C’était une journée comme les autres à Brisbane. Ou presque. Je regarde le verre d’alcool que je viens de boire d’une traître. Autant pour combler le manque que pour me donner un semblant de courage. Mais rien n’est normal pour moi, sauf ce verre d'alcool. Je ne sais pas dans quel état d’esprit je suis exactement, je suis à la fois paniquée, anxieuse, excitée, inquiète mais surtout pressée finalement. Après plusieurs semaines, je vais revoir mon demi-frère et je ne sais toujours pas au fond si je trouve cette idée géniale ou totalement folle. Je ne sais pas quoi attendre de lui, je ne sais même pas si j’ai réellement des attentes finalement. Je ne sais pas ce qu’il veut, je ne sais pas ses intentions mais peut-être que j’aurais du y réfléchir un peu mieux avant de débarquer sur l’un de ses lieux de travail pour lui balancer la vérité de façon si abrupte. J’aurais du y réfléchir oui, mais je l’ai pas fais, j’ai foncé et si on a mit du temps avant de se revoir, c’est sans doute parce qu’on en avait besoin. J’en avais besoin en tout cas. Parce que je ne le connais que par les dossiers de ma mère, je ne le connais que par ses années de galères et même si j’ai questionné Rose à son sujet, je ne sais pas comment il prends les choses. Je ne sais pas s’il m’en veut de lui avoir jeté cette vérité sans ménagement. Je ne sais pas s’il veut quelque chose de moi, ou s’il en veut à sa mère, à ma mère, à notre père ? Je ne sais pas et c’est aussi pour lever un peu de doute sur tout ça que je l’ai invité à manger. Pas n’importe où. Dans un lieu que je connais, ou je me sens à l’aise et où je sais que j’aurais toujours en endroit où me réfugier si les choses venaient à mal tourner. Et pourquoi je pense que les choses vont mal tourner ? Pourquoi je dois toujours être si pessimiste ? Le verre vide, la bouteille rangée, j’attrape mes clés de voiture et je prends la route direction l’un des endroits que j’aime fréquenter le plus ces derniers temps. Le restaurant de l’homme qui partage mes nuits et ma vie. L'interlude à Spring Hill.
Je suis accueillie par une serveuse qui commence à me connaître maintenant et qui me demande s’il faut prévenir le chef de mon arrivée. Je lui réponds de ne pas le déranger, il sait que je dois venir de toute manière, il n'a pas besoin d'être déconcentré en plein milieu de son début de service. Je la laisse me guider à notre table, réservée à l’avance et choisie avec précaution par le chef lui même. Elle me demande ce que je veux boire et si ma logique me crie de lui demander un verre d’eau, je lui demande plutôt un martini. Parce qu’il me sera bien plus simple d’appréhender la suite en étant un peu moins tendue. Et l’alcool a encore cette faculté, de me détendre un peu et surtout de me calmer. C'est moche, mais c'est la pure vérité. Triste vérité mais j'ai arrêté de me voiler la face et j'assume d'avoir un problème avec l'alcool, j'assume sans pour autant avoir trouvé la force de me battre contre ce problème, mais j'ai en tête bien d'autre chose à ce moment précis. Et l'un de mes soucis actuel, entre dans le restaurant au même moment.
Je le vois qui arrive, je repose mon verre histoire de l’attendre pour le boire, par respect. Je ne sais pas comment je dois le saluer. Et c'est une chose à laquelle j'aurais pu penser non ? Prévoir, anticiper les choses pour ne pas me retrouver prise au dépourvu ? Mais c'est un détail ça non ? 'Reste calme Alex.' Je ne dois pas m'inquiéter pour ça, c'est une toute petite chose insignifiante, sans intérêt et pourtant ça me préoccupe. Est-ce que ce lien de sang que nous partageons suffit pour que je considère que je doive l’accueillir chaleureusement ? Ou alors le fait que nous ne nous connaissons finalement pas, du moins pas les versions adultes de nous, fait que la poignée de main reste l’option la plus adaptée à la situation ? Par indécision, je finis par ne rien faire du tout me contentant d’un vulgaire. « Merci d’avoir accepté l’invitation. » Et d'un geste de la main je l'invite à s’asseoir face à moi. Je le regarde sans rien dire, pas parce que je ne sais pas quoi lui dire, mais parce que d'un coup, j'ai beaucoup trop de questions en tête. Beaucoup trop d'interrogations qui vont de la basique, 'comment vas-tu ?' à la question un peu trop directe 'qu'est-ce que tu comptes faire de cette information vis à vis de moi ?' Mais j'ai déjà gâché notre première rencontre, je n'ai pas le droit de me montrer aussi froide, directe ou maladroite une seconde fois. Je dois faire les choses convenablement ou au moins essayer. Je peux gérer mes relations humaines de manière calme et posé non ? J'en suis capable, ou peut-être pas mais il faut que j'essaye, parce que si pour moi cette situation est pas simple, pour lui ça doit l'être encore moins. Alors, après quelques instants de silence, je finis par ouvrir la bouche. « Comment vas-tu depuis la dernière fois ? » J’ai un peu ramé à finir cette phrase. Depuis la dernière fois. Depuis qu’il connaît l’existence de son père. Depuis qu’il sait qu’il a une demi-sœur. Depuis qu’il a apprit que sa mère avait été payée pour taire le nom de son père. Depuis qu’il a découvert que des gens savaient pour ce qu’il vivait mais n’ont rien dit. Depuis tout ça quoi. Et au lieu de signifier clairement les choses, 'la dernière fois' à le mérite de recentrer le contexte de ma question.
Ma vie n'est pas au top en ce moment. Depuis que j'ai appris tout ce bordel sur mon père. Je suis perdu, et je me perd encore. Je plonge, et je ne sais pas si je pourrais remonter la pente un jour. Peut-être que cette fois je suis descendu trop bas. Et peut-être que je vais même finir par embarquer les quelques personnes qui me sont proches dans mon sillage. Mais ça, honnêtement je m'en fou, c'est pas un truc qui m'importe vraiment. C'est écrit sur mon front que je suis une mauvaise influence. Alors je vois pas pourquoi qui que ce soit arriverait à me faire une confiance aveugle.
Et je n'ai pas vraiment eu de nouvelles d'Alex depuis qu'elle m'a trouvé et qu'elle m'a tout expliqué. J'ai pas réellement cherché à en avoir non plus c'est certain. J'ai peut-être peur. De toute cette nouveauté. Et elle représente une grande partie de cette nouveauté dans ma vie actuellement. Une nouvelle famille peut-être. Ou encore quelqu'un qui ne voudra pas que je fasse partie de sa vie et de sa famille. Comment je pourrais bien le savoir ? Et comment je peux savoir si moi aussi je la veux dans ma vie ? Est ce que j'ai besoin d'elle ? Ou est ce qu'il vaut mieux qu'elle reste loin de moi ? Il y a bien trop de questions qui tournent dans ma tête. En plus de ça, je n'ai plus de travail légal. Heureusement que Lou était là pour me proposer de redevenir le dealer que j'étais adolescent. Et j'essaie de toujours trouver du temps pour jouer de la musique. C'est certainement la seule chose qui me maintien la tête hors de l'eau en ce moment.
On a fini par échanger quelques textos avec Alex, elle m'a proposé d'aller au resto. J'ai longtemps hésité, mais j'ai dit oui. Après tout, c'est certainement la seule sœur que je peux avoir. La seule sœur de sang, parce que le rôle de petite sœur est déjà occupé par Rosalie. Comme quoi, je suis capable de prendre soin de certaines personnes qui font partie intégrante de ma vie. Je me prépare même pas, je fais une livraison de cocaïne sur le chemin du restaurant et je la rejoins. Je vois ses cheveux blonds au loin, j'arrive à la reconnaître. Je souris, un sourire de façade. Je suis bien trop stressé. « Merci à toi d'avoir proposé... » Elle a bien voulu me revoir, et ça m'étonne encore je dois bien l'avouer. « Je vais bien, et toi ? » Je vais pas bien du tout, je crois même que je suis en train de me détruire et de détruire ma vie. Mais je ne peux pas venir et te déballer des choses pareilles alors qu'on se connait à peine. On va rester sur la discussion bateau. Parce que c'est bien pour l'instant, c'est bien pour pouvoir continuer à faire connaissance. Je la sens mal à l'aise, et j'essaie de lui faire un sourire rassurant. Je ne lui en veux pas à elle, certainement pas. Alors je le lui fais comprendre. « La dernière fois, c'était compliqué pour moi, mais on va certainement pouvoir mieux discuter aujourd'hui ! » Je m'assoie, et j'essaie de m'en convaincre autant que je cherche à la convaincre.
