles tenir un peu mieux l’alcool. » Je lui fais remarquer en souriant doucement, désignant son verre d’alcool. Moi j’ai beaucoup changé depuis mes années universitaires. J’étais un garçon qui n’avait aucune confiance en lui et aucune assurance. Mais ma relation avec Alex et mes stages dans les cuisines professionnelles m’ont aidé à gagner confiance en moi et j’en avais vraiment besoin.
Je sais bien que personne n’arrive à comprendre comment je peux pardonner une telle chose à Alex mais le problème c’est que je ne sais pas moi-même. J’avais pourtant pris mes distances avec elle, nous nous ne sommes pas vu pendant deux mois. Mais durant ces semaines sans elle j’ai eu le temps de réfléchir et son absence commençait petit à petit à me peser. Elle me manquait et je ressentais le besoin de la voir et de passer un peu de temps avec elle. Et même si je ne comprends ou n’accepte toujours pas les raisons qui l’ont poussées à me mettre de côté, je suis prêt à lui pardonner pour essayer d’avancer avec elle. J’ai envie de tourner la page et de terminer le chapitre de LV dans ma vie. Je m’en veux de penser à ça, je m’en veux tellement de me dire que j’ai envie voire même besoin, de la laisser partir pour me laisser vivre ma vie de mon côté, sans elle. Mais il m’a fallu deux ans et demi pour que j’arrive à en arriver là. Et il s’agit pour moi d’une grande avancée. « Vous êtes quoi, alors ? » Oh bah alors ça, j’en ai pas la moindre idée. On se voit presque tous les soirs depuis quelques semaines, je ne dirais pas que notre relation se base uniquement sur le sexe, parce que ce n’est pas réellement vrai. Mais je me sens con parce que je ne suis même pas capable de répondre à sa question qui est pourtant si simple. Je hausse les épaules et lève les yeux vers elle. «… je dirais que notre relation est pas officielle. » Chose qui ne me ressemble pas du tout, d’ailleurs et Jules le sait, elle me connait parce qu’elle est comme moi. « En disant ça on dirait qu’on a encore vingt ans et je sais qu’on a clairement passé l’âge pour ça mais… je sais pas, j’ai besoin d’elle pour me sentir bien mais en même temps je me sens pas prêt à lui refaire entièrement confiance. Donc je pense qu’en attendant c’est un bon compromis. » Même si en soit, je n’ai absolument pas envie de voir d’autres femmes qu’elle et je n’ai vraiment pas envie qu’elle voit d’autres hommes. Mais en même temps je ne peux pas me mettre officiellement en couple avec elle si je ne lui fais pas vraiment confiance, non ? On est dans un impasse. Parce qu’elle me fait du bien, quand je suis avec elle je souris, je ris et j’oublie presque LV et les années de souffrance que sa disparition m’a infligée. C’est compliqué et j’ai beaucoup de mal à trouver les mots pour m’expliquer. Pour l’instant, cette histoire non-officielle me suffit amplement. Même si j’aimerais être capable de lui faire assez confiance pour accepter de me lancer à nouveau dans une relation. Mais j’ai beaucoup trop peur de souffrir encore. « Je ne doute pas qu’elle soit quelqu’un de bien, sinon tu ne perdrais pas ton temps avec elle, je pense simplement que compte tenu de votre passé, tu devrais te montrer prudent, rien de plus. » J’acquiesce doucement d’un signe de tête et je déglutis. Je sais qu’elle me dit ça parce qu’elle n’a pas envie de me voir souffrir, et parce qu’elle prend son rôle d’amie à cœur. « Je fais attention, promis. » Je lui assure. Et c’est vrai, j’y vais doucement, à mon rythme. Raison pour laquelle je ne peux pas dire qu’Alex et moi formons officiellement un couple. Je suis prudent, surtout avec elle. Elle m’a brisé le cœur une première fois il y a huit ans en partant sans un mot. Elle m’a fait mal une deuxième fois en m’annonçant qu’elle avait abandonné mon enfant il y a huit ans. Alex m’a déjà beaucoup trop fait souffrir mais pour une raison que j’ignore, je n’arrive pas à la repousser et à tirer un trait sur notre histoire. Pourtant j’aimerais. Mais j’en suis strictement incapable. « Tu ne crois pas que ça risque de te faire plus de mal que de bien, tout ça ? Si tu le vois et que tu te rends compte qu’il va bien, tu arriveras à passer à autre chose et à continuer ta vie sans te mêler de la sienne ? Et si tu te rends compte qu’il ne va pas si bien que ça, qu’est-ce que tu feras ? » Ses questions sont justes et je me les pose moi aussi. Si j’arrive à rencontrer mon enfant, est-ce que je vais pouvoir avancer dans ma vie sans me mêler de la sienne ? Je lâche un long soupir, je suis désespéré et complètement perdu. « J’en sais rien… J’ai envie de me dire que je suis sûr que même si j’arrive à le voir j’arriverais à continuer ma vie sans me mêler de la sienne, mais le truc c’est que j’en ai aucune idée. Je peux pas en être sûr. Mais moi j’ai jamais voulu vivre ça, je n’ai jamais donné mon accord pour que cet enfant vive loin de moi. J’ai vraiment envie de pouvoir le voir, juste une fois. Je pense que ça me ferait du bien. » Ou bien ça me ferait encore plus mal. Tourner la page et ne plus jamais revoir mon fils, je ne sais pas si j’en serais capable. Je me pose énormément de questions à propos de Nathan et si je veux trouver des réponses, je vais devoir essayer de retrouver cet enfant. « Je ne peux pas trop te conseiller parce que je n’y connais pas grand-chose à tout ça, mais quelle que soit ta décision, tu peux compter sur moi pour te soutenir. » Je passe une main dans mes cheveux, comme si ce geste allait m’aider à remettre mes idées en place. « Merci d’être là. » Je lui dis, sincèrement. Parce que même si elle ne comprend pas mes choix je sais qu’elle ne me juge pas et rien que pour ça je lui en suis extrêmement reconnaissant. Et c’est le livreur de pizzas qui met fin à cette séquence émotions en sonnant. Ne voulant pas le faire patienter trop longtemps je me lève pour lui ouvrir et récupérer notre repas de ce soir. Des pizzas, de l’alcool je pense que nous avons de quoi nous consoler en cette période de notre vie qui semble assez catastrophique. Je pose les cartons de pizzas sur la table du salon et avant de reprendre la parole, je me sers un nouveau verre. « Bon, on a assez parlé de moi. Les pizzas sont là, c’est à toi de prendre la parole. » Après tout, c’est le deal qu’on a fait tout à l’heure.
J’aurais bien aimé avoir connu Caleb à la fac, on aurait été de super compagnons de soirées, ceux qui préfèrent commander un verre de cidre pour ne pas se retrouver trop rapidement allongés sous une table alors que les autres continuent à faire la fête. Je crois même avoir préféré un coca à toute boisson alcoolisée certaines fois où les souvenirs de la précédente sortie étaient encore bien trop frais dans ma mémoire. « Dommage qu’on ne se soit pas rencontré avant, je suis sûre que l’université m’aurait paru beaucoup plus sympa. » A dire vrai, j’ai bien aimé ma période universitaire, il est simplement dommage que ma désillusion amoureuse soit venue ternir les bons souvenirs que je pouvais garder de cette époque. Heureusement pour moi, c’est du passé désormais et lorsque j’essaie de me remémorer cette période, c’est bien vers les moments de bonheur que se tourne mon esprit plus que vers la trahison dont j’ai été victime. Je ne regrette pas la manière dont s’est déroulée ma vie jusque-là, mais plutôt ma naïveté qui m’a poussée à me projeter beaucoup trop vite avec quelqu’un qui n’en valait pas vraiment la peine. « Un peu mieux, oui, mais ce n’est pas une grande réussite. » J’admets en riant parce que c’est la vérité et que l’alcool que nous avons bu jusqu’ici n’est pas suffisant pour que je sois roulée en boule sur le canapé en me demandant ce qui m’a pris mais largement assez pour que je sois heureuse de ne pas avoir à prendre le volant ni à réfléchir à des problèmes épineux. Enfin, malheureusement, si, nous devons réfléchir à des problèmes que je ne pensais pas aborder un jour avec Caleb. Je m’en veux un peu de ne pas me réjouir pour son bonheur mais je suis sûre qu’il comprend que je ne sois pas aussi enthousiaste que je pourrais l’être pour son début de relation parce qu’elle me laisse penser que cette dernière ne sera pas un long fleuve tranquille.
