| (nosper) everybody's angel |
| | (#)Mer 4 Déc 2019 - 0:36 | |
| @Norah Lindley & Jasper Wickham ⊹ You're not just another piece of the puzzle, just another wheel in the spoke. This world revolves around you, they can't say that it don't. So let's get lost in the moment, just tell me you down We're the A crowd, crowd in, find us in the crowd and I know that. But let's keep it real, you keep it unreal
Jasper avait attendu ce moment depuis des mois dans l'espoir que ce dernier s'avère être salvateur, porteur d'un semblant de soulagement ... mais non, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'était planté sur toute la ligne. Le divorce venait d'être prononcé, l'échec de son mariage acté dans un dossier prêt à être rangé parmi des dizaines d'autres au fin fond des archives des rêves brisés. Un schéma ô combien réjouissant. L'idée de ne plus se battre avec son ex femme, de ne plus chercher à comprendre ses choix le déchargeait certes d'un poids, mais d'un autre côté, depuis dix heures ce matin que sa vie n'était plus liée par le papier à celle de Gia, il se sentait vidé, et quelque part aussi un peu perdu. Si l'enseignant n'avait jamais eu l'impression d'avoir rendu sa liberté en épousant son second coup de foudre, il avait toutefois bâti une vie avec elle, et si cela faisait près d'un an qu'il avait entamé la séparation, maintenant qu'elle était effective la colère et la rancœur laissaient place au vide. Sur le parvis du tribunal ils ne s'étaient même pas quittés en mauvais termes, leur dernier échange se traduisant dans un signe de la main avant de repartir dans leurs voitures respectives ; c'était étrange. Ils s'étaient unis en grande pompe, et se quittaient dans la discrétion la plus totale. Sans dramas ni faux plis. Ils ne s'étaient aimés, s'étaient déchirés, et devenaient peu à peu deux inconnus. Un fait que Jasper acceptait autant qu'il le laissait amer. Sa vie lui échappait totalement ces derniers temps, comme si tous ses repères filaient un à un. D'abord Gia, puis son travail, sa propre famille ... il n'y avait pas grand chose pour l'aider à sortir la tête hors de l'eau, le ramener dans la lumière, et alors qu'il se faisait l'inventaire des choses qui n'allaient pas, celles qui allaient fusèrent comme pour lui épargner une déprime qui l'aurait mis plus bas que terre pour le restant de la journée. Norah. Dire qu'il ne songeait pas à elle était faux, car depuis que la brune avait refait surface dans sa vie, Jasper s'était décidé à ne plus la laisser disparaître, et pour le moment elle était toujours là. Des quelques brasses qu'ils s'étaient promises aux quelques passages de l'enseignant au domicile de l'infirmière, leurs rencontres auraient presque pu en être devenues régulières, et même s'il se rongeait de ne pas lui avouer mettre en péril sa carrière et celle du jumeau Leckie, il se sentait apaisé lorsqu'elle était dans les parages. Souvenir d'une vie où tout était plus simple, Norah était aussi une personne qu'il appréciait profondément pour ce qu'elle était, pour sa douceur, sa force qu'il ne se découvrait pas. Ils avaient changé. Tout avait changé, mais dans leur façon de se parler subsistait le vestige d'une autre époque auquel le Wickham se raccrochait pour s'empêcher de penser que leur vie actuelle n'avait rien de rose. [Je peux passer ? J'ai quelque chose à te dire. Besoin d'un verre.] Il était un peu plus de vingt et une heure lorsque Jasper avait envoyé ce message, sans trop savoir s'il était convenable où non d'arriver si tardivement avant de se dire que la brune comprendrait sûrement. Peut être. Il l'ignorait. Elle lui semblait éteinte ces derniers temps, et bien que le Wickham ne sache pas exactement comment agir pour tenter de savoir si cet épisode était passager où inquiétant (lui s'inquiétait, mais se gardait bien de lui (re)dire) il avait toutefois besoin de sa présence pour quelques instants. Elle ne le jugeait pas, ne l'avait jamais fait, et alors que sa soirée se résumait à énumérer les doutes la réflexion de l'infirmière lui apparaissait comme providentielle.
Norah ne lui avait pas répondu, mais cela ne l'avait pas empêché de se mettre en route. Conduire lui faisait du bien, et si l'on faisait l'exception de son regard lorgnant sur son téléphone dans l'attente d'un retour ... cette petite escapade de Bayside à Logan City lui avait presque donné une bouffée d'air frais suffisante pour réordonner ses neurones. Il n'avait pas prévenu la brune de la date de son divorce ; il n'avait prévenu personne par crainte que les choses se déroulent mal. S'il avait su. Dix ans de sa vie s'étaient vus monétisés et partagés de façon équitable en l'espace d'une heure seulement ; le système administratif dans son efficacité la plus froide. Jasper ignorait comment il aborderait le sujet, toujours est il qu'il était là ... et que l'infirmière demeurait toujours silencieuse. D'ordinaire il n'aurait pas insisté, et bien qu'il puisse voir de la lumière à l'intérieur de la maison des Lindley, l'idée de faire du forcing ne l'intéressait pas des masses, mais pourtant ... Norah avait réveillé chez lui des signaux d'alarme ces derniers temps, et il s'était décidé à aller frapper à la porte, quitte à passer pour celui qui ne comprenait pas les sous entendus tacites d'une non réponse. Trois coups distincts contre le bois (l'idée d'activer la sonnette et de réveiller toute la maisonnée ne l'enchantait pas) puis la silhouette de Norah se matérialisait dans l’entrebâillement, bercée de lassitude et différente de celle qu'il connaissait d'ordinaire. Que se passait il ? "Hey" Un souffle plus qu'une vraie parole, Jasper ne savait pas comment réagir, ni même quoi dire. Il avait encore un peu de mal à trouver sa place dans la vie de l'infirmière (lui même ayant du mal à trouver une place dans la sienne) mais il la connaissait suffisamment pour deviner que quelque chose n'était pas comme d'habitude, et cette fois ci pas question de la laisser filer. Elle fit un geste qu'il interprétait comme une volonté de fermer la porte, comme pour se couper de l'extérieur, ne plus être dérangée. Par réflexe il s'était interposé, laissant sa main l'en empêcher en la calant sur le montant. "Non, s'il te plaît ne fais pas ça. Pas encore." Loin d'être devin, Jasper n'en était pas non plus devenu aveugle, et cela pouvait se voir comme le nez au milieu de la figure que la brune se trouvait tourmentée. Il espérait simplement que cette fois, Norah le laisserait lui tendre la main.
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| | | | (#)Mer 4 Déc 2019 - 21:01 | |
| EVERYBODY'S ANGEL BUT LET'S KEEP IT REAL, YOU KEEP IT UNREAL | |
Fermer la porte de la chambre de Julie alors qu'elle terminait le chapitre de son livre emprunté à la bibliothèque avant de se coucher était presque synonyme de soulagement pour Norah. Elle se sentait terriblement mal, de se sentir libérée pour la soirée de son rôle de mère. Aidan dormait à point fermé et l'aînée respectait toujours le couvre-feu imposé. Elle lâchait un soupir avant de revenir au rez-de-chaussée, n'ayant pas trop d'idées sur la façon dont elle comblerait sa soirée. Tout lui semblait vide, si vide et elle ne trouvait plus grand chose qui parvenait à lui changer les idées. Aussi apaisée pouvait-elle se sentir quand elle se défaisait de sa veste de mère, ses enfants avaient le mérite de la faire penser à autre chose, de l'occuper et de savoir quoi faire pour lui arracher un sourire. Elle commençait même à se demander comment elle faisait pour tenir debout et prétendre que tout allait bien. Ils semblaient encore y croire, c'était l'essentiel. Elle abusait de leur naïveté, au fond, mais la dernière chose qu'elle voulait était qu'ils pâtissent de ce qu'elle jugeait être des états d'âmes. Juste des coups de mou passager. Ses insomnies ? Rien de dramatique. Sa fatigue ? Exterminée grâce à de nombreuses tasses de café et une énergie dont elle disposait toujours et qui puisait dans le peu de ressources qui lui restait. Même si elle se retrouvait seule, dans le plus grand calme, Norah se sentait débordée, saturée. Impossible pour elle de retrouver une sérénité d'esprit qu'elle admettait peu à peu perdre, alors qu'il n'en restait en réalité plus rien. Le vibreur de son téléphone la fit sortir de sa léthargie quand Jasper lui avait envoyé un message. Il avait besoin d'un verre, il voulait parler de quelque chose. D'important, c'était évident. Norah avait toujours été une bonne oreille (encore heureux, vu le métier qu'elle exerçait). Elle ne trouvait pas même la force de lui répondre, sa tête venant se reposer à nouveau sur le dossier du canapé sur lequel elle était totalement vautrée. Eteinte, les données que rendaient les images de la télévision ne montait pas jusqu'au cerveau, totalement déconnectée du temps qui passait. Elle se sentait vidée, exténuée, mais elle savait que dès lors qu'elle filera sous la couette, elle serait incapable de trouver le sommeil. C'était le cas depuis plusieurs semaines et les nuits sans sommeil étaient devenus récurrentes, voire habituelles. Norah s'en accomodait, elle ne s'en plaignait pas. Elle aurait pu s'attendre à ce que le brun ne la relance, qu'il ne lui écrive un nouveau message ou qu'il tente même de l'appeler quand il se rendrait compte qu'elle ne lui avait pas répondu. Mais rien de tout ça. La nuit gagnait du terrain sur Brisbane et Norah se demandait toujours ce qu'elle pouvait bien faire pour se sortir de ses idées noires. Elle sursauta lorsqu'elle entendit quelqu'un toquer à la porte. Il n'y avait que peu de personnes qui avaient tendance à faire des visites nocturnes. Anwar était familier avec cette pratique, et Caelan se fichait bien de l'heure qu'il était de toute manière si sa soeur faisait appel à lui. Elle était particulièrement surprise quand c'était Jasper qui se présentait chez elle si tardivement. Il avait beau avoir une place particulière dans son coeur, Norah n'avait tout simplement pas le courage. Elle ne se trouvait pas la force de se laisser submerger par ce vent de nostalgie qui soufflait parfois dans leurs conversations quand ils se baignaient ou se laissaient sécher par le soleil estival. Seulement, parler d'une légèreté et d'un bonheur qui lui avait été arraché lui faisait de plus en plus de peine. Sur le coup, ça faisait du bien, mais elle finissait toujours par se rendre qu'elle ne revivrait peut-être plus jamais cette légèreté là. "Hey." lui répondit-elle tout aussi bas que lui. Son regard bleu évitait attentivement le sien. "C'est pas le bon moment." Je suis désolée, pensait-elle avec le coeur serré. Ce n'était pas contre lui. Elle se sentait tout bonnement incapable de quoi que ce soit. Si Jasper avait toujours été de nature à respecter l'espace dont les autres pouvaient avoir, la main posée sur la porte pour empêcher son ex de la fermer prouvait qu'il avait changé d'avis sur la question. Peut-être qu'il ne voulait plus se laisser abattre, peut-être qu'il se le permettait parce qu'il la connaissait bien, qu'ils avaient été (très) proches tous les deux pendant plusieurs mois. Toujours est-il que lorsqu'elle avait levé ses yeux surpris pour croiser son regard, elle y avait vu une détermination sans pareille. Non, il ne voulait pas la laisser filer entre ses doigts. Pas cette fois-ci. Incapable de dire quoi que ce soit, la belle le regardait, interloquée. Elle gardait sa main sur la poignée de la porte, lui gardait la sienne afin de la maintenir ouverte. Constatant qu'il ne compait définitivement pas quitter le seuil de sa porte, les doigts de Norah se détendaient progressivement jusqu'à lâcher la porte. "Viens, entre." lui dit-elle finalement. Elle lui avait dit qu'il serait toujours le bienvenu s'il en ressentait le besoin, si, pour une fois, il préférait dormir sous un toit plutôt que son navire. Elle laissait de côté ses propres problèmes, qu'elle n'était même pas fichue d'identifier. Alors que le bel homme s'installer sur le canapé, Norah s'échappait rapidement en cuisine pour servir généreusement deux verres de vin. Il l'avait dit dans son message après tout, qu'il avait besoin d'un verre. "Désolée de ne pas avoir répondu à ton message tout à l'heure, j'avais la tête ailleurs." Ce qui était vrai, en soi. En revanche, elle ne voulait pas trop revenir sur le fait qu'elle ait failli lui claquer encore une fois la porte au nez, même si elle mourrait d'envie de lui dire que ce n'était pas personnel. Installée à côté de lui, elle regardait le verre qu'elle tenait du bout de ses doigts. "Qu'est-ce que tu voulais me dire ?" lui demanda-t-elle finalement, après s'être remémorée la façon dont il avait tourné ses phrases dans son SMS. "Vu comment tu as écrit ton message, ça a l'air important." Suffisamment pour qu'il vienne ici de son plein gré sans attendre l'aval de son hôte, à une heure avancée de la journée. Ce n'était pas vraiment habituel, chez Jasper. "Rien de grave, j'espère." Elle levait les yeux vers lui, l'air soucieux. L'infirmière fit tinter leur verre afin de trinquer. Plus par réflexe que pour une raison particulière, car elle n'avait rien à célébrer en particulier dernièrement.