Il est là dans ce restaurant, dans un lieu qui compte à mes yeux et c'est moi qui l'y ai invité. Est-ce que j'ai bien fais de le faire entrer ici ? De le faire entrer dans ma vie ? C'est moi qui me suis imposée dans la sienne, mais maintenant il est trop tard pour faire marche arrière et faire comme s'il n'existait pas ? Je ne veux pas faire comme ma mère et le laisser au fond d'un tiroir sans jamais me questionner sur lui. Il s'installe face à moi et il me sourit, tout en me remerciant de lui avoir proposé cette invitation. J'essaye de lui sourire en retour, mais je doute de l'efficacité de ce sourire. « Je vais bien, et toi ? » Est-ce que je vais bien ? Très bonne question Jeremiah. « Ça va oui merci. » Je le remercie je sais même pas pourquoi. Je crois que je suis mal à l'aise. Est-ce que le fait que je sois aussi tendue prouve que je mente ? Est-ce que ma tension se ressent même ? Je prends mon verre et je bois quelques gorgées, faut vraiment que je me détende un peu. Il est devant moi maintenant, et si je ne veux pas que les choses soient trop désagréables pour nous deux, je me dois de faire un effort. Et pour ça, je dois laisser mes doutes et mes questionnements hors de ce moment. « La dernière fois, c'était compliqué pour moi, mais on va certainement pouvoir mieux discuter aujourd'hui ! » Il finit par s'asseoir, nous y voilà vraiment. Et il me confirme que c'était compliqué pour lui. Au moins, on semble sur la même longueur d'onde, même si le savoir, ne m'aide pas réellement à prendre les choses avec sérénité. Mais je retiens qu'il veut discuter, et c'est peut-être la seule chose que l'on peut faire à cette étape de notre relation. Parce que je ne sais toujours pas ce que je dois attendre de lui. Je n'en sais rien, je ne sais même pas si je veux vraiment me lier à lui. Mes intentions n'étaient pas claires, je n'avais pas réfléchis à tout ça quand je me suis pointée devant lui. Mais maintenant que notre lien a été dévoilé, je n'arrive pas à savoir si je dois lui faire une place dans ma vie ou pas. J'ai pas besoin de lui non ? Et, il n'a pas besoin de moi non ? Alors est-ce qu'on doit se comporter comme deux inconnus, ou est-ce qu'on peut se trouver des éléments communs, autre que le lien du sang ? Je ne sais pas ce qu'il veut, ni même ce que je veux, alors parler semble être la meilleure des options pour nous. Pour le découvrir, pour s'appréhender aussi. « C'est vrai qu'on a pas trop parlé la dernière fois. » Mais cette fois le choc est passé non ? Est-ce que deux mois c'est assez pour digérer une telle information ? « Tu as pu lire les documents ? » Au fond, la plupart des choses inscrites dans les documents, il les connaissait déjà puisque c'était son histoire, son passé. Alors la question est sans doute bête. « Si tu as des questions sur lui je peux essayer d'y répondre ? » Voilà, la vraie question. Parce que s'il y a une chose que l'on partage finalement tout les deux c'est ce père. Et peut-être qu'il déteste autant que moi cet homme qu'il vient de découvrir ? Et si c'était ça qui pouvait nous lier ? Après tout, c'était la base de mon plan, en faire un allié contre cet homme. Je ne suis plus sûre de vouloir me lancer dans un combat contre mon père, mais j'ai toujours envie qu'il paye pour toute son œuvre mais je ne pousserais pas Jeremiah dans cette voix, à moins que lui en parle. Je ne dois rien attendre de lui, je n'ai pas à le mêler à mes ennuies avec mon père, je dois penser d'abord à ce que lui veut parce qu'au fond, c'est lui qui doit être le plus chamboulé par tout ça. C'est lui qui vient d'apprendre après plus de trente ans, que son père est un sacré connard, moi ça fait longtemps que je le sais. « Tu sais ce que tu vas faire de cette information ? » Et je m'autorise cette question, parce que je dois savoir, je dois connaître ses intentions avant de trop me livrer.
C'est bizarre, tout ça est terriblement bizarre. Je sais pas ce que je dois faire ou ce que je dois dire. Je ne sais même pas ce qu'elle est pour moi ou ce que je suis pour elle. On est gêné, et le commun des mortel ne peut même pas comprendre ce qu'on peut bien ressentir à cet instant. Mais je veux pas abandonner, je veux pas laisser tomber tout ça non plus. Parce que j'ai besoin de détails. J'ai besoin d'informations sur ce père que je ne connais que par des écrits, parce que je le hais. Et que le détruire fait partie de mes objectifs de vie depuis que j'ai su qu'il c'était barré sans même avoir pris la peine d'aider ma mère à choisir un prénom. Et savoir aussi si je suis comme lui, ou si elle est comme lui.
On dit qu'on va bien, et ça sonne faux autant pour l'un que pour l'autre. Mais comment faire pour que ce soit moins tendu, moins bizarre ? Parce qu'on ne se connait pas, et c'est pas parce qu'on a le même père qu'on doit automatiquement s'aimer. Mais c'est le seul réel lien familial que j'ai en dehors de ma mère, et je ne la vois plus. Donc on peut dire que c'est ma seule famille tout court. Elle me dit que ça va, et je lui rends son sourire. Sourire qui cache beaucoup de questions, et beaucoup d'appréhension. Mais un sourire quand même. C'est un bon début non ? Je brise le silence en premier, et elle commence à me poser des questions. Je suis rassuré, elle m'a peut-être invité parce qu'elle veut réellement en savoir plus sur moi, et pas seulement par charité. Parce que je déteste ça la charité, et je déteste les gens qui font semblant de vouloir aider les autres. « J'ai pas vraiment voulu envoyer des messages, je sais pas comment m'y prendre avec ça... » Mais j'ai fini par le faire. J'étais peut-être bourré, je l'étais certainement. Mais je l'ai fait. « Je les ai relu des centaines de fois » et ça m'a tout rappelé. Tout ce que je me suis toujours forcé à oublier. C'est revenu, ça me hante, même pendant la nuit. Alors je bois, je deal, et je dors le moins possible. C'est comme ça que j'ai décidé de vivre maintenant. « Et si tu as des questions sur moi je peux y répondre ? » Pourquoi je repousse ce moment ? Parce que je veux pas la faire entrer dans tout ça. Parce que je suis au fond du trou, au fond du gouffre, et je suis sûre qu'elle ne mérite pas que je l'embarque avec moi. Mais une alliée, ça pourrait m'aider. Alors je ne sais pas quoi faire, mais je vais sûrement finir par faire le choix le plus égoïste comme toujours. « Je le déteste, je sais que je le hais depuis que ma mère m'a dit qu'il c'était barré. Et je veux vraiment qu'il regrette, mais je peux me débrouiller tout seul tu sais... T'as pas besoin de faire tout ça juste parce que tu te sens coupable... » Je vais voir de quel côté elle est, et si il était possible qu'on s'entende bien finalement. « J'en sais rien, ça a été difficile à digérer. Au final j'ai toujours su que j'avais un père, et que c'était un connard, je m'attendais juste pas à ce que ce soit le roi des connards ! » Un léger rictus, en croisant le regard d'Alex. « Et toi ? Qu'est ce que tu comptes en faire ? »
Puisqu'il me donne l'autorisation de le questionner, je me lance. Hésitante, incertaine mais je lui pose une question qui m'occupe l'esprit. « Quand on s'est vu, tu pensais à une blague, tu pensais sincèrement que quelqu'un pouvait monter un tel coup pour te nuire, alors je ne sais pas si ça me regarde ou quoi. Mais tu as des problèmes ? » Il était réellement persuadé qu'une personne pouvait monter un tel dossier, une telle histoire pour l'attaquer sur l'identité de son père. C'est pas anodin et si la première fois, je n'avais pas voulu rebondir sur cette information, ce soir je le fais, parce qu'il faut bien commencer quelque part. Et s'il a des problèmes dans sa vie, je préfère le découvrir maintenant, pour ne pas me laisser entraîner dans des situations à problèmes. C'est quand même ma spécialité ça aussi. La serveuse arrive pour prendre notre commande, et je lui demande une bouteille de vin pour accompagner le repas. Parce que je sens qu'on va en avoir besoin, lui comme moi, pour gérer cette situation étrange. Et parce que parler de mon père, n'a jamais été une partie de plaisir. « Je le déteste, je sais que je le hais depuis que ma mère m'a dit qu'il c'était barré. Et je veux vraiment qu'il regrette, mais je peux me débrouiller tout seul tu sais... T'as pas besoin de faire tout ça juste parce que tu te sens coupable... » Est-ce qu'il a raison ? Est-ce que j'essaye vraiment de racheter les erreurs de mon père ? De ma mère ? Est-ce que c'est pour ça que j'ai voulu revoir Jeremiah ? Pour me sentir moins coupable ? Sûrement. Peut-être. De toute façon, je me sens coupable tout le temps, mais je ne veux pas avoir à porter la responsabilité des erreurs de ma mère. Encore moins celles de mon père. « Je fais pas ça pour me déculpabiliser. » Je tente de l'en convaincre lui, tout en me convaincant moi aussi finalement. Parce que ma mère a laissé Jeremiah livré à lui même, au service sociaux, tout ça pour me protéger, alors c'est quand même un peu de ma faute non ? Je déteste mes parents, je déteste toute cette histoire mais je ne peux pas lui dire tout ça, il n'a pas à gérer mes états d'âmes. « C'est moi qui t'ai mêlé à tout ça, je ne vais pas te laisser seul avec lui. » Je n'ai aucune idée de ce qu'il peut avoir en tête lorsqu'il dit qu'il veut qu'il regrette mais même si ma première intention était vraiment de le laisser se débrouiller seul avec notre père, je ne peux pas me résoudre à être aussi lâche. Et puis moi aussi j'ai des choses à régler avec lui finalement, j'en ai besoin. Il m'a rabaissé, il m'a fait croire que je ne valais rien, il m'a fait craquer à plusieurs reprises, j'ai besoin de lui prouver (et de me prouver) que je suis plus forte que ce qu'il pense. « Tu as quelque chose en tête déjà ? » Je me rappel de son dossier, de toutes les choses qu'il a pu faire de plus ou moins morales, de plus ou moins légales et je ne dois pas me laisser aveugler par ma haine et accepter n'importe quoi. J'ai trop à perdre. Alors je cherche à en savoir davantage sur lui, sur ses intentions, sur sa façon de prendre les choses. « J'en sais rien, ça a été difficile à digérer. Au final j'ai toujours su que j'avais un père, et que c'était un connard, je m'attendais juste pas à ce que ce soit le roi des connards ! » Le roi des connards, c'est plutôt bien trouvé. Peut-être encore un peu gentil je trouve, mais j'apprécie de savoir qu'il semble le détester lui aussi. Et cette fois c'est à lui de me questionner sur ce que je compte faire de tout ça. « Pour être honnête, j'en sais rien du tout. Je sais que j'aurais du y penser avant, mais j'ai vu à quel point il ne voulait pas que je découvre la vérité, ses menaces pour m'empêcher de découvrir tout ça, alors quand j'ai su la vérité, j'ai pas réfléchis réellement, j'y ai juste vu la solution pour me venger et lui faire du mal. J'ai pas pensé à toi sur le moment. Je suis désolé pour ça. Mais c'est la vérité, je ne sais pas quoi faire de tout ça. Je ne savais pas au moment ou je suis venue te voir, et je ne sais pas aujourd'hui. Parce que je crois que c'est pas à moi de décider mais à toi, c'est ton histoire. » Je joue franc-jeu, je suis honnête avec lui et peut-être que c'est pas la solution, peut-être qu'il va se sentir utilisé et me planter là. Mais je lui dois la vérité. Je n'ai pas vu en lui un possible frère quand j'ai découvert son existence et son dossier. J'y ai vu un possible moyen d'atteindre mon père et j'ai foncé, sans prendre de recul, sans réfléchir, juste aveugler par ma haine. « Mais on peut repartir sur de meilleures bases ? Et peut-être oublier un peu tout ça ? » Genre, oublier notre première rencontre et oublier cette situation tendue, le vin devrait aider.