J’ai de bonnes raisons de ne pas croire en cette histoire, ils partent sur de mauvaises bases, une trahison, un manque de confiance et un mensonge viennent déjà ternir le tableau. Ils seront peut-être très bien ensemble et heureux pendant les dix prochaines années voire plus, et c’est évidemment ce que je leur souhaite mais pour le moment je reste sceptique et c’est ce que j’essaie de faire entendre à Caleb qui me semble un peu moins enthousiaste que d’habitude, lui aussi. « D’accord, si ça te convient comme ça, je n’ai rien à dire. » Même si j’avoue que je suis un peu étonnée de la non-définition de leur relation. On ne peut pas vraiment dire que les choses commencent bien entre eux, loin de là. « Mais je trouve que ça ne te ressemble pas. » Caleb, c’est le garçon carré, celui qui aime les choses organisées et bien définies. Il ne peut pas le nier, je le connais par cœur parce que nous sommes pareils sur bien des points, tous les deux. Dans notre vie amoureuse, nous sommes identiques, nous aspirons à nous marier, avoir des enfants et une vie de famille classique, je ne le voyais donc pas du tout accepter de sortir plus ou moins avec une fille sans donner un nom sur ce couple qui n’en est pas vraiment un. J’imagine que je n’ai pas trop de leçon à donner à ce sujet, toutefois, compte tenu du fait que je n’ai pas été capable de me projeter suffisamment dans l’avenir avec Alfie pour anticiper les problèmes que nous rencontrons maintenant, mais fort heureusement, il ne s’agit pas de moi aujourd’hui. « Tu penses que tu peux prendre le temps de lui faire de nouveau confiance en restant dans cet entre-deux bizarre où tu ne sais pas vraiment si votre relation est exclusive ou non ? » La réponse est non, évidemment, mais c’est à lui de s’en rendre compte et de l’accepter. Je ne peux rien faire de plus à part m’assurer qu’il soit prudent et je sais qu’il le sera, même si ça ne veut pas dire qu’il n’aura pas le cœur brisé. « Tu t’es renseigné sur tes droits ? Tu vas pouvoir le voir ? » J’espère qu’il réussira à aller au bout de ce projet même si je pense qu’il en souffrira. De toute façon, il n’y a pas de bonne solution, dans tous les cas, l’absence de cet enfant qui partage son ADN sera un poids pour lui jusqu’à la fin de sa vie. « Il s’appelle comment ? » Je me rends compte que j’étais tellement surprise que je n’ai pas cherché à en savoir plus et je le regrette, Caleb a l’air de s’y être déjà attaché et je ne veux pas me comporter comme s’il ne faisait pas partie de lui.
Le livreur de pizzas met fin à notre conversation et Caleb réceptionne les deux cartons qui arrivent avant de revenir vers moi. Pendant qu’il est à la porte, j’en profite pour remplir de nouveau nos verres et à l’arrivée des pizzas, je m’occupe d’ouvrir les cartons et de séparer les parts prédécoupées pour qu’on puisse les manger plus facilement. Je résiste à l’envie de demander une assiette et des couverts, consciente que tout l’intérêt de manger une pizza est de pouvoir le faire sans se prendre la tête. Courage. Le plus dur reste à venir, de toute façon, puisque Caleb me rappelle notre marché et le fait qu’il va falloir que je parle à mon tour de ce que j’ai sur le cœur. Je n’en ai pas la moindre envie, parce que je sais que ça va rendre les choses trop réelles mais aussi parce que j’ai fait des reproches injustifiées à Alfie par simple rancœur et que je vais devoir les assumer maintenant. « Tu sais déjà de quoi je vais te parler, de toute façon. » Je commence, avant d’attraper la première part de pizza dans le carton et de mordre dedans. « Je suis désolée de ne pas avoir répondu à tes messages, je ne savais pas trop quoi dire sur le moment et j’ai un peu repoussé l’échéance. » Ce qui est nase sachant que je suis venue lui demander conseil au préalable pour ensuite l’exclure du déroulé des événements. « Tu t’en doutes, la conversation ne s’est pas très bien passée, il a dit qu’il ne se sentait pas prêt et qu’il ne savait pas s’il le serait un jour et il avait l’air trop mal, alors moi j’ai un peu menti en disant que ça ne me tenait pas tant à chœur que ça et qu’on avait largement le temps d’y penser plus tard. » Ben voyons, très crédible. « Malgré tout, je lui en veux de ne pas s’être rendu compte avant que nos projets de vie n’étaient pas compatibles parce qu’il savait à quel point la famille est importante à mes yeux, et je n’arrive pas à être aussi compréhensive et patiente que je devrais l’être. On s’est beaucoup éloignés ces derniers temps, on a enchainé les disputes et on ne se parlait plus vraiment. » Je ne sais pas si ma perception des choses est la bonne mais c’est mon ressenti, en tout cas. « On a réussi à en reparler un peu plus sereinement il n’y a pas longtemps et les tensions se sont apaisées mais on n’a quand même pas résolu le vrai fond du problème, on ne veut pas les mêmes choses alors on va devoir faire des concessions. » Ou plutôt, je vais devoir faire des concessions, parce qu’il en a déjà fait une énorme pour moi et que je ne peux pas et ne veux pas lui en demander plus. « Et plus récemment, on a passé beaucoup de temps ensemble à cause de son agression. » J’ai envoyé un message à Caleb pour le prévenir de l’hospitalisation d’Alfie quelques semaines auparavant et il a été adorable, comme d’habitude. Je me sens mieux d’avoir exprimé les choses à haute voix mais pas forcément prête à me lancer dans une introspection visant à déterminer si je suis capable ou non de faire ces fameuses concessions, parce qu’au fond, je connais déjà la réponse.
“One, two, three, one, two, three, drink. Throw 'em back, till I lose count”
Je garde de bien meilleurs souvenirs de mes études supérieures que de mes années collège ou lycée. J’aime énormément ma famille, et j’ai plutôt bien aimé vivre à la ferme jusqu’à mes dix-huit ans mais je dois bien avouer que j’avais vraiment hâte de pouvoir prendre mon indépendance. C’est ce que j’ai fait dès ma dernière année de lycée terminée et je ne le regrette absolument pas. « Dommage qu’on ne se soit pas rencontré avant, je suis sûre que l’université m’aurait paru beaucoup plus sympa. » Je souris doucement. Certainement oui, mais Jules a deux ans de plus que moi et nous ne suivions absolument pas le même cursus, donc les chances que nos chemins se croisent à l’université étaient relativement faibles. Bien que si je n’avais pas suivi ma passion pour la cuisine jusque dans mes études je serais très certainement parti en fac de lettres. « Ouais, enfin je sortais pas souvent tu sais. J’avais aucune confiance en moi et je manquais cruellement d’assurance aussi, alors je préférais rester chez moi. » Et aussi certainement parce que je n’étais pas le mec le plus doué avec les filles. Je pense aussi que mon incapacité à parler sans bégayer les quinze premières années de ma vie ne m’a clairement pas aidé à garder une incroyable confiance en moi. Mais tout ça fait partie de mon passé, le lycée, le collège n’ont pas été des périodes que j’ai adorées, mais les années d’études supérieures ont été bien plus agréables. On a tous changé et évolué depuis cette période-là et heureusement. Je ne suis plus ce jeune homme n’ayant aucune confiance en lui, sinon je ne serais pas là aujourd’hui. On ne peut pas ouvrir son restaurant ni même être chef cuisinier si on manque d’assurance comme ça avait été le cas pour moi. Comme quoi ma relation avec Alex ne m’a pas apporté que de la souffrance parce que c’est en partie grâce à elle que j’avais réussi à prendre confiance en moi à l’époque. « Un peu mieux, oui, mais ce n’est pas une grande réussite. » Je ris avec elle, moi aussi j’ai développé ma résistance à l’alcool et heureusement d’ailleurs. Je ne sais même pas si j’ai plutôt l’alcool joyeux ou triste. Tout ce que je sais c’est que j’ai tendance à beaucoup trop parler quand je bois un peu trop.