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| | | | (#)Dim 8 Déc 2019 - 1:10 | |
| C'était son instinct qui l'avait poussé à se rendre jusqu'à la porte d'entrée, à manifester sa présence alors qu'il sentait que Norah souhaitait rester seule comme en témoignaient son portable demeuré silencieux et la lumière qui perçait au travers des fenêtres. La brune n'avait pas répondu à son message pour une raison qui lui échappait, mais sans trop savoir s'il faisait le bon choix en dérangeant l'infirmière, Jasper n'avait pas la moindre envie de refaire la même erreur qu'il y a trois ans, et était bien décidé à ne pas s'effacer. Pas cette fois. "Hey." lui avait elle répondu en ouvrant la porte, d'une voix tout juste aussi audible que la sienne alors que son regard bleuté fuyait le sien avec application. Donc il y avait bien quelque chose qui clochait. "C'est pas le bon moment." Pas des plus observateurs, Jasper n'avait toutefois pas eu besoin d'user de bien des compétences pour comprendre qu'il tombait comme un cheveu sur la soupe, mais là où d'ordinaire il se serait effacé, aujourd'hui l'idée de laisser la jeune femme traverser une mauvaise passe seule ne lui semblait pas envisageable, bien qu'il soit conscient que ce ne soit pas son rôle. Ou du moins pas totalement. Il lui avait toujours porté une grande affection, et bien qu'il ait respecté et intégré la fin de leur idylle, Norah restait quelqu'un qui comptait. Il était hors de question pour lui de retirer sa main de ce battant de porte sans s'assurer qu'elle irait bien ce soir au moins. Elle semblait le dévisager un instant, scrutant dans ses iris le fond de sa pensée. Était il sérieux ? Parfaitement. Jasper n'avait pas l'intention de partir sans s'être assuré que les pensées les plus noires n'obscurcissaient pas la jeune femme, alors lorsqu'elle lui concédait finalement un : "Viens, entre." après avoir lâché la poignée de porte, l'enseignant ne se fit pas prier pour entrer, sans dire le moindre mot tant son regard en disait déjà long. Qu'est ce qui ne va pas Norah ? Il ne s'attendait pas à ce qu'elle vienne lui fournir une réponse d'elle même, mais loin de lui l'idée de brusquer les choses, alors s'installant dans le canapé, Jasper attendait que la brune ne revienne de la cuisine pour entamer le dialogue. Il lui semblait entendre le tintement d'un verre de vin et le bruit de la porte du réfrigérateur. Donc du vin. Bien, sans doute en auraient ils besoin tous les deux. ""Désolée de ne pas avoir répondu à ton message tout à l'heure, j'avais la tête ailleurs" Elle n'avait pas mis longtemps à revenir, mais c'était en prenant le soin de ne pas le regarder que Norah lui avait tendu le verre pour se poser à ses côtés sur le sofa. Jasper fronçait les sourcils sans trop savoir quoi répondre immédiatement si ce n'était un "que t'arrives t'il ?" dont il savait que ce n'était pas la meilleure approche. "J'ai cru comprendre. Et c'est rien, mais je m'en suis fait pour toi." Pas sûre que celle ci soit meilleure, mais elle avait au moins le mérite d'être honnête ; il ne s'effacerait plus. Pas tant que ses inquiétudes seraient présentes et son ressenti sur la situation aussi instable. "Qu'est-ce que tu voulais me dire ?" L'espace d'un instant, Jasper en avait presque oublié qu'il venait de mettre un terme à dix ans de sa vie en signant un bout de papier. Presque. C'était effectivement pour en parler qu'il était venu jusqu'ici, car son moral n'était pas au beau fixe, mais contrairement au regard vidé de l'infirmière, lui semblait savoir que son état ne serait que passager. "Vu comment tu as écrit ton message, ça a l'air important." Oui ça l'était. Mais les faits étant ce qu'ils sont il serait toujours divorcé demain, et sûrement aussi vidé qu'il se sentait à présent. Les lèvres pincées, Jasper s'apprêtait à répondre lorsque Norah le devançait en précisant : "Rien de grave, j'espère." relevant finalement le regard vers lui avant de trinquer ; une célébration sans joie. "Je suis divorcé." souffla t-il finalement. L'idée d'ajouter un "enfin" lui était rapidement apparue, mais se mordant le bout de la langue, il se souvenait qu'il avait bien trop de respect pour son mariage pour le congédier d'une façon si brusque, bien qu'il se soit terminé d'une façon qu'il aurait aimé terrer aux oubliettes à tout jamais. Il y avait cru, y croyait encore, mais pour le moment c'était une profonde lassitude que ressentait le Wickham, et les circonstances n'allant pas pour l'aider, il demeurait persuadé que sa tête finirait par exploser tôt ou tard. Il fallait qu'il s'échappe, qu'il s'évade, et si Norah arrivait d'ordinaire à lui redonner des parcelles d'infini lorsqu'ils se voyaient, ce soir il n'en était rien et l'attitude de la brune sonnait des tirettes d'alarmes. Ce n'était pas la première fois que Jasper la sentait s'éteindre, mais aujourd'hui ses impressions semblaient se muer en faits, et cela générait une inquiétude qu'il avait bien du mal à retenir. "J'avais pas voulu t'embêter avec les détails. J'ai gardé la date pour moi le plus longtemps possible. J'avais peur que ça ... se passe mal. Une fois encore." d'un sourire sans joie, il avait porté son verre à ses lèvres, en prenant une gorgée qui dénouait (un peu) sa gorge asséchée par des heures à se murer dans le silence. "On a enfin trouvé un terrain d'entente. Dix ans classés à la rangée W des archives." Jasper se foutait éperdument du matériel ; le principe même de ne plus être marié, de ne légitimement plus porter son alliance lui pesait bien qu'il soit à l'origine de la demande de divorce. S'il ne ressentait plus rien pour Gia, il n'en valait pas de même pour cette nouvelle vie qui s'offrait à lui sans qu'il n'ait rien demandé. C'était compliqué, et ce serait compliqué encore quelques mois, sûrement. "Je voulais juste en parler. Pas parce que ça me peine, plus parce que je me sens ... bizarre. Donc ça peut attendre. Ne t'en fais pas pour moi." Oui, son nouveau statut pouvait clairement attendre qu'il s'assure de son côté que Norah allait bien, car maintenant qu'il avait exposé les raisons de sa venue, Jasper n'attendait pas pour questionner la belle brune à son tour. "Tu m'as l'air d'avoir besoin d'un peu de vin, toi aussi." Du menton il désignait le verre qu'elle tenait entre ses doigts, s'épargnant un "qu'est ce qui ne va pas ?" qu'il détesterait entendre si les rôles étaient inversés. "Rien de grave ?" Consciemment, il reprenait les paroles de l'infirmière, penchant légèrement la tête sur le côté pour lui accorder toute son attention, car elle l'avait, et sans doute l'aurait elle toujours, quelles que soient les circonstances.
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| | | | (#)Dim 8 Déc 2019 - 13:32 | |
| EVERYBODY'S ANGEL BUT LET'S KEEP IT REAL, YOU KEEP IT UNREAL | |
La douceur et la délicatesse de Jasper étaient de notoriété commune dans son tempérament. Mais cela ne l'empêchait de savoir être plus ferme et de s'imposer aux moments les plus opportuns, quand il pressentait que c'était nécessaire. Ses iris bleus scintillaient d'une détermination que Norah avait toujours apprécié voir quand ils étaient ensemble, mais qui la déroutait plus qu'autre chose lorsqu'il avait accompagné cet éclat avec une main l'empêchant de fermer la porte d'entrée. Gardant une mine sérieuse, il n'attendait pas très longtemps avant d'entrer dans la maison après l'autorisation de la propriétaire, qui elle restait de peu de mots. Le premier automatisme était d'aller chercher de quoi se désaltérer, et peut-être délier les langues pour une conversation qui s'annonçait peu facile. Vidée, la brune se laissait guider par ses gestes plutôt que l'inverse et Jasper avait eu tout le loisir de le constater lorsqu'elle le rejoignit dans le séjour avec deux verres de vin en main. Elle n'était naturellement pas des plus expressives qui soit, néanmoins certains signes ne trompaient et ils sautaient aux yeux de l'océanographe, qui ne manquait pas de noter l'inquiétude qu'il ressentait pour elle. "T'en fais pas pour moi. Ca va." lui assura-t-elle avec un faible sourire. Il l'observait avec beaucoup d'attention alors qu'elle reprenait la conversation et de la centrer sur lui et sur le message qu'il avait envoyé peu de temps avant. Ca semblait urgent et très important. Jasper allait droit en but en lui annoncer que le divorce était enfin annoncé et qu'il était séparé de Gia aux yeux de la loi (et de l'Eglise peut-être s'il s'était également marié auprès d'un prêtre). La jeune femme ignorait comment réagir; s'il fallait s'en réjouir ou s'en attrister d'une facçon quelconque. Il l'attendait depuis si longtemps, ce divorce, et voilà chose faite. Lui-même semblait perdu alors qu'il n'en pouvait plus d'être des mois durant dans l'attente. Norah ne pouvait s'empêcher d'avoir un pincement au coeur pour lui. Cela restait malgré tout une étape difficile à gérer émotionnellement et elle se désolait de ne pas pouvoir faire grand chose pour l'aider. "Au moins, ça a été officiellement annoncé. Ca te permettra d'avancer." lui dit-elle, préférant donner le peu d'optimisme qui lui restait aux personnes qui lui étaient chères. Etrange situation, cela dit, que de parler d'un divorce avec l'une de ses ex-petite-amie. Celle-ci s'était faite la remarque sans pour autant y porter de trop crédit. Avant d'avoir été ensemble, ils étaient de très bons amis, et même si les sentiments amoureux qu'ils avaient ressenti pour l'un l'autre prédominait cette relation passée et terminée sur une note plutôt négative, ils parvenaient à s'apprécier et à se soutenir. En dépit des années, des circonstances, il y avait toujours une affection profonde et mutuelle. "Ca m'aurait pas dérangée si tu avais voulu en parler avant." Même si ça avait été durant leurs activités aquatiques, au milieu de l'eau ou lorsqu'ils se prenaient le temps de se laisser sécher par un soleil cuisant. Norah déposait son verre après en avoir bu une gorgée. Elle était surprise du pragmatisme du bel homme, qui ne résumait apparemment que ces dix dernières années à la conclusion administrative qu'était la signature des papiers. "Et tout s'est finalement bien passé, même si ça a pas du être facile non plus." ajoutait-elle avec un sourire qui se voulait encourageant. Norah avait envie de le prendre dans ses bras, de lui chuchoter que désormais, tout allait bien se passer. Il allait pouvoir prendre de l'avant. Ils étaient par contre tous les deux champions pour se renvoyer la balle de qui s'inquiétait le plus pour l'autre. "Je suppose que ça va prendre du temps de t'y faire, même si tu es déjà séparé depuis un moment." A ses yeux, Jasper méritait d'être heureux, autant en travail qu'en amour – à moins qu'il ait perdu toute confiance en la gente féminine. "Tu sais que je m'inquiéterai toujours pour toi. C'est pas près de changer." lui répondit-elle avec un vague sourire. Surtout qu'ils se voyaient un peu plus régulièrement et qu'ils passaient de bons moments ensemble. "Si tu as besoin de vider son sac, hésite pas. Tu dois en avoir beaucoup sur le coeur." A vrai dire, ça sautait aux yeux. Mais Jasper préférait laisser passer devant le bien-être de Norah, comme toujours. Comme lorsqu'il avait respecté le fait qu'elle ne voulait pas de son aide après la mort de Frank, comme lorsqu'il s'était imposé quelques minutes plus tôt. Il la mettait dans une situation inconfortable, ce qui était une excuse suffisante pour la brune de reprendre son verre en main et de boire une nouvelle gorgée. Elle avait apparemment autant besoin de se désaltérer que lui. Il restait pendu à ses lèvres, à l'affût de la moindre réaction, de la moindre parole. "Rien de grave." Le plus difficile à cerner était peut-être le fait que Norah se mentait à elle-même, elle ne mentait pas aux autres. "Ca va." Deux mots qui se trouvaient trop régulièrement sur ses lèvres pour que ce soit vrai. Elle forçait un sourire dans l'espoir de le rassurer. "Juste un peu fatiguée." Nul besoin de dire combien elle se voilait la face. Cet épuisement n'était pas seulement physique, mais aussi psychique. Une charge mentale qui devenait si lourde au quotidien qu'il y avait déjà eu quelques fois où elle se demandait comment elle faisait pour se trouver la force de continuer. De réussir à s'occuper de ses enfants, de la maison, de cumuler les heures supplémentaires au travail. Elle le devait, pourtant. Elle sentait s'approcher un peu trop près du bord du précipice. La belle brune savait que sa réponse ne suffirait pas à le convaincre. "Quelques problèmes de sommeil dernièrement, rien de fou." agrémentait-elle en espérant que ça soit suffisant. "Avec les changements de rythme au boulot, j'alterne beaucoup jour et nuit en ce moment, mon horloge biologique se manifeste pas mal pour faire part de son mécontentement." Elle tentait d'ironiser, de plaisanter, de faire preuve de plus de légèreté et l'excuse de son rythme d'infirmière passait toujours crème, en général. Encore une gorgée de vin. L'infirmière posait une main délicate sur le dos de Jasper. "Qu'est-ce qui te fait sentir bizarre ?" Parce qu'il n'y avait rien de mieux pour détourner la conversation que de la recentrer sur lui. C'était pour discuter de son divorce qu'il était venu chez toquer chez elle, non ? "Si ça avait pu attendre, tu serais pas venu ce soir." précisa-t-elle e, buvant du vin sans le quitter du regard. Elle se faisait du souci pour lui, bien plus qu'elle ne s'en faisait pour elle. Si elle avait été plus forme, elle l'aurait taquiné en lui disant que c'était peut-être le célibat qui lui faisait sentir bizarre. Au moins, s'inquiéter pour lui, pour les autres, lui permettait de se concentrer sur autre chose qu'à ces idées noires qui envahissaient de jour en jour le cours de ses pensées.
