« Matt, t'es où ? » « À la putain d’aile ouest de merde. » et je rage, comme je rage. J’ai fait des allers et des retours dans les couloirs, cherché le numéro de la chambre depuis des heures. Choisis le mauvais pavillon, pris le mauvais ascenseur, dévalé les mauvais escaliers. J’ai redemandé encore et encore, on me pointait un sens et un autre, j'y comprenais rien et j'avais aucune attention dédiée, paniqué. Je suis arrivé je sais même pas y’a combien de temps, à bout de souffle, le portable dans mes mains tremblantes, la voix d’Allie qui fait résonner les mêmes commentaires acides que je me gueule dessus depuis que j’arrête pas de me perdre.

Le cœur qui martèle mes tempes et la sueur froide qui coule dans ma nuque. J’ai pas écouté les indications, j’entends rien, rien d’autre que ma respiration haletante, que mes soupirs exaspérés, que les protestations des gens que je bouscule sur mon chemin, que la voix d’Allie au téléphone à laquelle je me rattache fort, si fort.

Elle est restée à l’autre bout du fil jusqu’à ce que j’arrive enfin. Jusqu’à ce que j’arrête de m’égarer dans les dédales d’un hôpital que je devrais connaître par cœur, que je voudrai jamais connaître par cœur, que je déteste de tout mon cœur. Elle est là et les autres y sont pas et j’ai vu le numéro de la chambre de Jill et j’y imagine le corps de ma sœur allongée et j’en peux plus, plus du tout. Les pas que je presse à en courir presque avant d’arriver à la hauteur de Oakheart, et mes bras qui passent prestement autour d’elle pour plaquer avec empressement mes lèvres sur les siennes. J’ai plus d’air, plus rien, je tangue et j’en peux plus, je suffoque et elle est mon oxygène. « Pourquoi t’es toute seule? » qui jure avec ma présence désespérée, et les voix que je reconnais derrière nous quand ma main se glisse dans la sienne sans lui donner la moindre occasion de filer. « Faut que je la vois, faut que je vois qu’elle est réveillée, qu’elle va bien. » je répète et je m’enflamme et je m’arrête, et j’inspire. « Elle est réveillée hen? Elle va bien? » et la seconde d’après, je plonge mon regard désespéré dans le sien.

« Qui c'est qu'est mort ? » d'où il sort Auden? J’ai l’impression qu’on peaufine l’un l’autre le talent caché d’arriver au pire/meilleur moment en tout temps, qu’on est passés maîtres dans l’art du cheveu (que dis-je, du postiche complet) dans la soupe. « On aurait espérait que ce soit toi mais apparemment les rêves ne se réalisent pas toujours ! » un fin sourire se dessine sur mes lèvres de voir que même après le dernier épisode alarmant, Jill se gêne pas pour envoyer chier Auden bien comme elle l’aime. She’s good.

Ça parle de s’étouffer, mon sourcil s’arque, le choking comme référent entre Williams et moi, mes épaules que j’hausse avec amusement question de calmer l’ambiance typique d’un Auden incrusté. « Mise pas sur l’étranglement, il est devenu résistant à force. » c’est con et c’est déplacé et ça sert à rien, mais ça tempère le jeu aussi, et c’est tout ce dont on a besoin. Je vois bien qu’il fait pas exprès d’être con et de débarquer en conséquence, quoi que la condescendance avec laquelle il salut Levi suggère le contraire. “Ils m’ont enlevé tout le sang, t’as rien à essuyer cette fois ci. Désolé, ce sont de vrais monstres ici.” « J’ai qu’à arracher tes points and voilà. » que je rétorque sur le même ton, les paupières qui battent la mesure.

« Tu déranges, dude. » pas de reproche dans ma voix, pas de surprise non plus. Limite ça sonnera comme un compliment à ses oreilles. Il est venu que pour ça, et je suis persuadée qu’à la seconde où il partira ce sera pour aller embêter le cœur léger quelqu’un d’autre. Pourtant, dans une chambre aussi tendue que celle-ci, et avec la bombe de Bailey à retardement qui voudrait exploser à tout moment, c’est facile de prendre ce qu’Auden fait pour pire. Il est pas méchant. « Et parlant d’oreillers, toi, t’es pas censée être dans un lit du tiers monde. » que je sors, mon regard qui quitte celui d’Auden pour se tourner vers Jill et constater qu’ils lui ont monté un lit d’animaux avec un seul coussin pour la peine. « Va user de ta belle gueule pour lui négocier de quoi être confortable veux-tu. » avec Auden, faut toujours flatter dans le sens du poil. C’est lui-même qui me l’a appris.

Il crache sa rancœur vis-à-vis de son sens de l'orientation hospitalier frisant le zéro absolu dans le combiné. La panique fait vibrer la tonalité de sa voix rauque et à ce moment-même, Allie sait pertinemment qu'elle sera la première à rire - beaucoup trop vite, beaucoup trop tôt - de cette situation abominable. Jillian clouée dans un lit d'hôpital à cause des pilules du dealer qui lui avait par la suite sauvé la vie - autosuffisant dans ce drame -, Matt qui s'est paumé à l'autre bout du centre hospitalier, elle-même qui fait office de plante verte dans le couloir parce qu'elle n'est pas assez proche de la McGrath pour faire partie de la fête dans sa chambre. Elle en rira, dès ce soir si ça se trouve, mais en ce moment, tout ce qu'elle est capable de faire, c'est de soupirer longuement, son téléphone plaqué à son oreille à en marquer sa tempe, pour communiquer avec Matt, pour emmagasiner un maximum de lui à distance.