Même si la situation commence à s’arranger avec Alex les choses n’en restent pas moins compliquée. Je ne sais pas ce qu’il va se passer à l’avenir pour nous, à vrai dire je ne sais même pas si nous avons un avenir ensemble. J’ai juste envie de profiter de l’instant présent sans trop me poser de questions. Je sais que nous n’avons pas réglés tous nos problèmes, on ne fait qu’éviter les sujets qui fâchent, ce qui est loin d’être la meilleure des solutions, je m’en rends bien compte. Mais pour l’instant, c’est juste de ça dont j’ai besoin. « D’accord, si ça te convient comme ça, je n’ai rien à dire. Mais je trouve que ça ne te ressemble pas. » Je ne suis pas sûr que ça me convienne réellement, et oui elle a raison ça ne me ressemble pas du tout. Mais en même temps je suis complètement perdu et je ne sais pas comment gérer cette situation, ce qui a tendance à me rendre complètement fou parce que je déteste perdre le contrôle de la situation. « Je sais, mais quand j’essaie de faire les choses bien ça n’a pas vraiment l’air de me réussir tu sais. » Avec Alex la première fois ça s’est mal terminé elle est partie sans aucun mot et m’a laissé avec un cœur brisé et complètement désespéré. Et ne parlons même pas de la fin de mon histoire avec LV. Parce que cette histoire n’a jamais vraiment eu de fin et n’était d’ailleurs même pas censée en avoir. Peut-être que rester dans une relation non-officielle est aussi un moyen pour moi de me cacher de ma peur de m’engager de nouveau avec quelqu’un. Peur de me rendre compte qu’au final, je ne suis pas encore prêt à vraiment laisser mon histoire avec LV de côté pour laisser la place à une autre femme. « Tu penses que tu peux prendre le temps de lui faire de nouveau confiance en restant dans cet entre-deux bizarre où tu ne sais pas vraiment si votre relation est exclusive ou non ? » Non. La réponse est simple mais c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. « Non, je sais que t’as raison mais j’ai juste peur c’est tout. » Et je pense que si la femme avec qui j’avais décidé de tourner la page n’avait pas été Alex les choses auraient été plus simples. Parce qu’Alex elle, m’a déjà fait mal, elle m’a déjà brisé le cœur et je ne suis pas sûr d’être prêt à subir ça à nouveau. « Tu t’es renseigné sur tes droits ? Tu vas pouvoir le voir ? » Si j’en crois les dires de ma sœur – et si je les résume – il y a peu de chances que je puisse avoir des droits sur lui un jour. J’hausse les épaules dans un léger soupir. « S’il a été adopté il y a aucune chance que je puisse récupérer mes droits. Et si je veux le voir il faudrait que ses parents me donnent leur autorisation. » Donc je suppose que je peux dire adieux à mes droits de père. « Il s’appelle comment ? » Je relève les yeux vers elle et avant de lui répondre je prends une grande inspiration. « Nathan. » Je lui dis dans un premier temps. « Elle m’a donné une photo prise le jour de la naissance, il était super mignon. » Enfin je ne suis pas franchement objectif mais il était vraiment mignon je vous assure.
Une fois les deux cartons de pizzas réceptionnés je rejoins Jules sur le canapé dans le salon, lui annonçant que mon temps de lamentations avait expiré. C’est à son tour de me raconter ses problèmes. Je prends une première part de pizza avant de boire une nouvelle gorgée de mon verre. « Tu sais déjà de quoi je vais te parler, de toute façon. » Vrai. J’acquiesce d’un signe de tête, mais je ne l’interromps pas et je la laisse continuer. « Je suis désolée de ne pas avoir répondu à tes messages, je ne savais pas trop quoi dire sur le moment et j’ai un peu repoussé l’échéance. » Elle n’a pas à s’excuser, je peux tout à fait comprendre qu’elle n’avait pas forcément envie ou réussi à en parler avant. « T’excuses pas, y a pas de soucis.» Je lui réponds calmement. Elle reprend par la suite la parole, m’expliquant que la conversation ne s’était pas passée comme elle l’aurait voulue. Alfie lui a donc dit qu’il n’était pas prêt à fonder une famille mais le pire c’est qu’il a ajouté qu’il ne savait pas s’il le serait un jour. Mais s’il est malin et s’il la connait un minimum – ce dont je ne doute pas, trois ans de relation c’est déjà pas mal – il n’a pas dû la croire quand elle a tenté de le rassurer en lui disant que ça ne lui tenait pas tant à cœur. Jules est comme moi, elle veut se marier et fonder une famille. Quand on la connait c’est une évidence, et elle ferait une maman parfaite je n’en doute pas une seule seconde. Je comprends tout à fait qu’elle lui en veuille, il aurait dû lui dire depuis déjà un bon moment qu’il n’était pas sûr de pouvoir ou vouloir lui apporter ce dont elle rêve depuis toujours. Cette conversation a dû les éloigner et c’est ce qu’elle me confirme. Malheureusement ce sont des choses qui arrivent. Elle est amoureuse d’un homme qui n’attend pas les mêmes choses qu’elle, c’est triste mais ça arrive et je ne pense pas qu’ils soient les premières personnes au monde dans cette situation. Mais s’ils veulent rester ensemble malgré tout l’un deux devra effectivement faire des concessions. Fonder une famille alors qu’il ne veut pas d’enfant, c’est sûrement la pire des choses à faire. Mais mettre de côté ses rêves, ses besoins et son envie d’avoir des enfants, je doute que Jules puisse le faire. « Imagine toi, dans dix ans ; t’es encore avec Alfie, vous êtes mariés mais vous n’avez pas d’enfants parce que t’as décidé d’abandonner ton envie de fonder une famille pour rester avec lui. Tu penses que tu pourrais quand même être heureuse ? » Je lui demande, mais je pense déjà connaître sa réponse. Sauf que je me rends bien compte que les choses ne sont pas si simples parce que malgré tout elle l’aime et elle n’a pas envie de le quitter. « Est-ce que t’es vraiment prête à faire des concessions pareilles ? Tu penses pas qu’inconsciemment tu risques de lui en vouloir si t’abandonnes tes rêves de famille ? » Et je me sens presque – plus ou moins – dans la même situation qu’elle parce qu’au fond, je suis en train de me remettre avec une femme qui ne partage très certainement pas mes objectifs pour le futur. Alors peut-être que je suis un peu mal placé pour la conseiller, mais je fais de mon mieux. « Je te dis pas qu’il faut que tu le quittes mais…dans tous les cas éviter d’avoir de nouveau cette conversation je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure des choses à faire. » Encore une fois, je lui dis ça alors que je fais tout pour éviter les sujets qui fâchent avec Alex. Mais ce n’est pas parce que je fais plein de conneries en ce moment qu’elle doit m’imiter en faisant la même chose bien au contraire.