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| | | | (#)Mer 11 Déc 2019 - 1:17 | |
| Il ne savait pas bien si Norah avait cédé par politesse ou si elle avait accepté sa présence parce qu’elle en ressentait le besoin. Jasper avait beau ne pas lui avoir laissé le choix d’apparence, dans le fond la belle brune l’avait totalement et pouvait amplement lui avoir demandé de partir sans qu’il ne s’y oppose. Elle ne l’avait pas fait pourtant, et avait même servi deux verres de vin, comme pour apaiser la pesanteur des mots qu’ils s’échangeraient. Du moins, lui le ferait. Il était venu chez l'infirmière pour se confier au sujet de son divorce et des conséquences directes sur son état d’esprit encore un brin chamboulé par l’audience de ce matin, mais l’attitude de Norah ne le trompait pas quant à son état et il ne pouvait s’empêcher de s’en faire. "T'en fais pas pour moi. Ça va." Elle le lui assurait dans un demi-sourire qui ne le convainquait pourtant pas, mais silencieusement il avait hoché la tête, se promettant d’y revenir pour ne pas être celui qui forçait là où il avait davantage envie de représenter une aide qu’une gêne à ses yeux. Norah n’avait pas oublié qu’il était venu jusqu’ici pour parler de quelque chose d’important, et l’y invitant, Jasper avait fini par lui expliquer qu’après une année entière de bataille par avocats interposés, sa séparation avec Gia était enfin actée. C’était étrange plus que réjouissant voire même attristant ; dix ans de sa vie partis aux archives, alors ce verre qu’il faisait tourner entre ses doigts était sans doute de rigueur aux vues des circonstances. "Au moins, ça a été officiellement annoncé. Ça te permettra d'avancer." Restée neutre (et il appréciait énormément cette prise de position) la jeune femme faisait toutefois preuve d’optimisme là où Jasper en manquait cruellement. Sa carrière partait en fumée, son mariage était enterré et il vivait sur un bateau. C’était comme si sa vie toute entière était devenue une gigantesque plaisanterie, mais s’il pouvait être honnête aux 2/3 avec l’infirmière, en ce qui concernait la partie la plus épineuse de son quotidien pour le moment il ne pouvait rien dire. Pas dans ces circonstances du moins. « T’as sûrement raison. » avait-il soufflé en prenant une gorgée de vin, sans trop savoir s’il était d’accord avec ses paroles ou tentait de s’en convaincre. Il avait la vague impression d’avoir pris un chemin alternatif, de ne pas savoir avancer sans se manger le mur, mais ce qui était sûr c’est qu’il faudrait tenir le cap sans quoi il allait s’effondrer pour de bon. "Ça m'aurait pas dérangée si tu avais voulu en parler avant." Il secouait la tête, sachant pertinemment que Norah aurait été une oreille attentive mais qu’il avait eu besoin de la voir dans d’autres conditions. Au fil des semaines elle lui était apparue comme faisant partie de cette infime partie de personnes capables de lui changer les idées, bien qu’il s’inquiétait à son sujet, qu’il s’inquiétait de ce qu’elle pourrait penser lorsqu’elle découvrirait qu’il avait contribué à la destruction de la carrière de son frère. Egoïstement il avait voulu la garder pour lui seul et ne pas laisser les nuages de rationalité obscurcir leurs moments. « Je sais. Mais en ce moment quand je te vois ça me permet de sortir la tête hors de l’eau. J’avais pas envie de laisser mon divorce noircir aussi les moments où je me permets d’appuyer sur off. » Et cela n’avait rien à voir avec Gia, bien qu’il se morde l’intérieur de la joue d’avoir osé l’avouer. Sa tête allait imploser, et Norah était l’une des rares personnes à lui redonner des parcelles de lumière. Aux yeux du Wickham ces moments qu'ils passaient ensemble étaient précieux par leur simplicité. "Et tout s'est finalement bien passé, même si ça a pas dû être facile non plus." Un sourire sans joie lui naissait au coin des lèvres alors qu’il soufflait : « Au moins c’est fait. » d’un ton qui se voulait assuré mais qui dans le fond n’en était rien. Il était perdu, bien trop, et venir ici lui était apparu comme étant la seule décision logique qu’il ait prise aujourd’hui. "Je suppose que ça va prendre du temps de t'y faire, même si tu es déjà séparé depuis un moment." Une année. C’était plus sur la forme que sur le fond qu’il avait encore un peu de mal, mais Norah avait raison en supposant qu’il réussirait à passer à autre chose. Son regard bleuté croisait brièvement le sien, lui redonnant par la même un semblant d'apaisement. Il fallait qu'il se reprenne et qu'il se reconnecte. Mettre un pied devant l'autre ne devrait pas être bien compliqué. Cela faisait plus d'un an qu'il vivait ainsi, alors pourquoi ? "Tu sais que je m'inquiéterai toujours pour toi. C'est pas près de changer." Elle lui avait agressé un maigre sourire alors qu'il sentait que ce n'était pas juste qu'elle se rajoute un poids sur les épaules. Pas pour lui. Une grimace au coin des lèvres, Jasper protestait : "Tu ne devrais pas." bien qu'il n'ose pas évoquer qu'elle ait bien trop de complications dans son quotidien pour le moment. Il en était d'ailleurs questions ensuite, car dès que la brune lui eut proposé : "Si tu as besoin de vider son sac, hésite pas. Tu dois en avoir beaucoup sur le cœur." dans une proposition qui le touchait mais qu'il déclinait d'un mouvement du menton, Jasper avait posé cette question qui lui brûlait les lèvres. Que se passait il ? "Rien de grave." A d'autres. L'enseignant pinçait les lèvres, la laissant toutefois poursuivre sans l'interrompre. "Ça va. Juste un peu fatiguée." Penchant la tête sur le côté, il reposait le verre sur la table basse, venant effleurer le dos de sa main du bout des doigts sans trop savoir s'il pouvait, s'il devait. "Quelques problèmes de sommeil dernièrement, rien de fou." Oui, mais Jasper aurait mis sa main à couper que le manque de sommeil n'était pas une cause mais une conséquence directe de ce malheur qui l’entourait. Norah semblait être sur une pente dangereuse et lui ne pouvait rien faire pour l'en sortir. "Avec les changements de rythme au boulot, j'alterne beaucoup jour et nuit en ce moment, mon horloge biologique se manifeste pas mal pour faire part de son mécontentement." L'explication était logique sans toutefois trouver écho chez l'océanographe. Il restait persuadé qu'il y avait plus, mais pinçant les lèvres il se retenait de remettre en cause toutes ses paroles sur une simple impression. "Je pense qu'il y a plus que ça, mais tu sais que je suis là aussi, hein ?" Si elle ressentait le besoin d'en parler, d'extérioriser. Jasper se montrait toujours disponible lorsqu'il s'agissait de l'infirmière, mais c'était aussi sans doute car il se sentait responsable d'une part du malheur qui allait s'abattre sur ses épaules dans les mois à venir si la tête de Caelan ne réchappait pas au futur massacre de leurs carrières respectives. "Qu'est-ce qui te fait sentir bizarre ?" Comme dans un flipper, la conversation changeait constamment de cible, et c'était de nouveau lui qui en était au centre ; mal à l'aise et un brin nerveux. Encore. Norah venait de poser sa main contre son dos avec délicatesse, et lui sentait l'apaisement pointer de façon paradoxale avec cette tempête qui se jouait dans son esprit. Il était tiraillé entre la volonté de tout lui dire et celle de la garder un peu dans l'ignorance, mais cette journée était à marquer d'une pierre blanche et les sujets épineux étaient abordés sans le moindre ménagement alors sans doute valait il mieux essayer de faire pénitence en amont. "Tu te sentirais comment si tu avais l'impression d'avoir fait quelque chose de juste tout en sachant pertinemment que ce quelque chose avait eu des répercutions négatives sur quelqu'un dont tu te sens proche ?" Cette phrase était à double sens ; valable aussi bien pour le jumeau Leckie que pour Gia, mais Norah ne pouvait pas le savoir et il espérait qu'elle lui réponde avec honnêteté pour savoir dans quelle direction aller.
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| | | | (#)Jeu 12 Déc 2019 - 16:33 | |
| EVERYBODY'S ANGEL BUT LET'S KEEP IT REAL, YOU KEEP IT UNREAL | |
Le divorce de Jasper avait tardé à être prononcé et le premier concerné ne le vivait pas bien. Il était resté enlisé dedans, incapable d'aller de l'avant, se sentait coincé par la signature du papier à la mairie qu'il avait gratté une dizaine d'années plus tôt. Bien que Norah ne parvenait pas à se projeter dans un quelconque futur, elle avait toujours su faire preuve d'optimisme pour les autres, surtout pour ses proches. Elle était encore loin de se douter à ce moment-là que le futur de son frère était également compromis, et celui de Jasper également. Elle n'allait pas insulter son ex pour l'avoir trahie, elle n'allait pas lui reprocher d'avoir choisi de mettre fin à leur relation. Norah ne prenait que rarement partie. Elle avait ses opinions, elle avait sa franchise qu'on appréciait souvent chez elle, mais on ne la verrait pas prendre partie. Le brun avouait adorer passer des moments avec Norah. Ces fois où ils se retrouvaient à la plage ou à la piscine pour aller nager. Il confessait qu'il ne voulait gâcher d'une quelconque façon ces instants là. La jeune femme était touchée par ses paroles, de savoir qu'elle était encore capable d'apaiser des esprits tourmentés, même si ce n'était que pour l'espace de quelques minutes. Ca valait largement tous les sacrifices qu'elle faisait au quotidien, ceux dont elle ne se rendait même pas compte. "Tu peux me dire ce que tu veux, c'est quelque chose qui ne changera jamais." lui répondit-elle, quand il lui assurait qu'elle ne devrait pas se faire de soucis pour lui. Elle lui précisait même que s'il avait besoin d'en parler davantage, c'était l'occasion. Elle était là, près de lui, au calme, les meilleures prédispositions étaient réunies pour qu'il se confie s'il en avait le besoin et l'envie. Mais à son tour, il préférait laisser ses propres malheurs de côté afin de porter toute son attention sur l'infirmière, sans louper une miette de la façon dont elle se tenait, de la manière dont les traits de son visage étaient tirés. Elle avait beau lui assurer qu'elle allait bien, il n'était pas dupe et cette fois-ci n'hésitait pas à le lui faire remarquer. Norah était un peu décontenancée de savoir qu'on l'avait remarqué et qu'on le verbalise. Sa supercherie ne fonctionnait plus, autant pour les autres que pour elle. Et, à la longue et à l'usure, elle ne parvenait tout simplement plus à prétendre. Jasper aussi, attendait d'elle qu'elle s'ouvre un petit peu plus, qu'elle admette ses faiblesses, qu'elle avait le droit de ne pas aller bien. Norah le suppliait presque du regard de ne pas lui poser ce genre de questions, de ne pas lui demander de se confier. Elle savait que la stabilité de son esprit ne tenait plus qu'à un fil. "T'as d'autres chats à fouetter, Jasper." Il avait sa vie à dompter à nouveau, réapprendre tout, se recréer de nouvelles habitudes, trouver un quotidien qui lui convienne maintenant que les papiers du divorce étaient signés. Elle, elle était qui par rapport à lui ? Juste un fragment de son passé, la jumelle d'un ami qui lui était cher. Difficile d'évaluer le statut de leur relation à cet instant. Etaient-ils amis ? Fallait-il précisé qu'ils étaient ex ? C'était un équilibre étrange, mais qui fonctionnait plutôt bien, du fait qu'ils parvenaient à passer de bons moments ensemble. Elle lui esquissait tout de même un sourire reconnaissant, le regard qui restait bien malgré elle triste. Elle était contente qu'il tienne à se montrer aussi présent pour elle, quasi dévoué à sa cause. Il posait soudainement une question plutôt complexe et précise, dans l'espoir d'avoir l'avis de l'infirmière. Norah le regardait d'abord avec curiosité et intérêt, ne sachant trop savoir ce qu'il pouvait attendre d'elle. Sa franchise, tout simplement. Mais parlait-il encore seulement de son divorce ? Elle se répétait quelques fois la question, analysant chaque mot et le sens qu'il leur trouvait. "Si je savais que c'était la meilleure chose à faire à mon sens, je resterai certainement campée sur ma position." commençait-elle, le regard perdu dans le vide. "Quant aux répercussions..." Elle lâchait un soupir. "J'ai beau avoir ma fierté et avoir des avis bien tranchés, ça me ferait de la peine si je savais que ma décision leur ferait du mal, d'une façon ou d'une autre. Mais je saurai que s'ils m'aimaient vraiment, avec le temps, ils comprendraient et me pardonneraient." Frank était un exemple parfait de cette question. Il était passionné par son métier, l'aimait tout autant sinon plus que son épouse. Il défendait une cause juste au quotidien, il était perfectionniste, attentif, à l'affût. Mais son dévouement avait un impact négatif sur sa vie de couple. Les parents Lindley étaient suffisamment décents pour laisser leurs enfants en dehors des situations de crise. Et Norah l'aimait plus que tout. Il cherchait à se faire pardonner, il y arrivait plus ou moins parce qu'il savait que ça allait devenir de plus en plus compliqué de convaincre Norah. Mais elle l'aimait tellement, qu'elle lui pardonnait. Et elle le comprenait, mieux que personne. "Ca doit te faire sentir un peu déchiré en deux, non ? Entre ce que tu penses être juste et l'impact négatif que ça puisse avoir auprès des tes proches." C'était ce que l'infirmière supposait. C'était ce que Frank exprimait quand ils en discutaient. Norah l'observait longuement, avant de boire une nouvelle gorgée de vin et de constater que son verre était déjà vide. Elle le posait sur la table basse et regardait ses doigts pendant un bref instant. "T'as encore toute ta vie devant toi pour te reconstruire, Jasper. T'as tout pour toi." lui assura-t-elle. L'infirmière en était intimement convaincue. Elle finit par se rapprocher un peu de lui afin de passer ses bras au-dessus de ses épaules, pour l'enlacer. L'étreinte était tendre, délicate. Elle ignorait d'où lui était venue cette idée, le geste s'était fait en toute spontanéité. Ses doigts finissaient même par se glisser entre ses mèches brunes. "Ca va aller, j'en suis persuadée." lui chuchotait-elle. "Je t'aiderai d'autant que je le peux et d'autant que tu le voudras. Si je peux faire quoi que ce soit... Il suffit de me le demander." Norah n'avait pas d'idées qui lui venait en tête, pas de propositions particulière. Elle gardait ainsi dans ses bras, son autre main caressant doucement et régulièrement son dos.
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| | | | (#)Lun 16 Déc 2019 - 14:47 | |
| Il s'en voulait quant au fait que Norah s’inquiète pour lui, et bien que cette dernière lui assure que : « Tu peux me dire ce que tu veux, c'est quelque chose qui ne changera jamais. » l'enseignant ne pouvait rien faire d'autre si ce n'est pincer les lèvres pour montrer son désaccord. Ce n'était pas le moment de tenir cette discussion, déjà parce que la brune pouvait se montrer bien plus têtue que lui mais ensuite car ni l'un ni l'autre ne semblait être d'humeur aux grands débats, mais quand même. Ils avaient beau avoir dépassé (ou plutôt redépassé) le stade des petites gênes, Jasper ne se sentait pas de la plonger dans la noirceur qui l’obscurcissait ces derniers temps. A juste titre certainement. Elle ne semblait pas aller bien, n’allait pas bien ; une évidence qu’il s’était risqué à formuler sans trop savoir s’il pouvait ou non. Il laissait pourtant rapidement tomber l’idée de gratter la surface pour essayer de comprendre, de savoir pourquoi elle n’allait pas bien ce soir au point de lui avoir quasiment refermé la porte sur le nez, l’air perdu et bien trop attristé par quelque chose qui lui échappait. Jasper n’était pas de ceux qui poussaient les gens dans leurs retranchements, surtout pas ce soir, alors il ne se sentait pas de laisser Norah se laisser happer par ses faiblesses, bien qu’il promette de rester disponible. Une part de lui l’était toujours pour ceux qui avaient compté comme elle l’avait été. "T'as d'autres chats à fouetter, Jasper." Sûrement, mais il choisirait ses batailles et toutes celles qui consistaient à rebâtir sa vie depuis zéro n’étaient pas aussi importantes que l’équilibre émotionnel de quelqu’un dont il se sentait proche sans trop savoir encore quelle place lui accorder, dans quelle case la placer. Lui qui avait accordé autrefois beaucoup d’importance à ces conventions n’en avait aujourd’hui plus rien à faire ou presque. Son dream job n’était plus, son mariage avait volé en éclat, un gigantesque gâchis, et une partie de sa famille commencerait certainement à lui tourner le dos sitôt apprendraient ils qu’il avait traîné ce nom de famille attaché à l’université depuis des générations à un gigantesque scandale. Il y avait aussi Caelan, dont la carrière finirait aussi tristement que la sienne, alors non. Jasper n’était plus à une irrégularité près dans son quotidien chaotique. L’océanographe n’avait aucune idée de la direction qu’il voulait donner à cette reprise de contact avec Norah ; tout ce qu’il savait c’est qu’il se sentait bien lorsqu’elle était là, et qu’il lui devait son honnêteté. Ce n’était pas juste de la savoir si proche de son jumeau et de lui cacher qu’ils se trouvaient tous deux au cœur d’une histoire qui donnerait une direction différente à leurs existences respectives, mais était-ce à lui de le dire ? Jasper était concerné par cette affaire tout autant que ne l’était Caelan, mais il n’avait pas à cœur d’écorner sa confiance. La brune lui avait lancé un regard empreint de curiosité, et après tout quoi de plus normal. "Si je savais que c'était la meilleure chose à faire à mon sens, je resterai certainement campée sur ma position." lui assurait-elle, quelque part il s’y attendait. "Quant aux répercussions..." Le voilà le point épineux. L’infirmière soupirait alors que lui penchait la tête sur le côté, suspendu à la moindre de ses réactions. Il oscillait entre l’envie d’être honnête et celle de se complaire encore un peu dans ce moment de flottement, ces derniers instants avant que tout ne parte totalement en vrille. "J'ai beau avoir ma fierté et avoir des avis bien tranchés, ça me ferait de la peine si je savais que ma décision leur ferait du mal, d'une façon ou d'une autre. Mais je saurai que s'ils m'aimaient vraiment, avec le temps, ils comprendraient et me pardonneraient." Les lèvres pincées, Jasper voyait un raisonnement qu’il avait déjà eu sortir des lèvres de Norah, ne pouvant s’empêcher de se demander si la place qu’elle lui accordait dans sa vie aujourd’hui ferait qu’elle pourrait lui pardonner d’avoir contribué à briser la carrière de la personne dont elle était aujourd’hui la plus proche. Jasper demeurait toutefois silencieux, incapable du moindre mot, de faire un choix. "Ça doit te faire sentir un peu déchiré en deux, non ? Entre ce que tu penses être juste et l'impact négatif que ça puisse avoir auprès de tes proches." Il esquissait un sourire sans joie, sans trop savoir où il mettait les pieds avec cette annonce. « Je sais même plus comment j’ai droit de me sentir. » Cette confession livrée à demi-mots était pourtant la chose la plus vraie qu’il ait dite à son sujets entre deux « tout va bien » faux sur toute la ligne. Malgré tout Jasper ne se sentait pas de tout gâcher, de laisser la vérité le rattraper là où il avait encore envie de croire que les choses pouvaient encore rentrer dans l’ordre. L’optimisme avait laissé place à une sorte de faux équilibre qui le maintenait difficilement, un équilibre de plus en plus précaire à mesure que sa carapace commençait à se fendiller tout doucement. "T'as encore toute ta vie devant toi pour te reconstruire, Jasper. T'as tout pour toi." Tout pour lui, hein ? Son regard se voilait de tristesse, d’appréhension, de désarroi. Jasper se laissait dépasser par la situation, se sentant pris au piège d’un scénario de vie qu’il avait choisi sans l’avoir désiré, assumant des choix qu’il n’aurait sans doute jamais dû faire. "Ça va aller, j'en suis persuadée." Elle avait posé son verre sur la table basse après l’avoir observé un moment, venant l’étreindre avec douceur sans qu’il ne s’y attende vraiment. A son contact il s’était pourtant immédiatement détendu, délaissant ses soucis l’espace d’une seconde, bien que ces derniers n’étaient jamais vraiment bien loin et remontaient à la surface aussi vite qu’ils s’étaient évaporés. « Est-ce que tu dis ça parce que tu es persuadée qu’il faudra bien finir par mettre un pied devant l’autre ? Que c'est un réflexe humain ? » Un brin désemparé, Jasper avait du mal à intégrer cette épreuve qu’il s’apprêtait à traverser. L’envie de jeter l’éponge et de partir le démangeait, mais il était chez lui à Brisbane, et possiblement prêt à faire l’effort de tout reconstruire au milieu des vestiges d’une vie passée. Il laissait son menton reposer contre son épaule, s’autorisant à fermer les paupières un instant. Le monde ne lui semblait pas tout à fait hostile lorsqu’il s’en coupait un peu. "Je t'aiderai d'autant que je le peux et d'autant que tu le voudras. Si je peux faire quoi que ce soit... Il suffit de me le demander." La main de Norah allait et venait contre son dos, lui offrant un réconfort duquel il était plus que reconnaissant bien qu’il ne s’en sente pas légitime. « Tu te souviens de quand on parlait d’échanger notre vie actuelle pour celle qu’on avait lorsqu’on était à l’université ? » Jasper semblait las, et profondément marqué par la fatigue ; ces dernières semaines avaient été compliquées, et se dénouaient de la pire des façons. « Je ne le ferais toujours pas. Mais … à l’époque on avait tout. Qu’est ce qu’il s’est passé entre temps ? » Pourquoi le sort s’était acharné sur Norah, pourquoi lui n’avait fait que des mauvais choix ? Son mariage n’en était pas un, pas plus que sa carrière, mais sa façon d’avoir géré l’un et l’autre avait été catastrophique bien qu’elles aient correspondues à ce qu’il était. « J’arrive pas à voir ça comme une chance de tout recommencer. C’est un échec sur toute la ligne. Mon job, mon mariage, je … j’ai toujours su exactement ce que je voulais. Mais là, là je sais plus. » Et la détresse pointait dans sa voix bien qu’il tache de la maîtriser du mieux qu’il le pouvait. Jasper avait toujours eu cette retenue qui lui était proche, mais sa carapace se fendillait et tombait morceaux par morceaux. « Comment t’as fait ? Comment … » Est-ce qu’elle y arrivait seulement ? Jasper s’était détaché un instant, attrapant son regard sans s’en cacher, sans détours là où d’ordinaire il ne scrutait jamais les iris de quiconque de cette façon, comme s’il plongeait dans une intimité qui n’était pas de son ressort. Il aurait aimé demander, il aurait aimé savoir si elle allait bien, et pourtant cette promesse qu’il s’était faite reprenait le dessus et Jasper se retint. Difficilement. « Tu sais que si je peux faire quoi que ce soit tu peux me demander aussi, hein ? » L’enseignant avait choisi ses mots avec soin, reprenant à l’identique ceux prononcés par Norah quelques instants plus tôt. L’idée de venir se confier sur le cataclysme qu’était devenu son existence alors même qu’elle semblait ne pas aller bien l’inquiétait, car il ne voulait pas lui rajouter une pression sur ses épaules. Surtout pas.