Elle le guide, ça la calme, étonnement. Elle se sent enfin utile à un niveau innovant. Le frère de la victime finit par entrer dans sa champ de vision, elle se lève de son siège quand il arrive à sa hauteur et use d'elle comme self-service. « Pourquoi t’es toute seule? » Il interroge et avec le recul, Allie constate qu'en effet, cette scène n'a rien de rassurant. Elle ouvre la bouche, mais encore déstabilisée par le baiser hurlant de naturel et d'affection que Matthew vient de lui offrir, elle la referme pour accentuer ses sourcils désormais froncés en une expression rédhibitoire. La main du garçon se glisse dans celle de la vingtenaire fermement, comme pour la sommer de ne pas criser tout de suite. « Faut que je la vois, faut que je vois qu’elle est réveillée, qu’elle va bien. » Sa paume est moite, son front luit de sueur, son buste se soulève rapidement sous le tambour effaré de son palpitant. « Elle est réveillée hen? Elle va bien? » La brune hoche la tête à l'affirmative. Elle ne l'a pas vue de ses yeux mais Becky a eu la générosité de l'annoncer plus tôt. « Oui. » Sommaire, radine, ses yeux passent du visage du seul homme qu'elle a jamais chérit à sa main dont elle se défait, se faufile, se dérobe. « Ils n'acceptent que la famille immédiate. » Elle précise, l'invitant par cette séparation à aller voir sa sœur. Puis, de son côté, il est hors de question qu'elle entre dans une pièce si restreinte occupée par Ginny.

Allie crispe ses doigts en un poing. Il lui manque, le fantôme de la paume dégueulassement humide de Matt contre la sienne. Les sensations de son baiser dérobée à la volée hante encore tout son organisme, fait retentir son esprit de souvenirs et de rêves, réveille son cœur de bons sentiments qu'elle s'évertue pourtant à enfouir des heures durant. Et ça lui fait si mal, cette notion de famille immédiate, quand elle aurait pu les unir de la sorte.

Et c’est doux, et c’est beau, un temps. « J'ai même deux anecdotes sympa à raconter, la dernière fois que j'ai emmené Noah à l'accrobranche, on a battu Thomas à plate couture tellement on était rapide ! » c’est une sortie avec Noah qu’elle relate alors que je la connais par cœur, mon fils ayant tellement apprécié leur journée, leur moment ensemble qu’il n’arrêtait pas lui-même d’en parler. « Et j'ai dit y'a quelques jours à Bai que je l'aimais ! Mais chut c'est un secret ! » le temps qui s’arrête, l’évidence qui est statuée, et mes yeux passent de Bailey à Jillian, un fin sourire pas le moindrement surpris qui prend place sur mon visage au passage. « Ça restera notre secret à tous les trois. » comme toutes ces fois où Bai était parti la rejoindre à l’époque, comme tous ces moments où je les avais couverts parce que leur amour valait bien mieux que tout le reste.

“Si ce n'est que Jillian ça va. T’essayes de l’étouffer, Gin ? Tente plutôt quand elle dort. Et sans témoins.” Auden arrivé comme de rien, Auden qui prend toute la place sans demander à personne, parce qu’il demande pas, non, il prend, il prend tout. Ariane et Jill qui se lancent la balle, Williams qui est mis volontairement entre les deux, je perds le fil, je m’en veux de ne plus accorder mon attention juste à un détail, je me déteste de laisser mon esprit filer. La réflexion cruelle que j’évitais jusqu’à maintenant, la réalisation macabre que je me fais de constater que la dernière fois où les drogues de Jill avait cloué quelqu’un au lit, c’était moi, à Londres. Ses cachets dans la pharmacie que j’avais avalés, le résultat qui avait ajouté antidépresseurs et nombreuses thérapies à ma vie. « Je reviens, promis. » les mots bloqués jusqu’à la dernière seconde dans ma gorge, mes lèvres qui embrassent le front de Jill une longue seconde, dix autres ensuite.

Puis, y’a ma respiration qui me manque. Je les hais, les démons qui remontent au pire moment, au pire endroit. Et quand Ariane chasse Auden en toute condescendance, j’en profite pour fuir aussi, lâche, si lâche Ginny. « Je vais juste m’assurer qu’il ne tue personne sur le chemin. » que je prétexte, mon sillage qui lance le bal. J’ignore s’il m’a suivie ou non, j’ignore s’il entend ma justification trop bonasse pour l’être vraiment. J’ai besoin d’air. Mes pas que je multiplie vers la première salle où je repère une fenêtre entrouverte, mes poumons qui s’y fient comme une bénédiction. L’inspiration aussi profonde que l’expiration.

Ariane vous libère des accès plus avantageux à la chambre d'hôpital où Jillian est installée. Tu balayes la pièce que tu connais d'emblée par cœur du regard, t'attardes sur un Bailey qui bat en retraite dans un coin de la pièce, prêt à surgir aussi follement que passionnément qu'il y avait quelques minutes. Ginny, quant à elle, se concentre majoritairement sur la priorité du moment : votre cousine. Les deux se rabibochent, une sorte de vortex sur un monde parallèle s'ouvre au sein duquel les deux frangines sont proches, tendres, aimantes. Tu n'as jamais douté qu'il y avait de l'affection entre les deux McGrath, néanmoins, tu avais sous-estimé la mesure de celle-ci. Comme quoi, cette fratrie-là a encore plus à envier que celle que tu partages avec ton minable jumeau. « Faut que l’une d’entre vous manque d’y passer pour que vous fassiez un câlin. » Tu ne peux t'empêcher de lever les yeux au ciel, sincèrement exaspéré par le blond depuis son agression gratuite.