Elle est de nouveau devant moi, et qui l'aurait cru. Avec le peu de choses qu'elle devait savoir sur moi elle aurait déjà dû vouloir m'éjecter de sa vie. Mais on avait certainement besoin d'essayer de se connaître. On avait besoin de voir si on avait pouvait avoir un vrai lien en plus de celui du sang. On a peut-être le même père, mais on ne connait rien l'un de l'autre. Enfin, moi je ne connais rien d'elle. Et je me demande si elle est un peu comme moi, ou si on est 2 opposés. J'espère au fond de moi qu'on va trouver quelques chose qui nous lie, qui me prouve qu'on est de la même famille. Et elle me demande si quelqu'un pourrait monter un coup pareil pour me nuire. Je souris un peu avant d'entamer mon verre. Je pense à Ariane, qui aurait bien pu monter une chose pareille vu qu'elle connait mes faiblesses et que c'est certainement quelque chose que je regrette beaucoup, surtout en ce moment. « On peut pas appeler ça des problèmes, juste une relation compliquée avec quelqu'un depuis bien longtemps. » Relation compliquée était un euphémisme.
Mais je ne veux pas qu'elle me prenne en pitié, parce qu'elle aurait regretté de m'avoir tout annoncé de cette façon. Et je veux la libérer de ça. Elle ne fait pas ça pour se déculpabiliser, et ça m'étonne, parce que j'ai du mal à croire qu'elle veuille bien vouloir apprendre à me connaître. « tu fais ça pourquoi alors ? » J'ai besoin de lui poser la question, parce que j'ai besoin d'une réponse clair. Et je lui fais comprendre que je déteste cet homme, que j'ai qu'une seule envie, le détruire. Et que je vais devoir réfléchir à la meilleure stratégie pour arriver au bout. J'ai besoin de me libérer, de faire quelque chose pour qu'il regrette tout ça. « T'es sûre de toi ? » Parce qu'elle pouvait faire n'importe quoi, avoir n'importe quelle idée que je la suivrai, parce que je n'ai aucune limite, surtout quand il s'agit de vengeance. Est ce que j'ai quelque chose en tête. La réponse est non, puisque je n'ai pas pris le temps d'y réfléchir. Parce que j'étais occupé à boire, beaucoup. « Je... Non, j'ai pas vraiment eu d'inspiration en si peu de temps... Mais toi tu y as peut-être déjà pensé ? »
Elle parle longtemps, elle s'en veut. Et je secoue la tête parce qu'elle ne devrait pas penser tout ça, parce que j'aurais réagit exactement pareil. J'aurais fait la même chose et ça me fait sourire une seconde. « Je comprends d'accord ? J'aurais fait la même chose à ta place. J'aurais réagit sur le moment, sur le coup de la colère et j'aurais cherché à tout faire pour me venger sans penser aux dégâts autour. Et au fond, je préfère le savoir maintenant, que quelqu'un ai enfin appris la vérité. » Même si ça m'a brisé, au moins je sais. Et ça ne restera pas un mystère non résolu jusqu'à la fin des temps. « Je veux pas que tu te sentes obligé de me garder dans ta vie à cause de tout ça non plus, tu peux toujours oublier ça et reprendre ta vie où elle en était. » Je hoche la tête, et je ne sais pas comment je pourrais l'obliger à rester là. J'ai parlé trop vite, parce qu'elle me demande si je veux tout reprendre à zéro. Je réfléchis quelques secondes. « Ok on repart sur de bonnes bases, on pourrait finir par bien s'entendre... » Et je l'espérais réellement. Parce qu'elle était la seule vraie famille que je pourrais jamais trouver. Et, même si j'ai aussi Rosalie dans ma vie en guise de petite sœur depuis toujours, je pense qu'il peut toujours y avoir une place pour Alex si notre relation était emmenée à évoluer.
La relation entre nous est étrange, on se regarde, on se parle sans vraiment savoir comment gérer cette rencontre. Du moins, moi je ne sais pas trop. Je suis toujours un peu anxieuse, et même l'alcool ne semble pas pouvoir me détendre alors que je suis face à lui. J'essaye de lui parler, il m'a donné l'autorisation de le questionner ce que je fais. J'essaye de m'intéresser à lui, mais c'est compliqué de savoir ce que je peux ou non lui demander. Je ne suis pas en position d'attendre quelque chose de lui, je ne sais pas ce qu'il est prêt à me dire ou non. Je ne sais même pas s'il ne m'en veut pas encore au fond. Il me demande pourquoi je fais ça. Pourquoi je l'invite ici, si ce n'est pas pour me déculpabiliser. « Je sais pas trop. » Mauvaise réponse Alex. C’est clairement pas convaincant comme réponse mais c’est la plus sincère que je suis en mesure de lui donner. « Je pense qu’on a quand même des choses à se dire non ? Enfin je sais pas vraiment pour toi enfaîte. Mais tu es à Brisbane et moi aussi je me dis que c’est pas un hasard non ? » Se cacher derrière le hasard c’est facile ça. Je pourrais juste lui dire que j’aimerai le connaître un peu plus mais je ne le dis pas. Pas avec des mots clairs en tout cas. Parce que je crois que je me protège un peu aussi finalement. De lui, de moi, de notre père. De toute cette histoire.