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| | | | (#)Mer 18 Déc 2019 - 15:59 | |
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Les silences qu'imposaient Jasper valaient bien plus qu'une tirade entière d'explications. A moins que le temps l'ait changé autant à ce sujet, Norah de le reconnaissait pas, enfermé dans son mutisme. C'était plutôt un truc à elle, pas à lui. Lui ne râtait jamais une occasion pour échanger un sourire, pour raconter une histoire, discuter de mondanités. Mais les procédures de divorce avaient traîné et en avaient profité pour ronger une petite part de lui-même. Il se retrouvait comme endommagé. Elle n'irait pas jusqu'à dire qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même, mais il s'en rapprochait dangereusement. Il était plutôt surprenant qu'elle ne se reconnaisse pas un tant soit peu, par rapport à son état. Norah aussi, n'était plus vraiment Norah. L'actuelle n'avait absolument plus rien à voir avec celle d'il y a quelques années et elle ne se rendait pas compte qu'elle vivait le même processus que Jasper. Les raisons étaient différente, le ressenti était différent, la chronologie était différente. Mais dans le fond, c'était la même chose. Au lieu de se concentrer sur cela et se rendre enfin compte de cette triste réalité, elle préférait se concentrer sur lui et sur ce qui n'allait pas, préférant qu'il prenne soin de loin plutôt que de se soucier d'elle. Il semblait perdu. Ce divorce l'avait véritablement chamboulé, du moins c'était ce que Norah supposait. Le brun lui avait posé ensuite la plus étrange des questions. L'infirmière y avait répondu comme elle le pensait, se demandant d'où avait pu lui venir un tel questionnement, se doutant bien qu'il ne s'agissait pas seulement de son divorce. Il y avait autre chose. Elle ne savait pas quoi, mais il y avait autre chose, elle en était persuadée. Elle manquait cruellement d'informations pour pouvoir répondre avec exactitude et s'assurer qu'elle visait juste. Norah faisait avec ce qu'elle avait, comme toujours. Elle était dotée d'une capacité d'adaptation qui n'était plus à prouver. "Hey." dit-elle afin de l'interpeller, plaçant ses doigt sous son menton pour lui faire redresser la tête en sa direction. "Il y a pas avoir droit de ressentir quelque chose. C'est pas quelque chose que tu contrôles. Et s'il faut que ça sorte, laisse sortir. Il y a pas d'interdits par rapport à ça." Pas avec elle en tout cas. Elle tenait souvent le même genre de discours à ses patients ou à leurs familles. Ils se sentent parfois mal d'être en colère, révolté, attristé, à se sentir coupable pour diverses raisons. Elle préférait largement qu'ils verbalisent tout ça plutôt qu'ils gardent tout pour eux jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard. C'était pour cette raison qu'elle avait toujours laissé Alfie s'exprimer comme bon lui semblait (et Dieu sait combien il ne manquait jamais d'idées pour cela) sans jamais cherché à le réprimer ou à le faire taire. Elle faisait même plutôt l'inverse, le poussant à tout sortir, autant que cela soit nécessaire, même si ça passait par insulter l'infirmière par tous les noms d'oiseaux existants sur cette Terre. La belle brune avait retiré la main de son menton et constatait la tristesse envahir le regard bleu de Jasper. Elle avait horreur de le voir comme ça. Sur le coup, elle ne trouvait rien mieux à faire que de l'enlacer, ne sachant que dire pour qu'il se sente plus léger et pour qu'il retrouver son sourire habituel. "J'en suis pas persuadée. C'est un fait." Que Norah en soit convaincue ou non importait peu, ce n'était que factuel et d'un pragmatisme à glacer le sang. Marche ou crève. "Je suppose que ce sont les restes de l'instinct de survie qui font que." Comme fuir quand il y a un danger, par exemple. "Je ne serais plus là depuis longtemps si ça n'existait pas." admit-elle sans détour. Une triste réalité, mais pourtant des plus vrais. "C'est pas pour rien que l'ancien coéquipier de Frank et Caelan étaient là tous les jours dans les mois qui ont suivi." Ils savaient tous les deux qu'elle se serait laissée dépérir, à sacrifier bien plus de sa personne pour ses enfants qu'elle ne le faisait actuellement (alors que c'était déjà beaucoup). Elle esquissait un sourire triste à Jasper, sachant très bien que son aveu était loin d'être rassurant. Le problème, c'est que cette fois-ci, elle ne se rendait même pas compte qu'elle se trouvait déjà sur la pente glissante. L'océanographe se questionnait sur le cours de leur vie respective, de tous les événements qui les ont mené à cette rencontre. "Des injustices." La réponse était toute simple et pourtant incompréhensible aux yeux de la jeune femme. Elle se demandait ce qu'elle avait bien pu faire pour qu'on vienne à lui retirer la vie de son époux. Le plus curieux dans tout cela, ce n'était même pas elle qui vivait le plus mal cette injustice. "Le mauvais endroit, au mauvais moment, avec la mauvaise personne." Un malheureux concours de circonstances ayant mené des trains de vie bien construits dans les abysses. Une pensée un brin fataliste, Norah ne trouvait pas mieux pour relativiser. "Ton job ?" lui demanda-t-elle, surprise de savoir que ça n'allait pas non plus dans ce domaine là. "Tu as des soucis au boulot ?" Jasper était aussi doté d'un certain contrôle de soi. Il le maîtrisait et l'utilisait bien différemment comparé à ce que faisait Norah. Elle n'avait pa pour habitude de le voir se laisser abattre. "Quoi qu'il se passe, dis-toi que c'est une opportunité comme une autre pour repartir sur de bonnes bases. Il faudra peut-être du temps pour te questionner, parce que tu auras des doutes, des appréhensions... Mais t'en es capable, Jasper. " dit-elle dans l'espoir de le rassurer. Il perdait déjà ses moyens et doutait déjà de ses talents. Le questionnement y était déjà, sinon il n'aurait pas été mené à se demander comment Norah avait réussi à passer le cap qu'était le décès de son mari. Mais l'avait-elle seulement passé ? La réponse serait positive si on prenait en compte qu'elle n'était plus vraiment elle et que l'intégralité de son existence se résumait à faire passer sa vie bien après les autres, ses enfants étant en tête de liste. Elle haussait légèrement les épaules. "Les enfants avaient besoin de moi." Difficile pour Norah d'oublier les jours où Julie demandait encore où était son père et où Aidan avait remarqué qu'il manquait une présence, un visage familier dans la maison. Ces souvenirs lui serraient la gorge, tordaient ses viscère et brisaient son coeur. Ses deux bouts de chou étaient devenus sa principale raison de vivre. Elle avait de nombreux piliers autour d'elle qui lui permettaient de maintenir le cap. Mais il semblerait que même ceux-ci soient en train de tomber en ruines. Anwar attendait un nouvel enfant et bien que Norah l'aiderait quoi qu'il advienne, elle se demandait encore il avait pu se retrouver dans une situation pareille. Elle l'ignorait encore, mais la vie de Caelan connaissait de grands bouleversements qu'il lui avait précieusement caché jusqu'alors. Yasmine ne se portait pas bien non plus, dernièrement. Alfie était encore en train de se remettre de son hospitalisation et Juliana donnait l'entièreté de sa personne pour l'aider autant que possible. Son entourage n'allait pas bien et elle coulait indéniablement avec. D'autres événements continuaient à la pousser au bord du précipice et elle n'avait tout simplement plus la force de résister. Norah n'arrivait pas à faire abstraction de tout ça, de taper du poing sur la table et crier au monde qu'elle n'en pouvais plus non plus, que les idées noires se multipliaient, que les nuits reposantes ne se comptaient plus que sur les doigts d'une seule main. Happée par son regard mais plongée dans ses pensées, la brune s'était à son tour armée de son silence. Il ne voulait pas devenir un poids pour elle mais elle ne pouvait pas s'empêcher de l'ajouter à la liste des personnes pour qui elle se faisait du mouron. "C'est très gentil, mais..." Norah ne voyait pas ce qu'il pourrait bien faire pour elle alors qu'il avait déjà toute sa vie à reconstruire. La façon qu'il avait à rester ancré dans son regard, comme s'il avait la détermination de réussir à décrypter ne serait-ce qu'une parcelle de ce qu'elle pensait était des plus perturbants pour l'infirmière. La voilà qu'elle espérait qu'il ne décèle rien. C'est sûr, à force d'insister, elle allait finir par craquer, mais c'était justement ce qu'elle voulait éviter. Elle le suppliait du regard d'arrêter. "J'ai beaucoup à faire tous les jours, il y a des personnes sur qui je dois veiller. Ca a toujours été comme ça. Des imprévus qui s'ajoutent, des situations qu'on pense pouvoir gérer pour se rendre compte que finalement, c'est plus difficile qu'on ne pouvait le penser." Norah haussait les épaules. La vie, en somme. "C'est juste un peu plus compliqué parce que je suis crevée." Du moins, c'était ce qu'elle aimait croire et faire croire à ceux qui détectaient qu'elle n'allait pas bien.