J’ai du mal à imaginer Caleb comme un adolescent mal dans sa peau et manquant cruellement d’assurance, mais paradoxalement, je comprends ce qu’il veut dire parce que j’ai été pendant très longtemps cette jeune fille introvertie qui préférait passer ses nuits plongée dans un bouquin passionnant plutôt que de faire la fête. J’imagine que porter le poids de ma famille à l’âge de onze ans ne m’a pas aidée à vivre une adolescence normale, mais je reste persuadée que c’est aussi une question de personnalité et ce genre de soirée ne m’a jamais vraiment attirée, tout comme les personnes qui s’y trouvaient, d’ailleurs. Maintenant, c’est différent, j’apprécie davantage les sorties que je peux faire, que ce soit avec ou sans Alfie, parce que je suis sûrement plus épanouie en tant qu’adulte que j’ai pu l’être, il y a quinze ou dix ans en arrière. « Je maintiens que ça aurait été cool quand même, au pire on serait resté enfermés à manger du popcorn en regardant des films. » Ce qui, à l’époque, me paraissait être une excellente façon de passer une soirée, mais il y avait encore Julian, à ce moment-là, et je m’étais enfermée dans cette relation que je jugeais parfaite, prenant pour acquis ce couple qui allait – dans ma tête – durer toute ma vie. La désillusion n’en a été que plus grande, parce que j’avais tout construit autour de lui et que je n’avais pas vécu mes années de fac autrement qu’à travers lui. Heureusement, tout ceci est bien loin derrière moi à présent et j’y repense désormais sans nostalgie ou amertume, parce que je sais que le traumatisme de cet événement est bien loin derrière moi, à présent. Je suis certaine que si j’avais eu un ami comme Caleb, à mes côtés, à ce moment-là, traverser ce passage difficile de ma vie n’aurait pas été aussi difficile, parce qu’il est toujours là pour moi que ce soit pour me donner ses conseils ou juste pour m’écouter pendant des heures sans jamais avoir l’air de s’ennuyer. Il est l’ami parfait.
Je trouve incroyablement irritant qu’il ait si peu de chance en amour alors qu’il ne fait rien pour mériter d’avoir le cœur brisé à chaque fois. Entre Alex et Victoria, on ne peut pas vraiment dire qu’il s’en soit bien sorti à ce niveau-là et l’entendre dire que puisque faire les choses bien ne lui a pas réussi jusqu’ici, il vaut mieux qu’il arrête me met presque en colère. « Caleb Anderson ! Je t’interdis de dire une chose pareille ! » Je m’exclame vivement, incapable de masquer mon étonnement. « Je t’interdis de dire ça, tu n’as pas le droit de décider de ne pas faire les choses bien sous prétexte que tu as été déçu. » Personne ne devrait agir de cette façon. « C’est à cause de personnes qui réfléchissent de cette manière qu’on risque de se retrouver dans un monde rempli de connards… Imagine ce que ça donnerait si chaque personne tombant sur quelqu’un de mauvais choisissait de le devenir à son tour ? » Caleb est un garçon génial, gentil, drôle, à l’écoute et surtout très sincère et fidèle. S’il n’a pas eu de chance lors de ses deux relations, je suis certaine que la roue finira par tourner. En attendant, il est de mon devoir d’amie de lui faire comprendre qu’il n’adopte pas le bon mode de réflexion. « Je comprends que tu aies peur, ce n’est pas facile de se lancer dans une relation, encore moins quand on a été déçu par la personne auparavant, mais dans tous les cas, personne ne peut prévoir l’avenir et attendre ne te permettra sans doute pas d’y voir plus clair. » Certainement pas, même, et je suis sûre qu’il le sait, au fond. « En plus, je trouve que tu te caches derrière cette non-officialisation en te disant que comme vous n’êtes pas ensemble, si elle part de nouveau, ça fera moins mal alors qu’au fond, tu es déjà complètement dingue d’elle. » Je le vois, et je suis sûre qu’il le ressent. Caleb n’est pas capable d’entretenir une relation qui n’en est pas vraiment une avec une fille, si elle est de nouveau dans sa vie à présent c’est parce qu’il ressent sincèrement quelque chose pour elle et il est inutile qu’il se mente à lui-même. Malgré tout, je comprends que la situation soit délicate, d’autant plus qu’il y a le petit Nathan à ajouter à l’équation. « J’espère vraiment que tu pourras le voir et que ça ne sera pas trop dur. » A priori, si ses dires sont exacts, il va falloir qu’il fasse le deuil de cette paternité qu’il ne pourra pas développer aux côtés de son fils de huit ans et je sais que pour quelqu’un qui n’aspire qu’à avoir ce rôle de père, ça va être très compliqué.
Une fois les cartons de pizzas posés devant nous, j’attaque mon récit, commençant d’abord par lui présenter des excuses pour un silence qu’il n’avait pas à subir après s’être montré de si bon conseil. Comme à son habitude, il se montre absolument adorable avec moi et ne me tiens pas rigueur de mon absence de nouvelle ce qui me soulage. Malheureusement, je sais que la conversation qui va suivre va être douloureuse parce que je vais de nouveau devoir faire face à des vérités que je préfère ignorer, faute d’avoir déjà trouvé un moyen de gérer la situation dans laquelle je me retrouve. La question que me pose Caleb met directement les pieds dans le plat en me mettant face à un dilemme que je n’arrive toujours pas à résoudre. Pour le moment, je peux vivre sans enfant, je peux attendre, mais combien de temps ? C’est ce que j’ignore et je ne suis évidemment pas sûre de pouvoir renoncer à ce désir d’enfant éternellement. Devoir y repenser est suffisamment dur pour que j’évite de m’attarder sur le sujet, en général, mais là, c’est différent, il s’agit de Caleb et je sais qu’il me comprend. « Non, je ne pense pas que je serais heureuse. » Je réponds, avec honnêteté, le regard posé sur ma part de pizza alors que j’ai soudainement perdu l’appétit. « Si dans dix ans je n’ai pas d’enfant, ça voudra sûrement dire que je n’en aurais jamais et c’est impossible à envisager pour moi. » Tout comme il m’est impossible d’envisager qu’Alfie ne fasse plus partie de ma vie. Je suis donc dans une impasse et je n’ai pas encore trouvé le moyen d’en sortir. Je ne suis pas sûre que Caleb y arrive plus que moi mais j’espère qu’il pourra m’apporter la solution miracle. « Je lui en veux déjà. » J’admets, même s’il m’en coute de devoir avouer que j’éprouve de la rancœur envers Alfie alors que son seul tort dans cette histoire est simplement d’avoir dire la vérité ce que je ne peux vraisemblablement pas lui reprocher. « Je ne devrais pas, il n’y est pour rien si nous n’avons pas envie des mêmes choses, mais c’est plus fort que moi. » Je fais de mon mieux pour ne pas lui faire payer ce désir refoulé parce qu’il est normal qu’il prenne son temps et n’accède pas à ma demande à contre-cœur. Un enfant, ce n’est pas un jouet et ce n’est pas quelque chose que je peux ou que je veux lui imposer. « Je serais prête à faire cette concession si je savais que c’était pour une durée limitée, mais justement, je n’en suis pas certaine. » Je pensais avoir des enfants avant trente ans, c’était vraiment important pour moi et me voilà condamner à regarder défiler les années sans pouvoir mener ce rêve à bien. « On en a déjà reparlé, tu sais, et je lui ai avoué que ça me coûtait de devoir renoncer à avoir des enfants et il m’a assuré qu’il n’était pas complètement fermé à cette idée, sauf que j’ai le sentiment que je lui mets la pression en étant aussi honnête avec lui et ce n’est pas ce que je veux. » Le problème, c’est qu’il n’y a pas de solution. « En plus, je suis devenue susceptible sur le sujet, du coup, dès qu’il dit un truc ou fait un truc en rapport avec les enfants qui me renvoie au fait qu’il n’est pas prêt à en vouloir, je me montre désagréable et ça ne me ressemble pas. » Je suis sincère quand je dis que je ne veux pas lui forcer la main, j’aimerais simplement réussir à mieux gérer mes émotions pour ne pas lui imposer des déceptions qu’il n’a pas à porter. Evidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire.