« Viens là ! Je vais bien, promis ! » Tu accordes tout le temps nécessaire aux deux jeunes femmes pour savourer ce moment précieux, ton esprit soulagé après avoir entendu Jillian promettre qu'elle allait bien. Evidemment, tu te doutais de la tonalité des propos qu'elle tenait en étant clouée à ce matelas mais tu étais persuadé que malgré les douleurs et la fatigue, Jill se sentait réellement assez bien pour l'affirmer avec tant de détermination et que d'ici quelques jours, elle serait de nouveau sur pieds. Dans tous les cas, tu priais pour une brève et totale convalescente. Pendant ce temps, Ariane s'occupe avec expertise du cas Fitzgerald qui te paraît désormais se décomposer dans ses quartiers isolés de la pièce.

« Arrêtez de faire la gueule je vais bien, je vous promets ! » Un rire franc file entre tes lèvres. Tu t'approches des sœurs, caresse affectueusement le dos de Ginny qui se redresse avant de poser avec tendresse ta main sur l'épaule de Jillian. « On sait bien que t'es une dure à cuire, t'inquiète darl'. » Tu souris sincèrement à ton acolyte de toujours. Ton regard voile difficilement toute la frayeur de la perdre comme de la voir subir de lourdes conséquences qui t'avait transie dès les premières minutes de sa descente aux enfers ; toutefois, tu es de nature à te concentrer sur le présent et le positif, ce dernier étant le fait que Jillian était manifestement tirée d'affaire et que ceci composait pour le moment l'essentiel.

Auden, théâtral, fait son entrée. “Qui c’est qu’est mort ?” Tu hausses les sourcils, peu impressionné et assez déçu par cette entrée en matière férocement déjà vue. “Si ce n'est que Jillian ça va.” Cette provocation, néanmoins, vaut bien au Williams un regard assassin de ta part. Ta cousine ne tarde pas à rétorquer à l'artiste qui s'est amusé à te dégoter un nouveau surnom et aguiche à coups de private jokes avec Ariane ; Parker enchaîne avec ses propres offensives contre le trentenaire en lui montrant suavement la sortie. Le plus curieux des résultats demeure en le fait qu'il s'agit de la cadette McGrath qui emprunte cette voie, plutôt qu'un Auden demeurant en suspens jusqu'ici. Tu suis précautionneusement du regard la jeune mère, remarques dans l'embrasure de la porte les silhouettes d'Allie et Matt puis reportes ton attention sur la téméraire de la semaine. « Tu as besoin de quelque chose ? Je suis VIP ici en plus grâce à Ari, j'peux t'avoir de chouettes trucs. » Malgré le souci généré par Ginny qui te dévore progressivement, tu fais de l'humour - bien qu'il y ait une part de vérité, l'expérience doublée d'une Ariane futée et militant sans relâche pour les intérêts de ceux qu'elle estime assez t'avait offert quelques accès et astuces sur le fonctionnement de l'établissement -. De plus, le grand frère protecteur se tenant à portée de voix, tu es confortée à rester dans la chambre de Jillian. « Matt vient d'arriver, je crois. Allie devait l'attendre dans le couloir, elle est restée avec nous pendant que tu faisais la Belle au Bois Dormant. » Tu informes, sourire complice aux lèvres.

La loi des séries, je ne cessais de songer, radoter, une partie de mon esprit préoccupé par le sort qui s'acharnait avec véhémence sur la famille McGrath. En l'espace de quelques jours, mes gardes avaient tombé de manière à ce que je sois affecté dans l'équipe ayant pris en première intention Levi suite à son malaise, puis Jillian et son overdose. Bien heureusement, les deux jeunes adultes, malgré leurs conditions sérieuses, ne présentaient pas de diagnostic vital imminent engagé. Cependant, il n'en demeurait que je m'expliquais cet acharnement de l'univers par la loi des séries. Quand le malheur commence à s'abattre sur une zone, il s'évertue d'y surplomber son ombre durant une certaine - et détestablement trop étendue - période. Telle une épidémie, telle une fatalité : la loi des séries.

Le service des urgences frisait l'hyperactivité depuis le début de la soirée. Le nombre d'entrées suivaient une courbe exponentielle alarmante, si bien que du renfort avait été sollicité après quelques heures de rush très tendu. Des internes s'appliquaient sur leurs premiers patients à leur plus grands réjouissance comme enthousiasme et plusieurs soignants menaçaient de perdre leur sang-froid contre des individus qui s'enregistraient pour des maux ne relevant certainement pas des urgences mais plutôt de la médecine de ville. Les heures passaient, les muscles devenaient de plus en plus fatigués, le cœur suivait le rythme accéléré et mes pensées voguaient irrémédiablement, dès qu'elles en avaient le temps, vers Ginny et ses proches - pour lesquels j'étais prêt à distribuer les petits papiers que j'avais griffonnés avec les indications menant à la chambre de Jillian.
Lorsqu'un semblant d'accalmie pointa enfin le bout de son nez et me permis de faire une pause, j'optais pour m'orienter vers le service où avait été hospitalisée Jillian question de constater si l'artiste s'y trouvait. Connaissant la jeune mère, j'en mettrai ma main à couper. Ginny était dévouée, si Noah était en sécurité, elle refuserait toute notion apportant à sa propre personne pour être au chevet de son aînée.