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| | | | (#)Ven 20 Déc 2019 - 16:07 | |
| Lui qui était toujours dans la retenue et dans le contrôle, voyait ce dernier se fissurer lorsque les grands yeux bleus de Norah avaient croisés son regard. Jasper se sentait vidé, libéré d’une vie qu’il aurait aimé ne jamais avoir à quitter ; plus par confort que par envie. Il avait fait un mariage heureux, il avait eu une belle carrière, mais d’en parler au passé le projetait dans un sentiment qu’il ne savait pas encore intégrer. L’optimisme le poussait à voir tout ça comme un nouveau départ, mais dans les faits il était bien plus compliqué que l’on pouvait le croire de faire le deuil d’une bonne partie de sa vie. "Hey." lui plaçant les doigts sous le menton, Norah l’avait fait remonter la tête vers elle ; un geste que l’infirmière n’avait pas vraiment forcé. Loin d’être un enfant qui avait honte de ses actions Jasper était simplement perdu. Divorcer était son choix personnel, et briser sa carrière le dommage collatéral d’une cause qui lui semblait être juste de défendre, mais ce n’était pas parce qu’il arrivait à justifier ses actions qu’elles étaient plus simples à assumer. "Il y a pas avoir droit de ressentir quelque chose. C'est pas quelque chose que tu contrôles. Et s'il faut que ça sorte, laisse sortir. Il y a pas d'interdits par rapport à ça." Peut-être qu’il faudrait qu’il y en ait. Il y en avait toujours eu chez cet homme qui avait construit sa vie autour des conventions sociales, d’autant plus que mettre des mots et formuler ce qui noircissait ses pensées ne risquait pas de rassurer Norah le moins du monde. Pour sûr il ne se ressemblait pas, mais Jasper ne savait pas mentir, pas plus qu’il ne savait cacher ses sentiments car la brune semblait aller mal et cela l’inquiétait sûrement bien plus qu’il ne se risquait à le formuler. C’était pourtant elle qui le rassurait quant à sa situation, l’enlaçant dans un geste tendre qui l’apaisait autant qu’il le culpabilisait. "J'en suis pas persuadée. C'est un fait." Il hochait la tête un instant, lèvres pincées. "Je suppose que ce sont les restes de l'instinct de survie qui font que." Tant que les organes vitaux fonctionnaient le reste suivait. C’était injuste, mais un réflexe auquel nul ne pouvait se soustraire ; pas le temps pour la pitié. Lui n’était pas des plus à plaindre, mais appuyer sur pause un instant lui aurait permis d’y voir plus clair, de le sortir de la brume. « Mon instinct de survie me pousse de filer au Costa Rica sans me retourner. » et il lui aurait volontiers proposé de l’accompagner, car les utopies étaient parfois bénéfiques, mais Jasper savait que cette hypothèse n’avait rien d’envisageable, et était trop lointaine pour être rêvée. "Je ne serais plus là depuis longtemps si ça n'existait pas." Norah ne s’en cachait pas, et s’il était vrai que lui ne pouvait que s’imaginer la peine qu’elle pouvait ressentir, Jasper comprenait qu’elle avait subi un sort encore pire que tout. "C'est pas pour rien que l'ancien coéquipier de Frank et Caelan étaient là tous les jours dans les mois qui ont suivi." La connaissant ils avaient dû batailler, et si lui ne s’était pas senti légitime d’insister il se rassurait toutefois de savoir qu’elle n’avait pas été seule et qu’elle avait eu le soutien de ces deux hommes. « Julie et Aidan ont de la chance de t’avoir, parce que je reste persuadé que ce que tu as réussi à faire n’est pas à la portée de tout le monde. » Il n’y avait qu’à voir la façon dont il se sentait perdu alors même que sa vie n’avait pas totalement implosé ; il était seul à pâtir de ses choix. Norah avait deux enfants qu’elle avait su préserver, qu’elle protégeait encore, et cela forçait l’admiration. Il n’y avait aucune compétition dans leurs malheurs respectifs, mais il était sûr que Jasper se savait bien moins solide que ne l’était l’infirmière. Que s’était-il passé ? A une époque ils avaient tout. Ils étaient invincibles, et nul n’aurait pu prédire qu’ils en seraient là aujourd’hui. "Des injustices." Jasper penchait la tête sur le côté, sans trop savoir comment intégrer cette réponse. Lui voyait sa propre vie comme un échec, et celle de Norah comme une épreuve dont elle se serait bien passée. Lui arracher Frank l’avait fragilisée, alors dans ce cas oui, une injustice sans doute bien trop injuste. "Le mauvais endroit, au mauvais moment, avec la mauvaise personne." Il pinçait les lèvres, s’en voulant d’avoir amené la conversation sur un terrain si glissant. Il avait eu besoin de parler, mais jamais au détriment de la stabilité émotionnelle de la jeune maman. La conversation n’irait pas en s’arrangeant de toute façon, puisque Jasper avait annoncé l’autre raison de son mal être : sa carrière. "Ton job ?" Il s’en voulait presque aussitôt de s’être lancé dans cette voie ; mais elle méritait de savoir. Ou du moins il ne pouvait pas lui reprocher de ne pas se confier si de son côté il faisait pareil même s’il s’agissait de quelque chose de très (trop) délicat. "Tu as des soucis au boulot ?" Un sourire sans joie lui naissait au coin des lèvres. Des soucis, c’était peut-être un euphémisme. "Quoi qu'il se passe, dis-toi que c'est une opportunité comme une autre pour repartir sur de bonnes bases. Il faudra peut-être du temps pour te questionner, parce que tu auras des doutes, des appréhensions... Mais t'en es capable, Jasper. " Capable de recommencer il l’était certainement, mais en avait-il seulement envie ? Non, pas le moins du monde. « Je vais sûrement me faire renvoyer. D’ici la fin de l’année à ce rythme. Mais c’était pas le bon moment non plus. Peut-être que partir au bout du monde reste une bonne idée après tout. » Il n’était pas sérieux le moins du monde, pris par la lassitude et perdu dans des nébuleuses plus que prêt à se jeter dans le grand bain en faisant ses valises. Il aspirait à l’apaisement, mais ce dernier n’arriverait pas de sitôt. Ou du moins pas avec cet état d’esprit. Comment avait fait Norah pour mettre un pied devant l’autre ? Pour rester cette femme forte et indépendante qu’il admirait plus qu’il ne se risquerait jamais à lui dire ? "Les enfants avaient besoin de moi." C’était vrai, et ça le serait toujours. Malgré tout, cela lui serrait le cœur de la savoir ainsi forcée de tenir debout, même si ses deux petits étaient ce qui avait le plus de valeur à ses yeux et il comprenait. Mais elle ? Qu’en était-il d’elle ? Les enfants, le travail, tout semblait passer avant son propre équilibre, et si Jasper l’entendait il ne pouvait s’empêcher de proposer son aide, de s’inquiéter. "C'est très gentil, mais..." Mais. Il y avait encore un mais, et sans doute y en aurait-il toujours un. "J'ai beaucoup à faire tous les jours, il y a des personnes sur qui je dois veiller. Ca a toujours été comme ça. Des imprévus qui s'ajoutent, des situations qu'on pense pouvoir gérer pour se rendre compte que finalement, c'est plus difficile qu'on ne pouvait le penser." Il pinçait les lèvres, conscient de marcher sur des œufs sans pour autant s’empêcher de répondre : « Et qui veille sur toi ? » Est-ce que Caelan savait ? Est-ce qu’il lui avait dit la vérité ? Est-ce que ses collègues voyaient qu’elle tirait sur la corde ? Il ne pouvait pas se targuer de la connaître par cœur, mais assez après avoir partagé sa vie quelques mois, et tenter d’interpréter ce qu’il décelait dans ses iris. "C'est juste un peu plus compliqué parce que je suis crevée." Il ne fallait pas être devin pour le voir, mais cette fatigue dont il craignait qu’elle ne soit pas due totalement à la fatigue semblait la happer, la faire plonger. « Excuse-moi. » soufflait il en attrapant sa main du bout des doigts, la pressant un instant pour appuyer ses dires. « La dernière chose que je voulais c’était de te faire passer une soirée compliquée. » Elle semblait l’être déjà suffisamment sans son intervention, alors d'un ton qui se voulait plus doux il ajoutait : « Si le Costa Rica te tente, je pense qu'on peut envisager de laisser les soucis à Brisbane. » pour arrondir les angles, pour apaiser des mots et des faits qui semblaient bien trop durs à intégrer.
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| | | | (#)Dim 29 Déc 2019 - 20:57 | |
| EVERYBODY'S ANGEL BUT LET'S KEEP IT REAL, YOU KEEP IT UNREAL | |
Jasper avait toujours été un de ces hommes sans faux pli, qui voulait toujours bien faire, ses principes bien calés dans les conventions sociales collectives, si ce n'est peut-être son aversion à devenir père. Il était bien plus sage que l'infirmière en tout cas. Il se voyait s'éloigner de tous ces objectifs qu'il avait atteint et qu'il considérait comme acquis, tout tombait en ruines et il ne parvenait plus à déterminer dans quelle direction aller. Norah n'était pas bien placée pour lui dire ce qui était le mieux à faire pour lui. Il se devait de pousser sa réflexion seul, de se rendre compte par lui-même ce qui était le plus juste, le plus important pour lui de faire. Tenter de se reconstruire seul, garder espoir et s'investir dans une nouvelle relation ? Il ne fallait pas demander à la brune comment elle y arrivait; elle-même l'ignorait. "Alors si tu as besoin de t'évader un peu loin de Brisbane, fais-le." lui dit-elle avec un sourire, néanmoins très sérieuse. "J'ajouterai, par pure égoïsme, que si tu te décides à le faire, tu as plutôt intérêt à revenir." Elle laissait échapper un rire plus léger. "Ce serait bête que tu partes pour de bon alors que ça ne fait que quelques mois qu'on se côtoie un peu plus, mais ce n'est que mon point de vue." Norah ne se considérait pas comme une priorité pour qui que ce soit. Elle trouvait qu'Anwar et Caelan abusaient parfois un peu trop, de se faire autant de sang d'encre pour elle, bien qu'elle était touchée de l'attention qu'ils portaient sur elle. "Mais si ça peut t'aider à te recentrer et à savoir vers où tu veux aller par la suite, alors pourquoi pas. J'en connais plus d'un qui prenne leur bateau pour s'évader quelques jours pour se vider la tête et revenir plus en forme que jamais." l'encouragea-t-elle. La brune n'avait pas la prétention de dire qu'elle s'en sortait bien avec ses enfants. Elle le faisait parce qu'il le fallait, pour le bien-être de ses enfants. Les fins de mois étaient compliqués et son rythme de vie était extrêmement rapide et éreintant. "C'est moi qui ai de la chance de les avoir, plutôt." lui répondit-elle, en toute franchise. "Je suis pas à plaindre. Je pense faire ce qu'il faut pour qu'ils soient heureux, c'est tout ce qui compte pour moi." admit-elle sans détour, mettant de ce fait en avant qu'elle ne cherchait même pas à prendre soin d'elle et que la situation n'avait absolument pas évoluer depuis la dernière fois qu'ils en avaient parlé. A force de côtoyer des patients débarquant dans son service à la limite de la mort, elle estimait qu'elle n'avait pas de quoi s'apitoyer sur son sort. Et pourtant. La disparition de Frank continuait de la peser au quotidien. Jasper se questionnait sur le pourquoi et le comment ils en étaient arrivés là. La réponse que lui offrait Norah était peut-être dure, un brin fataliste, mais elle n'en pensait pas moins. Le regard triste et bas, elle se plongeait rapidement dans les souvenirs heureux de Frank qu'elle préservait précieusement. Elle redoutait plus que tout d'être prise d'amnésie pour une raison ou pour une autre, et être ainsi privée de ces précieux souvenirs qu'elle chérissait tant. Sans qu'elle ne puisse le voir venir, Norah apprit par la même occasion que le brun avait des soucis au travail. Elle le regardait avec insistance, surprise d'apprendre cela et attendait des explications de sa part. Ses yeux s'arrondirent de plus en plus quand il lui racontait qu'il y avait de fortes chances qu'il soit renvoyé. "Mais... Qu'est-ce qu'il s'est passé ?" Jasper aimait rentrer dans les clous, être juste. Elle le savait être d'un grand professionnalisme, alors qu'est-ce qui aurait pu si mal tourner ? Choquée, elle comprenait désormais bien mieux pourquoi il se sentait si perdu, si seul. Il avait l'impression de tout perdre au même moment et ça le pesait énormément. Il avait besoin de s'échapper de son quotidien, ce pourquoi il considérait de partir, peut-être. Mais avant de songer à cela, il se faisait du soucis pour elle. "Caelan. Anwar." Ils veillaient au grain, de près comme de loin. "Il n'y a pas un jour où Caelan et moi on ne s'envoie pas un message. Si c'est pas le cas, c'est parce qu'on s'est vus ou qu'on s'est appelé." Ne pas avoir de nouvelles pendant plus de vingt-quatre heures étaient anormal. Norah avait toujours admiré Frank d'avoir su se montrer aussi indulgent et respectueux à ce sujet. Peut-être aurait-il aimé avec une relation similaire avec un membre de sa famille. Toujours est-il qu'il l'avait toujours accepté et qu'il avait trouvé sa place sans trop de mal dans le coeur de sa moitié et d'avoir construit une amitié des plus solides avec son jumeau. Jasper saisit délicatement sa main, accompagnant son geste par des excuses. "T'as pas à t'excuser de quoi que ce soit." lui assura-t-elle avec un sourire qui se voulait rassurant. Il n'était ni le premier ni le dernier à lui faire la remarque, pourtant elle ne semblait toujours pas vraiment percuter ce qui était en train de se passer. "Tu avais besoin d'en parler." Et il l'avait bien fait comprendre en ne la laissant pas lui claquer la porte au nez comme la première fois. "Je préfère savoir que tu puisses te confier à quelqu'un plutôt que de garder tout pour toi." Bien que leur relation de longue date n'était pas qu'une simple amitié, Norah aurait compris s'il avait préféré en discuter avec quelqu'un qu'il croisait plus quotidiennement qu'elle, son ex-petite-amie, qui avait coupé les ponts pendant quelques années avant qu'elle ne refasse partie de sa vie. Elle rit bouche fermée à sa proposition. "Et je devrais faire quoi de mes gamins ? T'aurais du mal à les voir tous les jours, j'en suis sûre." le taquina-t-elle. Car même si Norah n'avait pour le moment jamais vraiment envisagé d'aller visiter un autre pays (pourtant elle adorait ça), mais elle ne considérait pas de partir un jour sans ses enfants. Ils faisaient partie du packaging. Même si s'accorder une poignée de jours rien que pour elle ne pourrait que lui faire du bien. Elle gardait sa main logée dans celle de Jasper et, après un moment silencieux, elle posa sa tête contre l'épaule de Jasper. "Pourquoi le Costa Rica, d'ailleurs ? T'as pas trouvé plus près ?" lui demanda-t-elle, amusée, après avoir fermé les yeux quelques instants. "Il y a plein de pays plus près qui sont tout aussi dépaysants. A moins que ce ne soit vraiment la traversée du Pacifique qui t'intéresse." Elle plaisantait tout autant que lui, bien qu'elle se doutait qu'une partie de lui voulait s'éloigner le plus loin possible de tous ses problèmes. "Tu veux un autre verre ?" demanda-t-elle lorsque ses yeux constataient que les contenants étaient bien vides.