“One, two, three, one, two, three, drink. Throw 'em back, till I lose count”
L’adolescence n’a pas été la meilleure période de ma vie. Clairement pas. Je n’avais aucune confiance en moi et j’avais beaucoup trop de mal à m’imposer. Je préférais nettement passer mon temps perdu dans mes livres ou dans la cuisine de mes parents à tester tout un tas de recettes qui me venaient en tête. Pour être honnête je n’essayais pas vraiment de m’intégrer aux autres, j’étais un garçon assez solitaire et je ne cherchais à pas être entouré de plein de personnes. Ça ne m’intéressait pas du tout. D’ailleurs, aujourd’hui c’est toujours un peu le cas. Être seul ça ne me dérange pas plus que ça bien que la solitude me paraît beaucoup plus pesante qu’à l’époque. « Je maintiens que ça aurait été cool quand même, au pire on serait resté enfermés à manger du popcorn en regardant des films. » Pour moi c’était d’ailleurs la définition de la soirée parfaite à l’époque, du popcorn et des films. C’est simple mais en même temps en règle générale je trouve que les choses les plus simples sont les meilleures. « Il y a de grandes chances que plus d’une fois j’aurais râlé en disant que le film était décevant parce que le livre original est bien meilleur. » Je lui avoue en riant. Parce que j’étais vraiment comme ça à l’époque. Je dois avouer que je regrette de ne pas avoir rencontré Jules avant, elle fait partie des personnes en qui j’ai le plus confiance et elle compte énormément pour moi. Elle a toujours été présente pour moi et elle ne m’a jamais jugée pour quoique ce soit. On s’est connus il y a maintenant un peu plus de deux ans, je venais perdre LV et elle s’est tout de suite montrée très compréhensive. Et je n’ai aucun doute sur le fait qu’entre elle et LV le courant serait tout de suite très bien passé. « C’est dommage qu’on se soit pas connus avant, je pense qu’avoir une amie comme toi m’aurait aidé à avoir de meilleurs souvenirs de cette époque. » Parce qu’on a comme une sorte de connexion elle et moi, on se comprend, on se soutient et j’ai l’impression de la connaître depuis des années alors qu’au fond on ne se connait que depuis deux ans.
Moi de mon côté je suis presque prêt à abandonner mes rêves de vie parfaite avec un beau mariage, des enfants et tout ce qui va avec. La dernière fois que j’ai trouvé la femme qui voulait toutes ces choses avec moi, ça s’est terminé à la morgue. Alors peut-être que je devrais songer à les faire choses différemment et c’est ce que je confie à Jules. « Caleb Anderson ! Je t’interdis de dire une chose pareille ! » Elle me fait presque sursauter à ce moment-là. Je lève les yeux vers elle d’un air presque coupable et désolé. « Je t’interdis de dire ça, tu n’as pas le droit de décider de ne pas faire les choses bien sous prétexte que tu as été déçu. C’est à cause de personnes qui réfléchissent de cette manière qu’on risque de se retrouver dans un monde rempli de connards… Imagine ce que ça donnerait si chaque personne tombant sur quelqu’un de mauvais choisissait de le devenir à son tour ? » Encore une fois je sais qu’elle a raison. Mais ça ne m’empêche pas de me dire que je devrais peut-être changer ma manière de voir mes relations, parce que mon côté idéaliste ne semble pas me réussir. « Je pense pas être quelqu’un d’horrible pour autant. Je la traite pas comme un objet, je pense pas me comporter comme un connard avec elle. Elle sait très bien ce que je ressens. » Elle sait que je l’aime et que j’ai vraiment envie de réussir à lui pardonner. Et même si notre relation n’est pas vraiment officielle, elle reste la seule femme que je fréquente en ce moment. J’aimerais que les choses soient plus simples et j’aimerais surtout avoir plus de chance maintenant, je pense en avoir assez bavé comme ça. « Je comprends que tu aies peur, ce n’est pas facile de se lancer dans une relation, encore moins quand on a été déçu par la personne auparavant, mais dans tous les cas, personne ne peut prévoir l’avenir et attendre ne te permettra sans doute pas d’y voir plus clair. » Encore et toujours elle a raison. Et je le sais. Je ne peux pas attendre les bras croisés en espérant réussir à lui redonner toute ma confiance. « En plus, je trouve que tu te caches derrière cette non-officialisation en te disant que comme vous n’êtes pas ensemble, si elle part de nouveau, ça fera moins mal alors qu’au fond, tu es déjà complètement dingue d’elle. » Par contre pour le coup, elle n’a pas raison sur tous les points. Je suis très bien conscient que si elle décide de partir à nouveau, je souffrirais autant que la première fois –voire même plus. – Mais par contre oui, je suis déjà fou d’elle. « On a un passé commun tous les deux et l’attachement s’est vraiment fait rapidement. Et puis tous les vieux sentiments sont très vite remontés à la surface. » Peut-être trop vite, peut-être que je ne suis pas prêt à me relancer dans une relation amoureuse, compliquée en plus. « J’espère vraiment que tu pourras le voir et que ça ne sera pas trop dur. » Je hausse les épaules. Je ne pourrais pas le savoir avant de tenter ma chance de toute façon. « Soit ça me fait mal, soit ça me fait du bien. Mais j’en ai besoin. » Et puis de toute façon, je ne suis plus à une déception prêt.
Jules ne se retrouve pas dans une situation plus simple que moi et je pense même pouvoir dire que sa position est bien plus compliquée que la mienne. Moi j’ai juste peur de m’engager à nouveau avec une femme qui m’a déjà brisé le cœur une première fois. Alors qu’elle, elle vient de se rendre compte qu’elle partage depuis trois ans sa vie avec un homme qui n’aspire pas au même futur qu’elle. « Non, je ne pense pas que je serais heureuse. Si dans dix ans je n’ai pas d’enfant, ça voudra sûrement dire que je n’en aurais jamais et c’est impossible à envisager pour moi. » Je sais et je comprends. Je la comprends tellement. Si dans dix ans je n’ai toujours pas d’enfants, je sais très bien que je ne serai pas non plus heureux. « Je lui en veux déjà. Je ne devrais pas, il n’y est pour rien si nous n’avons pas envie des mêmes choses, mais c’est plus fort que moi. » Une nouvelle fois je la comprends. Je comprends qu’elle lui en veuille même si ce n’est pas juste pour lui. Je pense qu’il aurait dû lui en parler avant parce qu’il doit très certainement connaître les projets de Jules pour le futur. Et s’ils n’étaient pas sur la même longueur d’onde elle aurait dû être mise au courant. « Je te comprends. Je pense pas que tu lui en veuilles parce qu’il ne veut pas d’enfants, mais surtout pas qu’il ne t’en a jamais parlé avant que tu lui poses la question, non ? » C’est du moins comme ça que je comprends les choses et que j’interprète ses propos. Il ne veut pas d’enfants, mais elle ne peut pas imaginer vivre une vie sans en avoir. « Je serais prête à faire cette concession si je savais que c’était pour une durée limitée, mais justement, je n’en suis pas certaine. » Et donner à Alfie une dead line pour lui donner une réponse définitive est certainement la pire des choses puisqu’en faisant ça elle lui foutrait une pression énorme et il risquerait de lui donner une réponse qu’il regrettera certainement plus tard. « Mais il t’a dit quoi exactement quand tu lui en as parlé ? » De ce que je comprends, Alfie lui a dit qu’il ne voulait pas d’enfants mais je veux être sûr qu’il ne lui ait pas apporté d’autres informations. « On en a déjà reparlé, tu sais, et je lui ai avoué que ça me coûtait de devoir renoncer à avoir des enfants et il m’a assuré qu’il n’était pas complètement fermé à cette idée, sauf que j’ai le sentiment que je lui mets la pression en étant aussi honnête avec lui et ce n’est pas ce que je veux. » Mais en même temps elle ne peut pas minimiser les faits et lui dire qu’elle n’a aucun problème avec le fait qu’il ne soit pas sûr de vouloir un jour lui apporter ce qu’elle désire le plus au monde. « En plus, je suis devenue susceptible sur le sujet, du coup, dès qu’il dit un truc ou fait un truc en rapport avec les enfants qui me renvoie au fait qu’il n’est pas prêt à en vouloir, je me montre désagréable et ça ne me ressemble pas. » Sa situation est horriblement compliquée et le plus gros problème c’est que contrairement à ma position actuelle, il n’y a aucune véritable solution. Je me pince les lèvres un instant avant de finir mon verre – honnêtement je ne sais même pas combien j’en ai déjà bu. Tout ce que je sais, c’est que ça commence à faire beaucoup. – « Ça fait longtemps que vous en avez reparlé ? » Si je me souviens bien la première fois qu’elle avait abordé ce sujet avec moi c’était en Mai, donc je suppose que leur conversation date d’il y a plusieurs semaines. « Il faut pas lui mettre la pression sinon il risque de fuir. » Ou bien c’est juste moi qui suis complètement traumatisé par la fuite d’Alex il y a huit ans. « Moi j’aurais tendance à te dire d’attendre encore quelques mois et de lui en parler à nouveau mais c’est déjà ce que je t’avais dit la dernière fois. » En fait son problème est bien plus compliqué que le mien alors je pense qu’on aurait vraiment dû lui laisser son temps de parole avant le mien, avant que nous ayons tous les deux un peu trop bu. Décidé à ne pas vider un nouveau verre tout de suite, je le pose sur la table. « Est-ce que tu penses qu’il pourrait se sentir prêt, ou changer d’avis dans l’année à venir ? » Mais en même temps si la réponse est non je ne peux pas lui conseiller de mettre fin à sa relation. « Et toi, tu penses que tu peux accepter d’attendre encore longtemps ? » Je sais bien que les réponses à mes deux questions ne sont pas évidentes mais en même temps dans situation dans laquelle elle se retrouve est vraiment très compliquée et j’essaie vraiment de l’aider comme je le peux.