Néanmoins, ce ne fut pas au sein de la chambre d'hôpital que s'orientait la silhouette de la femme que j'aurais reconnue d'entre mille, mes sentiments voués à elle. D'un pas étonnement assuré, la McGrath s'orientait vers une fenêtre entrouverte. Bien vite, je soupçonnais que son pas n'était pas assuré mais bien déterminé et qu'elle nécessitait cet air frais suite à la succession d'événements dévastateurs qui la secouait possiblement sévèrement. Tendrement, prenant garde à ne pas la surprendre, je posais délicatement ma main sur son épaule frêle et tendue en articulant doucement : « Hey » Ma main parcourt progressivement les nœuds dans le haut de son dos, ses inspirations aussi longues que ses expirations, enlaçant avec affection le corps que j'augurais lessivée, d'énergie comme d'émotions, de la jeune femme.  « Tu veux prendre un peu l'air ? » J'invite, propose, mes yeux la couvant telle qu'elle est : le plus précieux de ma vie ; attentifs à tous les détails, prêts à y atténuer l'intégralité des démons s'y risquant pour alléger ses maux quoi qu'il m'en coûterait. « Toute l'équipe déploie tous les moyens qu'elle a pour bien prendre soin de ta sœur. » Je certifie sur un ton calme et posé, après quelques secondes, souhaitant garantir à Ginny que son aînée ne serait pas délaissée ni négligée dans le service, et surtout qu'ils n'étaient pas seuls pour la remettre sur pieds et veiller sur elle, qu'ils avaient du renfort à leur entière disposition pour contrer ce volet médical ainsi que ce qui pouvait en découler. Je ne pouvais qu'oser imaginer l'intensité du coup que venait de recevoir de plein fouet la famille McGrath et les proches de Jillian, toutefois, je tenais à transmettre à Ginny la notion que du soutien supplémentaire était toujours offert, que ni elle, ni ses proches, n'étaient seuls.
Ultimement, j'étais indéfectiblement là pour elle, pour tout, toujours.

« Ils ont fait attention, ils m'ont sauvé Bai... » Sa main qui serre la mienne pour me faire entendre raison. Je hoche doucement la tête. On en parlera plus tard. Je ne veux pas m’énerver maintenant, pas alors que la porte s’ouvre sur Gin et probablement tout le reste de la famille et des amis. C’est d’abord mon ex-femme qui s’assure que sa sœur va bien et je reste sur le cul en les voyant si proche, si tendre l’une envers l’autre. Je tente une blague qui a au moins le mérite de les faire sourire. Avant que Jill ne cesse de m’impressionner en révélant ce qui s’était passer entre nous à Ginny. Mon regard croise celui de mon ex-femme presque désolée ne sachant pas réellement son sentiment sur toute cette situation. « Ça restera notre secret à tous les trois. » Je lâche un soupir de soulagement, la remercie d’un sourire, lui promettant par le regard que l’on prendra le temps de parler de tout cela. Après tout, je lui dois bien des explications ou quelque chose de la sorte.

Et en quelques secondes, la petite chambre d’hôpital se rempli de tous ceux qui attendaient dans le couloir. Je me sens soudainement à l’étroit et me recule dans un coin, pour observer de loin. La rousse agressive ne me laisse pas le temps de respirer, elle s’approche de moi et m’ordonne de venir avec elle. Je ne trouve pas la force de répliquer. Je la suis jusqu’à la porte, mais refuse de franchir cette dernière. Un pied dedans un pied dehors. Un œil sur la rousse, un œil sur Jill. « Tu gagnes rien à nous accuser. Par contre, si tu veux rager et te venger, je connais la personne qui lui a vendu le dernier truc qu’elle a pris. » Et d’un coup, elle devient bien plus intéressante. Je hausse un sourcil et la fixe un instant. Elle semble dire la vérité et je suis bien curieux d’en savoir plus. « Tu le connais ? » Je me méfie tout de même. Serait-il l’un de ses amis ? « Nom, prénom ? » Je me laisse aveugler par ma peur de perdre Jill et ma colère. Je n’ai jamais été du genre à cautionner la violence, mais ce soir, j’en serais capable. Je ne connais pas la rousse, mais elle semble bien plus fiable avec les propos qu’elle vient de tenir. Alors, c’est plus fort que moi, je suis obligé de lui demander. « Il s’est passé quoi ce soir ? »

Je n’ai pas le temps d’avoir une réponse que tout semble s’accélérer subitement dans cette minuscule pièce. Auden Williams apparaît out of nowhere et commence à tenir des propos qui me font sortir de mes gonds. Je déteste cet homme qui est bien trop nocif pour être aussi proche de Ginny et bien trop agressif envers Jill. « Sors d’ici Williams, maintenant ! » Mon ton est sans appel pour autant, je ne crie pas, je tente de rester calme. Et j’assiste à un ping pong verbal qui me donne mal au crâne, qui me déstabilise et qui me rappel que je déteste être entouré d’autant de gens. « Tu déranges, dude. » J’approuve les propos d’Ariane, mais mon regard se fixe sur Ginny qui semble doucement vaciller. Elle s’éloigne de Jill, s’éloigne de nous tous. Son regard se perd dans le vide et je connais ce genre de réactions. Elle ne va pas bien. La brune passe à mes côtés et je pose doucement ma main sur son avant-bras. « Gin. » Nos regards se croisent et je n’ai pas besoin d’en dire plus. Elle sait que je suis là pour elle, que personne ne lui en voudra si elle a besoin de fuir. « Ça va aller. » dis-je doucement en murmurant avant qu’elle ne me glisse entre les doigts. L’espace d’un instant, je m’en veux de n’avoir aucun moyen de contacter Isaac, il est celui dont elle a cruellement besoin à cet instant. J’ose espérer que l’amour qu’ils se portent les fera se retrouver dans les dédales de cet hôpital.

Gin parti, je croise le regard de Matt dans le couloir et décide de retourner très rapidement auprès de Jill. Ce n’est pas le moment de créer un scandale et cette fois, c’est moi qui agis tel un chien de garde. Je m’assois aux côtés de Jill, sa main dans la mienne et je ne laisserai personne l’approcher de trop près. J’aimerais qu’ils partent tous… Mais je pense à Jill avant tout. « Ton frère est là. » dis-je doucement.