La discussion dévie rapidement sur le sujet commun, notre père. Celui sur lequel on semble vouer une haine commune et une envie de vengeance aussi. Je lui dis que je ne vais pas le laisser seul face à notre père et il me demande si je suis sûre de moi. Est-ce je suis sure de moi ? Est-ce que je veux vraiment pas le laisser livrer à lui même face à mon père ? C’est quand même moi qui ait fait entrer cet homme dans sa vie. Je ne peux pas me décharger du problème sur lui et le laisser gérer tout ça. Je pourrais enfaîte. C’était l’idée de base, mais je ne peux pas faire ça. Cet homme c’est mon problème tout autant que le sien désormais. Sauf que moi je le crains alors que lui ne semble pas en avoir peur. « Sure de moi ? Non. Je ne suis jamais sûre quand il s’agit de lui. Mais j’en ai marre de le craindre. Je veux qu’il comprenne qu’il ne peut plus m’atteindre. » Et pourtant je sais qu’il le peut encore. Je le sais mais j’essaye de faire abstraction de tout ça. Jeremiah n’a pas à être mêlé à mes erreurs ou à mes problèmes. Et de toute façon je ne veux pas avoir à lui en parler. Il me jugerait sans doute beaucoup trop. J’ai fais un choix similaire à celui de notre père. Je suis un peu comme lui et c’est peut être pour ça que je suis incapable de faire les bons choix. « Quand j'ai découvert tout ça, j'ai voulu l'envoyer à des collègues journalistes à Londres. Je voulais ruiner sa réputation et sa carrière, je voulais qu'il soit humilié, jugé mais c'est ton histoire pas la mienne alors je n'ai pas le droit de faire ça. » Et peut-être aussi que je ne l'ai pas fais parce que j'ai eu peur des représailles, peur qu'à son tour, il tente de détruire ma vie. Mais je ne dis pas ça à Jeremiah, je ne lui dis pas que notre père détient sur moi des choses dont j'ai honte. « Après si tu veux te venger et lui faire du mal, tu as deux solutions, soit tu attaques son image, soit son argent. C'est à toi de décider si tu veux rendre tout ça public ou non. Mais je dois te prévenir, si tu as des casseroles, il les trouvera et il n'hésitera pas à s'en servir contre toi. » De ce que j'ai compris, il a un métier ou les relations publics sont importantes, du moins dans le milieu du spectacle, et il me semble important qu'il sache ou il va avant de le laisser partir dans une guerre face à cet homme. Je me sens déjà plutôt mal pour la façon dont je lui ai révélé la vérité, et même s'il ne semble pas m'en vouloir pour ça, je ne veux pas continuer à mal agir envers lui. « Je veux pas que tu te sentes obligé de me garder dans ta vie à cause de tout ça non plus, tu peux toujours oublier ça et reprendre ta vie où elle en était. » « Je ne me sens obligée de rien. J’ai choisi de t’inviter ici parce que je veux... » Je fais une pause. Qu’est-ce que je veux d’abord ? Le connaître ? Oui, un peu sans doute. M’allier avec lui ? Sans doute aussi. Enfaîte j’en sais rien. Est-ce que je veux un frère ou juste un bras droit pour ne pas avoir à affronter mon père seul ? Quelqu’un qui pourrait encaisser les attaques là où j’en suis incapable ? Je ne peux même pas réussir a comprendre ce que je veux, ce que je cherche tout revient toujours sur mon père. Sur la haine que je lui porte. « Je veux apprendre à te connaître au delà des choses que j’ai lu sur toi. » Je finis par le dire. Sans me cacher derrière un autre élément. Le connaître lui. Apprendre à le connaître sans préjugés, sans a priori, ça me semble être une idée. Et aussi sans l’associer constamment aux idées de vengeances contre mon père. Juste lui et moi. Découvrir qui il est réellement pour ensuite savoir comment gérer cette relation étrange entre nous. « Parles moi un peu de toi. De ton boulot. Tu dois aimer faire la fête non ? » Je ne me rends même pas compte que ma phrase peut-être mal interprété. Ce n'est pas simple de faire connaissance de son demi-frère à 30 ans. Mais j'ai envie de savoir qui, il est. Qui est réellement Jeremiah, parce que finalement je connais l’enfant, je connais l’adolescent mais je connais très peu l’adulte Jeremiah. Et s'il n'y a qu'une chose qui compte actuellement, c'est qui nous sommes aujourd'hui. Pas notre passé, pas nos erreurs, le présent.
Pourquoi c'est aussi compliqué de parler avec elle ? D'habitude, je m'en fiche. Mais, Alex, c'est pas une fille comme les autres, c'est une personne qui partage le même sang que moi. Et j'ai peur qu'elle s'en fiche de moi au fond. Même si je me dis que j'ai pas besoin de ça, que j'ai pas besoin d'une famille ou d'avoir plus de gens qui comptent pour moi. Mais on a quand même décidé de se revoir, et c'était peut-être le début d'une nouvelle histoire. Je dois laisser une chance à tout ça, et c'est peut-être ce qui fait que je ne sais absolument pas comment réagir. Peut-être que elle n'est pas du tout dans la même optique, qu'elle veut juste savoir si à cause d'elle je suis en train de m'enfoncer, se déculpabiliser, ce serait logique après tout. « Je pense aussi qu'on devrait apprendre à se connaître, même si on est plus très jeune on devrait peut-être essayer de trouver du positif à tout ça ! » Wahou, c'est vraiment moi qui viens de dire un truc pareil ? Oui, apparemment. Je vais faire un effort, et je vais essayer d'être gentil.
On parle donc de notre père, ça me paraît encore bizarre d'imaginer qu'il existe, et qu'il est en vie. Que c'est aussi juste un connard de plus sur cette planète. « Je ne le connais pas, mais je peux te dire que je dois le détester à peu près autant que toi, donc je t'abandonnerais pas si on trouve comment faire pour qu'il regrette ! » ça c'est une promesse que je vais tenir. Je dois la tenir, parce qu'on va certainement avoir besoin de se soutenir pour qu'on puisse arriver à nos fins. Elle me parle de ses plans, et je l'écoute attentivement. Ce qui est pratique là dedans, c'est qu'elle a l'air de le connaître parfaitement. De savoir ce qu'il faut faire pour le briser. « C'est mon histoire, certes, mais si tu fais ça, tu t'impliques autant que moi. Faut qu'on soit sûr ! Faut être sûr à 100% qu'on est prêt à affronter tout ça. » Je me mets en garde, et je la mets en garde aussi. « Mais si tu penses que c'est la meilleure chose à faire, je te suis. » Je hoche la tête, et reste totalement sérieux, parce que cette conversation risque bien de changer nos vies. « Tu connais déjà tout de ma vie, tout était dans mon dossier. Y'a rien à sortir de plus. » A part le fait que je deal, mais ça, j'y réfléchirai plus tard. Peut-être qu'on va réussir rapidement notre coup et qu'il nous laissera tranquille ! Très peu probable, mais l'espoir fait vivre. Et je suis prêt à tout pour détruire mon géniteur. « Et toi ? T'es sûre que t'es prête à endurer tout ça ? » Je suis obligé de demander si elle serait capable de me laisser me démerder avec cette histoire si un jour ça va trop loin. On a pas de comptes à se rendre après tout.
Je lui parle du fait qu'elle n'a pas à se sentir obliger de me faire entrer dans sa vie, que je ne lui en voudrais pas si elle décide de faire comme si je n'existais pas. Mais elle m'étonne Alex, et je l'écoute parler. Elle veut qu'on apprenne à se connaître, alors je vais respirer, et je vais me détendre. On va discuter parce qu'on a un sacré paquet d'années à rattraper. « Au moins toi t'as un dossier qui t'as fait un résumé de mon enfance ! » Je souris, je bois une gorgée de mon verre. « mon boulot ? » Boulot que je n'ai plus. « En fait j'ai démissionné, je suis plus promoteur de salles, j'en avais marre d'organiser des soirées pour les autres. » Je deal pour la ruche à la place, mais je lui dirais pas. « Je veux essayer de me lancer dans la musique, j'adore chanter et jouer donc voilà... » ça c'est quelque chose qu'elle ne sait pas. « Et toi ? Qu'est ce que t'aurais à me raconter pour que je te connaisse mieux ? Je peux essayer de trouver des questions précises mais j'en ai un peu trop là ! »
Tout cette situation est étrange, pour lui comme pour moi, mais si je l'ai invité c'est parce que je pense qu'on a des choses à se dire non ? Mais quoi ? C'est une autre question, mais nous sommes tout les deux à Brisbane et ce serait dommage que l'on passe à côté de l'opportunité que nous avons de nous connaître. Au moins essayer sans réellement savoir à quoi s'attendre. Et il semble d'accord. Nous voilà au moins sur la même optique, sans vraiment détailler les conditions de ce repas, nous sommes d'accord pour convenir que l'on peut au moins apprendre à se connaître. Et il parle même de trouver du positif dans cette histoire. Alors, c'est à nous de jouer maintenant. Et pour éviter les blancs gênants, nous parlons de cet homme que nous avons en commun, ce géniteur pour lui, ce père pour moi. Un homme dont nous semblons aussi partager une haine commune. Chacun pour ses propres raisons, mais au moins nous avons envie tout les deux de nous venger. Et c'est avec une certaine logique, que nous évoquons les premières idées que nous avons pour qu'il regrette à son tour d'avoir été un gros connard toute sa vie. Il n'y a pas de plan clair, pas même d'idée partagée et qui se dégage mais une même envie de vengeance, avec une pointe de mise en garde parce que cet homme a déjà montré qu'il pouvait aller loin pour protéger ses intérêts. « Je ne sais pas si c'est la meilleure chose, tu sais je le déteste tellement que ma haine peut me pousser à faire n'importe quoi avec lui. J'aimerais juste pouvoir être débarrassée de lui totalement, mais en même temps j'ai toujours cette envie de me venger, de lui prouver que je suis plus forte qu'il ne le croit. » Il exerce une influence sur moi encore et toujours, parce que je lui laisse le contrôle. Je lui laisse l'opportunité de me faire du mal quand il le veut, et c'est de ça dont j'aimerais être débarrassée. Sauf que je ne peux pas et avec cette énième confrontation au sujet du dossier de Jeremiah, nous avons sans doute atteint le point de non retour. Il s'est dévoilé à moi comme rarement, me montrant son vrai visage, utilisant tout ce qu'il savait de moi pour me blesser et me faire comprendre qu'il avait le contrôle, toujours. Qu'il pouvait à tout moment débarquer et me faire du mal, et ce avec un plaisir qu'il ne prends même plus la peine de cacher. « Mais c'est à moi de régler ça avec lui et si tu veux oublier son existence, et vivre ta vie loin de lui, alors fais-le et j'accepterai ton choix. Prends le temps pour y réfléchir » Je lui laisse une porte de sortie, je lui propose une option ou il pourra repartir et oublier toute cette histoire, s'il le veut. Il n'est pas encore trop tard pour s'enfuir pour lui. D'empêcher cet homme d'entrer dans sa vie. Et malgré tout il me demande si je suis sûre, si je suis prête à endurer tout ça. Je ne sais pas si c'est pour se rassurer lui ou pour me tester moi, mais ma réponse ne va sans doute pas le rassurer en tout cas. « Je sais pas. » Je lui avoues d'un air un peu désolée. Je ne sais vraiment pas si je peux endurer d'autres attaques ou vengeances de mon père. Je ne sais pas si je peux supporter l'idée qu'il puisse utiliser mon passé contre moi mais pourtant je ne veux pas laisser Jeremiah tout seul face à lui. C'est ma mère qui est à l'origine de tout finalement. Elle qui aurait pu faire les choses biens depuis le début mais qui ne l'a pas fait. Alors c'est à moi de le faire, à moi de réussir là ou elle a échoué. A moi d'être le soutien de Jeremiah alors que dans cette histoire personne n'a semble-t-il pensé à lui à un moment donné. Moi la première. Mais je vais faire les choses différemment maintenant. « Mais je te promets de ne pas te laisser seul face à lui, quoique tu décides. » Je lui fais une promesse alors que finalement je ne le connais que très peu. Et si ce qu'il décide de faire ne me plaît pas ? Je n'y pense pas, je lui promets mon soutien et ma présence. « On est plus fort ensemble non ? » J'ai toujours été seule face à lui. Ma mère était seule face à lui. La mère de Jeremiah était elle aussi seule face à cet homme, mais cette fois on est deux contre lui et ça peut faire changer les choses. Du moins je crois. Et là, devant lui, je me lie en quelque sorte avec lui, en lui promettant de ne pas le laisser seul.