Je suis sûre qu’avoir un Caleb dans ma vie bien plus tôt m’aurait permis de vivre différemment mon adolescence, parce que je ne me serais plus sentie comme l’outsider que j’ai toujours eu l’impression d’être parmi des gens qui pensaient à leur vie amoureuse et aux fêtes auxquelles ils pouvaient se rendre plus qu’à n’importe quoi d’autre. Caleb me ressemble, lui non plus n’a jamais eu envie de cette popularité amenée par des discours creux et des sourires totalement faux et ça nous a sûrement éloignés de beaucoup de choses il y a quelques années. Aujourd’hui, je ne regrette absolument pas mes choix de vie, j’ai juste été moi-même, je n’ai pas joué de rôle pour être mieux intégrée et mon ami non plus. Je pense que nous avons eu raison de ne pas prétendre être des personnes que nous ne sommes pas réellement, mais j’espère que nous n’aurons bientôt plus de raison de nous retrouver autour d’un verre pour partager nos malheurs parce que nous ne méritons pas ça. « Je suis sûre que j’aurais adoré débattre du sujet avec toi. » C’est la vérité, me retrouver à écouter les critiques de Caleb sur un film en essayant de lui prouver qu’il ne peut pas s’attendre à ce qu’une heure trente d’images et de dialogues soit à la hauteur de quatre-cent pages ultra détaillées, est à peu près l’idée que je me fais d’une excellente soirée. Je n’ai pas besoin de plus, un bon ami, un film peu importe sa qualité et des débats à n’en plus finir sur la qualité du film en question. C’est pour ça que j’apprécie autant les soirées du jeudi en compagnie d’Alfie, c’est une habitude qui parait simple mais qui représente énormément à mes yeux. Caleb a raison, c’est vraiment dommage qu’on n’ait pas été là pour s’épauler l’un et l’autre dans des périodes plus compliquées de notre vie. Je suis sûre qu’il m’aurait été d’une aide précieuse, mais il l’est tout autant à présent et je pars du principe que Dieu met sur notre route les bonnes personnes au moment opportun. Si je l’ai rencontré il y a deux ans seulement, c’est parce que c’était justement à cette période de nos vies qu’on devait croiser le chemin de l’autre et ça a bien fonctionné puisque nous sommes devenus des amis inséparables. J’ai de la chance de pouvoir compter sur lui. Mais je n’ai pas encore assez bu pour me lancer dans une longue déclaration et malgré la gorgée supplémentaire que j’avale, je préfère opter pour l’humour plutôt que sur une avalanche de sentiments qui risquerait de nous mettre tous les deux franchement mal-à-l’aise. « J’espère que tu as bien profité des années où tu ne me connaissais pas, parce que maintenant je n’ai plus l’intention de te lâcher et tu vas finir par me trouver beaucoup trop chiante. » Je ris en m’imaginant en amie pot-de-colle qui contrôlerait tous ses faits et gestes.
Je n’en suis pas là, bien heureusement, Caleb est un grand garçon qui fait ses propres choix et mène sa vie comme il l’entend. En général, il prend de bonnes décisions et s’en sort toujours bien malgré les nombreuses épreuves qu’il traverse. Je suis admirative de son courage. « Tu es loin d’être un connard, ce n’est pas ce que je sous-entendais, c’est juste que ça ne te ressemble pas cette façon de raisonner. » Enfin, je crois, mais même si nous nous ressemblons sur bien des points, il est normal que certaines différences subsistent. Malgré tout, je n’ai pas besoin de confirmation pour savoir qu’il se comporte bien avec Alex et j’espère que cette fille réalise la chance qu’elle a de tomber sur un garçon aussi formidable après les erreurs qu’elle a commises. « Elle a l’air de beaucoup compter pour toi et je suis contente que tu puisses retrouver le bonheur avec elle. » Ou presque, parce que s’il avait pu retrouver le bonheur avec quelqu’un qui ne lui avait pas déjà planté un couteau dans le dos par le passé, j’aurais été un peu plus heureuse. « Mais justement, si ces sentiments sont réels et que tu le sais, pourquoi t’obliger à ne pas mettre un mot sur cette relation ? » Beaucoup de personnes prétendent ne pas avoir besoin de définir ce qu’ils sont l’un pour l’autre mais j’ai toujours pensé que tout ceci était une énorme bêtise parce qu’ils essayaient seulement de se convaincre de ne pas avoir besoin de ça pour finir par souffrir tout autant d’une éventuelle séparation que ceux qui vivaient une vraie rupture. Je ne veux pas que Caleb se berce d’illusion en prétendant ne pas pouvoir créer un couple tant que la confiance n’est pas retrouvée alors qu’ils sont déjà un couple, finalement. Tout ce que je veux c’est qu’il soit heureux, quels que soient ses choix pour accéder à ce bonheur. Si voir son fils peut contribuer à le rendre plus heureux, alors c’est avec plaisir que je le soutiendrais dans cette démarche et il a l’air vraiment décidé à rencontrer celui à qui il a confié la moitié de son ADN. J’espère qu’une rencontre avec ce petit garçon sera possible et qu’elle sera à la hauteur de ses espérances mais j’espère aussi qu’il n’aura pas le cœur brisé, que ce soit en faisant le deuil d’une relation père-fils qu’il n’aura sûrement jamais avec cet enfant, ou parce qu’Alex lui prouvera une nouvelle fois qu’elle a eu raison de sortir de sa vie en premier lieu. Ce n’est plus de mon ressort, alors je reste muette, acquiesçant silencieusement à la décision qu’il a prise et sur laquelle il ne reviendra pas.