C’est décevant. Une partie de moi (si ce n’est chaque particule de mon être) s’attendait à plus. Plus de cris, plus de larmes, plus de sang. Même Ariane semble s’être rangée et les répliques de Jillian sont plus que faiblardes. L’excuse de “j’ai échappé à la mort et c’est pour ça que je suis à l’hopital” ne fonctionne pas avec moi. Ca a pour seul résultat le fait que je ne prenne même pas la peine d’y répondre, n’ayant pas de temps à perdre dans cette joute verbale de bien piètre qualité. C’est encore un peu plus intéressant d’observer qui est présent et surtout où. Le traître qui tient la main de Jillian (et le petit rire, faux à souhait, que je retiens au fond de ma gorge), Ariane qui se mêle au jeu (pourquoi y’a Ariane, en fait ?) et qui m’en expulse la seconde suivante. Je mentirais si je disais que j’étais triste ou déçu. Elle m’offre une porte de sortie bien trop belle et bien trop grande pour pouvoir la refuser, l’ambiance de la petite salle étant bien trop peu à mon goût. Ils sont tous prêts à chialer à la moindre annonce et c’est typiquement le genre de chose que je ne connais pas, ne comprends pas vraiment non plus. Je ne tiens absolument pas la brune en estime et elle pourrait continuer de dormir dans son lit du tiers-monde que je serais le premier à venir y ajouter le sida et la lèpre autour, pour que ce soit réaliste. Ariane flatte, Ariane joue, Ariane sait quoi dire pour que les gens lui obéissent ; et ça fonctionne. Ca fonctionne toujours, avec elle. Quand mes yeux ne sont pas posés sur elle ce sont sur Ginny qui se concentre, celle dont j’aurais le plus tendance à me soucier si jamais on me posait la question (avec un couteau sous la gorge). Le chien de garde hurle en fond, Fitzgerald ne me rend pas le salut que je lui avais pourtant adressé malgré la douleur - malpoli ! Sa voix change quand il s’adresse à Ginny, tout mon corps se retient de ne pas lui en coller une quand il effleure la paume de sa main. Il est dans la longue liste de tous ceux que je déteste mais aussi, malheureusement pour lui, dans la plus petite liste de ceux que je déteste de toute mon âme parce que ça a quelque chose à voir de près ou de loin avec Ginny. Ca, ça change tout. Ca fait que si je n’étais pas sorti avec Ginny la seconde suivante, c’est sur lui que je me serais rabattu et que j’aurais collé une droite puis une seconde sans me soucier du lieu dans lequel on se trouve. “Toujours un plaisir de retrouver la famille au complet.” Et c’est dans ces moments là que je suis d’autant plus heureux de ne plus avoir de contact avec la mienne ; gérer la leur de loin est amplement suffisant.

Je m’inscris dans le sillage de Ginny, lance un dernier au revoir digne de la Reine d’Angleterre, fierté gonflée au maximum pour avoir su rester sage en présence de Fitzgerald ET McPuttana. La porte refermée je peux souffler doucement, me concentrer à nouveau sur elle, poser ma main sur le creux de ses hanches et la caresser doucement de mon pouce. Je maudis la terre entière pour que le frère arrive à ce moment là, pince mes lèvres pour ne rien lui dire à lui. Le regard est lourd de jugements, de reproches et de haine.
Elle trouve les fenêtres plus vite que personne et je la laisse respirer un instant, mes yeux rivés toujours rivés sur elle bien que je reste encore en retrait. Une partie de moi vérifie seulement qu’elle ne saute pas, et je déteste cette partie. Elle prend toute la place dans mon corps, bloque ma gorge et tous mes muscles. Je suis juste là à attendre, à regarder, et quand un infirmier crie dans le couloir ça me donne le courage de faire un pas de plus vers elle, de passer une main dans son dos et de me poser devant. De m’imposer. Il n’y a toujours aucun mot qui sort de ma bouche mais elle sait, elle comprend. Elle me connait et elle se doute bien de toute la force du monde dont j’ai besoin pour prendre quelqu’un dans mes bras dans l’optique de faire autre chose que de l’étouffer. Elle sait bien à quel point c’est difficile pour moi mais que je veux être là pour elle ; parce qu’après quinze ans je ne compte pas abandonner maintenant. Ma main dégage les cheveux de sa nuque, remonte jusque dans sa chevelure et finalement ma tête se pose naturellement par dessus la sienne en même temps que mes yeux se ferment un instant. Mon autre bras la serre sûrement trop fort mais je n’y fais pas attention.
“Il nous faut un café.” J’annonce, tranche au bout de quelques secondes à peine, me recule comme si de rien n’était. Moi aussi j’ai besoin d’air, maintenant, et aller le chercher le plus loin possible semble être la meilleur idée du monde, parce qu’au moins au Starbucks je peux lui ajouter tous les suppléments du monde. Supplément caramel, supplément double dosette de café, supplément chantilly, supplément smarties au milieu, supplément sucre, supplément deux pailles en même temps. Supplément “m’y reprendre à trois fois pour épeler son prénom”. Y’a tout. Je finis par le reposer sur le bord de la même fenêtre où je l’ai laissé, sans un mot ni pour elle ni pour le nouvel arrivant. Seulement mes yeux qui le toisent un peu trop, mes sourcils un peu trop froncés. Mais je dis rien. Je suis sage, je dis rien. J’ai promis.