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| | | | (#)Mar 7 Jan 2020 - 10:44 | |
| Prendre la fuite n'avait jamais figuré en tête de liste de ce que Jasper faisait lorsque les choses n'allaient pas comme il le souhaitait, mais en ce moment tout semblait lui échapper ... alors peut être aurait il aimé se soustraire quelques jours, le temps de changer d'air. "Alors si tu as besoin de t'évader un peu loin de Brisbane, fais-le." Un demi sourire sans joie lui étirait le coin des lèvres, bien que Norah semblait des plus sérieuses. Pouvait-il seulement ? Ce n’était pas comme s’il était enchaîné à Brisbane. Et pourtant. "J'ajouterai, par pure égoïsme, que si tu te décides à le faire, tu as plutôt intérêt à revenir." Un rire léger ponctuait sa phrase, et lui arquait le sourcil, plus détendu. "Ce serait bête que tu partes pour de bon alors que ça ne fait que quelques mois qu'on se côtoie un peu plus, mais ce n'est que mon point de vue." Oui ce serait bête, d'autant plus qu'il n'en avait aucune envie. Norah était l'une des rares personnes dont la présence l'apaisait plus qu'elle ne l'agaçait ces derniers temps. Il avait trouvé une sorte de refuge dans leurs rencontres, alors il n'était pas question de prendre la poudre d'escampette et de jouer les morts. "Si tu veux me revoir, c'est que ne m'en veux pas trop pour toutes les fois où j'ai abusé de l'usage du chronomètre pendant nos séances de natation ?" Oh, Jasper n'en doutait pas vraiment ; Norah était au moins aussi compétitrice que lui ne l’était, mais s’il se savait pénible, la brune montrait aussi qu’elle ne voulait pas le voir disparaître, et cela lui faisait un peu de bien au moral. "Mais si ça peut t'aider à te recentrer et à savoir vers où tu veux aller par la suite, alors pourquoi pas. J'en connais plus d'un qui prenne leur bateau pour s'évader quelques jours pour se vider la tête et revenir plus en forme que jamais." Il était certain qu’elle en connaissait effectivement plus d’un qui agissait ainsi, et en premier lieu son frère jumeau. « Je le ferais sûrement, mais quelques jours. Ce sera déjà un bon début. » Il hochait la tête pour appuyer ses paroles, se persuadant lui-même de ne pas fuir ses problèmes et de rebâtir sa vie. Partir prendre le large était d’autant plus facile lorsque l’on n’avait pas d’entraves, mais dans le cas de l’infirmière, et même si ses enfants étaient une priorité qu’il comprenait parfaitement, Jasper pouvait comprendre qu’elle se sente prise au piège dans une vie sur pilote automatique depuis le décès de son mari. "C'est moi qui ai de la chance de les avoir, plutôt." Parce qu’ils l’aidaient à tenir debout ? Qu’ils étaient sa force ? Sa manière de minimiser sa peine ? "Je suis pas à plaindre. Je pense faire ce qu'il faut pour qu'ils soient heureux, c'est tout ce qui compte pour moi." Là encore, l’océanographe n’en doutait pas, il avait simplement peur qu’elle s’oublie au passage, et c’était certainement car il comprenait mal les rouages de la maternité. C’était Norah qui l’inquiétait, égoïstement sûrement. La vie ne les avait pas épargnés, ni l’un ni l’autre, et elle sûrement plus que lui mais comme il n’y avait pas de compétition dans le malheur, il n’y avait pas non plus de limites aux dégâts que pouvaient engendrer les mauvais choix. Lui avait brisé sa carrière, et commençait doucement à l’admettre. Après l’annonce, les choses devraient être plus faciles à intégrer, non ? "Mais... Qu'est-ce qu'il s'est passé ?" A nouveau ses lèvres s’étiraient d’un sourire sans joie alors qu’il se passait une main fatiguée sur son visage. C’était toute sa vie qui était remise en cause, et le divorce n’était pas la seule composante qui sapait ses bases. « J’ai falsifié des documents avec mon équipe. Volontairement. On a voulu empêcher l’implantation d’une usine sur la côte et … on s’est fait griller. Littéralement. » Tous, lui, y compris ce frère dont Norah lui assurait justement qu’il prenait soin d’elle alors qu’il cherchait à s’assurer qu’elle n’était pas seule. "Caelan. Anwar." Machinalement, Jasper opinait du chef. "Il n'y a pas un jour où Caelan et moi on ne s'envoie pas un message. Si c'est pas le cas, c'est parce qu'on s'est vus ou qu'on s'est appelé." Il les savait proches, ils l’avaient toujours été. Lui qui n’avait pas de sœur ou de frère ne pouvait que s’imaginer ce que devait être un tel lien, mais heureusement pour la brune il était fort. Suffisamment pour l’aider à tenir la tête hors de l’eau. « Je suis rassuré pour toi, qu’ils soient là. » précisait-il avant de prendre sa main avec douceur, la presser un instant avant de s’excuser d’avoir fait irruption chez elle ainsi. Ça ne semblait pas être le moment, et pourtant une petite voix le poussait à croire qu’il avait bien fait d’être ici. "T'as pas à t'excuser de quoi que ce soit." le rassurait Norah, un sourire léger au coin des lèvres. "Tu avais besoin d'en parler." Oui, et de la voir aussi, sûrement. "Je préfère savoir que tu puisses te confier à quelqu'un plutôt que de garder tout pour toi." La réciproque était vraie, mais il ne se sentait pas de s’aventurer sur ce point. Déjà parce que l’infirmière ne le laisserait pas faire, et ensuite car il ne voulait pas brusquer les choses, plus qu’elles ne l’étaient déjà du moins, alors sans relever il hochait le menton. D’un ton plus léger l’enseignant avait préféré rendre la conversation moins grave, et Norah semblait amusée par sa remarque. "Et je devrais faire quoi de mes gamins ? T'aurais du mal à les voir tous les jours, j'en suis sûre." Jasper haussait les épaules, avançant que : « C’est toi qui les a élevés, je suis certain qu’ils sont curieux et calmes. » Car au final, les enfants en eux même ne le dérangeait pas, c’était simplement l’idée d’en avoir qui le chagrinait un peu, pour tout un tas de raisons qui lui semblaient aujourd’hui bien lointaines. Ses objectifs de vie étaient si éloignés de la réalité désormais, et lui apparaissaient comme si dérisoires. "Pourquoi le Costa Rica, d'ailleurs ? T'as pas trouvé plus près ?" Sa main toujours glissée dans la sienne, Norah avait fini par se reposer contre son épaule, et lui avait posé sa tête contre la sienne avec douceur. En sa compagnie, s’imaginer voguer sur les flots à l’autre bout du monde était une façon bien plus douce de terminer cette journée que l’entamer par un passage devant le juge. « J’aime bien le Costa Rica. C’est une de mes destinations favorites. Je te montrerais. On ira explorer les fonds marins avec Aidan et Julie et tu n’auras même pas peur que je les perde dans une épave de vieux corsaire. » soufflait-il avec amusement, comme pour souligner que tout ceci n’était que purement hypothétique mais que laisser aller ses méninges lui faisait du bien à l’âme. "Il y a plein de pays plus près qui sont tout aussi dépaysants. A moins que ce ne soit vraiment la traversée du Pacifique qui t'intéresse." Oh il y en avait sûrement, d’autant plus que traverser le pacifique sur son catamaran serait une épreuve à laquelle même lui n’avait pas envie de se frotter. L’approche de la quarantaine le rendait sans doute plus sage à défaut de freiner son désir de s’évader. « Une carrière de skipper ? J’y avais jamais songé. » Faux. Mais Jasper ne se savait pas assez passionné pour passer le cap, même si vivre sur l’eau semblait se profiler comme étant une partie de son être qu’il assumerait totalement en vieillissant. "Tu veux un autre verre ?" Par réflexe, son regard glissait sur leurs deux contenants qui étaient, effectivement, vides. « Tu veux que je te laisse ? » Répondre à une question par une autre n’était sans doute pas ce que l’infirmière attendait, mais tacitement Jasper expliquait qu’il était rassuré et qu’il ne s’imposerait pas davantage si la brune avait besoin de retourner à sa solitude.
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| | | | (#)Mar 7 Jan 2020 - 19:47 | |
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Norah avait beau adorer les grands voyages à l'autre bout du monde, elle n'avait jamais considéré à quitter le Queensland. Elle y était attachée, mais elle mentirait si elle disait qu'elle n'avait pas besoin de s'en détacher de temps en temps. Depuis 2016, elle ne se l'était pas vraiment permise cela dit. Elle emmenait ses enfants en vacances, bien sûr, mais en restant dans le coin, juste en changeant un peu le paysage et le quotidien, et tout prenait des airs de détente. Mais malgré les événements, elle ne voulait pas partir de Brisbane. En revanche, elle pouvait comprendre que d'autres ressentent le besoin de couper le cordon pour de bon et reprendre sur de meilleures bases. Elle était surprise que Jasper l'envisage, car même s'il le disait sur le ton de la plaisanterie, une partie de Norah se doutait qu'il y avait songé d'une manière ou d'une autre. "Non, c'est pour m'assurer de te battre, parce qu'à terme, on sait bien que c'est ce qu'il va se passer." lui rétorqua-t-elle avec malice. On différenciait certes les scores entre les hommes et la gente féminine, mais Norah était plutôt fière d'arriver à des chronos plus que correctes, du moins, suffisamment pour que Jasper ou Caelan ne prennent pas les courses avec elle à la légère et qu'ils se donnent le meilleur d'eux-mêmes. La belle brune ne cachait pas le fait qu'elle ne voulait pas le voir partir définitivement, pas après des retrouvailles qui s'étaient merveilleusement bien passées. Sinon, ce ne serait que du gâchis. "C'est déjà bien, quelques jours, détaché de tout ça." dit-elle, alors bien songeuse. Norah se surprenait à l'envier d'avoir cette idée. Au milieu de la mer, sans sollicitation extérieure. Juste soi, un paysage à couper le souffle, et ses pensées. Les bons outils pour se recentrer et peut-être trouver les clés pour de plus beaux jours. Anwar continuait à le lui rappeler couramment, qu'elle en avait le droit, qu'au besoin, il se sentait d'attaque de garder les petits quelques temps si ça permettait à leur mère de ne pas perdre totalement pied. Elle se disait qu'elle devrait peut-être sérieusement y songer. "Préviens-moi juste le jour où tu te décides à partir." reprit-elle avec un le plus grand sérieux. Elle aimait juste savoir quand est-ce que ses proches partaient, durant quelle période, histoire qu'elle ne s'inquiète pas inutilement. Un moyen comme un autre de se protéger, mais véritablement nécessaire. Jasper avait bien raison de se faire du soucis par rapport à elle, car Norah s'oubliait depuis plus de trois ans et ça n'allait pas en s'améliorant. Elle était juste plutôt douée pour le dissimuler. Venant tout juste de révéler qu'il avait également des problèmes avec son travail, le bel homme était resté jusque là très évasif sur ce qu'il s'était passé. Mais l'infirmière n'avait jamais aimé de tourner autour du pot. "Wow." Ce fut sa première réaction, accompagné d'une paire d'yeux ronds. Par ce on, Norah supposait qu'il parlait de l'équipe avec qui elle travaillait et jamais n'avait-elle songé à ce moment-là que Caelan était également de la partie. Norah n'était pas là pour le sermonner (elle le ferait lorsqu'elle aurait appris l'intégralité de la vérité), alors elle ne s'éterniserait pas là-dessus. L'avenir professionnel de son ex était compromis et elle comprenait pourquoi il n'envisageait que de partir loin d'ici. "Tu as déjà une idée de ce que tu pourrais faire ensuite... ?" lui demanda-t-elle finalement. "Ou tu comptes sur ces quelques jours loin d'ici pour justement y réfléchir." Difficile de reconstruire une carrière professionnelle après une telle erreur. "Je vais pas te faire la leçon, Jasper." lui précisa-t-elle. Il s'auto-flagellait déjà tout seul et il était complètement inutile et contre-productif d'en rajouter une couche. "C'est pour ça que je préfère te voir regarder vers l'avenir. Même si t'as à un divorce et une carrière compromise, tu as toujours tes chances ailleurs. Tu ne me feras pas changer d'avis là-dessus." dit-elle d'une voix douce. "Tu es en bonne santé. Tu es plein de ressources." Norah ne pouvait que comprendre qu'il peine à voir le verre à moitié plein plein vu tout ce qui lui tombait dessus. "Accroche-toi." lui souffla-t-elle avec un rictus qui se voulait encourageant. "Tu peux t'accrocher à moi si tu t'en sens pas capable seul." Même si tout était réuni pour que se creuse un profond sentiment de solitude et qu'il ne pense pas pouvoir s'en sortir. Elle voulait qu'il sache qu'il pouvait compter sur elle. Ils n'arrêtaient pas de se le répéter, mais une fois de plus ne lui semblait pas être de trop. "Caelan prend son rôle de grand frère très au sérieux. Il n'y a quelques dizaines de minutes qui nous sépare, mais pour lui c'est déjà bien suffisant pour prouver qu'il est l'aîné." s'amusait à dire Norah. "Il se sent responsable de moi." ajoutait-elle avec un peu plus de sérieux. L'infirmière était touchée de ses attentions et admettait sans problème qu'elle n'arrivait pas à se passer de lui non plus (et c'était réciproque, Caelan était parfois perdu sans l'avis de sa frangine mais il était un peu trop fier pour l'admettre). Jasper semblait être véritablement soulagé que la brune ait de véritables anges gardiens pouor veiller sur elle. Ca le soulageait, mais ce n'était peut-être pas suffisant pour qu'il ne se fasse pas quand même un peu de soucis pour elle. "Ces qualificatifs concordent très bien pour Julie. Mais Aidan... Curieux oui. Calme, par contre..." Elle haussait les épaules avec une grimace laissant comprendre que c'était bien tout le contraire. "Enfin il adore l'eau et les virées en bateau avec son parrain se sont toujours bien passés, alors je suppose qu'il sait se tenir. Mais sinon, disons qu'Aidan est quelqu'un de... très actif. On s'ennuie pas avec lui." Et Norah aimait plus que tout sa petite boule d'énergie toute rousse. "Tu y es déjà allé, alors ?" Le Cost Rica. Il avait l'air de bien connaître cette partie du monde. Il y avait beaucoup de plage et l'océan à portée de main, alors au fond ça ne pouvait que lui plaire. "Si tu commences à parler pirates avec Aidan, tu deviendras son meilleur copain. Tu es prévenu." répondit-elle avec un léger rire. Norah pensait que c'était passager, mais il continuait à vouloir lire des livres d'histoires de pirates. A croire que l'amour du grand bleu avait quelque chose de génétique. Jasper ne semblait pas vouloir se défaire du contact établi avec Norah, et elle non plus d'ailleurs. Pourtant elle était loin d'être la plus tactile qui soit, mais elle réalisait que ce genre d'attention commençait à véritablement lui manquer. Une simple peau frôlée et elle avait l'impression que son coeur ratait un battement. Qu'il s'agisse d'une étreinte d'Anwar, d'une main à peine frôlée avec Alfie, ou des doigts entrelacés comme ce fut le cas avec l'océanographe. Cela lui faisait réaliser aussi qu'elle avait beaucoup de cette attention là donner, mais qu'il n'y avait plus personne poour les réceptionner. La brune lui proposait de lui re-servir un petit peu de vin après avoir constaté que les verres à pied étaient vides. Elle redressa la tête pour le fixer du regard, l'air interrogatif. "Pas vraiment, non." lui répondit-elle. "J'ai toute la nuit devant moi." Norah devenait une véritable insomniaque depuis peu et pour le moment elle n'avait pas vraiment sommeil. Et pour le peu qu'elle dormait, elle cauchemardait. Elle se levait pour aller chercher la bouteille de vin en cuisine et la ramener. Ce n'était qu'une fois assise à ses côtés à nouveau qu'elle remplissait les verres. "J'ai quelques problèmes de sommeil en ce moment. Rien de très grave." Elle préférait le dire car elle savait que Jasper allait s'interroger sur ce sujet. Autant le devancer un petit peu. Ce qui n'était pas normal, c'est qu'elle considérait ses nuits blanches comme étant normales. "Ca ne t'énerve pas à la longue, que, de près ou de loin, je fasse allusion à Frank ?" lui demanda-t-elle finalement. "Ca fait que quelques mois qu'on se revoit, mais il y a des moments où je me demande si Anwar et Caelan ne sont pas saoulés, à la longue. Que quelque part, presque tout le temps, tout revienne vers lui." dit-elle en se collant contre le dossier du canapé, le regard bas. "J'ai l'impression d'être celle qui reste noyée dans son deuil, qui l'utilise toujours comme excuse." Alors que Norah était la dernière à se plaindre. "Tout le monde se montre présent et avenant, toi compris, et je vous en suis très reconnaissante. Mais je sais pas, j'ai l'impression de trop en demander, d'abuser de leur gentillesse. Alors qu'Anwar et Caelan souffrent aussi de sa disparition, Annie le premier." Jasper ne le connaissait pas vraiment, mais il le savait proche de Norah. Celle-ci s'évertuait à se débrouiller seule autant que possible, et ça la tuait, les rares fois où elle demandait un service à l'un ou à l'autre. C'était déjà trop demandé pour elle et elle avait la sensation de tirer de plus en plus sur la corde, générant un malaise qui s'accumulait à tout ce qui la faisait plonger dans des abysses de plus en plus profondes.