Caleb ne prend peut-être pas les meilleures décisions en ce moment, mais il a le mérite d’en prendre, contrairement à moi qui suis complètement perdue face aux récentes conversations que j’ai pu avoir avec Alfie. Je suis incapable de savoir quoi faire, je ne sais pas si je peux attendre et surtout combien de temps je peux attendre mais je suis aussi certaine de ne pas pouvoir faire ça sans lui. Ma famille, c’est avec Alfie que je la vois mais je ne peux pas lui forcer la main pour le pousser à en fonder une qu’il n’a pas envie d’avoir. C’est une situation compliquée avec beaucoup de frustration d’un côté comme de l’autre et un dialogue rompu faute de pouvoir trouver une solution qui nous convienne. C’est la première fois qu’il y a un sujet tabou entre nous et pourtant je ne peux pas me voiler la face, les enfants le sont réellement devenus et Alfie ne peut pas en parler sans me froisser et moi je ne peux plus en parler sans avoir l’impression de lui mettre une pression dont il n’a pas besoin en ce moment. « Je pense que je lui en veux d’être celui qui freine mon rêve, mais bon, moi je freine les siens, alors je ne peux pas lui en vouloir. » Je n’ai pas vraiment réfléchi avant de parler, c’est sorti tout seul, et je me rends compte que c’est la première fois que j’extériorise cette culpabilité que je m’efforce de dissimuler pour ne plus avoir à la ressentir. Je sais pourtant que c’est la vérité, je lui ai coupé les ailes alors c’est un juste retour des choses que je n’obtienne pas ce que je veux, moi non plus et je ne devrais même pas lui en vouloir pour ça. « Je ne lui en veux pas de ne m’avoir rien dit, ça aurait bien qu’il le fasse, c’est sûr, mais je n’ai pas osé aborder le sujet non plus alors que si je l’avais fait plus tôt, les choses seraient peut-être différentes maintenant. » Il sait à quel point la famille compte à mes yeux mais jamais, avant cette fameuse conversation, je ne lui ai fait part de ce désir d’enfant ni de son importance pour moi. Maintenant, il en a pris conscience mais c’est peut-être trop tard, parce que ce n’est pas dans cette vie-là qu’il s’est projeté et je le comprends très bien, ou en tout cas j’essaye. « Il a dit qu’il ne s’était jamais vraiment imaginé avec des enfants, que ce n’était pas quelque chose qu’il avait déjà envisagé et qu’il ne pensait pas être à la hauteur dans un potentiel rôle de père parce qu’il n’est pas fait pour ça. » Bon, c’est la version vraiment très résumée mais c’est le principal et surtout ce qui m’a marquée dans cette discussion qui me parait encore tellement douloureuse aujourd’hui alors qu’elle a eu lieu il y a plusieurs mois déjà. « Cet été, ça fait un moment déjà, après il y a eu son agression et je n’ai pas eu envie de rajouter ça à tout le reste. » De toute façon, j’arrive toujours à me trouver une bonne excuse pour ne pas en reparler. Il sait ce que je veux et je sais qu’il n’est pas prêt, qu’est-ce qu’il y a à dire de plus. « Je crois que cette fois, c’est plutôt à lui de venir m’en reparler si jamais il change d’avis, parce que si je lui en parle tous les six mois, il va juste flipper plus qu’autre chose. Je pense qu’à part attendre, je n’ai pas d’autre solution. » Mais cette attente est affreusement frustrante, je déteste ne pas avoir combien de temps ça va durer et si je vais être capable de la supporter. J’aimerais me dire que ce n’est que provisoire mais je n’en suis pas certaine et lui non plus, d’ailleurs. J’ai aussi essayé d’accepter la situation et de me faire une raison mais je n’en suis pas capable non plus. Tout cela est beaucoup trop compliqué pour moi. « J’aimerais vraiment te répondre, je t’assure, mais je n’en sais rien, je ne sais pas combien de temps il lui faudra pour se sentir prêt, ni s’il le sera un jour et encore moins combien de temps je vais le supporter, ça me parait déjà trop long alors que nous en avons parlé il y a seulement quelques mois. » C’est compliqué, beaucoup trop compliqué et en parler à haute voix me fait simplement réaliser qu’il n’y a aucune solution à ce problème et que je vais devoir vivre avec et ce pour une durée que je ne maitrise pas. « Dans tous les cas, je serais malheureuse, de toute façon, alors à choisir, je préfère être malheureuse en étant avec lui. » Je ne veux pas le perdre, ça c’est une certitude mais est-ce que notre relation peut survivre à une telle rancœur ? Je n’ai aucune certitude à ce sujet.
“One, two, three, one, two, three, drink. Throw 'em back, till I lose count”
J’ai toujours cru au destin et tout ce genre de choses. Je pense sincèrement que tout se passe pour une raison précise et que si j’ai rencontré Jules il y a un peu plus de deux ans, c’est certainement parce qu’à ce moment-là j’avais besoin d’être entouré ou de rencontrer une nouvelle personne qui ne me connaissait pas avant et qui ne verrait pas comme étant le pauvre Caleb qui a perdu la femme de sa vie dans un accident de voiture dont il est le principal – et seul – responsable. Celui qui est devenu veuf – ou presque parce que techniquement, le mariage n’a jamais eu lieu – avec cinquante ans d’avance. La vie est cruelle et surtout, elle est courte. C’est ce que je retiens de cette terrible expérience. C’est peut-être pour ça que j’ai décidé de tout pardonner à Alex. La vie est tellement courte que je me demande s’il est réellement nécessaire de lui en vouloir pour une erreur – certes, énorme, qui aurait pu changer toute ma vie – qu’elle a commise il y a huit ans. Donc oui la vie est courte et je pense que si Jules et moi nous ne nous sommes pas rencontrés avant, il doit bien y avoir une raison pour ça. Même si j’aurais aimé avoir une amie comme elle lors de mes années lycée, voire même encore avant. Parce qu’elle et moi on se ressemble beaucoup, on se comprend et je suis sûr que l’avoir à mes côtés m’aurait aidé à me sentir un peu moins seul. « Je suis sûre que j’aurais adoré débattre du sujet avec toi. » Je souris. L’éternel débat des adaptations cinématographiques des livres. Je ne suis pas contre des modifications voire même quand les scénaristes décident de s’éloigner un peu de l’œuvre originale, mais par contre s’ils en viennent à ne pas respecter les fondamentaux de l’histoire et des personnages, c’est à ce moment-là que je commence à râler. Alors oui, moi aussi j’aurais aimé pouvoir débattre de ce sujet avec elle à l’époque, parce que je n’avais personne, ou pas grand monde avec qui le faire. Oui j’avais des amis, quelques-uns, pas énormément parce que j’ai toujours été assez solitaire mais en même temps j’étais très bien comme ça. « J’espère que tu as bien profité des années où tu ne me connaissais pas, parce que maintenant je n’ai plus l’intention de te lâcher et tu vas finir par me trouver beaucoup trop chiante. » Mon rire se mélange au sien mais je finis tout de même par grimacer doucement avant de lui répondre. « T’es ce genre d’amie pot de colle qui me lâchera plus c’est ça ? Compte sur moi pour déménager et changer d’identité pour me débarrasser de toi. » Pas du tout. Une amitié comme la nôtre je pense que c’est assez rare alors je ne compte pas la lâcher de sitôt moi non plus.