Un poisson hors de l’eau, la gueule bien ronde, ouverte, l’air ahuri, ébahi. J’ai l’air du gars qui apprend tout un siècle après tout le monde, et qui réagit à ce qu’il a appris un millénaire ensuite. Je déteste les situations sérieuses, je déteste ces moments qu’on multiplie ce semaine à l’hôpital, je déteste que ce soit devenu ça, notre routine. Je déteste, surtout, le fait qu’Allie retire sa main de la mienne presque au même moment où je l’ai prise.

« Ils n'acceptent que la famille immédiate. » j’ai pas l’intelligence d’esprit de lire entre deux lignes, j’ai pas la conscience de comprendre à quel point ça l’atteint, quand y’a un « Okay. » conciliant qui sort de mes lèvres fatiguées, qui se faufile entre mes expirations accélérées. Puis ça me frappe, ou du moins, une parcelle d’information m'explose les tempes en vitesse turbo. L’injustice que l’une des meilleures amies de ma sœur puisse pas entrer, l’impuissance de pas se faire rassurer, d’être mise à l’écart, toute seule. Ils sont aveugles ou juste stupides? Sans cœur? Tu laisses pas quelqu’un comme ça, en retrait, tu laisses pas Allie ressasser et craindre le pire. « Non, attends, pas okay. Pas okay du tout. » il s’est passé à peine une fraction de seconde entre ma première phrase et ma deuxième. « De quel droit ils t’empêchent d’y aller? » et je dégage mon regard d’elle pour chercher la première personne à proximité sur qui crier, le premier que je pourrai insulter sur une longue liste de ratés – Auden.

Auden qui sort à la suite de Ginny. Mais c’est quoi cette histoire? C’est quoi ce scénario? « Wait, what? » que je leur crie à tous les deux, ils se retournent pas. Un poisson je vous disais guys, un putain de betta qui survivrait pas en grandes eaux. « Bon Matt tu te dépêches d'entrer ou je vais devoir venir te chercher ? Ramènes Allie avec toi ! Je refuse qu'elle reste seule dans le couloir ! » enfin une qui parle avec du sens. Et j’ose plus prendre la main d’Allie là, pourtant, je le fais quand même. Je le fais quand même parce que je pourrai dire que c’est Jill qui m’a forcé, parce que je pourrai inventer des conneries qu’elle croira pas et moi non plus. Mais le simple fait de la sentir si proche de moi rachète tous les coups d’œil noirs qu’elle pourra me dédier ensuite. Mais pour l'instant, là, tout ce qui compte, c'est que j'aille voir Jill. Avec elle.

« Sors d’ici Williams, maintenant ! » il hausse le ton, il déteste Auden, ça n’étonne personne. « Bailey, sil-te-plaît. » ma tête que je tourne lentement vers le Fitzgerald, sachant qu’à la seconde où son regard croisera le mien il comprendra que des cris, que des insultes, que des menaces, c’est tout ce dont on n’a pas besoin ici. C’est tout ce dont je n’ai pas besoin, ici. Alors j’esquive, alors je fuis. Jill qui me retire une pression immense des épaules en me laissant sortir, elle comprend, elle sait beaucoup plus clairement que moi-même.

La paume de Bailey sur mon poignet me brûle, celle d’Auden sur mes hanches pareil. Chaque contact est décuplé, comme s’il tentait de faire compétition à la sensation d’étau qui se resserre sur ma poitrine à chaque nouvelle respiration. Mais ça va aller, Bailey l’a dit, Levi aussi. Sur le coup je ne les ai pas cru, mais c’est exactement ce à quoi je me rattache quand je trouve la première fenêtre passible de laisser la brise froide refroidir mes joues, aérer ma tête. À un moment, y’a Auden qui fait preuve d’un support qu’il ne montre qu’en période de crise (ou quand il veut me distraire le temps de piquer toute la crème glacée emmagasinée dans le congélo à l’atelier). C’est aussi surréel que n’importe quelle autre scène qui se produit à l’hôpital depuis que j’ai l’impression d’y avoir emménagé à nouveau ; et pourtant, qu’il passe à deux doigts de réduire en miettes toutes mes vertèbres me fait énormément de bien. Pas un seul mot à ce sujet par contre, on est d’accord tous les deux sur ce point. Un coup d'oeil suffit.

“Il nous faut un café.” « Le plus fort et le plus sucré que tu peux trouver. » j’aurais même pas eu besoin de préciser pour savoir qu’il remplierait la mission haut la main. Les habitudes. À peine une minute qu’il est parti, que c’est maintenant Isy qui apparaît à sa suite. Isy qui approche en douceur, Isy et son calme, ce zen qu’il apportait jadis à chaque visite de Noah, duquel je me nourris aujourd’hui comme jamais. Il propose de prendre l’air, j’étouffe un faible refus, dédramatisant, secouant la tête avant de la poser contre lui avec naturel. Tout va trop vite dans ma tête, tout est trop fort, tout est trop. Tellement trop. « Toute l'équipe déploie tous les moyens qu'elle a pour bien prendre soin de ta sœur. » « Je sais. » c’est elle, la priorité. « Merci. » et mes doigts trouvent les siens.

Auden revient, le café qui doit peser 5 kilos et qui doit contenir tout un placard qu’aurait pu facilement entretenir Willy Wonka lui-même. « T’as oublié les Smarti- oh. » je commence, cherchant quelque chose à dire, n’importe quoi, une idiotie comme une autre qui déchargera l’ambiance, qui m’occupera la tête ailleurs à nouveau. Mais la cuillère que j’extirpe du gobelet marqué Genni (hum) me confirme qu’il a pas oublié. « C’est pas moi qui devrait recevoir toute cette attention-là. » je m’entends dire, une seconde après, le silence qui plane et leurs yeux que je sens sur mon visage trop pâle pour être rassurant. Dégoûtée d’être celle de qui on s’occupe quand c’est ma sœur qui ne va pas, épuisée d’être la fragile poupée qu’on surveille en tous temps de peur qu’elle se casse en mille morceaux.