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| | | | (#)Jeu 16 Jan 2020 - 14:01 | |
| Partir semblait avoir été la première chose qui lui soit passé par la tête pour se tirer de ce tourbillon dans lequel il était empêtré. Il en avait assez, suffoquait dans cette situation qui lui échappait, et pourtant, en lui-même, Jasper savait que sa vie était à Brisbane, et qu’il ne saurait se voir ailleurs de façon définitive. "Non, c'est pour m'assurer de te battre, parce qu'à terme, on sait bien que c'est ce qu'il va se passer." Norah lui répondait avec malice, ne se défaisant pas de l’idée de poursuivre cette course au chrono en sa compagnie, ce qui était tant mieux car ces moments passés ensemble faisaient partie des quelques rares qu’il n’avait pas envie de voir changer aujourd’hui. « On verra. » Sur le même ton, l’enseignant avait laissé l’amusement prendre le pas sur la mélancolie, se raccrochant aux branches de bons souvenirs pour ne pas se laisser totalement happer par la noirceur. Norah ne méritait pas cette détresse qu’il dégageait, ni lui d’ailleurs. "C'est déjà bien, quelques jours, détaché de tout ça." Elle semblait … songeuse, en lui livrant ce constat qu’il ne pouvait qu’approuver. « Oui, ça l’est. » Sur le bout de sa langue se tenait un « tu devrais essayer » qu’il retint pour ne pas rajouter de l’huile sur le feu. Peut-être que d’en parler ferait germer l’idée chez la brune après tout. Dans tous les cas il ne se sentait pas légitime pour le dire. "Préviens-moi juste le jour où tu te décides à partir." Elle semblait parfaitement sérieuse, et lui esquissait un sourire en retour. Il trouvait ça touchant d’avoir retrouvé une place dans sa vie, car elle aussi en avait désormais repris une dans la sienne. Différemment certes, mais Norah était une figure familière qu’il appréciait avoir vu de retour dans son quotidien. « Je t’enverrais même une photo pour te prouver que tout ira parfaitement bien. » Tout ne pouvait que mieux aller loin de Brisbane, loin des tracas, loin de la tempête dans laquelle il se sentait pris au piège. Avouant qu’il avait des problèmes avec son travail en plus de son divorce, Jasper ne se sentait pas soulagé pour autant. La situation ne changerait pas avec son honnêteté ; avec Caelan ils étaient fichus, sauf si Quinn réussissait à accomplir des miracles. La brune apprendrait bien assez tôt qu’il avait entraîné son frère avec lui dans sa chute, et il respectait le Leckie pour ne pas le griller auprès de sa jumelle, alors pour le moment il n’était question que de lui, et la réaction de Norah fut équivalente au cataclysme qu’il avait causé. "Wow." Il n’y avait pas vraiment grand-chose à dire de plus après tout, et ses yeux ronds ne semblaient pas porter de jugement. C’était déjà ça. "Tu as déjà une idée de ce que tu pourrais faire ensuite... ?" Ensuite. L’ensuite était une notion des plus vagues, parce que toute sa vie le Wickham s’était vu conditionner à enseigner, et s’en était pris de passion. Il penchait donc la tête sur le côté, les lèvres pincées, non pas d’agacement, mais bel et bien parce qu’il était perdu. "Ou tu comptes sur ces quelques jours loin d'ici pour justement y réfléchir." Il y aurait effectivement matière à réfléchir, car toute sa carrière était à redessiner, mais … « Je voulais partir pour lâcher prise. Mais je pense garder le même job, quitte à ne pas enseigner. Dans une ONG, quelque chose de ce genre. » A vrai dire il n’en savait rien, mais préférait se raccrocher à quelque chose plutôt que de demeurer les bras ballants en attendant que l’illumination divine ne lui tombe dessus. "Je vais pas te faire la leçon, Jasper." Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle le fasse, alors remontant le menton vers elle pour croiser son regard, Jasper s’autorisait à être le plus sincère possible. "C'est pour ça que je préfère te voir regarder vers l'avenir. Même si t'as à un divorce et une carrière compromise, tu as toujours tes chances ailleurs. Tu ne me feras pas changer d'avis là-dessus." Optimiste quand il était question des autres, Norah semblait pourtant des plus convaincues, et cela rassurait Jasper qui se disait que si elle croyait en lui tout en la sachant terre à terre et rationnelle, lui devait pouvoir s’octroyer une parcelle de confiance. "Tu es en bonne santé. Tu es plein de ressources." En bonne santé oui. Plein de ressources cela restait à voir. Il faudrait tout recommencer à zéro à trente-six ans, c’était un sacré challenge. "Accroche-toi." C’était prévu, et en retour à son sourire, Jasper le lui rendit en hochant le menton. « Je ne me changerai pas en vieux pirate barbu et mal fagoté. Je te promets. » Il était hors de question de se laisser aller et de voguer sur les flots sans but, même si l’idée était tentante. "Tu peux t'accrocher à moi si tu t'en sens pas capable seul." Norah savait lire entre les lignes, déceler ses mensonges, et là où elle visait juste, c’est que le courage et l’envie lui manquaient de tenir ces promesses qui signaient la fin d’une époque de sa vie qu’il quittait douloureusement. Peut-être pour le meilleur, mais pour l’heure il ne le savait pas encore, et ne le saurait jamais s’il se laissait aller. « Je le fais déjà, et je culpabilise de le faire. » confiait-il à demi-mots, presque dans un souffle. Norah avait assez à gérer pour ne pas s’en faire pour lui par-dessus le tout, sa vie était déjà bien trop fournie en complications bien qu’elle assure ne pas être seule. "Caelan prend son rôle de grand frère très au sérieux. Il n'y a quelques dizaines de minutes qui nous sépare, mais pour lui c'est déjà bien suffisant pour prouver qu'il est l'aîné." Le lien qui unissait les jumeaux Leckie était indiscutable, et suffisamment tenace pour que l’un compense les faiblesses de l’autre sans avoir à formuler quoi que ce soit. "Il se sent responsable de moi." Ce qui ne devait pas être un exercice des plus faciles connaissant –plus ou moins- le tempérament indépendant de sa sœur. « Tu as de la chance de l’avoir. Mais tu le sais déjà. » ajoutait-il en laissant un sourire lui étirer le coin des lèvres. Jasper enviait un peu le lien entre les deux, et était profondément rassuré de ne pas savoir Norah seule pour gérer sa vie après la tragédie qui l’avait secouée trois ans plus tôt. Elle avait deux petites têtes blondes qui lui permettaient également de tenir debout, et l’océanographe les imaginait sans mal bien qu’il avance avec des suppositions. "Ces qualificatifs concordent très bien pour Julie. Mais Aidan... Curieux oui. Calme, par contre..." Un petit diable donc. La grimace de Norah était équivoque, et lui laissait un petit rire lui échapper face à ce constat qu’elle dressait. "Enfin il adore l'eau et les virées en bateau avec son parrain se sont toujours bien passés, alors je suppose qu'il sait se tenir. Mais sinon, disons qu'Aidan est quelqu'un de... très actif. On s'ennuie pas avec lui." Jasper se notait mentalement de mettre (en plus du gilet de sauvetage) une balise GPS et quelques bâtons lumineux dans les poches du fils de Norah si jamais ils venaient à faire une virée en mer un jour ; simple question de précaution. « Tant mieux. Ils sont insouciants à cet âge … qu’ils profitent de toute cette énergie avant de voir la vraie vie leur tomber dessus. Même si tu dois être épuisée en fin de journée. » Ce dont il ne doutait pas vraiment, et heureusement donc qu’il avait l’entourage de Norah pour jouer en laissant à sa maman quelques moments de répit. "Si tu commences à parler pirates avec Aidan, tu deviendras son meilleur copain. Tu es prévenu." La discussion se faisait plus légère, et Norah riait légèrement en retour à sa proposition. Lui de son côté, ne s’en faisait pas vraiment quant à ce lien avec le petit garçon si ce dernier était aussi passionné que son oncle par les fonds marins. « Je prends le risque. J’aurais quelqu’un qui ne pique pas du nez en m’écoutant parler crevettes, ton fils sera mon étudiant préféré. » et il était certain qu’ils s’entendraient très bien à défaut de pouvoir véritablement tout plaquer pour embarquer à bord du Black Pearl. L’un à côté de l’autre, Jasper avait fini par trouver refuge dans ce léger contact établi avec Norah, et lui qui n’était d’ordinaire pas à l’aise avec la proximité retrouvait de l’apaisement, et le sentiment de savoir que tout allait bien l’espace de quelques secondes. Elle lui avait proposé un second verre, mais l’idée d’être allé à l’encontre de sa volonté de rester seule chagrinait l’océanographe qui préférait d’abord savoir si elle en avait envie elle aussi. "Pas vraiment, non. J'ai toute la nuit devant moi." La brune laissait le sommeil de côté, et Jasper avait le sentiment que s’il était parti, elle n’aurait pas dormi non plus, ce qui n’était pas pour le rassurer bien qu’elle s’obstine à lui dire de ne pas le faire. Hochant la tête en guise de réponse, il l’avait observée se relever pour prendre la bouteille avant de verser leurs deux verres, puis une fois revenue à sa place initiale, elle lui concéda être sujette aux insomnies. "J'ai quelques problèmes de sommeil en ce moment. Rien de très grave." Il pinçait les lèvres, penchant légèrement la tête sur le côté. « Tu es infirmière, tu mieux que moi. » que ce n’est pas normal d’avoir ce genre de troubles, mais Norah était une adulte et Jasper ne se serait jamais permis d’intervenir, bien que tout son visage criait à l’inquiétude. Après quelques secondes, elle demandait finalement : "Ça ne t'énerve pas à la longue, que, de près ou de loin, je fasse allusion à Frank ?" Ce qui décontenança le brun un bref instant. "Ça fait que quelques mois qu'on se revoit, mais il y a des moments où je me demande si Anwar et Caelan ne sont pas saoulés, à la longue. Que quelque part, presque tout le temps, tout revienne vers lui." Renfoncée dans le canapé, le regard orienté vers le sol, elle poursuivait plus doucement : "J'ai l'impression d'être celle qui reste noyée dans son deuil, qui l'utilise toujours comme excuse." Il y avait une part de vrai dans ces paroles, mais aussi du faux. « Non, ça ne me gêne pas que tu parles de lui. Mais ça … m’inquiète, que tu te raccroches au passé au point de te noyer. » Reprendre ses mots était naturel, et Jasper les pesait, car il ne voulait pas la blesser. Il ne se voyait pas nier en bloc la situation et feindre que tout allait bien alors qu’il sentait la brune se fragiliser toujours un peu plus jour après jour, même s’il n’était pas le plus à même à dresser ce constat. Norah comptait pour lui, et il s’en faisait pour elle. "Tout le monde se montre présent et avenant, toi compris, et je vous en suis très reconnaissante. Mais je sais pas, j'ai l'impression de trop en demander, d'abuser de leur gentillesse. Alors qu'Anwar et Caelan souffrent aussi de sa disparition, Annie le premier." Jasper ne connaissait que vaguement l’équipier de Frank, et encore, il ne l’avait jamais rencontré. Il était toutefois très présent dans la vie des Lindley, et cela avait quelque chose de rassurant de savoir que Caelan n’était pas l’un des seuls à essayer de les maintenir à flot. « Norah, ce que tu as vécu n’a rien de normal, et ça semble être bien trop à gérer pour une seule personne… je ne pense pas que tu leur en demande trop. Ils s’en font pour toi, et Frank comptait aussi énormément pour eux. Le meilleur moyen de lui faire honneur c’est de prendre soin de ce qui comptait le plus pour lui. Vous trois. » Lui n’avait jamais connu le policier, mais il avait toujours eu l’impression qu’il s’agissait de quelqu’un de bien, d’intègre. La disparition de cet homme était une tragédie, et Jasper pouvait comprendre que son ancien coéquipier tenait à rester présent. C’était plutôt noble de sa part, et il ne devait sûrement pas voir les Lindley comme un fardeau, pas plus que Caelan dont le lien avec sa jumelle était des plus solides. « Tu es trop dure avec toi. Et tu n’abuses de rien. Bien au contraire. Ou du moins pas avec moi si ça peut te rassurer un peu. » C’était même plutôt l’inverse, et la brune avait tendance à feindre avec une quasi perfection que tout allait bien, même si ces dernières semaines, sa carapace semblait se fendiller.