On est deux maintenant à vouloir la même chose, à en vouloir au même homme, c'est lui qui nous lie l'un à l'autre mais comme il l'a dit quelques minutes plus tôt, il faut trouver du positif de cette histoire et cet homme n'est clairement pas le positif. Alors après lui avoir dit que je voulais apprendre à le connaître, je lui demande de me parler un peu de lui. J'ai appris beaucoup de choses par les dossiers, mais je voudrais qu'il me dise des choses sur lui qu'il a envie de partager. Je pourrais le questionner sur son enfance, sur bien des choses que j'ai lu et qui m'interpelle mais je ne pense pas que ce soit le meilleur moyen de créer un semblant de relation. J'en sais beaucoup sur lui, il ne sait rien sur moi et c'est déjà pas vraiment équitable pour lui. Il me parle de sa passion pour la musique, et je me note ça quelque part pour garder des sujets de discussion avec lui à l'avenir, autre que son passé et notre père. Et juste après, il me questionne sur moi, enfin il me demande ce que je pourrais lui raconter. Et si moi je connais une bonne partie de sa vie, si je devais me présenter à lui avec autant de détail, je ne pourrais pas soutenir son regard bien longtemps. J'ai la chance qu'il ne puisse pas connaître ma vie, que lui, il n'ait pas de dossier sur moi alors je peux choisir. J'ai trente ans de vie à lui raconter. « Ma mère est née en Australie, elle est morte y'a un peu plus d'un an. J'ai grandi à Londres, jusqu'à mes dix-huit ans, et j'ai passé trois ans à Brisbane avant de rentrer faire mes études à Londres. » J'oublie les détails qui n'en sont pas réellement. J'oublie la drogue, l'alcool, Nathan. J'oublie volontairement de lui parler de toutes mes erreurs, édulcorant totalement la vérité. « Je t'ai pas menti, je suis bien journaliste mais journaliste sportive, ça je crois pas te l'avoir précisé. Spécialisé dans le foot. Il déteste le foot, c'est sans doute pour ça que j'aime tant ce sport. » Et je reparle de notre père, encore et toujours. « Enfin, c'est difficile de te raconter trente ans de vie quand même. » Je lâche un petit rire, gênée par l'exercice qu'il me demande de réaliser. Parler de soit sans avoir de réelle ligne directive, et tout en ayant beaucoup de chose à cacher, c'est pas simple. « Ah si, le chef de ce restaurant est mon mec, alors fais toi plaisir, je suis une cliente privilégiée. » Je souris, l'invitant à regarder la carte, tout en espérant que désormais, les choses entre nous seront plus simples. Pas totalement claires, mais au moins un peu moins étranges pour pouvoir vraiment réussir à se découvrir et pourquoi pas à s'apprécier. « Et toi, tu as quelqu'un dans ta vie ? » Une question que je ne pensais pas oser lui poser mais elle est sortie avec un naturel qui ne me choque pas, alors je le regarde attendant sa réponse sans m'excuser de ma curiosité.
Le premier sujet qu'on aborde c'est le plus important, le plus évident, parce que c'est la seule chose qu'on partage pour le moment. La seule chose qui nous lie, parce qu'on ne se connait pas. Mais on a une haine commune pour notre père, et je trouve ça rassurant. Parce qu'on en parle, parce que ça nous fait déjà un point commun. Et je repense à ce que m'a dit Rosalie. D'essayer de faire une place à Alex dans ma vie, parce qu'au, fond, je n'ai rien à perdre. Et quand je me vois là avec elle, je me dis que c'est vrai. J'ai toujours cherché une famille et aujourd'hui voilà une personne qui n'a pas fuit en voyant une grande partie de mon passé, elle s'intéresse quand même à moi. Ou du moins je l'espère. « Il a vraiment dû te pourrir la vie. » Mes yeux se perdent un peu dans le vide, la façon dont elle en parle pourrait briser le cœur de n'importe qui. Un mec affreux, et c'est mon père, pourquoi ça ne m'étonne même pas vraiment ? « Je fais parti de tout ça maintenant. » Je hoche la tête en captant son regard, j'ai pas envie de la laisser seule contre lui maintenant qu'il doit certainement savoir qu'elle m'a tout révélé. « J'ai déjà réfléchi, je peux pas le laisser s'en sortir comme ça, on peut pas le laisser s'en sortir aussi facilement. Elle ne sait pas si elle est prête à ce qui nous attend, et moi non plus je ne sais pas. Je ne sais rien de cet homme, je ne connais pas ses limites si il en a, et encore moins ce qu'il peut bien faire. Mais maintenant, Alex ne sera plus seule, je serai là pour l'épauler. « Je te laisserai pas seule face à lui non plus, on va peut-être former une bonne équipe. » je souris un peu, j'essaie de détendre l'atmosphère tant que tout va à peu près bien.
Et on arrête de parler du père, on parle de nous, parce que d'après les documents elle est ma demi-soeur. Comment je dois gérer une sœur quand je n'ai jamais été habitué à avoir une famille ? Elle connait une partie de ma vie, toute mon enfance. Mais moi je ne connais rien d'elle, je sais juste comment elle s'appelle et qu'elle est journaliste, mais il faut bien un début à tout. J'ai pas de question précise, il y en a bien trop à poser, alors je la laisse parler un peu en fronçant les sourcils. Je ne la coupe pas, je la laisse m'expliquer quelques trucs sur sa vie et le puzzle est un peu moins flou. « Pourquoi tous ces allers-retour entre Brisbane et Londres ? T'auras pu venir ici et y rester. » C'est peut-être indiscret mais je m'en fiche, elle ne répondra pas à mes questions si elle n'en a pas envie et je ne lui en voudrais certainement pas. « Tu fais quoi tu tiens un magazine ? Tu joues au foot d'ailleurs ? » Je ris un peu, je n'ai jamais été branché foot moi non plus. 30 ans, il nous a volé 30 ans pour apprendre à se connaître. « T'as 30 ans ? » Je ne connais même pas son âge, je ne connais vraiment rien et je soupire un peu. « T'as déjà d'autres frères et sœurs ou t'as toujours été toute seule ? » Est ce qu'on est seulement nous deux ou on va encore se trouver de la famille éparpillée aux quatre coins du monde. « Tu veux qu'on les rattrape ces 30 ans qu'il nous a volé ? » Tu veux que je fasse partie de ta vie Alex ? Est ce que tu veux qu'on essaie de trouver notre lien ? De devenir un frère et une sœur avec le temps ? « Parce que je pense que je peux te poser des centaines de questions sur tout ce que j'ai pu louper. » Je ris encore un peu avant de boire une gorgée de mon verre. Je repense à Rosalie, à ce qu'elle m'a dit. J'ai rien à perdre, absolument rien. « Je dois être la personne qui le menace de lui briser le cou si il te fait du mal ou c'est pas encore le moment ? » Je ris de bon cœur parce que je connais déjà la réponse, mais ce sujet est bien plus agréable, bien moins inquiétant que le sujet du père. Elle me demande si j'ai quelqu'un dans ma vie et je regarde mon verre. Je vais essayer d'être sincère sans passer pour le dernier des connards. « J'ai juste eu une relation longue dans ma vie, mais je suis pas du genre à me caser. Je suis plus branché coup d'un soir ou relation courte. J'ai pas vraiment le temps ni l'envie de m'attarder dans quelque chose de sérieux. » C'est sincère, elle n'a juste pas tous les détails de ce que je peux bien faire. « Et toi, c'est quoi votre histoire avec le chef ? »
Me pourrir la vie oui c’est plutôt bien résumé. Je lève les épaules essayant de ne pas trop montrer que oui, il m'a vraiment fait mal. Même si je me suis très bien débrouillée à le faire toute seule aussi. Mais j’aime avoir quelqu’un à haïr parce que pendant que je le hais lui, je peux me laisser un peu de repos. Et mon père c’est de loin la personne que je déteste le plus au monde (avec moi même) mais surtout la personne que je crains le plus aussi même si je ne l’avoues pas vraiment. Je le crains, je crains son influence, je crains les choses qu’il a sur moi et avec lesquelles il m’a menacé. Je le crains lui et c’est cette crainte qui me fait douter et qui pourtant renforce aussi ce besoin que j’ai de me venger pour enfin me détacher de lui complètement. Et sur ce point, Jeremiah semble m'affirmer son soutien et son envie de se venger lui aussi. Et si ni lui, ni moi, n'avons réellement d'idées précises pour lui faire payer ce qu'il a fait, nous sommes visiblement d'accord sur un point, il ne va pas s'en sortir aussi facilement. « Je te laisserai pas seule face à lui non plus, on va peut-être former une bonne équipe. » Et je ne sais pas si je peux avoir confiance en Jeremiah, mais je me sens soulagée pendant un instant. En lui donnant ses papiers, en lui révélant la vérité, j'ai bouleversé sa vie mais j'ai aussi pris des risques même si ça il n'y ait pour rien. Alors savoir qu'il est prêt à m'épauler pour faire face à cet homme pour lequel on partage une haine commune, ça me rassure un peu.