Et évidemment, c’est là où j’esquisse un pas pour retourner vers la chambre de Jill, pour leur montrer que tout va. Pour le leur confirmer à eux, mais aussi à moi-même. Mes pieds s’emmêlent, mes jambes titubent, ma main libre me rattrape à une chaise avant que je réalise que ce n’est pas ma maladresse légendaire qui est responsable d’une presque chute, mais bien les palpitations qui montent jusqu’à mon crâne. « Ça va aller, je suis juste un peu étourdie. » la chaise qui m’a retenue sur laquelle je m’assoie finalement, butée. Et une longue gorgée de café que je prends pour calmer le jeu quand personne, mais alors personne ne joue.

Oh qu’il s’intéresse le gars, oh qu’il veut en savoir plus et que c’est exactement ce dont j’ai besoin. « Tu le connais ? »  « Malheureusement. » je laisse glisser, blasée, un soupir entre mes lèvres et l’image mentale bien clair de Jet qui va se faire démonter la tête à la seconde où on sortira tous de cet hôpital avec la certitude que Jill va bien. J’en donne pas tant à Bailey parce que je préfère qu’il porte toute son attention sur la McGrath, mais d’un coup d’œil entendu je lui fais comprendre que la suite viendra en temps et lieu. « Il s’est passé quoi ce soir ? » étrangement, y’a comme une pointe de confiance qui se place entre nous, pas immense, minime, mais bien là. On a un ennemi en commun, ça rapprocherait n’importe qui. « Il s’est passé que je vais m’en vouloir toute ma vie de pas l’avoir empêché de prendre ces cachets-là. » pour le reste, c'est pas à moi de lui raconter. I don’t kiss and tell, et même si le simple joint que j’ai fumé fait pas le poids contre la quantité que Jill a ingérée, c’est pas mes affaires, ce sont les leurs. J’interviens pas plus que le rôle qu’on m’a attribué.

Auden entre, Auden jacasse, Auden sort, Ginny aussi. Je les regarde pas trop faire, clairement pas ma priorité du moment, Matt s’adonnant pendant ce temps-là avec Allie à une comédie de Vaudeville bon marché dans le couloir à proximité. Je savais pas qu’il y avait un truc entre eux, va falloir que je saigne Levi pour des infos à leur sujet éventuellement. « Tu as besoin de quelque chose ? Je suis VIP ici en plus grâce à Ari, j'peux t'avoir de chouettes trucs. » « Oh love, tu me flattes. » la voix chantante, faussement humble, la paume sur le cœur, fière de la terreur que j’insuffle dans l’aile où il reçoit ses traitements, elle-là même qui nous permet de toujours nous en sortir avec des goodies variés.

Quand les autres finissent par arriver par exemple, j’atteins mon niveau de drame. « Ok, on a besoin de changer de mood, là. » parce que c’est lourd, parce que tout va bien là, parce que si on passe les seules minutes que l’univers nous donne de répit à nous morfondre, ça risque d’être long et chiant longtemps. Je fais vite volte-face vers my one and only partner in crime, le regard qui brille et le poignet que je lui agrippe sans douceur aucune. « J’ai un kidnapping à faire, ça me prend quelqu’un sur qui mettre le blâme si je suis prise. » la seconde d’après, on s’esquive dans le couloir Levi et moi, mon seul et unique but étant de trouver le placard à fauteuils roulants pour choisir le plus VIP de tous et s’en servir soit pour en faire des courses, soit pour sortir Jill hors de sa chambre suffocante. On y aboutit vite, la lumière que j’ouvre, l’étendue des chaises qui s’offre à nous. « Elle va préférer la rouge ou la bleu tu penses? »

Sa main se dérobe de la sienne, son cœur s'endurcit au même moment, son regard s'incruste dans le sien, défiant, franc, assuré. « Ils n'acceptent que la famille immédiate. » Elle articule, réceptionne un « Okay » conciliant en échange. Défaitiste, résignée, ses épaules se haussent dans une expression nonchalante. Depuis quand fait-elle preuve d'autant de discipline, elle qui d'ordinaire refuse toute notion d'autorité depuis qu'elle est jeune adulte, depuis que Matt est entré dans sa vie ? Jillian compose une exception, elle refuse en bloc d'agir pour la nuire ; elle tient trop à elle pour ne pas écouter les soignants et leurs recommandations.

« Non, attends, pas okay. Pas okay du tout. » Un sourire en coin attendri et amusé apparaît sur le minois féminin. Le voilà, son héros nocturne, son justicier malhabile mais à la volonté pure. « De quel droit ils t’empêchent d’y aller? » Elle lui offre par un second hochement d'épaules. « Trop de monde la fatiguerait, j'imagine. » Même si en l'occurrence, il n'y a qu'elle qui soit restée sur la touche.

Un mouvement de recul flagrant, les corps des deux jeunes se séparent quand Ginny passe beaucoup trop proche. La poupée de chiffon, l'écervelée égocentrique, fuse droit devant elle en ne pensant qu'à sa poire, en ne prenant nullement compte du monde qui l'entoure. Ce dernier n'a sans doute rien d'intéressant à lui apporter dans la minute. Elle se poste près d'une fenêtre, Allie aimerait qu'elle y saute pour lui rendre la douleur qu'elle lui a infligée des années plus tôt ; et encore, même une souffrance issue de cette chute serait pâle comparée au déchirement que Ginny a causé en tombant enceinte et ôtant Matt du quotidien de la Oakheart par la même occasion. Le mépris, la haine, la rage, se réveillent brutalement, étouffent sans merci toute raison. Certes, Matt était majeur et avait bien voulu suivre les McGrath ; mais pour cela, Allie l'aime. Pour ses valeurs familiales indéfectibles, elle l'aime. C'est le narcissisme stupide de sa cadette qu'elle abhorre. Deux hommes viennent la chouchouter, le regard de la tatoueuse officieuse est aussi noir que les coups de cafards que l'artiste lui a fait encaisser.