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| | | | (#)Lun 20 Jan 2020 - 19:24 | |
| EVERYBODY'S ANGEL BUT LET'S KEEP IT REAL, YOU KEEP IT UNREAL | |
Les envies de grand voyage planait et même s'il avait effectivement dit ça initialement sur le ton de la plaisanterie, il semblerait qu'il y ait déjà suffisamment songé pour qu'il le considère bien plus sérieusement. En soi, Norah ne pouvait que l'y encourager, elle ne demandait de sa part que d'être prévenue quand il partait et quand il comptait revenir. Pour savoir à partir de quel moment elle pouvait s'inquiéter de ne pas le voir de retour dans les rues de Brisbane. Il avait espoir de trouver un emploi loin de l'université tout en continuant de vivre de sa passion. Depuis qu'ils se parlaient à nouveau, il n'avait jamais caché le fait qu'il aimait tout particulièrement enseigner, et que c'était certainement le prix le plus cher pour lui qu'il devait payer. "Ca ne va pas trop te manquer, d'enseigner ?" lui demanda-t-elle, craignant qu'il ne regrette à jamais cette partie de là sa carrière. Il était déjà surprenant, selon Norah, que l'université tienne à le garder au vue de ses actes, même s'il arrêtait de se présenter devant des étudiants à transmettre son savoir. "Dans tous les cas, il va falloir que t'entraînes pour te vendre bien comme il faut quand tu voudras postuler ailleurs." Mettre en avant toutes ses qualité pour le convaincre de le prendre malgré les antécédents qu'il se garderait bien mentionner sur son CV, mais que ses éventuels futurs employeurs allaient certainement rechercher en allant se renseigner ailleurs. Un pari risqué pour qui pouvait être gagnant s'il savait user de ses charmes. C'était un travail de longue haleine où il allait devoir faire preuve de patience et de persévérance, mais Norah l'en savait capable. Des commentaires qu'elle se fit surtout à elle-même. Elle ne voulait pas rendre Jasper encore plus mal qu'il ne l'était déjà. "En tant qu'amie, je ne me gênerai pas pour te rappeler que la barbe ne te va vraiment pas." rétorqua-t-elle avec un léger sourire. "Et jamais tu ne voudrais sortir de ton bateau mal sapé, alors j'y crois moyen, que tu deviennes comme ça." Elle pouffa et but une gorgée de son vin. Après cela, elle retrouvait son sérieux et lui assurait qu'elle pouvait s'accrocher à elle s'il se sentait faillir et tomber. Elle arqua un sourcil lorsqu'il admettait qu'il avait l'impression d'abuser de sa patience et de son hospitalité. "Pourquoi tu culpabilises ?" lui demanda-t-elle. C'était Norah qui avait finalement accepté de le faire entrer, c'était elle qui l'avait poussé à se confier, à raconter tout ce qui n'allait pas. Si elle n'avait pas voulu l'entendre parler, elle l'aurait bien fait comprendre. Le sujet était vite centré sur les enfants de l'infirmière. Ils avaient chacun un caractère très différent, mais ils vivaient bien et s'amusaient bien ensemble. La disparition de leur père avait du les souder davantage, du moins, c'était que Norah aimait croire. "On s'y habitue." lui assura-t-elle. "Au contraire, ça me fait du bien de voir qu'ils sont toujours plein d'énergie et qu'ils se dépensent et s'amusent comme ils le font." Elle esquissa un vague sourire attendri. "Je mentirai si je disais qu'il ne m'épuisent jamais. Mais je préfère voir ça comme une mise à l'épreuve." Pour voir si elle en était capable. Norah ne s'attendait pas non plus à voir débarquer les services sociaux pour qu'ils viennent prendre ses enfants, mais il y avait quand même des jours où elle se demandait si elle faisait vraiment tout le nécessaire pour ses enfants. "Disons que leur oncle leur fait déjà pas mal de leçons en matière d'animaux aquatiques. Julie sera peut-être attentive, Aidan le sera peut-être une ou deux minutes avant de vouloir faire quelque chose de plus physique." Il n'hésiterait pas trop à plonger dans l'eau la tête la première, téméraire comme il était. "Tu pourras calculer ses premiers chronos si ça te chante, il aime bien faire des courses. Surtout quand on le laisse gagner." dit-elle en se remémorant son visage victorieux à chaque fois que la brune feignait être battue à plate couture. Mais il arrivait doucement à un âge où il préférait qu'elle ne le fasse pas gagner exprès et elle se pliait volontiers à sa demande. Il avait le mérite d'être lui aussi un petit challenger. La pomme n'était pas tombée bien loin de l'arbre, à voir ses parents, ça n'avait rien de très surprenant. Après avoir admis avoir des problèmes de sommeil, Norah remarquait sans problème les traits de Jasper tirés par son inquiétude. "Ca va." dit-elle d'un ton qui le poussait à relativiser. Il n'y avait pas de drame. Elle tenait encore debout après tout. Alors c'est que ça allait. Voilà comment raisonnait Norah à l'heure actuelle. Elle n'était pas totalement convaincue des paroles de Jasper. Elle lui esquissait un sourire tantôt triste. "Ils s'inquiètent trop pour moi. Toi aussi, d'ailleurs." dit-elle en tentant de minimiser et de faire vite oublier l'instant de faiblesse qu'elle venait tout juste. "C'est vraiment gentil de votre part, et ça me touche. Mais vous avez chacun tant à faire. Ca me tue de savoir que je bouffe de votre temps libre pour un service à me donner ou quelque chose comme ça." Norah soupirait et levait les yeux au ciel. "Vous avez aussi droit à votre temps libre, à avoir le temps de faire ce dont vous avez envie." Elle se doutait bien qu'ils l'aidaient volontiers, qu'ils le faisaient avec plaisir. "Mieux vaut être dure avec soi-même plutôt que de se reposer sur ses lauriers, tu crois pas ?"v lui demanda-t-elle de façon rhétorique. "Ca pousse à s'améliorer, à vouloir faire mieux, à corriger des erreurs commises et à en éviter d'autres." Norah utilisait le même mode de pensée quand elle était au travail. L'appliquer dans sa vie privée était bien moins facile, mais nécessaire à ses yeux. Mais à force de vouloir être une mère au top, elle en perdait des plumes. "Qu'importe si c'est normal ou pas, on ne m'a pas laissée le choix. Du jour au lendemain, c'était comme ça." Comme un patient qui se retrouvait soudainement avec un cancer, comme toute autre personne qui était contraint de vivre un événement traumatique, indépendant de leur pouvoir et de leur volonté. "Julie et Aidan méritent d'avoir un père." dit-elle d'une voix tremblante. Et moi d'avoir mon mari, aurait-elle pu ajouter, eh bien que cette idée restait logée quelque part dans un coffre au fond de son esprit, elle s'oubliait totalement, elle et son coeur brisé, peu résignée et incapable encore d'envisager qu'elle puisse partager sa vie avec quelqu'un comme elle avait pu le faire avec Frank. "Désolée." dit-elle finalement. Norah n'aimait pas se plaindre, ce n'était pas vraiment son genre. "Je veux dire, je pense bien m'en sortir bien. Et je devrais me contenter de ce que j'ai. Mais il y a des jours sans. Aujourd'hui en est un." admit-elle avec un rictus forcé. "C'est juste que que c'est une période étrange en ce moment." Norah ne se l'expliquait pas, mais il semblerait que beaucoup de son entourage vivaient des événements marquants, et pas forcément très positifs. Tout se bouleversait et ça commençait à faire beaucoup d'un coup pour elle. Elle n'avait pas idée encore à ce moment que ce n'était que la partie visible de l'iceberg, bien malheureusement.
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| | | | (#)Ven 24 Jan 2020 - 18:41 | |
| "Ça ne va pas trop te manquer, d'enseigner ?" Après les projets de voyages, le brusque retour à la réalité. Au-delà de ses travaux de recherches qu’il affectionnait depuis toujours, enseigner s’était révélé être une passion, presque un besoin quotidien pour ne pas se terrer dans l’ennui et la monotonie. « Si. Énormément. Mais la fac fait partie d’un ensemble public et … je me suis tiré une balle dans le pied tout seul. » Si c’était à refaire, il le referait, mais Jasper peinait à accepter les conséquences de ses actes maintenant qu’il savait qu’il avait perdu le combat. "Dans tous les cas, il va falloir que t'entraînes pour te vendre bien comme il faut quand tu voudras postuler ailleurs." Il ne voulait pas, mais les factures ne pourraient décemment pas s’accumuler sur le pont de son bateau bien que la vente de la maison lui permette de se la couler douce un moment. Au Costa Rica visiblement. « Je trouverais quoi faire. J’aviserai. » Jasper était peu optimiste lorsqu’il était question de lui, mais saurait se retourner et ne pas se laisser aller. Du moins, pas totalement. "En tant qu'amie, je ne me gênerai pas pour te rappeler que la barbe ne te va vraiment pas." Cette remarque lui arrachait un rire léger alors qu’il se passait une main fatiguée sur le visage. Non, la barbe ne lui allait effectivement pas du tout. "Et jamais tu ne voudrais sortir de ton bateau mal sapé, alors j'y crois moyen, que tu deviennes comme ça." Vivre ici lui avait pourtant appris à lâcher du lest, à cesser de se poser mille et une questions. Au bord de l’eau, peu importait qu’il soit en costume ou non, et si effectivement il ne sortirait jamais de cette cabine dans une version homme de Cro-Magnon, pour sûr ses chemises resteraient accrochées dans un coin de son armoire durant un long moment. « Tu me connais bien. Mais je pourrais toujours essayer de te surprendre. » Non il ne le ferait pas, mais appréciait de la voir sourire, de prendre du vin, et de discuter comme si tout était parfaitement normal. Cela faisait quelques semaines qu’il sentait que l’infirmière glissait, et si lui perdait pieds, la dernière chose dont il avait envie était de la rendre soucieuse à son sujet là où il avait l’impression d’être un poids plus qu’une véritable aide pour elle. "Pourquoi tu culpabilises ?" lui demanda-t-elle. Jasper ouvrit la bouche un instant, comme pour répondre du tac au tac, sauf que par réflexe il aurait certainement amené la discussion à tourner en rond. Ce n’était pas très pertinent de s’excuser sur un point que Norah lui avait elle-même demandé d’éclaircir, mais si Jasper n’avait aucun problème à se montrer transparent envers une personne à qui il faisait une confiance aveugle et dont l’avis comptait beaucoup, il avait en revanche des scrupules à le faire tout en la sentant différente, descendante. « J’ai jamais cherché à t’amener plus de soucis. Mais te parler m’a toujours fait du bien. » Les temps avaient changé, leur relation avait évoluée, eux-mêmes étaient bien différents, mais dans le fond, Norah restait Norah, et il avait un profond respect pour elle, pour ce qu’elle pensait. L’infirmière était une force tranquille, demeurait calme et réfléchie en toutes circonstances là où sa vie n’était qu’un brasier de reproches et de craintes depuis quelques mois ; elle l’apaisait plus qu’il ne l’admettrait jamais. La discussion se recentrait autour des enfants de la brune, deux petites têtes blondes qui étaient au centre de ses préoccupations, ce que l’enseignant comprenait totalement. "On s'y habitue. Au contraire, ça me fait du bien de voir qu'ils sont toujours plein d'énergie et qu'ils se dépensent et s'amusent comme ils le font." Ses traits semblaient s’illuminer lorsqu’elle parlait d’eux, ce qui était touchant. Jasper n’avait jamais désiré avoir d’enfants, et bien que cela ait causé de nombreuses (trop, nombreuses) disputes au sein de son entourage, il commençait doucement à comprendre que son désir de liberté aurait pu être changé en ce type de sentiment s’il avait été touché par la fibre paternelle. "Je mentirai si je disais qu'il ne m'épuisent jamais. Mais je préfère voir ça comme une mise à l'épreuve." Une mise à l’épreuve ? Jasper arquait le sourcil, prenant une gorgée de vin avant de répondre que : « Ils sont en bonne santé et ont l’air d’avoir suffisamment d’imagination pour te maintenir en forme un moment. Je suis presque prêt à consentir au fait que tu sois en meilleure forme que moi. » Presque. Car il ne fallait pas trop pousser non plus. "Disons que leur oncle leur fait déjà pas mal de leçons en matière d'animaux aquatiques. Julie sera peut-être attentive, Aidan le sera peut-être une ou deux minutes avant de vouloir faire quelque chose de plus physique." Il ne doutait pas du fait que Caelan se soit lancé dans des récits mouvementés en ce qui concernait la faune marine, il n’en attendait pas loin de son homologue océanologue. "Tu pourras calculer ses premiers chronos si ça te chante, il aime bien faire des courses. Surtout quand on le laisse gagner." Peut-être que ça lui chantait effectivement. L’insouciance des enfants de Norah avait quelque chose de touchant, et si jamais Jasper venait à se trouver en leur compagnie il y avait de fortes chances qu’il soit à des kilomètres du control freak paniqué en compagnie des moins d’un mètre trente dont il renvoyait l’image. « Deal. Mais j’en comprends qu’ils ont un attrait pour la compétition eux aussi. » Sur le bout de ses lèvres trainait un « c’est toi qui leur a transmis ? » qu’il se gardait bien de formuler pour plusieurs raisons évidentes. Déjà car il ne connaissait pas Frank pour l’évoquer, mais ensuite car la brune semblait particulièrement à fleur de peau ces derniers temps, même si elle affirmait le contraire avec aplomb. L’inquiétude la concernant était toujours présente dans un coin de son esprit tant Jasper se souciait toujours de ses proches. Il ne s’interposait jamais pour ne pas s’imposer, mais intériorisait énormément. Norah était suffisamment grande pour décider par elle-même de si elle allait bien où non même si des problèmes de sommeil ponctuaient ses nuits comme c’était le cas ce soir. "Ça va." Non, mais mieux valait ne pas jouer à ce petit jeu en supposant le contraire."Ils s'inquiètent trop pour moi. Toi aussi, d'ailleurs." L’inquiétude ne se contrôlait pas, et tant que personne ne se risquait à placer Norah sous cloche, Jasper trouvait que le trop de cette phrase n’était pas de rigueur. "C'est vraiment gentil de votre part, et ça me touche. Mais vous avez chacun tant à faire. Ça me tue de savoir que je bouffe de votre temps libre pour un service à me donner ou quelque chose comme ça." Personne n’avait de couteau sous la gorge, et secouant le menton en signe de négation, Jasper intervînt pour contrer ce sourire triste qui était né sur les lèvres de la brune. « En ce qui me concerne tu ne m’as jamais bouffé mon temps libre. Et je mettrais ma main à couper qu’il en va de même pour Caelan. Tu te mets la pression Norah. » Beaucoup trop. Elle ne se rendait pas compte de tout ce qu’elle pouvait apporter dans la vie de ses proches et qui ne soit pas des soucis comme elle le pensait. Il n’y avait pas que du noir. "Vous avez aussi droit à votre temps libre, à avoir le temps de faire ce dont vous avez envie." Pinçant les lèvres, se sentant incapable de réussir à la convaincre, Jasper penchait la tête sur le côté, laissant filer quelques secondes avant de l’entendre poursuivre : "Mieux vaut être dure avec soi-même plutôt que de se reposer sur ses lauriers, tu crois pas ?" Il n’était pas question de lauriers, plutôt d’un filet de rattrapage bien trop mince pour contenir tout ce poids qui s’était abattu sur les épaules de la brune. "Ça pousse à s'améliorer, à vouloir faire mieux, à corriger des erreurs commises et à en éviter d'autres." Certes, mais son optimisme semblait un brin trop précaire, du moins à ses yeux. "Qu'importe si c'est normal ou pas, on ne m'a pas laissée le choix. Du jour au lendemain, c'était comme ça." Sur ce point Jasper était d’accord. Le constat était injuste, mais il était tel qu’il était et il faudrait composer avec. Face aux faits les plus avérés, c’était le pot de terre contre le pot de fer. La vie continuait malgré tout, et c’était cela qui l’inquiétait. « J’ai toujours eu confiance en toi Nono. Mais si personne ne t’as laissé le choix, on t’a en revanche entourée de personnes qui partagent ta peine et qui veulent vraiment t’aider. Je n’ai pas connu Frank et je ne peux pas parler pour les autres, mais je suis sûr que personne n’est là pour toi par pitié ou par convention sociale. Les gens qui s’en moquent de toi t’envoient des muffins et une carte de condoléances avant de passer à autre chose. Ne ferme pas la porte à des personnes qui te sont si proches en t’imaginant que tu prends de leur temps libre. –il ne s’incluait pas dedans par pudeur, mais dans les faits Jasper aimerait ne pas être mis à l’écart, bien qu’il comprenne totalement- Tu vas t’épuiser, et je ne veux pas que tu t’éteignes… personne ne le veut. » corrigeait il pour masquer son égoïsme. Norah avait beau être dotée d’une force qu’il avait toujours admirée, elle n’en demeurait pas moins une femme, et seule, elle ne pourrait pas lutter bien longtemps, au mieux tenir encore un peu. De son point de vue. "Julie et Aidan méritent d'avoir un père." La voix tremblante, Jasper n’avait pas eu besoin de tendre l’oreille pour entendre le cœur de l’infirmière se brisait à quelques dizaines de centimètres de lui. Sa carapace volait en éclat, et lui se sentait impuissant. "Désolée." Non, elle n’avait clairement pas à s’excuser. Le brun secouait du menton, laissant prudemment l’une de ses mains attraper la sienne pour la serrer un instant, pour formuler d’une façon différente qu’elle n’était pas seule. Pas cette nuit du moins. « Toi aussi, tu méritais de ne pas le perdre. Tu n’aurais jamais dû le perdre. Et tu ne mérites pas d’être seule à gérer ce cataclysme. » Lui était capable de voir son univers se remettre en cause parce qu’il avait divorcé et que sa crédibilité scientifique se trouverait réduite en cendres dans les jours à venir. Pour sûrs ils étaient différents, et Jasper l’acceptait, mais le pressentiment qu’il avait concernant Norah n’était pas bon, et il ne voulait pas la perdre pour de bon, la voir toucher les abysses pour ne plus jamais remonter. "Je veux dire, je pense bien m'en sortir bien. Et je devrais me contenter de ce que j'ai. Mais il y a des jours sans. Aujourd'hui en est un." Au moins elle l’avouait, malgré cette expression un brin forcée qu’elle arborait. "C'est juste que que c'est une période étrange en ce moment." Elle semblait l’être effectivement. Jasper prit une inspiration, laissait filer quelques secondes avant d’exercer une légère pression contre sa main, comme pour lui apporter du réconfort sans le dire. Mieux valait ne rien dire parfois ; ne pas faire remonter de vieux souvenirs, ne pas faire pire que mieux. "Étrange dans quel sens ? Je ne t'oblige pas à en parler." Vraiment pas, en témoignaient d'ailleurs cet air sincère qu'il tachait de faire transparaître dans ses yeux. Toutefois, si Norah désirait en parler, elle trouverait une écoute attentive chez Jasper. Il voulait s'assurer qu'elle aille bien. Qu'elle irait bien.
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| | | | | | | | (nosper) everybody's angel |
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