Et finalement après avoir évoqué notre sujet principal, celui qui malgré nous, nous liait l’un à l’autre, nous apprenons peu à peu à faire connaissance l’un et l’autre sans l’ombre de ce père absent pour lui et trop présent pour moi. Et lui qui semblait ne pas savoir ou aller dans ses questionnements sur la vie, semble finir par trouver puisqu'il me pose finalement des questions réagissant aux informations que je lui apporte. Et moi j'essaye de lui apporter les réponses à ses questions au fur et à mesure, me prêtant au jeu des questions, réponses, essayant d'être honnête, la plupart du temps. Et ça commence plutôt mal puisque je lui mens dès la première question. « J'ai eu quelques soucis à Brisbane alors j'ai préféré rentrer et c'était plus simple pour moi de faire mes études à Londres. » Tout n'est pas réellement faux, mais je ne peux pas dire à Jeremiah, enfant abandonné, qui a vécu en foyer, que j'ai fuis Brisbane en abandonnant mon enfant moi aussi. Non, clairement même moi je me rends compte que je ne peux pas lui dire ça, alors je me concentre sur ses autres questions. « Je travaille à la radio, quelques chroniques par ci par là pour essayer de passionner les Australiens mais entre le rugby et le foot australien vous êtes pas simple à convertir. Et non je ne joue plus depuis longtemps, j’y ai joué durant mes années d’études à Londres mais c’était y’a un bail. Et toi alors à part la musique, tu aimes le sport ? » Et il continues ses questionnements et d’un côté ça me rassure de le voir s’interroger sur moi. Parce que j’ai l’impression qu’il veut vraiment me connaître et c’est positif non ? « Je viens tout juste d’avoir trente ans et je t’avoue que ça fait encore un peu de mal de l’avouer. » Je grimace, pas que le cap de la trentaine ait été passé avec beaucoup de difficulté mais dire mon âge à haute voix me semble légèrement étrange, presque dérangeant mais j'en souris, alors qu'il me pose d'autres questions. « Non je suis toute seule. Enfin j’étais toute seule. » Puisque désormais il est là. « Tu veux qu'on les rattrape ces 30 ans qu'il nous a volé ? Parce que je pense que je peux te poser des centaines de questions sur tout ce que j'ai pu louper. » Et là, je sais pas pourquoi, je souris légèrement. Est-ce parce que l'alcool m'a détendu ou est-ce le que le fait de voir qu'entre nous ça semble pas si mal se passer et qu'il envisage même de 'rattraper les années volées', je ne sais pas. Mais je suis plus détendue, plus à l'aise face à lui. « Je pense pas qu'on puisse rattraper trente ans de vie, mais peut-être qu'on peut apprendre à se connaître tels que nous sommes maintenant, sans s'occuper du passé ? » Facile à dire pour moi sans doute, je connais déjà son passé. Et encore plus facile quand on sait que je ne veux pas lui parler de mon passé à moi. Mais nous en sommes là aujourd'hui tout les deux et je pense vraiment, que le plus important ce n'est pas ce que nous avons perdu mais ce que nous pouvons envisagé comme lien pour l'avenir. Enfin j'en sais trop rien. « Enfin c'est si tu le veux ça. » Est-ce qu'il m'accepte dans sa vie telle que je suis sans tout savoir de moi ? Et puisque le présent semble être ce que je veux mettre en avant dans notre relation naissante et étrange, je lui parle de Caleb. « Je dois être la personne qui le menace de lui briser le cou si il te fait du mal ou c'est pas encore le moment ? » Je l'entends rire et je ris un peu avec lui, est-ce qu'il doit être cette personne ? Le grand-frère protecteur ? Ca me fait bizarre de penser à ça. Mais la question ne se pose pas vraiment, du moins pas avec Caleb. « De toi à moi, y’a plus de risque que ce soit moi qui lui fasse du mal que l’inverse. J’ai un peu de mal avec mes relations sociales mais j’y travaille. Mais pour te répondre non, interdit de menacer Caleb, je t’assure qu’il n’y a pas mieux que lui. » Et je souris parce que j’ai encore en tête ce voyage en Nouvelle-Zelande qu’il a organisé pour nous et durant lesquels j’avais passé les 10 jours les plus agréables de ma vie grâce à lui. Je repense aussi à mon anniversaire et à la surprise qu’il avait faite pour moi et pour nos 10 ans de rencontre. Je pense à lui et je souris parce que je suis vraiment chanceuse de l’avoir dans ma vie malgré tout ce que je lui ai fais vivre. Et parce qu'en ce moment, ma relation avec Caleb est la seule chose qui semble me permettre d'être un peu sereine. Et alors qu'il boit une gorgée de son verre, je finis le mien avant d'en redemander un à la serveuse. Je lui parler de Caleb, et lui me parle de sa relation, enfin de ses relations. Et à l'entendre, je me revois avant de revenir à Brisbane, enchaînant les coups d'un soir, pas de relations courtes puisque je ne voulais aucune relation, rien du tout même pas une relation courte, c'était à peine si les prénoms étaient échangés dans ce genre de relation. Alors je ne le juge pas, je serais la derrière des hypocrites si je me permettais un jugement. « Et ce mode de vie te convient ? » J'aimerais lui demander ce qu'il en est de la relation longue qu'il a eu, j'aimerais lui demander si ce mode de vie actuelle, n'est pas juste une compensation et qu'il ne regrette pas cette première relation mais je ne sais pas si à ce stade de notre relation je peux me permettre ce genre de question, alors je ne dis rien. Et pourtant lui me questionne sur ma relation avec Caleb. On doit donc en être là finalement. A s'intéresser à la vie sentimentale des uns et des autres. Et moi, je souris en l'entendant me demander des précisions sur ma relation avec Caleb. Je souris parce qu'aujourd'hui, entre nous tout semble se passer à merveille (ou presque.) « Houlla notre histoire. On s’est rencontré y’a dix ans, je croyais pas vraiment en l'amour et puis je l'ai rencontré, un vrai coup de foudre, on a eu une relation pendant 1 an et demi et quand j’ai dû rentrer à Londres tout s’est fini. Et puis je suis revenue à Brisbane et j’ai réussi à le reconquérir. » Encore une fois un sourire, parce que je repense au moment où j’ai su que j’aimais encore Caleb et cette révélation qui m'avait fait prendre conscience que c'était lui et uniquement lui. Ce moment où chez lui, j’ai osé l’embrasser malgré le fait que je savais que ce n’était pas la chose à faire. Et si ce souvenir peut aujourd’hui me faire sourire c’est uniquement parce que depuis on en a fait du chemin lui et moi. Je lui ai dis la vérité et il m’a pardonné mais tout ça je ne peux pas le dire à Jeremiah, ce serait m'exposer à d'autres questions et clairement, je ne suis pas prête à évoquer certaines choses de mon passé avec lui. « C’est vraiment quelqu’un de bien, tu pourrais peut-être le rencontrer un jour si tu veux. » J'hésite en lui proposant ça, encore une fois je me demande si c'est le bon moment, si ce n'est pas trop tôt. Une demi-soeur qui arrive dans sa vie ça doit pas être simple à gérer alors peut-être qu'il ne veut pas avoir à rencontrer aussi le beau-frère. Et puisqu'il s'est permit de me questionner sur mon histoire avec Caleb, je me permets aussi une question plus indiscrète. « Tu as pas le temps et l'envie pour une relation stable ou tu as perdu la personne avec qui tu voudrais partager tout ça ? »
On met de côté les histoires de notre père quelques minutes. Ça me fait encore tout drôle d'imaginer que j'ai un père, de savoir qu'il existe et qu'il n'est pas mort. De savoir qu'il a eu toute une vie après moi, et qu'il a laissé une demi-soeur sur son passage. C'était étonnant, mais plus on avançait, plus on parlait, plus je me sentais à l'aise avec Alex. Je suis les conseils de Rosalie, et je fais tout pour être le plus gentil possible. Elle n'est pas une personne que je veux terroriser, elle est même une personne que j'aimerais peut-être garder dans ma vie. Mais je ne suis pas quelqu'un de facile, je le sais, mais on a un vrai lien de sang tous les deux. Et c'est quelque chose que personne ne pourra nous enlever, jamais. Donc on arrête de parler de notre père pour se concentrer sur nous. Sur ces 30 années qui restent un point d'interrogation gigantesque.