« Bon Matt tu te dépêches d'entrer ou je vais devoir venir te chercher ? Ramènes Allie avec toi ! Je refuse qu'elle reste seule dans le couloir ! » Matt reprend la main d'une Allie transie par l'ire et paralysée par les douleurs du passé. Sa main libre effleure distraitement, imperceptiblement, son bas-ventre, alors qu'elle se décide à pénétrer la chambre de Jillian avec Matthew. Son ticket gagnant.  

« Ils ont limité l'accès. J'pense qu'ils veulent que tu te reposes. » Allie prononce en guise de salut, justifie en s'approchant de la patiente bien entourée. Elle accorde à peine un regard aux personnes présents, remarque péniblement Levi et Ariane qui se faufilent vers le couloir, sa priorité étant de s'assurer que sa proche amie soit réellement tirée d'affaire. Elle n'a pas les mots toutefois pour exprimer toute sa reconnaissance vis-à-vis du fait Jillian se porte bien, elle n'a pas les termes pour lui confier à quel point elle a fait de son mieux pour l'aider, elle n'a pas les sons pour lui avouer qu'elle a eu si peur de perdre une des personnes les plus importantes de son répertoire. Plutôt, elle l'observe, sans oser toucher Jill de peur de lui faire mal, espérant férocement que ses yeux transmettent toutes ces émotions qu'elle est incapable d'exprimer autrement. Ses doigts s'entremêlent à ceux de Matt dans le processus, validant, solidifiant, leur étreinte inavouablement si essentielle pour elle.

La rousse incandescente m’entraîne dans un coin, elle partage ses informations sans trop en dire non plus. Je lui jette un regard, la pressant de m’en dire plus. De cracher le reste de ses pions. Je veux savoir, j’ai besoin de savoir. Pourtant, elle ne dit rien. D’un regard, elle me fait comprendre que j’en saurais plus à un autre moment, à un autre endroit. Je retiens. Je n’ai jamais été pour la violence, mais cette personne, qui qu’elle soit, mérite quelques coups. Juste par pure vengeance. Uniquement. Je profite de ce petit intermède avec la rousse pour la questionner sur le déroulement de la soirée, juste pour tenter de comprendre. « Il s’est passé que je vais m’en vouloir toute ma vie de pas l’avoir empêché de prendre ces cachets-là. » Et j’ai soudainement l’impression de redécouvrir la jeune femme qui se tient en face de moi. D’un coup d’un seul, elle n’est plus ce chien de garde fou, mais une femme qui s’inquiète pour son amie, qui s’en veut et qui va probablement ressasser cette soirée pendant un moment. Je repense aux paroles de Jill et mon regard croise celui d’Ariane. Et après un instant de flottement : « Merci… » dis-je doucement sans lâcher son regard. « D’avoir tout fait pour la sauver. » Parce que désormais, je comprends que ma colère n’avait pas été dirigée vers les bonnes personnes et c’est en quelques sortes mes excuses.

Puis tout s’enchaîne dans cette pièce qui me semble de plus en plus petite. Williams, le connard, qui passe faire son show, prouver qu’il est mieux que tous et clamer sa possession sur Ginny. William que je rêve de frapper, mais que je ne touche pas pour respecter mon ex-femme qui a bien trop blêmi en quelques minutes. Elle s’échappe, le connard aussi. J’aurais aimé la suivre, l’aider, mais j’en suis incapable, je sais que sombrerais avant elle et la brunette n’a pas besoin de cela. Un McGrath en remplace un autre. Matt entre dans la pièce avec une brune aux yeux clairs que je ne connais pas. Distance de sécurité avec Matthew. Aucun regard échangé, aucune parole. Comme toujours. Je reste près de Jill et secoue la tête sentant encore cette oppression autour de moi. Ariane qui embarque le cousin pour un kidnapping, probablement un besoin de changer d’air, de ne plus penser à cette horrible soirée. Jill qui tousse un coup et mon cœur qui s’emballe. « Ça va ? » Elle hoche la tête et j’enregistre l’information.

Matt accapare la conversation, il tente de faire le clown comme toujours. Cet idiot de service. J’essaye de ne pas me soucier de lui et mon regard tombe sur la brunette qui s’accroche à sa main. Je sens son angoisse de loin et les murs de cette pièce qui ne cesse de se rapprocher de moi. Je me sens mal. Et voilà Ariane et Levi qui reviennent avec un fauteuil roulant. Encore trop de monde dans cette chambre. Ils parlent fort, s’expriment avec des gestes brusques. J’ai besoin d’air, maintenant. Je me lève tellement vite que la chaise sur laquelle j’étais assis tombe à la renverse. « Je… Je reviens. » Je bouscule Levi sans le vouloir et sors dans le couloir. Au loin, je vois Ginny avec Auden et l’angoisse finis par gagner. Je titube un peu dans le couloir. Mon dos heurte le mur, je me plie en deux, mains sur les genoux et cherche mon souffle. Contre coup. Mon corps luttait depuis mon arrivée ici et désormais, je ne tiens plus. Je commence à voir flou, j’entends encore les éclats de voix dans cette chambre, l’angoisse de savoir Jill dans ce lit d’hôpital, voir Gin flancher, Williams qui me cherche. Un mélange de tout qui provoque le court circuit.