On se comprend habituellement assez facilement, parce qu’on a plus ou moins le même mode de fonctionnement, les mêmes idées et la même façon de penser tout simplement. Sauf que cette fois j’ai l’impression qu’elle a du mal à me comprendre. Pour sa défense, je ne suis même pas sûr de me comprendre moi-même en ce moment. « Tu es loin d’être un connard, ce n’est pas ce que je sous-entendais, c’est juste que ça ne te ressemble pas cette façon de raisonner. » C’est vrai ça ne me ressemble même pas du tout. Me retrouver dans une relation non-officielle, ce n’est pas moi mais quand on parle d’Alex j’ai souvent tendance à agir de manière un peu différente, sûrement parce qu’être avec elle m’oblige à sortir un peu de ma zone de confort. « Non mais t’as raison. Ça me ressemble pas. Normalement. » Contrairement à Jules et moi, avec Alex on est très, très différents l’un de l’autre. Les contraires s’attirent c’est ça qu’on dit, non ? Pour Alex et moi c’est le cas. Tout comme l’autre diction « qui se ressemblent s’assemblent » fonctionnait pour LV et moi. C’est peut-être ça aussi qui peut paraître assez incroyable, que je puisse tomber amoureux de deux femmes si différentes l’une de l’autre. Elles n’avaient rien en commun sauf peut-être la couleur de cheveux et leur nationalité Européenne. « Elle a l’air de beaucoup compter pour toi et je suis contente que tu puisses retrouver le bonheur avec elle. » Je souris. Oui elle compte beaucoup pour moi et c’est la raison pour laquelle cette fois j’ai vraiment envie que les choses fonctionnent à merveille entre nous. « Elle est vraiment géniale, je t’assure qu’elle en vaut la peine. » Sinon je n’aurais jamais pu lui pardonner. « J’aimerais vraiment bien que tu puisses la rencontrer. Tu pourras te rendre compte que c’est pas juste une fille qui a commis une énorme erreur. Elle a énormément de qualités aussi. » Et l’avis de Jules a beaucoup d’importance pour moi alors je me promets d’organiser une rencontre entre elles un jour. Si elle accepte bien sûr. « Mais justement, si ces sentiments sont réels et que tu le sais, pourquoi t’obliger à ne pas mettre un mot sur cette relation ? » Je n’en sais rien. La peur de souffrir mais pas seulement, je le sais. On en revient toujours au même point : Victoria, notre engagement, sa mort, ma culpabilité. Elle est toujours là dans un coin de ma tête et j’ai l’impression d’être un gros connard avec Alex pour ça également. J’hausse les épaules et cette fois je baisse les yeux aussi. « Je sais pas… J’ai pas envie qu’on puisse penser que j’ai déjà oublié Victoria parce que c’est pas le cas. » Je n’ai pas envie qu’on pense que je n’ai pas traîné pour passer à autre chose. Je n’ai pas envie qu’on puisse penser que si mes sentiments pour LV étaient si forts, je ne me serais pas remis en couple si vite. Pourtant moi, ces deux années sans elle m’ont paru très longues. « J’aime vraiment Alex tu sais, mais j’ai pas l’impression que ce soit bien que je me mette avec elle si je pense encore à Victoria de temps en temps. » Je pense à elle au moins une fois par jour et je ne sais pas si un jour ça cessera ou non. Je suis encore un peu perdu sur ce point-là.
Jules se retrouve elle aussi dans une situation difficile et je pense même qu’on puisse facilement dire que les choses sont encore plus compliquées pour elle. « Je pense que je lui en veux d’être celui qui freine mon rêve, mais bon, moi je freine les siens, alors je ne peux pas lui en vouloir. » Ah… C’est la première fois que je l’entends me parler de ça et elle semble avoir gardé cette culpabilité pour elle pendant bien trop longtemps. Je me pince les lèvres et c’est en la regardant que je lui demande. « Tu regrettes de lui avoir demandé de rester à Brisbane ? » Parce qu’en faisant ça oui, elle lui a plus ou moins demandé d’abandonner ses rêves mais honnêtement ? Je la comprends. Il ne faut pas oublier que je suis quand même ce mec qui a demandé à sa copine qu’il ne connaissait que depuis un an – et avec qui, il ne sortait que depuis dix mois – d’abandonner toute sa vie, ses proches et sa famille en France pour venir vivre avec moi en Australie. En faisant ça je demandais à LV de lâcher toute sa vie juste pour moi, et quelque fois quand je la voyais avoir des petites baisses de morale parce que sa famille lui manquait je m’en voulais beaucoup. Alors même si les circonstances sont différentes je peux la comprendre. Je la laisse parler, je l’écoute mais je ne réagis pas toujours parce que de toute façon je pense qu’au fond il n’y a que deux solutions à son problème : convaincre Alfie d’avoir un enfant – mauvaise idée s’il n’est pas sûr d’être prêt ou d’en vouloir – ou bien le quitter – très mauvaise idée également parce qu’ils s’aiment et ne peuvent pas imaginer le bonheur l’un sans l’autre. – Aucune de ses deux solutions ne semble acceptable et pourtant j’aimerais tellement pouvoir l’aider mais je me sens totalement impuissant. Alors je fais ce que je fais pour le mieux, je l’écoute, je la laisse extérioriser et quand j’ai quelque chose à dire, un conseil ou une question à poser je prends la parole. « Il a dit qu’il ne s’était jamais vraiment imaginé avec des enfants, que ce n’était pas quelque chose qu’il avait déjà envisagé et qu’il ne pensait pas être à la hauteur dans un potentiel rôle de père parce qu’il n’est pas fait pour ça. » Ce qu’elle me dit m’interpelle parce que de ce que j’en comprends, Alfie semble douter de ses capacités à être père, d’accord, mais je ne pense pas qu’on soit vraiment être prêt un jour à être parent. « Dans ce cas il faut que tu lui montres qu’il fera un père formidable. Il a peut-être juste besoin d’être rassuré. » Alfie, je ne le connais pas vraiment. Enfin je ne connais pas sa vie personnelle et encore moins son passé mais il n’a peut-être pas eu le meilleur modèle familial possible, ce qui expliquerait sa peur de ne pas pouvoir être un bon père dans le futur. « Je crois que cette fois, c’est plutôt à lui de venir m’en reparler si jamais il change d’avis, parce que si je lui en parle tous les six mois, il va juste flipper plus qu’autre chose. Je pense qu’à part attendre, je n’ai pas d’autre solution. » Malheureusement, elle a raison mais elle ne va pas pouvoir attendre indéfiniment. Ne pas savoir où leur relation va les mener, ça doit être frustrant pour elle surtout qu’au final il y a toujours la possibilité qu’elle attende pour rien et qu’elle se rende compte dans plusieurs mois voire même plusieurs années qu’Alfie ne veut définitivement pas d’enfant. Bien sûr, ce n’est vraiment pas ce que je lui souhaite. Et bien évidemment elle ne sait pas combien de temps elle sera capable d’attendre ni même si un jour Alfie se sentira prêt à fonder une famille avec elle. Je réfléchis, j’essaie de lui trouver une solution ou du moins une bonne alternative en attendant une réponse définitive de sa part mais je me rends compte qu’il n’y a aucune solution à son problème et je me sens complètement inutile, je déteste ça. « Dans tous les cas, je serais malheureuse, de toute façon, alors à choisir, je préfère être malheureuse en étant avec lui. » C’est triste, mais je comprends son point de vue. « Je suis vraiment désolé. » Je n’ai pas à m’excuser mais je le fais quand même. « Tu mérites tout ça Jules, vraiment. Le bonheur et fonder ta propre famille. T’es sûrement la personne que je connais qui le mérite le plus. » Je sais à quel point c’est important pour elle puisque ça l’est tout autant pour moi. « Je pense que t’as raison, tu devrais attendre encore un peu. Laisse-le venir vers toi. Il viendra te parler quand il se sentira prêt. » J’aimerais pouvoir faire plus pour elle, vraiment. Parce qu’elle sait déjà tout ça mais en même temps je suis sûr qu’elle est consciente qu’il n’y a pas vraiment de solution à son problème. Malheureusement. Je lâche un long soupir tout en passant mes mains dans mes cheveux basculant ma tête sur l’appuie tête du canapé. « Sérieusement c’est quoi notre problème ? On veut tous les deux les mêmes choses et pourtant on est incapable d’y arriver. Je crois qu’on forme le meilleur duo de losers qui puisse exister. » J’ai l’alcool triste ce soir, pourtant habituellement je ne suis pas comme ça en buvant mais là je me rends compte que Jules et moi vivons des situations qu’on ne mérite pas. Et je commence vraiment à désespérer.