Elle commence à me raconter quelques trucs avant de me demander de lui poser des questions sur ce qui m'intéresse. Et je mets quelques secondes à réfléchir avant de me lancer une bonne fois pour toute. Si je pose des questions, elle en posera aussi. C'est peut-être risqué, mais j'ai toujours réussi à esquiver la vérité, et je pourrais toujours le faire aujourd'hui si j'estime qu'il y a des choses qu'elle ne veut pas savoir. Je hoche la tête, elle a eu des soucis dont elle ne veut pas parler et je la comprends, je la comprends vraiment. Elle a vécu à Londres, à Brisbane, et ça me fait déjà quelques informations sur elle. Et je continue de poser des questions tant qu'elle elle ne m'en renvoie pas, je sais que ça ne va pas durer longtemps alors j'en profite un peu. « Pourquoi t'as arrêté ? Y'a pas des clubs sympas à Brisbane ? Même si c'est juste pour y aller de temps en temps... » Je ne sais pas vraiment de quoi je parle, à part la boxe je n'ai jamais été vraiment passionné par le sport. « Je dirais que j'ai une préférence pour le rugby, mais les sports collectifs ne m'intéressent pas vraiment » Je suis un solitaire, dans le sport et dans tout et n'importe quoi dans ma vie. Et on passe du coq à l'âne, je lui pose des questions sur son métier et juste après on parle de son âge. Mais on est détendu, tout se passe bien mieux que j'aurais pu le prévoir. Peut-être qu'on peut vraiment construire quelque chose de solide ensemble. « Le cap de la trentaine est difficile. » Mais apparemment le cap des quarante l'est encore plus. Mais je n'ai pas quarante ans. Je me suis arrêté de compter à partir de 35. « Tu peux toujours arrêter de compter à 29, tu passeras jamais les 30. » Je souris, elle aussi, et je bois un peu de ce qu'il y a dans mon verre. Je ne me souviens même plus de ce que j'ai commandé. Il fronce les sourcils au était. Parce que ça veut certainement dire qu'elle a quelqu'un dans sa vie. Ça l'intéresse d'apprendre toutes ces choses là sur elle. Qui l'aurait cru ?
Et je lui demande ce qu'elle veut faire de nous, si elle veut qu'il y ait quelque chose d'ailleurs avec ce nous qu'on vient de créer grâce à un lien de sang encore assez vague pour moi. On a tant de choses à apprendre l'un de l'autre que ça pourrait me donner le tournis, mais elle est ce qui se rapproche le plus d'une famille potentielle pour moi. Et c'est tout ce que j'ai toujours cherché au fond. « ça me va, on peut essayer de voir comment tout ça peut évoluer. J'ai pas envie qu'on ne se revoit plus jamais après aujourd'hui. » Je devrais pas dire des choses comme ça, mais j'ai l'impression qu'elle aussi elle veut tenter d'apprendre à me connaître, malgré tout ce qu'elle connait déjà de mon passé.
Elle me parle aussi de ce fameux copain, la personne qui partage sa vie quand moi je lui explique que je n'ai personne dans la mienne depuis des années. « ça a l'air d'être un mec bien. » Je hoche la tête. Il a l'air bien différent de moi et ça ne peut qu'être parfait pour elle. Elle connait Caleb depuis 10 ans. Je connais Ariane depuis 15. Et je n'arrive même pas à savoir pourquoi cette idée passe dans mon esprit. Je pourrais me taper la tête contre un mur à cet instant. Elle sourit et je n'enfoncerai personne, je n'essaierai pas de connaître chaque détail de ce mec parce que je ne pense pas avoir le droit de m'immiscer dans sa vie alors qu'on ne se connait que depuis très peu de temps. « Ouais je veux bien. » Je dois m'intégrer à sa vie si je veux qu'on avance, comme elle doit s'intégrer à la mienne. Et sa question m'étonne, elle m'inquiète parce que je suis incapable de répondre quelque chose de censé. Parce que je ne le sais pas moi même ou je ne veux pas me l'avouer. « Je... On peut pas appeler ça une relation stable. » La relation avec Ariane n'avait absolument rien de stable ou de normal. « j'ai jamais pris le temps pour ça, j'ai peut-être pas le caractère, ou pas l'envie. Mais j'ai jamais rencontré une autre personne qui pouvait me donner envie d'essayer de construire quelque chose. » Est ce que je suis réellement en train de dire que j'avais construit quelque chose avec Ariane ?
Après un moment à se jauger, à se découvrir un peu au travers de ce lien étrange qui nous lie. Un lien dont j'aurais aimé m'être débarrassé à tout jamais, mais finalement, à cause de ce père ou grâce à lui, j'ai rencontré Jeremiah. Mon demi-frère. Et si les premiers instants étaient réellement compliqués, j'étais tendue. Très tendue. Mais au fil de la discussion, nous avons réussi à mettre derrière nous la haine que nous avons pour cet homme, afin de lui laisser une chance de nous connaître un peu. Je ne sais pas du tout si j'ai besoin de lui dans ma vie, si c'est une bonne ou une mauvaise chose qu'il soit là devant moi, mais je veux apprendre à le connaître et lui aussi visiblement. On est lié par un homme que je sais capable de tout, et je crois que ça me rassure un peu de savoir que Jeremiah semble être de mon côté. Alors puisqu'il semble vouloir rattraper le temps perdu, je me détends un peu et je laisse la discussion se dérouler sans trop réfléchir. Il me questionne et je lui réponds, aussi sincèrement que je le peux, du moins sur la plupart des sujets. Je passe sous silence ma période Londonienne et les raisons de mon départ de Brisbane, je me tais aussi sur mes problèmes à Londres, finalement je garde pour moi tout ce qui pourrait me donner une mauvaise image à ses yeux. A croire que son avis et son regard compte déjà finalement ? On parle un peu de sport, et je me détends encore un peu plus. Le sport c'est mon domaine, mais ça semble pas forcément être le sien et pourtant il me questionne et j'apprécie qu'il s'y intéresse. « Je me suis mise à la boxe plutôt depuis mon retour à Brisbane, ça me permet de me défouler. » Et la discussion se poursuit, on a tellement de chose à découvrir l'un sur l'autre que finalement il n'y a pas vraiment de moment de tensions ou de doutes et ça se passe bien entre nous. Nous parlons de mon métier, de mon parcourt, de mon âge, il cherche à me connaître, alors que moi je sais déjà pas mal de choses sur lui. Et à force de parler, aussi incroyable que cela puisse paraître, je commence à croire que peut-être nous pouvons vraiment créer un lien lui et moi. Et lui aussi finalement puisqu'il me confirme qu'il souhaite me revoir après ce repas. Et quand il me dit ça, je sais pas trop pourquoi, je lui souris tout en prenant mon verre pour trinquer avec lui. « A notre rencontre alors. Peut-être qu'il aura finalement fait un truc de bien dans sa vie ? » Peut-être que mon père aura eu une fois un impact positif dans ma vie, sans le vouloir mais en ayant mit dans ma vie un demi-frère.
Et on continue à se parler, assez facilement au vue de la situation. Il me questionne sur ma relation avec Caleb et c'est facile pour moi de parler de Caleb. Tellement facile. « Oh oui c'est un mec super. » Je ne suis pas objective, loin de là, parce que je suis tellement amoureuse de lui que je ne peux pas être objective, mais Caleb, tout ceux qui le connaisse auront la même conclusion que moi. C'est réellement un mec super et je me dis que j'ai de la chance de l'avoir dans ma vie. Et quand, sans réellement savoir si c'est une bonne ou une mauvaise idée, je lui propose de le rencontrer un jour, ce qu'il accepte, à ma grande surprise. Je souris en l'entendant me dire qu'il veut bien, parce qu'il semble s'investir et vraiment essayer de créer un lien avec moi et s'il accepte de rencontrer Caleb après m'avoir rencontré, c'est sans doute un bon signe et une réelle preuve qu'il s'intéresse sincèrement, enfin c'est comme ça que je le vis. Alors je m'intéresse à mon tour à lui, à sa vie sentimentale qui semble compliquée et pourtant, une partie de moi peut le comprendre. Vraiment. Parce que je me revois perdue à Londres, incapable de me lier à qui que ce soit après avoir laissé Caleb. « Tu sais, y'a presque neuf ans, j'ai fais l'erreur de quitter Caleb, et je suis restée incapable de me lier à quiconque. J'ai eu une période ou j'avais vraiment pas envie de construire quelque chose, j’enchaînais les conneries, et puis j'ai retrouvé Caleb. Et les choses sont devenues simples. » Simples, pas du tout, ce n'était pas simple bien au contraire. Mais mes sentiments étaient clairs et limpides, c'était lui que je voulais, le seul avec qui je pouvais me sentir capable de me lier. « Peut-être que tu n'as pas rencontré de personne avec qui construire quelque chose parce que tu as déjà quelqu'un en tête pour ça ? » Et voilà que je me lance dans des conseils sentimentaux auprès de mon demi-frère que je ne connais que depuis quelques semaines. « Après, je comprends que ce soit pas simple de se lier, je t'assure que je comprends. Mais parfois ça vaut le coup de prendre le risque. Tu es encore en contact avec cette fille ? » Ma relation avec Caleb le prouve, ça vaut le coup vraiment, à condition de ne pas prendre la fuite mais ça c'est mon problème et je ne sais pas ce qui crée un soucis pour Jeremiah.
J’étais stressé avant d’arriver à ce rendez-vous. J’avais peur que tout se passe mal, qu’on ne trouve rien à se dire ou qu’elle m’annonce qu’elle ne veut pas que je sois dans sa vie après avoir appris tout ce que j’ai pu faire dans ma vie. Ca ne serait pas la première fois. Mais elle est étonnante Alex, et particulièrement compréhensive. Elle sait beaucoup de choses sur moi, et moi peu sur elle. Mais elle n’a pas disparu pour autant. Elle aurait pu ne plus jamais m’adresser la parole après avoir eu toutes ces informations. Mais on a parlé rendez-vous, et ça s’est concrétisé. Je ne connais pas cet endroit, mais j’ai accepté de la suivre où elle le voulait parce que les endroits que je fréquente habituellement ne sont pas vraiment propice à la discussion. Pas aux discussions pour découvrir une demi-soeur.
On parle de tout et de rien, et pendant quelques minutes, on oublie ce père toxique qui a détruit nos vies de différentes manières. Je veux pas que la seule chose qui nous lie ce soit un géniteur qui a été le pire des père pour elle comme pour moi. “Tu me diras dans quelle salle tu vas, on pourra y aller ensemble une fois. Faut que je vois si tu sais bien te battre.” Oui je suis en train de proposer une prochaine fois, parce que j’en ai envie. Parce que je veux pas que tout s’arrête là alors qu’au fond j’ai toujours cherché une famille. C’est peut-être un peu tard, on est peut-être trop vieux, mais on peut toujours essayer d’être présent pour l’autre dans le présent et le futur. Parce qu’on ne peut pas rattraper 30 ans avec un repas. Mais on devrait encore avoir quelques années devant nous, alors, pourquoi ne pas essayer de créer quelque chose à deux ? “A notre rencontre !” Et je fais tinter mon verre contre le sien. “T’as déjà voulu avoir des frère et soeur ? Ou tu préfère être fille unique ?”
Et contre toute attente on discute de son coeur, et du mien si il en reste un bout quelque part. Elle a quelqu’un dans sa vie et je n’ai pas mon mot à dire, je ne la connais pas encore assez pour lui poser des questions sur ce type que je ne connais pas. Mais je le fais un peu quand même. “Je verrai ça alors.” Un clin d’oeil amusé, elle a l’air amoureuse alors j’espère qu’elle sera heureuse pour un très long moment. Elle n’a pas eu une vie facile elle non plus, alors si Brisbane lui apporte le bonheur dont elle a besoin, tant mieux pour elle. Je ne sais pas comment ni pourquoi mais la conversation tourne autour de moi. Autour d’Ariane d’un autre côté même si son nom n’a pas fait irruption dans la conversation mais il tourne un peu trop dans mon esprit. Pourquoi son histoire fait écho à la mienne ? Pourquoi quand elle me dit ça je me rends compte que depuis elle je ne me suis lié à personne ? Mais je n’ai pas cette fin heureuse moi, parce que je suis incapable de parler de ce que je ressens. Parce que ça a toujours été compliqué, ça a toujours été nocif, et je m’accroche à ça pour justifier que je ne peux rien lui dire. Je me racle un peu la gorge quand j’essaie d’éviter son regard parce que je ne peux pas m’imaginer que j’aurais le droit à ce qu’Alex a eu avec Caleb. “C’est compliqué, elle est mariée, et même si elle l’était pas, elle aurait trouvé quelqu’un d’autre depuis bien longtemps.” On est toujours pas loin l’un de l’autre, mais c’est pas pareil, c’est parce qu’on a pas le choix, c’est parce qu’elle est un bout de ma vie que je ne pourrais jamais vraiment abandonner. Un bout que je garderai près de moi pour toujours. “Je suis pas sûr de pouvoir offrir un truc stable et sur la durée Alex, et j’obligerai jamais personne à rester proche de moi. Je suis peut-être juste pas fait pour les relations normales.” Et c’est peut-être la vérité. “On a jamais perdu contact.” Une erreur ou la raison de pourquoi elle me tourne sans arrêt dans la tête ? Aucune idée.
Il me propose vraiment d'aller boxer avec lui ? Il veut voir si je sais bien me battre, et finalement, je me dis que c'est pas une mauvaise idée que de se retrouver autour d'une activité qui pourrait nous rapprocher, quelque chose de moins formel qu'un dîner. Parce que même si nous apprenons à faire connaissance tout les deux, il y a trente ans de silence derrière nous que nous ne pourrons pas combler en un repas. « Ce serait avec plaisir, mais ça fait même pas un an que je fais de la boxe, alors hors de question que tu te moques de moi. » Je lui dis tout ça avec un sourire, mais au fond, je suis un peu sérieuse, il va vite découvrir, par lui même, que je n'aime pas trop qu'on se moque de moi. Surtout que je sais que je suis loin d'être très douée à la boxe. Je n'ai pas assez écouté les conseils de Rosalie, cherchant avant tout à me défouler plutôt qu'à développer une vraie technique. Mais l'idée de passer du temps avec Jeremiah dans une salle de boxe, semble tentante, ça peut être notre activité à nous, entre frère et sœur. Et c'est étrange comme pensée, mais pas dérangeant. On trinque ensemble, à notre rencontre, à ce lien entre nous que l'on cherche encore à comprendre. Je n'ai jamais imaginé avoir un frère ou une sœur, alors je ne sais pas vraiment comment on fait tout ça. Ce que ça représente d'avoir un frère, demi-frère. Mais je m'entends globalement bien avec les hommes de mon entourage, donc peut-être qu'avec lui je peux réussir à m'entendre aussi bien. « Franchement j'y ai jamais réellement songé. Mes parents n'ont jamais évoqué un autre enfant, et c'était mieux ainsi pour tout le monde. Alors j'ai jamais eu à me poser la question. Encore moins à trente ans. » Un autre enfant dans ce bordel, enfin cette mascarade, qu'était leur couple, au milieu des problèmes de ma mère, et aux mains de ce sadique de père, oui clairement c'est mieux qu'ils aient arrêté le carnage après moi. Quoique j'espère vraiment que nous ne sommes que les deux seuls à avoir ce même homme comme père. Je ne lui retourne pas la question, je connais son parcours de vie, et ce serait déplacé de ma part de lui demander s'il a voulu des frères ou sœurs. Mais je réalise que je connais son parcours de vie à lui, mais pas à sa mère et si ça se trouve cette femme a eu d'autres enfants après Jeremiah. « Ta mère a eu d'autres enfants après toi ? » Pas que ça me regarde vraiment, mais peut-être que lui est un peu plus à l'aise avec tout ça. « D'ailleurs tu es encore en contact avec elle ? » La discussion semble finalement pas si compliquée que je l'avais pensé. Et je me rends compte à ce moment que je n'ai pas besoin de boire à outrance pour me sentir plutôt sereine avec lui. Et la discussion continue, devenant encore un peu plus personnelle, et pourtant c'est avec une certaine facilité que je lui parle de Caleb. Et voilà que je me transforme en conseillère conjugale, tout en étant étonnée de la façon avec laquelle il se confie à moi. Je vois qu'il n'est pas totalement à l'aise, mais il continue à me parler de sa vie sentimentale qui semble compliquée, et moi je l'écoute. Je l'écoute me dire que cette femme dont il me parle est mariée, ce qui complique clairement la situation, mais ce que je retiens surtout c'est la façon avec laquelle il parle de lui. Il semble avoir une vision de lui même pas vraiment positive, et je me reconnais un peu dans ses paroles. Moi non plus, je ne pense pas être la meilleure personne avec laquelle s'engager, on va dire que les notions d'engagements on tendance à me faire paniquer, mais je crois que je me rends compte peu à peu que si l'engagement me fait peur, ce n'est rien à côté de l'idée de le perdre, parce que Caleb c'est spécial. Mais je me concentre sur lui, sa situation. « Il n'y a pas de relations normales, enfin je crois pas. Et si tu me dis que tu es encore en contact avec elle, c'est pas anodin non ? Tu ne l'obliges pas à rester en lien avec toi non ? » Je suis tellement pas douée pour les conseils amoureux, vu la façon avec laquelle j'ai géré mes relations, enfin ma relation je suis vraiment pas la pro des relations. « Et elle, tu sais ce qu'elle veut ? Son mariage c'est sérieux ? » Je crois que c'est l'une des premières choses sur laquelle il faut se questionner au fond.